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Revue d'Histoire Ecclésiastique
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UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
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REVUE
D'HSTOIRE ECCLÉSIASTIQUE
fondée en 1900 par: : :.
À. CAUCHIE et P. LADEÈUZE
et publiée sous la direction de
À. DE MEYER, R. KOERPERICH, J. LEBON
CH TERLINDEN, É. TOBAC et L. VAN DER ESSEN
Tome XX
L. — ARTICLES, COMPTES RENDUS ET CHRONIQUE
LOU VAIN
BUREAUX DE LA REVUE
40, RUE DE NAMUR, 40
Tous droits de reproduction ct de traduction réservés.
Louvain, — Imprimerie Pre=RRe SMEESTERS, rue Ste-Barbe, 18.
1924
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UNIVERSITÉ CATROPISCE DE LOUVAIN
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REVUE
D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE
_ fondée en 1900 par
A. GAUCHIE et P. LADEUZE
et publiée sous la direction de
À. DE MEYER, R. KOERPERICH, J, LEBON
CH. TERLINDEN, É. TOBAC et L. VAN DER ESSEN
SOMMAIRE :
J. Lebreton. Le désaccord de la foi populaire et de la théologie
Svante dans l’Église chrétienne du me siècle (suite et fin) .
René Draguet. Un commentaire grec arien sur Job .
Compte chèques-postaux n° 39,421
LOUVAIN
BUREAUX DE LA REVUE
40, RUE DE NAMUR, 40
Tous droits de reproduction ct de traduction réservés. :
Louvain, — Imprimerie Pire SMEESTERS, rue Ste-Barbe, 18.
1924
COMPTES
H. Leisegang. Pneuma Hagion. Der Ur-
Sprung des Geistbegriffs der synoptischen
Evangelien aus der griechischen Mystik.
(Verotfenilichungen des Forschungsinstituts
für vergleichende Religionsgeschichte an
der Universität nude N. 4.) (J. CoPPExSs.)
Se. A2]
L. Todesco. Coisé: di bia della Chiesa.
Vol. 1 : 1 primi 300 anni. (A. DE MEYER.)
11
G. Ghedini. Letiere cristiaue dai papiri grect |
del II e 1V secolo. (Supplementi au « Aegyp-
tis », Serie divulgazione, sez. ureco-romana,
n. à. Pubblicazioni della università cat.
S. Cuore, sez. . filologica, vol. ne DRAGUET.)
. + ‘78
Dom H. Quentin. Ménote sur | létablisse-
ment du lexte de la Vulgate, tre partie :
Oclateuque. (Collectanea biblica latina.
Vol. VI) (E. ToBac.). à, . s su
D. L. Redonet. EI irabajo bänpal en las
reglas monäsiicas. Discurso y Contestacién.
(Real Academia de ciencias morales y poli-
ticas.) (L. GOLDARACENA, O. M. Cap.) . 84
A. W. Wade-Evans. Life of Saint David.
(L. Goucaup, 0. S. B.). . . . 89
Éginhard. Vie de Charlemagne, éditée et
traduite par Louis Halphen. (AUGUSTIN
FLICHE.). . . 90
Dom Ch. Poulet, o. s. B. Guelfes et Gibelins.
T. 1 : La lutte du Sacerdoce et de |’ Empire
ue -1250). T. II : La diplomatie ponliticale
à l'époque de la domination française (1266-
1372). Home (E. DE MOREAU, S. J.)
. «+ 91
Amédée Boinet. La cathédrale d'Amiens.
(Collection des petites monographies des
grands édifices de la France.) (AUGUSTIN
FLICHE.). . . . + 92
Jean Vallery-Radot. La cathédrale de
Bayeux. Sr JAUGUSTIN FLICHE.)
5 # M
N. Paulus. Geschichte ie Abliies im
Mittelalter. Vol. Let IE : Vom Ursprunge bis
zur Mite des 14. Jahrhunderts. Vol. IH :
Geschichte des Ablasses im Ausgange des
Miltelalters. (A. JANSSEN.) . . . . . 94
H. Martin. La miniature française du
Nine Siècle. (R. MAERE.). . . . , 97
L. Brochard. Histoire de la paroisse et de
l'église Saint-Laurent à Paris. (J. LavaL-
LEYE) 99
RENDUS
H. J. Warner. The Albigensian Heresy.
(Studies in Church History.) (E. DE MOREAU',
Se mou . + + 401
Dr. Alex. Birkenmajer. Vermischté Ünter-
suchungen zur Geschichte der mittelalter-
lichen Philosophie. (Beiträge zur Geschichte
der Philosophie des M.-A. Hrsg. v. C1.
Baeumker. T. NX, fusc. 5.) (R.-M. MARTIN,
LAS LS RE 102
Reginald Lane Poole. isiratons of the
history of mediaeval Thought and Learning.
2e édil. revue. (MAURICE DE WCLF.). 104
P. Fredericq (+). Corpus documentorum
sacralissinarum indulgentiarum neerlan-
dicarum. Verzameling van stukken betret-
fende de pauselijke aflaten in ue Nederlanden
(1300-1600). (Rijks’ geschiedkundige publi-
Caliën, uityegeven in opdracht van Z. Exc.
den Minister van Onderwijs, Kunsten en
Wetenschapnen. Kleine serie, n° 21.) (A.
JANSSEN,) , . . 5 + *. 1405
Alexandre Masseron. Les énigmes de la
Divine Comédie. (ALPHONSE BAYOT.) 107
Dr Georg Heidingsfelder. Alberl von Sach-
seu. Sein Lebensyang und sein Kommentar
zur Nikomachischen Ethik des Arisloteles.
(Beiträge zur Gesch. der Philos. des M.-A.
Hrsg. v. CL Baeumker. T. XXIL, fasc. 3-4.)
. (R.-M. ManTIN, O. P.) . . 109
Paul Kalkoff. Der Wormser Reichstag von
1521. Biographische und quellenkritische
Studien zur Relor ie (P, M.
PIETTE.). , . . + fi
Ulrich Schmidt, ©. F. M. kdspar Schatz-
seyer, O.F.M. Scrutinium divinae scriplurae
pro concilialione dissidentinm dogmatum
(1522). (Corpus catholicorum. Fasc. 5.) (A. DE
MEYER.). . ; 113
Henri Naef. La cojuration d’Amboise et
Genève. (P. M. PIETTE.) . . . . 114
The Spirit of Saint Jane Frances de Chantal
as shown by her letters, translated by the
Sisters of the Visitation Harrow-on-the-Hill,
with a Preface by His Eminence Cardinal
Bourne. (J. FORGET.) . . . . + 116
Augustin Gazier. Histoire générale du
mouvement janséniste, depuis ses origines
jusqu'à nos jours. (A. DE MEYER.) . . 4119
D: Johannes B. Kissling. Der deutsche
Protestantismus (117-1917). Eine seschicht-
Jiche Darstellung. T. 1-1. (GEORGES Goyar.)
*
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| sésaceard de la foi populaire ot de la théologie savante
| dans l’Église chrétienne du III° siècle.
(Suite et fin.)
| in.
Chez les maitres alexandrins dont nous venons de retracer la
‘«trine, la distinction des divers degrés de connaissance ou de
#rection religieuse se ressent, nous l'avons vu, de l'influence de la
{ ze. Sans duute cette influence ne va jamais jusqu’à introduire
ts la religion de ces écrivains le déterminisme gnostique ; ils
| “poussent de toutes leurs forces ce fatalisme qui sépare 1 humanité
| iastes, voue quelques privilégiés à la perfection chrétienne, et
4 bannit à tout jamais les autres. Mais, sous le bénéfice de cette
| erve, qui est essentielle, il faut bien accorder que les maîtres de
lément, et Clément lui-même et Origène ont reçu du gnosticisme
aines doctrines qui ont pénétré toute leur théorie de la connais-
ue religieuse : au-dessus de la foi vulgaire, accessible à tous les
étiens, ils ont imaginé une connaissance religieuse qui viendrait
fane tradition secrète, qui aurait le caractère d’une intuition immé-
jite et qui transformerait toute la vie, pour toujours.
| Lette conception aventureuse ne se rencontrera plus dans l'Église
äbolique après Origène; et, de ce fait, la cause des conflits aigus
| at e l'élite et la foule disparaîtra: mais on verra de nouveau en
| ‘rient, comme nous en avons vu en Occident, des théologiens trop
«ns de leurs spéculations, se laissant entrainer par elles et perdant
| arfois le contact avec la masse des simples croyants.
| (ette période se distinguera des précédentes en ce que ces théolo-
“as ne seront plus isolés, mais groupés en écoles, autour de chefs
nt ils recoivent l'impulsion et dont ils propagent la doctrine.
\nsi vont se constituer à Alexandrie, à Césarée, à Antioche, des
atres d’études théologiques dont nous ne trouvons point l'équiva-
‘1, à cette époque, en Occident (1). Ces créations marquent, sans
: On pourrait comparer l'école catéchétique de Rome, au second siècle,
2 saint Justin, Tatien, Rhodon. Cfr HAGEMANN, Die rümische Kirche
r:bourg, 1864), p. 104-119; mais l’ana'ogie est bien lointaine : on trouve là
-+ succession de maîtres, mais non pas une école qui puisse être comparée
“ne cohésion et comme influence à l’école d'Origène ou à celle de Lucien.
6 J. LEBRETON.
aucun doute, un progrès de la pensée chrétienne : elle s'organise à
l'intérieur du christianisme et elle se fait plus conquérante au
dehors. Mais ce progrès a aussi ses dangers : si l’action du maître
n’est pas de tout point bienfaisante, — et ce fut le cas pour Origène
et, bien plus encore, pour Lucien d’Antioche, — les dommages en
sont bien plus sensibles, quand cette action est propagée par toute
une école de disciples : plus l’autorité du chef est contestée, plus
ses disciples se passionnent à la défendre, au risque parfois de
dépasser sa pensée et de la fausser ; et puis c’ st entre eux un esprit
de camaraderie, qui risque de faire dégénérer une école en une
coterie, de faire, par exemple, du groupe des collucianistes cette
équipe d’intrigants qui porte la plus grande responsabilité dans la
première propagation de l’arianisme. Si ces dangers furent alors si
redoutables, c'est que chez un bon nombre de ces théologiens, la
valeur morale et religieuse n’était pas à la hauteur du talent : la
rapide esquisse que nous allons tracer nous le fera déjà pressentir ;
l’histoire d’Arius et de son groupe le montrerait beaucoup plus
clairement encore.
Les remarques que nous venons de faire n’atteignent pas les
premiers théologiens que nous avons à mentionner ; ce sont des
évêques admirables et des saints : saint Denys d'Alexandrie et saint
Grégoire le Thaumaturge. Et cependant, chez l'un et chez l’autre, on
remarque, pour les hautes spéculations, une passion qui n’était pas
toujours sans excès ni sans danger. Dans une lettre à Philémon,
dont Eusèbe nous a conservé un fragment (1), Denys raconte que,
dans les premiers temps qui suivirent sa conversion, il continuait à
lire les livres hérétiques ; un prêtre essaya de l'en détourner, lui
représentant le danger de contagion ; « une vision envoyée de Dieu
survint, qui me fortifia, et une parole se fit entendre à moi, qui me
donna un ordre et me dit en termes exprès : Prends tout ce qui te
tombera sous la main, car tu es capable de redresser et d'examiner
chaque chose, et, pour toi, cela a été dès le commencement la cause
de la foi. J'ai reçu cette vision comme concordant avec la parole
apostolique qui disait aux plus puissants : Devenez des changeurs
avisés. » On reconnaît la tradition alexandrine, non seulement dans
cette indulgence pour les écrits hérétiques, dans la citation de ce
logion cher à Clément et à Origène, mais aussi dans ce privilège
accordé aux « plus puissants » : ils ne sont point des enfants dans
le Christ, ils sont capables de surmonter les dangers, de discerner
les erreurs.
(x) H. E,, VII 7; éd. FELTOE, p. 52.
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LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 7
Plus caractéristiques encore sont les fragments qui nous sont
parvenus de son œuvre philosophique et théologiqu:: : son Traité de
la nature, dirigé contre Épicure ; ses deux livres de Réfutation et
d'Apologie, où, pour défendre sa théologie de la Trinité. il com-
mence par prouver qu’il est métaphysiquement impossible que la
matière soit improduite (1).
La controverse qui motiva cette Apologie ne peut être ici racontée
en détail ; il faut cependant la rappeler brièvement, car c’est un des
incidents les plus révélateurs de l’histoire que nous essayons de
retracer. Pour combattre le sabellianisme, qui était très répandu
dans la Pentapole de Libye, Denys envoie plusieurs lettres aux
évêques de ce pays et leur expose la théologie de la Trinité ; une de
ces lettres, adressée à Ammonius et Euphranor, fait scandale dans
certains milieux d'Alexandrie ; elle est déférée à Rome ; le pape
Denys juge l'affaire si grave qu'il croit devoir convoquer un concile.
Les évèques qui y prennent part, se prononcent unanimemernit contre
l'évêque d’Alexandrie. Cette sentence fut signifiée par l’évêque de
Rome : dans une lettre personnelle, adressée à Denys d'Alexandrie,
il l’invitait à s'expliquer; dans une lettre publique, destinée à
l'Église d'Alexandrie, il ne nommaïit pas l’évêque, mais condamnait
sa doctrine. Cette distinction des deux messages avait sans doute
pour but de ménager l'autorité de l’évêque ; mais, en même temps,
elle était motivée par le désir d'atteindre tous ceux qui, à Alexandrie,
tenaient les thèses incriminées ; il suffit de relire le document
pontifical pour s’en rendre compte : après avoir condamné le sabel-
lianisme, Denys de Rome écrivait :
Ensuite je dois m'adresser à ceux qui divisent, qui séparent, qui
suppriment le dogme le plus vénérable de l'Eglisa de Dieu, la
monarchie, en trois puissances ou hypostases séparées et en trois
divinités. Car j'ai appris que, parmi ceux qui chez vous sont caté-
chistes et maîtres de la doctrine divine, il en est qui introduisent cette
opinion; qui sont, pour ainsi dire, diamétralement opposés à la pensée
de Sabellius. Son blasphème, à lui, c’est de dire que le Fils est le Père,
et réciproquement ; mais eux préchent, en quelque façon, trois dieux,
divisant la sainte unité en trois hypostases étrangères, entièrement
séparées. Car il est nécessaire que le Verbe divin soit uni au Dieu de
l'univers ; et il faut que l’Esprit-Saint ait en Dieu son séjour et son
babitation. Et il faut de toute façon que la sainte Trinité soit réca-
pitulée et ramenée à un seul comme à son sommet, je veux dire le
Dieu tout-puissant de l'univers ; car couper et diviser la monarchie en
trois principes, c’est l’enseignement de Marcion l'insensé, c’est une
doctrine diabolique, et non de ceux qui sont vraiment disciples du
(1) Ap. Eus., Praepar. evang., VIL, 19 (FELTOE, p. 182-185).
8 J. LEBRETON.
Christ et qui se complaisent dans les enseignements du Sauveur. Car
ceux-là connaissent bien la Trinité prêchée par l'Ecriture divine, mais
(ils savent que) ni l'Ancien Testament ni le Nouveau ne prêchent
trois dieux.
L'évêque de Rome expose ensuite le dogme de la génération
éternelle du Fils, puis il termine ainsi sa lettre :
Il ne faut donc pas partager en trois divinités l’admirable et divine
unité, ni abaisser par (l'idée de) production la dignité et la grandeur
excellente du Seigneur, mais croire en Dieu le Père tout-puissant et
au Christ Jésus son Fils et au Saint-Esprit, et (croire que) le Verbe
est uni au Dieu de l'univers. Car il dit : Moi et mon Père nous sommes
une seule chose ; et : Je suis dans le Père et le Père est en moi. C’est
ainsi qu'on assure la trinité divine, et en même temps la sainte prédi-
cation de la monarchie (1).
Ce document est d’une importance capitale dans l’histoire du
dogme anténicéen ; mieux qu'aucun autre peut-être il éclaire les
relations de la théologie et de la foi, soit par les adversaires qu'il
vise, soit par les affirmations qu'il porte. Denys de Roïine parle de
ceux qui, à Alexandrie, sont « catéchistes et maitres de la doctrine
divine » : manifestement il a en vue l'école catéchétique el sa tradition
origéniste. Sans doute, au sein même de cette école, l'influence
d’'Origène n'est pas incontestée : la réserve d'Héraklas et de Denys
envers leur ancien maitre le montre assez; cette école d’ailleurs
était discutée à Alexandrie : la dénonciation portée contre l'évêque
le prouve, et Denys de Rome a soin de marquer que, parmi les
catéchistes, quelques-uns seulement tiennent les thèses incriminées.
Mais, encore une fois, Denys d'Alexandrie n’est pas seul ; il a autour
de lui tout un groupe, et les idées qu'il a exposées et défendues, il
les a empruntécs à la tradition doctrinale de cette école. Et c’est ce
qui explique la procédure suivie : la convocation du concile romain,
et cette lettre publique ct si grave adressée à l'Eglise d’Alexandrie.
Les thèses que les Romiuüins imputent aux catéchistes d'Alexandrie
se résument en un mot : le trithéisme : « ils prèchent, en quelque
facon, trois dieux, divisant la sainte unité en trois hypostases étran-
gères entre elles, entièrement séparées ». L'accusation est sévère ;
elle n'est pas nouvelle ; on y a vu, non sans raison, un écho des
dénonciations portées contre Origène et aussi des reproches faits à
Hippolyte par Calliste (2).
(1) Ap. ATHAXAS., de Decretis Nic. Syn., 26 (MIGNE, PG, t. XXV, c. 461-
465 ; RouTH, Reliquiae sacrae, t. IT, p. 373-377 ; FELTOE, p. 177-182).
(2) HAGEMANN, op. cit., p. 334-335, rappelant la condamnation d'Origène
PR, RE “ER. A. —_— ES Lo, SR
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LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 9
En face de ces thèses la position prise par Denys de Rome et son
nelle est Ja position traditionnelle de l'Eglise de Rome : son
rremicr souci est celui de l’uuité divine, de la « monarchie » : il
affirme en tète de sa lettre, il y revient en conclusion. Et l’on
remarquera aussi la forme de ce jugement : ici, comme dans les
autres documents romains, ce qu’on trouve, c’est l'expression authen-
tue de la foi ; point de spéculations théologiques, point de subti-
les dialectiques, peu d'érudition scripturaire ; mais la déclaration
aligorique de la foi professée par l’Église (1). Denys de Rome avait
rar le svnode romain, estime que cette sentence est identique à celle qui est
“tée 25 ans plus tard contre Denvs : « Ist nun aber die alexandrinische
$.huic uberliaupt gemeint, so gewiss in erster Reihe Origenes, ihr glänzend-
ser Lehrer..…. Von diesem Urtheile des Papstes Dionysius môügen wir einen
ñuckschluss machen auf das Urtheil, das früher die rômische Synode über
29 gesprochen hatte ». Cfr ib , p. 438 : e Der Tadel des Papstes ist allgemein
und trifft die gesammte Katéchetenschule mit Origenes an der Spitze.» Il
nantre aussi que le mot uzxcu0:, ici visé, avait été introduit dans la langue
itévusique par Hippolyte, dans sa controverse avec Noët, mais était tou-
ours resté suspect aux écrivains étrangers à cette école (p. 431-432). HARNACK
rit de son côté, non sans mauvaise humeur : « La méchante accusation qui
r'froche aux maitres alexandrins d'être trithéistes, ne doit-ellepas être rap-
srochée du reproche fait à Hippolyte par Calliste d’être dithéiste. et n’a-t-on
Fes peut-être le droit de conclure qu'Origène lui-même avait cté, à Rome, en
butte à l'accusation de trithéisme ? » (Dogmengeschichte, t.], p. 771, n. 1.)
it Harnack, qui a peu de sympathie pour ce genre de documents, écrit
(Drmengeschichte, t. 1, p. 772) : « Si l’on compare cette lettre de Denys à celle
se Léon Ier à Flavien ct à celle d'Agathon à l’empereur, on est étonné de
reconnaitre, entre ces trois documents romains, une si étroite parenté. Leur
lrme est entièrement identique. Sans se soucier des preuves, les trois papes
ent eu uniquement en vue les conséquences — ou ce qu’ils prenaient pour
lès cunséquences — des doctrines correctes. Partant de là, ils condamnent
#3 doctrines du droite et de gauche, et établissent simplement une doctrine
movenne, qui ne consiste qu'en mots, car elle est contradictoire. Ils la
prouvent par le recours au symbole antique, sans même se mettre en peine
ile pousser plus avant : un Dieu — mais Père, Fils et Saint-Esprit ; une
rersonne — mais divinité parfaite ct humanité parfaite; une personne —
mais deux énergies », et, cn note, il ajoute, au sujet de la conclusion de la
tre : « On le voit, Denys met simplement en face l’une de l’autre « la
sainte prédication de la monarchie » ct «la divine trinité » : stat pro ratione
vo'untas ». Cette caricature des documents romains en charge les traits,
c'est évident, mais ces traits, qu’elle charge jusqu’à les rendre difformes,
sont des traits réels : Denvs, comme Léon, comme Agathon, n'est pas
un théolog'en qui construit, mais un témoin qui conserve; son rôle n’est
pas celui de l’explorateur qui recherche et qui découvre, ni même celui du
polémiste qui argumente, c'est celui du jug” de la foi : il le garde ct ilen
rend témoignage. Cfr l'excellent commentaire que Hagemann a donné,
P. 432-445, de cette lettre de Denys.
10 J. LEBRETON.
une haute valeur personnelle : Denys d’\lexandrie en rendait
témoignage, comme nous l'avons rappelé ci-dessus ; saint Basile
aussi en fait un grand éloge (1); maïs ici ce n’est ni l’érudit ni le
théologien qui parle, c'est le pape. Il ne se complait pas pour sa
part dans les spéculations théologiques, et il se soucie peu de celles
des autres ; on a remarqué que son argumentation ne lient pas
compte des subtiles distinctions alexandrines sur les trois personnes
ou sur le double état du Logos; il ne se soucie que des conclusions
les plus apparentes, soit que les auteurs de ces doctrines les aient
formulées eux-mêmes, soit qu’elles lui paraissent s’en dégager
spontanément, et, parce que ces conclusions sont un danger pour la
foi, il les rejette et, avec elles, la théologie qui les a portées (2).
La lettre de Denys d'Alexandrie, malgré ses imprudences ou ses
maladresses, était bien loin, à coup sûr, de l’enseignement d’Arius ;
mais la lettre de Denys de Rome a déjà l’accent de Nicée : même
souci de l'unité divine, même décision souveraine et catégorique
dans la définition de la foi. Cette barrière infranchissable, contre
laquelle soixante ans plus tard l’hérésie se brisecra, c’est elle qui
arrête dès lors une théologie aventureuse.
Les fragments de Denys d'Alexandrie, nous l’avons déjà remarqué,
ont un caractère tout différent de la lettre de Denys de Rome : ce
n'est pas un juge de la foi qu’on trouve chez lui, c’est un exégète (3)
et surtout un métaphysicien, épris de ses belles spéculations. Il s'y
complaît encore dans cette Apologie, tout entière destinée à mettre
ea lumière son orthodoxie, et dont la plupart des fragments ne nous
sont connus que par le choix pieux et très attentif qu'en a fait
saint Athanase. Si, malgré cette sollicitude de l'écrivain lui-même et
de son défenseur, sa pensée nous apparaît beaucoup moins ferme et
moins exacte que celle de l’évêque de Rome, nous en conclurons que
(x) Ép. IL, 7o (P. G., 32, 436).
(2) HAGEMANN, p. 438; HARNACRk, p. 771 : e L'évéque de Rome ne s'est
point soucié des spéculations alexandrines, il a laissé de côté leurs thèses
compliquées, et s'en est tenu simplement au résultat, tel qu'il le saisissait :
trois hypostases séparées ». DUCHESNE, Jlistoire ancienne de l’Église, t. 1,
p. 488, parlant du système origéniste : « Le système était affaire d'école; il ne
faisait pas partie de l'enseignement de l'Église ; on peut même dire que
celle-ci l’ignorait. Quand des hommes de gouvernement, comme le pape
Denys, en rencontraient des fragments isolés, ils ne se mettaient point en
peine de les replacer dans la synthèse ct de les juger avec elle ou d’après
elle ; ils les appréciaient à part, d'après l’enseignement commun, non de
l'École, mais de l'Église. » Cfr FELTOE, p. 169 et n. 1.
(3) Nous rappellerons un peu plus bas les deux livres de Denys sur les
Promesses.
RE EE, me — Te à _ Ce, RS. CHR mm
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTÉ. 11
sa spéculation était pour lui un guide moins sûr que ne l'était, pour
denys de Rome, la foi commune.
Les imprudences de doctrine que nous avons dû relever chez
saint Denys d’Alexandrie, nous ne les retrouvons pas chez saint
Grégoire le Thaumaturge ; cependant ce grand missionnaire doit être
mentionné ici, comme ua des plus chers élèves d’Origène. On sait
æmment, tout jeune encore et se destinant à l’école de droit de
Beyrouth, il fut conquis par le grand docteur de Césarée ; comment,
la fin de ses études, il le remercia avec enthousiasme ; comment,
devenu évêque, il lui resta fidèle, C’est assurément une des physio-
souies les plus attachantes du mm siècle que celle de ce missionnaire
gagnant à l'Évangile les tribus du Pont, les captivant également par
sa condescendance et par ses miracles, et demeurant, parmi ce
troupeau à peine chrétien, mal civilisé, un théologien passionné
pour les plus hautes spéculations.
Parmi ses œuvres les plus authentiques, d'un côté sa Lettre
canonique, de l’autre son Symbole éclairent ces deux aspects de son
génie. Malgré les adjurations pressantes d’Origène (1), il semble
avoir été moins épris que son maître pour l'étude de la Bible; mais
la philosophie, qui l'avait séduit dans sa jeunesse, resta toujours sa
passion : son symbole en est tout plein (2), et tout autant son traité
sur l'impassibilité de Dieu (3).
Au second plan, derrière ces grands disciples d’Origène, on
aperçoit toute une pléiade de lettrés ou de savants ; leurs œuvres ont
péri; leurs noms ont été pieusement conservés par Eusèbe. C’est, par
exemple, Anatole d'Alexandrie, mort évêque de Laodicée : « En ce
qui concerne les connaissances, l'éducation grecque et la philoso-
(1) Lettre à Grégoire, ch. 4 ; remarquer aussi dans le chapitre 3 les aver-
tisscments que lui donne Origène sur les dangers que l'Égypte fit courir
aux Israélites. Cfr KogTscHAU, Des Gregorios Thaumaturgos Dankrede
(Fribourg, 1894), p. XVI-XVII.
(2) Ce symbole se distingue des écrits théologiques de Denys d'Alexandrie
par l’affirmation beaucoup plus ferme de l'unité des trois personnes ; il s’en
rapproche par son caractère spéculatif : l'influence de la Bible y est effacée,
celle de la métaphysique y est très apparente (cfr les remarques de HAN et
de HarnacKk, Bibliothek der Symbole, p. 253-254) ; il faut noter de plus que
ce symbole est exclusivement trinitaire ; il laisse de côté la christologie
(cir KATTENBUsCH, Das apostolische Symbol, I, p. 341).
(3) Cfr Harnacx, Dozmengeschichte, 1, p. 781. Il faudrait mentionner
encore le petit traité intitulé Discours à Tatien sur l'âme : il n’est pas de
saint Grégoire le Thaumaturge, il semble avoir été rédigé entre le ve et le
vue siècle ; mais on y peut retrouver avec probabilité un fragment de saint
Grégoire. Nous avons étudié ce traité et ses sources dans le Bulletin de Lit-
térature ecclésiastique, 1906, p. 73-83.
12 J. LEBRETON.
phie, il était compté au premier rang des plus illustres de nos
contemporains ; l’arithmélique, en effet, la géométrie, l’astronomie,
la dialectique, la physique, la rhétorique avaient été poussées par
lui jusqu’au plus haut point; c'est pour cela, dit-on, qu'il fut encore
jugé digne par ses compatriotes d'établir à Alexandrie l’enseignement
de la doctrine d’Aristote » (H. E., VII, 32, 6). Son ami et prédéces-
seur sur le siège de Laodicée, Eusèbe, était comme lui un Alexandrin
et comme lui un lettré. Mais cette érudition brillante était parfois
plus séculière que cléricale : Eusèbe lui-même dit du successeur
d’Anatole, Éticnne de Laodicée : « Ses discours, sa philosophie et
son érudition grecque Île firent admirer de beaucoup ; maïs, pour la
foi divine, il n’avait pas les mêmes dispositions d'esprit, ainsi que
le fit voir la persécution qui survint ; il parut un homme dissimulé,
peureux et lâche, plutôt qu'un vrai philosophe » (H. E., VII, 32, 22).
L'église de Laodicée, ajoute Eusèbe, fut relevée par Théodote, habile
médecin des corps ct aussi des âmes, et de plus, « fort exercé dans
les connaissances divines » (+b., 23).
Nous connaissons ainsi les quatre évêques qui se succédèrent à
Laodicée pendant les dernières années du ni siécle et le début du
ive : tous quatre, distingués par leur talent et leur érudition, mais
d’une valeur morale inégale. On voit par cet exemple le soin que
prennent Îles fidèles, du moins dans ces églises de Syrie et de
Palestine, de mettre à leur tête des hommes instruits et diserts,
capables de faire honneur au christianisme parmi ces populations si
éprises de beau langage ; pour cela, ils retiennent. au besoin des
étrangers : Eusèbe et Anatole sont Alexandrins ; ils ne font que
passer à Laodicée, amenés là par l'affaire de Paul de Samosate : l’un
après l’autre, ils sont retenus par la population chrétienne de la
ville (H. E., VI, 52, 5. 21). C'est un signe que de tels hommes
étaient alors encore peu nombreux; les différentes églises s'efforcent
de les saisir au passage et de les fixer, comme on fera plus tard pour
les riches patriciens, comme t‘inien on Paulin de Nole.
Et en effet, même à cette époque, après Tertullien et Cyprien,
après Clément et Origéne, le christianisme manque de défenseurs
de talent ; il passe encore, aux veux des lettrés, pour la religion des
esprits vulgaires (1). Dans les grandes églises d'Orient on trouverait
(1) LACTANCE, Divinae Institutiones, V, x, 18-21 (éd. Brandt, p. 401-402) :
« non credunt ergo divinis, quia fuco carent, sed ne 1llis quidem qui ca
interpretantur, quia sunt ct ipsi aut omnino rudes aut certe parum docti. Nam
ut planc sint cloquentes, perraro contingit : cuius rei causa in aperto est:
cloquentia enim saeculo servit, populo s° iactare et in rcbus malis placere
gestit.… ergo haec quasi humilia despicit, arcana tamquam contraria sibi
LA POI POPULAIRE ET LA THÉOLUGIE SAVANTE. 13
sans doute des théologiens de marque, plus brillants et plus influents
que ceux de Laodicée : à Alexandrie, Théognoste et Piérius; à
Antioche, Lucien; à Césarée, Pamphile. Mais ces esprits distingués
sont rares, et la foule qui les entoure est inculte (1). Cinquante ans
plus tard, le christianisme sera largement répandu dans toutes les
casses de la société ; les théologiens, les lettrés, les savants senti-
ront autour d’eux, au sein de l’Église, tout un public cultivé capable
d'apprécier leurs travaux et de les suivre. À la fin du mr siècle, il
n'en est pas encore ainsi : c'est, d’un côté, la masse des simples
croyants ; de l’autre, une élite intellectuelle très peu nombreuse ;
entre les deux, on ne rencontre guère cette classe moyenne que l’on
verra plus tard, dirigeant les ignorants, comprenant et soutenant
les savants.
On n’est donc pas surpris de constater, entre ces deux classes
extrémes de la société chrétienne, un manque de contact d’où
naissent des malentendus, qui parfois vont jusqu’au désaccord,
parfois même dégénérent en conflit. 11 sera bon, pour terminer cette
esquisse, de signaler les principales divergences de ces deux
groupes.
IV.
Ces divergences apparaissent surtout dans la conception ration-
nelle du dogme. Les théologiens ont été d'abord des apologistes ;
leur premier effort a donc été de rendre le dogme chrétien intelli-
gible et sympathique aux philosophes. Même après la génération des
apologistes, quand le travail constructif de la théologie a été entre-
pris, à Alexandrie surtout, les premiers artisans de cette grande
œuvre Ont élaboré des matériaux empruntés aux Grecs et ont été
soucieux de se faire lire et comprendre par les penseurs de l'hellé-
nisme ; c’est parmi eux, beaucoup plus que parmi les humbles
fidèles, qu’ils pouvaient rencontrer la formation que leurs spécula-
tions supposaient.
Il n’est donc pas surprenant que l'effort principal de la théologie
fugit, quippe quac publico gaudeat et multitudinem celebritatemque deside-
ret : co fit ut sapientia et veritas idoneis praeconibus indigeat ; et si qui forte
litteratorum se ad eam contulerunt, defensioni eius non suffecerunt. » Cfr
BATIFFOL, La Paix constantinienne, p. 144.
(1) On a une preuve de cet état de choses dans l'affaire de Paul de Samo-
sate : dans l’église d’Antioche et même parmi les évêques qui vinrent aux
deux premiers conciles réunis contre Paul, il ne se trouva personne d'assez
habile « pour surprendre cet homme dissimuié et trompeur », jusqu’à ce
qu’on fit intervenir le prêtre Malchion, « homme disert, qui était à Antioche
chef d’une école de sophistes où l’on donnait l’enseignement des Grecs »
(H. E. VII, 29, 2). Es
14 j. LEBRETON.
savante ait porté sur les dogmes qui intéressaient plus directement
la philosophie : Dieu, l'âme, le monde, et qu'elle les ait le plus
souvent considérés sous leur aspect métaphysique : Dieu, comme le
Dieu de l'univers, son Fils, comme l’instrument de la création. Ces
traits apparaissent clairement chez Origène : quand il énumère les
objets essentiels de la foi chrétienne, il nomme le plus souvent
Dieu le Père, Jésus-Christ, Fils et ministre du Père, le Saint-Esprit,
puis l’âme humaine, libre et responsable de ses actes : ce symbole
est développé à la première page du Periarchon (1, praef., 3-5); on
le retrouve en plusieurs autres livres d'Origène (1).
Peut-être y a-t-il là une tradition d'école : dans un fragment qui
semble emprunté par Clément à un de ses maîtres, on lit : « Étant
donné qu'il y a des objets utiles et nécessaires au salut, comme le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, et aussi notre âme, il faut absolument
que la doctrine qui en traite, et qu’on appelle gnostique, soit utile
et nécessaire » (2).
Quoi qu’il en soit de ce rapprochement, il est sûr que, chez ces
maîtres alexandrins, l'effort principal de la théologie ne porte plus
sur les mêmes objets que la foi commune et vulgaire, telle que
l’énonce le symbole baptismal ; le point de départ est le même : Dieu
le Père, Jésus-Christ, le Saint-Esprit; mais elle prête peu d’attention
aux autres articles du symbole, l'Église, la rémission des péchés, la
résurrection de la chair, et elle leur substitue des dogmes que le
symbole ne mentionnait point, sur la nature et l’origine de l’âme, le
libre arbitre, la responsabilité humaine ; de ce fait, le christianisme,
qui était avant tout une foi religieuse, prend parfois l’aspect d’une
doctrine métaphysique (3).
(x) Ainsi in Ioann., 32, 16, 187 : « Avant tout, crois qu'il n'y a qu’un Dieu.….;
il faut encore croire que Jésus-Christ est Seigneur et adhérer à toute la vérité
touchant sa divinité et son humanité ; il faut aussi croire au Saint-Esprit, et
que, étant libres, nous sommes châtiés pour nos fautes et honorés pour nos
bonnes actions ». De même, dans son commentaire sur l’épitre à Tite (PG,
t. XIV, c. 1303-1306) : pour faire comprendre ce qu’est un hérétique, Origène
dresse un catalogue des principales hérésies ; il vise d’abord les erreurs qui
ont pour objet Dieu le Père, puis Jésus-Christ, puis le Saint-Esprit, et
enfin l'âme humaine ; il ajoute, sous forme d’appendice, une profession de foi
aux autres dogmes de l'Eglise. Cfr in Matth., comment. ser. 33 (PG, t. XIII,
c. 1643-1644).
(2) Eclogae propheticae, 29. Cfr sur le bloc formé par Ecl. 27-37, BoUSSET,
Schulbetrieb, p. 188.
(3) On peut remarquer que le symbole de saint Grégoire le Thaumaturge,
d’une orthodoxie d'ailleurs si ferme, a pour objet unique la Trinité ; le dogme
christologique, mentionné communément par les autres symboles, est ici
laissé de côté. Quant à l'âme humaine, ce symbole n’en parle pas; mais on
connaît à ce sujet les préoccupations de saint Grégoire.
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 15
Alors même que les mêmes dogmes sont visés, ils sont éclairés d’une
atre lumière. De part et d'autre, l'affirmation des trois personnes
dvines est au premier plan : c'est bien le mème dogme qui est
professé par les savants et par les simples comme l'essence même
& la foi chrétienne ; mais les savants ct les simples ne le considèrent
pas sous le même aspect. Pour les simples fidèles, comme jadis pour
int Clément de Rome, le mystère de la Trinité, le Père, le Fils et
k Saint-Esprit, c'est la foi et l’espoir des élus ; ils voient tout dans
h perspective du salut et, au centre, la croix du Christ, sa mort
midemptrice, sa résurrection, gage de la leur. Ils peuvent dire,
“mme Origène le leur reproche, qu'ils ne savent que Jésus-Christ
et Jésus-Christ crucifié. Les savants voient dans le même mystère la
slution de toutes les énigmes du monde : comment un Dieu infini-
ment parfait a-t-il pu créer? c’est par son Verbe. Comment ce Dieu
invisible s’est-il fait connaitre ? encore une fois c’est par son Verbe.
Création par le Verbe, révélation par le Verbe, ce sont à coup sùr
des doctrines authentiquement chrétiennes ; mais, chez les écrivains
atérieurs, elles sont considérées surtout dans leurs relations avec
le dogme du salut : si Dieu a créé le monde, c’est pour son Eglise,
c'est pour ses saints ; ces considérations sont ici plus effacées ; ce
qui passe au premier plan, c’est le probléme philosophique qui
préoccupait tous les penseurs et dont les auteurs de Plactta énumé-
raient les solutions multiples : le monde a-t-il été produit, et com-
ment, et par qui?
Attirés sur le terrain des philosophes, les théologiens chrétiens
subissent leur influence : la génération du Verbe de Dieu est décrite
par eux en fonction du problème cosmologique : pour créer le
monde, Dieu, qui de toute éternité contient en lui son Verbe, le
profère à l’extérieur ; cette théorie, complaisamment et imprudem-
ment développée par les apologistes, se retrouve encore chez Ter-
tallien, chez Hippolyte, chez Novatien.
Les Alexandrius affirment plus fermement l'éternité personnelle
du Verbe ; mais, par contre, ils accentuent la conception hiérar-
chique, subordinatienne, qui place le Fils au-dessous du Père comme
étant, dans sa nature divine, le médiateur de son action et de notre
prière. Origène surtout a poussé jusqu’au bout cette conception et
jai a donné sa forme savante et technique.
Cette conception de la hiérarchie divine, cette distinction de degrés
inégaux au sein même de la Trinité revêt chez eux un double carac-
ère, métaphysique et religieux ; il sera utile de la considérer
brièvement sous ce double aspect ; on pourra ainsi mieux apprécier
les influences subies.
16 J. LEBRETON.
Dans l’ordre métaphysique, c'est l’idée de la transcendance divine
qui a infléchi la théologie alexandrine ; sensible déjà chez Clément,
elle apparaît beaucoup plus nettement chez Origene : le même
courant d'idée qui, quelques années plus tard, emportera Plotin (1),
entraine déjà Origène : au Fils il attribue toutes les perfections
coucevables, vie, vérité, sagesse, mais au Père une perfection idéale,
supérieure à tout cela :
In loann., 13, 3, 19 : « Le Christ est la vie ; mais celui ue est plus
grand que le Christ est plus grand que la vie. » 1b., 2, 243, 151 :
« Autant Dieu, le Père de la vérité, est plus grand et plus haut que
la vérité, et, étant Père de la sagesse, supérieur à la sagesse eb au-
dessus d'elle, autant il dépasse la lumière véritable. » Contra Cels., 6
64 : « Ne faut-il pas dire que le Monogène et le premier-né de toute
créature est l'essence des essences et l’idée des idées ct le principe, et
que son Père et Dieu est au-delà. de tout cela ? »
Ainsi le Père est transcendant par rapport à la vie, à la vérité, à
l'essence, à la lumière; la seule appellation qui soit retenue comme
convenant proprement au Père, c’est la bonté (2) ; mais aussi n’est-
elle pas attribuée proprement au Fils :
In loann., 6, 57, 295 : « Le Père est bon ; le Sauveur est l'image de
sa bonté. » 16., 13, 2, 151-153 : « Il est l’image de sa bonté, et le
reflet, non pas de Dieu, mais de sa gloire et de sa lumière éternelle,
et la vapeur, non pas du Père, mais de sa puissance, et l’'épanchement
pur de sa gloire toute-puissante et le miroir de son énergie... » 1b., 15,
30, 234 : « La volonté, qui est en lui, est l'image de la volonté première,
et la divinité, qui est en lui, est l’image de la divinité véritable ; et,
étant l’image de [a bonté du Père, il dit : Pourquoi m'appelles-tu bon ? »
1b., 28, 6, 42 : & IL devait donc prier pour la résurrection de Lazare,
et le Père, le Dieu qui est le seul bon, prévint sa prière. »
Et, de mème que Dieu le Père est le seul bon, il est aussi, à
proprement parler, le seul Dieu, 6 Ü:55 (2).
(x) Sur la transcendance de l’Un dans la philosophie de Plotin, cfr
R. ArNou, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, surtout p. 128 sqq.
Le parallélisme, si notable en tant de traits, de la pensée d’Origène et de
celle de Plotin ne doit pas s'expliquer par l'intluence d'Ammonius Saccas sur
Origène (cfr ZELLER, t. V, p 459, n. 3), mais par les traditions alcxandrines,
telles qu'on les reconnait déjà chez Philon, et par le mouvement d'idées qui,
au début du rie siècle, entrainait tant d’esprits vers le néo-platonisme.
(2) Cette thèse est longuement développée, in Zoann., 2, 2, 13 sqq. Ici
encore Origène rejoint Plotin : cfr ARNOU, p. 121,n. 2: « Origène qui parle
du Verbe comme Plotin parle du vus ct l'appelle avr das, auTO(520t-
sta, avrodeatco un, ùT rOT/03) aurainix, se refuse à le reconnaître
pour avurob:cs. Le Père seul est æûrcb:5s comme il est seul 6ess (avec
Re Rs
_—…
D ne
=
Sn OT en ———
LA FOI POPULAIRE ET LA THIOLOGIE SAVANTE. 17
La mème conception de la transcendance divine, appliquée aux
atégories de l’un et du multiple, fait reconnaître dans le Père seul
l'unité absolue, dans le Fils l'origine de la multiplicité. Cette
théorie apparait déjà chez Clément (1); elle est fréquemment reprise
par Origène (2) : c’est un des traits qui accusent le plus manifeste-
l'article). Le Verbe est Go: (sans article), n'étant pas le principe de la
divinité. »
(1) Strom. IV, 25, 156 : « Le Fils ne devient pas simplement un comme
l'un, ni multiple comme (composé de) parties, mais un comme tout. Ainsi il
est tout ; il est le cercle de toutes les puissances ramassées et unies en un;
c'est pourquoi le Verbe est dit l'alpha et l'oméga, parce qu’il est le seul
dont la fin devienne le principe et se termine de nouveau en son principe,
sans avoir en soi aucune extension ». Ce passage est fort obscur ; ce qui du
moins y apparait clairement, c’est que le Verbe n'est pas l'unité suprême,
mais qu'il est à la fois un et multiple ; dans la distinction ainsi établie entre
l'un et le Verbe, on pressent déià les thèses de Plotin sur l’Un et le voix.
AALL {Geschichte der Logosidee, t. II, p. 408) et STABHLIN (ad h. l.) comparent
Plotin, Enn., V, 1, 7, où la sensation est comparée à la ligne, et le vous
au cercle ; il faut toutefois remarquer que, dans ce passage, il est question du
> individuel, et non du ys25 universel. Il faut remarquer de plus, pour ne
pas forcer la portée de ce texte de Clément, que les puissances ne sont pas
personnifiées chez lui comme elles le sont chez Philon, mais sont de simples
attributs de Dieu (cfr HEiINiIscH, Der Eïinfluss Philos auf die älteste christliche
Exegese, p. 134-136) ; la multiplicité dont il est question ici est donc de l’ordre
logique, et non de l’ordre physique. Sur le Logos lieu des idées d’après
Philon, v. de somniis, I, 62, cfr LEBRETON, Les origines du dogme de la
Trinité, p. 215.
(2) Zn Apocal., schol. V (éd. Diobouniotis-Harnack, p. 22) : « Le Verbe est
le cycle des puissances qui sont ramassées et unies en un. » in Ephes. (éd.
GrecG, Journal of theol. studies, t. III, p. 402) : « À cause de sa relation aux
LITE A le Verbe en est le plérome. » 16..p. 570 : « La panoplie de Dieu,
c'est le Christ. > /n Ioann., 2, 2, 18 : « L'image archétype des nombreuses
images, c'est le Verbe qui est près de Dieu. » 2, 18, 126 : « En tant qu'il est
sagesse, il est système de Gempruara. » 5, 5: « Le Verbe de Dieu, qui est
au principe auprès de Dieu, n’est pas mozvAoyéx ; car il n’est pas Àdyct ;
car il n’est qu'un 0y°5, formé de beaucoup de HE chaque onu
étant une partie du cs total.» 1, 19, 112. « Il ne faut pas s'étonner si,
comme nous avons dit, le Sauveur, étant une multitude de biens conçus en
lui, renferme en lui des premiers, des seconds et des troisièmes. » Cels., V,
22 : « Les différentes paroles (du Christ), étant comme des parties dans le
tout ou comme des espèces dans le genre, ces paroles du Verbe qui est au
principe auprès de Dieu, du Verbe Dieu, ne passeront pas. » V, 39 : « Si nous
disons un second Dieu, qu’ils sachent que ce que nous appelons ce second
Dieu n'est pas autre «hose que la vertu qui renterme toutes les vertus et le
Logos qui renferme tout logos. » VI, 64 : « Il faut voir si l’on doit dire que le
Fils unique et le Premier-né de toute créature cest essence des essences et
idée des idées et principe, et son Père et Dicu par-dessus tout cela » ; cfr V,
RAVUE D'HISTOIRE BCCLÉSIASTIQUE, XX. a
L 1
A E
18 J. LEBRETON.
ment l’influence des spéculations philosophiques, un de ceux aussi
qui marquent d’une façun ineffaçable le caractère subordinatien de
la théologie de Clément et surtout d’Origène.
Cette distinction du Père et du Fils à l’aide des deux catégories
de l’un et du multiple était trop technique pour avoir, en dehors de
l’école, une grande influence. 11 n’en va pas de mêmne de la concep-
tion qui imagine une hiérarchie «d'êtres divins à travers lesquels
l’âme s'élève, comme de degré en degré, pour monter jusqu’au Dieu
suprème. Cette imagination n’est pas, comme la précédente, d'ori-
gine métaphysique ; elle vient plutôt de la mythologie gnostique, à
la faveur de laquelle elle s’est répandue, à Alexandrie surtout, dans
les milieux païens, juifs et chrétiens. Elle est au centre du philo-
nisme (1); elle est très apparente chez les maîtres de Clément (2),
reconnaissable chez Clément lui-même et bien plus chez Origène :
entre le Père, qui seul est vraiment bon, et les créatures, qui en
quelque façon sont bonnes, le Sauveur est intermédiaire ; comparé
au Pere, il est l’image de sa bonté ; comparé aux autres êtres, il est
un exemplaire, un idéal (5). « Il l'emporte sur les trônes, sur les
seigneuries, sur les principautés, sur les puissances... sur les saints
anges, sur les esprits et les âmes justes. et pourtant il n’est pas
comparable au Père » ; « sur toutes les créatures, même les plus
grandes, le Sauveur et l’Esprit-Saint l’emportent sans comparaison
et de beaucoup, mais le Père l'emporte autant et plus encore sur eux
qu'eux-mêmes sur les créatures » (4).
24 : « Le logos de tous les êtres est, d’après Celse, Dieu lui-même ; d’après
nous, son Fils. » Periarchon, I, 2,2 : «In hac ipsa ergo sapientiae subsistentia
quia omnis virtus ac deformatio futurae inerat creaturae, vel eorum quac
principaliter exsistunt vel eorum quae accidunt consequenter, virtute prae-
scientiae praeformata atque disposita : pro his ipsis, quae in ipsa sapientia
velut descriptac ac praefiguratae fuerant, creaturis se ipsam per Salomonem
dicit creatam esse sapientia initium viarum Dei, continens scilicet in semet-
ipsa universae creaturae vel initia vel rationes vel species, »
(x) Cfr Les origines du dogme de la Trinité, p. 186 sqq.; BRÉHIER, Les
idées philosophiques et religieuses de Philon, p. 112 sqq.
(2) Dans le groupe de fragments que Bousset attribue à Pantène, on dis-
tingue trois degrés dans le monde céleste : anges, archanges, protoctistes;
au-dessus d’eux, le Fils; au-dessus du Fils, le Père : Excerpa Theodoti, 10,
11, 12, 27; liclogae, 51, 56, 57. Cfr Cozzomr, Revue de Philologie, t. XXXVII
(1913), p. 19-46, surtout p. 19-46, surtout p. 22 sqq. Ces conceptions se
retrouvent, plus ou moins voilées, chez Clément, dans les passages du
VIIE Stromate ( 9 sqq. et 56 sqq.}) cités par Collump, p. 30, et aussi dans les
Adumbrationes, par exemple in I Pet., III, 22.
(3) 1n Matth., XV, 10 (PG, t. XIII, c. 1280-1281).
(4) 1n Ioann., XIIL, 25, 151-153. Cfr Periarchon, 1, 2, 12, 47 (fragment cité
par Justinien). ‘
ue
LL |
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 19
De la cette conséquence religieuse que le progrès de l’âme ne doit
pas s’arrèter au Fils de Dieu, mais le dépasser pour monter au Père ;
ls gnostiques s'étaient complus dans ces ascensions mystiques ; les
maitres de Clément les décrivent souvent, et Clément lui-même s’y
egare (4). Origène a son tour s’y laisse entrainer :
Vous pourrez vous demander s'il arrivera un temps où les anges
terront par eux-mêmes ce qui est dans le Père, et ne le regarderont
-lus à travers un intermédiaire et un serviteur : lorsque celui qui voit
le Fils, voit le Père qui l’a envoyé, on voit dans le Fils le Père ; mais,
quand on verra comme le Fils voit le Père et ce qui est dans le Père,
où aura pour ainsi dire comme le Fils la vision immediate du Père et
Je ce qui est dans le Père, sans avoir besoin de concevoir par l’image
æ que l'image représente. Et je pense que cela, c'est la tin, quand le
Fils remettra la royauté à Dieu, au Père, quand Dieu sera tout en
twus (2).
Cette source vive, qui naît en celui qui boit de l’eau que donne
Jésus, jaillit jusque dans la vie éternelle, et peut-être par-delà la vie
éternelle, jusqu'au Père, qui est au-dessus de la vie éternelle ; car le
Christ est la vice, mais celui qui est plus grand que le Christ, est plus
grand que la vie (3).
Cette idée ne se retrouve-t-elle pas dans le dernier mot de la
lettre, d’ailleurs si belle, d’Origène à saint Grégoire le Thaumaturge :
« Puisses-tu participer à l'esprit du Christ, et y participer de plus
en plus, de façon que tu puisses dire, nun seulement : Nous sommes
devenus participants du Christ, mais encore : Nous sommes devenus
participants de Dieu » (4).
V.
Cette conception théologique retentit immédiatement sur le culte :
œlui-la seul a droit au culte suprême qui est en effet le Dieu
souverain. On sait comment cette conclusion a été formulée par
Ürigène dans le Traité de la prière. Ce passage est notable à bien
des titres; il nous intéresse particulièrement parce qu'il marque
une réaction consciente d'Origène contre ce qu’il appelle « l’erreur
des simples » ; lui-même, on l’a remarqué souvent, a démenti plus
d’une fois par sa pratique religieuse la théorie qu'il érige ici; par-
lant aux simples, priant avec eux, il s’est senti l’un d'eux et s’est
(1) Excerpta Theodoti, 10, 11, 12; cfr Eclogae, 56. CLÉMENT, Stromata VI,
10, 57-
(2) 1n Zonn., XX, 7, 47 (p. 334, 22).
(G) Z8., XIII, 3, 18-19 (p. 229,6)
(4) Epist. ad Greg., éd. Koetschau, 4.
D J. LEBRETON.
associé à leur culte (1); mais, dans ce traité, il se pique de rigueur
théologique et furimule clairement les règles de la prière correcte,
telles que sa théologie les implique. Partant d’un texte de saint Paul
(LE Tim... 11, 1), il distingue quatre espèces de prières : « la demande
(déno:s) est la prière de quelqu'un à qui manque un bien, et qui
supplie qu'on le lui donne ; l'oraison (rpos:vy) est la prière jointe
à la louange de Lieu ou doxologie, en vue d'obtenir des biens plus
grands et avec des sentiments plus élevés ; la supplication (érsv£15)
est la prière adressée à Dieu avec une grande confiance ; l’action de
grâces (euyapiorix) est la reconnaissance, jointe à la prière, pour
les biens que l’on a recus de Dieu ».
(1) Ces prières se rencontrent surtout dans les homélies adressées au peuple,
par exemple in Ezech. XII, 5 (PG, t. XIII, c. 757); in Luc. XV (t. XIII, c. 1839).
Plus notable encore est l’homélie XXVI sur saint Luc ; Origènc suppose un
de ses auditeurs lui demanuant comment il faut aimer le Christ : « Ne diligas
hominem ex tota anima tua... sed praeceptum iuxta eloquium Salvatoris
nostri soli serva Deo.….. Respondcat mihi aliquis et dicat.. Volo diligere
Christum : doce ergo me quomodo cum diligam. Si enim dilexero eum ex
toto corde mco, et ex tota anima mea, et ex tota virtute, contra praeceptum
facio, ut alterum absque uno Deco sic diligam. Sin autem minus eum dilexero,
quam omnipotentem Patrem, timeo ne in Primogenitum universae creaturae
impius et profanus inveniar Doce me, et ostende rationem, quomodo inter
utrumque medius incedens diligere debeam Christum. Vis scire qua cari-
tate Christus diligendus sit ? Breviter ausculta. Diliges Dominum Deum
tuum in Christo. Putas diversam habere posse in Patre et Filio caritatem
Simui dilige Dominum Christum., Dilige Patrem in Filio, Filium in Patre, ex
toto corde, et ex tota anima, et ex tota virtute... » (PG, t. XIII, c. 1867). Les
homélies sur saint Luc, de même que les homélies sur Ezéchiel, nous sont
parvenues dans la traduction de saint Jérôme; nous n'avons pas de motif
d'en suspecter ici l'exactitude. Dans le Contra Celsum, Origène est souvent
aux prises avec cette objection : associer Jésus au culte suprême, c'est faire
ce qu’on reproche au polythéisme païen, c’est abaisser la grandeur divine
par une apothéose anologue à celles que le polythé 1 a prodiguées À cette
accusation les réponses d'Origène sont multiples : il affirme la préexistence
du Fils de Dieu, pour montrer qu'il n’y a pas ici apothéose, mais adoration
d’une personne divine éternelle ; il montre que toute la grandeur du Fils lui
vient du Père et que c'est comme telle qu’on la vénère ; enfin, et c’est le
point vulnérable, il accentue la subordination du Fils vis-à-vis du Père. Au
point de vue du culte, il le présente comme notre grand prêtre, présentant
à Dieu nos prières; cette fonction dérive-t-elle de l’incarnation ? Il ne
semble pas; elle appartient plutôt, chez Origène comme chez Philon, au
Logos en tant que tel. Les textes principaux du Contra Celsum relatifs à
cette question sont: V, 45 V, 11; VI, 57; VILL, x; VIL, 12; VI, 13;
VIL, «4; VIN, 155 VII, 16; VIII, 17; VII, 26; VII, 67; VILL, 69. L'op-
position qu'on remarque chez Origène centre la théorie et la pratique a déjà
été remarquée par HuET, Origeniana (PG, t. XVI, c. 795); Luoofs, D
zur Dogmengeschichte, p. 195.
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 21
Après avoir donné quelques exemples de ces quatre espèces de
mères, Origène accorde que la demande, la sapplication, l'action
d& grâces peuvent s'adresser à des hommes, maïs l’oraison à Dieu
sal :
XV, 1. Si nous entendons ce qu'est l’oraison, peut-être verrons-nous
ail ne faut prier ainsi aucun être produit, et pas même le Christ,
zis seulement le Dieu de l’univers et le Père, que notre Sauveur
umème priait, comme nous l’avons dit plus haut, et qu'il nous
cæigne à prier. En effet, comme ses disciples lui demandaient :
Ereigne-nous à prier, il ne leur enseigna pas à le prier lui-même,
mis le Père, en disant : Notre Père, qui es aux cieux, etc. En effet si
“ume je lai montré ailleurs, le Fils est distinct du Père par l'essence
I4:x) et le suppôt (ünoxsiusvey), il faut prier ou bien le Fils et non
k Pere, où bien tous les deux, ou bien le Père seul. Prier le Fils et
0 le Père, tout le monde conviendra que ce serait faire une chose
vurde et aller contre l'évidence ; si nous prions les deux, il faudra,
has nos prières, dire au pluriel : Donnez, faites, accordez, sauvez,
4 ainsi de suite; ce sont des formules choquantes, et que nul ne
“arrait trouver dans l'Écriture. Il reste donc qu'il ne faut prier que
Dieu, le Père de l'univers ; mais sans le séparer toutefois du Grand
Prétre qui a été établi avec serment par le Père, selon qu'il est écrit :
la juré, et il ne s'en repentira pas : Tu es prêtre pour l'éternité selon
l'ordre de Melchiséiech.
2. Aussi, lorsque les saints rendent grâces à Dieu dans leurs prières,
ls le font par le Christ Jésus. Et, de même que, si l’on veut bien
“rier, On pe doit point prier celui qui prie, mais celui à qui Notre
“igoeur Jésus nous fait adresser nos prières, c’est-à-dire le Père, de
“éme il ne faut pas présenter sans lui nos prières au Père. C'est ce
que lui-même fait clairement entendre, lorsqu'il dit : En vérité, en
rénité je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père, il
sous le donnera en mon nom; jusqu'ici vous n'avez rien demandé en
mon nom ; demandez, et vous recevrez, pour que votre joie soit com.
-lète. Car il ne dit pas : Demandez-moi, ni non plus : Demandez à
200 Pére, simplement ; mais : Si vous demandez quelque chose à
09 Père, il vous le donnera en mon nom. Car jusqu'au jour où Jésus
vana cet enseignement, personne n'avait demandé au Père au nom
Ju Fils ; et ce que Jésus disait, était vrai : Jusqu'ici vous n'avez rien
‘emandé en mon nom, et cette autre parole aussi était vraie :
[kmandez, et vous recevrez, pour que votre joie soit complète.
3. Mais peut-être quelqu'un, persuadé qu'il faut prier le Christ lui-
même, mais troublé par les conséquences qu'entraîne l’adoration,
oous objectera le texte : Que tous les anges de Dieu f'adorent, et nous
copvenons que ce texte du Deutéronome est dit du Christ. Il faut lui
repondre que l'Eglise elle aussi, que le prophète appelle Jérusalem,
est représentée comme adorée par les rois et les princesses, devenus
22 J. LEBRETON.
ges pourvoyeurs et Ses nourrices : Voici que je lève ma main vers les
nations, et vers les îles mon étendard ; et ils ramèneront tes fils dans
leur sein, et ils porteront tes filles sur leurs épaules ; et des rois
seront tes pourvoyeurs, et des princesses tes nourrices ; la face contre
terre, ils t'adoreront, et ils lècheront la poussière de tes pieds. Et tu
reconvaitras que je suis le Seigneur, et tu ne seras pas confondue.
4. Et ne peut-on pas, conformément à la pensée de celui qui a dit :
« Pourquoi m'appellestu bon ? Nul n'est bon, sinon Dieu seul, le
Père », dire aussi : Pourquoi me pries-tu ? Tu dois prier le Père seul,
que moi aussi je prie ; et c'est là l’enseignement que vous donnent les
saintes Ecritures. Vous ne devez pas prier celui qui à été pour vous
établi grand prêtre par le Père, celui que le Père a fait votre avocat ;
mais vous devez priez par ce grand prêtre, par cet avocat, qui peut
compatir à vos faiblesses, ayant été tenté en tout comme vous, mais,
grâce au don que m'a fait le Père, tenté sans péché. Apprenez donc
quel don vous avez recu de mon Père : quand vous avez été régénérés
en moi, vous avez reçu l'esprit d'adoption, pour être appelés fils de
Dieu et mes frères. Car vous avez lu cette parole que, par la bouche
de David, j'ai adressée à votre sujet À mon Père : « J'annoncerai ton
nom à mes frères ; au milieu de l'Église je te chanterai. » Il n'est pas
raisonnable que ceux là prient leur frère, qui ont reçu la grâce d’avoir
le même Père. Car il vous faut offrir votre prière au Père seul avec
moi et par moi.
X VI, 1. Ecoutons Jésus qui nous parle ainsi, et prions Dieu par lui,
disant tous la même chose et ne nous séparant pas les uns des autres
par la forme de notre priére. Est-ce que nous ne nous séparons pas,
si nous prions les uns le Père, les autres le Fils ? car dans leur sim-
plicité excessive, certains péchent par sottise, faute de considération
et d'attention : ils prient le Fils soit. avec le Père, soit sans le Père.
Que notre oraison s'adresse donc à lui comme à notre Dieu, notre
supplication à lui comme à notre Père, notre demande à lui comme
à notre Seigneur, notre action de grâces à lui comme à notre Dieu,
Pére et Seigneur.
Nous avons tenu à citer tout au long ce texte capital : c’est un de
ceux où s’aceuse le plus nettement le désaccord de la théologie
savante et de la foi populaire ; Origèue en est bien conscient et le
marque lui-même dans les derniers mots que nous venons de tra-
duire : emreery suxorlay 227à Tomy GxE0atÜT nr 2 de 70 afacanTros
IL AYELSTATTUOY HUXDTOUGIS NY 5 6)9 TROVIT EU CIIEVODY Fa) ULe)s Etes HET TOU
Rats ETE ymnts 709 n27053. On a parfois tenté de restreindre la
portée de cette théorie d'Origène, de n’y voir qu’une justification de
l'usage public de l'Église, adressant normalement la prière litur-
gique au Père par le Fils (1). Cette interprétation nous paraît tout à
(1) G. BuLe, Defensio fidei Nicaenae, sect. 2, cap. 9, $ 15, éd. Oxford, 1688,
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 23
lait improbable : la thèse ici soutenue par Origène dépasse de
beaucoup l’usage liturgique ; elle a la même portée que l'argument
invoqué en sa faveur : « Il ne faut pas prier celui qui pris ». Or cet
srgument va très loin : dans le Contra Celsum, Origène l’invoque
“ar condanner le culte des astres (1); ici, pour réprouver les
prières a iressées au Christ ; ce n’est pas là une rencontre fortuite ;
dans les deux cas la préoccupation est la même : réserver au Dieu
suverain le culte suprêine. C’est pour cela qu'Origène se fait objecter
le texte « que tous les anges de Dieu l’adorent » (XV, 3) ; il accorde
qu'il s’agit [à du Christ, mais il soutient que cette adoration ne doit
pas s'entendre au sens propre. maïs au sens métaphorique, de même
que l’adoration de l’Église ou de Jérusalem, dans le texte d’Isaïe
qu’il cite ensuite. Et tout son effort tend à prouver que le Fils de
Dieu rend un culte à son Père et que, par conséquent, notre adora-
tion ne doit pas s'adresser à lui, mais, par lui, à son Père; c’est dans
le même sens que, dans le passage du Contra Celsum que nous
p. 200. rappelle, pour défendre Origène, le canon 23 du 3€ concile de Car-
thage : «...ut, cum ad altare assistitur, semper ad Patrem dirigatur oratio. »
Marax, De divinitate Christi, lib. 4, cap. 16, num. 7-8, PG, t. XVII, c. 792-795,
1., reprend et développe cette défense ; il remarque la distinction faite par
Orizgène entre Îcs quatre espèces de prières, ohserve qu’une seule est
réservée au Père, et conclut : « Ex his patet nihil aliud Origeni propositum
esse, nisi ut ea precandi ratio observetur, quae viget in Ecclesia, ut Pater
rer Filium oretur. » La même explication est proposée par le P. Prat dans
sn livre, d’ailleurs très distingué, Origêne (Paris, 1907), p. 60 : « Dans un
.t'èbre passage du De Oratione, il s'efforce d'expliquer pourquoi l’une des
qzatre espèces de prières, la Tr TOCGEUYN — il entend par là la prière solen-
nelle, apparemment la prière liturgique — doit s'adresser au Père par le Fils
et non pas au Père et au Fils », J'ai le regret de ne pouvair me rallier à cette
.nterprétation, et cela pour deux raisons : rien n'indique ici une prière litur-
£jue ; pour faire comprendre ce que sont ces quatre prières, Origène donne
ues exemples de chacune d’elles; il cite comme exemples de 7 EU T
la prière des trois enfants (Dan., III, 23), celle de Tobie (III, 1-2), celle
£'Anne (I Sam , I. 10), celle d'Habacuc (TI, 1-2), celle de Jonas (IL, 2-4); ni
ces exemples, ni le commentaire qui les accompagne n'évoque l'idée de la
rière liturgique. De plus, et cela est plus décisif, Origène reprend plus bas
‘XVI, x) ses quatre espèces de prières pour montrer que toutes les quatre
duivent étre adressées au Père : « Que notre oraison s'adresse à lui comme
à notre Dieu, notre supplication à lui comme à notre Père, notre demande à
3 comme à notre Seigneur, notre action de grâces à lui comme à notre Dieu,
Fire et Seigneur » : TP0GE vyous0x TOLYUY dE Dem, € Er uv 4 SVOUEY d: we
7270!) dimusha 95e : xu0où, EUX AUUTT Dusy 95 63 Ver rai TATpi ai UN.
‘1) C. CELs., V,11: raQiusva 0: at aùToy LAOV Hat Gehryn x2
2TTÉ0 5 sdyeola ro Emi näct be Dix To POYOEVOb: AUTO), 2 JOUE)
ur Jay Er TOiS EUYOUÉVOLS. Cfr De Orat., XV, 2 où LUN TU EUYSUEV
mL ALE LIT ;
24 J. LEBRETON.
rappelions ci-dessus, il disait : « Nous croyons que le soleil et la
lune et les astres prient le Dieu souverain par son Fils, et nous
estimons, en conséquence, qu’il ne faut pas les prier, puisqu'ils
prient. » Et ailleurs il représente en effet le Verbe de Dieu et le
Saint-Esprit eomme rendant au ciel un culte à Dieu le Père ; ils sont,
d’après lui, figurés allégoriquement par les deux animaux d’Habacuc
et par les deux séraphins d’isaïe, qui chantent : : Saint, saint, saint,
le Seigneur des armées » (1). Philon avait vu dans ces deux anges les
puissanres suprèmes (2) ; Origène transporte cette interprétation au
Fils et au Saint-Esprit : c’est qu’il subit, ici encore, l'influence du
judaïsme alexandrin et se plie à sa conception des cultes intermé-
diaires.
En tout cela il faut reconnaitre l’influence d’une théologie savante
faisant violence au culte chrétien pour le plier à ses lois. Il est très
vrai que l’Église aime à présenter à Dieu le Père son culte et son
adoration par son Fils ; elle rend ainsi hommage à la fois au Père,
source et principe de tout bien, et au Fils, notre Sauveur ct notre
Médiateur. Mais elle ne craint pas non plus d’oftrir au Père et au
Fils la même prière, la même adoration, le mème culte, soit qu’elle
unisse les deux personnes (ou les trois) dans une formule commune,
soit qu’elle s'adresse ainsi au Fils seul dans les mêmes termes qu’elle
emploie pour s'adresser au Père. Ces prières ou ces hymnes appa-
raissent dès les origines de l’Église, et elles demeurent toujours en
usage. Sans vouloir transcrire ici des textes, qui seraient trop
nombreux (3), contentons-nous de rappeler les prières que les Actes
apocryphes prêtent aux apôtres : dans ces compositions populaires,
nous avons chance de rencontrer ces prières des simples qui cho-
quaient Origènc; les Actes de Pierre sont, à ce point de vue, particu-
lièrement intéressants : ils sont de peu antérieurs à Origène, ils ont
été très probablement connus par lui (4) ; enfin, étant l’œuvre de
rédacteurs catholiques et non gnostiques, ils peuvent nous faire
connaître, sans trop de déformation, la foi chrétienne. L’apôtre, au
moment de mourir, prie ainsi le Christ :
(1x) Periarchon, 1, 3, 4. In Isaiam, hom. 1,2 (P. G., 13, 221).
(2) De vita Mosis, ITI, 8.
(3) Cfr Les origines du dogme de la Trinité, p. 328 sqq. Parmi les textes
cités là relevons seulement ces versets de l’Apocalypse, V, 9-13 : «Il est
digne, l’Agneau immolé, de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la
force, l'honneur, la gloire, la louange... À celui qui est assis sur le trône et à
l'Agneau la louange, l'honneur, la gloire, le pouvoir aux siècles des siècles.
Et les quatre animaux disaient : Amen, et les vicillards se prosternèrent et
adorèrent. »
(4) Cfr Vouaux, Les Actes de Pierre (Paris, 1922), p. x16.
RL “D
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 25
Ju es pour moi un père, tu es pour moi une mère, tu es pour moi
afrore, un ami, uo serviteur, un intendant ; tu es le tout, et le tout
« en toi ; et tu es l'être, et il n’y a pas autre chose qui soit, sinon toi
si. Vous aussi, frères, réfugiez-vous donc auprès de lui ; et, ayant
Lis qu’en lui seul vous existez, vous obtiendrez ce dont il vous
ae, ce que ni l'œil n’a vu, ni l'oreille n'a entendu, et ce qui n’est
: entré dans le cœur de l’homme. Nous te demandons donc ce que
ais promis de nous donner, Ô Jésus sans tache, nous te louons, nous
- “Dons gräces, nous reconnaissons, en te glorifiant, — nous sommes
re faibles, — que tu es seul Dieu, et qu'il n'y en a pas d’autres,
jui soit la gloire, et maintenant, et dans tous les siècles. Amen !
Ertyre, 39, trad. Vouaux, p. 457-459).
De nos jours des théologiens sourcilleux ont été effarouchés par
xtte prière ; ils y ont vu du gnosticisme, du panchristisme (1). Il
st facile d'imaginer le malaise qu’Origène devait éprouver quand il
jit ou entendait des prières semblables ; ce qu'il pouvait dire de
rlus indulgent, c'était de ne voir dans ces effusions qu'un « péché de
sttise ». En somme, si l'expression était d’un exclusivisme outré et
ssseeptible d’une interprétation fâcheuse, la foi était correcte : la
prrre montait si ardente vers le Fils qu'on ne voyait que lui ; mais
bientôt l'âme se reportait vers le Père, le confessait et l’adorait (2).
Le chrétien, qui avait tout reçu de lui, aimait à lui redire : Nous
narons pas d’autre Dieu que toi! Ce cri de reconnaissance et
d'adoration n'était pas une négation du Père.
Cette prière que le rédacteur des Actes prêtait à l’apôtre martyr,
nest d’ailleurs qu’un écho des prières que tant de martyrs adres-
aient au Christ (3), imitant en cela le premier de tous les martyrs,
saint Étienne : « Seigneur Jésus, disait-il, reçois mon esprit!» puis,
‘1) L'expression est de ZAHN, Geschichte des NT. Kanons, t. I], p. 839, qui
aractérise ainsi la doctrine des Actes de Jean et, tout autant, celle des Actes
ie Pierre.
2} VouaAUx, 0. c., p. 64-66, a bien montré que, dans les Actes de Pierre, il n'y
i as de modalisme ct que le Père v est distingué du Fils. De mème, dans ses
sotes sur la prière citée ci-dessus, il a pris soin de marquer les textes du
\. T. dont on retrouve ici l'écho : «il est évident, ajoute-t-il, que c’est là
u' faut chercher l'origine de la pensée de notre auteur, et non pas dans
are œuvre gnostique, ou à plus forte raison dans les paroles d'Andromaque
: Hector ». Serait-il téméraire de reconnaitre aussi dans le mouvement et
F{ian de cette prière l'influence des acclamations qui, à cette date, retentis-
aient si souvent au sénat romain; ainsi en l’honneur d'Alexandre Sévère | Vie
ä Alexandre, par Lampridius, VIT) : « In te salus, in te vita... In te omnia,
:er te omnia. Antonine, haveas ! »
(31 Cfr Ep. von DER GoLTz, Das Gebet in der ältesten Christenheit, p. 131.
Leipzig, 1901.
26 J. LEBRETON.
tombant à genoux : « Seigneur, ne leur impute pas ce péché ! » (4)
On remarque que ces aspirations, ces cris sont plutôt l'expression
de la piété individuelle. tandis que la priére collective de l'Église
s'adresse le plus souvent au Père par le Fils; il ne faut pas toutefois
donner à cette remarque trop de rigueur : dès l'origine de l’Église,
on trouve des doxologies et des hymnes en l’honneur du Christ
seul (2), et aussi en l'honneur des personnes divines considérées
comme l’objet commun d’un mème culte (3).
Contre cette tradition la théorie d’Origène inaugure une réaction :
«il ne faut pas prier celui qui prie » ; ce principe, si énergiquement
défendu dans le De Oratione, fait sentir son influence dans plus
d’un document liturgique du mm° siècle et du 1rv°. A cette époque,
l'initiative individuelle s’exerce encore dans ce domaine ; elle n’est
pas, sans doute, indépendante de la tradition ; mais elle peut
l’infléchir ou la corriger (4).
(x) Cette prière de saint Étienne mourant est rappelée par Origène lui-
même, De orat., XIV, 6.
(2) Ces doxologies et ces hymnes se trouvent déjà dans le N.T. (v. Origines
du dogme de la Trinité, p. 329-332) ; elles sont en usage aussi dans l’ancienne
Église chrétienne : Mart. Polycarpi, 21; Mart. Carpi, 41; les psaumes et
hymnes en l'honneur du Christ servirent d’argument au début du rrre siècle
dans la controverse contre les adoptianistes : Eus. H. E., V. 28 ; bien avant
cette date, l’usage en est attesté par les païens : PLINE, ep. 96; cfr LUCIEN,
Peregrinus, 13; CELSE, ap. Orig., C. Cels.. VIII, 12-14, etc.
(3) Ces doxologies, dont les différents termes sont, non pas subordonnés
entre eux, mais coordonnés, se rencontrent déjà dans le N. T. : « A celui
qui est assis sur le trône et à l’Agneau la louance, l'honneur, la gloire, le
pouvoir aux siècles des siècles » (Apoc., V, 13: cfr VII, 10). À l’époque des
controverses ariennes, on attacha une grande importance à cette tradition ;
saint Basile la revendique dans le De Spir itu Sancto, 29, en citant l'hymne
du soir. vuvouuey [larcox ai inv «at &yroy mvedux (ei. Cfr Rouru,
Reliquiae sacrae, t. III (Oxford, 1846), p. 515-520. L’ an dernier, un papyrus
découvert à Oxyrhynchus et datant du Ille siècle nous appurtait un frag-
ment de cette hymne, accompagné de sa notation musicale ! UUYOUYTWY
d'rucv Taréoa x viov Y IYUY TYEJUX TAGA duvauets ET LE HYOUYTEY
aUuNy a unV 2p4To: ætyoz. L’'acclamaticn des Puissances, qui fait écho à
l hy mne chrétienne, est caractéristique de la liturgie alexandrine ; cfr sacra-
mentarium Serapionis, X,2:09s Ty Enal. KT ÉXY TAUT NY CoGay 2x 2202p3v
EL4ÈNT AY eva, ds adT ny Eye Gstas Quant: xl 2202000s a yy=h ous
JaTouT cos y2 duvr û 2202065 vuyity G:.
(4) L'œuvre liturgique de saint Hippolyte accuse nettement ce caractère
individus]. On lit, par exemple, à la fin de la formule de Ja bénédiction du
fromage (éd. Hauler, 108; Connolly, 176) : « In omni vero bencdictione
dicatur : Tibi gloria, Patri et Filio, cum Sancto Spiritu, in sancta ecclesia et
nunc et semper et in omnia saecula sacculorum. » Cette formule de doxo-
logic, qu’Hippolyte emploie en effet dans les autres bénédictions et qu'il
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 27
On doit reconnaitre, je crois, l'influence origéniste dans les textes
iturgiques qui représentent le Christ et l’Esprit-Saint comme priant,
a ciel, Dieu le Père : nous avons relevé cette imagination dans
‘interprétation allégorique des deux séraphins ou des deux animaux,
elle qu’Origène la présente (1); on la retrouve, ici ou là, dans
yelques textes liturgiques : elle est très accusée dans une recen-
on des Constitutions Apostaliques, représentée par le manuscrit du
Vatican, grec 1506 :
Elle t'adore toute la cohorte incorporelle et sainte, (il t'adore le
“araclet), et avant tous ton saint Enfant, Jésus, le Christ, notre
visoeur et notre Dieu, ton ange et l’archistratège de ta milice, et
raod prêtre éternel et sans fin ; elles t’adorent les armées bien ordon-
es des anges... (Const. Apost., virt, 12, 27) (2).
Elle apparait encore, mais corrigée ou voilée, dans ces deux textes
de l'anaphore de Sérapion et dans l’anaphore de la liturgie de
saint Marc :
trétend imposer partout, ne se rencontre, dans toute la littérature patris-
tique, qu’à la fin du traité d'Hippolyte contre Noet (Cfr Connozzy, Texts
æi Studies, t. VII p. 154). On remarque aussi un des traits caractéristiques
de ia christologie d’Hippolyte dans ce fragment de son anaphore : « (quem)
ciysti de caelo in matricem virginis, quique in utero habitus incarnatus est
et flius tibi ostensus est ex spiritu sancto ct virgine natus » (Haulcr, p. 106).
(Ja trouvera d’autres rapprochements de ce genre dans la dissertation de
Dom Connolly ; ces rapprochements prouvent efficacement que cette liturgie
remonte à saint Hippolyte, mais ils prouvent aussi qu'elle ne remonte pas
p.us haut.
11) Ü faut reconnaître que cette imagination d’Origène pouvait s’autoriser
d'un texte de l'Ascension d'Isaie, IX, 40 : « Et je vis que mon Scigneur
zdorait, ainsi que l’ange de l'Esprit, et ils louaient Dieu tous deux ensemble »
-:ir la note de Tisscrant sur ce passage, et son introduction, p. 13-15). Dans
1 Démonstration de saint Irénée, 10, on lit : « Ce Dicu est glorifié par son
Verbe, qui est toujours son Fils, et par le Saint-Esprit, qui est la Sagesse du
Père dc l'univers; et les puissances de ces deux, du Verbe et de la Sagesse,
qu! sont appelés chérubins et séraphins, glorifient Dieu en le chantant sans
cesse. » Ce texte d’Irénéc dépend sans doute de l’Ascension d'Isaie (cfr
J. A. Rostxson, traduction de la Démonstration, Londres, 1920, p. 39), mais
: la corrige et l’atténue : le culte proprement dit, les hymnes de louange,
est attribué non au Verbe et à l'Esprit, mais à leurs puissances, les chéru-
“ins et les séraphins.
{2) Ce manuscrit a été étudié par C. H. Turner, Journal of Theological
Studies, t. XV (octobre 1913), p. 53-65, et t. XV1 (octobre 1914), p. 54-62, qui y
voit la recension primitive des Constitutions Apostoliques, dont la tendance
aurait été nettement arienne. Le texte traduit ci-dessus est étudié p. 59. Sur
les mots mis entre parenthèses Turner note : « The bracketed words are by
28 J. LEBRETON.
Que parle en nous le Seigneur Jésus et l’Esprit-Saint et qu’il te
chante par nous. Car tu es au-dessus de toute domination, autorité,
puissance, seigneurie, et de tout nom qui se peut nommer, non seule-
ment dans le siècle présent, mais dans le siècle a venir. Mille milliers
et dix mille myriades t'environnent d'anges, d'archanges, de trônes,
de seigueuries, de dominations, de puissances ; et surtout les deux
séraphins très honorables, aux six ailes : de deux ailes ils se voilent
la face, de deux ailes les pieds, de deux ils volent, et il chantent ta
sainteté. Avec eux reçois notre chant, quand nous disons : Saint, saint,
saint, le Seigneur Sabaoth, le ciel et la terre est pleine de ta gloire.
(Anaphore de Sérapion, éd. Funk, x1u1, 7).
Auprès de toi sont mille milliers et dix mille myriades de saints
anges et des armées d'archanges ; auprès de toi les deux animaux très
vénérables, et les chérubins aux yeux nombreux et les séraphins aux
six ailes : de deux ils se voilent la face, de deux les pieds, de deux ils
volent, et ils crient l’un à l’autre de leurs bouches qui ne se reposent
jamais, de théologies qui ne connaissent pas le silence, ils chantent
l’hympe de victoire, le trisagion, ils crient, ils gloritient, ils clament
et ils disent, à ta gloire magnifique : Saint, saint, saint, le Seigneur :
Sabaoth, le ciel et la terre est pleine de ta gloire sainte. (Liturgie de
saint Marc. éd. Brightman, p. 131) (1).
Ce ne sont là, somme toute, que des textes clairsemés et dans la
plupart d’entre eux les vestiges origénistes, reconnaissables encore,
sont cependant à demi effacés. Mais il est un autre trait de cette
théorie d'Origène dont la marque est beaucoup plus profonde : c’est
l'orientation exclusive qu’elle donne à la prière chrétienne : Îl ne
faut pas prier celui qui prie; donc le Père seul doit être prie, et il
doit l’être par l’intercession de son Fils, notre grand prêtre.
Cette tendance s’accuse dans les doxologies : nous avons remarqué
ci-dessus que, dés l’origine, le type le plus fréquent de doxologie
est celui qui glorifie le Père par le Fils; mais, nous l'avons vu
aussi, on rencontre assez souvent à cette époque une autre forme de
doxologie, celle qui glorifie le Père et le Fils (ou le Père, le Fils et
l'Esprit). La spéculation subordinatienne jette sur cette seconde
forme de doxologie la suspicion et la défaveur : quand saint Basile
la rencontre sous la plume de Denys d'Alexandrie, il s’en étonne
comme d’une chose invraisemblable (7222906207); et pourtant ce texte
mème de Denys atteste l'antiquité de la formule qu'il emploie :
the second hand over an erasure according to Funk; but I do not doubt
that it was some close connexion in the original of the Holy Spirit with
angelic spirits which was the motive of the erasure ».
(1) Sur tous ces textes cfr J. À. RogiNsoN, o. c., p. 38 suq.
LA FOI POPULAIRE El LA THÉOLOGIE SAVANTE. 29
C'est la, dit-il, la formule et la règle que nous avons reçue des
anciens qui nous ont précédés n (1).
Au siècle suivant, au temps de la réaction antiarienne, la lutte des
Zux théologies retentit aussi dans la liturgie, les Ariens cherchant
:imposer l’usage exclusif de leur doxologie : « Gloire au Père par
k Fils dans le Saint-Esprit », les Nicéens au contraire soutenant la
‘siümité de leur formule : « Gloire au Père avec le Fils ct le Saint-
Esprit», ou encore : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit » (2).
On retrouvera des traces du même couflit dans d’autres documents
liturgiques, et d’abord dans l'hymne de louange que les Latins
appelleront le Gloria in excelsis et que les Grecs appellent l'hymne
du matin ou la grande Doxologie. Ce texte se présente sous deux
formes ditférentes ; l’une se lit dans le Codex Alexandrinus, à la fin
du psautier ; l’autre, dans les Constitutions apostoliques, VII, 47 ;
nous avons essayé de montrer ailleurs (3) que le second de ces deux
textes est un remaniement où s’accuse la tendance subordinatienne,
si apparente dans l’ensemble des Constitutions apostoliques et sur-
tout dans leurs formules de prières ; on se rendra compte de ces
retouches et de leur signification en comparant les deux traductions
ci-dessous ; les passages retouchés sont imprimés en italiques :
Constitutions apostoliques,
Codex Alexandrinus VIL, 47
Gloire à Dieu au haut des cieux,
paix sur la terre,
tienveillance (de Dieu) sur les
hommes !
Nous te louors, nous t'exaltons,
nous t’adorons, nous te glori-
fions, nous te rendons grâces,
à cause de ta grande gloire,
Signeur Roi supracé:este, Dieu
Pere tout-puissant !
Seigneur Fils unique, Jésus-Christ,
el Saint-Esprit !
Gloire à Dieu au haut des cieux,
paix sur la terre,
bienveillance (de Dieu) sur les
hommes !
Nous te louons, nous te chan-
tons, nous t'exaltons, nous te
glorifions, nous t’adorons. par
le souverain Grand Prélre, loi,
seul Dieu inenygendré, unique
inaccessible,
a cause de ta grande gloire,
Seigneur Roi supracéleste, Dieu
Père tout-puissant !
(x) BasiLe, de Spiritu Sancto, 29, 72 (FELTOE, Dionysius of Alexandria,
p- 195).
(2) Sur ce conflit il faut relire le traité de saint Basile sur le Saint-Esprit ;
cfr TH. DE RÉGNON, Ftudes de théologie positive sur la sainte Trinite, 1,
p. 120-125 ; Dom CaBror.,, Le Livre de la prière antique, ch. XIX, p. 267 suq.;
CavazLERA, Le schisme d'Antioche, p. 52.
(G)\ Recherches de science religieuse, t, XIV (1923), p. 322-320.
30 J. LEBRETON.
Seigneur Dieu, Agneau de Dieu, Seigacur Dieu, Père du Christ,
Fils du Père, de l'Agneau sans lache,
toi qui Ôtes les péchés du monde, qui ôle le péché du monde,
aie pitié de nous !
toi qui ôtes les péchés du monde,
aie pitié de nous ! reçois notre reçois notre supplication !
supplication !
toi qui es assis à la droite du loi qui es assis sur les Chérubins,
Père, aie pitié de nous !
Parce que tu es seul saint, Parce que tu es seul saint,
tu es seul Seigneur, tu es seul Seigneur, Jésus, Christ
Jésus-Christ, du Dieu de toute la nature pr'o-
à la gloire de Dieu le Père. duile, de notre Roi, par lequel
Amen ! soil à loi gloire, honneur et
adoruation !
Ni l’une ni l’autre de ces deux recensions n'est libre de toute glose
théologique : dans la première, la doxologie trinitaire qui termine
la première partie de l'hymne semble une insertion secondaire, due
sans doute à la réaction antiarienne. lans la seconde, ces remanie-
ments sont plus notables : ils affectent non seulement la doxologie
finale, qui est manifestement corrompue (1), mais un fragment
notable de la première partie, et tout l’ensemble de la seconde. On
remarque d’abord, dans la première partie, la mention expresse de
l’intercession du Christ comme notre Grand Prêtre ; Funk a reconnu
là une particularité des formules liturgiques des Constitutions apos-
toliques (2) ; si on en veut chercher l'origine, on la trouvera très
vraisemblablement dans le texte du De Oratione d’Origène que nous
avons commenté : « 11 ne faut prier que Dieu, le Père de l'univers;
mais sans le séparer toutefois du Grand Prétre qui a été établi avec
serment par le Père ». On remarque ensuite les attributs donnés à
(1) Cette corruption cst facile à reconnaitre dans la traduction ci-dessus ; :
nous avons suivi le texte établi par Fuak : cù pLOvos rUpuos | sos, USE 06
Toù Vend TÂTNs yErnrñs quoews, 70Ù (Parudiws muy, du co ac 06Ex,
Tu rat Gi5xs. Le texte est pius satisfaisant, si l'on suit le ms. Vatic.
gr. 2089 (TURNER, JTS, XVI, 56) : au 110V9S UCIOS, 0 ÜE0: xt FaTNt Jioco
XPIOTOù Toù Gsob Taons YEN TS GUTEWS TOD Gares uw, à où qu
(LEUR TLUN xx oEfSas. Mais, comme nous l'avons dit plus haut, si l’on voit
dans ce manuscrit la forme primitive des Constitutions, il faudra admettre,
avec Turner, que cette première rédaction était d'une tendance nettement
arienne, et les remaniements que nous signalons ci-dessus en deviennent
encore plus probables.
(2) Note sur VIE, 47, 2. Cfr II, 25,7; V, 6, 10; VI, 11, 10; VI, 30, 10; VII,
38, 3:
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 31
ba le Père : 55 zû Gyrx Oeûy ayévrnroy Eva, ärnéourey uévey. L'in-
£ace de la spéculation thévlogique est ici manifeste : elle seule
et expliquer l'habitude, chère au rédacteur, d'invoquer le Dieu
«prème comme « inengendré et inaccessible » (1).
(elle influence s’accuse davantage encore dans la seconde partie
E l'hymne ; elle en a changé toute l'orientation, faisant d’une prière
x“ Christ une prière à Dieu le Père. On disait : « Agneau de Dieu,
ils du Père, toi qui tes les péchés du monde, aie pitié de nous!
rois notre supplication !» Le rédacteur corrige : « Père du Christ,
k l'Agneau sans tache, qui ôte le péché du monde, recois notre
apolication ! » Puis, au lieu de : « Toi qui es assis à la droite du
Père +, il écrit : « Toi qui es assis sur les Chérubins » (2). Enfin la
bwlogie finale, d’abord adressée au Christ, est détournée, semble-
til, vers Dieu le Père (3).
On pourrait relever dans les Constitutions apostoliques bien
datres retouches, moins considérables sans doute que celle-ci,
Ir} Par exemple dans ceite prière de l’évêque sur les catéchumènes : VIII,
8 LE 5 4:95 9 FAYTOADAT O0, Ô a/ÉvnTOs xx ATOITITHE, Û pôvos a rtv0s
03, 0 GE55 AA RATS TOÙ AUTO Güu TOÙ povo Evous vics Cou, Ô Mens Tou
HI02 TT O0 #2Ù TOY 020)y xUpLOS.…. De même dans une prière de la con-
#cration épiscopale, VI, 5, 1: 6 y, dégrorz RUE G 6 0:05 Ô RAYTORURT Of,
25/62 I Proc LT TE UTO5... D 1420YOS à ré: 5, 0 LOVOS Gopiss.….
j &: cuTEt 2602705, à ôvos 4yx00s xai aobyatros,.… 6 ATrpoiTos,
: iGr0TOS. Parmi toutes ces épithètes, on remarquera cet attribut, cher
i0rigene : « Dieu seul bon... » Cfr VII, 44, 2; VIIL 6, 8; VII, 12, 6-7.
12} Dans l’article des Recherches cité plus haut, cette substitution a été
tudiée de plus près; nous nous contentcrons ici de ces quelques remarques:
à session À la droite du Père se rencontre très fréquemment dans la litté-
riture chrétienne primitive ; c’est, on le sait, un des articles du symbole; la
“sion sur les Chérubins se trouve beaucoup plus rarement et, dans les textes
cü eile se rencontre, elle apparaît comme un attribut du Christ et non de
Dieu le Père. Jusrin : Dial., 37, 3; 64, 45 IRÉNÉE, Adv. haer., III, 11, 8; enfo,
ins les Constitutions elles-mêmes, VI, 30, 8-10, on peut saisir le passage de
a première formule à la seconde : le Fils de Dicu est représenté comme
«ségeant à la droite du trône de la majesté du Dieu tout-puissant, sur les
chérubins >. Ici encore c'est au Fils que cette session sur les chérubins est
stribuée ; dans la grande Doxologie, pour orienter la prière vers le Père, le
:dacteur lui a attribué ce texte biblique ct a effacé la mention de la session
à la droite du Père.
13 Nous avons remarqué ci-dessus à quel point cette doxologie finale était
zroubléc ; si l’on pouvait faire fond sur le texte suivi par Funk, on y trouve-
ait un argument de pius pour établir la transformation ici étudiée : après
tétte prière, qui ne s'adresse maintenant qu’à Dieu le Père, les premiers
mots de la doxologie s’adressent au Fils, comme ils le font dans la formule
de l’Alexandrinus.
32 J. LEBRETON.
mais qui accusent la même tendance : tendance subordinatienne et,
pous préciser davantage, tendance origéniste (1).
Ces textes, il est vrai, n’appartiennent pas à la période anténi-
céenne, que nous étudions ici; ils l'éclairent cependant : si l'influence
(1) Un des exemples les plus manifestes a déjà été cité dans Ics Recherches ;
on nous permettra d’y revenir ici avec un peu plus de détail. A la fin d’une
longue doxologie qui termine le livre VI, on lit dans la Didascalie, VI, 30, 8 :
« … lesu Christi..… scdentis ad dexteram sedis omnipotentis Dei super
Cherubim, qui veniet cum virtute et gloria iudicare vivos et mortuos : ipsi
est potentia et gloria et magnitudo et regnum, Patri et Filio, qui erat et est
et erit et nunc in gencrationes generationum et in omnia saccula saeculo-
rum. » Cette finale est ainsi glosée et transiormée par le rédacteur des
Constitutions : Tr... xaÜesGEvre Ex deZuwy roù Onovou Dis HEyahwobvre TOÙ
TAVTOXOAT ropes God ëni roy xp... Gy éGracaro Srécaves à para
es ÉOTOTA Ez CHAT This Ouyausos, XXL avaf5oro xs eurey” (00ù
Gecopés TOUS GHpæyoUs GYEO) JuÉvous zxt TOY UIOY TOU avpuneu Ex Dettérv
égr@ra Toù Üioù 5 Apytecix TAVT@Y Ty logo : TayuAT&Y, À Cù TÔ
géfias nat n usyahwTuun nai % Voix T@ Tavroncarom Us rai voy nai ets
ToÙs œiwvas" aury. On remarque d’abord comment la doxologice, adressée
dans la Didascalie au Père et au Fils, est reinaniée par le rédacteur des C. A :
elle s'adresse au Dicu tout-puissant par le Fils ; le passage qui précède est
plus intéressant encore : aussitôt après avoir rappelé la session du Fils à la
droite de Dieu, sur les Chérubins, le rédacteur a inséré le récit de la mort
de saint Étienne et son témoignage suprême, et il l’a glosé d’une façon très
caractéristique : le saint martyr s'écrie : « Voici que je vois les cieux
ouverts et le Fils de l’homme debout à la droit de Dicu comme le Grand
Prêtre de toutes les cohortes (des Ctres) raisonnables ». Cette glose accuse
manifestement une origine origéniste : d'abord par cette mention expresse
du Christ comme Grand Prétre, et surtout par la relation particulière qui
est affirmée entre lui et les étre raisonnables : rien n’est plus caractéristique
du système d'Origène que cette relation entre le Logos et les 45174. Cette
conception se retrouve dans une autre prière des C. A., VII, 35, 10 :
Ô Toù XHOT Où Oe65 nai Ilarne.…. du où qu xai % ERXEIOS TUITAIMOLS
OgELDET a TALa TAGNS Lo ptñs rai XJi25 VOTERS.
On pourrait ajouter d’autres exemples de ces retouches : V, 6, 10 : on lit
dans la Didascalie : « Credamus in Dominum nostrum lesum Christum et in
Deum Patrem ipsius, Dominum Deum omnipotentem, et in Spiritum eius
Sanctum, quibus gloria et honor in saccula saeculorum,amen.» Dans les C. À. :
TUGTEULDY TG) EVÈ AA pére cintre Dee nai marot dix 'Inooù Xpucrod Toi
UE a hou 748 SL XX AuT pur où ro Lu xai puobarcdirou roy bd,
6) r Ôccax 2 ES TOUS ALGVXS" CITTIPE
V, 7,1: KRessuscitabit nos Deus omnipotens per Deum salvatorem
nostrum, » d> ToÙ xupiou quœy Insos Xmuorco.
VI, 19, 2 : « Cognoscentes igitur Dominum Iesum Christum et universam
eius CIÉDEHSAUONEMS quas a principio facta est... » JP 720 Geoy dix
"Jroov Xpiotoi HAL TNY JUUTAGAY AUTOY CLACYOLIXY ALYNEVYE YEMLEUTV. » «
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 39
origéniste a été si puissante dans l’Église syrienne du 1v° siècle, si
elle a exercé alors sur les compositions liturgiques une action si
visible, elle nous apparaît comme l'épanouissement d’une action
antérieure, qui date d’Origène lui-même et du mi° siècle, et nous
espérons avoir montré par les écrits du grand Alexandrin et surtout
par son Traité de la prière que c’est lui qui a donné à ce mouvement
son impulsion et sa direction (1).
VI,
Au cours des discussions qui précèdent, nous avons dù constater
que la spéculation théologique a eausé à l’Église du n° siècle bien
des dommages : le dogme et le culte en ont souffert. 1] serait injuste
d'oublier que ces théologiens, ces écrivains, qui sont responsables
de ces dommages, lui ont rendu de grands services. Avant tout,
service de protection et de défense. Nous avons vu, par l'exemple
des chrétiens de Laodicée, l'empressement que mettaient les fidèles
à s'assurer des évêques diseris et savants : vis à vis d’une opinion
païenne hostile et dédaigneuse, ils voulaient se couvrir du prestige
de leur talent et de leur science ; aussi Clément représente-t-il la
dialectique comme une haie ou un mur qui protège la vigne du
Cbrist : elle n’a point la prétention de rendre plus puissante la force
et la sagesse de Dieu, mais elle brise les attaques de la sophistique
bumaine, elle en arrête l’invasion (2). C’est ainsi qu'aux adversaires
tirés du christianisme, Celse, Porphyre, Hiéroclès, les lettrés
chrétiens ont répondu : Origène, Eusèbe, Macarius Magnes et bien
d'autres.
A l’intérieur même de l’Église, le rôle des théologiens, tant qu'il
a été subordonné, a été souvent bienfaisant. L’eschatologie chré-
tienne leur doit beaucoup : les rêveries millénaristes, propagées par
Papias et les presbytres, défendues par lrénée, ont été définitivement
dissipées par Origène et Denys. Sur ce point du moins, l’allégorisme
alexandrin a été fécond : sans repousser l'autorité de l’Apocalypse,
comme le faisait Caius et d’autres extrémistes, il a su reporter vers
des promesses plus hautes, plus pures, plus spirituelles, les espé-
(1) Pour rendre cette esquisse moins incomplète, il faudrait, après avoir
montré l'action de la spéculation théologique sur le dogme et le culte, la
suivre dans un troisième domaine, celui de la vie chrétienne, ascétique ou
mystique ; ce serait un travail considérable, que nous espérons poursuivre
ailleurs, mais dont nous ne voudrions pas charger la présente étude, déjà
peut-être trop longue.
(2) Strom., I, 20, 100, tr.
REVUE D'HISTOIRE RCCLÉSIASTIQUE, XXe 3
34 J. LEBRETON.
rances des chrétiens ; si, en d’autres questions, la théologie alexan-
drine a trop dédaigné la chair, trop exasperé le dualisme entre le
corps et l'esprit, ici du moins elle a su élever l’homme au-dessus
d’aspirations trop matérielles.
Ces services sont incontestables ; ils sont considérables ; et pour-
tant ils ne semblent pas compenser les dommages ; en tout cas, ils
ne répoudent pas au travail, moins encore au mérite, des thévlogiens
à qui ils sont dus. Si l’on considère la valeur intellectuelle, morale,
religieuse de ces grands homumes, et que l’on mette en regard leur
contribution efficace au progrès du dogme et du culte chrétiens, on
est attristé de voir ces arbres magnifiques porter de si pauvres fruits.
La raison n’en est-elle pas qu'ils n’ont pas poussé dans le sol
chrétien des racines assez profondes ? ou, pour parler sans figure,
que ces grands théologiens ont été, dans l’Église, trop isolés ?
Le magistère ofticiel de l'Eglise a dù souvent les désavouer : il
suffit de rappeler l’histoire de Tertullien, d’Origène, de saint Denys
d'Alexandrie lui-même. Ces sentences n'ont pas créé le désaccord ;
elles n'out fait que le constater. Si l'on recherche l'origine du mal,
on la trouve dans cetle situation anormale de penseurs chrétiens,
trop dépendants de l’hellénisme, trop indépendants de l’Église, de
ses chefs et de son peuple.
Nous ne prétendons pas ici canoniser l'opinion populaire, même
celle des chrétiens : les simples fidèles ont besoin d’être enscignés,
éclairés, guidés, sous le contrôle des évêques, par les théologiens.
À toute époque on sera exposé à trouver parmi eux des illusions
qu'il faudra dissiper, des croyances sans fondement et sans portée :
le milléuarisme, dont nous parlions tout à l'heure, en est, pour
l’'épuque que nous étudions, un simple manifeste. {1 faut reconnaitre,
de plus, que les ignorants sont incapables de suivre les spéculations
qui supposent une formation lechnique et qui, cependant, sont utiles
et fécundes. Mais, ces réserves faites, il faut admettre aussi que les
théologiens et les simples croyants ont besoin les uns des autres; à
eux, comme aux riches et aux pauvres, peut s'appliquer la parabole
d'Hermas : ici encore, c’est l'orme et la vigne, l’orme prêtant a la
vigne son soutien, la vigne donnant à l'orme ses fruits. Ainsi le
théologien soutient le fidele et l'élève vers Dieu, et le fidèle fait
porter à la théologie ses fruits de piété. Et, en même temps que
cette entr'aide, on constate comme un contrôle réciproque : le théo-
logien juge les croyances populaires et, au besoin, les corrige, les
purilie ; et, de sou côté, le simple fidèle met à l'épreuve les spécula-
tions du théologien : si, dans l'explication d’un doyme fondamental
comme celui de la Trinité, le theologien ne peut exposer sa pensée
LA FOI POPULAIRE ET LA TBÉOLOGIE SAVANTE. 35
sans que les fidèles en soient épouvantés, expatescunt, comme disait
Krtullien, c'est pour lui fort mauvais signe, et il prétendra en vain
dsqualifier leur témoignage, en alléguant que la masse des croyants
« sont que des maladroits et des ignorants, iëmprudentes el idiolae.
Mint Paulin de Nole dira plus tard plus justement : « De omnium
fliam ore pendeamus, quia in omnem fidelem Spiritus Dei
sirat. » (4)
Nous sommes ainsi ramenés à notre point de départ, c’est à dire
iux textes fondamentaux de saint Irénée : « La foi est une et iden-
que ; donc elle ne sera ni augmentée par celui qui peut en parler
lknguement, ni diminuée par celui qui ne le peut pas » ; ou encore :
‘Il est meilleur de ne rien savoir, d'ignorer la cause de tout ce qui
aiste, mais de croire en Dieu et de persévérer dans son amour,
plutôt que de s’enfler par cette science et de déchoir de cet amour
qui fait vivre; mieux vaut laisser toute autre recherche scientifique
pour ne connaitre que Jésus-Christ Fils de Dieu, cracifié pour nous,
plutôt que d'être entrainé dans l’impiété par les subtilités et les
minuties des questions. » 11 me semble que la discussion qui précède
donne à ces affirmations une nouvelle lumière. Nousc onstations que
œux qui ont perdu de vue ces principes se sont égarés le plus
ssuvent à poursuivre des chimères : ces allégories, qui étaient chères
à Origène comme le patrimoine sacré des initiés, comme la clef des
mystères célestes, qui s’en soucie aujourd'hui? Cette gnose de
Clément, qui devait transformer dès ici-bas la vie du chrétien par-
fait, et, au ciel, lui assurer, dans un bercail inaccessible aux
simples fidèles, une béatitude réservée, qui songe encore à la
poursuivre ? Et ces chimères, nous l’avons vu aussi, ne furent pas
seulement stériles, elles furent dangereuses, elles eussent pu être
mortelles ; et, quand on essaie aujourdhui de retracer l’histoire du
dogme à cette époque, particulièrement l’histoire du dogme de la
Trinité, on constate que la plante vivace de l'Evangile a dù, pour
lever et grandir, dominer toute cette végétation parasite qui menaçait
de l’étouffer. Les bons serviteurs de la doctrine chrétienne, ceux
dont le travail fut vraiment fecoud, ne furent point des théologiens
aventureux, lancés en enfants perdus loin du peuple chrétien, loin
de ses chefs ; ce furent ces grands évêques inséparables de leur
troupeau, partageant sa vie qu'ils aiment, partageant sa foi qu'ils
éclairent, Irénée, Cyprien, et les grands papes du me siècle, Fabien,
Corneille, Denys.
On a beaucoup discuté sur les témoins anténicéens du dogme de
(x) Epist. XXIIL, 25 (PL, LXI, c. 281).
36 J. LEBRETON.
la Trinité, et en effet il y a là ample matière à discussion; mais il
semble que cette discussion s’éclaire, si on recherche ce que valent
ces témoignages épars dans {a littérature chrétienne, quelle est leur
origine et, par suite, leur autorité ; Mgr Duchesne a très justement
remarqué, dans sa controverse avec M. Rambouillet, que plusieurs
de ces « témoins » sont récusés par l'Eglise comme ayant été con-
damnés par elle, Tatien, Tertullien, Origène ; d’autres, sans autorité
doctrinaie, 1thénagore, Théophile, Clément, Ces observations parai-
tront encore plus fondées, si l’on prend soin de considérer non
seulement les jugeinents ultérieurs de l'Église, mais la situation que,
de leur vivaut, c::s écrivains occupaient dans l'Eglise ; si l’on con-
state que, sur celte question de la Trinité, ils étaient en désaccord
ou en conflit avec la foi commune, leur « témoignage » perd toute
son autorité ductrinale ; ce n’est plus qu’une opinion que lhistorien
pourra avoir grand intérêt à connaître, maïs que le théologien
pourra révcuser en toute liberté. L'histoire du dogme de la Trinité à
l'époque anténicienne a done beaucoup à gaguer à cette étude de la
thévlogie savante, de la foi commune et de leurs rapports.
Cette étude inter sse aussi directement ;’histoi: ec de l’arianisme et
de ses origines. Pour expliquer la genèse de cette hérésie, on insiste
beaucuup sur la théviogie subordinatienne d’un grand nombre
d'écrivains des trois premiers siècles, et on a raison de la faire,
mais on ne peut se dissimuler que ce subordinatianisme est fort
éloigné des théories d Arius ; il s'y oppose en particulier par ce trait
essentiel, que les anténicéens, considérés dans leur ensemble,
professent que le Fils de Dieu n'est pas une créature, mais qu’il
est sorti de l’essence même du Père : c’est contradictoire au principe
fondamental de l’arianisme.
Mais si, au lieu de considérer les doctrines que tiennent ces
théologiens, on étudie la position qu'ils occupent dans l'Église et
particulièrement leurs relations avec les simples fidèles, on reconnaît
là une situation anvrmale et périlleuse, et qui prépare en quelque
façon l'attitude que prendra Arius. L'attachement au Christ et à
l'Église de chrétiens aussi sincères que le furent Clément et Origène,
rendit ce danger moins sensible ; l'ambition et les intrigues des
premiers Ariens le firent éclater au grand jour.
On vit de uouveau un prètre d'Alexandrie, chassé par son évèque
et trouvant un refuge près de ses umis à Césarée de Palestine, et se
donnant à eux et a toute la chretiente comme le représeutant d'un
christianisme supéricur que des hommes vulgaires poursuivent. Et
autour de lui toute l'ecole de Lucien d’Antioche, de ce prêtre savant
qui, avant de terminer Sa vie par le marlyre, avait vécu à Antioche
= QUE “RE. “ù EEE - nt a |
ES Re mm
LA FOI POPULAIRE ET LA THÉOLOGIE SAVANTE. 37
palant près de trente ans (275-302) hors de l’Église, sous les
mis épiscopats de Domnus, de Timée et de Cyrille. Les collucia-
its, sur lesquels s’appuiera Arius. sont nommés par Philostorge :
Exxbe de Nicomédie, Maris de Chalcédoine, Théognis de Nicomédie,
late d’Antioche, Antoine de Tarse, Asterius de Cappadore. Ces
kames sans doute ne ressemblent guère aux amis d’Origène,
andre de Jérusalem, Grégoire le Thaumaturge et les autres, pas
x qu'Arius lui-même ne ressemble à l’illustre naître. Mais on ne
ral nier l’analogie que présente la situation ecclésiastique de ces
“11 groupes d’hommes, isolés par leur science, par leurs traditions
‘sole, par les suspicions qu'ils provoquent.
Et vis-a-vis du peuple chrétien on remarque aussi, de part et
‘utre, une attitude qui présente bien des traits communs : chez les
us el les autres, le prestige du savoir qui les tient à distance du
æuple; on se rappelle comment Clément et Origène ont accusé tout
# qui séparait du simple fidèle le gnostique, le chrétien parfait ;
Wius prétend, à son tour, faire partie de l'élite et en revendique
pur lui et les siens les privilèges ; c'est ainsi qu'il se pose aux
remiers vers de sa Thalie :
Selon la foi des élus de Dieu, qui comprennent Dieu, des enfants
saigts, orthodoxes, qui ont reçu le Saint-Es:rit de Dieu, voici ce que
ja appris de ceux qui participent à la sagesse, des gens distingués,
ætruits par Dieu, et habiles en toutes choses. C’est sur leurs traces
‘ejai marché, partageant leur doctrine, moi dont on parle tant, qui
à nt souffert pour la gloire de Dieu, qui ai reçu de Dieu la sagesse
4 la science que je posséde.
Mais, à côt* de ces traits communs, que de différences profondes!
Les grands Alexandrins, Origène surtout, sont, malgré toutes les
zaerses et toutes les persécutions, des hommes d’Église ; Arius
un partisan. Les autres pouvaient prétendre à des révélations
‘érieures, inais édifiées sur l'indispensable fondement de la foi
“nmune ; Arius au contraire ne peut construire sa doctrine que
ar les ruines de la foi traditionnelle. Aussi l’attitude du peuple
trétien fat bien différente vis-à-vis des uns et des autres L’ensei-
sement de Clément, d’Origène ou encore de Denys d'Alexandrie
at provoquer de l’antipathie, de la défiance, des dénonciations ;
“lai d'Arius souleva la révolte et, malgré toutes ses habiletés, toutes
*#< intrigues de cour, cette révolte fut irrésistible.
Paris. J. LEBRETON.
-
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB.
En 1897, H. Usener publiait, dans les Catenen de H. Lietzmann,
une courte étude (1) sur un commentaire grec du livre de Job
faussement attribué à Origène par les trois seuls mss tardifs qu’on
en connaisse (2). Reprenant, mais sur des bases plus larges, des
vues déjà émises par E. Bratke (3), et combattues par E. Preu-
schen (4), il soutint qu'il avait pour auteur ce Julien, évêque mono-
physite d’Halicarnasse, qui, réfugié en Égypte lors de la réaction
chalcédonienne qui marqua les débuts du règne de Justin 1 (518),
entama avec un autre proscrit, Sévère d'Antioche, une longue
controverse sur l’incorruptibilité du corps du Christ. Quelques
années plus tard, il en publiait des extraits dans le Rheinisches
Museum für Philologie (5).
Les conclusions d’Usener reçurent l’adhésion des critiques (6). Le
philologue allemand les avait assises sur la confrontation des scolies
conservées par les chaînes grecques sur Job sous le lemma IOT--
(x) H. USsExER, Julian von Halikarnass, dans H. LIETZMANN, Catenen, Mit-
teilungen über ihre Geschichte und handschriftliche Ueberlieferung, p. 28-34.
Fribourg-en-Brisgau, 1897.
(2) Ce sont : le Paris. 454, écrit en Italie en 1448 par Basile; le Berol. Phill.
1406. copié à Venise en 1542, et. d’après H. UsENER (dans H. LIETZMANN, op.
cit. p. 29), sur le Partis. 454 ; le Vatic. 1518 (papier, relié aux armes de Paul V
Borghèse, 1605-1621. Titre : « Origenis in librum Job plena interpretatio ex
bibliotheca Regis Renati.»}). Ajoutons que le Paris. 269, fol. 274 ro-287 vo
contient le premier septième de cet ouvrage (Paris. 454, fol. 2 vo äyÿpwno:
TS... 2270 TFy Oizilay xaTaOxeury). Le Berol. Phill. 1406 ne nous étant pas
accessible, il nous est impossible d'établir la filiation de ces quatre mss. Le
Vatic. 1518 présente un texte du même type que celui du Parts. 454, mais très
mal conservé.
Dans son édition latine des œuvres d'Origène publiée à Paris en 1574, et
réimprimée en 1604 et en 1619, G. GÉNÉBRARD a repris la traduction latine
qu'en avait élaborée J. PerIoNIUS d’après le Partis. 454.
H. USENER (art. cit., p. 28 et suiv.) a relevé la faiblesse de l'attestation des
mss en faveur de l’authenticité origénienne de cet ouvrage. Remarquons en
outre que la référence du commentaire au «martyr Lucien» d’Antioche
(+ 312). à propos de Jub, II, 9 (Paris. 454, fol. x5ro), suffirait par elle-même à
écarter l'hypothèse de sa composition par Origène.
(3) Theol, Literaturblatt, 1893, n. 22 (2 juin).
(4) Theol. Literaturzeitung, 1893, n. 14, p. 364.
(5) T. LV (1900), p. 321-340, sous le titre Aus Julian von Halikarnass.
(6) P. ex., G. KRüGER, art. Mfonophysiten dans la PRES, t. IX, p. 606 et suiv.;
J. P. JuNaLas, Leontius von Byzanz (dans les Forschungen zur Christlichen
Literatur. und Dogmengeschickte de À. EHRHARD et J. P. KirscH, VIT. Band,
3. Hefît), p. 103, not. Paderborn, 1908. :
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. . 39
\ANOT avec le texte du commentaire du pseudo-Origène ; on
tmava qu’elles se confirimaient par ailleurs. En 1911, un mékhitha-
rite de Vienne, le P. Ferhat (1). prétendit leur apporter l'appui de
h tradition manuscrite arménienne. Plus récemment, le P. Dieu
iubliait, d’après le Paris. 454, deux nouveaux fragments du com-
sentaire (2), et croyait retrouver dans ce dernier les idées de Julien
d'Halicarnasse sur l'incorruptibilité du corps du Christ exprimées
ie une précision et une insistance suffisantes pour qu'il ne fût
plus possible de contester la restitution proposée par H. Usener (3).
I! nous semble toutefois qu'un examen plus approfondi du témoi-
gage des chaines grecques sur Job et de la tradition manuscrite
arménienne, comme aussi de la doctrine théologique du pseudo-
Ürigéne, légitime une manière de voir sensiblement différente.
Ï
Nous l’avons dit, c’est la confrontation des scolies des chaines
sur Job avec le commentaire du pseudo-Origène qui avait amené
lsener à identifier celui-ci avec Julien d'Halicarnasse. Dans la chaîne
publiée par P. Junius (Young) (4), on lit 18 scolies sous le lemma
IOYAIANOY, précisé une fois, dans le prologue, en IOYAIANOY
AAIK.: lPédition de P. Comitolus, basée sur d’autres mss, mais
ellemëème en traduction latine seulement, en contient 35, dont 16 lui
sont communes avec Junius (5); enfin, Mai avait publié dans le
Spicilegium Romanum (6), sous le titre « Juliant Halicarnassensis
fragmenta », 46 fragments qu’il disait, sans autres précisions,
empruntés à un ms. oncial du Vatican, très ancien, de la chaine
sur Job (7). Considérant que des 68 passages différents attestés
par cette centaine de citations, il s'en retrouvait 51, soit 75 °/,
dans le commentaire sur Job du pseudo-Origène, H. Usener se crut
en droit de conclure que ce dernier n’était autre que Julien, évêque
d'Halicarnasse (8).
N’était-ce pas conclure trop rapidement, et n’eût-il pas mieux valu
(1) Der Jobprolog des Julianos von Halikarnassos in einer armenischen Bear-
Éeitung, dans l’Oriens Christianus, Neue Serie, I. Band (r911), I. Heft, p. 26
et sUIV.
(2) Fragments dogmatiques de Julien d’Halicarnasse, dans les Mélanges
Charles Moeller, t. 1, p. 192 et suiv. Louvain, 1914.
13) Jbid., p. 193.
(4) Catena beatorum Patrum in beatum Job collectore Niceta... Londres, 1637.
(5) Catena in beatissimum Job absolutissima.…., 2e édit. Venise, 1587.
(6) T. X, pars Ïs, p. 206-211.
(7 Ibid. p. 201.
(&j Dans H. LiETZMANN, op. cit,, p. 34.
40 | RENÉ DRAGUET.
distinguer deux choses, à savoir l’utilisation du commentaire par le
caténiste, et l'identification de son auteur avec Julien d’Halicarnasse ?
C'est la méthode que nous allons suivre.
1. UTILISATION DU COMMENTAIRE DU PSEUDO-ORIGÈNE PAR LE CATÉNISTE.
On sait que la chaine sur Job se présente en une double recension.
L'une à son représentant le plus ancien dans le Vatic. 749 (1), et
n'est pas encore éditée ; l'autre, plus récente, dite de Nicétas
d'Héraclée (2), se retrouve dans de nombreux mss, d'époque tardive
pour la plupart; l'édition qu’en a donnée P. Junius à Londres en
1637 a été réimprimée à Venise en 1792 par J. Marmarotourès ct
G. Chrysophos (3). Dressant le catalogue des chaines grecques sur
Job (4), H. Lietzmann distingue jusqu’à neuf groupes dans les mss de
la première recension (1); il n’ose pas, écrit-il, faire une distribution
analogue parmi les représentants de la seconde (11) (5). Soulevant en
une phrase, dans ses Catenen (6), le problème de leurs rapports
mutuels, il croit qu’il faut parler de source commune aux deux
plutôt que d'utilisation de l’une par l’autre. Le P. Dieu a estimé
cette hypothèse « assez vraisemblable » (7). 1} nous semble, au
contraire, que des études plus poussées se prononceraient pour la
dépendance du type II par rapport au type I, la recension de Nicétas
se présentant en beaucoup d’endroits, au moins s’il faut en juger
par le sort fait aux scolies de Julien (8), comme un texte élaboré, en
(1x) Du 1xe siècle, d’après P. FRANCHI DE’ CAVALIERI, Specimina Codicum
graecorum Vaticanorum, p. 7. Bonn, 1910.
(2) K. KRUMBACHER (Geschichte der Byzantinischen Litteratur, p. 211.
Munich, 1897) place son activité littéraire dans le dernier tiers du xie siècle.
(3) Voir le titre complet de cette dernière dans E. KLOSTERMANN, Die
Ueberlieferung der Jeremia-Homilien des Origenes (Texte u. Unters., N.F,
I. Band-X VI, 31, p. 32, n. 2. Leipzig, 1897. Sur son caractère de simple
réimpression de l'édition de P. Junius, cfr À. Vaccart, Un Commentu a
Giobbe di Giuliano di Eclana, p. 127, n. Rome, 1915.
(4) G. Karo et I. LiETZMANN, Catenarum graecarum Catalogus, dans les
Nachrichten von der K. Gesellschaft der W'issenschaften ju Gôttingen, Phil.
Hist. Klasse, 1902, Heft 3, p. 319-331. Nous citons ce travail sous le sigle KL.
(5) Zbid., p. 327.
(6) Op. cit., p 23.
(7) Le « Commentaire de S. Jean Chrysostome sur Job », dans cette revue,
t. XIII (x912), p. 644.
(8) Des 71 fragments du commentaire cités par les divers mss de la
ire recension, il en subsiste dans la Ilme (P. Junius) 14 seulement sous le
lemma JOYATANO)’, 18 sous le 1 OATMIIIOAQPOY, 6 sous le
L FOAYXPONIOY, 3 sous le 1. XPY YOXTOMOY, 2 sous le 1. IOY-
ALANOY 220 TO A YXPONIOY, 1 sous le 1. JOYATANOY za OAYM-
ITIOAUPOY, 2 sous le 1. OAYMITIOAQPOY z2t TIOAYXPONIOY,
si A
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 41
Late indépendance parfois, d’après le principe d’un assemblage de
txments choisis parmi les scolies de 1, placés ensuite sous un
kuma commun.
&ucieux d'élargir la base de notre enquête sur la véritable iden-
ur du pseudo-Origène, nous avons relevé les scolies attribuées à
alien » dans 37 mss des chaines sur Job, dont 18 du type I et 19
atpe FI. Ce sont les suivants :
h': Fatic. 749 (s. IX), Ambros. D 73 sup. (s. IX-X), Vatic. 750
(s. X), Paris. 454 (s. XIII), Paris. 138 (s. XVI), Vallic. 41
(s. X).
ls: Ven. 21 (s. X-XI), Paris. Coisl. 194 (s. XIIT).
Pt: Ambros. À 148 inf. (s. X-X1), Paris. 162 (s. XIID), Varic.
697 (s. MI).
I : Fen. 538. (s. X), Angel. 113 (s. XVI), Vatic. 338 (s. XI),
Ambros. M. 68 sup. (s. XI), Paris. 136 (s. XV).
IF: Fatic. Pis 11 4 (s. XID (1).
E : Laur. V 27 (s. XIV).
I : Fatic. Pal. 250 (s. X-XI), Vatic. 1909 (s. XVI), Ambros. B 117
sup. (s. XII), Vatic. 754 (s. XIII), Vatic. 1231 (s. XIID),
Vatic. Ou. 24 (s. XVI), Vatic. Ou. 9 (s. XVI), Vatic. 2227
(s. XHD, Paris. 134 (s. XIII), Paris. 135 (s. XIV), Paris.
Coisl. 9 (s. XV), Mediol. Brera AF XIV 13 (s. XVI), Paris.
157 (s. XVI), Ven. app. class. 1 43 (s. XVII), Laur. X 29
(s. XIHI-XIV), Nap. 11 B 26 (s. XV-XVI), Map. Il B 27 (s. XV),
Paris. suppl. gr. 153 (s. XI).
Les « deux mss de la Bodléienne » sur lesquels repose l'édition
de P, Junius sont vraisemblablement les Bodl. Bar. 176 (1562) et le
Bsil, Bar. 495 (s. XV) (2).
Nous avons de la sorte noté 103 scolies attribuées chacune par un
1 plusieurs mss à un certain « Julien », IOYAIANOTY. On jugera
aieux de l’état de la tradition manuscrite à leur endroit par le
: sous le LL XPYSOZSTOMOT xt ITOAYXPONIOY, rx sous le
+ MEODOAIOY ; 8 sont dépourvus de lemma ; 2 autres suivent une scolie
ns lemma et n’en portent pas moins eux-mêmes le lemma TOY AYTOY :
- en est 13 enfin qu’on peut dire totalement disparus. Ceux qui subsistent
æ sont pas toujours reproduits intégralement ni textuellement ; souvent,
is sont amalgamés avec d’autres scolies; parfois, ils ont eux-mêmes servi de
‘se à un développement ultérieur.
{:; U. BErTiN1 (La catena greca in Giobbe, dans Biblica, t. IV (1923), fasc. 2,
:.140) le rattacherait à un troisième type de texte, intermédiaire entre les
eux recensions.
{2} Cfr Coxe, Cutalogi Codd, Ms, Bibl. Bodleianae, Pars I, Codd. graeci,
Drford, 1853.
42 | RENÉ DRAGUET.
tableau suivant qui en dresse la liste. Elle indique pour chaque scolie
4) un numéro d'ordre ;
2) sa place éventuelle dans la liste d’Usener (cfr H. LIETZMANN,
Catenen, op. ctt., p. 33-34);
3) le passage de Job qu’elle commente ;
4) la référence au ms. du meilleur type dans lequel nous l’ayons
lue. Nous renvoyons de préférence au Vatic. 749, à son défaut
(lacune ou erreur d'attribution), au Vatic. 750, puis au Paris. 151
(KL : Ia’), et ainsi de suite aux mss Ven. 21, Paris. Coisl. 194 (la?),
Ambros. À 148 inf., Paris. 162 (4b'), Angel. 113 (lc), Vatic. Pii II
4 (19), Laur. V 27 (18), et deux fois à l'édition de Juuius (ll);
à) s’il y a lieu, le folio du Paris. 454 où elle se retrouve.
Vu le but que nous poursuivons, il est inutile, nous semble-t-il,
d'ajouter à ces indications tant l’incipit et le desinit des scolies des
chaînes que ceux des fragments qui leur correspondent dans le
Paris. 454.
N° p'onpne | Usexer | Sur Jos | VOIR PAR EX. LE MS. | Paris. 454
1 Vat. 749, 4 ro
2 Ven. 21, 125 vo 1 ro
2b Junius, ProϾmium
3 1,5 Vat. Pi 111,7r0 5 vo
4 1,12 Vat. 749, 16 ro 8 vo
5 1,15 Vat. Pii 111, 13ro 9 ro
6 1,19 » 16 ro 10 ro
1 I],1 Vat. 749, 22 vo Cfr 11 vo
8 11,8 » 25 vo 12 vo
9 11,9 » 28 ro Cfr 15r0 ss.
10 11,10 » 28v 14 vo
11 IIL,9 » 34 ro 18 ro
12 V,24 o 49 vo 25 r°
13 V,24 Angel. 113, 103 vo
14 V,24 Paris. 151, 152r0
13 V,25 Ambr. À 148 inf., 131 v°
16 v,25 Vat. 749, 50 ro 25 ro
17 VI,7 » 53 ro 26 ro
18 VI,8 » Da VO
19 VL,S8 Paris. 151, 155 ro
20 VI,10 Vat. 749, 54 ro
21 VI,25 » 97 vo 97 vo
22 VILA , 59 ro 28 ro
23 VII,2 » 59 ro Cfr 28 ro
24 VIL,2 , 59 ro
25 VIL,5 , d9 vo 28 vo
26 IX,27 , 74ro 35 vo
27 X,6 : 76 v° 37 r°
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB.
43
Fs'onpne Useven | Sur Jos | VoIR PAR EX. LE MS. | Paris. 454
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X,9
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X1,12
X1,13
XIL,3
XI1,4
XI1,8
X11,17
XIV,
XIV,5
XIV,10
X1V,13
XV,19
X1V,21
XVII, 14
XVIIL,9
XVIII,10
XVIIL,16
XVII,18
XIX,13
XIX,15
XIX,16
XIX,22
XIX,23
XX,93
XX,35
XXI,14
XX1,26
XX1,39
XXIL,5
XX1II,7
XXIV,14
XXV,5
XXVI,2
XXVL,9
XXVII, 14
XXVIIL,2
XXVILE,10
XXIX,2
XXIX,3
XXX, 11
XXXL,5
XXXL,9
XXXI,34
Vat. 749, 71 r°
» 71 ro
» 81 r°
, 81 ro
Ven. 21, 182 vo
Ambr. À 148 inf., 144v0
Vat. 749, 83 r°
[1 83 ro
» 86 ro
Ambr. À 148 inf., 152 ro
Vat. 749, 87 ro
Vat. Piï I11,71r0
Vat. 749, 96 ro
Junius, 273
Vat. 749, 97 vo
» 98 vo
Coisl. 194, 244 ro
Paris. 151. 195 ro
, 209 ro
Ven. 21, 214 ro
Vat. 749, 117 r°
Coïsl. 194, 268 vo
» 268 v°
Vat. 749, 122 vo
Laur. V 27, 113 vo
Vat. 749, 123 ro
Ambr. À 148 inf., 178 r°
Vat. 749, 124 vo
, 131 ro
» 131 vo
» 135 vo
» 137 ro
Paris. 151, 225 vo
Vat. 749, 140 vo
» 146 vo
, 155 vo
Paris. 151, 227 vo
Ambr., À 148 inf.. 199 vo
Vat. 749, 160 ro
Paris. 135, 76 r°
Coisl. 194, 309 ro
Vat, 749, 167 ro
Vat. Pii I11,1t4r°
Ambr. \ 148 inf., 911 vo
Junius, 465
Paris. 151, 248 vo
Vat. 749, 178 ro
37 ro
37 VO
39 vo
39 vo
40 vo
40 vo
41 vo
4i v°
43 ro
47 ro
48 ro
48 vo
49 vo
55 vo
36 v°
58 ro
58 r°
8 vo
61 vo
62 ro
63 vo
65 ro
66 ro
66 vo
69 vo
73 r°
74v0
75 ro
79 vo
84 vo
f1 ro
93 vo
44 RENÉ DRAGUET.
No D'ORDRE | UsENER | Sur Jo | VOIR PAR EX. LE MS. | Paris. 454
76 48 XXX111.29 Vat. 749, 189 vo 101 vo
77 50 XXXI11,29 » 4189 vo
78 49 XXXIL,33 » 189 vo 102 ro
79 51 XXXIV, 1 » 491r0 102 vo
80 -. 52 XXXIV,3 » 191 ro 102 vo
81 XXXIV,18 » 193ro 104 ro
82 53 XXXIV,34 » 173vo 106 vo
83 XXX1V.37 Paris. 162, 9 ro
84 ; XXXV,3 Ven. 21, 266 vo
85 XXXV,4 Vat. 749, 195 vo 107 vo
86 XXXV,13 Ven. 21, 264 vo
87 54 XXXVII,22 Vat. 749, 209 ro 118 ro
88 55 XXXVIIL.1 » 2913ro |
89 56 XXXVIHIL,2 » 213vo 121 ro
90 57 XXXVII,14 » 2A17ro 128 vo
91 59 XXXVII1,16 21770 129 vo
92 XXXVIHL,16 s A7r0
93 58 XXXVIIL,17 » 217vo ü
94 60 XXXVIIL,34 » 248 vo 132 vo
95 XXXIX,33 Paris. 151, 280 ro 136 ro
95 XL,10 . 282 vo
97 6! XL,10 Vat. 749, 230 vo 137 ro
98 62 XLH1,7 » 243r0 148 vo
99 63 XLII,9 » 24r0 149 ro
100 64 XLI1,17 » 248 ro 150 ro
101 65 XLII,178 » 248ro 150 vo
102 66 XLH1,17s Vat. 749, 248 ro 150 vo
103 68 XL11,17c Paris. 151, 296 ro 152 ro
On voit par l'examen de ce tableau qu'on retrouve dans le com-
mentaire 71 des scolies lemmatées IOY ATA NOT dans les chaines (1),
soit environ 68, 9 °/.. De son côté, l’étude comparative des diverses
familles de mss montre que les erreurs d'attribution sont imputables
aux déficiences coutumières à la tradition manuscrite, particulière-
ment actives dans la transmission de textes de cette nature (2), et
(1) Sur la teneur du lemma de la scolie 1, voir plus loin, p. 46; 7 et 23
n'ont qu'un léger point de contact avec le texte du Paris. 454; 9 en résume
brièvement un long passage (fol. 15 ro-16 vo); 102 est séparée de 101, dans le
Vatic. 749, par un blanc réservé sans doute à un lemma qui aurait dû y
trouver place.
(2) Multiples sont les causes des erreurs d’attribution ! Au moins dans
les mss ancicns, les lemmata étaient écrits en rouge, mais ce travail sc
faisait en une fois, après qu’on avait écrit toute la chaîne à l’encre noire, en
laissant en blanc les espaces requis pour les lemmata et les miniatures. Or,
dans de nombreux cas, — à commencer par celui du Vatic. 749, — l'enlu-
mineur et le rubricateur n'ont travaillé que dans la première partie du ms.
a TR. EE
CR LE
RE er le = :
UN COMMENTAIRE GREC ARÏIEN SUR JOB. 45
que, plus on remonte vers les formes originales de la chaine, plus
«actes se font les attributions à Julien ({).
En présence de ces faits, il est légitime de conclure, première-
ment, que le caténiste a utilisé l’œuvre du pseudo-Origène qui nous
“ccupe, et secondement, que celle-ci circulait alors sous le nom d'un
srlain « Julien ». Sur ces deux points, nous admettons l'exactitude
des déductions d’Usener.
1. L'IDENTIFICATION DU PSEUDO-ORIGÈNE AVEC JULIEN D'HALICARNASSE.
L'identification proposée par Usener repose en fait sur une base
bien peu large. En effet, des scolies qu’il lisait dans Junius et dans
Comitolus, une seule, — encore est-ce celle du prologue de la chaine
dans sa forme la plus altérée, — porte IOYAIANOY AAIK.; par
ailleurs, le titre de la publication de Mai dépassait les faits, puisque,
des 46 scolies ainsi empruntées au Falic. 749 (2), pas une seule n’y
Vienne un copiste ultérieur ; rarement il aura le scrupule de laisser en blanc
dans la copie qu’il exécute un espace qui attesterait l’absence d’un Ilemma
dans son modèle; tout au plus fera-t-il précéder la scolie qu’il reproduit du
259 zv75 bien connu des chaînes, indication qui, d’ailleurs, sera le plus
souvent erronée ; dans la majorité des cas, les deux scolies seront bloquées
sous le lemma de la première, Les copistes n'avaient au reste pas notre souci
des attributions littéraires ; qu’au lieu d’être appuyée de l'autorité de S. Jean
Chrysostome ou nantie de celle de Sévère d'Antioche, elle fut simplement
rapportée à un « anonyme », la scolie perdait-elle de sa valeur d’édification ?
Du moment que le lemma n'était pas copié en même temps que la scolie,
que de causes d'erreur pour le travail du rubricateur ! Il est si facile, p. ex.,
qu'un lemma de l'original passe inaperçu pour ce dernier, et, de ce seul fait,
toute la série des lemmata peut se trouver déplacée d’unc unité par rapport
à la série des scolies. Pour des raisons analogues, des scolies peuvent dis-
paraître entièrement. Le texte sacré s’écrivait lui aussi avant la chaîne, par
fragments d’égalc longueur, sur feuilles détachées, souvent au milieu, vers
je côté qui devait être central une fois celles-ci réunies en codex. Alors
sculement commençait la transcription des scolies ; si les feuilles de la copie
étaient d’un format plus restreint que celles de l'original, en cas d’abon-
dance de scolies dans celui-ci, le copiste devait en laisser tomber une partie,
sous peine de devoir encadrer le texte biblique du folio suivant de commen-
aires qai ne le concernaient pas.
(1) Des 65 scolics, — nous omettons la 1e et la 102€, — attribuées à « Julien »
par le Vatic. 749, 7 seulement, — ou 0, si l'on exclut 7 et 23, — soit environ
un huitième, ne figurent pas dans le pseudo-Origène.
(2) C'est en cffct au Vatic. 749 qui renvoient les indications de folios qui
précèdent les scolies publiées dans le t. X du Spic. Rom. Ainsi qu’en
témoignent ses notes conservées dans le Vatic. 1518, Mar avait fait l’iden-
üñcation que dec-ait plus tard proposer H. UsEner. On sait que le cardinal
travaillait vite ; ici notamment, une vingtaine de scolics de « Julien », celles
qui ressortent le moins du texte du Vatic. 749, lui avaient échappé. C’est le
lemma du prologue de Junius qui l'avait, lui aussi,-mis sur une piste qu'il
46 RENÉ DRAGUËT.
figure sous un lemma autre que IOYAIANOY sans autre précision.
Mais en est-elle pour celà moins justifiée ?
C’est principalement dans le but d’étudier la teneur exacte des lem-
mata IOYAIANOT que nous avons étendu notre enquête à 37 mss
de groupes différents. Or, voici les faits que nous avons observés :
4° Jamais, dans le corps des chaînes, — par opposition à leur
prologue, — on ne relève un lemma IOYAIANOY AAIÏK., ou AAI-
KAPNAZDOT ; toutes les scolies de « Julien » sont lemmatées
IOYAIANOTY tout court. L’'Ambros. À 148 inf. est seul à faire
exception : une fois, fol. 241 vo, sur Job XXX, 11, il présente une
scolie comme de IOYAIANOY AIAKO. ANTIOX.
2° Les prologues, au contraire, paraissent mieux informés : il y
est question de deux Juliens.
À côté de prologues anonymes, ou rapportés à Olympiodore et à
Polychronius par des indications écrites en rouge dans le corps du
texte, une première catégorie de mss, les Vatic. 749 et Paris. 151,
par une note gauchement cunçue 752 ioulayos à a ££avopes (Paris.
4151 : &AcéavOpeixc), placée en marge à l'encre noire, rapportent à un
« Julien d'Alexandrie » la pièce Eixcs cùy 671 «xt Muucr: (prologue 7
de KL, p. 320 ; notre scolie 1) (1). Dans d’autres mss, elle fait suite
sans nouvelle attribution au prologue 6, lui-même anonyine, parfois
aussi rapporté à Polychronius (p. ex., Paris. 151, en marge, en noir;
les mss de Il); un autre enfin, le Ven. 558 lui met, en marge égale-
ment, le lemma rcù icuuxvd: (sic) suivi de la mention à ovyycz
raturée (6 ouyypaveus?). Ce prologue 7 est étranger au commentaire
du pseudo-Origène.
Dans d’autres mss, les prologues se sont enrichis d’une pièce qui
nous intéresse davantage, à savoir celui du commentaire du pseudo-
Origène, qu'ils présentent sous le lemma iouxvoù érioxénou 3e-
xapvaoco. Îl se trouve en entier Zruxtz….. atxmy (notre scolie 24)
dans les trois mss du type I qui l'insèrent, le Ven. 21, le Cotsl. 194
et l’Angel. 113. Il est systématiquement abrégé Sruzive… Enayychias
(notre scolie 2b) dans le Bodl. Laud. 20 (s. XIU; KL, 14), et dans
l'édition de Junius, laquelle, nous l’avons dit, reproduit deux mss
de la Bodléienne. Les 19 mss de la 11° recension que nous avons
consultés l’omettent. Remarquons que ces mss, qui citent « Julien
croyait bonne. Il avait annoncé son intention de publier sur la question,
mais, suivant son habitude, il avait tu la cote des mss qu’il utilisait, celle du
Vatic. 749 dans le Spic. Rom., t. X, Is pars, p. 201, et celle du Vatrc. 1518
dans la Nova Patrum Bibliotheca, 1, p. 112, n. 2. Rome, 1844. j
(1) Nous suivons la numérotation adoptée par G. KARO—Ï. LIETZMANN, op.
cit., p. 320 et suiv., pour désigner les diverses pièces ou prologues qui com-
posent le prologue des mss du type I, Le lecteur s’y reportera utilement,
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 47
d'lalicarnasse » dans leur prologue, ont aussi la pièce 7, mais
avovme et rattachée au prologue 6.
ssayons d'interpréter ces faits.
Le Fen. 21, le plus ancien ms. du type fa°, qui lit dans ses pro-
ques la pièce Sxuaivs..… eixwy (KL, prol. 8°) sous le lemma complet
2112900 ETAGÔTEU A duxxoyaT où, ne connait plus dans le corps de la
‘sise que isu/127c0, sans autre détermination. C’est là un phénomène
sut à fait anormal, puisque, imitant en cela les anciens témoins de la
#aine, une fois les prologues dépassés, il répète souvent les autres
lemmata sous leur forme complète : cevfpou nr. avricysixs, moluypoviou
I, 2FAUEXE, nebodteu Gidn3, inAvvOU TOÙ xpvaesriuov, ete., etc. La chose
ae s'explique que si, à l'origine, la tradition qu'il représente ne
œwmporlait pas le prologue 8° sous un lemma aussi déterminé, et
mine, vu que cette pièce et son lemma iou/exvct En. xAwapvacoi
apparaissent dans la tradition manuscrite indissolublement liés, il
devient très vraisemblable qu'ils n’y figuraient ni l’un ni l’autre.
D'autre part, le Vatic. 749, le ms. le plus ancien du type la' et
le plus ancien absolument parlant, ainsi que les mss de son type
n'ont, ni le lemma icu/uaxvod ën. à txagyaoù, ni le prologue 8° Mais
elte sbsence n'a-t-elle pas pour cause une omission ? Et ne peut-on
penser que le Ven. 21 (s. X-X1) serre de plus près que le Vatic. 749
l forme originale de la chaine, et que c’est ce dernier ou un de ses
ascendants qui, lisant le prologue 8° dans son archétype, identique,
sous ce rapport au moins, à celui du Ven. 21, l'aurait délibérément
omis ? Tout d’abord, cette hypothèse laisserait inexpliquée l’absence
tale de lemmata complets de Julien d'Halicarnasse dans le corps
de la chaîne du Ven. 21. Deuxièmement, fait capital, le texte de
æ ms. est sensiblement moins près de l'original que celui du
Vatic. 749 : ce dernier, qui présente pourtant des lacunes d’étendue
appréciable (1), a conservé sous leur véritable leinma 58 fragments
du pseudo-Origène, alors que le Ven. 21 n’en a gardé que 24, et le
Coisl. 194, 57, soit respectivement 2,8 °/, et 3,6 °/, de moins que
k Fatic. 749. Enfin, pourquoi celui-ci aurail-il négligé le prologue
# s'il l’avait trouvé dans sa tradition? Le Bodl. Laud, 20 et les
ass utilisés par P. Junius l’ont abrégé, mais non pas supprimé.
D'ailleurs encore, au moins pour ce qui concerne les prologues,
l'évolution de la tradition manuscrite ne s’est pas opérée dans le
sens de suppressions, mais d’additions ; on s’en rendra compte en
comparant les prologues des deux recensions. — Il faut dès lors
{1) Le Vatic. 749 présente notamment des lacunes aux endroits où
devraient se trouver les fragments 45, 46, 74 que le Paris. 151, du même
iwpe, a conservés sous le lemma qui leur convient.
48 RENÉ DRAGUET.
admettre que, pas plus que la tradition représentée par le Ven. 21,
celle qu'’atteste le Vatic. 749 ne lisait le prologue 8°, et que, à
l’origine (1), elle ignorait elle aussi toute détermination ultérieure
sur l'identité du « Julien » qu’elle citait.
Nous sommes ainsi amené à admettre que les prologues 77 9:
ac ira... XaTEAOYITATO (KL, 8*), et le suivant, Zxuzrive (KL, 8°), sont
une addition de l’archétype de la famille la? (à supposer que celui-ci
soit autre que le Ven. 21 lui-même). Mais cette famille 1a* n’a pas
les prologues 1-4, si bien qu'on pourrait partir de là pour retracer
comme suit l'histoire des prologues de la chaine sur Job.
À un fonds de prologues déjà existant dans leur archétype (KL,
5-8), les deux familles la! et la’ auraient fait chacune des additions,
le groupe Ia! le faisant précéder des pièces 1-4, le groupe la* au con-
traire le faisant suivre des deux pièces ci-dessus mentionnées (8%, 8°).
Ce serait là comme un troisième stade dans la compilation du prologue.
Le Bodl. Laud. 20 (KI, 1) en illustrerait un quatrième. Au lieu
de joindre au premier fonds (5-8) les pièces 1-4 ou les pièces 85, 8°,
il y ajoute 1-4 et 82, 8°, de façon toutefois à placer 1-4 à la suite de
8°, et à en introduire deux autres, 8 et 4.
Quant au premier stade, il serait caractérisé par l'absence totale
de prologues. On constale en effet que des mss très anciens en sont
absolument dépourvus, p. ex., — nous prenons soin de laisser de
côlé ceux qui sont mutilés au début, — le Vatic. 750 (s. X),
lAmbros. À 148 inf. (s. X-XI), le Bodl. Laud. 30 A (s. XIT), le
Paris. 162 (s. XIIT), le Vatic. 697 (s. XHI) (2).
Le schéma suivant suggèrera mieux ce que l'exposé a peut-être de
compliqué :
[. Pas de prologues. : : . Vatic. 750, elc.
il. 5+6+7+8 non représenté par mss connus,
mais supposé par le suivant, IX.
NT 1+2+3+4+5+6+7+8. . Vatic. 749, Paris. 151.
D+T6+7+8+8 . +8 Ven. 21, Coisl. 194.
IV. D+6+7+8+8-F+-8 +8 +1+2+3+4+4
Bodl. Laud. 20.
(1) Nous disons « à l’origine », car la note marginale qui attribue à Julien
le prologue 7 est manifestement postérieure. Aussi bien, s’il en était autre-
ment, n’est<e pas à Julien d'Halicarnasse, mais à Julien d’Alcxandrie qu'il
faudrait, d’après la plus ancienne tradition, identifier le « Julien » des chaînes.
(2) Peut-être aussi accordera-t-on quelque valeur à l'observation suivante.
Si l'introduction des prologues était contemporaine de la compilation de la
chaîne, y trouverait-on, pour présenter au lecteur un auteur cité pour la
première fois, des indications aussi vagues que cÜT& ToAUYPONÔS gro Ev
+— D nn RER Re ER ER EE EEE En RER
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB, 49
Mais si l’introduction des prologues n’est pas contemporaine de
la compilation de la chaîne, et si, en particulier, l'addition de la pièce
Sruxiye (8°) avec son lemma ioulavoÿ En. <xapvasco par le seul
groupe la’ et le Bodl. Laud. 20 apparait, en toute hypothèse, comme
un phénomène de seconde date, si par ailleurs nous nous rappelons
que les prologues, — par opposition au corps de la chaîne, — sont
les seuls à déterminer le lemma iovAtavoÿ en ioutævod En. xlixapvæcov,
sous aurons une nouvelle raison de penser que le caténiste ne con-
naissait le pseudo-Origène que sous le nom de « Julien », sans plus.
L'introduction de la pièce Zmuaive s’expliquerait sans difficulté.
C'est le désir d'enrichir les prologues qui aura poussé le copiste du
Ven. 241 à adjoindre à ceux que son modèle possédait (5-7) Ja préface
entière du commentaire du pseudo-Origène, toujours en faveur à
son époque (1), et dont il retrouvait d’ailleurs de nombreux extraits
dans la chaîne.
Mais comment fut-il amené à l'y introduire sous le lemma cuves
eTaGROU œAxagyaooï ? Ce n'est pas, sans doute, pour avoir trouvé
cette précision dans le ms. auquel il l’empruntait, puisqu’au xv°s.
le commentaire se rencontre anonyme (2), et qu’au moment où le
catéaiste primitif en transcrit les fragments de IOYATANOY, il
circule déjà sous le nom de « Julien », sans autre précision.
Pensera-t-on à un lemma IOYAIANOY AA. interprété différem-
ment par deux traditions en IOYAIANOY AAIK. et IOYAIANOY
AAEZ. ? Ou bien encore à un lemma iou/txvo aÀsË[avopetas] (cfr Paris.
151 et Vatic. 547) qui, se trouvant dans l’archétype des familles
la' et 1a°, aurait inspiré le Ven. 21 ? Tout cela est fort peu vraisem-
blable. Les lemmata sont écrits de façon complète dans les mss
anciens ; d’ailleurs, qui dira si la note marginale du Vatic. 749 lui-
même n’est pas postérieure à l’introduction du prologue 8° et de son
lemma dans le type [a* ?
L'explication la plus vraisemblable serait peut-être celle d’une
conjesture arbitraire de la part du copiste. En adjoignant aux
prologues déjà existants dans la tradition qu’il reproduisait celui du
rois ais Toy 16{5 (Vatic. 749, 210), alors que bientôt après, dans le corps de
la chaîne, on spécifiera que ce Polychronius est l’évêque d’Apamée ? Le
compilateur introduit maladroitement un nouveau fragment dans le prologue,
comme il le ferait pour une scolie d’un auteur déjà cité qu’il insèrerait dans
le corps de la chaîne.
(x) On le copie encore aux xve et xvie siècles.
(2) H. USEXNER a attiré l’attention sur le caractère secondaire de la mention
OPITENOYZ en tête du ms. de Paris (dans H. LIETZMANN, Catenen, p. 29
et suiv.).
REVUE D'HISTOIRR ÉCCLÉSIASTIQUE, XXe 4
Î
4
50 RENÉ DRAGUET.
commentaire qui nous occupe, — encore attribué à « Julien » ou
déjà anonyme (1), — il aura voulu déterminer davantage une attri-
bution aussi peu précise, et aura écrit iculayou er. &htxapvaaoi.
Peut-être aura-t-il suffi pour lui inspirer cette identification hasar-
deuse de voir, souvent cité dans la chaîne, le nom du grand
adversaire de Julien d’Halicarnasse, Sévère, patriarche d’Antioche (2)!
Ceux qui auront pris quelque contact avec les mss des chaînes et
auront ainsi pu saisir sur le vif les habitudes littéraires de leurs
copistes ne seront pas les derniers, pensons-nous, à reconnaître le
bien-fonde de l’explication que nous suggérons. Il n’en fallait pas
tant aux copistes pour inventer un lemma ou « compléter »
une indication déjà existante. Le IOYAIANOY des chaînes se
voit simplifier en IUYAIOY, ZEBHPOTY devient ZEBHPIANOY
bientôt complété lui-même en ZEBHP. EII. T'ABAA. Une étude
complète de la tradition manuscrite, basée sur une édition critique
de la 1° recension, nous édifierait sans doute beaucoup sur ce que,
en plus d’un cas, peuvent avoir de différent les deux Cyrilles des
chaînes (Alexandrie et Jérusalem), les trois Grégoires (le Thauma-
turge, de Nysse, de Nazianze), les deux Denys (d'Alexandrie,
l’Arévpagite), Olympiodore et Olympiadès, — Théodore d’Héraclée,
Théodore de Mopsueste, Théodoret, Théodote et Théodotion, —
Thévophylacte, Théophile et Théophile d'Alexandrie !
Mais citons quelques faits précis. A l’origine, le prologue du Vatic.
749 ne rapportait à Polychrouius que la seule pièce à, par une
indication en rouge, à sa place dans le texte. Plus tard, un copiste
trouva opportun de mettre à son compte également la suivante, n° 6,
par la note marginale roù noAvypoyiou, de même qu'il précisait
l'origine du prologue 7 par la note ro iculuuvès 6 ahiéavopos (sic).
D’anonyme, la pièce 6 fut ainsi rapportée à Polychronius, à cause de
sa proximité avec la cinquième, déjà attribuée à l’évêque d’Apamée.
L’'Ambros. À 148 inf. donne régulièrement les fragments du com-
mentaire du pseudo-Origène sous le lemma iou)1:105. Brusquement,
au fol. 211 v°, apparaît une variante : iouluxycd duaxx5. ayrioy. Quelle
(r) Dans la seconde hypothèse, tout au moins ne pouvait-il échapper à qui
connaissait le commentaire du pseudo-Origène que c'était celui-ci que la
chaine citait sous le lemma IOY AIA NOT.
(2) Ennemi sans doute des querelles dogmatiques, le caténiste était allé
puiser la parole d’édification qu'il cherchait aussi bien chez Apollinaire de
Laodicée que chez S. Athanase ou $S. Grégoire de Nysse, aussi bien dans les
écrits de S. Cyrille et de Sévère d'Antioche que dans ceux de Théodore de
Mopsueste. Le copiste postérieur n'était-il pas fondé à penser qu'il n'avait
pas davantage éprouvé de répugnance à citer Julien d'Halicarnasse à côté
du mème Sévère d'Antioche ?
EP EC
+ So nn... 4
US
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 5l
pat en être la raison ? Deux folios auparavant, le copiste a transcrit
ue scolie de « Sévère, évêque d’Antioche, x Ts mpôs iouhavoy ETuo-
-75» ! On voit ce qui s’est passé : ce Julien diacre est devenu diacre
d'Antioche, le Julien de la chaine est devenu Julien diacre, et le
œpiste fera part de sa trouvaille en tête de la prochaine scolie de
Julien ». Notons que l’Ambros. À 148 inf. est un ms du x°-xr° 5.!
Veat-on un dernier exemple qui fasse apparaître le caractère
purement hypothétique, — nous aillions dire fantaisiste, — de ces
dentifications risquées par les copistes ? On lit dans l’édition de
Janius trois scolies attribuées à « Denys » : p. 212, AIONYZIOTY :
E::...; p. 390, AIONYZIOT : 6 pèy 6:56... p. 430, AIONYZ2IOY
AAEZ=. : Mia y2p... Le Paris. suppl. gr. 453 les met toutes trois au
æmpte de Denys d'Alexandrie, Auov. ae. (fol. 441 r°, fol. 255 vo,
fol.282r°). Mais le Ven. app. CI. I 43 avance une autre identification:
le premier lemma est déjà (A)ivua. alec., le second est devenu
(Akorws. &it., et le troisième (A)oyus. älxapyacéws, en sorte que le
rhéteur du temps d’Auguste, — à moins que ce ne soit le musicien
de l’époque d’Hadrien, — se voit promu par l'esprit inventif du
copiste à la dignité de commentateur de Job !
On admettra ou non les vues que nous suggérons sur l’histoire
des prologues de la chaine sur Job et sur la manière dont a pu
s’'introduire la mention iovhtævou ër. &lixapvxso en tête de la pièce
2ruatve, — nous sommes des premiers à ne pas leur accorder plus
de valeur qu’elles n'en peuvent avoir, en l’absence d’une étude
d'ensemble et d'une édition critique des deux recensions de la
chaine ; — il est pensons-nous, une chose difficilement contestable,
Etant donné le silence universel des chaînes elles-mêmes sur toute
précision ultérieure du lemma iouAtzvc, vu le caractère tardif des
prologues, etenfin, les habitudes littéraires peu scrupuleuses de leurs
copistes, la présence du seul lemma ioulaxvoë en. &lxxpvacod dans le
seul prologue de quelques mss d’un lype moins pur n'a pas l'autorité
qu'il faudrait pour justifier l’identification du pseude-Origène, cité
dans la chaîne sous le nom de « Julien », avec Julien évêque d’Hali-
carnasse.
Or, quel autre fait produirait-on qui la puisse justifier ?
Il
Cet autre fait, la tradition manuscrite arménienne ne le four-
nirait-elle pas ? |
Le P. Ferhat publiait, en 1911, dans l’Oriens Christianus (1)
(2) drt. cit.
52 | RENÉ DRAGUET.
d'après deux mss de la bibliothèque des Mékhitharistes de Vienne,
les Codd. 55 (s. XIV) et 71 (s. XIV-XV), une version arménienne
fortement remaniée du prologue du commentaire qui nous occupe.
Il en relevait en même temps la présence dans le Cod. arm. 15
(s. XII) de Munich.
Anonyme dans le Cod. 71 de Vienne, elle est attribuée par le
Cod. 55 de la même bibliothèque à « Julien d'Alexandrie » ; en
revanche, le ms. de Munich la présente comme étant de « Julien,
évèque d’Halicarnasse ». Les œuvres de celui-ci ayant été traduites
* en armenien, paraît-il, dès le vi° s., il n’était pas invraisemblable
de supposer que son commentaire sur Job avait été compris dans
“ cette version. Aussi, expliquant la présence de la mention « Julien
d'Alexandrie » dans un des témoins par le séjour de Julien d’Hali-
carnasse en Égypte après 548, le P. Ferhat vit-il dans le témoignage
de la tradition manuscrite arménienne une confirmation apportée
a la restitution littéraire proposée par Usener. Deux sources indé-
pendantes, les mss grecs el les mss arméniens, s’accordaient pour
attribuer le prologue du pseudo-Origène à Julien d’Halicarnasse ; le
doute n'était plus possible : l’auteur du commentaire sur Job
n’était autre que lui. |
Qu'en est-il ?
La publication, en 1914, du premier volume du catalogue des
mss arméniens de la Bibliothèque des Mékhitharistes de Venise (1)
a permis de constater la présence de la pièce publiée par le
P. Ferhat dans 10 nouveaux mss de la Bible arménienne, et, chaque
fois, sous le nom de « Julien, évêque d’Halicarnasse ». Ce sont les
Codd. 1 (SaArGHISSIAN, op. cut., col. 8), 3 (ce. 31), 6 (e. 65), 7 (ce. 79),
8 (c. 89), 9 (c. 98), 12 (ec. 121), 14 (c. 435), 16 (c. 145), 24 (c. 174) ;
le plus ancien est de 4319, le plus récent est de la fin du xvir* s.
Dans le Cod. arm. 13 de Munich, qui a rassemblé des morceaux
de nature diverse (2), la pièce se trouve isolée. Dans les Codd. 55
et 74 de Vienne, — tous des mss de la Bible, — elle précède immé-
diatement le texte de Job, et est précédée elle-même d'une autre, de
facon à former avec elle une sorte de préface au texte sacré. Elles
se présentent donc dans l’ordre suivant :
4° PRAErATIO Jos : Hominem hunc quidam juxta genealogiam
quintum dicunt ab Abraham... Dei benignitas computacit (3).
2° JULIANI EPISCOPI HALICARNASSENSIS : Significal scriptura beatum
(£) B. SARGHISSIAN, Grand Catalogue des mss arméniens de la Bibliothèque
des PP. Mékhitharistes de S. Lazare (les mss de la Bible). Venise, 1914.
(2) Cfr G. KALEMBIAR, Catalog der armenischen HSS in der K. Hof- und
Staatsbibliothek zu München. Vienne, 1892.
(3) Cette pièce est reprise dans l'édition de Zohrab.
RE
———
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 53 :
J&... mali fuerunt. Terru autem Ausilis... quaerebat socium pugnae.
Toutes deux ont été traduites du grec, mais d’après quel texte?
Le P. Ferhat ne s’est posé la question que pour la première
rartie de la seconde ; en effet, il ne parle pas de la première, et il
d«lare avoir laissé délibérément de côté la finale de la seconde
[rrra.…. pugnae, parce qu’elle n'avait rien à voir, ni avec le pro-
“ue du pseudo-Origène, ni avec son commentaire (1). C’est pour
äoir ainsi séparé le texte Significat.… fuerunt du bloc dont il fait
a#rtie que le P. Ferhat a été induit à penser que le prologue
imèénien quil publiait était une version indépendante de la
tradition grecque des chaînes sur Job. . .
ll n'en est rien en effet. Les deux pièces, y compris la finale de
h &conde, sont une version faite sur an ms. de la chaine sur Job,
as. du type 12°, à un moment, par conséquent, où la pièce Smuxive
1.ait déja pénétré dans les prologues sous le lemma icu/tavod Emo.
42552959. Le parallèle suivant, établi entre les prologues du
lea. 21 et les deux pièces arméniennes (d’après le ms. 1 des Mékhi-
tharistes de Venise), en esquissera rapidement la preuve (2).
Ven. gr. 21. Cod. Arm. Mekh. Ven. 1.
5. 124 r° : IIOAYXPONIOY... : Pas utilisé.
H êv sais.
6.424r° : TIIOGESIS is roy 301 v°, c. 1,1. 49 : PRAKFATIO
og : si3 Try drobequ... Toy JOBI : Hominem hunc qui-
1,002 GNTAYTES ER ThGe.. YEVER- dam secundum genealogiam
I5yix5 TÉUTTOY Eivat ÀsyoUONs quintum dicunt ab Abraham...
x7ûy ano "Afpaau….
1.194 r9 : eiz0s oùv 67e xx Mou- 3092 r° 1, 45 : Sctendum et rite
ES putari Moysen…
8, 425 V° : yon TATU TOME 302 r° 1, 27 : Nosse oportel…
LYXTAITELT.
xt, 425 vo : Try 0: augiridx 302 r° 4, 45 : Terra autem
J'OCAY Ausilis….
&, 1935 v° : IOYAIANO!Y EI. 302 r° 2, 14 : IULIANI, EPIS-
AAIKAPNASOY. Zyuziva n COPI HALICARNASSENSIS.
SOS Significat scriplura…
127 r° : In Job, 1, 1 : Début de 302 v° 1, 3: Terra aulem Ausi-
la chaîne : % ywoa n avoirs tis terra erat Esau ; ab Esau
ox vy TOÙ Hoi‘ àno yap enim Ausilis vocala est …
Hyz5 adotris ExhrOn… socium pugnae.
Liber Jobi.
%
(1 1) Àrt. c., p. 28.
(2) Dans l'impossibilité où nous sommes de produire ici le texte arménien
b4 RENÉ ,DRAGUET.
«
La version arménienne suit pas à pas les prologues grecs, en les
abrégeant, maïs sans rien leur ajouter. S'il restait un doute sur sa
provenance, la finale de la seconde pièce le ferait disparaître : on
s'explique qu'elle n’ait de fait rien à voir avec le commentaire du
pseudo-Origène, puisqu'elle n'est autre que le début de la chaîne
dans sa première recension.
Si la pièce Enuaivea et son lemma ont été repris aux prologues
grecs par le traducteur arménien, la tradition manuscrite armé-
nienne n'a pas de valeur par elle-même, et nous n'avons rien à
changer à la conclusion que nous formulions en terminant l’examen
du témoignage des mss grecs (1).
Les arguments d'ordre externe sont impuissants à soutenir le
bien-fondé de l'identification du pseudo-Origène avec Julien d’Hali-
carnasse. L'examen du commentaire lui-même sera-t-il plus décisif ?
ul
Une référence explicite à Lucien d'Antioche (2), une discussion
sur les croyances astrologiques au cours de laquelle l’auteur semble
viser un adversaire déterminé et utilise un florilège poétique (3), la
juxtaposition fréquente de son exégèse à celle d’une école désignée
par l’appellation oi Zupor (4), un texte de Job très proche de celui
de A (5), seraient-ce là les seules indications que nous fournisse
l'analyse de l’œuvre du pseudo-Origène pour identifier son auteur ?
Ce ne serait guère, en vérité! Heureusement sa doctrine théologique
est assez précise, si pas pour nous mettre sur la voie d’une identif-
en regard du texte grec, nous devons nous contenter de noter, en face de
l'incipit des pièces grecques, celui du texte arménien qui les utilise, en tra-
duction latine. Nous sommes heureux d'exprimer ici notre reconnaissance
aux PP. Mékhitharistes de Venise, qui ont facilité nos recherches dans leurs
mss et nous ont très aimablement permis d’en photographier les pièces qui
nous intéressaient.
(x) Dès lors, on s'explique aussi l'attribution du prologue arménien à
Julien d'Alexandrie par le ms. 55 de Vienne. Attesterait-elle un état de la
tradition grecque où le lemma Toù iouluavos 0 a hé avO nos aurait glissé de
la pièce eix2s ouy (7) au prologue Smuaiyer (8c) ? De même, le fait que le
prologue arménien n'utilise pas le prologue 5 (lequel forme un tout à lui
seul, sans connexion organique avec les pièces 4 et 6), n’indiquerait-il pas
que le bloc des prologues 5-8 est déjà lui-mème un agglomérat ?
(2) Fol. 15 ro. Sauf indication contraire, c'est le Paris. 454 que nous citons.
(3) H. UsExER, Aus Julian von Halikarnass, art. c., a publié tout ce passage
(sur Job, XXXVIIT, 7, fo 127 vo-126 vo) ct l’a étudié de très près.
(4) Fol. 38 ro, 55 ro, 74 ro, 75 r°, 77 ro, 89 vo, 92 vo, III vo.
(5) Cfr L. Dieu, Le texte de Job du Codex Alexandrinus et ses principaux
témoins, dans le Muséon, nouv, sér., vol. XIII (1912), nos 3-4, p. 225.
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 55
ation individuelle, au moins pour Dons fournir de précieux points
deomparaison.
Mélé aux luttes christologiques qui déchiraient l'Orient depuis
is quarts de siècle, chef d’une secte qui avait fait scission au sein
da monophysisme sévérien (1), Julien d’Halicarnasse, auteur du
«nmentaire que nous étudions, n’eût pu que bien difficilement ne
sstrahir son appartenance à un milieu théologique aussi caractérisé
ge le sien ! Or, le pseudo-Origène anathématise sans doute au pas-
se quelques hérétiques, mais ce ne sont que les Manichéens et les
\alentiniens, accusés de nier la résurrection des corps ou la bonté
de la nature corporelle (2). 11 n’esquisse pas la moindre allusion, au
œurs d'an ouvrage pourtant bien Jong, à l'épineuse question des
deux natures ; il ne dit rien qui fasse soupçonner que le problème
cbristologique tel qu’on le discute aux v° et vi° siècles soit déjà posé.
Ilest pourtant préoccupé de questions dogmatiques, mais elles
ont un objet tout différent, à savoir les relations qui, dans la Trinité,
situent le Fils Monogène par rapport au Père tout-puissant. Exami-
nons sa doctrine dans le détail (3).
L'auteur connait trois étres dans la sphère divine : le Dieu tout
paissant, 5 6:65 Ô ravroxpiruo, le Dieu Monogène, 5 uovoyevrs ess,
et le Saint-Esprit, ro rusèux ro &ov. Le Dieu tout-puissant est le
Pére du Fils, vioù narro.
Commentant Job, I, 6 : xat idcù n200v oi &yychcr Trou Deco RapagThyat
LnTIG) TOÙ kunion, il observe que l'Écriture distingue deux rcécuwra,
5: et xucuos, distinction justifiée par ceci que 6 6:55 a produit les
étres par le zegus, et que ce dernier, à son tour, a reçu de à Ge66 (4).
(1) Voir quelques mots sur la polémique de Sévère contre Julien d'Hali-
carnasse dans J. LeBON, Le monophysisme sévérien, p. 173 et suiv. Louvain,
1409.
(2 Fol. 17 vo, 28 vo, 31 vo, 48 ro.
(3: Nous renvoyons surtout aux fragments publiés par le P. Dieu, Frag-
ments dogmatiques de Julien d’Halicarnasse, art. c., p. 193-195. Is sont trois,
sir Job, XX XVII, 22b-23, XXXVIUI, 16-17, et XXX VIII, 28 b-29, que nous
désignons comme suit : Dieu, I, II, HI.
(4) Fol. 7r0 (cfr Vatic. 1518, p. 14) : ’Ere axetyo TAQATTONTÉOU rt duo
TOGTNDY 6 50: umuoyeuer xat Det xaœi xupiou" Gecd uEy où eigt
cufyxara (Paris. 454 : rotiuares) oi &yychor, pilou dE 0) rapioräor
id. : rageoraot) * xairor rai 050 dia xupiau (id. : yÙ) nemoinxsv nai à
epucs (id. : 42) Tapa Geoù eblriqe * mévra yäp por, qnai, racidoûn rapà
C9 72? TpO3 cv. Avec le Vatic. 1518, nous lisons, non pas xpisTou et XPIGTOS;
Mais zup(oU et XUPLOS, leçon que justifie le contexte ; la confusion aura été
lavorisée par la mise en rapport du texte de Job avec la parole du Christ en
S. Marrateu, XI, 27.
56 RENÉ DRAGUET.
C’est pour lui un témoignage de l'existence de deux êtres distincts,
6 0e05 © Tavroxparuwp, vioù rarrp, et le Dieu Monogène, à movoyeune Oeds,
6 xal vios. Un troisième, le Saint-Esprit, parait avoir beaucoup moins
d'importance ; il est mentionné une fois comme promis aux Apôtres
par le Monogène (fol. 119r°) ; ailleurs, on fait remarquer qu'il ne
peut être question de lui en Job, XXXIII, 4 : rusüux Geioy ro roñoay
pe, mvon dE mavrompäropos ñ OuDaTxoudé ue, parce que, à la différence
du Père et du Monogène, il n’est pas intervenu dans la production
des êtres (1).
Le Père, 6 85, vioù rarro, est présenté comme le Tout-puissant qui
n'a ni son semblable, ni son pareil, tant sous le rapport de l'être
que sous celui de la puissance ; il est absolument hors pair en
nature, en puissance, en sagesse. Il est en effet le seul non devenu,
ayenros, et le seul sans commencement, ävapyos (2). C'est de lui que
,
(x) Fol.98 vo: où ro &yioy muedua Âéyer &s EvOuGxY ci LEVOGOYIX THY
copiay (le ms répète rñy Cogay) TuEpvor * CU ya Onpuoupyds Ô TaTY.D * Ets
yap 00, Ë où Ta Tavra * mai Ets #UL0S inGOS YHITTOS, 00 où Ta
ravra (1 Cor., VIIL 6), &}}2 raoa roù Oeoû, onotv, yépuopa (Vatic. 1518.
p. 253 + roù O:cÙ) éxaorw Oidora map’ où yàap TÔ etvar rexrrusla * aoù
xp proiy, ÉdTiy n copix rai ooù Ecru n œuveats. La leçon où yap
nu1GUCyOc 0 TATrp ne va pas : c’est sur le fait que le Saint-Esprit n’est pas
démiurge que l’auteur veut insister ; d'ailleurs, le Père, 5 Üeos, est appelé
« démiurge » en plus d’un endroit (p. ex. fo 125r0, fo 147 vo : qù 0e Geoc
œimyos, Üluaros, TAYTOZOGT DD, Onpuovoyds Tov GAwy xai months).
Le changement de 76 mva en 6 nnp n’est pas impossible, car les mss offrent
un texte très mauvais, distant d’ailleurs de l’orig'nal d’une dizaine de siècles.
1 est peut-être plus naturel de supposer que le texte primitif, disposé par
colonnes dans un ms. oncial, étant
OYTAPAHMIOY PI OC
EICI'APOCOITH P
de façon À lire la citation de x Cor., VIII, 6 conforme au texte biblique, le
0 ratrp lu par le copiste après la première ligne, aura été déplacé. Il
faudrait alors lire comme suit : où To &yiov Tbux Àfye... * où ya0
Onpuouryôs * ets 72xp 6:05... ce qui supprime la difhculté.
(2) Du, 1: 'O ravroxpärop oùx Éywy Toy poucupevey oùdE Toy Ecicou-
DEyoy adT@ To Elvat TO OUvacÜau, TO HEv Elvar ÔTL AYEVNTOs, TA Où
Ouvéuer re vic Tai ; fo 33 ro : oÙDx ÀE 63 CODE TOY ÉVTOY GUyxOIVETOU
ŒUTG GU4 Els GOUIAV, OUR ES Duvxtuy, Cfr aussi fo 112 r0 : zœt Tptv UTC-
GTAGETA, ELYEY TV TOY YLYOUEVOY YYWTIY, YYOO: Évapyos Gy ka 0e:
AJEVNTOS..... AUTOS VAL, YPO (Ov (ms : ws) Ha oUoix ayémros, EË
GOYRS Boule à un évra els +0 AOET TapryayEv. C'est parce que l’auteur
réserve au Père la prérogative d'être dE TS que nous devons traduire
dy26723 par « Sans commencement », et non pas seulement par «sans prin-
cipe ».
D mm. ER ep nquqen. # ee QE Se Qt QC UC ed tr
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 57
bol c qui est tient son être : à Toy 0Awy atrtos. Il est le seul tout-
pusant, le seul inaccessible, zrpoouro:, le seul qui soit supérieur à
bike cause et à tout devenir, räons œirias xai yevéceus xpeirrev ; le
«a immuable, le seul non soumis à l’altération, #rpsnros avahhotwros
bec, 1, HD.
dans la sphère divine, mais sur un plan nettement inférieur à
sui qu'occupe le Dieu tout-puissant, se meut le À5yo:. L'auteur
sxüve à le définir. Ce n’est pas une « parole » fugitive ; c’est une
ralité permanente et subsistante, et le nom qu'il porte ne doit pas
»15 le faire assimiler au verbe de l’homme, réalité accidentelle et
transitoire : oùrs 9€ Àdycs ©: qu. Lui aussi est appelé Gecs, mais
tst dans un sens tout autre que 6 6:55, le Dieu tout-puissant ; en
#4, il n’est pas sans commencement, on le remarque explicitement :
2: 85: 53 &vapyos : il est seulement avant toute chose : 6 ëv apyà
520 70 Trävruy ; d'ailleurs et surtout, il n’est pas ayémmros. Sans
ute, il a sur la totalité des autres êtres la prérogative de ne pas
voir son devenir à l’intervention d’un autre démiurge que le Tout-
sussant, d’être devenu sans aucun intermédiaire ; il n’en rentre pas
ins dans la catégorie des êtres qui sont devenus : À6yœ ©
2LTITEUT QD: 7EVOLLE VOS.
lhférieur sous le rapport de l'être au Père auquel il se réfère
oume un effet à sa cause, il l’est tout autant sous celui de son
sde d'action. S'il est intervenu comme intermédiaire dans la pro-
section du reste des êtres (1), c’est seulement comme un ouvrier qui,
travaillant sous le contrôle immédiat d’un maître, se borne à en
récuter les ordres. Il n’a pas eu en commun avec le Père l'initiative
4 le commandement, l'xuüeyr(a ; ils étaient deux à agir, mais un seul
ommandait, môves rporaëxs (2). C'est un 6:65, un être divin de
<cond rang, serviteur et ministre du premier, 0:95 &An0vo: celui-ci,
dns le gouvernement du monde, TrPOS TAVTA YTNLETNTALEVOS Gens 6
27,3 9205 5 rai vios (3). Le Tout-puissant, unique non devenu,
*t trop au dessus des êtres devenus pour se manifester au monde ;
ii) Dœv, I: OÙrs oùv dos tic To GÂwy aries n 6 TavToxpaTOp, oÙùTe
LES LETUNS TS ToUT@Y VEVET EN: À 0 uovoyevns Ü:0s 0 eV 1940 UP
5705 TATOY, ÔL CÙ Ta TAVTA. |
23 Sur Job, IX, 8 (fo 34 ro): 6 raviaus T0y oucavoy povos rai TEpITaTy
Ti Dalaoons 06 Eni Édaquus nenuerarnsz dry (Vatic. 1518, p. 82 :
ny) 67e à œuros (fouhrsu rù Ensiyou Toy cûpavèy Eravuge * uôvas 0
EATAE) ue ETÉ TOY Ths Evenyeias 10y0v, QIX Ent Toy Th: aivrins
Z10LAU0Y, GS LV Yap HÔVOS ROOGTAËNS, OÙ OE UÔVOs We EVEPYKTAS KA
7725. Le ms. porte un point après édaqous et après auTOs.
(3) Fol. 151 r°.
58 RENÉ DRAGUET.
aussi, s’il est écrit : eérev à xûpeos T@ iwfB, qu'on se garde bien de
confondre : le xüps n’est pas ici l’invisible &yircs, mais le seul
Monogène, organe exclusif des révélations divines (4).
N’eussions-nous que ces textes, nous ne pourrions déja plus
ranger le pseudo-Origène parmi les partisans de la doctrine définie à
Nicée. {1 situe son Logos bien trop au dessous de à 6:05, et son
langage est trop nettement subordinatien ! Sans doute, il ne fait
pas difficulté à appeler le Logos 0e5< et xuptos, mais, nous l’avons dit
plus haut, il a soin de restreindre le sens de ces termes par des
correctifs non équivoques. Ils indiquent d’ailleurs si peu en celui
qui en est qualifié une communauté d’ousix, de réalité, avec le Père,
qu’il peut écrire que l’homme a été établi xp; et 0e de ce
monde (2). Mais nous avons dans son œuvre quelque chose de plus
explicite, s’il est possible, nous voulons dire une attaque de front
contre l’homoousios nicéen.
On sait que le concile de Nicée, en définissant la consubstan-
tialité du Fils avec le Père « … Suooustcy té maroi », avait affirmé, non
pas seulement l'identité spécifique de la substance du Fils par
rapport à celle du Père, mais surtout leur identité numérique, et
dès lors, en déclarant le Fils yewmévzx Ex roù narpo:, il entendait
assigner à la génération en Dieu un terme qui dépasse de loin
celui qu'atteint la génération humaine, laquelle n’aboutit qu’à deux
êtres d'essence identique.
Le pseudo-Origène est en réaction ouverte contre cette doctrine.
- Assurément, lui aussi, il déclarera le Dieu Monogène Fils, vice, et
engendré, ef, et il appellera le Dieu tout-puissant Père, vioc
raïro, et engendrant, 6 Üsce yew@y (Dieu, IT), mais il n’admet pas
pour autant l’homoousie du Père et du Fils ; il ne reprend ces termes
que parce qu’ils sont scripturaires. Sa thèse est formelle : il n’y a
rien qu'on puisse dire éuxoouguy au Père ou même simplement
ôuoucuTioy (3).
Sans s’attarder à prouver longuement qu’il n’existe rien d’ouoruoror
(1) Sur Job, XL, x, fo 136 ro : Gray &xcUons « Eire Ô HUDIOS », xai « EX
TD VEÉGOUS », To [10907/<vñ uOYOy at EE UT OÙ A DEGITmy y TAOt
TITEUE * .... ELVEVA Jen ÔTI TAYTAYOÙ D HUPICS TUis a/0ponots dix Tod
povoysvods ovou rpopE:yeror. C'est lui qui s'est montré à Abraham ct qui
a combattu contre Jacob ; c'est lui qui est apparu à Moïse pour lui donner
la Loi, qui s'est manifesté à Josué avant le siège de Jéricho, etc. Voir aussi
fol. 118 vo.
(2) Fol. 135 vo.
(3) Dœu, I: OÙre oûy ucouausy 7e £Ë aûreb, ctonTat ya dt AgÜacros,
or Ouougioy (ms : éuooucioy, corrigé avec raison par le P. Dieu en
éporovToy), aGUyxpITOS yap EGTL.
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. | 59
=» sar2t, à deux reprises, il consacre tout son effort à montrer
l'impossibilité de la doctrine de l’énocuorcs:.
Il est dit en Job, XXXVIII, 28b : « Qui engendre les gouttes de
se, et du sein de qui sort la glace ? Le givre, qui donc l’en-
gendre dans le ciel ? » Lisez donc ceci, s’écrie-t-il, aux homoou-
siastes ! Si ici, le texte, en parlant de « sein » et d’ « enfantement »,
s borne à signifier la puissance et la volonté de Dieu, prenons
garde, lorsque nous entendons appliquer ces mêmes termes au cas
da Fils, d'imaginer une corruption et une per4doo1s. Pensons bien
putit à un exercice particulier de la puissance de Dieu, à une
genération pure, produite par la volonté et la puissance de l’engen-
drant, et non pas à une communication d'ousia dans laquelle Dieu
aurait nécessairement été passif. En effet, le Monogène n'a pas été
engendré comme les corps, par division et séparation d'avec une
aotre substance (1).
Le pseudo-Origène ne cache pas la raison d’une opposition si
catégorique à la doctrine de l’homoousie du Père et du Fils. Si le
Fils est cuscuatos T@ narpi, il a reçu cn propre quelque chose de
l'ousia, de la réalité substantielle du Père ; dès lors, ce dernier
s'est divisé lui-même pour donner au Fils quelque chose de son
être ; ce qui revient à admettre que l’ousia divine, pourtant impas-
sible, immuable, inaltérable et incorruptible, est sujette à la passion,
au changement et à la corruption. Il se serait produit ce qu’il appelle
une u:720%Gt;, — une commupication qui aboutit à la possession
commune d’une mème réalité, — et, dès lors, une corruption de
la substance divine ; il y aurait eu en elle une division, et dès lors,
un changement et une altération (2).
Comment donc définir la génération du Monogène ? C’est une
génération propre à Dieu seul, sans aucune ressemblance avec
lle des hommes, génération dans laquelle l’engendrant a donné
l'ètre sans donner de sa substance, et par laquelle l’engendré est
Ga) Dieu, I : "Aysyvwob Tabra œuy yprast autos Tpos TOUS Ouoou-
TATT AS DOTEP AP EVTAUOX YAGTPOS HÉUVNTAL Kal TOXETOU, CHAXIVET A
Œ nr Too Deon Elcuoix nai Dilnois, obre xxv Emi Toù vio Tas puyac
FT AS MAUVE, OÙ Ghopay xai peradoaty, àA Efouaiay voisouEy xœi
Jr xafapsy, oulros vai Quyaust ToÙ quaxvros yevouivry, ‘où
VETSUT Ia eural * DTE YXp WG TX COUATA VEVÉVNTAL APAIPÉGEL HXi
DLULETEL 7 Hs OUGIAS, OÙcy @s ŒUrà xai Eoa.…
(2) Pol, 32 ro : Oncu yap diaipenis, vai Toomm ral àlowas…. Mer
Vus yap näca usradoots. Dieu, 1: ‘Ent À rô APÜ&RTOV, OÙTE TLOTN
de Gexigeors oùr' àdoiwaus, oùre mpofoln core uerafioin éruvonbnvat
WaTau,
$
60 RENÉ DRAGUET.
devenu la Vie même, sans que celle-ci fût une participation d’une
vie déjà existante (1). Admettre une génération qui aboutirait à
l’'homoousie du Père et du Fils équivaudrait à admettre que Dieu,
6 6:0:, s’est servi de sa propre substance comme d'une réalité à
transformer, alors que, sans avoir besoin de rien, pas même de
lui-même, sans subir de passion ou de division dans sa substance,
il a posé l'être du Fils par sa seule volonté et puissance (2), sans
aucun intermédiaire (3). Poser l'être du Monogène dans l’ordre
des choses existantes par seule volonté et puissance et sans se
donner lei-même en participation (où m:rtdwzey), c'est là, au sens
du pseudo-Origène, toute la signification du z:w34v divin dont parle
l'Écriture. Loin d'aboutir à une identité numérique de substance,
Ja génération en Dieu n'atteint mème pas à l'identité spécifique ; le
Monogène n’est, par rapport au Père, ni évocusios, ni Sucuouotos.
Qu'est-il donc ? Vaguement semblable, 6Guows sans doute, car
l’auteur, concluant ses remarques sur Job, XXX VII, 22 revient à son
texte en ces termes : « et nous ne trouverons personne qui soit
Guors Soit à lui, soit à sa force. Remarquons qu'il ne parle ni des
êtres invisibles, ni des puissances supracosmiques, mais qu'il base
la louange qu’il adresse à Dieu sur le relief qu’il prend par rapport
aux êtres visibles (4) ». La portée de la remarque se restreint
évidemment au dernier membre de phrase «y sbprooue éuotoy aotc ;
l'auteur ne veut pas, semble-t-il, nier la présence, parmi les puis-
sances supracosmiques, d'êtres qui ont: une certaine ressemblance
avec l'ayémros. Sans doute y place-t-il au premier rang le Dieu
Monogène.
On aura aisément reconnu dans ces textes le fonds de doctrines
chères à l’arianisme de toute nuance, et il n'est pas besoin pour
asseoir cette affirmation, d’une longue confrontation des formules
du pseudo-Origène avec les textes reconnus comme spécifiquement
ariens.
(x) Drœu, I: Oxo xai N “/Év RTS Geonperhs, oux Anwroudrs * TE
de 2. Didmxs 70 stat, AAD où pirédmeesy, Ô Te evvrets jé/07ey
œUT 27), 24.2" où LTÉE } x (5€ 7.
(2) Dreu, UT, alinéa 3.
(3) Dieu, T'? Apec: anegureures yeydusves. Dieu, III : 5 Os.
éZouTix yEyvà AUEGTEUT D.
(4) Fol. 118 : Oùre cv SUOGUGUy TU EE AT 6Ù Cr Ta 30 TL XyÜacros,
OÙTE épotouTtoy, OU AGIT OS 780 TTL, ai so, EUGATOUEY &À0 UZ SD
auTé) Kai TÔ (CHU AUTOÙ * PIMUOYEUT EU GE Ére cùx a9p4T 0 &Y O0 TOY
DrEp407 itoy duauesuy umusyus, GlX Ex TOY GoxTY Thy dcEcècyiar
Trotéirat (fol. 118 ro-vo),
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 61
Arias lui aussi admettait trois êtres divins, mais bien éloignés les
uns des autres dans l’ordre de la substance et de l’activité (1). Très
effacé, le Saint-Esprit n'avait dans sa théorie aucune part à la création
du monde : l’unique &yéwrTos, — terme chez lui synonyme d’ayevr-
72, — avait produit, en vue de l’œuvre créatrice, avant tous les
êtres et pour servir d’instrument de leur production, le Verbe ou
Dieu Monogène (2). Cnmplètement étranger à l’ousia de l’ayéwmros
et produit par sa seule volonté (3), le Verbe se trouvait qualifié
d'rSu00; XATX TAVTA Ths TO TATOOS OUOIAS Ka idôrrros (4); créature
au méme titre que les autres, il n’avait sur elles que le privilège
d'avoir été produit directement auzgirevro; par l'ayéwmros (5), avant
elles et en dehors du temps qui les régit, æypôvos, Tpo atwvey, neo
725v0y (6).
La raison qui empéche les Ariens que combat S. Athanase de
recevoir l’homoousios est celle-là mème à laquelle le pseudo-Origène
sest montré si sensible : si le Père a donné au Fils de sa propre
substance, il y a eu division de l’ousia divine, l’ayemmnros a été l’objet
d'une passion (7). Des deux côtés aussi, même souci de s’en tenir
aux formules scripturaires pour exprimer la doctrine, et d’actepter
a ce titre des expressions comme ui yewmnels Üno Toù narpos (8),
quitte à bien montrer par le commentaire qu'elles reçoivent qu’on
est loin de les entendre dans le sens nicéen.
Nous pouvons mème poursuivre le parallèle sur un point de
détail. Entre autres textes scripturaires, les Ariens faisaient appel à
Job, XXXVIIT, 28 pour critiquer le concept de génération en Dieu.
Écrivant à Paulin de Tyr, Eusèbe de Nicomédie lui fait remarquer
que ce n’est pas le seul Logos que l'Écriture dise engendré par
Dieu ; elle applique le terme à bien d’autres choses, dont la nature
est pourtant dissemblable en tous points de celle de l’ayéwrroc. En
disant, p. ex., que Dieu a engendré des hommes qui l'ont ensuite
méprisé et abandonné (fsaïe, 1, 3; Deut., XXII, 48), ou encore qu'il
(1) Thalie, dans S. ATHANASE, De Synodis, 15 (PG, XXVI, 708, A).
(2) Jbid., dans S. ATHANASE, Orationes contra Arianos, 1, 5 (PG, XXVI,
21, À).
(3) Zbid., dans S. ATHANASE, De Synodis, 15 (PG, XXVI, 708, A).
(4) S. ATHANASE, Orationes contra Arianos, I, 6 (PG, XXVI, 24, A).
(5) S. ATHANASE, De decretis Nicaenae sy nodi, 7 (PG, XXV, 436, B); la
méme idée se retrouve chez Eunomius: cfr S. GRÉGOIRE DE NyssE, Contra
Eunomium, lib. IV (PG, XLV, 661, A).
(6) Lettre des Ariens à Alexandre, dans S. ATHANASE, De Synodis, 16 (PG,
XXVI, 709).
(7) S. ATHANASE, Orationes contra Arianos, I, 15 (PG, XX VI, 44, A); Lettre
des Ariens à Alexandre, loc. cit., 709, C.
(8) 1bid., loc. cit., 709, B.
6è RENÉ DRAGUET.
engendre les gouttes de rosée (Job, XXX VIII, 28), signifie-t-elle que
leur nature dérive de celle de Dieu et en est une participation ?
Nullement, mais seulement que tous les êtres devenus sont un eflet
de la volonté de l'unique àzéwmto: (1). En ces temps où, comme le
lierre aux murailles, la controverse dogmatique s'accrochait tenace-
ment au texte biblique pour se faire de ses moindres expressions des
bases d’argumentation facilement estimées inébranlables, une objec-
tion tirée de Job, XXXVIII, 28 contre l'interprétation nicéenne du
7evvreis scripturaire appliqué au Logos ne pouvait manquer de faire
impression ! Nous en avons un écho lointain, mais encore très net,
dans la 423° homélie et VIe discours catéchétique de Sévère d'’An-
tioche. Amené, à propos du récit évangélique de la Transfiguration,
à exposer et à défendre la doctrine de la consubstantialité du Fils
avec le Père, et passant à la discussion des arguments scripturaires
avancés par les Ariens, il écrit : « Mais quelqu'un dira : voici qu’on
peut entendre Dieu disant en Job : ri cru dsrov TaTD 3; Tls dE ETLY
6 reroxbs Bwlous dpicou ; Er yagrcos 0 rivos Exropeuerat à xpUoTa}ÀOS ;
rayyny À Ev oùpay® rés réroxey (Job, XXXVII, 28-29). Allons-nous
donc appeler la pluie consubstantielle à Dieu, à cause des mots
TaTYP, TEToxw3 et Ex YaGTPOs exnopeuer at ? Ce serait abusif (2) ! »
Le patriarche s’efforce alors de faire échec à cette observation par
diverses raisons, dont la meilleure est assurément qu'il faut traiter
avec bienveillance le texte biblique, et le comprendre d’après
l’analogie de la foi. Il conclut (3) en invitant ses auditeurs à voir ici
un cas typique de la « sottise des disciples d’Arius », qui, d’ailleurs,
ont osé se référer à un autre texte biblique (4) pour affirmer que le
Logos était, au même titre que la sauterelle, une diværus de Dieu.
Or, on s'en souvient, c’est dans les mêmes termes que le pseudo-
Origène utilise le même texte de Job contre la doctrine nicéenne de
l’'homooustos (5).
(x) Dans THÉODORET, Historia Ecclesiastica, 1, 6 (ed. L. PARMENTIER, Die
Griechischen Schriftsteller der ersten 3 Jahrhunderte, Theodorets Kirchenge-
schichte, p. 27. Leipzig, 1911). Dans cette lettre, vraie petite somme de
théologie arienne, il est peu de points qui ne trouvent leur parallèle dans les
textes dogmatiques du pseudo-Origène.
(2) Vatic. syriacus, 143 fol. 148 vo B et suiv.
(3) fbid., fol. 149 ro À, 150 ro B.
(4) JoëËc, LE, 25. Sur l'emploi de ce texte par les Ariens, voir S. ATHANASE,
Orationes contra Arianos, I, 5 (PG, XXVI, 21, C); II, 37 (tbid., 225, C).
(5) Pour la théorie de la présence exclusive du Logos dans les théophanies
de l'Ancien Testament, que le pscudo-Origène met si fort en relief (voir plus
haut, p. 58, n. 1), on aura un parallèle dans les anathèmes 15 et 16 du
premier synode de Sirmium de 351 (dans A. HAHN, Bibliothek der Symbole
nd Glaubensregeln der alten Kirche, p. 198. Breslau, 1897).
UN COMMENTAÏRE GREC ARIEN SUR JOB. 63
On estimera, pensons-nous, qu’il n’est pas possible de reporter
jusqu’au temps des luttes christologiques la composition de l'ouvrage
que nous venons d'étudier. La question à l’ordre du jour dans le
uilieu de l’auteur, c’est la question trinitaire, et encore, la seule
question de la consubstantialité du Fils avec le Père; l’attention ne
parait pas attirée sur celle du Saint-Esprit avec les deux autres
prépa. Bien que le grand coup ait été porté à l’arianisme dès la fin
dire siècle, et que, « battu en brèche par la science des docteurs
mme par les édits impériaux », il disparut bientôt de l'Orient (1),
i ne faudrait pas repousser a priori l'hypothèse de la composition du
«wmentaire du pseudo-Origène au v° ou au début du vi° siècle, dans
l'un quelconque des rares cercles qui continuaient à rester fidèles à
a doctrine d'’Arius. Mais croirat-on qu'un auteur de la fin du
“siècle p. ex., préoccupé de questions dogmatiques comme celui
que nous étudions, aurait pu écrire un aussi volumineux ouvrage (2)
sans laisser percer, — alors qu'il en avait de multiples occasions,
favorisées encore par la méthode lâche du commentaire, — qu’il
écrivait au moment où tout l'Orient était enflammé par les luttes
christologiques ? Ce n’est guère vraisemblable ! Et cette considération
a d'autant plus de valeur que nous avons pris soin de faire intervenir,
dans les pages qui précèdent, fous les textes susceptibles de jeter
quelque lumière sur les idées de l’auteur en matière doctrinale.
L'auteur qui rejette l'émooucuos et l'ouououoies té marpt est-il un
boméen, comme le texte cité plus haut semble l’insinuer ? La preuve
en serait faite qu’elle ne nous avancerait guère pour préciser
exactement la date à laquelle il écrivait, car, si l’homéisme connut
des moments de plus grande faveur, il est sûr qu’il aura été
représenté à chaque période des luttes ariennes. Bornons-nous à dire
que le pseudo-Origène a écrit « aux temps des Ariens », comme on
dira au début da vi° siècle (3). La façon dont est conçue la référence
au « martyr Lucien » n’inviterait-elle pas à penser que l’auteur n’a
pas écrit avant 340-350 (4) ? On ne voit par ailleurs aucune raison
(1) X. Le BACHELET, Arianisme, dans le Dictionnaire de Théologie catho-
ligue, t. II, col. 1848.
(2) Dans le Paris. 454, ie commentaire s'étend sur 153 folios de deux fois
_ #6 lignes chacun; dans le Vatic. 1518, il occupe 390 pages de 24 lignes.
(3) P. ex., Sévère d’Antioche dans ses lettres, Cîr E. W. Brooks, Thesixth
book of the select letters of Severus, Patriarch of Antioch, p. 9, 303, 321, 326 du
texte. Londres, 1902-1904.
(4) Fol. x5ro : *Hxouoa dE xæi éTépay Évvotay Tapà ayioy à&vOL@y Tip}
TRs JUVAIAOG TOÙ re lf3 fy Épaonoy Elvat ToÙ GUAOYPAGTOU LALTUPOS
losuxxcd, y où dixœuov Expiva Àrôn rapadoüvar. "Edeyoy oùv &s (ms : 0ç)
64 RENÉ DRAGUET.
de différer la composition de son ouvrage jusqu'à une date qui
dépasserait de beaucoup l’an 400.
De l'unique point de vue de la critique interne, une chose au
moins est certaine : le pseudo-Origène n'est pas Julien d’Halicar-
nasse. Celui-ci était un fervent monophysite, mais il n’avait rien de
l’arianisme. On a mis en question qu'il ait admis la consubstantialité
du Christ avec nous, on n’a jamais soutenu qu’il ait nié celle du
Verbe avec le Père. Faut-il quand même citer le début de son ana-
thème premier ? Son témoignage est formel : eï ri5 un éuohoysi ô7e
à 0e06 dos, à r@ narpi SuoobTies, canrwleis xat evayhownisxs 2x0,
ducuuios Ruiy EV RAT xx ÉyIpO TS LOT Xl Apruariqer …. TodTor
avabeuariee ñ ayix … ExxAroia (1).
Le P. Dieu s’est par conséquent mépris en croyant retrouver dans
les fragments dogmatiques du pseudo-Origène la doctrine particulière
à Julien d’Halicarnasse sur l’incorruptibilité du corps du Christ (2).
Il y est certes question d’incorruptibilité, mais c’est de l’incorrup-
tibilité de l’ousia du Père mise en avant pour le rejet, dans les
problèmes trinitaires, de l’homoousios nicéen.
Pareillement, les « homoousiastes » attaqués par le pseudo-Origène
sont bien « ceux qui affirment la consubstantialité du Père ct du
Fils niée par Arius », et non pas « ceux qui disent que le Fils nous
est consubstantiel » (3). On en aura été convaincu, pensons-nous, à
la seule lecture du fragment cité plus haut. D'ailleurs, dans les
deux sens du mot, Julien d’Halicarnasse est un « homoousiaste ».
Pour rendre compte de tous ces textes dogmatiques qui, attribués
a un monophysite du vi* siècle comme l'était Julien d’Halicarnasse,
deviennent fort surprenants, le P. Dieu a supposé que celui-ci,
adversaire de la consubstantialité du Christ avec nous, et entendant
ses adversaires dire que le Verbe est engendré w: 7x Touxta …
DeaoËG Et This OÙGias, Se méprend sür la communication des idiomes,
et considère comme appliqués au Verbe comme Dieu des énoncés
Ô Pi Écryouuevos EdOacxey @3 0 rod 0:65 dyOpmnss imf5.…. Ce n'est
pas dans les codices des œuvres de Lucien que l’auteur a lu l'explication
qu’il introduit de la sorte; il la tient de ia tradition orale (xoucx), de ses
maîtres peut-être. Ces « ao vives » qu'il a entendus auraient eux-
mêmes été les auditeurs de Lucien CALET ET) que la notice se compren-
drait parfaitement.
(1) Rétroversion d’après le Vatic. syriacus 140, fol. 100 ro À = Brit. Mus.
Add. 12158, fol. x12r0 B.
(2) Art. cit.
(3) Le P. Dieu exprime l’avis contraire, art. cit, p. 196.
UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB. 65
qune lui conviennent que selon la nature humaine qu’il a assumée (1).
otre exposé l’aura suffisamment montré, il est inutile de discuter
œtle ingénieuse hypothèse ; le fondement en est d’ailleurs controuvé ;
ea effet, Julien d'Halicarnasse admet tout autant la consubstantialité
da Christ avec nous que sa consubstantialité avec le Père. Nous
espérons le montrer bientôt, en publiant, avec les textes de Julien qui
ont subsisté en traduction syriaque, une étude sur sa christologie.
Au cours de ses discussions avec Sévère d’Antioche en Égypte
vers 520, Julien d’Halicarnasse avait parlé de « commentaires » que
li-même aurait écrits sur le livre de la Genèse. Sévère relève la
chose dans sa réfutation des anathèmes de Julien et atteste, chose
qu'il dit confirmée par le témoignage de gens compétents, qu’à.sa
wnnaissance, avant sa controverse avec lui, Julien n’a écrit en sa
rie que « des explications sur quelques chapitres d’Évagrius » (2).
À ce moment, Julien est un vieillard (3), et une lettre de Sévère,
rite un peu plus tard, en parle comme d’un mort (4).
Quoi qu’il en soit de ce commentaire sur la Genèse, on renoncera,
pensons-nous, à continuer d'attribuer à Julien d’Halicarnasse le
commentaire sur Job du pseudo-Origène. Loin de conférer quelque
valeur au faible argument fourni par le prologue des chaînes sur
Job en faveur de la restitution proposée par Usener, l’examen de
l'ouvrage lui-même s’est révélé décisif contre lui. Le pseudo-Origène
est un arien, du 1v° siècle sans doute, et les fragments dogmatiques
de son œuvre exégétique doivent prendre place à côté des textes,
trop rares assurément, qui renseignent directement l'historien des
doctrines sur la théologie arienne (5).
Louvain. RENÉ DRAGUET,
(1) P. Dieu, art. cit., p. 196.
(2) Brit. Mus. Add. 12158, fol. 111 r° B-vo A.
(3) 1bid., fol. 111 vo A.
(4) E. W. Brooks, op. cit., p. 393 du texte (la 21e lettre du ÎVe livre, datée
par Brooks de 521-527).
(s) Signalant dans son ouvrage La littérature grecque (4e édit., p. 287.
Paris, 1901), la traduction latine du commentaire élaborée par J. Peronius,
P. BATIFPOL a reconnu les tendances arianisantes de son auteur. Sans faire
allusion à l'identification proposée par H. USsENER, dans les Catenen de
H. LierzuANN, quelques années auparavant, il se borne à en parler comme
d'un « commentaire sur Job, en grec, dont l’auteur, anticonsubstantialiste
déclaré, semble se rattacher à l’école de Lucien ».
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 5
FAUT-IL ADMETTRE UNE VISITE ET UNE LETTRE DES PAUL
AUX CORINTHIENS ENTRE LES DEUX ÉPITRES CANONIQUES ?
La seconde épître aux Corinthiens nous fournit des renseignements
précieux sur l’évangile de Paul, sur son fondement, son but et son
efficacité morale. D'autre part, il n’y en a pas de plus personaelle ;
il o'y en a pas qui mette mieux en lumière les multiples aspects de la
riche individualité de l’apôtre, son ardente charité et ses violentes
colères, son constant inté. êt pour toutes les choses de la terre et en
même temps sa parfaite initiation aux mystères de la vie supérieure.
Paul et sa religion ne font qu'un : il vit en elle, elle vit en lui.
L'analyse de l’épitre révèle assez facitement ses intentions. La
première partie est apologétique et regarde le passé : dans les sept
premiers chabitres, l’apôtre raconte sa vie et répond aux accusations
d’inconstance, de fausseté et d’arrogance que des esprits malveillants
ont répandues contre lui. La seconde partie est parénétique et con-
cerue le temps présent : dans les chapitres huit et neuf, Paul recom-
mande les collectes en faveur de la communauté de Jérusalem. Entin,
la dernière partie est polémique et prépare l'avenir : Paul attaque
directement ses adversaires et les menace des graves châtiments que
son autorité apostolique lui donne le droit de leur infliger.
Les difficultés ne commencent vraiment que lorsque l’on veut décrire
daos le détail la situation de l'église de Corinthe entre les deux épîtres
canoniques, et préciser les évéuements qui ont motivé la seconde. Il
s’agit en particulier de savoir si pendant ce laps de temps, il ne faut
pas placer une courte visite de Paul aux Corinthiens, et en vutre une
lettre perdue. La question a son importance au point de vue historique,
pour la connaissance des troubles de Corinthe, et au point de vue
exégétique, pour l'intelligence de la seconde épitre ; mais elle est une
des plus ardues qu'ait à résoudre la critique littéraire du Nouveau
Testament. Elle a suscité d'innombrables essais de solution, et est
encore aujourd’Aui un objet d'étude, sans qu'il en résulte d’ailleurs le
moindre risque pour l'authenticité 1e la seconde aux Corinthiens.
Nous voudrivus, Sans entrer dans le dédale des explications pro-
posées, sans parler des critiques qui se contentent du voyage inter-
médiaire ou de la lettre perdue, ou qui croient pouvoir retrouver
celle-ci dans la seconde aux Corinthiens, examiner brièvement les
arguments apportés dans le débat par les partisans des deux inter-
médiaires. Notre tâche sera grandement facilitée par l'excellente
monographie du D" Golla qui à ramené notre attention sur ce sujet
très ancien mais toujours nouveau (1).
Proposée d'abord par Weizsäcker, l’hypo'hèse d'une visite et d’uve
lettre intermédiaires est admise, avec des modalités diverses, par un
(1) Dr Ep. GoLLa, Zwischenreise und Ziwischenbrief. (Biblische Studien.
Band XX, Heft 4.) Fribourg, Herder, 1922. xn1-110 p. Fr. 7,50.
Re <<
S. PAUL ET LES CORINTHIENS. 6?
gd nombre d’auteurs dont voici les principaux : Pfleiderer, Jülicher,
it, Clemen, Bachmann, Feine, Bousset, Lietzmann, Schlatter,
&r'ier, Steiomann, Robr, Meinertz. Elle fut combattue par Bauer,
Wess, Zahn, Heiorici, Weber, Bisping, Belser, Gutjahr, Maier,
Nckenberger. Le D' Golla arrive lui-même à la conclusion que ni
te visite ni cette lettre ne s'imposent.
Pour l'intelligence de ce qui suit, il ne sera pas inutile de remonter
qu'a la première épiître aux Corinthiens et de se rendre compte de
1stuation qui la provoqua et des résultats qu'elle obtint.
Ares les troubles qui accompagnérent sa fondation et qui forcèrent
à Paul à quitter la ville, l’église de Corinthe paraît avoir joui de la
ärextérieure ; au moins, nous ne trouvons plus de trace de persécu-
tons que les chrétiens auraient eu à subir à cause de la foi nouvelle.
Ue cité opulente, adonnée au commerce et au plaisir, s'intéresse peu
x choses de la religion et tolère plus facilement les sectes. Le pro-
nasul Gallion se montrait indifférent vis-à-vis des disputes juives et
‘s controverses légales. Entin, la conversion de personnages impor-
ats, com e Crispus, Sosthènes, Eraste, Cajus, la famille de Chloes,
oiférait à la communauté naissante un certain prestige et la couvrait
jar le fait même d’une protection efficace. Mais la situation intérieure
“ l'église était loin de répondre à la considération dont..elle jouissait
ü dehors. Les factions la déchiraient, les mœurs païennes revivaient,
k: judaïsants mipaient l'autorité du fondateur, des abus s'étaient
ttroluits dans la célébration de la cène et dans l'exercice des
rismes, des doutes s'intiltraient touchant le sort des défunts et la
*urrection des morts. S. Paul fut instruit de cette situation de diffé-
“otes manières. Les relations étaient faciles et fréquentes entre
corinthe et Éphèse où l'apôtre séjournait alors. Apollo et les gens de
2 Chloes purent le renseigner non seulement sur l'existence des
“eries, mais aussi sur les autres abus. Toujours est-il que Paul
<rivit aux tidèles de Corinthe une première lettre qui ne nous a pas
*é conservée, et où il leur disait, entre autres choses, de fuir la société
xs fornicateurs (I Cor. v, 9). Il leur envoya aussi son disciple
Timothée avec la mission de porter remède aux maux dont souffrait
lise (1 Cor. 1v, 17 ; xvi, 10). Bientôt, la présence à Eplèse de trois
“légués de Corinthe, Stephaous, Fortunatus et Achaïcus permit
aiore à Paul de se documenter plus complètement. Ces chrétiens
‘ent probablement aussi les porteurs de cette lettre perdue où les
titles de Corinthe demandaient à l'apôtre certaines précisions au
jet de la fréquentation des paiens (I Cor. v, 9), du mariage (vu, 1),
k la virginité (vir, 25), de l'usage des idolothytes (vir1, 1), des cha-
smes (x11, 1) et des collectes (x vi, 1).
Muni de ces renseignements, pressé de ces questions, ému d’ailleurs
de la gravité de la situation, Paul crut ne pas devoir attendre l'arrivée
de Timothée à Corinthe, et écrivit immédiatement uotre première
êttre canonique. Comment cette épitre parvint-elle à destination ?
68 MÉLANGES.
Les trois délégués de l’église en furent-ils les porteurs ? S. Paul ne
les retint-il pas plutôt auprès de lui jusqu'au retour de Timothée,
afin de pouvoir leur communiquer des décisions pratiques ? Il semble
bien, en tout cas, que l’apôtre fut mis au courant par ‘Timothée des
résultats obtenus par la première aux Corinthiens. On a nié, il est
vrai, que Timothée, parti avant l'envoi de la premivre lettre mais
devant arriver après elle, ait poussé son voyage jusqu’à Corinthe et
par conséquent ait pu renseigner Paul sur les effets qu'elle produisit.
Les Actes des Apôtres ne parlent que d’un voyage de Timothée et
d'Eraste en Macédoine (x1x, 22); Paul ne fait aucune allusion aux nou-
velles apportées par Timothée ; même, il semble douter que Timothée
arrive jusqu'à Corinthe : "Ex d: £20n Tiucbsos… (1 Cor. xvt, 10). Il est
certain cependant que Paul envoya son disciple jusqu’à Corinthe
(1 Cor. 1v, 17), qu'il donna des instructions sur la manière de le rece.
voir (Xvi1, 10), eutin qu'il se l'associa dans l'inscription de la seconde aux
Coriathiens (1, 1), laissant ainsi suflisamment enteudre que ‘Timotuée
était au coucant de la situation de l'église. Celle-ci avait eucore ses
taches et ses ombres. Malgré les sévères avertissements de l’apôtre,
certains continuaient à lui résister et à combattre sun autorité. D'ail-
leurs, plusieurs des abus déjà dénoncés réapparaissent encore dans la
seconde lettre : Nolite jugum ducere cum infidelibus (II Cor. vi, 14).
C'est au reçu de ces nouvelles que l'apôtre, d'après de nombreux
critiques, aurait cru nécessaire de gagner immédiatement Corinthe par
la voie maritime. Cette courte visite elle-même n'aurait pu rétablir
l’ordre : les menaces restaient vaines et les exuortations sans fruit. Les
meneurs pensérent un moment l'enporter ; Paul se vit même publique-
ment insulte et dut regagner précipitamment Ephèse... Voici les argu-
ments qu'un apporte pour établir ce voyage intermédiaire entre les
deux épitres :
Déjà avant la première aux Corinthiens, Paul avait manifesté le
désir de les visiter. Dans celle-ci, il leur fait part de son intention de
passer l'hiver chez eux en venant de Macédoine, et non plus de les voir
en passant comme il le leur avait dit autrefois, peut-être dans la lettre
perdue : où Léo yàp dus dort ëv Rapédw ideiy (1 Cor. xvi1, 7, cir XVI,
3-0 ; 1V, 18-19 ; x1, 31). Avant la secouue lettre, il dut modifier quelque
peu ses projets de voyage, et se proposa alors de les voir deux fois
avant de gagner la Judée, en allaut en Macédoine et en en revenant
(II Cor. 1, 15-16). Ce second projet non plus n'avait pu étre exécuté
jusqu'ici, au moins totalement. De là, les accusations de légèreté et
d’inconstance formulces à l'adresse de Paul par ses adversaires.
L'apôtre y répond dans la seconde aux Corinthiens. S'il n’est plus
revenu à Corinthe, c’est par méuagement pour eux : "Ey dE uxprupx
rüy Yeby Eruka douar Ent Thv Eury VUyhv, ÔTL GEUVGUEVOS Uudy oUxETL 1, AÜcy
ets Kocboy (11 Cor. 1, 23) J'ai résolu en moi-méme ceci, leur écrit-il
eucure, de De pas veuir vers vous une secuude fois dans la tristesse :
érpiva de épaur® Todre, Tô un nav Ev mn npos ua E/Beiy (II Cor. 11,
ere
RER à SU RE cm, ES
8. PAUL ET LES CORINTHIENS. 69
D. 1 faut très probablement rattacher m&luv à év Aümn, de sorte que le
es n'est pas : Je n’ai pas voulu que ma seconde visite chez vous se fit
äns la tristesse, mais bien : J'ai décidé de ne pas vous visiter une fois
4 :lus dans l’affliction. Il y eut donc déjà un voyage à Corinthe qui se
it iaos l’affliction. Cela ne peut être dit purement et simplement du
«jour d'évangélisation, qui, d'une manière générale, à en juger par le
rit des Actes, fut heureux et consolant ; en tout cas, les causes de
sesse ne vinrent pas à S. Paul du côté des tidèles de Corinthe. Il
‘agit donc d’une visite à placer entre le séjour de fondation et la
=ode épître. Mais on ne peut la situer avant la première lettre.
‘emment aurait-on pu alors répandre le bruit que Paul remettait
krjours son voyage à Corinthe parce qu’il n’osait plus y revenir
(Cor. 1v, 18) ? Et surtout, comment expliquer que la première lettre,
“crie d’allusions à la tournée d'évangélisation, ne fasse pas la
“indre mention d’une seconde commoralio corinthiaca. Il ne reste
koc plus qu’à intercaler ce voyage entre les deux lettres canoniques.
Cet argument serait cependant insuffisant s'il n’était corroboré par
‘autres indices. Mais, dans II Cor. x11, 20-21, Paul exprime la crainte
ua son arrivée il ne trouve pas les Corinthiens tels qu’il les veut, et
ne lui-même soit trouvé différent de ce qu'ils désirent ; il redoute que
h visite qu’il leur fera ne soit pour lui une nouvelle humiliation :
5 734% 2406705 uov Tatewon Le 6 Üeds pou TPS vus (x, 21). Ici
cure il faut joindre r4xÀw à raravoon. S. Paul fit donc déjà un
usage à Corinthe qui fut pour lui une humiliation, de même qu'il fut
cie atliction. Pour les raisons exposées plus haut, ce voyage doit être
:l*é entre les deux lettres. Il ne peut être question de la première
tsite de Paul à Corinthe, ni d’un court séjour avant la première lettre.
Dans II Cor. x11, 14 et x111, 2, S. Paul déclare que la visite qu'il se
“pose de faire aux Coriuthiens est la troisième qu’il leur rend. Voici
ju pour la troisième fois je vais aller chez vous et je ne vous serai pas,
:charge : "9cù roiroy rodro Erotuos Eye £)eiy npos dus (x11, 14). C’est
à troisième fois que je vais chez vous : Tpéroy roïro Écyouaœr nos duäs
“ui. 2). Il n’est guère possible d'entendre ces paroles d’un simple
irojet de voyage et de traduire : « voici la troisième fois que je me
ropose d’aller chez vous » et « à la troisième fois je viendrai certaine-
ment chez vous ». Non, il faut admettre deux voyages à Corinthe avant
æluj qui est annoncé. Entre le premier voyage d'évangélisation et le
‘rosième qui est décidé dans cette lettre, — ces deux visites sont men-
‘onées dans les Actes aux chapitres X VIII et XX —, il faut en placer
63 autre, celui dort parle II Cor. 11, et x11, 21, qui paraït avoir eu le
äaractére pénible d'une visite de correction, et au surplus, ne paraît
as avoir eu d'heureuses conséquences. Ce voyage s’intercale au mieux
tre les deux épitres canoniques.
Eotin, cette conclusion est confirmée par II Cor. x111, 2 : J'ai déjà
dit et je déclare d'avance, en ce moment où je suis éloigné de vous,
“mme lors de ma seconde visite, à ceux qui ont péché dans le passé
70 MÉLANGES.
et à tous les autres, qu'à ma prochaine visite je ne les ménagerai pas :
Tposipmxa xai Rpo}Ëye, &s Tapoy TO deurency al any vor. ITpceionxa
se rapporte à @s Tapiy 70 deurévoy et rpokyw à arc» vuy : la déclara-
tion présente se fait par lettre, Paul étant éloigné d'eux ; la déclaration
antérieure se fit de vive voix, Paul étant parmi eux pour la seconde fois.
On ne comprendrait pas que cette ‘seconde présence parmi eux fut une
présence fictive, Paul s'étant transporté au milieu d'eux en esprit en
écrivant la première aux Corinthiens, car à ce compte, il ne leur dirait
pas en leur écrivant maintenant : any voy. Cette seconde visite au
cours de laquelle Paul a menacé les pécheurs est évidemment la même
que celle dont parlent tous les textes déjà cités, 11, 1 ; XI1, 14 ; XII, 21 ;
x1n1, 1, c'est celle que Paul appelle une visite y Àvm, où Dieu l’humilia.
En plaçant ce voyage entre les deux épîtres, on est logiquement
amené à y situer aussi une lettre perdue. Il en est fait mention en
plusieurs endroits de la seconde aux Corinthiens.
II Cor. 1, 23-11, 9, Paul parle de cette visite promise et non rendue
dont il s’est dispensé par ménagement pour eux, pour ne pas les voir
une fois encore dans la tristesse. Il remplaça ce voyage par une lettre
véhémente où il prenait les Corinthiens sévèrement à partie : «Et je
vous écrivis cela, afin de n’être pas affligé en allant chez vous par ceux
qui devaient ne me causer que de Ja joie. C’est en effect dans un grand
trouble et une grande angoisse de cœur que je vous écrivis et au milieu
d’abondantes larmes, non pas pour vous afifliger, mais pour vous faire
connaître l'affection profonde que je vous porte... Je vous avais écrit
pour voir, en vous mettant à l'épreuve, si vous étiez obéissants en
toutes choses. »
S. Paul revient encore à cette lettre au chapitre vir, 8, 12 : « Si je
vous ai attristés par ma lettre, je ne le regrette pas, et si je l'ai
regretté — car je vois que cette lettre vous a momentanément con-
tristés — je me réjouis maintenant, non pas que vous ayez été
attristés, mais que votre tristesse vous ait portés au repentir.… Si je
vous ai écrit, ce n’était ni à cause de l’offenseur, ni a cause de l'offensé,
mais afin de donner à votre attachement pour nous l’occasion de se
manifester devant Dieu ».
Cette lettre douloureuse, composée dans l'angoisse et les larmes,
pour éprouver les Corinthiens, suivit de peu ce séjour pénible et
humiliant dont nous avous parlé. Elle tenait lieu d’une nouvelle visite
que Paul redoutait. On pourrait difficilement la reconnaître dans notre
première épitre canonique : celle-ci ne remplace pas un voyage, ne fut
pas motivée par une injure faite à S. Paul, ne peut être dite composée
dans l’angoisse et les larmes. Eile est grave et pressante, sans doute,
mais Paul l'écrivit d’une main calme et d'un esprit tranquille. Il serait
vain aussi de vouloir retrouver cette lettre terrible, ainsi qu'on l’a
appelée, dans certains chapitres de notre seconde aux Corinthiens.
Elle fut écrite entre les deux épitres, peu après le voyage intermé-
diaire, mais ne nous est pas parvenue,
OO OO ÉÉÉÉRNÉÉÉÉNNÉNÉÉÉÉNÉ
S. PAUL ET LES CORINTHIENS. 71
S. Paul attendait avec anxiété des nouvelles de ce message qu'il
irait confié à Tite. Quittant Éphèse, il se rendit à Troas avec l'espoir
dr rencontrer son fidèle disciple. Ne l'y trouvant pas, il poussa jus-
qu'en Macédoine et eut entiu la consolation de le revoir. Les nouvelles
-tiient meilleures : Tite fit part à l’apôtre des sentiments des Corin-
tliens à son égard. La lettre les avait affligés, sans doute, mais d’une
añiction salutaire, d'une tristesse selon Dieu qui ramenait la crainte
& le repentir et l'attachement à Paul (II Cor. 11, 12-13; vir, 5-11).
L'orfenseur était désavoué par le plus grand nombre des chrétiens qui
svatraient ainsi finalement n'être impliqués en rien dans cette affaire.
La lettre intermédiaire avait donc atteint son but. Bien des choses
cependant restaient encore à régler. Une fraction au moins de la com-
zunaute n’était pas fermement revenue à Paul, et tous ses adversaires
n'avaient pas désarmé. C'est ce que montre abondamment la seconde
énitre aux Corinthiens.
L'histoire des relations de Paul, avec l’église de Corinthe pendant
le laps de temps qui s'écoule entre les deux lettres est bien décrite par
A. Sabatier à la suite de Weiszäicker : « Timothée, envoyé à Corinthe
rur réduire les récalcitrants, avait piteusement échoué. Paul s’y
rend alors dans l'espoir de rétablir l’ordre, mais lui aussi éprouve un
échec ; Sa parole est impuissante ; ses ennemis triomphent. Il est
publiquement insulté et doit regagner Ephèse, l’âme accablée d’une
tristesse apostolique où la colère se mêle aux regrets. D’'Ephèse, il
repread la lutte, il adresse aux Corinthiens une lettre terrible dont,
un moment, il regretta les termes excessifs, et il envoie Tite dont
l'esprit conciliant et la grande autorité personnelle pouvaient amener
un revirement. La lettre de Paul, appuyée de la parole de Tite, pro-
voqua chez les Corinthiens un réveil touchant d'affection et de recon-
naissance. La majorité de l’église, dans une assemblée solennelle,
condamna l’homme qui avait insulté l’apôtre et décida de lui envoyer
rar écrit et par l'intermédiaire de Tite, des excuses et des témoignages
on équivoques de regrets pour le passé, d'affection chaleureuse pour
le présent, de confiance pour l’avenir » (L’Apôtre Paul, p. 172-173).
Il y a une part de conjecture dans cette reconstitution historique.
Mais, s’il est permis de dire avec le D" Golla que ni la visite ni la
lettre ne sont suffisamment démontrées, et que tous les indices relevés
sont susceptibles d’une autre interprétation, il n’en reste pas moins
vrai qu'ils font une grande impression par leur nombre ct par leur
cou-ordance, et qu’il ser. it exagéré de reproduire à leur adresse le
jugement radical émis naguère : « Sur ce voyage de Paul à Corinthe,
on a bâti un petit roman dont les détails varient selon Le goût et l’ima-
givation des critiques... Ces ingénieuses fantaisies ne vaudraient pas
la reine qu'on les mentionne sans la notoriété des noms dont elles se
couvrent ». E. Tosac.
COMPTES RENDUS.
H. LEISEGANG. Pneuma Hagion. Der Ursprung des Geistbegriffs der
synoptischen Evangelien aus der griechischen Mystik. (Verôffent-
lichungen des Forschungsinstituts für vergleichende Religionsge-
schichte an der Universität Leipzig. N. 4.) Leipzig, Hinrichs,
1922, In-8, vi-150 p. Fr. 11,50.
Le titre de cet ouvrage en indique exactement le contenu. L'auteur,
qui a publié en 1919 une importante monographie sur le concept
« d'esprit » dans les écrits de langue grecque de l’époque hellénique,
cherche maintenant à déterminer la signification du même terme dans
les évangiles synoptiques et tâche de prouver qu'elle dérive de cette
mystique grecque, qu’il a précédemment étudiée. |
En lisant les synoptiques, M. Leisegang a rencontré le terme
«esprit » en six endroits différents, à savoir : dans les récits de la con-
ception et de la naissance virginales de Jésus, dans la description du
baptême de Jésus, dans la prédication de saint Jean-Baptiste touchant
le futur ministère de Jésus Messie, dans les disputes des Pharisiens
avec Jésus au sujet de la délivrance des possédés, dans les promesses
de Jésus à ses apôtres, enfin, dans la première des huit béatitudes rap-
portées par saint Matthieu.
Le Saint-Esprit apparaît pour la première fois dans les évangiles
pour annoncer et opérer la conception virginale de Jésus. En exégète
indépendant, M. Leisegang ne croit pas à la réalité de ce fait suruaturel,
qu'il traite de mythe habilement rédigé et cru naïvement par les pre-
mières communautés chrétiennes.
Les critiques rationalistes ont voulu rapprocher l'évangile de
l'enfance des mythes de toutes les religions, des spéculations de toutes
les théosophies. M. Leisegang estime ces rapprochements manqués. Il
veut, pour sa part, limiter le terrain des recherches et des compa-
raisons aux seuls documents émanant des milieux helléniques, mais
il croit y avoir trouvé les éléments, qui expliquent l'élaboration de ces
prétendus récits mythiques des évangiles. A l’en croire, à l’époque du
Christ, le thème d’une conception virginale était fort répandu dans le
monde grec et romain : dans les croyances du vulgaire, les récits de
la mythologie, l’enseignement de la mystique et les spéculations de la
théosophie.
M. Leisegang rappelle la crédulité des masses populaires grecques,
leur foi naïve à des grossesses surnaturelles, résultant prétendûment
de rapports sexuels entre vierges et mauvais esprits.
Plus importante est aux veux de l’auteur l'expérience mystique.
Sans compter les accointances profondes, qui semblent exister entre
ae CASSER EEE RE = ESP RRREne
Re 0e, à “ne.
qe PA
H. LEISEGANCG : PNEUMA HAGION. 73
l'sinct sexuel et les expériences mystiques, — l'auteur fait appel au
lime et au SCDS soi-disant primitif du mot « pneuma-esprit »
_ilest intéressant de noter que dans les milieux grecs le prophétisme
it naissance parmi les femmes, les ménades de Dionysos. Éprouvant
lps leurs états exstatiques des émotions violentes, elles les rappro-
“rent spontanément des douleurs et des commotions physiologiques
» l'enfantement et elles conçurent leur union avec la divinité
some un mariage et la réception du pneuma prophétique comme une
:“odation mystique. L'expérience religieuse alimenta les mythes :
-jxei à leur tour avivèrent le sentiment religieux; qui bientôt 8e
mijuisit dans les mystères païens en rites d'hiérogamie. L'auteur cite
%K textes, concernant la pythie de Delphes, les sybilles, les femmes
rnphetes des gnostiques et des mandéens, les initiées des mystères.
Cependant, continue M. Leisegang, s'il est vrai que les femmes- pro-
etes conçoivent par l'esprit, le fruit de ces conceptions n'est pas un
#fint mais un oracle divin. Il manque donc un élément essentiel
our qu'il y ait parallélisme avec les récits de l'évangile de l'enfance.
WU. Leisezang croit que d'autres sources suppléent à l'insuffisance de
ælles qu'il à jusqu'à présent étudiées et songe particulièrement aux
“cits de la mythologie ainsi qu'aux spéculations de la théosophie.
Parmi les thèmes mythologiques, qui doivent compter, l'auteur
siynale le récit de la conception virginale de Dionysos (Zeus et Sémélé),
& celui de la conception de Branchos (Helios- Apollon et Smikros).
Quant aux spéculations mystiques, c’est le juif Philon d'Alexandrie,
qui fournit la large part des prétendues analogies avec le thème de la
narration évangélique. L'auteur insiste Sur la croyance du philosophe
…lexandrin à la naissance surnaturelle des patriarches, 8es allégories
au sujet de la parthénogénèse des vertus, 8es spéculations touchant les
générations divines : Le Dieu suprême fécondant l'idée abstraite de la
virginité (Dieu suprême, Sagesse, Logos), le fruit de cette union
fécondant à sou tour les âmes qui sont vierges.
De l'avis de M. Leisegang, CES croyances multiples et hétérogènes,
tantôt allégoriques tantôt absurdes ou immorales, auraient inspiré les
écrivains sacrés et suffraient à rendre compte de l'élaboration de la
croyance chrétienne à la conception virginale de Jésus. S. Matthieu
e serait arrêté aux croyances vulgaires et admettrait la possibilité
de rapports sexuels entre vierges et purs esprits. S. Luc aurait dépassé
le niveau de la crédulité populaire en expliquant la conception de Jésus
au moyen du thème de la mystique et de la mythologie de Dionysos :
c'est-à-dire au moyen de l'esprit prophétique communiqué aux femmes-
prophètes, les rendant enceintes et mères d'un enfant divin, d'un fils
de Dieu. Enfin $. Jean aurait essayé de combiner les données de la
tradition et les spéculations de la mystique de Philon. Chez luiilny
a plus de « pneumä propbeticon » mais le « logos » philonien. Cepen-
dant au lieu de prècher le Logos comme le principe de la naissance
surnaturelle de Jésus, il à enseigné par une étrange confusion et une
74 COMPTES RENDUS.
fausse interprétation de la mystique de Philon que le Logos lui-même
s’est incarné (chapitre premier).
Le récit du baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain est, comme
l'évangile de l'enfance, un tableau mythique. Ce mythe nous a été con-
servé sous des formes diverses, qu’on peut ramener à six types prin-
cipaux : les récits des quatre synoptiques, celui de l’évangile aux
Hébreux et celui de l’évangile des Ebionites. Le thème fondamental a
été Le mieux compris par ce dernier évangile. Il exprime la réalité de la
nouvelle naissance surnaturelle et mystique de Jésus et des chrétiens.
Celle-ci est l’œuvre d’un Père divin (Zeus, Helios, le charpentier
suprême) et d’une mère céleste (Hera, Ourania, la « Source », la
colombe, l'esprit, Myria, Maria) : le fruit de leur union est l'être
spirituel, qui est descendu des cieux et est venu habiter en Jésus.
Ce thème d’une renaissance mystique et d’une triade divine est
d'inspiration hellénique et il a été parfaitement conservé dans les deux
évangiles apocryphes mentionnés et dauos les écrits gnostiques. Saint
Marc et saint Matthieu répugnent à l’insérer dans leur évangile, tandis
que saint Luc, le plus hellénisant des synoptiques, à été beaucoup plus
accueillant, toutefois sans avoir accepté le mythe dans son intégralité
(chapitre troisième).
Le Saint-Esprit apparaît encore dans la prédication de saint Jean
Baptiste. D'après saint Matthieu et saint Luc le précursear aurait
annoncé le baptême messianique par le feu et le Saint-Esprit.
M. Leisegang, qui s'appuie sur l'ignorance des joannites d'Ephèse
pour nier l’historicité de cette notice évangélique, croit contraire-
ment à l'avis de plusieurs exégètes, qu’elle ne contient aucune allu-
sion au jugement dernier, que les deux qualificatifs du baptême sont
synonymes, en d’autres termes, que saint Jean annonce le baptême
par le feu, qui est le Saint-Esprit.
Encore une fois l’auteur renvoie ses lecteurs à plusieurs soi-disant
analogies : les documents tigurés ct littéraires de la mystique
grecque, par exemple les Bacchantes de Dionysos, la prétendue
liturgie de Mithra, les conceptions de Philon d'Alexandrie, les mys-
tères de Jamblique. Tous ces documents prouveraient que, dans les
milieux grecs, l'esprit et le feu étaient étroitement associés et que
l'association de ces deux termes a influencé les traditions chré-
tiennes. Cependant le thème de l’esprit-feu appartiendrait à la
mystique vulgaire. Les penseurs et les mystiques raffinés comme
l'auteur du quatrième évangile auraient préféré assucier la lumière
et le Saint Esprit (chapitre deuxième).
Dans le chapitre quatrième, M. Leisegang cherche à déterminer
le sens et le teneur primitive des paroles attribuées à Jésus touchant
le blasphème contre le Saint-Esprit ainsi que leur parenté avec les
conceptions grecques.
Après avoir insisté à la suite de saint Augustin sur la difficulté
du passage, l’auteur institue la comparaison des synoptiques, dis-
H. LEISEGANG : PNEUMA HAGION. 79
tue deux traditions dans la transmission orale du logion, et
æc-lut avec W. Bousset à la priorité d'âge du texte conservé par
‘angile de saint Marc. Cependant, même sous la forme transmise
par la deuxième évangile, la parole du Seigneur aurait déjà été
s'erée et cette altération trouverait son expression précisément dans
L mention du Saint-Esprit.
M. Leisegang observe que tous les milieux juifs, aussi bien ceux de
h dispersion que ceux de la Palestine, attribuaient l'efficacité d’un
anrcisme à l’invocation du nom de Jahweh et qu’ils considéraient tous
“mme blasphème suprême l'outrage de ce nora très saint. Par contre,
d19s les milieux grecs la vertu du nom divin faisait place à celle de
l'esprit et les croyances du peuple y rapportaient la réussite des exor-
cismes à la puissance de l'esprit. |
L'auteur dégage de ces prémisses la conclusion qui suit : dans sa
forme originelle, le logion parlait d’un blasphème contre le nom de
Jahweh. Sous l'influence des croyances helléniques et de l’expérience
chrétienne, le nom de Dieu fut remplacé par l'esprit, la force mys-
térieuse qui enthousiasmait les diverses communautés chrétiennes. La
rarole de Jésus ainsi remaniée fut conservée par saint Marc et saint
Marthieu dans son contexte primitif ; elle fut transportée par saint Luc
en dehors de ce contexte et rapprochée d'une série de paroles qui
toutes se rapportaient à l'esprit (chapitre quatrième).
Le Saint-Esprit apparaît une dernière fois dans la Pentecôte chré-
tienne, qui est par excellence la manifestation de l'esprit et qui révèle
sa présence par l'enthousiasme glossolalique de la communauté.
D’après M. Leisegang, la glossolalie est décrite dans les Actes des
anôtres comme la prophétie des temps nouveaux, qui consiste à parler
des langues étrangères et dont la fonction providentielle est de coopérer
à la diffusion de l’évangile parmi les gentils. Tout autre serait le
tableau de cette manifestation de l'esprit si l’on prend comme point de
départ le chapitre quatorzième de la première épitre aux Corinthiens.
Cette lettre enseignerait la distinction adéquate entre le charisme de
la glossolalie et celui de la prophétie, subordonnerait le don des langues
à celui de prophétie, et donnerait comme raison de cette infériorité
l'absence dans les vociférations des glossolales de tout son intelligible,
voire même articulé.
Il va sans dire que M. Leisegang retrouve les traits historiques de la
glossolalie dans les épîtres de saint Paul. Le rédacteur des Actes aurait
empruoté à des légendes talmudiques le miracle des langues étrangères,
et l'aurait rapproché par une combinaison factice du baptême de
l'esprit.
Or, encore une fois, la glossolalie sous son aspect historique netrouve,
d'après M. Leisegang, aucun parallèle dans les documents de provenance
juive mais elle est parfaitement réalisée, quant à ses trois notes dis-
tinctives, par les fidèles inspirés de la mystique païenne, où le feu et
le souffle accompagnaient la venue de l'esprit,
76 COMPTES RENDUS.
Il reste à signaler la mention de l'esprit dans la première des huit
béatitudes de saint Matthieu et la suppression de ce terme dans le texte
parallèle hellénisant de saint Luc. D'après M. Leisegang cette omission
de l'esprit constitue en l'occurrence elle aussi uue preuve de l’infiltra-
tion hellénique dans le troisième évangile. Le texte de saint Matthieu
est primitif et signifie : bienheureux ceux qui se sont détachés des
richesses par l'indifférence du cœur ou de l'esprit. Saint Luc, au con-
traire, prise la pauvreté réelle et il enseigne la béatitude de ceux qui
vivent dans la misère ou ont volontairement embrassé la pauvreté. Dès
lors le texte de saint Luc exigeait la suppression du terme « esprit ».
M. Leisegang rappelle que les disciples de Cratès et de Diogène étaient
à cette époque les amants de Dame Pauvreté, et que par conséquent la
béatitude, sous la forme que lui a donnée saint Luc, est un écho de
l’enseignement des philosophes cyniques et stoïciens.
En résumé, tous les passages des évangiles, parlant de l'esprit, en
dehors de la première béatitude de saint Matthieu, qui manifestement
contient un hébraïsme, sont étrangers aux croyances juives mais rap-
pellent les conceptions grecques de l’époque hellénique, où l'esprit,
souffle et substance ignée, est à la fois principe de conception virginale,
de renaissance mystique, d'exorcisme magique, et d'enthousiasme
glossolalique. Le parallélisme entre les données des évangiles et celles
des écrits grecs contemporains est tellement apparent et constant qu'il
y a dépendance mutuelle ou plutôt dérivation d’une source commune :
la religiosité et surtout la mystique grecque de l’époque hellénique.
En résumant les différents chapitres de l’ouvrage de M. Leisegang,
nous nous sommes efforcés de saisir exactement et de reproduire
fidélement la pensée de l’auteur, sans porter un jugement sur les
conclusions de son étude. Il ne nous est d’ailleurs pas possible d’entre-
prendre ici la critique de chacune de ses aflirmations. Nous nous
contenterons d’anprécier d'une façon générale la méthode mise en
œuvre et les hypothèses soutenues dans cette monographie.
Sans doute faut-il reconnaître au travail de M. Leisegang une vaste
érudition et une originale synthèse. L'auteur a compulsé tous les
travaux qui pouvaient le renseigner et il a tenté une solution nouvelle
du problème qu'il abordait, à la lumière des seuls textes de la mystique
grecque paienne. M. Leisegang a bien fait de limiter ses recherches
aux sources juives et grecques. De cette façon il a ramené le débat sur
son véritable terrain et il a écarté d’un geste résolu tous les rapproche-
ments superficiels autrefois tentés par les certains spécialistes en
histoire comparée des religions.
Mais par ailleurs son ouvrage souffre d’un vice de méthode radical
et les hypothèses qu'il prétend établir ne nous semblent d'aucune facon
prouvées. Le vice de méthode que nous regrettons est l'acte de foi
rationaliste — s'il est permis de s'exprimer ainsi — à l'hypothèse de
l'évolutionnisme religieux et par conséquent à l'hypothèse des sources
purement naturelles de la religion chrétienne. Prendre ce postulat de
L. TODESCO : CORSO DI STORIA DELLA CHIESA. 71
h critique indépendante comme point de départ de ses recherches, c'est
"juger la solution du problème, c’est s'exposer à violenter les textes
au on doit interpréter.
Quant aux rapprochements tentés, M. Leisegang lui-même doit en
convenir, la terminologie des évangiles se rapproche plus des livres de
l'Ancien Testament que des documents grecs et la doctrine chrétienne
touchant le Saint Esprit s’en distingue par son originalité.
Cependant l’auteur croit écarter l’objection en affirmant qu'on a
versé dans les vieilles outres des formules juives un vin nouveau: le
rio de la mystique grecque, auquel l'expérience chrétienne a donné un
zût nouveau. Avouons que pour le cas présent c’est étrangement
déraisonner. Nous croyons au contraire que les divergences qui dis-
tinzguent les données chrétiennes des croyances gréco-romaines ne
reuvent être négligées et que les rapprochements entre l'Ancien et le
Nouveau Testament constituent une preuve de la révélation surna-
urelle et progressive d’ûün même Esprit.
Reconnaissons les mérites de l’érudit, corrigeons les conclusions de
l'historien et regrettons que l’auteur, qui s’était révélé philologue dis-
tingué, se soit aventuré sur le terrain de l’exégèse avec autant d’assu-
rance que de légèreté. J. CoPPENS.
L. Topesco. Corso di storia della Chiesa. Vol. I : 1 primi 500 anni.
Turin et Rome, P. Marietti, 1922. 1n-8, vin-388 p. L. 15.
Le D" L. Todesco, professeur au séminaire de Padoue, se propose de
publier un cours complet d'histoire ecclésiastique en cinq volumes :
le premier, paru en 1922, retrace la fondation de l’Église et sa diffusion
jusqu'à l’époque de Constantin ; les deux suivants comprendront l’his-
toire de l'Eglise au moyen âge ; le quatrième sera consacré à la
Renaissance et à la Réforme ; entin le cinquième traitera de l'Eglise à
l'époque moderne et contemporaine.
Dans l'introduction au premier volume (p. 45), M. Todesco critique
fortement les divisions uniformes des matières que les auteurs récents
adoptent généralement pour chaque période de l’histoire : diffusion du
christianisme, rapports entre l'Église et l'État, écrivains ecclésias-
tiques, hérésies, discipline, etc. Appliquées invariablement à toutes les
périodes de l’histoire ecclésiastique, elles empêcheraient de voir les
différences souvent profondes qui caractérisent les situations succes-
sives de l’Eglise. Elles auraient, en outre, l'inconvénient de trop mor-
celer ce qui était uni dans la réalité, p. ex., les faits et gestes d’un
même homme, et de ne présenter ainsi que des tableaux incomplets et
sans vie des événements du passé.
Ces objections de M. T. ne sont pas sans fondement ; en particulier,
l'histoire des trois premiers siècles de l'Église pe se prête pas facile-
ment aux divisions indiquées. Mais on aurait tort, à notre avis, de trop
18 COMPTES RENDUS.
insister sur ces objections sans considérer les nombreux avantages que
présentent des divisions logiques pour mieux grouper et pour exposer
plus clairement les idées et les faits, rangés habituellement sous Îles
différentes rubriques de l'histoire spéciale.
Quoi qu'il en soit, M. T. divise son premier volume en deux parties :
la première nous fait connaître, d’après l'ordre strictement chronolo-
gique, la fondation de l'Eglise et sa premiére diffusion, les persécutions
qu’elle à subies et les hérésies qu’elle a combattues ; la seconde
(p. 243 svv.) examine, d'aprés un ordre plutôt logique, les problèmes
touchant la hiérarchie, les pères et les écrivains ecclésiastiques, le
culte et la discipline, les basiliques, les esclaves.
M. T. s'attarde longuement (p. 1-103) à décrire le milieu dans lequel
le christianisme a apparu, ainsi que l'activité des apôtres SS. Pierre et
Paul. Il veut apprendre à ses lecteurs les différentes explications de
l’origine du christianisme et de la fondation de l'Eglise. Cette partie
de l’ouvrage est forcément polémique ; mais on reconnaîtra volontiers
que l’auteur expose loyalement les théories des religionnistes et des
protestants. L'histoire des persécutions et des hérésies est reprise aux
principaux ouvrages qui ont été publiés sur la matière. De même, dans
la seconde partie, on trouvera, d’après les meilleurs historiens, un
exposé des problèmes indiqués. D'aucuns estimeront cependant que le
chapitre consacré aux « Pères » (p. 272 svv.) n'est pas à sa place dans
ce premier volume.
La documentation de l’auteur est très sobre, mais substantielle. Pour
certaines questions toutefois, des monographies très importantes ne
sont pas citées. L’exposé est clair, vif et agréable. Des discussions
plutôt longues qui encombrent le récit, auraient pu être imprimées en
petits caractères. L'aspect du livre y aurait gagné. À png Meyer.
G. GHeDini. Lettere cristiane dai papiri greci del III e IV secolo.
(Supplementi ad « Aegyptus o, serie divulgazione, sez. greco-
romana, n. 3. Pubblicazioni della università catt. S. Cuore,
sez. filologica, vol. I.) Milan, Via S. Agnese, 4, 1923. In-12,
xxvu1-876 p. L. 18.
Rechercher parmi les nombreux papyrus égyptiens publiés à ce jour
les premières lettres privées échangées entre chrétiens, les réunir en
volume et en présenter une traduction appuyée et éclairée par des
notes historiques et philoloziques, tel est le but qu'a poursuivi M. G.
en publiant l’ouvrage que nous sommes heureux de présenter aux
lecteurs de la Revue d'histoire ecciésiustique.
Une préfuce précise l'objet et les limites du recueil ; elle est suivie
de trois index : lettres recueillies, papyrus utilisés (d'après la collec-
tion à laquelle ils sont empruntés), ouvrages cités (1x-xxvir1). Une
Re ne
EE l
+ TS
G. GHEDINI : LETTERE CRISTIANE DAI PAPIRI GRECI. 79
istcduction soigneusement écrite précise quelques notions d'histoire
l‘traire et met en ordre, sous diverses rubriques, les renseignements
bWurns par ces textes sur les phénomènes littéraires particuliers
quil: présentent, et sur le milieu social d’où ils émanent. Un
irmer paragraphe rappelle au lecteur l'existence, dans la xoœm
“sos, de deux courants, le langage littéraire et le langage de la
«aversation, et rattache à ce dernier la langue de ces premières
kttres chrétiennes (p. 1-43). Le corps de l'ouvrage réunit 44 documents
Jotjets et de provenance divers, échelonnés entre la tin du deuxième
ile et le début du quatrième, et trahissant, à des degrés différents,
ce origine chrétienne (p. 44-286). Viennent ensuite dés observations
rammaticales sur leur langue (287-327). L'ouvrage se termine par
maitre nouveaut index, des noms (de mois, géographiques, divins, de
“rwnnes), des mots, des citations bibliques, des matières principales
tuchées par les documents publiés ou traitées par l’auteur dans le
œurs du volume (331-376). M. G. n’a rien négligé.
Disons un mot des parties centrales de l’ouvrage. En tête de chaque
dcument, M. G. place des indications sommaires qui en fixent la
rrorvenance et la date et signalent, en même temps que les collections
äans lesquelles il se trouve déjà publié, les travaux ou notices dont il
à pu étre l’objet ; elles sont suivies d’une courte introduction sur son
“optenu, son style, son caractère chrétien, ses auteur et destinataire.
Puis vient le texte avec un apparat critique ; en principe, il est repro-
duit dans sa teneur originale, sauf les restitutions nécessaires ; l’apparat
‘ritique redresse les graphies défectueuses, ou encore, avertit des
kgeres corrections déjà effectuées dans le texte. Suit, en troisième
Leu, une traduction italienne de la pièce. Enfin, on trouve, ligne
rar ligne, des notes historiques et un commentaire philologique très
burni, où les phénomènes attestés sont mis en rapport avec les faits
amilaires observés dans d’autres pièces du recueil, dans d’autres
-apyrus ou dans les textes classiques. M. G. n’a pas craint les nom-
reux détails et les références multiples ; il a consacré à la rédac-
‘on de ce commentaire un temps et des recherches qu'il est sans
doute seul à savoir, mais ce n’est pas non plus la partie de son travail
‘ue le lecteur appréciera le moins.
Les observations grammaticales seront particulièrement remarquées
des philologues. Suivant les divisions systématiques de la grammaire,
M. G. y a classé avec un vrai luxe de détails, exemples et références,
ous les phénomènes phonétiques (p. 289-305), morphologiques (p. 306-
3%) et syntaxiques (p. 310-327) rencontrés dans les 44 documents
publiés. Il y a dans ces trente pages toute une grammaire de la xoun
‘ulgaire !
[ nous a suffi de détailler le riche contenu du petit volume de M. G.
our en faire apparaître tout le mérite. Avec le charme d'un ouvrage
ecrit « con amore », les Lellere cristiane ont l'avantage d’avoir été
rassemblées par un philologue d’une compétence avertie et dont le
80 COMPTES RENDUS.
patient effort a atteint, pensons-nous, toute la précision scientifique
souhaitable. Elles distancent aisément des recueils analogues, très
appréciés pourtant, tels que les Selections from the greek papyri de
G. Milligan (Cambridge, 1912); on en sera persuadé en comparant
dans les deux ouvrages le commentaire philologique consacré à une
même pièce, p. ex., le pap. Oxyr. 939 (Milligan, p. 128-130 ; Ghedini,
p. 229-234). M. G. a empruté les documents qu'il publie à une époque,
un pays et un milieu social bien attachants ! Aussi ne sont ce pas
seulement ceux qui s’adonnent aux études techniques du grec post-
classique qui lui seront reconnaissants d'avoir ainsi réuni un ensemble
de textes d'une consultation aisée et si instructive ; tous ceux qui
prêtent intérêt à l’histoire de l'ancienne littérature chrétienne lui
sauront gré d’avoir rassemblé et mis dans tout le relief désirable ces
lettres que les petites gens de l'Egypte des r11° et rv° siècles, chrétiens
des temps lointains des persécutions, s'écrivaient sur des sujets bien
familiers sans doute, mais dans le rayonnement spirituel de cette
Alexandrie que des textes du début du vi* siècle se plaisent à appeler
« la grande ville qui aime le Christ, la maison des doctrines de la
piété et de la pureté des enseignements divins! » R_ DRaAGUER,
Dom H. QuEnTIN. Mémoire sur l’élablissement du texte de la Vulgate.
4e partie : Octateuque. (Collectanea biblica latina. Vol. VI.) Rome,
Desclée, et Paris, Gabalda, 4922. xvi-520 p. F. 50.
Le VI° volume des Collectanea biblica latina est constitué par un
mémoire important, dédié au Souverain Pontife Pie XI, sur l’établisse-
ment du texte de la Vulgate. Dom Quentin, bénédictin de Solesmes et
membre de la commission pontiticale pour la révision de la Vulgate, y
condense les résultats de quinze années de labeur. C’est un ouvrage
admirable de patience dans les recherches ct de clarté dans l'exposition,
magnifiquement imprimé, malgré la permanence d'erreurs typogra-
phiques assez nombreuses, et surtout superbement illustré. On y
trouvera une collection de reproductions de manuscrits, le plus souvent
inédites, et qui forment une véritable petite paléographie de la Vulgate.
Une bonne table analytique des matières et des conclusions nettement
formulées facilitent, après la lecture, le coup d'œil synthétique et
récapitulatif qu'on doit nécessairement jeter sur l’ensemble de l'œuvre
si l’on veut garder le souvenir exact de sa structure.
Ce premier volume n’étudie l'établissement du texte de la Vulgate
que pour l'Octateuque ; un autre sera consacré au classement des
manuscrits pour le reste de l’Ancien Testament. La division adoptée,
dit Dom Quentin, est non seulement une commodité, elle apparaît
comme une nécessité si l’on a présente à l'esprit la physionomie parti-
culière de la traduction de l'Ancien Testament par S. Jérôme. Celle-ci
E. QUENTIN : MÉMOIRE S. L'ÉTABLISSEM. DU TEXTE DE LA VULGATE. 8l
wanque d'unité. Les livres se suivaient sans ordre au gré des circon-
sances ou des demandes d'amis. Le Pentateuque, les livres de Josué,
es Juges et de Ruth furent les derniers traduits entre 398 et 405. Il
en est résulté que ceux qui voulurent, aux siècles suivants, former des
Bitles complètes avec les livres de la version hiéronymienne, durent
en recueillir de divers côtés les éléments épars et s'adresser pour cela
à des traditions différentes. De là, de sensibles variantes dans les rap-
ports des exemplaires de la Vulgate entre eux, et cette conséquence
qu'an classement des manuscrits obtenu pour un groupe de livres, en
tue de l’établissement et de l’histoire. du texte, ne vaut pas HRONEEUÉe
ment pour un autre groupe.
L'auteur n’a pas étudié uniformément tout l'Octateuque. Pour pouvoir
s'appuyer sur des observations minutieuses et poussées à fond, il a
choisi huit chapitres, un pour chaque livre, de préférence au commen-
œment des livres, afin de pouvoir les trouver plus facilement dans les
mss, sauf pour la Genèse dont le début est souvent mutilé dans les mss
bibliques (Genèse, xvur1; Exode, 11; Lévitique, v ; Nombres, vi;
Deutéronome, 11; Josué, 11; Juges, 11; Ruth, 11). Ces huit chapitres
furent collationnés sur 70 mss et 49 éditions, en prenant pour texte la
Vulgate clémentine, et la première partie du mémoire fournit à leur
sujet un important matériel de variantes destiné à faire connaître la
tradition manuscrite et imprimée de l'Octateuque, car les résultats
cbtenus par cette série de sondages entrepris de distance en distance
vaudront pour l’ensemble du groupe. Il aurait valu mieux, nous
semble-t-il, rapprocher cette première partie de la troisième où l'on
procède au classement des manuscrits utilisés.
En effet, la seconde partie est d’un caractère plus général : elle décrit
les différentes étapes parcourues par la critique d'édition relativement
à la Vulgate et expose son état actuel. Forcément moins originale,
elle contient cependant beaucoup de détails nouveaux, et est en tout
cas, pour les profanes de la critique textuelle, la plus instructive et la
plus intéressante : c’est un chapitre important de l’histoire de Ja
Vulgate. Nous apprenons que les éditions imprimées de 1450 à 1511 ne
sont d'aucune utilité pour la critique du texte. Elles dépendent à peu
près toutes de la Bible de 42 lignes qui reproduit Le texte très répandu
et sans valeur de l’université de Paris. Les Bibles imprimées de 1511 à
159 restent encore souvent dans la même tradition, ou bien ne citent
pas leurs manuscrits, ou bien s'appuient sur un matériel que nous
possédons encore aujourd'hui. Nous disposons encore aussi des mss
utilisés par les commissions romaines qui, à la suite du concile de
Trente, préparèrent les éditions officielles de l'Eglise. Mais si elles ne
peuvent servir à l'établissement du texte de la Vulgate, les éditions
imprimées sont très importantes pour l’histoire du texte, car elles
forment le pont qui relie la sixtine et la clémentine aux mss du xin®
et du xiv° siècle.
XEVUE D'HISTOIRE BCCLÉSIASTIQUE, XXe 6
89 COMPTES HENDUS.
L'histoire de la sixtine et de la clémentine a soulevé des questions
passionnantes et suscité d'âpres querelles. Ayant suivi jadis ces contro-
verses d'assez près, nous étions curieux de connaître le jugement de
l’auteur sur l'édition de Sixte-Quint et sur l'attitude de Bellarmin dans
sa préface à la Bible clémentine. « Sixte V se piquait d’être un grand
éditeur de textes. Il avait commencé, étant simple Frère Mineur, une
édition des œuvres de saint Ambroise qu'il continua lorsqu'il fut devenu
cardinal et dont le sixième et dernier volume in-folio ne parut qu'après
son élévation au Souverain l’ontificat. C'est malheureusement la plus
mauvaise des é1iitions existantes, un chef-d'œuvre de l’Ars crilica qui,
aux leçons des manuscrits, substitue les conjectures les muins fondées.
Un trait caractéristique du tempérament autoritaire de Sixte V est
la mesure qu’il prit des qu’il fut pape pour rendre obligatoires les
citatious de son saiut Ambroise » (p. 181).
« Si le pape Sixte V avait accepté la très considérable série de
corrections proposées par la commission du cardinal Carafa, il aurai
publié une édition satisfaisante de la Vulgate » (p. 190).
«Ce texte (préface de l'édition clémentine) a fait couler des flots
d'encre et les adversaires de Bellarmin n’ont pas assez de mots pour
blâmer ce qu'ils appellent son insincérité. Il est certain, il faut le
reconnaître, que toutes les apparences portent à croire que nous
sommes ici en présence d’un expédient imaginé pro dignitate Sedis
Apostolicae servanda, comme écrit Rocca. Néanmoins il reste une faible
possibilité pour que Sixte V qui, on le sait, travailla jusqu'au dernier
jour de sa vie à purger sa Bible des fautes d'impression qu’elle con-
tenait, ait laissé échapper quelque parole recueillie par ses familiers,
dont était Angelo Rocca, et donnant à penser qu'il avait en vue une
1éédition. Quoi qu’il en soit il a fallu toute l’âäpreté des discussions
soulevées autour de la cause de béatitication de Bellarmin, pour donner
à ce point de l’histoire de la Vulgate l'importance qu'il a prise et
conservée jusqu'à nos jours, comme il a fallu l’ardeur des luttes reli.
gieuses pour faire voir dans la bulle Aeternus ille de Sixte V autre chose
qu’une déclaration d'authenticité du texte au sens strictement cano-
nique du mot » (p. 200-201).
Où en est actuetlement la critique du texte de la Vulgate ?
« En résumé, nous sommes, gràce aux recherches de Samuel Berger,
très largement renseignés sur 1: matériel manuscrit de la Vulgate
pour les livres de l’Octateuque, mais la critique du texte est encore,
suivant l’expression de M. White, dans l'enfance : certains groupes de
manuscrits apparaissent, mais les rapports de ces groupes entre eux
restent obscurs Ce sera notre tâche u’essayer un classement d'ensemble
d’où l’on puisse tirer des règles générales pour l'établissement du
texte » (p. 208).
La troisième partie du mémoire est consacrée à la description, à
l'étude et au classement des 70 mss collationnés dans la premitre
partie. Vu la nature spéciale des mss bibliques, l’auteur a cru néces-
H. QUENTIN : MÉMOIRE S. L'ÉTABLISSEM. DU TEXTE DE LA VULGATE. 83
aire de leur appliquer une nouvelle méthode de classement. On
remarque, en effet, dans les manuscrits bibliques, contrairement à ce
qui se passe pour les martyrologes du moyen âge, à côté du soin avec
lequel on y transcrit le moindre iota, le zèle pieux avec lequel on les
corrige pour les ramener aux exemplaires les plus anciens. Une
fariante s’introduit-elle, tôt ou tard, elle est éliminée. Une omission
æ produit-elle, rapidement elle est comblée. Il en résulte qu'il ne faut
as chercher à les classer sur des observations à très longue portée,
mais plutôt sur des caractéristiques de diffusion restreinte dans le
ups et dans l’espace. Il est plus conforme à la nature des documents
étudiés de partir de quelque point de la tradition et d'aller pas à pas,
d'anneau en anneau, jusqu'à ce que dans tous les sens on ait reconstitué
chaîne entière. C'est pourquoi l’on adopte la comparaison des mss
par groupes de trois, en examinant les différentes éventualités qui
reuvent se produire, et en tirant les conclusions voulues sur les rela-
tions entre les mss, entre les groupes, avec l'archétype. La méthode
est appliquée d’abord, à titre d'essai, à un exemple théorique composé
par l’auteur, puis aux variantes des huit chapitres de l’Octateuque.
Mais quelles sont les variantes aptes à procurer un classement des mss?
Ce ne sont pas, au jugement de l’auteur, les particularités notables, les
lacunes ou les interpolations importantes, les variantes d’un intérêt
dogmatique, moral ou historique, mais les particularités sans éclat,
les variantes humbles, tout en étant réelles, qui n'avaient pas d'intérêt
pour le copiste et qu’il reproduisait sans y prendre garde. Ce ne sont
pas non plus les variantes à témoin unique qui peuvent servir à mani-
fester le caractère particulariste d’un manuscrit, mais qui sont inutiles
pour le classement. Ce ne sont pas même, à titre principal, les
variantes à témoins rares, précieuses cependant pour un premier
groupement, ce sont avant tout les variantes à témoins multiples sur
lesquelles les mss se divisent réellement. Passées à ce crible, les
variantes relevées dans la première partie pour les huit chapitres
étudiés, se réduisent au chiffre de 91. À l'aide de cet instrument de
classement, Dom Quentin peut aboutir, pour les mss de l’'Octateuque,
aux conclusion suivantes : Tous nos manuscrits de la Vulgate peuvent
& ranger en trois familles, les alcuiniens, les thévodulfiens et les
espagnols. En tête de ces trois familles, se trouvent trois manuscrits
privilégiés, l’Amiatinus, l'Oltobonianus et le Turonensis, dérivant à leur
tour d'un même archétype qui n'est pas encore l'original hiéronymien.
Dans l'établissement du texte, il faut abandonner le point de vue des
anciens éditeurs, qui pour le choix des leçons, s'appuyaient sur les
concordances avec le grec et l’hébreu ; la Vulgate ne peut être recon-
située que par le jeu des accords des manuscrits latins entre eux. On
adoptera pour l'archétype les leçons fournies par les trois manuscrits
nommés plus bàäut ou par deux d’entre eux. L'examen d'un grand
2ombre de cas a prouvé que les leçons résultant de l'application de ce
canon fondamental sont intrinséquement les meilleures.
81 COMPTES RENDUS.
Enfin, Dom Quentin donne en terminant une édition spécimen du
deuxième chapitre de l’Exode, faite d'après sa méthode et selon ses
principes, et munie d'un triple apparat critique. Le premier est avant
tout positif, il indique les variantes des trois principaux manuscrits,
et rend raison du texte adopté. Il devra surtout servir aux théologiens.
Le second, plutôt à l'usage des spécialistes, rédigé le plus souvent en
style négatif, fournit un relevé aussi complet que pussible des variantes
des autres manuscrits et permet ainsi l’histoire du texte, en faisant
connaître la série de ses déformations et leurs sources. Le troisième
apparat indique les divisions dont le texte a été l’objet au cours des
âges, depuis les cola et les commata jusqu'aux chapitres.
Nous avons résumé, aussi fidèlement que nous avons pu, cet intéres-
sant mémoire, mais uous n'avons pas assez mauié la critique d'édition
pour formuler un jugement personnel compétent sur la méthode et les
conclusions de l'auteur. 1l prévoit qu'elles seront critiquées ; aussi
tient-il à marquer qu'elles ne représentent que ses idées et n'engageut
ea rien la responsabilité de la commission puntficale. Il voudrait, avec
raison, que l'édition de la Vulgate fût d’une limpidité parfaite ; que l'on
sût toujours pourquoi telle ou telle leçon a été choisie; que ce choix
fût en outre soumis à des canons bien déterminés et connus de tous;
que le texte obtenu, enfin, fût vraiment le résultat du matériel existant.
Dans ce but, il propose une méthode qui part de collations minutieuses
pour aboutir à une règle de fer. Il reconnait qu'il engage la critique du
texte sacré dans une voie étroite, mais sûre, et éclairée par des prin-
cipes qui doivent satisfaire les juges les plus exigeants. Nous gardons
cependant l'impression que La méthode adoptée est trop mécanique et
trop simpliste, et un de ces juges exigeants, Dom Donatien De Bruyne,
a formuié récemment à sou sujet ues réserves assez graves (Revue
bénédictine, mai 1923, p. [72]176). Il croit que la base de 91 variantes
est trop étroite pour classer tous les manuscrits de l'Octateuque ; il
n’est pas convaincu que tous ces mss appartiennent aux trois familles
indiquées, que celles-ci dérivent des trois manuscrits privilégiés, que
ces derniers enfin ont été copiés directement sur l’archétype. I con-
state aussi que la règle de fer aboutit dans certains cas à une mauvaise
leçon et qu'il y a de bounes variantes à glauer parmi celles qui doivent
être reléguées dans le second apparat critique dont l'édition serait
HUE: É. ToBac.
D. L. REbONET. El trabajo manual en las reglas monästicas. Dis-
curso y Contestacion. (Real Academia de ciencias morales ÿ poli-
ticas.) Madrid, Fortanet, Calie de Libertad, 1919. In-4, 200 p.
Pés. 2,
L'émivent auteur de la Historia juridica det cultivo y de la industria
ganaera en Espana (2 vol. Madrid, 1911 et 1918) et de la Policia rural
L. REDONET : EL TRABAJO MANUAL EN LAS REGLAS MONASTICAS. 85
é Espana (ébid., 1916) a eu la bonne idée de choisir comme thème de
liwrtation pour son admission à l'Académie des sciences morales et
mlitiques le travail manuel chez les moines : il faut le féliciter de ce
chvix: aussi, grâce à cette étude patiemment élaborée d’après la
lecture attentive des règles monastiques de tous les temps, nous pos-
&lons maintenant dans un ouvrage d'ensemble presque tout ce qui a
éé prescrit là-dessus par les fondateurs et réformateurs des ordres
zonastiques.
L'ouvrage de M. Redonet comprend six Does 1° Le travail chez les
inachorètes et les premiers moines (p. 28-36) ; 2 les règles orientales
$. Antoine, d’Isaïe, de Macaire, etc., de S. Pacôme et de S. Basile
2..3+09) ; 3° les règles d'Occident hormis celle de S. Benoît, et d’abord
ælles écrites pour les femmes (p. 65-88); 4° [a grande règle de S. Benoît
p. M 1060) ; 5° les réformes de S. Benoît d’'Aniane, de Cluny, de la Char-
‘euse, de Citeaux et de la Trappe (p. 106-134) ; 6° ces réformes en
Esragne (p. 134148). Nous trouvons ensuite les notes bibliographiques
auxquelles de nombreux renvois sunt faits dans le texte (p. 153-186) et
le discours par lequel M. A. Bonilla a répondu à M. Redonet, lors de
la séance de l’Académie (189-199).
En parcourant toutes ces règles et les constitutions qui les ont
asivies, nous constatons que presque toujours le travail manuel a eu
ose place d'honneur chez les moines. Imposé d'abord par le Créateur,
eanobli par l’exemple de Jésus-Christ et de S. Paul, il fut considéré par
tus comine le meilleur et même parfois comme le seul moyen efficace
Je préservation contre l'oisiveté et les vices de la chair; en même temps
on y voyait le moyen naturel de se procurer le nécessaire pour la vie
et de pouvoir exercer la charité et l'hospitalité envers les pauvres.
Ces principes admis par tous et maintenus pendant les premiers
si-cles dans toute leur vigueur, furent adoucis dans la pratique par la
reiorme de Cluny ; mais ils reprirent le dessus surtout par la réforme
je Citeaux : l’on se souviendra des grandes discussions de S. Bernard
avec Pierre le Vénérable à propos de cette question ; elles connurent
19 renouveau encore au xv11° siècle avec l'abbé de Rancé, fondateur
Je la Trappe, qui défendit contre Mabillon la supériorité du travail
ces mains sur l'étude, et communiqua son esprit à sa réforme. Mais
revenons à notre étude. Le travail des mains était une occupation prin-
cipale et un devoir pour tous, excepté pour l’abbé ; seul S. Augustin
en dispense ceux qui, venant du grand monde, n'ont jamais été
bibitués à travailler : même les hôtes dès le troisième jour, dit la
Regula Magistri, devaient rejoindre leurs confrères au travail, et si
des prêtres ne voulaient pas s’astreindre à travailler comme les
autres moines, ils devaient être expulsés : seuls les malades en étaient
exempts. S. Benoît tint aussi fort au travail : remarquons d’abord que
lhabit qu’il donne à ses fils, est un habit « propter opera », comme le
dit fort bien M. Redonet, un habit en vuc du travail. Il n’a pas de
reine à dispenser de chanter l'office au monastère ceux qui se trouvent
86 COMPTES RENDUS.
un peu loin dans le travail des champs ; ils devront prier sur place :
l’on s'étonne un peu que dans sa distribution de la journée il ne dit pas
un mot de la messe ; et les moines faibles « imbecilles » ne seront pas
plus libres que les autres de s'adonner à la lecture, mais l'abbé leur
confiera les travaux les plus faciles. Nous savons avec quel rigorisme
S. Columban interprétait la régle de S. Benoît et la propagea en Gaule :
il voulait que le moine, après avoir accompli sa tâche de chaque
jour, «se couchât le soir fatigué pour se lever le matin avant d’être
entièrement reposé ». S. Isidore, à qui le monachisme espagnol est
grandement redevable de ses progrès, écrivait sa règle dans le même
esprit, quoiqu'il semble ne pas permettre aux moines de travailler loin
du monastère : il établit en effet la clôture rigoureuse et, pour le travail
des champs, il ordoune de le faire par des « servi », par des laïques qui
seront attachés au monastère. Cette grande prescription de toutes
les règles primitives n'avait point comme but principal d'enrichir le
monastère, mais de savctifier les moines; c’est pourquoi l’on insiste
toujours sur les conditions dans lesquelles elle doit s’observer. A cette
tin, d’après les règles, le travail doit être commencé par obéissance,
poursuivi avec humilité, sanctifié par le silence et surnaturalisé par
la prière presque continuelle. Quelle en était la durée ? Le règle de
S. Macaire ordonne de travailler de tierce à none ; Horsisius, successeur
de S. Pacôme, assigne les mêmes heures, ce qui nous autorise à penser
que c'était le temps prescrit par celui-ci, quoique nous sachions, comme
le dit Mgr Ladeuze dans sa belle Etude sur le Cenobitisme Pakômien
(p. 298), que le saint ne voulait le travail que pour l'entretien de ses
moines et comme moyen de sanctification, et qu'il était bien loin des
préoccupations temporelles qui, cinq ans après sa mort, compromirent
sérieusement son œuvre. D'après S. Benoît, le travail durait de prime
à dix heures et de none aux vêpres en été; de tierce à none pendant
l'hiver ; et jusqu'à la dixième heure (4 heures) en carême. S. Isidore
et S. Fructuose de Braga donnent tous deux les mêmes heures : en été
de prime à tierce et de none aux vépres, de sexte à none lecture :
de tierce à none le reste de l’année, et de prime à tierce lecture.
L'auteur ne nous dit pas les heures fixées par S. Basile ; il nous dit
bien que des constitutions des moines Basiliens espagnols du xvri° siécle
exigeaient le travail deux fois par semaine, mais nous sommes loin ici
de l’esprit primitif de S. Basile. On sait aussi que Rancé, si pénétré
de la dignité et de la nécessité du travail, ne lui assigne que trois heures
par jour.
Quels étaient les travaux prescrits et que faisait-on des produits
qui n'étaient pas nécessaires au monastère ? Les premiers moines et
même les Pakômiens, du vivant au moins de S. Pacôme (LADEUZE,
l. c.), ne s'occupaient guére qu’à tresser des nattes et à faire des cor-
beilles : le produit était vendu à Alexandrie, d'où l’on rapportait les
denrées nécessaires au monastère. S. Basile avait des préférences pour
l’agriculture, quoiqu'il n’aimât pas de faire travailler ses moines hors
L. REDONET : EL TRABAJO MANUAL EN LAS REGLAS MONASTICAS. 87
de l'enceinte du monastère ; les produits seraient échangés autant que
-kible contre les produits différents des autres monastères basiliens.
Pur les moines de $S. Benoît le travail était de deux espèces : celui
des champs et celui des ateliers. On sait le développement qu'atteignit
l'agriculture sous l'influence de leur exemple et de leur direction; les
travaux d'atelier furent aussi très remarquables : C’est dommage que
l'auteur n'a pas étudié ce point, ni l'importance qu'acquirent dans Îles
nonastères les arts libéraux. D’après S. Benoît, la vente des prodaits
ju monastère devait être confiée à des sujets choisis avec discernement
ts faire sans trop marchandier et à bas prix. La Regida B. Petri de
Hineslis, c. XIXX, que M. Redonet ignore sans doute, prescrit de .
eboisir un séculier pour exercer ce commerce ; il est appelé « nego-
tator Ecclesiae », et doit être d’une foi et d’une probite reconnues (1).
l'autres règles veulent qu’on choisisse deux des meilleurs moines qui,
avec des domestiques, seront chargés des ventes et des achats néces-
aires pour les monastères.
L'organisation que nous trouvons est très simple : d'abord l’abbé
qui tient la haute direction de tout; ensuite le « praepositus » ou
le cellérier qui surveille de près la marche économique et dirige
l'activité de la communauté ; les hebdomadaires ou semainiers qui
tiennent par semaines ou bien la surveillance et la direction des
groupements particuliers ou bien quelques offices de la communauté.
Les doyens « decani » aînés jouent aussi un grand rôle chez les
œaédictins. Chaque semaine et parfois même chaque soir, les chefs
divent rendre compte du travail fait. Les lois interdisant les alié-
nations des champs ou la vente des choses précieuses liaient complète-
ment l'autorité et la liberté des abbés, qui ne pouvaient pas le faire
sans le consentement de la communauté.
Je ne m'arrête pas à décrire les réformes de $. Benoît d’Aniane, de
Cluay, de la Chartreuse, de Cîteaux et de la Trappe ; l’auteur a oublié
de nous parler de celle de S. Romuald, très intéressante pourtant,
car il déclare dans sa réforme que le travail des moines n’est plus com-
jatible avec l'importance des offices divins et des autres exercices (2).
Toutes ces réformes nous sont bien connues par l’histoire : envisagées
au point de vue qui nous occupe, celle de Cluny se sépara presque
complètement du plan tracé par S. Benoît, en délaissant le travail
des mains ; celle de Cîteaux, au contraire, en fut l’accomplissement le
plus scrupuleux, et l’on sait qu’elle se répandit beaucoup dans tout
l'Occident : le dernier essai fait par l'abbé de Rancé ne peut nulle-
(1) Cfr Levasseur, Le travail des moines dans les monastères, dans « Séances
tt travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques ». Paris, 1900.
P. 45.
i2) Cfr Levasseur, l. c., p. 468 : « Cum occupationes monachorum nostris
bisce temporibus muito plures existant quam unquam fuerint, tum circa
divina officia tum circa alia, difficile visum est patribus posse ad unguem
monachos hoc cap. regulæ servare, etc. (Constit. congr. Camald,. ca. a. 1023.)
88 COMPTES RENDUS,
ment atteindre cette importance, puisque il dut se contenter d'assigner
trois heures de travail par jour ; aussi ce fut plutôt le chemin de la
pénitence que celui du travail que prit cette réforme. Avant de finir
cette analyse de l'ouvrage de M. R., ajoutons un mot sur les monas-
tères de femmes : l’auteur nous renseigne sur l’esprit de travail qui
régnait aussi chez elles. S, Jérôme, en effet, leur avait, à différentes
reprises, commandé de s’adonner au travail des mains ; S. Césaire,
S. Aurelien et d’autres, qui écrivirent des règles pour elles, s’inspi-
rèrent du même esprit; la Regula cujusdam Patris (vni° siècle ?)
leur prescrit sept heures de travail manuel. Il est particulièrement
intéressant de constater une exception à cette loi dans la règle écrite
par S. Léandre, frère aîné deS. Isidore, pour sa sœur et son monastère :
au chap. VI, il lui dit d'employer tout son temps à la prière et à la
lecture : « Dividantur tibi tempora et officia ut postquam legeris ores,
postquam oraveris legas.… etc. Quoi si aliquid manibus operandum
est, alia tibi legat » (1). L'on verra ici la part si secondaire qu’on
accorde au travail des mains : M. KR. ne cite pas cette règle.
Telles sont les principales données que l’auteur de ce livre a puisées
presque exclusivement dans les règles. L’on attendrait sans doute de
lui des détails intéressants pour l’histoire du monachisme en Espagne
ou des faits qui nous parleraient de l’accomplissement ou de la trans-
gression de la loi du travail des mains.
Mais ce sont là malheureusement deux grandes lacunes qui se
remarquent dans cette étude. Les détails qui intéressent particuliére-
ment l'histoire du monachisme espagnol sont assez rares ; et on n’a
pas voulu sans doute confirmer par l’histoire le second point que je
signale ; l’on n’y trouvera pas même la description d'une abbaye qui
se soit signalée par le travail, par ses possessions, par ses ateliers, ses
richesses, etc. En somme c'est un travail qui ne veut sortir du cadre
théorique des regles et de leur interprétation et qui touche à peine
à la règle vécue, à l’histoire des faits, si ce n’est dans les grandes
réformes que nous connaissons.
En outre les tendances contraires, autres que celles de Cluny, et la
part qu'on faisait de plus en plus grande aux études, ne sont pas
étudiées : cependant elles se manifestérent de bonne heure un peu
partout. En Orient, subsista longtemps la classe de moines-ermites ;
en Occident, S. Augustin écrivit son De opere monachorum contre ceux
qui voulaient vivre «le la charité des fidèles sans travailler. S. Isidore
ordonna de distribuer chaque matin des manuscrits pour la lecture et
l'étude et, comme dit M. Pourrat (2), dans sa pensée le monastère
devait être l'asile de la science; Cassiodore en Italie, Bède en Angle-
terre, Alcuin en France, ne sont pas des noms isolés, mais ils sont
plutôt les représentants des grands mouvements pour l'étude. M. R.
(1) PL, t. LXXII, p. 883-884.
(2) La spiritualité chrétienne. Des origines au moyen âge, xer vol., p. 414.
A. W. WADE-EVANS : LIFE OF SAINT DAVID. 89
na pas tenu compte non plus d'une transformation radicale que
sutirent les monastères au cours du moyen âge. Aux premiers siècles
tons étaient égaux dans les monastères ; mais dès le xi1° siècle les
moises ou religieux lettrés et les frères convers ou religieux illettrés,
qui avaient été jusque-là soumis à une règle à peu près uniforme,
cistituërept deux ordres distincts ; aux premiers, les exercices pieux
e les études libérales ; aux seconds, les occupations pénibles des
‘amps et des ateliers (1).
Eotio je dois signaler un point qui aurait dû être étudié : la part que
jrenaient dans les travaux des :hamps des monastères les tenanciers,
ies vblati, les convers qui demeuraient dans le monde, des villages
entiers qui se vouaient aux monastères et travaillaient pour les moines.
Malgré ces lacunes. le travail de M. Redonet est fort estimable et il
‘nt avouer que la patience ne lui a pas manqué pour les investigations
de longue haleine ; aussi je le prierais volontiers, pour le bien des
éudes historiques en Espagne, de ne pas abandonner ces recherches et
# les éclairer et confirmer par des études sur l’histoire du monachisme
eo notre pays, histoire qui est encore à faire en grande partie.
E. GOLDARACENA, O. M. Cap.
_
A. W. Wanz-Evans. Life of Saint David. Londres, SPCK, 1923,
xx-124 p. Prix : 75. 6 d.
Ce volume est Le quatrième paru de la série des Lives of Celtic Saints,
cinquiéme subdivision de la collection : Translations of Christian litera-
bre. C'est, en effet, une traduction anglaise de la vie latine de S. David
de Menevia (vi° siécle) par Ricemarch ou Rhygyvarch (+ 1099), que
nous donne ici M. À. W. Wade-Evans. La traduction occupe seulement
+ pages du volume. Le reste comprend : 1° une copieuse introduction
(p. VI-XX), 2° la traduction de treize textes hagiographiques, la plupart
irlandais, susceptibles d'éclairer la biographie de S. David (p. 34-56),
: des notes abondantes (p. 57-118), qui témoignent d'une connaissance
consommée des sources latines et galloises. Celles qui traitent de la
twpony mie sont particuliérement instructives.
M. Wade-Evans aura certainement remarqué l'étroite ressemblance
Jue présente le curieux morceau qui porte, dans Migne (PL, t. LIX,
P. 3#6-51%#), le titre d'Ordo monasticus de Kil-lios, avec un passage du.
texte de la Vie de S. David (p. 12 à 15 de la présente traduction). II
eit été intéressant de rechercher lequel des deux textes est l'original.
Traluction et annotation sont excellentes. Qu'il nous soit permis
toutefois de regretter que la documentation soit exclusivement « insu-
laire ». L'auteur ne cite aucun travail publié hors des Iles Britan-
niques. Pourtant à propos de l'obscure mention des Annales Cambriae :
(1) Cfr LEVASSEUR, L. c.
90 | COMPTES RENDUS.
David episcopus moni iudeorum, dont il parle à la page 78, il semble
que l'explication proposée, il y a quelques années, dans une commu-
nication de M. J. Loth à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
(Moniu Desorum — buisson des Desi) (voir Acad. des Ins. et B.-L.,
Comptes rendus, 1919, p. 332) eût mérité d’être indiquée et discutée.
L. Goucaun, 0. S. B.
ÉcinnarD. Vie de Charlemagne, éditée et traduite par Louis
Halphen. Paris, Champion, 1923. In-3, xxin-128 p. Fr. 7,50.
Ce volume est le premier d’une collection qui, si l’on en juge par le
but qu'elle poursuit et par les collaborateurs qu'elle réunit, semble
appelée à un bel avenir. Sous le titre Les classiques. de l'histoire de
France au moyen äge, M. Louis Halphen, professeur à la Faculté des
Lettres de Bordeaux, se propose, avec le concours de plusieurs érudits,
de publier les principaux textes latins ou français, susceptibles de
faire comprendre l’histoire médiévale. On ne saurait mieux préciser
le but poursuivi qu’en citant les quelques lignes de l’avant-propos,
placé en tête de l'édition de la Vita Karoli : « Les principes généraux
dont nous nous sommes inspiré et dont s’inspireront dans les prochains
volumes les collaborateurs qui ont bien voulu nous promettre leur
concours sont les suivants : donner un texte établi avec critique,
mais sans vaines surcharges, c’est-à-dire un texte établi d'aprés quel-
ques manuscrits types (à l'exclusion de ceux qui n’en sont que des
copies directes ou dont les leçons n'offrent qu'un intérêt de pure
curiosité) et accompagné d’un relevé des seules variantes utiles pour
éviter l'arbitraire ; — donner en même temps que le texte authentique
une traduction fidèle ou qu’on voudrait du moins telle, chaque fois que
ce texte est en latin, en provençal ou en un français trop délicat à
interpréter pour le commun des lecteurs ; — joindre au texte enfin des
notes aussi sobres que possible, mais n’oubliant aucun des éclaircisse-
ments qu’on est en droit d'attendre d'un éditeur consciencieux et
fournissant toujours le moyen de distinguer avec netteté ce qui dans
l’œuvre publiée est original et ce qui n’est que copie ou contrefaçon
d'œuvres antérieures. Nos introductions seront brèves. Nous ferons en
sorte qu'on y trouve tout ca qui est nécessaire à l'intelligence des
textes reproduits, mais rien de plus. » Voilà un programme qu'on ne
peut qu'approuver et qu’approuveront sans aucun doute tous ceux
auxquels est destinée la collection : érudits, professeurs, étudiants et
aussi amateurs éclairés, soucieux de se familiariser avec les événements
par le contact direct avec Les sources.
L'édition de la Vie de Charlemagne est la première application de ce
programme à la fois souple et précis. Elle débute par une brève intro-
duction où sont condensées quelques indications essentielles sur l’auteur
et son rôle à la cour de Charlemagne, puis de Louis Le Pieux, sur la
RDS à . Er Es RS * ER ACER RS © RER
CH. POULET. O. S. B. : GUELFES ET GIBELINS. 91
dte de composition de l’œuvre (entre 830 et 836), sur la valeur du
témoignage d’Éginbard, sur les sources dont il s’est servi et la manière
dont il les a utilisées, entin sur les manuscrits et sur les éditions
uterieures. Nous ne reviendrons pas ici sur les différents problèmes
sgulevés par la Vita Karoli et sur les solutions proposées, M. Halphen
sant contenté de résumer les pages qu’il leur a consacrées dans ses
Études critiques sur l’histoire de Charlemagne, dont nous avons rendu
“upte aux lecteurs de cette revue. |
Quant à l’édition proprement dite de l’œuvre d'Eginhard, elle répond
-leisement au but assigné à la collection. Le texte est bien établi et
‘æules les variantes essenticlles sont indiquées. La traduction, autant
que possible calquée sur le latin, vise moins à l’élégance qu’à la
pveision. Les notes sont sobres et s’attachent surtout à déterminer les
‘urces auxquelles Eginhard a puisé. Elles confirment la thèse précé-
dmment exposée par M. Halphen, à savoir que la Vie de Charlemagne
v'est pas une œuvre originale : les faits sont le plus souvent empruntés
aux Annales royales et les détails sur l’empereur, son caractère, sa vie
snvée et sa famille aux Vies des douze Césars de Suétone. Les rappro-
‘kements auxquels se livre M. Halpben sur ce dernier point ne
manquent pas d’être piquants et achèvent d'enlever toute autorité au
témoignage d’Eginhard, dont la naïve duplicité est maintenant dépistée.
Le volume se termine par un index alphabétique qui en rend lutili-
&tion très aisée.
AUGUSTIN FLICHE.
=:
Dom Cu. Pouzer, O.S. B. Guelfes et Gibelins. T. 1: La lutte du
Sacerdoce et de l’Empire (1452-1250). T. II : La diplomatie
pontificale à l’époque de la domination française (1266-1372).
(Lovanium.) Bruxelles-Paris, Vromant, 14922. In-12, 246 et 236 p.
F. 14.
La collection Lovanium, dans laquelle paraissent ces deux volumes,
na pas pour but de mettre au jour des travaux spéciaux. Aussi, s’adres-
sot à un public qui aime à avoir de bonnes «clartés de tout », elle
aborde des sujets d'intérêt général et tâche de retenir l'attention par
la manière dont ils sont exposés.
Le R. P. Poulet s’est conformé à ce programme. Son travail pré-
sente une histoire de la politique italienne des papes pendant plus
de deux siècles. Matière importante, traitée avec compétence, d'une
fçon précise, mais sans s'attarder aux détails d’érudition; et dans
une langue ferme, qui n’est pas dépourvue d'élégance.
On pourrait résumer cet ouvrage en disant qu’il s’attache aux divers
sens de ces mots : Guelfes el Gibelins. Pendant la lutte du sacerdoce et
de l'Empire, ceux-ci s'appliquent aux adversaires et aux partisans de la
politique italienne des Hohenstaufen. Mais s’il écarte le grand péril
Saufen, le guelfisme ne réalise en ‘rien l'unité de la Péninsule. Au
92 COMPTES RENDUS.
contraire. À côté des rivalités extérieures des cités, voici maintenant
les querelles intestines, la question sociale et les luttes de classes.
On s'appelle alors guelfes et gibelins en Italie pour marquer qu’on
s'oppose de maison à maison, même d'individu à individu. L’attache-
ment au pape ou à l’empereur n’a ordinairement plus rien à faire
dans ces appellations. Pourtant il survit un guelfisme de grande enver-
gure : c’est celui de la dynastie angevine qui a sauvé la papauté des
Staufen, mais en même temps constitue pour elle un danger sérieux, car
les ambitions de Charles d'Anjou visent Rome comme Constantinople.
On caractérise aussi de guelfe la politique de domination universelle de
la France depuis Philippe le Bel. Entin, à partir de la même époque, il
est question du guelfisme pontifical qui donne au pape le pouvoir sur
tous les royaumes. Le gibelinisme, au contraire, au x1v° siècle, nous
apparait sous la forme d'un patriotisme italien qui appelle au secours
les empereurs. Dante en est le plus éloquent interprète. Le frémisse-
ment d'indignation avec lequel il parle de l'attentat d'Anagni nous dit
assez son respect pour le pouvoir spirituel du pape. Cependant il rêve
d’une monarchie, universelle aussi, mais au profit de l’empereur. Il y
voit le salut de l'Italie et le moyen de l’arracher aux factions qui la
déchirent.
Dans cette histoire de deux siècles, Dom Poulet nous montre les
évolutions de la politique pontificale, surtout chez Alexandre III,
Grégoire IX, Innocent IV, Urbain IV, Grégoire X, Martin IV, Hono-
rius IV et Bomface VIII.
Le second volume me parait supérieur au premier. Daus celui-ci la
physionomie du conflit est-elle exposée d’une facon tout à fait conforme
à la réalité si complexe ? Je n'oserais l’affirmer. L'étude des écrits
polémiques de l'époque n’a peut-être pas été poussée assez loin.
É. De MoREAU, S. J.
AMÉDÉE BoinEr. La cathédrale d'Amiens. (Collection des petites
monographies des grands édifices de la France.) Paris, H. Laurens,
s. d. In-12, 128 p., 43 gravures et 3 plans.
JEAN VaLLery-Raport. La cathédrale de Bayeux. (Mème collection.)
Paris, H. Laurens, s. d. In-12, 420 p. 51 gravures, et 4 plan.
« La cathédrale d'Amiens, écrit M. Boinet au début de son excellente
monographie, est sans conteste l'édifice où l'architecture gothique est
parvenue à son plus complet épanouissement et a montré au plus haut
point à quel degré de grandeur et de puissance elle pouvait atteindre. »
Nulle part, en effet, la voñte sur croisée d'ogives n'a été utilisée avec
plus de sûreté et de maîtrise que dans cette spacieuse basilique, la
plus vaste des églises françaises, qui projette sa voûte à 42"50 de
hauteur et laisse passer par ses larges verrières des flots de lumière,
sans que jamais la solidité ait été sacritiée à cet éclairage intense.
— RE ER un RE 2 A dd 0 tj |" à EE
Ci —
J. VALLERY-RADOT : LA CATHÉDRALE DE BAYEUX. 03
Mis si le problème de la construction a été résolu ici avec une parfaite
ékgance, ce n’est pas seulement par la hardiesse de ses lignes archi-
tturales que Notre-Dame d'Amiens l'emporte sur les autres cathé-
drales gothiques : elle marque aussi le terme de toute une évolution
sulrturale. La décoration du grand portail (commencé vers 1225 et
uus rapidement terminé) est la plus vaste synthèse iconographique
qait conçue le moyen âge, tandis que la technique atteint un degré
k rerfection qui n’a jamais été dépassé ; le « beau Dieu » est justement
+lbre ; « les statues et bas-relicfs qui se groupent autour de lui valent
“aiement par leur idéalisme discret, leur expression toute surnaturelle
où l'émotion religieuse s'allie au sentiment le plus délicat. » Pour
butes ces raisons on ne peut que remercier M. Boinet d’avoir, dans un
klicieux petit volume, fort heureusement coordonné, en y ajoutant de
très judicieuses réflexions personnelles, les résultats des travaux de ses
levanciers, notamment des deux gros volumes de M. Georges Durand.
description archéologique de Notre-Dame d'Amiens, très agréable
à lire, vaut par une observation précise et minutieuse en même temps
que par une rigoureuse méthode dans l'exposition. Aucun détail de
‘architecture, de l'ornementation, du mobilier n’a échappé au regard
averti de ce savant archéologue, auquel on doit savoir gré aussi d’avoir
fort bien mis en lumière l'influence exercée par la cathédrale d'Amiens
aur les édifices postérieurs. Une trés bonne notice historique figure en
tte du volume et aide à la solution des problèmes archéologiques
examinés par la suite.
La chronologie de la cathédrale d'Amiens est relativement aisée à
établir. On ne saurait en dire autant de la cathédrale de Bayeux,
décrite par M. Vallery-Radot dans la même collection des Petites
monographies des grands édifices de la France. Incendié une première
fois au x1° siècle, cet édifice fut reconstruit par les évêques Hugues IT
mort en 1019) et Eudes de Conteville, solennellement dédié le
1 juillet 1077, de nouveau incendié en 1105 lors du siège de la ville
jar Henri Beauclerc, encore reconstruit au xri° siècle et encore
incendié en 1160. Dans quelle mesure ces divers sinistres ont-ils
éprouvé chacune des cathédrales successives ? Y a:t il eu consomption
totale ou partielle? Autant de problèmes dont le laconisme des chroni-
queurs rend la solution ardue. Peut-être pourrait-on reprocher à
M. Vallery-Radot de ne pas faire à ce sujet toutes les réserves néces-
aires. Pour lui, lors de l'incendie de 1105, le transept, les tours de
äçade et la crypte ont été épargnés par les flammes et sont autant de
témoins de la cathédrale primitive. Cette hypothèse paraît très fragile,
étant donné les mentions relevées dans les textes : le chanoine Serlon,
moin oculaire, affirme en effet — M. Vallery-Radot le reconnait —
que l'église fut entièrement détruite en 1105. On ne voit aucune raison
de lui préférer, comme le fait l’auteur, la version de l'historien anglais,
Guillaume de Malmesbury, souvent bien mal informé des choses du
continent et dont l'expression obscure Detrimenta ecclesiae rex mirifice
91 COMPTES RENDUS.
resarcivit n’a peut-être pas le sens précis de restauration que lui
attribue M. Vallery-Radot. Il semble donc qu'il y aurait lieu, aussi
bien pour l'incendie de 1160 que pour celui de 1165, de reprendre et de
critiquer à nouveau les textes qui ont trait à l’un et à l’autre ; nous
espérons que ce sera {à l’un des objets essentiels du travail plus impor-
tant sur la cathédrale de Bayeux qu'annonce M. Vallery-Radot. Cette
réserve faite et quelle que soit la date des différentes parties qui
composent l'église, nous ne saurions assez recommander à tous ceux
qui visiteront la cathédrale de Bayeux de lire et d’'emporter avec eux
ce petit volume où ils trouveront, comme dans le précédent, une
description archéologique très sûre, qui les initiera aux moiadres
détails de la construction aussi bien que de l’ornementation si caracté-
ristique d’une des plus intéressantes parmi les églises de Normandie.
AUGUSTIN FLICHE.
N. PauLus. Geschichte des Ablasses im Mittelalter. Vol. I et II : Vom
Ursprunge bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts. Vol. II : Geschichte
des Ablasses im Ausgange des Mittelalters. Paderborn, F.Schôüningh,
1922 et 1993. In-8, xu-3992, 17-364 et xu1-558 p.
La question de l’origine et du développement de la pratique et de la
doctrine des indulgences reste à l’ordre du jour. Depuis la Réforme,
dont elles furent l'occasion sans en être vraiment la cause, de nom-
breux livres ont envisagé le problème sous ses aspects les plus
divers. Catholiques et protestants ont rivalisé de zèle et d'activité.
Néanmoins on put écrire encore en 1906, dans la Theologisch-praktische
Quartalschrift de Tubiogue (t. LXXX VIII, p. 463), qu'une monographie
vraiment solide et scientifique sur un point de si grande importance
manquait toujours. De récentes controverses, où nous trouvons mêlés
‘ les noms de Lea, Brieger, Gottlob, Koeniger, Hilgers, Paulus, etc.,
sont encore venus agiter la question, non sans apporter quelque lumière
dans cette matière si obscure. N’empêche qu'en 1914 le P. J. Hilgers,
le continuateur bien connu de l’œuvre de Beringer, osa encore écrire,
dans son ouvrage Die katholische Lehre von den Ablässe und deren
geschichiliche Entwicklung (Paderborn, Schüningh, p. V), que les
recherches étaient loin d'en être arrivées au point de permettre
d'écrire entin l’histoire des indulgences.
Cette monographie si nécessaire, cette histoire des indulgences tant
désirée, nous la possédons enfin dans le livre de Mgr Paulus.
Cet ouvrage est, sans conteste, le plus important qui depuis Amort
ait paru sur l'origine, le développement et la nature des indulgences.
Pierre par pierre, étage par étage, pourrions-nous dire, nous avons vu
sortir de terre et s'élever dans les airs ce vaste et solide éditice d'éru-
dition et de science. Depuis de nombreuses années Mgr Paulus s'est
attelé à La dure besogne de faire le jour dans cette question obscure,
RENRES. —" - — NE EE
N. PAULUS : GESCHICHTE DES ABLASSES IM MITTELALTER. 9
de Jéchevêtrer les fils si embrouillés de ce tissu d’obscurités et de
préjugés ; il n’a pas reculé devant la rude tâche de consulter et de
œmçiler un nombre incalculable de vieux manuscrits et de folios
mosiéreux, afin de nous fournir les renseignements qu'eux seuls
étaient en état de nous donner. De nombreux articles de sa main
avaient déjà paru dans différentes revues, telles que Zeitschrift fur
&ttlische Theulogie, Der Katholik, Theologie uni Glaube, Historisches
lirbuch, Historisch-polilische Blälter, ete. La plupart de ces articles
an été signalés de leur temps dans la bibliographie de cette Revue ;
x regretté M. De Jongh, dans une série d’études fort goûtées, publiées
has la Fie Diocésaine de Malines (1912, t. VI), sous le titre : Les
grandes lignes de l'histoire des indulgences, avait vulgarisé les travaux
& Mgr Paulus. |
Tous ceux qui s'intéressent quelque peu à l'histoire des indulgences
aient donc eu maintes occasions de se rendre compte des positions
«æs par le savant auteur. Et néanmoins le livre de celui-ci, annoncé
puis des années mais toujours différé à cause des malheureuses cir-
sstances dans lesquelles se débat l'Allemagne, était attendu avec
ue véritable impatience par les spécialistes. D'abord, il est beaucoup
plus pratique d'avoir tous les renseignements réunis et classés systé-
maitiquement dans un ouvrage, que d’avoir à les chercher dispersés
jélemêle dans différentes revues que l’on n’a pas toujours sous la main.
Rien que sous ce rapport la publication de Mgr Paulus est appelée à
roire un réel service. Ensuite, il était à prévoir que l’auteur, pendant
ls nombreuses années qu'il a consacrées à l'étude du problème, n'a
as été sans apprendre quelque chose de neuf, sans découvrir des points
de vue qu’il n’avait pas aperçus d’abord, sans mieux saisir la portée de
ærtains textes ou de certains faits par la confrontation avec d’autres,
inconnus auparavant ; en un mot, dn pouvait s'attendre à voir l'auteur
méciser, déterminer, modifier même certaines conclusions. C’est ce
qui est arrivé de fait.
Analyser, même succinctement, cet ouvrage, nous mènerait trop loin.
Do ne résume pas en quelques lignes un ouvrage de plus de 1300 pages
“un texte serré et condensé ! Contentons-nous de traduire les en-têtes
des principaux chapitres. Dans le premier volume l'auteur étudie
l'origive des indulgences ; les absolutions en usage à la période médié-
viile, qu'on a souvent prises pour des indulgences ; la formule :
in remissionem peccalorum injungimus ; les plus anciennes indulgences
attachées aux aumônes, aux visites d’églises, aux croisades; la doctrine
“es premiers scolastiques; la signification et la portée des indul-
gences les plus anciennes ; la doctrine des grands scolastiques et des
principaux canonistes et théologiens du x111° et du x1v° siècles. Dans
le second volume nous voyons traités successivement les indulgences
fârales pour aumônes et visites d'églises de 1215 à 1350 ; des indul-
gences pour la croisade et des indulgences épiscopales entre les mêmes
dates ; de la façon dont il faut comprendre certaines concessions ; de
96 : COMPTES RENDUS,
l'indulgence du jubilé ; des indulgences plénières accordées sur les
soi-disant confessionalia ; de l’indulgence a culpa et poena ; des origines
des indulgences à gagner à l'article de la mort; des indulgences pour
les défunts ; de la doctrine du trésor de l'Eglise ; de l'essence et de l’efti-
cacité des indulgences ; des principales conditions requises pour gagner
une iodulgence ; des principales œuvres à accomplir; des questeurs ;
de quelques indulgences célèbres mais inauthentiques; des adversaires
des indulgences ; de leur influence et de leurs effets tant au point de
vue culturel qu’au point de vue religieux et moral. Le troisième volume
traite à peu près des mêmes matières, mais envisage les situations
telles qu'elles se présentaient à une époque postérieure, à la tin du
moyen âge notamment.
Rien que l'énumération de ces titres des principaux chapitres
moutrent la grande variété des questions traitées par l’auteur. Aucun
des aspects de l’histoire des indulgences n’a échappé à l'attention du
savant historien. Et tout cela est traité de main de maître et dénote
une connaissance complète des sources : documents pontificaux et
épiscopaux, registres et regestes, traités théologiques et canoniques,
ouvrages de liturgie et de polémique, chroniques, sermons, etc. ;
certains chapitres constituent de véritables collections de sources. Ce
vaste matériel est mis en œuvre avec un sens critique des plus fins et
des plus exercés.
Nous devons ajouter cependant que l'ouvrage de Mgr Paulus n’a pas
été sans nous causer une certaine déception ; tous ceux qui avaient
suivi, avec un intérêt toujours croissant, la série des publications
antérieures de l’auteur, s'attendaient à ce que, dans ce livre promis et
attendu depuis si longtemps, le savant historien des indulgences allait
nous donner une synthèse magistrale de ses longues recherches et
de ses travaux antérieurs. Or, sous ce rapport, nous devons l'avouer,
l'ouvrage ue réalise pas l'espoir qu’on se croyait autorisé d'en avoir.
L'auteur s'est trop contenté de juxtaposer certains articles parus aupa-
ravapt, sans souci aucun de connexion logique entre les différents
chapitres ni d'ordre systématique. De |à un sentiment de décousu, je
dirais d’inachevé, que laisse la lecture. Si l'auteur avait donné une
plus grande part à la synthèse, son ouvrage aurait incontestablement
gagné beaucoup en valeur. Quels beaux chapitres à faire, p. ex., sur le
développement ou l’évolution des différents points de doctrine! Tous
les éléments sont là, il n'y avait qu'à grouper systématiquement les
données sur chaque point en particulier. Et que l'auteur sait faire de :
pareilles synthèses, il le prouve p. ex. par les chapitres consacrés au |
développement de la doctrine sur l'indulgence applicable aux défunts :
et sur le trésor de l'Eglise. Comme on regrette de ne pas trouver le
même travail de synthèse pour chacune des questions dogmatiques qui
se pose à propos des indulgences. C'est un travail à faire et nous oson3
espérer que l’infatigable travailleur qu'est Mgr Paulus nous le fournira
encore.
H. MARTIN : LA MINIATURE FRANÇAISE AU XIII° SIÈCLE. 97
Si nous disons que cette critique n’enlève rien à la haute valeur de
Jïavrage, nous n'entendons pas répéter simplement par là un lieu
commun ; non, nous n’hésitons pas à affirmer que l'ouvrage de Mgr
Paulus est une œuvre de toute première valeur, une contribution de
tout premier ordre à l’histoire du dogme et de la pratique chrétienne,
une œuvre dont la théologie catholique et l’histoire auront lieu d'être
fcres. Il est et restera longtemps encore l'ouvrage le plus important
ar la matière, un livre absolument indispensable à tous ceux qui
voudront désormais aborder l'étude de cette institution ; personne, en
roulant parler des indulgences, ne pourra ignorer cet ouvrage ni s’en
PÉSÈE A. JANSSEN.
H. ManTiN. La miniature française du XILIe siècle. Paris et Bru-
xelles, Van Oest, 1923. In-fol., 420 p. 100 planches en noir et
4 en couleur. F. 250. ,
! y a deux ans, la librairie Van Oest publiait un important ouvrage
sur La miniature flamande, avec commentaire autorisé de M, le comte
Durrieu (voir RHE, 1921, t. XVII, p. 697). Elle nous donne aujourd’hui
uo pendant et prologue nécessaire à ce travail, et de nouveau c'est ie
spécialiste le plus versé en la matière, M. Henry Martin, qui a arrêté
le choix des miniatures reproduites, et qui a rédigé le texte qui les fait
valoir.
Son exposé est un modèle de clarté et de saine érudition; les notices
sor les manuscrits, dont proviennent les miniatures, sont concises et
ne négligent rien d’essentiel ; les 134 reproductions en noir, reprises
presque exclusivement à des manuscrits conservés en France, donne-
rvot satisfaction aux plus difficiles, tant pour le choix que pour l'exé,
cution.
La miniature française du x111° au xv° siècle est beaucoup moins
conoue que la miniature flamande de la fin du moyen âge, dont elle est
la devancière. Rien de plus intéressant que de suivre M. H. Martin
dans un exposé historique, où il se montre d'autant meilleur guide
qu'il s'agit d’un coin de l’histoire de l’art qu'il a contribué beaucoup à
défricher.
La période la plus brillante de la miniature française et parisienne
ne correspond pas exactement au xiv° siècle. Il faut chercher ses
débuts déjà sous le règne de Philippe Auguste, lorsque les enlumineurs
laïcs, succédant aux artistes des monastères, cherchent à mettre dans
a miniature plus de vie et de variété. Ces nouveaux venus se proposent
un idéal nouveau, surtout depuis saint Louis, lorsque la littérature
profane se développe et qu’elle aussi demande ses beaux volumes
illustrés. Souvent la miniature du x1n° siècle présente une ressem-
blance frappante avec les vitraux, les scènes sont fréquemment inscrites
RSVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 7
98 COMPTES RENDUS.
dans des cercles, tracés au compas, elles se détachent sur des fonds
d’or qui n’ont jamais été ni plus brillants, ni plus à la mode (1). Parmi
les artistes, M. Martin, qui connaît les noms, les adresses et les prix, a
spécialement mis en relief le miniaturiste Honoré. Celui-ci s'était
initié au métier sous saint Louis, mais son atelier existait encore en
1318. Avec lui la grisaille, qui triomphera au xiv° siècle, gagne du
terrain sur la miniature en couleur, le dessin, qui d’abord se présentait
comme un vitrail, est maintenant inscrit dans un édifice, les ors sont
damassés d'arabesques et la bordure, rare avant le x1° siècle, plus
épanouie au x111°, devient depuis Honoré l'élément le plus caractéris-
tique de la miniature. . |
Tandis que certains artistes ne paraissent pas s'inquiéter de ces
tendances nouvelles vers un art brillant et délicat, d'autres, dont le
plus notoire est Jean Pucelle, le mènent à son complet développement.
Honoré avait décoré le Bréviaire de Philippe le Bel (avant 1296), Jean
Pucelle travaiila notamment pour Charles IV (entre 1325 et 1328). Ses
bordures avec insectes, animaux et motifs fantaisistes sont particu-
lièrement remarquables.. A la fin du siècle, Jacquemart de Hesdin en
dépendra eucore, et ses motifs persisteront en détiuitive aussi long-
temps que la miniature elle-mème.
Intéressant et très neuf est le chapitre que M. Martin consacre à la
miniature sous Jean [I (1350-1361) et Charles V (1361-1380). Le maître
principal de cette époque eSt jusqu'à présent anonyme. C’est l’auteur
des miniatures de la Bible de Jean de Sy, demeurées inachevées après
la bataille de Poitiers (1356). Les efforts pour attribuer ce chef-a'œuvre
à un artiste connu paraissent vaius jusqu'à présent.
M. Martin propose le nom de « maïtre aux boqueteaux » à cause des
petits buuquets d'arbres ou des arbres isvlés, de forme très spéciale,
qui se retrouvent dans la Bible et daus plusieurs œuvres apparentées.
Durant une trentaine d'années ces arbres sont caractéristiques pour
les miniaturistes du roi ou pour l'atelier d'un peintre à sun service.
C'est chez le « maître aux boqueteaux » que se rencontre une première
fois un effort, encore naif, pour rendre le paysage.
Le premier enlumineur de manuscrits que les documents nous
signalent comme peintre, est ce Jean de Bandol ou Jean de Bruges qui
travailla pour la tenture de l’Apocalypse à Angers et auquel nous devons
la miniature-purtrait (1371), représentant Charles V assis, conservée
à La Haye. A Beauneveu, peintre, sculpteur et architecte (+ 1403), on
pe peut guère attribuer avec certitude d’autres miniatures que les
prophètes et apôtres du Psautier du duc de Berry. Muis à côté de ces
maitres, qui appartiennent plutôt aux arts majeurs, un vrai miniatu-
riste est Jacquemart de Hesdin. Son œuvre, très parisienne, est, à
(1) M. MARTIN s’attarde peu dans son ouvrage à l'interprétation des scènes.
Il revient sur l’iconographie d'une miniature donnant le tableau généalogique
de la Vierge, dans une note récente sur La parenté de Notre-Dame. (Bulletin
monwmental, 1923, t. LXXXI, p. 162-170.)
L. BROCHARD : LA PAROISSE ET L'ÉGLISE SAINT-LAURENT. 99
soquante ans de distance, le dernier épanouissement de celle de Jean
Pacelle, et ses riches bordures donnent aux manuscrits un air de fête
inégalé. Comme ses contemporains il affectionne la peinture en
amaieu. Il travailla à Bourges de 1384 à 1398, puis encore deux ans
lus tard, et semble encore être en vie en 1413,
À ce moment le goût des beaux livres se répand davantage, et
l'école franco-flamande manifeste un effort nouveau pour l’interpré-
tion de la nature et du paysage. Les frères Limbourg, dont le vrai
20m est peut-être Malouel, sont les plus doués de ces novateurs, en
attendant que les grands p-intres, les Van Eyck, Jean Fouquet,
exercent à leur tour leur influence sur la miniature. M. Martin
examine quelles œuvres peuvent être attribuées aux Limbourg. Mais
il Se termine sa tâche, et il préfère surprendre durant le xv° siècle
es derniers tenants de l’art de Jean Pucelle et du « maître aux
boquetaux ». C’est l’occasion d'accorder une mention aux femmes-
enlumipeurs et en particulier à Anastaise, cet artiste qui travailla
pour Christine de Pisan et enlumina peut-être pour cette femme de
lettres l'exemplaire de ses poésies, qu’elle otfrit (1408 à 1413) à Isabeau
de Bavière. Dans le beau Térence des ducs, de la première décade da
1v* siècle, les théories anciennes sont partiellement abandonnées. Ils
æ retrouvent parfois très tard dans les livres liturgiques, qui con-
tinuent longtemps à être exécutés par des clercs ou des moines, et
sotamment dans les « pages » de missel. Celles-ci représentent sur
ue face le Calvaire et sur l’autre, en regard, un Dieu le Père en
majesté. Le missel des évéques de Paris, achevé après 1439, est l’un des
derniers à dépendre de la miniature du x1v° siècle avec ses couleurs
brillantes et ses bordures caractéristiques.
Il faudra recourir à l'ouvrage de M. Martin pour savoir jusqu’à
quel point les détails de ces bordures et des encadrements peuvent
étre utiles pour connaître l'origine des miniatures. On y trouvera
aussi des détails substantiels et parfois nouveaux sur les principaux
2iniaturistes français du x1v° siècle, et un aperçu documenté sur les
meilleurs manuscrits à miniatures de cette époque. R. MAERE.
L. Brocaarv. Histoire de la paroisse et de l’église Saint-Laurent à
Paris. Paris, Champion, 14923. In-8, xu-404 p., 47 phototypies
hors-texte et 14 gravures ou plans dans le texte. Fr. 40.
Avant de faire connaître au lecteur le contenu de l'ouvrage que nous
lai présentons, il convient de téliciter l'abbé Brochard d'avoir fait
revivre, en une monographie fouillée, l’histoire d'une paroisse pari-
sienne. Comme le dit fort bien le chanoine Pisani dans la préface :
«L'Église de Paris attend encore son historien » (p. v). On ne par-
viendra à élaborer une synthèse que lorsqu’ un nombre suffisant de
monographies à caractère scientifique aura paru sur ce sujet. Ce opel
100 COMPTES RENDUS.
se réalise pour le moment : Notre-Dame-des-Victoires, Saint-Eustache
Saint-Louis-en-Ile, Saint-Ambroise, Saint-Thomas d’Aquin ont leur
historien ; une étude sur Saint-Laurent vient donc fort à propos
completer cette liste.
L'auteur à suivi le plan actuellement admis pour traiter pareille
matière : il s'occupe d’abord de l’histoire générale de la paroisse
(ch. I-1V) : les origines, la seigneurie de Saint-Laurent, les curés depuis
1216 jusqu'au xvuu® siècle; histoire peu saillante, d'intérêt local.
Avant de passer à la relation des péripéties de la paruisse sous la
Révoluton, l’auteur aborde ce que nous pourrions appeler l'histoire
spéciale. :
La fabrique (ch. V) : sa constitution, ses luttes contre les confréries,
sa compétence, sa gestion financière.
Le territoire historique de la paroisse (ch. VI), chapitre dans lequel
on peut trouver des statistiques sur le nomore des paroissiens.
Le « quarré » de Saint-Laurent (ch. VIi), c'est-à-dire la portion de
terrain occupée par l'égiise, le presbytère, la maison curiale, le cime-
tière.
Le chapitre VIII est consacré à l’église en tant que monument.
L'abbé Brochard traite ce sujet surtout en historien, en ce sens qu’il
se base toujours sur des documents historiques pour dater telle partie
de l’église, tel meuble ; 1l semble n’attacher aucune importance au
caractère archéologique quoi qu'il en dise : « Pour l’'histurique que nous
teutons, nous interrogerons la pierre elle-même, quelques témoignages
traditionneilement renouvelés dont nous essaierous de discuter la
valeur et heureusement d'assez nombreux documents d'archives »
(p. 140). Lette metuude exclusive daus le cuvix des sources est blämable.
Notons quelques dates : le cuœur et le deambulatuire sont construits
en 1429, les voûtes et la tour en 1055-Y ; l’église est restaurée ct agrandie
entre 1802 et 1865. De belles reproductivns illustrent ce chapitre ;
déplorons l'absence d'un plan terrier, le plan de 1814 publié à la
p. 190 est insuftisant.
Le cuapitre IX retrace l'historique des 19 confréries, le dixième
parle des toudations, le suivant du clergé et du ministère paroissial,
L'auteur consacre ses trois derniers chapitres (XII-XIV) à l'histoire
de la paroisse sous la Révolution. Cette partie est fort bien traitée,
elle renferme une série de détails typiques, les sources ayant d’ailleurs
été abondantes en cet endroit. L'abbé Brochard fait suivre son ouvrage
d'un nombre assez imposant de documents et d'appendices et d’un index
des noms propres.
Bornons-nous à quelques réflexions d'ordre général : l’auteur se base
toujours sur des documents d'archives, il semble très familiarisé avec
ce genre de sources; mais pourquoi ne pas en donner une liste complète
en tête du volume ? Les détails pour l’histoire de la paroisse au moyen
âge sont peu uombreux par suite du manque de documents, l'auteur ne
s'est pas fait faute de tirer tout ce qu'il a pu des sources qu'il avait à
M. J. WARNER : THE ALBIGENSIAN HERESY. 101
a disposition. Une note sur la liturgie à Saint-Laurent n'aurait pas été
superflue à notre avis. C'est la vie paroissiale sous l’époque révolution-
saire qui offre le plus d'attrait, car il faut le reconnaître — et cela ne
diminue en rien le mérite de l’abbé Brochard — l'histoire de Saint-
Laurent n'offre guère pour le reste qu’un intérêt purement local. Nous
suscrivons pleinement à l'appréciation que donne le chanoine Pisani
à la p. vizi de sa préface : « Servi par une solide culture générale et
rar l'expérience que procure la fréquentation des sources, il (l’auteur)
a réuni les éléments d'un volume qui tiendra une place des plus
bosorables parmi les monographies paroissiales. » J. LAVALLEYE.
H. J. Warner. The Albigensian Heresy. (Studies in Church History.)
Londres, Society for promoting Christian Knowledge, 1922.
In-12, 92 p. Prix : 35. 6 d.
Fixer en moins de cent pages les caractéristiques d’une hérésie aussi
complexe que celle des Albigeois pouvait paraître téméraire. Le Rev.
Warner n’a cependant pas trop mal. réussi dans cette tâche. Son petit
livre est de ceux qu’on lit avec intérêt et où l’on apprend quelque
chose.
Cinq chapitres sur l'origine, le terrain, la semence, le système et les
rites el cérémonies du catharisme, précédés d'une courte iatroduction
et suivis d’une conclusion également brève : voilà tout l'ouvrage. La
division de chaque chapitre en paragraphes en facilite encore la
lecture.
S'il paraît résumer exactement les doctrines et les pratiques des
cathares, on reprochera, je pense, à l’auteur quelques inexactitudes et
surtout une puissance d’affirmation, un manque de nuances, qui
mettent bien vite en détiance le lecteur quelque peu averti.
Et d’abord, quoi qu’en pense le Rev. Warner (p. 12), les saints Cyrille
et Méthode n'ont rien eu à voir à la conversion des Bulgares et c'est
pour les Moraves, chez lesquels ils ont travaillé, que furent composées
les traductions de la Bible et les œuvres liturgiques en slavon.
Elle est bien ténébreuse l’origine de cette hérésie, ou plutôt de ces
hérésies, mal dénommées par la ville d'Albi, puisqu'elles n’y sont point
nées et que la cité la plus atteinte était plutôt Toulouse, Tolosa, tota
dolosa, comme disait Pierre de Vaux-Cernay. Les historiens ont tourné
et retourné en tous les sens certe question. Avec l’auteur, il sera permis
de rejeter purement et simplement l'hypothèse qui les fait descendre de
Priscillien et des Donatistes. Avec lui encore, on pourra se rallier à la
théorie qui leur donne pour ancêtres les Pauliciens. Mais toute déri-
vation vis-a-vis du Manichéisme est-elle, par le fait même, exclue,
comme on nous le déclare catégoriquement, et pourrait-on prouver
cette accusation, répétée avec complaisance, que l'Église catholique,
‘7 Cents re LE 1 2
10 COMPTES RENDUS.
pour les rendre odieux, a, sans raison, rapproché les cathares des
vieux manichéens ? En général, les érudits le plus au fait de cette
époque reconnaissent dans la doctrine paulicienne une double in-
fluence, celle, prépondérante, je le veux bien, des Marcionites, et
celle des Manichéens.
Au sujet des Bogomiles, le Rev. Warner eût pu marquer plus nette-
ment qu'ils descendent vraisemblablement des Pauliciens (p. 14). C'est
bien à tort qu'il croit que le réalisme, par opposition au nominalisme,
est un dogme de la doctrine catholique (p. 20). Comment peut-il tran-
cher avec tant d'assurance la question encore si controversée de
l'origine du rit gallican et écrire : « The gallican liturgy was Eastern
(Ephesian) not Western »? (p. 20). Deux pages consacrées aux « élé-
ments d'ordre moral et spirituel » qui favorisèrent l’albigéisme nous
tracent un portrait abominablement noir des mœurs du clergé et un
tableau idyllique des mœurs des Catlhares. Mais en voilà assez.
Un des chapitres les plus intéressants et qui a dû demander à
l'auteur le plus de recherches, est le troisième : The Seed. Certains
documents du catharisme viennent témoigner, avec plus ou moins
d’abondance et de précision, sur les doctrines et les pratiques de ces
sectes. J'ai dit : certains. Car des auteurs de sommes contre les
cathares, comme l'allemand Ecbert de Schoenaugen, le français
Étienne de Bourbon, les italiens Bonaccorsi et Moneta ne sont pas
interrogés, tandis que d'autres tels qu’Alain de Lille le sont.
Dans une seconde édition, l’auteur n'aura pas de peine à corriger
les erreurs et à mettre au point des affirmations trop radicales de son
exposé. Sa brochure, conçue telle qu'elle l’est, avec ses qualités
d'ordre, de critique, etc., pourra rendre des services même aux his-
toriens de profession. E. DE MoREAU, S. J
se , e (]
Dr. ALEX. BIRKENMAJER. Vermischte Untersuchungen zur Geschichte
der mittelalterlichen Philosophie. (Beiträge zur Geschichte der
Philosophie des M-A. hrsg.v. CI. Baeumker. T. XX, fasc. à.)
Munster, Aschendorff, 14922. In-8, vri-246 p.
Ce volume se compose de cinq études dont les sujets se rapportent à
une période allant du treizième au quinzième siècle. Les trois premières
intéressent l'histoire littéraire des Frères-Prêcheurs, la quatrième celle
des Cisterciens, la cinquième a trait à une polémique menée autour
d’use version latine de l'Ethique d’Aristote. L'auteur les a écrites en
marge d’autres recherches, d’une nature fort différente. Ce qui n'em-
pêche qu'il se soit acquitté de sa tâche avec le plus grand soin et en
témoignant des qualités d'un professionnel dans la matière. Il a prouvé,
une fois de plus, que l'étude des mathématiques sympathise parfaite-
ment avec celle de [a philosophie. Toutefois son attention ne s'est pas
portée sur des problèmes de doctrine ; elle s’est entièrement concentrée
sur des questions d'ordre littéraire et critique.
A. BIRKENMAJER : VERMISCHTE UNTERSUCHUNGEN 19
Voici les titres de ces cinq études. 1. Lettre de la Faculté des Arts de
Paris lors du décès de saint Thomas d'Aquin. 2. Lettre de l'archevêque
de Cantorbéry, Robert Kilwardby, à son confrère Pierre de Conflans,
arhevéque de Corinthe, et le traité De unitale formae de Gilles de
Lessines. 3. Trois nouveaux mss des œuvres de Thierry de Fribourg.
4 Un mémoire justificatif de Jean de Mirecourt. 5. La polémique
d'ilonso de Cartagène avec Leonardo Bruni Aretino.
Les deux premières études viennent tout à fait à l'heure, maintenant
qe, en ce sixième centenaire de la canonisation de saint Thomas, les
wix de l'Eglise et de l'Ecole célèbrent partout la gloire du triomphe
dxtrinal de l’immortel Docteur dominicain. La lettre de la Faculté des
Arts de Paris a été éditée plus d'une fois, mais ces éditions présentaient
ue forte lacune et un passage d'uñe leçon très peu satisfaisante,
aparemment fautive. M. B. en a retrouvé le texte authentique, qui
“rmet de combler la lacune ct de restituer le texte original du pas-
age fautif. Cette leçon correcte amène l’auteur à formuler une conclu-
sion qui projette un jour nouveau sur l’activité de Guillaume de
Moerbeke. Les trois écrits que saint Thomas avait promis d'envoyer
à la Faculté des Arts : Commentum Simplicis super Librum de celo et
mundo, Erposicio Timei Platonis, (Liber) de aquarum conductibus el
ingeniis, sont tous les trois des traductions, faites par le célèbre hel-
laiste dominicain. Cette étude de M. B. sur la lettre de la Faculté des
Arts, qui exprime la désolation des maîtres de Paris causée par la
mort de saint Thomas, a reçu un complément : l'édition d'une élégie,
Pianctus post mortem Thomae de Aquino, et d'une épitaphe versifiée,
dont l’auteur, vraisemblablement un dominicain, s’est inspiré de la
lettre susmentionnée.
L'on croyait posséder dans l'édition du KR. P. Ehrle, le texte intégral
de la réplique adressée par Kilwardby à Pierre de Conflans et motivant
la fameuse condamnation de certaines doctrines de saint Thomas,
IR mars 1277. C'était une erreur, qu’un nouvel examen du cod. 1536 de
Vienne a révélée à M. B. Ce ms., en effet, renferme en plus des six
ärticles de la lettre connus jusqu’à ce jour, un septième d’une capitale
importance, puisqu'il expose la thèse tant incriminée : posicio de uni-
tie formarum. Cette découverte a eu cet autre résultat de fournir la
rreuve que Gilles de Lessines, dans son traité de unitale formae où il
rreo:l résolument la défense de saint Thomas, n’a pas emprunté ses
citations à un autre écrit antérieur de Kilwardby — idée suggérée par
M. De Wulf — mais à la lettre même de l'archevêque à P. de Conflans.
Apres la description du ms. de Vienne, M. B. donne les variantes qui
le distioguent du texte édité par le R. P. Ehrle, l'élition du septième
article récemment découvert, et, en annexe, une esquisse biographique
le Pierre de Conflans dont la plupart des éléments étaient inconnus.
Ces pages sont le complément indispensable des travaux du R. P. Ebrle
et de M. De Wuif.
Les trois mss des œuvres de maître Thierry de Fribourg, nouvelle-
104 COMPTES RENDUS.
ment mis à jour par l’auteur, sont : cod. Maihingen, IT, 1, Q.6; cod.
Basil. (Bâle), T. III, 18; cod. Vindob. Dominic. (Vienne, couvent des
Dominicains), 108. M. B. analyse et décrit le contenu de ces codices et
détermine l'apport nouveau qu’ils fournissent à l’étude de l’œuvre phi-
losophique et théologique de Thierry de Fribourg.
Jean de Mirecourt, plus souvent cité sous le couvert de l'anonymat :
monachus cisterciensis, fut lecteur des Sentences à Paris au collège
Saint-Bernard (1346-1317 ou 1347-1348). II méla à son enseignement
des propositions d'une orthodoxie douteuse et subit une condamnation
de la part de la faculté de théologie, en 1347. Il chercha à défendre sa
doctrine dans un mémoire : « Declaratio », adressé à Pastor de Serres-
cuderio, archevêque d'Embrun, de passage en France comme légat du
pape. M. B. explique la genèse de cet écrit, le distingue d’un autre
mémoire justificatif déjà connu du P. Denifle, en publie le texte, après
avoir analysé et décrit trois mss qui le renferment et dont celui de
Cracovie, n. 1184, mérite surtout de retenir l'attention.
Vers 1418, l’humaniste Leonardo Bruni, auteur d’une version latine
de l’Ethique d'Aristote, écrivit du point de vue philologique une
critique acerbe de la version latine élaborée au moyen âge. Alonso
Garcia de Cartagena, appelé aussi Alphonsus à S. Maria, chanoine de
Burgos, se fit vers 1430 Le défenseur de l’ancienne version. La polémique
menée par ces deux auteurs et le texte des principaux documents qui
lui servent d'appui, font l’objet de la cinquième étude.
Une trentaine de pages, les dernières du volume, renferment des
potes complémentaires et des corrections dont la multiplicité s'explique
par le fait que l'ouvrage, terminé en 1918, ne put être confié à l’impri-
meur que quatre années plus tard.
Les historiens de la philosophie du M-A accueilleront avec bonheur
ces mélanges. Ceux-ci s'imposent à leur attention par les conclusions
toutes neuves dont le développement constitue le fond de l'ouvrage,
et le grand nombre et la valeur des notes bibliographiques et critiques
disseminées au cours de l'exposé. Il n’est pas un manuel d'histoire de
la philosophie ou de littérature latine qui n'ait besoin d'être ou com-
plété ou retouché suivant les résultats auxquels ont abouti les recherches
critiques du D" Birkenmajer. R. M. Marin, O. P.
REGINALD LANE POOLE. Illustrations of the history of mediaeval
Thought and Learning. 2 édit. revue. Londres, Society for Prom.
Christ. Knowledge, 1920. In-8, 527 p. Prix : 11 s. 6 d.
Ce livre est en réalité la réimpression, avec quelques modifications
et quelques ajoutes, de l’ouvrage que l’auteur a publié, sous le même
titre en 1884, et c'est faire un éloge peu banal de dire que, tel qu'il
est, le travail de M. Poole conserve son actualité. Les chapitres sur
J. Scot (II), Abélard (V), Gilbert de la Porrée (VI) constituent des
P. FREDERICQ : CORPUS DOCUMENTORUM. 16
ttleaux vivants qui comptent parmi les meilleurs que nous con-
aissons sur la matière, et on en peut dire autant de la vie de Jean de
Glisbury, qui attend toujours qu’on écrive sa biographie définitive.
L'auteur est surtout attentif aux développements de la pensée reli-
grue, ce qui est son droit, mais ce point de vue, auquel il est
exclusivement attaché, l'empêche à maint endroit de saisir la portée
fhiisophique des idées dont il fait l’histoire. Nous avons été surpris
d voir que M. Poole s'évertue — comme plus d’un historien — à
diculper Jean Scot Erigène de tout soupçon de panthéisme, voir
rême de monisme (p. 63 et suiv.). Il est bien vrai que J. Scot, après
avoir posé le principe qu'il n'existe qu’une seule substance, dont le
onde des réalités finies n’est qu'un prolongement, proteste de son
orthodoxie, professe le créatianisme et prétend fonder la pluralité et
: distinction des êtres qui sont des devenirs divins. Mais l'intention
de Scot — qui à n’en pas douter est excellente — est chose différente
Je sa doctrine. Les intentions d'un homme ne changent pas sa doc-
trive, laquelle demeure ce qu’elle est. Scot est acculé, par la logique
nterne de ses principes, au monisme intégral. Lui-même s’en rend
compte, car il emploie des expressions telles que celles-ci : aliud (Deus)
io se creat. L'être fini est aliud — soit — mais in se, en Dieu, qui se
retiète dans le multiple comme le rayon solaire dans les couleurs
variées dont se pare la plume de paon (p. 58).
Nous voudrions présenter une critique de la méthode dont s’est
ærvie M. Poole. Ne convenait-il pas de tenir compte de certains
travaux importants et récents, tout en restant fidèle au plan primitif
du livre. P. ex., peut-on encore parler du nominalisme d’Abélard,
aprés les travaux de Geyer dont la primeur date de 1919. Fallait-il
resroduire in-extenso des notes vieillies, quitte à les contredire (p. ex.
be. 8, n. 7) ? Il cest vrai que le lecteur averti sautera aisément au-
dessus de ces artifices d'impression et que ceux-ci ne l’empêcheront
pas de suivre le développement des idées maïtresses.
Maurice DE WuLr.
P. FREDERIC (+). Corpus documentorum sacralissimarum indulgen-
harum neerlandicarum. Verzameling van stukken betreffende de
pauselijke aflaten in de Nederlanden (1300-1600). (Rijks’ geschied-
kundige publicatiën, uitgegeven in opdracht van Z. Exc. den
Minister van Onderwijs, Kunsten en Wetenschappen. Kleine
serie, n° 24.) La Haye, M. Nijhoff, 1922. In-8, x1v-694 p.
Ce recueil a lui-même son histoire.
Depuis de nombreuses années le professeur de Gand, Paul Frédericd,
s'est occupé à rassembler toutes espèces de documents relatifs à
l'histoire des indulgences dans les Pays-Bas. En 1899 il publia dans le
Pulletin de l'Académie Royale de Belgique un mémoire intitulé : La
106 COMPTES RENDUS.
question des indulgences dans les Pays-Bas au commencement du
XVIe siècle. Différents archivistes ayant signalé l'existence de col-
lections importantes à Utrecht, Liége et Malines, l'auteur publia
successivement : en 1899, Le compie des indulgences en 1488 et en
4517-1549 dans le diocèse d’Utrecht ; en 1903, Les comptes des indul-
gences dans les Pays-Bas. Deuxième série : Les comptes des indulgences
papales, émises au profit de la cathédrale Saint-Lambert à Liége (1443-
4436); en 1909, Rekeningen en andere stukken van den pausetijken
aflaathandel te Mechelen in ‘t midden der 15° ceuw (1443-1472). Ces
quatre séries de documents, bien qu’incomplètes chacune prise sépa-
rément, se complétaient mutuellement. Ces publications avaient été
préparées dans le cours pratique d'histoire nationale à l'université de
Gand. Ce sont encore les étudiants du même cours pratique qui se
mirent à recueillir les documents, pontificaux ou autres, ayant rapport
à ce que l’auteur se plaît à appeler « le commerce des indulgences ».
De nombreuses pièces furent ainsi réunies, mais d’autres occupations
empéchèérent l’auteur de les publier tout de suite.
L'invasion de la Belgique par les armées allemandes, la transfor-
mation des bâtiments universitaires en casernes, la dispersion des
étudiants et leur rappel sous les drapeaux, le congé forcé des professeurs,
procurèrent à M. Frédericq un otium cum dignilale qu'il mit à profit
pour classer les nombreux documents qu'il était parvenu à se procurer.
Le travail était prêt à la fin de 1915 et l’auteur cherchait les moyens
de faire passer en Hollande, où ils devaient être imprimés, ses précieux
manuscrits. Un événement imprévu l'en empêcha : le 18 mars 1916 il
fut arrété et transporté en Allemagne comme prisonnier ; il y resta
jusqu'à la fin des hostilités. Dés le commencement de 1919 l'auteur
expédia le manuscrit à l’imprimeur. Hélas, il ne verrait pas l'impression
de son travail ! Il mourut le 30 mars 1920. La commission chargée des
publications concernant l'histoire du royaume des Pays-Bas se chargea
d'achever l'édition.
Voilà, en quelques mots, l’histoire de ce recueil.
Il comprend 441 pièces des plus diverses : les bulles pontificales
concernant les jubilés successifs, des brefs, des extraits de mémoires,
chroniques et annales du temps, lettres, prescriptions ecclésiastiques
et civiles, lettres d’indulgences, comptes, quittances, placards, extraits
des œuvres de théologiens ou d'autres écrivains (p. ex. de Wessel
Gansfort, d'Érasme, de Luther, du jugement. de Kalteisen sur les thèses
défeadues par le carme Bernard et le frère-mineur Remi (1), etc.), en
(1) L'auteur signale l'existence de deux manuscrits du mémoire de
Kalteisen, l’un à Utrecht, l'autre à Groningue Depuis longtemps on connaît
l'existence d’autres manuscrits de ce mémoire, notamment à Wolfenbüttel
ct à la bibliothèque de l’université de Munich; les parties essentielles de
l'écrit ont été éditées par Mgr PauLus : Fine ungedruckte Ablassschrift des
Dominikaners Heinrich Kalteisen, dans Zeitschrift für katholische Theologie,
1903, t. XXVII, p. 368. Il eut été intéressant de collationner le texte des
se EE" - on EEE ES ——
A. MASSERON : LES ENIGMES DE LA DIVINE COMÉDIE. 107
un mot toutes sortes de documents se rapportant de près ou de loin
à l'histoire des indulgences dans les anciens Pays-Bas aux x1v°, xv° et
xvi* siècles. De ces documents les uns avaient déjà été publiés, les
autres ne l'étaient pas encore ; l’auteur a toujours soin de marquer la
rrovenance des pièces, l'endroit où on peut les trouver, la source d'où
elles ont été tirées, etc. Le recueil est, naturellement, loin d'être
complet ; il ne saurait d’ailleurs pas l'être. Mais tel qu'il est là, il est
anpelé à rendre de grands services à celui qui voudrait s'occuper de
l'aistoire des indulgences dans notre pays (1). On sera cependant sur
# gardes en le consultant : les chiffres sont parfois mal indiqués
‘aute d’impression ou inattention de l’auteur ?) ; il est clair, p. ex.
que p. 18 c’est Urbain VI qu'il faut lire et non pas Urbain IT; il est
évident que p. 260 il est question de Sixte IV et pas de Sixte IX (!);
le mémoire de Kalteisen, p. 62 sv., ne date pas de 1447 mais de 1448;
l'acte du cardinal Nicolas de Cuse, p. 200, ne date évidemment pas
de 1492, puisque le cardinal est mort en 1464 et que d’ailleurs le
t1te reproduit par Frédericq donne comme date 1452. Souvent l’erreur
saute tout de suite aux yeux du lecteur attentif; d’autres fois on
ourrait s’y laisser tromper. Une liste des noms de lieux, composée
rar P. H. van Hinsbergen, employé aux archives d'Utrecht, facilitera
les recherches pour tel ou tel endroit en particulier.
A. JANSSEN.
ALEXANDRE MASssERON. Les énigmes de la Divine Comédie. Paris,
Librairie de l’Art catholique, [1922]. In-8, 293 p. Fr. 12.
Le sixième centenaire de la mort de Dante a fourni à un groupe
d'intellectuels français l’occasion de quelques publications remar-
quables, somptueusement éditées par la Librairie de l'Art catholique, à
Paris, et dignes, par leur inspiration et leur contenu, de la meilleure
äSérents manuscrits, d'autant plus que le texte donné par Frédericq ne con-
corde pas toujours avec les extraits donnés par Mgr Paulus. — L'auteur
“mble ignorer également un autre écrit de Kalteisen, notamment Questiones
de indulgenciis, 6 p., conservé en manuscrit à la bibliothèque de l’université
de Bonn et publié à Delft en 1508. Le nom de Kalteisen y devient Caligis. Il
est signalé par Nynorr, Nederlandsche Bibliographie van 1500 tot 1540. La
Have, r9r9, no 1047. Cfr N. PauLus, Geschichte des Ablasses im Mittelalter,
t I, p. 41.
(1) Ce recueil ne rendra cependant pas superflue la consultation des articles
du P. ALBErs : Het Jubilé in de middeleeuwen, bijzonder met betrekking tot
ée Nederlanden, dans Studien, 1900, n. s. t. LIV, p. 1 sv. L'auteur aurait bien
Souvent pu v renvoyer. La consultation de l’ouvrage cité de Mgr PauLus
ptrmettra également de combler bien des lacunes, Récemment encore le
P. Meyer publia quelques lettres d’indulgences (Zwolsche Aflaatbrieven.
Arñhem, 1921) dont quelques-unes figurent déjà dans le recueil de Frédericqs
tandis que d’autres ne s’v trouvent pas.
108 COMPTES RENDUS.
critique dantesque. Le Bulletin du Jubilé a paru en cinq fascicules in<4,
avec des articles originaux de Mgr Batiffol, du R. P. Mandonnet, de
MM. Henry Cochin, Pératé, P. de Nolhac, Jordan, etc. Récemment,
est sortie, par les soins de M. Pératé, une traduction nouvelle de la
Divine Comédie, dont on dit grand bien. Aujourd’hui, nous tenons à
signaler, dans la même série, le livre utile et plein d'intérêt de
M. Masseron.
Malgré les sollicitations dont elle a été l’objet depuis six siècles,
l'œuvre maîtresse de l’Alighieri, composition puissante mais hautaine,
obscure autant que profonde, n’a pas encore livré tous ses secrets.
Après des tâtonnements sans nombre, ses interprètes continuent à se
heurter contre une foule de problèmes, dont l’herméneutique la plus
subtile ne peut avoir raison. Parmi ces énigmes, M. Masseron a choisi
celles qui touchent de plus près à l'essence de l’œuvre. Il les a classées
selon qu’elles relèvent du sens littéral, de l’allégorie, de l'architecture
morale des régions d’outre-tombe, ou encore de l'élément prophétique.
Sur chacun de ces problèmes, il a rassemblé une ample information,
s'adressant à ce qu’il y a de plus autorisé dans le monde des spécialistes
italiens et anglais. Exposer, confronter, évaluer les solutions propo-
sées, voilà de quoi dresser une petite somme de la science dantesque,
en ses chapitres les plus déroutants, puisque soumis à d'interminables
controverses. Et tel est bien le livre que nous apporte M. Masseron.
Guide précieux, qui va mener le lecteur novice à travers les dédales
infinis de la dantologie. Guide sûr, car, outre que l’auteur s’est rendu
maître des questions qu’il aborde, une sagesse sereine lui permettra de
garder sa claire vue sous l’avalanche des hypothèses aventureuses et
des explications contradictoires. Avec cela, un grain d'humour dans
l'exposé ; des airs de scepticisme narquois, mais sous lesquels perce
une admiration émue pour le divin poète, en même temps qu’une juste
estime pour ses laborieux’ commentateurs. Cet ensemble de qualités
diverses donne au volume une saveur exquise: L'ouvrage est une
nouveauté pour le public de langue francaise, auquel il apporte une
part de l'initiation indispensable, en vue d'une lecture quelque peu
sérieuse de la Comédie. Comme synthèse, dans ce qui touche à cette
portion éminemment délicate de la littérature dantesque, il n'a même
son équivalent en aucune langue.
Livre peu original, dira-t-on, si l’on prétend que l'auteur devait
ajouter ses propres conjectures à celles qu’il passe en revue. Livre,
dirai-je, dont le mérite est de ne point chercher l'originalité. Au cours
de cet examen critique d'une production singulièrement ondoyante, il
arrive du reste à l’auteur, lorsqu'il croit mieux servir la vérité, de
passer du doute méthodique à l’aflirmative et de prendre résolument
position dans le débat. C’est le cas, notamment, lorsqu'il étudie le
symbolisme des trois fauves du prologue. Au risque d'affiger les esprits
amoureux des ordonnances symétriques et des systèmes d'interprétation
organiques et cohérents — ceux-là qui ont accueilli avec faveur les
G. HEIDINGSFELDER : ALBERT VON SACHSEN. 109
travaux de Flamini, et j'en suis — M. Masseron, reprenant la thèse
talitionnelle, s’attache à montrer que les trois bêtes du début de la
Comédie sont la luxure, l’orgueil et la cupidité, plutôt que les trois
mauvaises dispositions de l’âme, base de l’éthique aristotélicienne, qui
ont inspiré le plan de l'Enfer. Je dois reconnaître que son argumen-
&wivn, prudente et avertie, est de celles qui donnent à réfléchir.
Qu'on ne dise pas non plus que ce livre, où sont dressés tant de
sroces-verbaux de carence et où s'affiche tant de métiance systématique,
ærait décevant, et décevant, avec lui, tout le travail de l’exégèse
Jantesque. La lumière reste à faire et, peut-être, ne se fera jamais, sur
des points de détail. Dans ses grandes lignes, l'interprétation symbo-
hque de la Divine Comédie est aujourd’hui fixée. M. Masseron apprendra
a œux qui l’ignoreraient — encore que, peut-être, il n'insiste pas
suffisamment là-dessus — l'essentiel de ce qu’on pense aujourd’hui à ce
ajet : le prestigieux chef-d'œuvre du poête florentin, c’est, en même
temps qu’une autobiographie morale, le poëme de la Rédemption,
âvec, comme protagonistes, Dante, représentant l’humanité en quête
du salut, Virgile, image de la raison parvenue à son plus haut degré
de rectitude, et Béatrice, symbole de la Vérité surnaturelle, confiée
sar Dieu à son Eglise pour acheminer l’homme vers ses fins dernières.
ALPHONSE BAYOT.
D GeorG HEIDINGSFELDER. Albert von Sachsen. Sein Lebensgang und
sein Kommentar zur Nikomachischen Ethik des Aristoteles. (Bei-
trâge zur Gesch. der Philos. des M.-A. Hrsg. v. CI. Baeumker.
T. XXE, fasc. 3-4.) Munster, Aschendorff. 1924, In-8, xvi-152 p.
Albert de Saxe (1316-1390) est un philosophe de la troisième période
de la scolastique, de la décadence. Il se posait à son sujet des problèmes
qui concernent tant sa personne et sa carrière que son œuvre philo-
sophique. C'est la raison de la division de cet ouvrage en deux parties :
partie biographique, partie doctrinale.
Le terrain sur lequel s’engageait l’auteur n’est pas de ceux qui sont
demeurés tout à fait inexplorés. C’est ce dont nous prévient trés
brièvement la préface, où il est fait part des résultats auxquels avaient
abouti les recherches de P. Duhem (+ 1915), M. Jullien et A. Dyroff.
ll manque une Introduction, dans laquelle auraient pu avantageuse-
ment trouver place des questions de méthode, l’énumération et la
description des sources principales, leur classification, les règles
suivies par l'auteur dans leur emploi, la raison de préférer telle source
à telle autre, plus ancienne.
Dans la première partie qui retrace les grandes lignes du curri-
culum vitae du philosophe saxon, l’auteur s’est surtout appliqué à
identifier la personne d'Albert de Saxe. Sa conclusion est contraire
à celle qu'avait présentée Duhem, et confirme les vues de Jullien et de
110 COMPTES RENDUS.
Dyroff : les trois noms, Albert de Helmstede, Albert de Saxe, Albert
de Ricmestorp désignent un seul et même personnage, qui fut maître
ès arts à Paris, recteur de l’université, nouvellement fondée, de
Vienne et évêque d’'Halberstadt. A la suite de P. Duhem, M.-H. écarte,
comme indémontrable, l'hypothèse qu’Albert fut maître en théologie.
Comme l'ont fait précédemment Quétif, Duhem et Jullien, il maintient
qu'Albert de Saxe était prêtre séculier et ne fut jamais incorporé à un
ordre religieux. Très brèves sont les pages où M. H. nous parle de
l'activité professorale du philosophe, soit à Paris, soit à Vienne ; il
s'est plu à mettre davantage en relief son rôle d'administrateur. Le
dernier chapitre de cette section biographique renferme un essai de
classification des œuvres d'Albert (manuscrits et éditions) rangées en
écrits 1) sur la logique, 2) sur les sciences naturelles, 3) et 4) sur des
questions de psychologie et de morale. À une ou deux exceptions
près (cfr Philosophisches Jahrbuch, t. XXXV (1922), p. 87), ce relevé
est exact.
La deuxième partie de l'ouvrage se borne à l’examen du commen-
taire inédit d'Albert de Saxe sur l'Éthique d'Aristote. Elle s'ouvre
par un très suggestif aperçu sur l'étude consacrée, à cette époque de
décadence de la scolastique, à l'éthique. Elle se subdivise très nette-
ment en deux sections : partie critique, analyse doctrinale.
Dans la première, après avoir fait la description et le classement
en groupes des manuscrits, l’auteur étudie la méthode et la technique
de cet ouvrage du Stagyrite. Ces pages sont les meilleures du livre.
Albert commente Aristote d'après la version gréco-latine qui a vu le
jour vers le milieu du xin° siècle et dont très probablement Robert
Grossetête est l’auteur. La méthode suivie par Albert est remarquable
par son attachement très étroit — sauf dans ia façon de diviser — au
texte d’Aristote. Il se borne au procédé d'exposition (glose), saus
insérer dans le commentaire la discussion de questions, plus ou moins
bien rattachées au texte. Il s'inspire de sources autorisées. Saint
Thomas a eu sa confiance plus souvent qu’il ne l'exprime. Cependant
— conclusion la plus importante de cette section — son commentaire
p'est rien de plus qu'un plagiat de l’œuvre d'un auteur qui le précède
d'une dizaine d'années, le commentaire de Walter Burleigh, imprimé
à Venise en 1481 et plusieurs fois depuis.
Cette conclusion pèse très lourdement sur le jugement qu'il s'agit
de formuler touchant la valeur de cette œuvre d’Albert de Saxe.
Celle-ci n’accuse aucun progrès. Plus loin, M. H. nous dit qu'il faut
apprécier ce commentaire surtout comme manuel scolaire et recon-
paître que les genérations suivantes ne l'ont pas relégué complètement
dans l'oubli. Dans la partie consacrée à l’analyse doctrinale, M. H.
a arrêté son attention à cette question spéciale : Albert est-il déter-
ministe ? Contrairement à M. Dyroit, il couclut pour la négative. Cet
examen du point de vue doctrinal confirme la dépendance d'Albert
de Walter de Burleigh.
P. KALKOFF : DER WORMSER REICHSTAG VON 1521. 11i
I n'y à donc pas lieu de vanter Albert de Saxe comme « un des
docteurs les plus puissants et les plus originaux, qui, au xiv° siècle,
aient illustré la scolastique ». Peut être que l'examen des autres
sgsrages du philosophe permettra de maintenir cette appréciation
Sateuse de Duhem. L'étude de M. Heidingsfelder a ouvert la voie
à œt examen ultérieur. Elle présente — avec, en plus, quelques con-
elusions nouvelles — une bonne synthèse des résultats obtenus précé-
demment. R.-M. MARTIN, O. P.
Paz Kazrorr. Der Wormser Reichstag von 1521. Biographische
und quellenkritische Studien zur Reformationsgeschichte. Munich
et Berlin, Oldenbourg, 1922. In-8, x-436 p. Fr. 34,40.
Dans le compte rendu qu'il consacra au livre de M. Kalkhoff,
Alkander gegen Luther (RHE, t. IX, p. 789) M. De Jongh disait, il y a
quinze ans : « Les événements pour lesquels il n’y avait pas de
dcuments nouveaux à communiquer, ne sont pas étudiés ex professo :
ainsi, par exemple, la diète de Worms n’a pas de chapitre spécial. »
Cette contrée réservée alors est explorée aujourd'hui dans ses moindres
recoins. Dès l'entrée en matière nous sommes renseignés sur l'impor-
tance qu’elle revêt aux yeux de l’auteur. « La diète de Worms de 1521
est un des principaux tournants de l'histoire allemande. » Elle met fin
aux assemblées de l’empire consacrées à la réorganisation de celui-ci
et au cours desquelles, depuis la diète de Worms, en 1495, les lois de
l'empire, tombées en désuétude, furent renouvelées et renforcées en
faveur du pouvoir central. Toutefois on ne réussit pas à tenir en échec
k prépondérance que s’arrogeaient les princes électeurs, ni à conjurer
k ruine de l’autorité impériale et partant ce fut l'effondrement rapide
du gouvernement central. Néanmoins les décisions prises à Worms
ncergant le tribunal suprême, les tinances et la guerre restérent en
vigueur : c’est tout. Ce n’était pas brillant, « mais ce détail permet de
‘“woner une réponse satisfaisante à la question : «comment alors « ce
cber saint empire romain » a-t-il pu tenir ensemble pendant des siècles
épcore ? »
Les états achetèrent à Charles-Quint cette résignation d’une bonne
art de son autorité impériale en s'engageant à lui prêter main forte
entre le roi de France, François I. Sorti vainqueur de cette lutte,
l'empereur semblait de taille à restaurer plus forte que jamais l'unité
de la religion et de l'empire. C'était un faux mirage et les années qui
suivirent marquèrent le triomphe des principes décentralisateurs,
afirmés malgré tout à Worms, et firent éclater à tous les yeux combien,
en réalité, avait été vaine la tentative, faite à la diète de Worms,
pour supprimer la liberté religieuse. Malgré les apparences contraires
et la publication de l'édit condamnant Luther, — et c'est ii la nouveauté
de l'étude — M. Kalkoff veut faire voir à Worms, en 1521, l'entrée en
112 COMPTES RENDUS.
activité du territorialisme tant politique que religieux. La paix
d’Augsbourg comme plus tard celles d'Osnabruck et de Munster, ne
pourront qu'enregistrer la solution qui l’emporta à la diète de Worms
en dépit de toutes les intrigues et malgré les déclarations les plus
formelles de l’édit impérial frappant Luther et ses partisans.
Les princes ont affirmé leur autonomie et refusé de subordonner leur
foi aux décrets impériaux ou au vote de la majorité. En la personne
du prince électeur Frédéric le Sage, le territorialisme religieux trouva
un champion qui fit échec à l'autorité du pape et de l'empereur.
Cette manière de voir aussi nouvelle qu’elle est importante est, nous
assure-t-on, le résultat auquel a conduit l'étude minutieuse du milieu
où s’est élaboré l’édit de Worms. Ce résultat va être mis en évidence
dans l'exposé par l'entrée en scène des personnages qui ont joué un
rôle à la diète. Ce rôle, les sources elles-mêmes nous le font voir aux
tournants des négociations. Le travail comprend neuf chapitres qui
s'appellent les uns les autres. Après avoir reconstitué la physionomie
générale de la diète, la première où paraissait Charles-Quint, le nouvel
empereur, pour recevoir d’abord l'hommage et les suppliques de ses
vassaux et sujets, l’auteur passe en revue les diverses sections de
l’illustre assemblée. Au second chapitre commencent les essais mono-
graphiques décrivant les personnages princiers ralliés au parti du pape
et parmi lesquels se trouve longuement dépeint le prince-évêque de
Liége, le cardinal Erard de La Marck qui, on le sait, joua un rôle de
premier plan dans les négociations. Très saillante aussi la silhouette
du légat pontifical Aléandre, étudié dans un volume paru précédemment.
Il est entouré de collaborateurs appartenant aux diverses régions de
l'empire.
Il ne peut entrer dans le cadre d'un simple compte rendu de sigoaler
le relief avec lequel se détache du fond de ce vaste tableau chacun des
personnages successivement évoqués avec cette familiarité inimitable
qu'a donnée à l’auteur un long commerce avec les sources où ils se
survivent. Nous nous en voudrions de défraîchir, par des aperçus
fatalement trop sommaires, le drame historique où il convoque Luther
après avoir rappelé les antécédents de sa comparution. Deux person-
nages dominent l'exposé des six derniers chapitres : le réformateur et
son protecteur Frédéric le Sage. Comme toutes les tragédies bien
menées où le héros semble avoir succombé victime des intrigues et de
la méchanceté humaines, le livre se termine par une sorte d'apothéose
en l'honneur de Frédéric le Sage, qui eut une si large part dans [a
réussite de la réforme luthérienne. L'auteur fait volontiers sienne
l’assertion de Troeltsch : « Sans Frédéric le Sage l’œuvre de Luther
n'eût pas été viable. »
La méthode suivie dans tout le volume trahit la même maîtrise des
sources et des régles de la critique historique. Le ton généralement
très calme suggère l’idée d’une profonde sincérité dans l'attachement à
l'œuvre que Worms mit en péril mais que sauva Frédéric le Sage, ce
RE — Ro SRE een
t, SCHMIDT : K. SCHATZGEYER, SCRUTINIUM DIVINAE SCRIPTURAE. 113
prince qui fut « sinon le plus grand, du moins le plus excellent et le
plus tidèle des héros du peuple allemand ! » Et sur cet épiphonème se
elèt l'exposé de M. Kalkoff.
Tous ceux qui désirent utiliser son beau travail seront reconnaissants
à l'auteur d’avoir ajouté 10 pages contenant, par ordre alphabétique,
le som des personnages étudiés et toutes les références désirables. Sans
être aussi indispensable, une liste bibliographique des ouvrages cités
au cours du travail ne manquerait pas d'utilité non plus. L'auteur l'a
aps doute omise à raison du rôle prépondérant accordé aux sources.
Cependant, dans un livre aussi bourré de notes, où l’on recourt
volontiers aux abréviations, il arrive que des références restent
incomplètes et partant difficiles à identifier. Voyez par exemple, p. 78
et 2; il y est question de H. De Jongh, avec indication de pages,
mais sans titre de l'ouvrage en vue. Mais ne parlons pas en plein midi
des taches du soleil et félicitons cordialement M. Kalkoff.
P. M. PIETTE.
ULaica ScuminrT, O. F. M. Kaspar Schatzgeyer, O. F. M., Scrutinium
divinae scriplurae pro conciliatione dissidentium dogmatum (1522).
(Corpus catholicorum. Fasc. 5.) Munster-en-W., Asschendorff,
4922. In-8, xxiv-180 p. Gz. Mk. 6,50.
Le Père Caspar Schatzgeyer (1463-1527), des frères-mineurs de
l'observance de la province de Haute-Germanie, a joué un rôle assez
considérable dans le gouvernement de son ordre et dans les contro-
verses suscitées par le luthéranisme naissant. De 1518 à 1527, il
composa et publia une vingtaine d'ouvrages, dont quelques-uns ont été
assez remarqués à cette époque. Son Scrutinium divinae scripiurae,
publié par le D' W. Schmidt dans le Corpus catholicorum, passe pour le
plus important et le plus caractéristique de ses travaux théologiques.
Il parut, pour la première fois, en 1522, à Bâle, à Cologne et à Augs-
bourg ; il fut réédité à Tubingue en 1527 et, avec toutes les autres
œuvres du même auteur, à Ingolstadt en 1543.
L'ouvrage comporte dix chapitres, dans lesquels le P. Schatzgeyer
passe en revue les différentes objections, formulces par Luther contre
les principaux dogmes de la foi catholique : la grâce et le libre arbitre,
la foi et Les œuvres, la nécessité des bonnes œuvres, la pénitence évan-
gélique, l’acte méritoire, le sacritice du N. T., le sacerdoce évangélique
ou universel, la communion sous les deux espèces, le baptème et la
liberté chrétienne, les vœux monastiques.
Comme le fait remarquer le P. Schmidt, Schatzgeyer se rattache
étroitement à la philosophie de Duns Scot. En outre, on constate chez
lui le souci constant d'appuyer ses affirmations sur l'Écriture Sainte.
D'autre part, on ne trouve guère dans cet ouvrage une compréhension
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 8
lid : COMPTES RENDUS.
très nette de l'erreur fondamentale de Luther, notamment de la théorie
du libre examen et du rejet de l'autorité de l'Eglise, règle de foi.
Le Scrutinium du P. Schatzzseyer a obtenu un certain succès, comme
le prouvent les éditions successives qui en ont été données. Cependant,
son iofluence n’a pas été fort grande et il est bientôt tombé dans l'oubli.
Môme les polémistes catholiques ne lui ont accordé qu'une attention
secundaire dans leurs œuvres.
Le P. U. Schmidt a noté, au bas des pages, les variantes que présente
le texte des différentes éditions ; il a composé plusieurs tables qui
facilit: nt la consultation du volume ; enfin, il à fait précéder le texte
d’une introduction, incomplète et trop sobre, où il relève « les carac-
téristiques » du Scrulinium et où il énumère ses différentes éditions.
Il oublie de nous y donner, entre autres, quelques renseignements sur
la vie de Schatzgeyer, sur les sources de son ouvrage et sur l'influence
que celui-ci à exercée dans la controverse luthérienne.
A. DE M&YER.
Henri Nazr. La conjuration d'Amboise et Genète. Genève et Paris,
Champion, 1922. In-8, 406 p.
Le coup de main tenté à Amboise par La Renaudie, en mars 1560,
échoua piteusement. Personne, même parmi ceux que le meurtre ou
la prise en otaze du roi François 11 eût mis le plus en fête, ne voulut
en porter la responsabilité. Le seul qui eût été à même de révéler à
l’histoire tous les secrets de la coujuration, parce qu'il en était l'acteur
principal, La Renaudie lui-même, disparut dans le drame, foudroyé
d'uue balle au frout. Et tandis que l’on découpait en morceaux son
cadavre cloué au pilori d'Amboise, ailleurs on déchirait les documents
témoignant de relations compromettantes avec le chef des conspirateurs.
Les Guisards accusèrent volontiers les réformés d'avoir seuls tenté ce
coup de force et dénoncérent l’œuvre de la Genève de Calvin et de
Bèze. Ceux-ci s'eu lavèrent les mains le mieux qu’ils le purent cet
essayèrent de réduire, sinon d'effacer, la tache de sang qui toujours
réapparaît.
Une nouvelle fois M. Naef instruit le fameux procès dans l'ouvrage
présent : La conjuration d'Amboise et Genève. Reconnaissonsle de
suite : son étude fait honneur à la fois au sens critique du juge
d'instruction et au talent de l'écrivain qui se rencontrent en lui.
L’exposése déroule de la façon la plus naturelle du monde. L'événement
que constitue la conjuration et le tumulte d'Amboise est replacé dans
le milieu historique qui l'explique : l'état de malaise profond dont
souffrait la France en 1559. Une seconde partie expose l'accusation qui
pesa aussitôt sur Genève et ses prédicants. La ville-église se mit sur la
défensive de toutes les façons. Tout l'intérêt se concentre sur cette
derniere partie du 1écit, qui est d’ailleurs la plus développée et la
‘AMBOÏSE ET GENÈVE. 115
H. NAEF : LA CONJURATION D
mieux étudiée. On y voit tour à tour Calvin, Bèze et les pasteurs se
détattre contre différentes accusations. Pour le procès de Calvin
beaucoup de lettres, antérieures à l'échec de la conjuration, out dis-
paru. Entre autres : « On suit que la plupart des lettres üe Calvin à *
Morel sont perdues en sorte que nous ne connaissons pas la réponse
qu'il ft aux instances de ses disciples parisiens » (p. 79). L'auteur en
arpelle surtout aux déclarations que tit le père du protestantisme
français au lendemain de la mort de La Renaudie. « Des documents
étudiés il résulte que le patriarche fut mis au courant des projets de
œnjuration et s’il ne s’y opposa pas avec vigueur c’est parce que au fond
de son âme veillait l'espoir d’un succès imprévu ; parce qu'il connaissait
op Les justes raisons du complot pour trouver criminels des projets
juil désapprouvait pourtant. » (p. 163) C'est bien là ce que disait déjà
Bossuet dans l’Hisloire des variations (Œuvres Vol. XIV, p.427) : « On
nous allègue Calvin qui après que l’entreprise eut manqué, a écrit deux
lettres où il témoigne qu'il ne l'avait jamais approuvée. Mais lorsqu'on
est averti d’un complot de cette nature, en est-on quitte pour le blâmer
sans se mettre autrement en peine d'empêcher le progrès d’un crime
si noir ? Si Bèze eùt cru que Calvin eût autant détesté cette entreprise
qu'elle méritait de l’être, l’aurait-il approuvée lui-même et nous aurait-
il vanté l’approbation « des plus doctes théologiens » du parti f Qui ne
voit donc que Calvin agit ici trop mollement, et ne se mit guère en
reine qu’on hasardât la conjuration, pourvu qu’il pût s’en disculper en
cas que le succès en fût mauvais? Il n’est pas ici question d’éluder un
fait constant, en discourant sur l’incertitude des histoires et sur les
partialités des historiens, ces lieux communs ne sont bons que pour
èblouir. »
La culpabilité de M. de Bèze ne fait pas de doute et l’auteur, qui
plaide coupable, recourt aux circonstances atténuantes. Le procès
Morely-Bordon, les déciarations de Calvin et de Bèze ne changent ni
se diminuent la responsabilité encourue par la réforme dans cette
echauffourée qui fut le prélude des guerres de religion. Le beau zèle
que l’on déploya aprés coup à se désolidariser de cette entreprise
avortée, montre à lui seul combien l'on sentait ardue la tâche quand on
cherchait à s'imposer à soi-même et puis aux autres la conviction de
son innocence. |
La conclusion de l’auteur met en lumière la profonde moditication
qui se constate au sein de la réforme française à la suite de la journée
d' Amboise. « Pour la première fois, le gouvernement royal découvre
dans les protestants, non seulement un ramassis de mécréants et de
désorganisateurs, encouragés par quelques grands seigneurs ambitieux
ou jaloux, mais un parti militaire authentique avec lequel il prend
rudement contact... C'est la fin des exécutious judiciaires des proces
en hérésie, c’est la fin des büchers. Ce n’est point celle de la vivlence,
mais lorsque la violence éclatera de nouveau ce sera sous une forme
nouvelle aussi : la guerre et les massacres. Les Eglises ne furent plus
116 COMPTES RENDUS.
ces assemblées de saints prêts à chaque instant au martyre; elles
devinrent des centres où les théologiens, juristes et capitaines débat-
taient avec âpreté la légitimité de la défense par les armes. »
126 pages d’annexes ne sont pas la part la moins utile du travail :
c'est uu ensemble bien assorti de documents que l’on est heureux de
trouver rassemblés ici.
« Sans nous prêter à ces desirs apologétiques assez mesquins, disait
M. Henri Naef en commençant son livre, nous avons uu intérêt philo-
sophique à être renseignés sur l'aventure de La Renaudie. » Ceux qui
voudront prendre connaissance de tout l'ouvrage, conviendront
volontiers avec nous que l’auteur a bien réalisé son programme ct par
son exposé méthodique, et par les anvexes et — last not least — par les
excellentes tables bibliographique et onomastique des travaux et des
personnuzes étudiés. P. M. PIETTE.
The Spirit of Saint Jane Frances de Chantal as shown by her letters,
translated by the Sisters of the Visitation Harrow-on-the-Hill, with
a Preface by His Eminence Cardinal Bourne. Londres, Longmans,
Green and C°, 1922. {n-8, xvi1-466 p. Prix : 21 s.
« L'esprit de Sainte Jeanne-Françoise de Chantal », ces 250 lettres
permettent vraiment, grâce à un choix judicieux, de le connaitre sous
ses divers aspects ; elles nous le manifestent à la fois comme foyer
d'union avec Dieu, et comme principe directeur d'une action
constammezut poursuivie sous le regard de Dieu et rapportant tout à sa
gloire. Mais elles font plus : elles nous livrent, pour ainsi dire, un
irayment considérable de la biographie de cette femme remarquable,
en nous mettant sous les yeux les détails de son zèle éclairé et de son
infatigable activité durant une période de vivgt-sept ans. Elles vont,
en effet, abstraction faite de vingt-cinq, qui sont sans date, de 1614 à
1641 ; et l'on a été bien inspiré de les ranger, dans ce volume, suivant
leur ordre chronologique. La derniére est une lettre circulaire, qu’à la
veille de sa mort, le 12 décembre 1611, la bicnheureuse fondatrice,
soucieuse jusqu'au bout du bien commun, dicta pour recommander à
tous les monastères de la Visitation la tidélité à la régle et une appli-
cation de tous les instants à avancer dans les voies de la perfection.
La plupart sont adressées à des supérieures de couvents ; elles ont trait
tantôt à des points de direction spirituelle, tantôt, et plus fréquemment
peut-être, à des questions de gouvernement et d'administration monas-
tiques. Quelques-unes ont pour destinataires saint François de Sales et
d'autres évêques ou personnages influents, de qui certaines com-
munautés de Visitandives dépendaieut plus ou moins. L'ensemble vaut,
pour la connaissauce des origines de la Visitation, et aussi un peu
pour la connaissance du monde ecclésiastique et religieux de l’époque,
ce que vaudraient des mémoires ; ou, plutôt, il vaut beaucoup mieux,
THE SPIRIT OF S. JANE DE CHANTAL. 117
parce que, à la différence des mémoires, cette correspondance a été
rédigée uniquement en vue d’un résultat à obtenir immédiatement,
pour des personnes qui pouvaient se renseigner par ailleurs sur la
vérité des faits, sans préoccupation d'une postérité devant laquelle les
ménorialistes sont trop enclins à poser et à laquelle manqueront
sauvent les moyens de contrôle.
En nous donnant ce recueil, les Visitandines d'Harrow-onthe-Hill
pe se sont pas bornées à rendre très fidèlement en leur langue le texte
original ; elles ont, avec intiniment de raison, ajouté, par-ci, par-là,
quelques notes sobres et concises, pour éclairer des passages ou des
allusions qui sans cela eussent été difficilement intelligibles ou même
&raient restés lettre morte pour la généralité des lecteurs. Elles
avouent du reste que, dans la publication de ce volume et le choix des
fièces qui le composent, elles ont été guidées secondairement par le
désir de redresser plusieurs appréciations émises dans un ouvrage
récent et à l'examen desquelles elles consacrent deux courts Appendices.
Une femme de talent, Miss Sanders, a publié en 1918 un livreintitulé :
Sainte Chantal; a study in vocation. Elle y porte un jugement peu
équitable sur la situation générale de l'Ordre de la Visitation au
moment de la mort de sainte Chantal et en particulier sur le caractère
et les actes de la Mère de Blonay, une des premières supérieures de la
maison de Lyon; et de trois lettres, adressées, croit-elle, à Angélique
Aroauld, elle tire cette conclusion : « L'’unique personne vers qui la
äinte se tournait dans ses crises de découragement intérieur était
Anselique de Port-Royal. » Un simple coup d'œil sur quelques-unes des
lettres ici réunies permet de faire ample justice des deux premières
appréciations, et tout lecteur non prévenu se demandera avec
étonnement comment des erreurs si manifestes ont été possibles. Il en
est de même du troisième point, pour ce qui concerne le prétendu
exclusivisme de notre sainte dans ses épanchements confidentiels : nous
la voyons ici revenir à plusieurs repr.ses sur les grandes peines
intérieures de ses dernières années et s’en ouvrir, avec une humble
simplicité et une parfaite candeur, au moins à quatre religieuses de
son ordre. Il est donc absolument certain et surabondamment prouvé
par la correspondance de sainte Chantal qu’elle eut d’autres confidents
ou confidlentes de ses épreuves spirituelles que la Mère Angélique.
Mais la Mère Angélique a-t-elle jamais été, elle aussi, honorée de ces
confidences ? C’est ce qui resterait à établir et ce qui, jusqu’à preuve
réremptoire du contraire, a contre soi toutes les vraisemblances. Les
tros lettres dont Miss Sanders fait état ont été puvliées dans les Epitres
épirituelles de la Mère de Blonay, avec cette suscription : «& A une
grande servante de Dieu. » Qui est cette « grande servante de Dieu » ?
Impossible de le dire avec quelque certitude. Miss Sanders pense que
cest la Mère Angélique ; et, si nous voulons l’en croire, elle n’est
arrivée à cette persuasion « qu’au prix de plusieurs années’ d'étude des
personnes et des lettres en question ». Mais à l'appui de son sentiment
118 COMPTES RENDUS.
elle n’apporte aucun argument sérieux. Force nous est donc de le
considérer comme de nulle valeur.
Après cela, j'avouerai bien franchement ne pas voir soit l'utilité,
soit la possibilité de mettre en doute, ainsi qu’on semble le faire en un
endroit du premier Appendice, l'authenticité des trois lettres dont il
s'agit. On les rapproche de neuf autres lettres jadis colportées par les
Jansénistes, comme écrites par sainte Chantal à la Mère Angélique, et
qui sont non seulement semblables, mais identiques, pour une partie
de leur contenu, aux trois premières; de part et d'autre, en effet, nous
trouvons de longs alinéas, sinon des pages entières, où nous ne relevons
ni la différence d’une ligne, ni la différence d’un mot. Partant du fait
de cette étrange coincidence, on nous dit textuellement : « Ou bien les
lettres apocryphes qu’on donnait comme écrites par sainte Jeanne-
Françoise à l’abbesse sont particllement ou totalement œuvre de
faussaires, ou bien les lettres « à une grande servante de Dieu » n’ont
pas été adressées à l’abbesse. » Le dilemme est en soi très juste et très
fondé; mais qu’en tirer d’utile pour le cas présent ? Rien, nous semble-
t-il, puisque le premier membre de la proposition disjonctive est
aujourd’hui admis par tout le monde. L’Appendice, dans la même
page, rend fort bien raison de cette unanimité : « Les lettres ont fait
leur apparition en 1615, deux ans après la condamnation du jansénisme
et après la mort de l’abbé de Saint-Cyran, et personne n'a jamais vu
l'original d'aucune. Elles furent publiées par Robert Arnauld d'Andilly,
ami et disciple de Saint-Cyran et frère de la Mère Angélique. Mais à
peine eurent-elles vu le jour que leur authenticité fut contestée de
toutes parts. Sommé de produire les originaux, d'Andilly promit de le
faire, et il ne le fit point. Lui mort, ses héritiers coupèrent court aux
réclamations en déclarant que les manuscrits étaient perdus. » Bref,
les neuf lettres de 1645 sont manifestement inauthentiques, et de
la comparaison avec elles il ne peut résulter aucun préjudice pour les
trois lettres & à une grande servante de Dieu ». Aussi-bien, quant à
celles ci, il nous suffit de constater qu'aucun motif sérieux n'existe d'en
revendiquer l'honneur ou le bénétice pour la Mère Angélique et, par
ricochet, pour le parti janséniste.
Le second Appendice nous met sous les yeux quelques extraits
probants des deux groupes de lettres trop étroitement apparentés pour
que l’un des deux ne soit pas un décalque maladroit, destiné à faire
des dupes. IT contient en outre, d'après une Histoire non publiée de la
fondation du premier Monastère de la Visitation de Paris, des détails
tres intéressants et très précis sur les inimaginables péripéties de la
résistance des religieuses de Port-Royal à la Mère Louise-Marie de
Fontaine, qu’on leur avait donnée comme supérieure, Ces indications
contirment, en les complétant, celles du Père Rapin sur le même sujet.
J, FORGET.
A. GAZIER : HISTOIRE GÉNÉRALE DU MOUVEMENT JANSÉNISTE. 119
AceusTin Gazier. Histoire générale du mouvement janséniste, depuis
ses origines jusqu’à nos jours. Paris, E. Champion, 1922. 2 vol.
in-42, x-342 et 376 p. Fr. 30.
M. Gazier est le premier historien qui se soit efforcé de nous donner
une histoire complète du jansénisme « depuis ses origines jusqu'à nos
jours ». En outre, dans cet ouvrage, il veut s'attacher, plus que les
historiens précédents, à mettre en lumière les doctrines du jansénisme
ou, ce qu’il appelle lui-même, « l'esprit port-royaliste ou janséniste ».
L'ouvrage complet comprend vingt neuf chapitres, dont les douze
premiers sont consacrés à l’histoire du jansénisme jusqu’à la destruc-
tion du monastère de Port-Royal en 1709, les onze suivants, aux
controverses suscitées en grande partie par la bulle Unigenitus, les six
derniers, aux vicissitudes qu'ont éprouvées les jansénistes depuis la
Révolution française.
Les douze premiers chapitres présentent relativement beaucoup
moins d'intérêt que les suivants. Nous possédons, en effet, pour cette
periode, l'admirable Port-Royal de Sainte-Beuve et une foule de
mémoires, de relations et d'histoires jansénistes, dont M. Gazièr se
contente de reprendre les affirmations. Ainsi, pour M. Gazier, comme
pour les historiens jansénistes du xv11° siècle, le jansénisme se rattache
directement à l’augustinisme orthodoxe ; ses trois chefs, Jansénius,
Naint-Cyran et Arnauld, ne ressemblent en rien à des hérésiarques,
ruisqu'ils ont été, pendant toute leur vie, animés du zèle le plus pur
pour l'Eglise et l’orthodoxie ; enfin, la vraie hérésie en matière de la
grâce et de la prédestination c’est le molinisme, répandu par les
jésuites, qui a été justement réprouvé par les grandes écoles de théo-
logie, par les dominicains, voire même par le Saint-Siège. De même,
pour l'affaire des cinq propositions comme pour l’histoire du formulaire
et de la paix de Clément IX, on ne retrouve, chez M. Gazier, qu’un
resumé du Journal de Saint-Amour et des relations jansénistes.
L'histoire de la bulle Unigenitus est, jusqu'à présent, fort mal connue.
M. Gazier a le mérite de la reconstituer, au moins dans ses grandes
lignes, encore qu'il le fasse dans un esprit franchement apologétique
et janséniste. On ne peut guère nous demander de résumer ici les
vives polémiques et les nombreux incidents auxquels cette fameuse
bulle a donné lieu. Ils remplissent, en effet, presque toute l’histoire de
l'Eglise en France pendant le xviri° siècle, et intéressent toutes les
classes de la société : les membres du gouvernement et des parlements,
les papes, les évêques, les curés et les religieux, les philosophes et les
littérateurs, même le peuple : tous ont été engagés dans le débat et
amenés à prendre position dans la question janséniste.
Pendant la Révolution française et le règne de Napoléon, les jansé-
nistes de France n'eurent pas spécialement à souffrir des changements
de régime politique. Mais leur nombre et leur influence allaient en
diminuant. Bientôt ils ne formaient plus qu'un petit groupe, dont le
120 COMPTES RENDUS.
centre restait Paris. À partir de 1830, l’histoire du mouvement jansé-
niste ne touche plus à l'histoire générale. On lira cependant avec
intérêt les anecdotes rapportées par M. Gazier, dont plusieurs font
mieux connaître certains personnages historiques du xix° siècle.
M. Gazier a reproduit, en appendice, 1) les « propositions erronées
extraites du livre de Molina et condamnées par la bulle inédite de
Paul V en 1007»; 2) « l'édition janséniste de la bulle Unigenitus
(1741) » ; 3) « la bulle Unigenitus et le pape Clément XI d'après les
archives du Vatican ».
Comme il a déjà été dit, l'ouvrage de M. Gazier a été composé dans un
but ouvertement apologétique. « Le jansénisme n’est qu'un fantôme »;
«il n’y a jamais eu de véritables jansénistesy : telle est la profession
de foi que l’auteur adresse, au début, à ses lecteurs et qu’il essaie de
justifier au cours de tout son livre. Cette tendance apologétique que
l’on saisit presqu’à chaque page, diminue singulièrement la valeur
de cette histoire du jansénisme. Et si on lui reconnaïtra uue grande
richesse d'information, on n’accordera, en général, qu’un faible crédit
aux interprétations et aux jugements qu'elle donne des faits et des
hommes.
De plus, on regrettera que, dans une histoire générale du jansé-
nisme, M. Gazier n'ait pas donné une place plus grande aux contro-
verses suscitées aux Pays-Bas et en Italie. Les quelques pages qui leur
sont consacrées, sont manifestement insuflisantes pour donner une idée
du mouvement janséniste dans ces pays. Même des événements de
première importance, comme p. ex. la célébration du concile de Pistoie,
y sont passés sous silence.
Enfin, à mon avis, M. Gazier ne nous donne guère, ce qu’il nous
avait promis, une histoire des doctrines jansénistes. Ses idées sur la
vérité du jansénisme et sur la parfaite orthodoxie de ses défenseurs
l'ont empêché de voir l'évolution doctrinale des controverses provoquée
par les condamnations successives de Rome. Sous ce rapport encore,
on pourra relever chez M. Gazicr de graves lacunes. Ainsi, pour ne
citer qu'un exemple, aucune relation n’est Ctablie par lui entre l'Augus-
tinus et la doctrine de Baius.
En somme, l'ouvrage de M. Gazier présente de très graves défauts et
de lacunes regrettables et il est loin de nous présenter une histoire
impartiale et générale du mouvement janséniste. D'autre part, on y
apprendra de nombreux détails inédits, notamment sur l’histoire reli-
gieuse du Xvir1° et du x1x° siecle. A. DE MEYER.
Dr JoRANNES B. KissLiNG. Der deutsche Protestantismus (1817-1917).
Eine geschichtliche Darstellung. T. 1-11. Munster, Aschendorff,
1948. x1-422 ct x1-440 pages.
Ce fut une excellente idée qu'eut avant la grande guerre M. le docteur
Kissling, de retracer dans le détail, en vue du centenaire de Luther,
J. B. KISSLING : DER DEUTSCHE PROTESTANTISMUS. 121
qui tombait en 1917, cent ans d'histoire du protestantisme allemand :
les deux volumes que nous avons sous les yeux, parus durant la der-
nière année de la guerre, méritent d'être considérés comme une excel-
lente synthèse du sujet. Au début, nous assistons à l’audacieuse
entreprise d’un roi de Prusse, il y a un siècle, pour supprimer les
diverrences dogmatiques entre luthériens et calvinistes, et construire,
tant bien que mal, une Église évangélique prussienne dont l'État sera
le cadre ; d’un bout à l’autre de l'ouvrage, nous sommes témoins des
itempérances d’une pensée théologique mal contenue par le principe
du libre examen, mais défendue par l'Etat — par l'Etat seul — contre
œærtains vertiges ; et lorsque le livre se clot, nous sommes à la veille
du jour — fut-il prévu par M. Kissling ? — où toutes les armatures
d'Etat qui enserraient, partout en Allemagne, l'établissement protes-
tant, vont succomber.
L'ouvrage manque de conclusion, car ce n’est point réellement con-
clure, que de citer, en terminant, certaine brochure publiée en 1917 par
un orthodoxe d’Altona, et où se lisent des phrases comme celles-ci :
«Le protestantisme n’a aucune raison de fêter des jubilés, mais bien
plutôt de faire pénitence, dans un sac et dans la cendre. Le mouvement
de réformation qui eut son point de départ en 1517 a expulsé un diable,
mais en à introduit sept, plus acharnés ; la réformation peut à juste
titre étre nommée une déformation, parce que ses bonnes intentions se
sont pour la plupart dévoyées ; une réforme de la vieille Eglise était
en ce temps-là nécessaire, mais celle qui est survenue est manquée. La
seule puissance d’idées qui en Allemagne ait de l'influence sur la vie
populaire est aujourd’hui l’Église romaine, parce qu’elle est catholique. »
Voilà les citations par lesquelles s’achèvent les deux volumes de
M. Kissliog ; elles sont comme le point final après lequel il pose la
plume.
Comment lui reprocherais-je cette maigreur de conclusions, qui
l'amène, à l'issue d’un travail aussi fouillé, à reproduire tout uniment
les thèses un peu sommaires d’un écrit de polémique ? M. Kissling, au
moment où il publia ce livre, avait probablement le pressentiment
qu'une période nouvelle allait s’ouvrir pour les Eglises protestantes ;
les craquements mêmes qui commençaient à se faire entendre dans
l'Etat présageaient à ces Eglises un changement de destinée. Mais
pouvait-on lui demander d'arrêter sa pensée sur l’imminence de cer-
taines catastrophes politiques, évidemment douloureuses pour lui?
L'ouvrage de M. le docteur Kissling tourne court, parce que soudaine-
ment, au moment où il achève son avant-dernière page, les charpentes
ficielles où s’encastrait le protestantisme s’effondrent.
Son œuvre a l’insigne mérite de ne laisser dans l’ombre aucune des
activités du protestantisme : de période en période, l’auteur en décrit
l'activité sociale, non moins que l’activité théologique. Sans cesse il
s'appuie sur les textes ; les monographies de tous les personnages qui
se sont fait un nom dans les Églises allemandes du dix-neuvième siècle
122 COMPTES RENDUS.
lui sont familières. On a plaisir, aussi, à le voir, lorsqu'il le peut, con-
sulter certaines enquêtes sociales pour y puiser des détails sur l'état
moral et religieux des populations. Il donne des précisions sur l'effort
missionnaire du protestantisme allemand; peut-être est-il permis de
les trouver un peu rapides, et consistant surtout en des chiffres. Mais
dans un livre où l’auteur se préoccupe sans cesse de montrer les évo-
lutions d'idées qui se produisent au sein de la Réforme, on aimerait
rencontrer quelques pages sur les progrès qu'a faits, au dix-neuvième
siècle, l’idée même de mission chez les païens ; car, dans ce domaine
aussi, l’on vit se dessiner certains courants d'idées qui paraîtront sin-
gulièrement neufs si nous nous rappelons les véhémentes hostilités
auxquelles se heurtèrent, dans l'Allemagne du xvn* siècle, quelques
âmes d’apôtres, éprises du salut des sauvages.
Pour chaque époque, M. Kissling consacre un chapitre aux mouve-
ments de conversion qui amenèrent des Âmes protestantes à l'Eglise
romaine ou des âmes catholiques à la Réforme : mais dans le récit de
la période qui s'écoule entre les années 1890 et 1917, ce chapitre fait
défaut.
Enfa les pages très brèves sur les travaux consacrés à Luther
auraient pu, nous semble-t-il, prendre plus d’ampleur : il y aurait eu
une étude à faire sur l'effort constant de l'empire bismarckien pour
« nationaliser » de plus en plus la personnalité de Luther ; mais on se
rendra compte aisément que les circonstances parmi lesquelles M. le
docteur Kissling a mené son livre à bonne fin lui rendaient difficiles
certaines constatations.
Et d'avoir, parmi de pareilles circonstances, suivi avec tant de pré-
cision et tant de sérénité scientifique les vicissitudes du protestantisme
allemand, c'est ce dont on doit faire honneur à M. Kissling, et lui dire
merci. GEORGES GOYAU.
+. ©
CHRONIQUE (1).
Allemagne. — G. ScHREIBER, Die Not der deutschen Wissenschaft und der
gastigen Arbeiter (Leipzig, Quelle et Meyer, 1923. 149 p.) montre qu’en
Allemagne, comme dans les autres pays à change déprécié et plus que partout
ailleurs, la situation économique pèse sur les travailleurs intellectuels,
entrave les recherches scientifiques, empêche les publications importantes
qui ne peuvent compter sur des achete1rs étrangers et amène la disparition
de nombreuses revues, presque toutes étant obligées de réduire leur étendue.
Très souvent les publications faites en collaboration manquent d'unité et
renferment des partics de valeur fort inégale. On retrouve ces défauts dans
le grand travail édité par l'historien berlinois E. Marcxs et le professeur de
Munich K. À. v. MueLer : Meister der Politik. Eine weltgeschichtliche Reihe
yon Bildnissen. T. I-III. (Berlin et Stuttgart, Deutsche Verlagsanstalt, 1922-
1923. In-4.) A côté d'excellentes biographies, qui sont l’œuvre de spécialistes et
lc fruit de longues années d’études, telles que celles signées par E. Schwartz
Hampe, Marcks, etc., ces volumes en contiennent d'autres de moindre
importance. De plus, tous les collaborateurs n’ont pas la même idée de la
politique ni la même notion du grand homme politique. Plusieurs biographies
pe sont autre chose qu’une page d’histoire générale. Et que viennent faire
Calvin et Ignace de Loyola au milieu de Othon le Grand, Grégoire VII,
Innocent III, Charles IV, Séliman, Charles-Quint ? Seraient-ils tous politi-
ciens et au même titre ?
Nombre de ces études intéressent l'histoire ecclésiastique, comme l’in-
diquent les noms que nous venons de citer et auxquels on pourrait en ajouter
d’autres ; malheureusement, ce ne sont pas toujours les meilleures. Ainsi. si
E. Schwartz nous fait bien connaître Constantin, J. Haller donne des
appréciations inexactes de Grégoire VII et Innocent III; E. Gothein n’a pas
suffisamment tenu compte des recherches de Bôhmer en écrivant sur
$. Ignace; la biographie de Léon XIII par W. Goetz ne donne pas un portrait
fdèle de ce pape.
— M. G. Suezer, président de la cour de cassation à Zurich, est un chaud
partisan du spiritisme. Il admet, sur la foi des expériences spirites, l'existence
des âmes désincarnées, des purs esprits, voire même celle des kobolds. En
otre, il croit non seulement que les âmes désincarnées et les esprits peuvent
entrer en relations avec les vivants, — ce à quoi il trouve profit, — mais
exore qu’ils peuvent les affliger et 1cs posséder. M. Sulzer s’attache à
Prouver ses croyances en discutant avec le Dr Henneberg six cas de maladie
(1) Le Comité de Rédaction sera reconnaissant aux Sociétés savantes, aux
Auteurs et aux Libraires qui voudront bien lui adresser (rue de Namur, 40,
Lotvaix) Les nouvelles, les articles et les ouvrages qui peuvent être annoncés
“lement soit dans la CHRONIQUE, soit dans la BIBLIOGRAPHIE de lg REVUE
D'HISTOIRE KCCLÉSIASTIQUE.
124 CHRONIQUE.
mentale, qui relèveraient tous de la présence d’un esprit et qu’il propose
d'appeler « dementia, paranoïa spiritistica ». Après avoir indiqué les causes
et les caractères de la possession, il étudie, à la lumière de ces données,
les narrations des évangiles qui ont trait aux possédés (Die Besessenheits-
heilungen Jesu. Leipzig, Oswald Mutze, 1921. 52 p.) et il conclut que tous
les caractères de la possession, signalés par le spiritisme moderne, y sont
réalisés. L'auteur se déclare heureux d’avoir établi de cette façon la réalité
de l’objet des croyances de Jésus et des évangélistes, et d’avoir contribué à
prouver l’historicité du surnaturel dans la vie du Christ. La brochure n’a
guère de valeur scientifique. On peut la lire à titre de curiosité.
J. CoPPENs.
— W. Larrezp, en étudiant l'inscription de Delphes, arrive à la
conclusion que S. Paul aurait séjourné à Corinthe de l'automne 51 au prin-
temps 53 (Neue kirchliche Zeitschrift, 1923, t. XXXIV, p. 638-647).
Le Privatdozent Dr Max RAUER consacre une étude aux « faibles », dont
il est question dans les épîtres de S. Paul Ad Cor. et Ad Rom. : Die
Schwichen in Korinth und Rom (Biblische Studien, t. XXI, fasc. 2-3. Fribourg,
Herder, 1923. 192 p.). Rauer admet que, dans les deux lettres, ces faibles sont
des chrétiens venus de la gentilité. Ceux de Corinthe, par suite de l’horreur
qu'ils avaient pour le culte idolâtrique, considéraient encore les idolothytes
comme essenticllement viciés par l’action du démon. Ceux de Rome avaient
conservé de l'ancien culte des mystères une fausse estime de certaines
abstinences, qu'ils croyaient être particulièrement méritoires et efficaces et
qu'ils désiraient conserver. GR.
— Dans les Sitzungsberichte d. preuss. Ak. d. Wiss. de Berlin (x92x,
p. 989-1017) E. SECKEL communique la reconstitution qu'il a faite du texte
de l'inscription CILVIIL25045, retrouvée à Carthage en 1900. De cette inscrip-
tion, coupéc verticalement, la partie centrale a disparu, laissant le texte de
chaque ligne interrompu. Seckel a réussi à combler cette lacune considérable
(le texte reconstitué forme à peu près le tiers de l’inscription) et à déterminer
le contenu, la date et la patrie du monument. Il y voit notamment un décret
contre les « bigames » (veufs remariés), porté par la communauté montaniste
de Carthage à la fin du 11e siècle. Le texte reconstitué par Seckel est aussi
reproduit dans la Zeitschrift für Kirchengeschichte, 1923, nouv. sér., t. V,
P. 43. A. D. M.
— Dans un article : Zu den am Rhein, in Trier und in Vermand gefundenen
altchristlichen Bronzereliefs (Byzantinisch-neugriechische Jahrbücher, 1923,
t. IV, p. 84-92), E. BECKER étudie les appliques en bronze de l’époque romaine
trouvées dans les pays indiqués. Par le style aussi bien que par les motifs,
elles ne rappellent pas seulement les sculptures des anciens sarcophages
chrétiens dont elles dépendent, mais elles sont aussi étroitement apparentées
aux objets du culte de Mithra retrouvés dans ces mêmes pays. Elles témoignent
ainsi de l’existence simultanée des deux religions dans ces régions ; mais de
plus, comme on a trouvé des objets analogues en Pannonie, il paraît vraisem-
blable qu'ils ont été apportés et répandus par les légionnaires romains qui
changeaient fréquemment de cantonnement. L'auteur espère tirer des con-
clusions intéressantes d’une étude comparative des trouvaiiles faites sur les
bords du Rhin et sur les bords du Danube,
ALLEMAGNE. 125
Dans les By7.-neugriech. Jahrb., 1923, t. IV, p. 107-128, Nikos A. Bees
publie un article sur les Darstellungen altheidnischer Denker und Autoren in
der Kirchenmalerei der Griechen. Il commence par relever les deux courants
d'idées qui existaient dans |’ Église grecque : si la doctrine officielle et
plus encore la liturgie étaient hostiles aux grands penseurs de l'antiquité,
ceux-ci comptaient par contre des admirateurs sincères chez les principaux
représentants de cette Église. Partant de cette constatation, il étudie d’abord
le manuel de peinture du Mont Athos et montre ensuite que de fait on trouve
dins des églises, tant au Mont Athos qu’en Grèce et en Asie Mincure, à côté
d'icones, des représentations de Platon (parfois avec nimbe), d’Aristote, de
Socrate, de Philon, etc. Toutes ces images datent, il est vrai, de la domination
ttrque et se trouvent en général dans le narthex de l'église, qui servait aussi
d'école. En finissant, l’auteur fait remarquer que parcilles représentations
sont très rares en Occident. Il aurait cependant pu en trouver encore quel-
ques exemples dans F. X. KRaAUS, Geschichte der christlichen Kunst, t. IL
p. 403 et dans E. Mae, L'art religieux du XIIIC siecle en France, 3° édit.,
P. 387-389.
Dans la Zeitschrift für Missionswissenschaft, 1923, t. XIII, p. 135-152<
E. FLaskamp étudie la conversion de la Hesse par S. Boniface. La fondation
du monastère de Fritzlar, que l’on plaçait jusqu'ici dans les années 732-735,
en se basant sur la vie de S. Boniface, aurait eu lieu, d’après lui, pendant les
premiers temps du ministère du saint en Hesse. en automne 723.
G. Lüers, Marienverehrung mittelalterlicher Nonnen (Aus der Welt
Christlicher Frümmigkeit. T. VI.) Munich, E. Reinhardt, 1923. vix1-64 p. Après
une introduction sur les fondements théologiques du culte de la Vierge,
l'auteur montre la dévotion à Maric en honneur d'abord chez les religieuses
du haut moyen âge, Hrosvith de Gandersheim, Herrad de Landsperg et Uta
de Ratisbonne, ensuite chez les grandes mystiques allemandes depuis Hilde-
garde de Bingen jusqu'aux deux Ebnérin. Gr.
— Encore une petite énigme qui disparaît de l’histoire de l’ancienne
littérature chrétienne par le hasard d’une heureuse découverte! L'édition
des œuvres de saint Léon le Grand, donnée par les Ballerini, donne les
lettres 34 et 35 comme adressées à Julien, évêque de Cos. On se demandait,
sans pouvoir répondre d’une manière satisfaisante, comment le Pape avait
adressé le même jour deux lettres de même contenu au même personnage.
Un manuscrit de Munich (lat. 14540, s. viui), qui présente les lettres de saint
Léon dans une recension datant, semble-t-il, des environs de 550, désigne
comme destinataire de la seconde de ces lettres, Juvénal, évêque de
Jérusalem. C’est la perspicacité de A. JüLICHER qui a distingué et relevé la
valeur de ce détail, en recensant (Theologische Literaturzeitung, 1923,
t XLVIII, c. 419) l'ouvrage de E. H. BLAKENEY : The Tome of Leothe Great
(Londres, 1923). Le manuscrit de Munich renferme peut-être encore d’autres
données critiques intéressantes ; on comprend que A. Jülicher en souhaite
une prompte exploration par un savant aussi compétent que C. H. Turner,
qui l’avait rendu accessible à M. Blakeney.
Dans une note de la Theologische Literaturzeitung (1923, t. XLVII,
col 431-432), G. KRüGER signale et commente brièvement une découverte
qui rappelle absolument celle, faite il y a quelque trente ans, de l’Apologie
136 CHRONIQUÉ.
‘
d'Aristide dans le roman de Barlaam et Joasaph. Sous le titre À New Chris-
tian Apology, J. Renpez Harris communique, dans le Bulletin of the John
Rylands Library, Manchester (1923, t. VIL, p. 355-383) qu’il a retrouvé, dans
les Actes du martyre de sainte Catherine du Sinaï, une apologie chrétienne
aussi ancienne que celle d'Aristide. Il s’agit d’une réfutation de la croyance
aux faux dieux, dans laquelle sont insérés des emprunts aux auteurs paiens,
et qui se termine par une profession de foi chrétienne. J. Rendel Harris va
même jusqu’à compter sérieusement avec la possibilité de rentrer ainsi en
possession de l’apologie de Quadratus, dont on sait qu'Eusèbe de Césarée a
conservé le seul fragment connu. G. Krüger ne croit pas pouvoir le suivre
jusqu’à ce point, mais il n’en reconnaît pas moins la valeur de la thèse
principale concernant l'insertion d’une ancienne apologie du christianisme
dans les Actes de sainte Catherine. Cette découverte sera saluée avec une
heureuse surprise par tous les amis de l’ancienne littérature chrétienne.
Voulant étudier certains points de la théologie de saint Maxime le
Confesseur, M. W. Soppa n'a pas tardé à remarquer que la critique n'avait
pas encore assuré des bases documentaires assez fermes aux recherches doc-
trinales. Dès le principe, son attention a été frappée du peu de garanties
d'authenticité que présente une collection considérable de diversa capita
attribuée par certains manuscrits et par les éditions au théologien byzantin.
Les premiers doutes se sont confirmés et des constatations ultérieures ont
convaincu M. Soppa de l’'inauthenticité de cet ouvrage. C’est à établir cette
thèse qu’il a consacré sa dissertation doctorale : Die Diversa capita unter den
Schrifien des heiligen Maximus Confessor in deutscher Bearbeitung und
quellenkritischer Beleuchtung (Dresde, 1922. In-8, 132 p.). Dans la plus grande
partie de sa publication, l’auteur s’est employé à mettre en lumière le sens,
souvent assez obscur, des capita ; à cette fin, il a donné un exposé fidèle et
clair de leur contenu plutôt qu’une traduction littérale du texte grec. Autant
qu'il l'a pu, c’est-à-dire pour 451 chapitres sur 500, il a indiqué les références
à d’autres écrits, attribués aussi à Maxime, et avec lesquels on constate
une ressemblance qui va jusqu’à la concordance verbale et démontre un
rapport de parenté littéraire indéniable. Or, parnu ces textes parallèles, on
trouve les scolies aux Questiones ad Thalassium. L'authenticité de ces
scolies n’est guère appuyée par la tradition manuscrite ; elle se heurtc au
silence de Photius et à des dithcultés internes, qui paraissent très graves à
M. Soppa ; aussi n’hésite-t-il pas à la nier catégoriquement. La composition
des scolies étant renvoyée au milieu du xie siècle, la composition des diversa
capita, qui en dépend, ne peut plus étre rapportée à saint Maxime (580-662).
Ce n'est pas à dire que tous les capita doivent être considérés comme apo-
cryphes, car beaucoup sont empruntés à des ouvrages qui se réclament
encore légitimement du Confesseur. Mais la compilation comme telle ne peut
plus figurer parmi ses œuvres. On peut conjecturer avec vraisemblance
qu'elle a été composée, au xric siècle, par un certain moiae Antoine dont la
Melissa présente de grandes analogies avec les diversa capita, et dont le nom
est substitué à celui de saint Maxime dans un grand nombre de manuscrits.
Il est à souhaiter que les circonstances permettent à M. Soppa de combler
les lacunes, qu’il reconnaît lui-même, et les imperfections de ses informations
touchant la tradition manuscrite. Dant l’état actuel des choses, les spécia-
listes préfèreront sans doute réserver leur jugement définitif; mais il reste
au moins À l'auteur le mérite d'avoir posé une question intéressante et
Re ne re RER GS
ALLEMAGNE. 12?
d’avoir, pour la résoudre, réuni des éléments de valeur et proposé une hypo-
thèse qui est digne d'attention. C’en serait assez pour le féliciter et l’encou-
rager à pousser plus avant les études nécessaires pour mettre en pleine
lumière la valeur théologique de saint Maxime et l'influence de sa science
sur ses contemporains et ses successeurs.
On sait l'essor pris, en ces derniers temps, par les études d'histoire de
la liturgie, ct les efforts faits pour donner des bases et une orientation
ngourcusement scientifiques aux recherches et aux travaux dans ce domaine.
C'est la tâche que s'est assignée le Verein zur Pflege der Liturgiewissenschaft,
dont le siège est à l’abbaye bénédictine de Maria Laach; il la poursuit avec
un zèle aussi louable qu’éclairé en publiant un Jahrbuch für Liturgiewissen-
schaft et deux collections très méritantes, dont nous avons déjà parlé, les
Liturgiegeschichtliche Forschungen et les Liturgiegeschichtliche Quellen. Dans
cette dernière série, dont il partage la direction avec notre collaborateur
dom C. Mohlberg, le Dr A. RuEcxer, professeur à l’université de Munster,
vient de faire paraître un quatrième fascicule : Die syrische Jakobosanaphora
sach der Rezension Ja‘q6b(h) von Edessa, mit dem griechischen Paralleltext
(Munster, Aschendorff, 1923. In-8, xxxr1-88 p.). Il a voulu par là mettre entre
les mains des travailleurs la forme syriaque de cette partie d'une très
ancienne liturgie de la messe. Les circonstances difficiles de l’heure présente
n'ont pas permis de pousser jusqu’au bout l’examen des manuscrits, ni donc
de donner une édition critique et définitive, mais seulement de faire un pas
déjà très notable dans cette voie. Le texte reproduit est celui du plus ancien
manuscrit complet de l’anaphore attribuée au frère du Seigneur, c’est-à-dire,
celui du Brit. Mus. Addit. 14493 (s. x). L’apparat critique cst, comme le dit.
l'éditeur, tout à la fois négatif, en ce sens qu’il note les variantes des autres
manuscrits qui ont pu être collationnés, et positif parce qu’il fait intervenir
jes éléments et citations empruntés aux commentateurs. Dans de doctes
prolégomènes, M. Rücker étudie et expose l’histoire de la transmission du
texte, les rapports des témoins, par l'examen des manuscrits, des autres
versions, des commentaires et des éditions antérieures. Le texte grec
n'intervient ici qu’en ordre secondaire, pour permettre la comparaison avec
le texte syriaque ; aussi est-ce un texte éclectique, remanié, déchargé des
éléments qui manquent en syriaque et, par contre, enrichi de reconstitutions
conjecturales ou d’une traduction allemande pour ce que le syriaque offre en
pius. Trois appendices donnent des textes complémentaires, entre autres
(App. II) le texte complet des prières dont les manuscrits syriaques se
contentent de noter les premiers mots parce que les officiants devaient les
connaître de mémoire. Nous devons une mention spéciale aux deux lexiques,
svriaque et grec, qui terminent le fascicule ; ils notent avec références les
mots et expressions caractéristiques qui se rencontrent dans les textes. La
confection de tels lexiques est une heureuse et très utile habitude des publi-
cations scientifiques modernes ; elle rend les plus précieux services à tous
ceux qui sont amenés à s’occuper des traductions syriaques d'œuvres grecques
en leur permettant des études comparatives qui résolvent, à l’occasion, de
véritables énigmes. On regrettera que l'éditeur n'ait pas fait figurer dans ces
lexiques les éléments des deux derniers appendices et les noms propres. Cette
publication, dont nous félicitons très sincèrement M. Rücker, ne peut que
tonfirmer le renom scientifique et augmenter la valeur de la savante collec-
ton dans laquelle elle a paru et où elle tiendra une place marquante. Puissent
LD
128 CHRONIQUE.
les études liturgiques être poursuivies dans cette voie et avec cette méthode ;
c’est ainsi qu’elles seront sérieuses et fécondes. J. Leson.
— Dans le Neues Archiy (19233. t. XLV, p. 102-112), P. KEHR rappelle
l’histoire de la Bibliothieca Rossiana (voir RHE, 1922, t. XVIII, p. 428) et
extrait de son catalogue la liste des mss à consulter par les éditeurs des
Monumenta Germaniae historica. Il examine en particulier deux mss de
Casamari d'où il tire deux textes publiés en annexes : 1) un privilège accordé
par Innocent III à S. Domenico, près de Sora (28 juin 1206), et 2) un diplôme
adressé par l’empereur Frédéric IT à l’abbaye de Casamari (juillet 1222).
L'article du P. Vox, Aus der mittelalterlichen Klosterbibliothek von
St Jakob in Luttich (Benediktinische Monatschrift, 1923, t. V, p. 328-337) donne
des détails intéressants sur le contenu et l’organisation de cette bibliothèque
et sur la manière dont elle s'enrichissait. Gr.
— G. WENTZ, qui, en 1922, publia une étude sur l’histoire économique du
couvent des Augustins de Diesdorf en Brandcbourg, poursuit ses études dans
l’article : Gewerbe und Kloster (Forschungen j;ur brandeburgischen und preus-
sischen Geschichte, t. XXXVI, p. 1-13). Des comptes des xive et xve siècles il
ressort que le couvent n’entretenait pas d'artisans chez lui, mais recourait à
ceux de la localité pour les travaux ordinaires, à ceux des villes pour les
travaux plus artistiques. Les salaires qu'il payait étaient très élevés ; mais le
payement se faisait en grande partie en matières premières. Cette constata-
tion faite dans une étude locale semble avoir une portée plus générale et
pourrait sans doutc se vérifier dans d'autres endroits.
Dans son article Die Papstbiographien des Johannes Porta de Annoniaco
(Neues Archiv, 1923, t. XLV, p. 112-119), R. SALOMON reprend l'hypothèse
émise par M. G. Mollat, d’après laquelle Johannes Porta serait l’auteur de la
Vita ILs de Clément VI. En se basant sur les ressemblances de style qui
existent entre cette Vita et le Liber de Coronatione Karoli VI, M. Salomon
croit pouvoir attribuer avec certitude la Vita à Johannes Porta. Celui-ci serait
aussi l’auteur de la Vita Ils de Benoît XII.
— Dans la Zeitschrift für Bücherfreunde (E. Seemann, Leipzig, 1923. Nouv.
sér., t. XV, p. 60-63) le Dr O. LeuzE publie une intéressante notice : Die
Bibliothek der Nikolauskirche in Isny. La bibliothèque de cette église évan-
gélique date de la fin du xve siècle ; à la suite de la fondation d’une prébende
pour prédicateur, elle s'accrut par des donations de chapelains et par des
legs de bourgeois enrichis à la suite de voyages en Italie et en France. À la
fin du xviie siècle, la collection (qui ne s’augmenta plus guère depuis) com-
prenait 2.500 ouvrages, dont 80 mss ; ceux-ci, pour la plupart du
xve siècle, contiennent des sermonnaires, des traités théologiques, etc. Le
catalogue des incunables a été pu*hlié en 1916 par le même Dr O. Leuze. Il
comprend 170 numéros. H. Neris.
— F. ENGEeL-Janost : So;ialprobleme der Renaissance (Oesterreichische
Rundschau, 1923, t, XIX, p. 831-840) fait connaître l'attitude prise à cette
époque par l'Église et les théories développées par les écrivains catholiques
à l'égard de la recherche sans mesure de la richesse. Une défense des gains
exagérés et le rappel de l'idéal spiritualiste pourraient, d’après l’auteur, avoir
les mêmes résultats à notre époque. Son exposé est attachant, malgré son
optimisme,
ALLEMAGNE: 129
La librairie Heinsius de Leipzig vient de publier, en 1923, let. XVIII
(198 p.) de la collection : Briefe Martin Luthers, commencée par Enders et
Kawerau. Ce tome, préparé par feu FLEMMING et achevé par O. ALBRECHT,
contient des compléments aux volumes précédents. Gr.
— Malgré les travaux des biographes antérieurs, la vie et les entreprises
apostoliques de saint Clément Hofbauer n'avaient pas encore été mises dans
leur plein jour. Les documents rassemblés par le P. A. INNERKkOFLER, C.SS.R.,
dans son livre, Der Heilige Klemens Maria Hofbauer, dont la deuxième édi-
tion parut en 1913 à Ratisbonne, projetèrent une lumière nouvelle sur la
figure du saint rédemptoriste. Plus largement muni encore, grâce à ses
propres découvertes, le P. J. HorEer, C. SS. R., publie une biographie
détaillée, mais sans longueurs, et fidèle : Der heilige Klemens Maria Hofbauer.
Ein Lebensbild. (2e et 3° édit. Fribourg-en-B., Herder, 1923. In-8, x1x-457 p.
Fr. 7,50). Attrayant récit d’une existence remarquablement féconde ; non seule-
ment Hofbauer a réalisé cette gageure de propager sa congrégation au plus
fort des guerres de la Révolution et de l’Empire, de l'implanter au centre
mème du joséphisme, mais il a contribué efficacement au renouveau catho-
lique en Autriche et en Allemagne, par son influence sur un groupe de jeunes
gens de l’université de Vienne qu'il animait de son esprit. C’est spécialement
sur cette partie de son action que l’auteur apporte des précisions nouvelles,
utiles à l’histoire de l’Église contemporaine. P. DEBONGNIE.
— L'article d'O. GRUENDLER zur Franz von Baader (dans Hochland, 1923-24,
t. XXI, fasc. 2) constitue une importante contribution à l'histoire de la philo-
sophie allemande au commencement du xixe siècle. Il contient une notice
biographique de von Baader et expose les rapports de sa philosophie avec
l’ontologisme. Gr.
— ]. Kizi, S. J., Der grosse Schwarzrock, P. Peter Johannes De Smet, S. J.
(Jesuiten Lebensbilder grosser Gottesstreiter, hrsg. v. K. Kempf, S. J.)
Fribourg-en-Br., Heracr, 1922. In-12, 245 p.
En septembre dernier, la ville de Termonde célébrait le cinquantième
anniversaire de la mort d’un de ses plus glorieux enfants, missionnaire
pendant près de 25 ans (1840-1873) chez les Peaux-Rouges, Mais il ne faudrait
pas croire que le P. De Smet soit seulement une gloire locale. Godetroid
Kurth disait de lui que la Belgique n’avait pas produit de plus grand homme
au xIxe siècle et la République américaine a placé la statue de cet étranger,
de ce prêtre catholique, au capitole de Washington.
La première biographie un peu développée du P, De Smet n’a pas vu le
jour depuis longtemps, et malgré son intérêt et le talent indiscutable de son
auteur, le R. P. Laveille, elle n’a encore atteint en 1922 que son neuvième
mille. Le P. Kinzig, dans ce nouveau livre, n’a guère utilisé de documents
inconnus de son prédécesseur, dont il se plait à reconnaitre les mérites ; mais
il suit de plus près les récits de voyages du missionnaire déjà publiés autrelois;
il laisse plus à l’arrière-plan les collaborateurs du P. De Smet; son récit est
tout aussi attachant, peut-être plus attachant que celui du P. Laveille; car
on y trouve des épisodes typiques et des traits caractéristiques de l’apôtre
dans un relief plus saisissant.
Faut-il le dire? Bien peu de sujets étaient aussi propres à inspircer,.à
enthousiasmer un auteur que cette carrière, riche en péripéties, d’un mission-
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 9
130 CHRONIQUE.
naire qui a couvert 348.000 kilomètres, c’est-à-dire à peu près neuf fois le
tour du globe ; qui allait seul à la recherche des tribus errantes, les fixait, les
évangélisait, les convertissait et obtenait d’elles des prodiges de foi dignes
des premiers siècles du christianisme ; qui, sur la demande d'hommes d'Etat
américains, s’appliquait à pacifier les révoltés ; qui revenait périodiquement
en Europe afin d'intéresser l'ancien monde à son œuvre et d'obtenir de lui
prières, aumônes et missionnaires ! Et plus encore que cette existence de
combat pour le Bien, n'était-elle pas de nature à séduire, cette figure ardente,
désintéressée, et ne cherchant que la gloire de Dieu ? Puisse ce livre, qui est
une grande leçon d'énergie et de zèle, trouver de nombreux lecteurs !
E. DE Moreau, S. J.
— M. L. ScHMiTz-K ALLENBERG a publié une seconde édition du t. III de la
Hierarchia catholica medii et recentioris aevi de VAN Gui (+) et C. EuBeL (+).
(Munster, 1923. In-4). Ce tome III comprend la liste des dignitaires ecclé-
siastiques du xvie siècle (depuis 1503).
— La nouvelle édition, en deux volumes, de RANKE, Die rômischen Päpste
in den letzten vier Jahrhunderten, publiée par la firme Duncker et Humbilot
de Munich, reprend simplement, sans les notes, le texte de l’édition de 1878.
La même firme republiera sous peu la Deutsche Geschichte im Zeitalter der
Reformation, du même historien. |
— À l’occasion du jubilé des Deutschen Caritasverbandes (1897-1922), cette
puissante association a publié une histoire générale de la charité, Geschichte
der Caritas, qui a pour auteur le Prof. D: Wizx. Liese (Fribourg-en-Br.,
Caritasverlag, 1922. 2 vol. in-8, virr-394 et vI1-293 p.). Même après les remar-
quables travaux de Lallemand, la publication du Caritasverband pourra rendre
de grands services. Le plan de l'ouvrage est bien conçu et méthodiquement
suivi. Après avoir défini ce qu’il entend par le mot Caritas, l’auteur expose
dans son livre premier l’histoire générale de la charité en la divisant en deux
périodes : celle pendant laquelle l'assistance appartient à l'Église seule et
celle où, à partir de la fin du xive siècle, l’on voit apparaître une assistance
laïque indépendante. Les chapitres consacrés à l’influence de la Réforme
sur la charité ct à la renaissance de la charité catholique avec S. Charles
Borromée et S. Vincent de Paul sont particulièrement intéressants. Ce
premier livre se termine par un exposé de l’organisation de la charité en
Allemagne au xixt siècle, et par l'étude des théories modernes, ce qui permet
de faire connaître les origines et les grandes lignes d’organisation et d'activité
du Caritasverband. Le second livre (t. II) est plus spécialement consacré à
l’histoire des ministres de l’action charitable (communautés hospitalières,
congrégations des frères et sœurs de la Miséricorde, etc.) et aux diverses
formes de la charité (soins de l'enfance, des pauvres, des malades, œuvres de
relèvement moral). Un coup d'œil sur l’histoire de la charité dans les pays
autres que l'Allemagne et sur l'activité de la bienfaisance religieuse des
non-catholiques termine l'ouvrage.
La documentation est fort riche, l'index bibliographique à la fin de
l’ouvrage renseigne plus de douze cents titres de livres; de plus, en tête de
chaque paragraphe, se trouve une bibliographie spéciale à l’objet traité.
D'excellentes tables des noms de personnes et de localités facilitent les
recherches dans cet ouvrage qui, si les circonstances avaient permis à l’auteur
ALLEMAGNE. 131
de donner plus de développement à la partie réservée aux pays autres que
l'Allemagne, aurait constitué une véritable encyclopédie de la charité.
CH. TERLINDEN.
— Le prof. L. BERGSTRAESSER, connu par ses études sur l’histoire des
partis politiques en Allemagne, vient de publier, dans la collection Der
Deutsche Staatsgedanke, deux volumes intitulés : Politischer Katholizismus.
Dokumente seiner Entwicklung (Munich, Drei Masken Verlag, 1921-1923. 314
et 396 p.). Après une brève mais utile introduction sur l’activité politique du
catholicisme en Allemagne pendant le xrxe et le xxe siècle, il y donne une série
de documents choisis avec discernement et soigneusement annotés : discours
parlementaires, brochures de propagande, pétitions, programmes électoraux,
articles de journaux, etc. Le premier volume est consacré aux événements
des années 1814 à 1866 et contient des extraits de Gürres, Droste-Vischering,
Düllinger, Radowitz, Reichensperger, Buss, Jarcke, Ketteler. Le second
concerne le kulturkampf et les questions connexes, l'attitude du parti du
Centre daas les différents problèmes politiques qui se sont posés dans la suite,
enfin les grandes luttes autour du caractère confessionnel du Centre qui nous
amènent jusqu'aux premières années de la guerre ; on y trouve des écrits de
Windthorst, de Schorlemer-Alst et des députés contemporains du Centre.
Cette publication de textes contribuera à faire connaître l’histoire de l'Église
en Allemagne pendant le dernier siècle et se prêterait bien à des exercices
critiques sur cette période dans les séminaires historiques.
Dans les Biblische Studien, t. XXI, fasc. 1, L. RICHEN étudie les visions
de Terre Sainte de la religieuse Anne Catherine Emmerich. Une comparaison
approfondie de ces visions avec les conditions géographiques, météorologiques
et ethniques de la Palestine et les récits du N. T. l'amène à en rejeter l’exac-
titude. Contrairement à l’opinion communément reçue, R. est d’avis que
Brentano a fidèlement rendu les descriptions que Catherine Emmerich lui a
faites de ses visions.
La librairie « Theatiner Verlag > de Munich commence une nouvelle
collection intitulée Katholische Romantik. En publiant de larges extraits des
écrits des derniers romantiques catholiques d'Allemagne, on espère mettre
en lumière la richesse d'idées, trop peu connue, de ces auteurs et montrer
les rapports intimes qui existaient entre le romantisme et le catholicisme. Le
premier volume est dû à Rup. KoLeEr et paraît avec une préface de E. Przy.
wara. Il est consacré à l’illustre converti Adam Müller. C’est dans ses écrits
surtout que sont exposées les théories politiques des romantiques, qui eurent
une grande influence avant la révolution de 1848.
Le prof. C. STANGE donne une intéressante étude sur la méthode suivie
jusqu’à ce jour par les historiens des religions (dans la nouvelle revue Zeit:
schrift fur sy stematische Theologie, 1923, p. 301-363). On s'en tiendrait encore
aux grandes lignes de l’évolution fixées par Schleiermacher dans la formule
arbitraire : fétichisme, polythéisme, monothéisme. D'autre part, on n’aurait
pas remarqué une autre idée du même auteur, c’est-à-dire que chaque
religion devrait son origine À une expérience religieuse particulière et qu’elle
serait par conséquent inséparable de la personnalité de son fondateur. Les
historiens des religions devraient en tenir compte, parce qu’elle permet de
«isir les différences essentielles qui existent entre les religions.
.132 CHRONIQUE.
La librairie F, Schôaingh de Paderborn a commencé récemment une
nouvelle collection intitulée Dokumente der Religion. On y publiera en
traduction allemande les plus belles pages qu'on trouve dans les différentes
littératures religieuses. Les six premiers fascicules donnent, entre autres,
l'Enchiridion de S. Augustin, la règle de S. Benoit, etc. ; signalons aussi les
formules d'initiation religieuse secrète en usage dans une tribu de primitifs
austraiiens publiées par W. Schmidt, S. V. D. Gr.
— M. P. KEHR, directeur des Monumenta Germaniae historica, donne, dans
le Neues Archiv (1923, t. XLV, p. 1-13 et 138), un aperçu sur la situation
actuelie de la commission d'édition et sur les travaux en cours de publication.
A part la série des in-folio, publiée chez Hiersemann à Leipzig, l'édition des
MGH ct du Veues Archiy a été confiée à la firme Weidmann de Berlin. Dans
la section Scriplores, on compte achever, malgré les difficultés qu'on ren-
contre, le t. XXX de la séric in-folio. Les Annales de Salzbourg, récemment
découvertes, sont très importantes pour l’histoire de l’All.magne. Elles vont
jusqu'à l’année 955 (cfr H. BRESSLAU, Abhand. d. preuss. Ak. der Wiss. zu
Berlin, 1923, n° 2). On travaille activement à la série in-4 des Scriptores.
Dans le but de distinguer les nouvelles éditions critiques des éditions à
l'usage des étudiants, on a commencé une Nova series in-8 des Scriptores
rerum Germanicarum. Sont sous presse : la chronique de Côme de Prague,
celle de Jean de Winterthur, celle de Matthias de Neuenburg. Sont prêtes pour
l'impression : les œuvres de Nicolas de Butrinto ct de Tolomée de Lucques;
la Vita Karoli IV est en préparation. Dans les Deutsche Chroniken a paru
(t. IV, pars II) : Die Kreux fahrt Lu lwigs des Frommen von Thüringen, édité
par H. NAUMANN.
Dans la section Leges, KRUScCH prépare l'édition de la Lex Salica ; le même
savant et HEYMANN ont déjà poussé très loin l'étude sur la tradition manu-
scrite de la Lex Baïuvariorum ; pour l'édition du texte de cette loi, ils
s'entendront avec v. SCHWIND, dont l'avis, comme on le sait, diffère notable-
ment du leur. À cause des circonstances politiques, les travaux sur les
Tractatus imperii et sur les Placita ont dû être interrompus, l’accès des
archives des pays étrangers étant trop difficile. Enfin on prépare aussi pour
les MGH une édition de Sachsenspiegel.
La direction de la section Diplomata Karolinorum, laissée vacante par la
mort de M. angl, a été reprise par P. Kehr. L'étude des diplômes de Louis
le Pieux sera continuéc, malgré les difhcultés actuelles. Paraïitront sous peu
dans les Diplomala saec. XI, ceux de Henri III, jusqu’au couronnement.
Dans la section in-4 des Æpistolae paraïitra sous peu le t. VI : lettres
d’Adrien I. La publication du Registrum Gregorii VII par E. CasPaR (dans
les Ep.stolae selectae) est complète depuis l'apparition du t. IT. Dans la même
série, on publiera aussi la correspondance de Fromund de Tegernsee.
Enfin Kehr constate que la série des Poetae latini aevi Karolini est achevée
grâce au volume IV de K, STRECKER, qui contient les suppléments.
— La réunion générale de la Gôrresgesellschaft, tenue à Munster-en-W.
du 24 au 26 septembre 1923, a été particulièrement importante tant à cause
de l'intérét que lui ont montré les autorités civiles qu'à cause des
décisions qui y ont été prises. En vuc de permettre la continuation de
leurs grandes publications, telles les documents du concile de Trente, les
travaux de leur institut historique de Rome, la nouvelle édition du Staats-
ALLEMAGNE. 133
léxikon, les membres de la Gôrresgesellschaft y ont fait un appel pressant à la:
générosité des catholiques des pays à change élevé ; ils ont augmenté leur
propre cotisation annuelle (3 ct x Mk. or) et demandé un subside au gouver-
nement allemand. Ils ont rendu hommage à la libéralité du Pape Pie XI, qui
les a largement soutenus. D’autre part, ils ont aussi émis le vœu de voir
s'étendre les travaux des sections de pédagogie, de l’art, des sciences
naturelles. Le R. P. KzeiNTJEs, S. J., de Hollande, a particulièrement
insisté sur la fondation d’une « unio catholica historica », d'où pourrait sortir
une eunio scientifica catholica », groupant tous les savants catholiques-
Enfin, le Prof. H. Günter a été élu secrétaire pour la période 1923-1928, en
remplacement du Prof. Beyerle, trop absorbé par son mandat politique.
L'appel de la Gôrresgesellschaft trouvera, nous n’en doutons pas, de l’écho
chez les catholiques qui apprécient hautement Ics services rendus à la
&ience par cette société. Gr.
— La commission historique attachée à l’Académie des sciences de Bavière
a tenu, en octobre 1923, sa réunion annuelle, Ont été élus président,
M. E. Marcxs de Berlin, et secrétaire suppléant, H. OxcKkEN de Munich.
Après avoir pris connaissance de la détresse financière dans laquelle se
trouve actuellement la commission, ses membres décidèrent de prendre des
mesures pour sauver à tout prix cette grande institution, qui, depuis sa
fondation par Maximilien II de Bavière, a rendu tant de services par ses
publications : Aligemeine deutsche Biographie, Jahrbücher der deutschen
Geschichte, Die deutschen Städtechroniken, Die deutschen Reichstagsakten. El'e
a fait paraître en 1922-1923 : À. SCHULTE, Geschichte der grossen Ravensburger
Hadelsgesellschaft 1380-1580 en 3 tomes, et plusieurs volumes de sources, se
rapportant À l’histoire d'Allemagne au xixe siècle.
— La Sächsische Kommission für Geschichte, de Leipzig, a tenu le
25 avril 1922 sa vingt-cinquième réunion annuelle sous la présidence du
Dr Bühme. Elle compte publier prochainement le tome second de la Biblio-
graphie der sächsischen Geschichte par le Dr BEMMANN, de Dresde, les
Aktern zur Geschichte der Bauernkrieges in Deutschland par le Dr MERx (+),
{ intéressants pour l’histoire économique du xvie siècle, et le tome Ier des
Stindeakten de 1485 à 1539 par le Dr GôrLirz. Sont en préparation le
Registrum marchionum Misnensium de 1378 par le Dr BESCHORNER, de Dres-
de, les Hauptwerke der sächsischen Malerei und Bildnerei par le Dr FLecu-
a et les Sächsischen Kirchenvisitationsakten par le Dr G. MüLLer, de
Leipzig. H. N.
— La librairie Günther Koch de Munich annonce la publication prochaine
d'un ouvrage en deux volumes du P. Jos. BRAUN : Geschichte des christlichen
Altars. Cet ouvrage, illustré de 900 reproductions, fera connaître toute
l'évolution de l’autel, de son décor et de ses accessoires.
Le t. IV des Jahresberichte der deutschen Geschichte (Breslau, Prie-
batsch, 1923. 147 p.) publiés par V. Lozwe et O. LERCHE, fait connaître les
publications historiques de 1921. Comme les volumes précédents de cette
mème collection, il remplace, dans l'intention des éditeurs, les Jahresberichte
der Geschichtswissenschaft, qui ont cessé de paraître pendant la guerre.
L'institut catholique de philosophie, fondé à Cologne en 1923 sous le
Ÿ nom de Albertus Magnus Akademie, publie un recueil de travaux (Verüfent-
134 CHRONIQUE.
Ychungen des Kath. Inst. f. Philosophie Alb.-M. Ak. zu Kôin) dont jusqu'ici
trois fascicules ont paru. Les deux premiers contiennent, outre un mémoire
sur l'érection et le but du nouvel institut, une série de conférences et
d'articles du premier recteur, le Prof, Dr W. SwirTaLski, sur différents
problèmes de critériologie. Le 3me. dû à M. J. GeYsEeR, porte comme titre :
Augustin und die phänomenologische Religionsphilosophie der Gegenwart, mit
besonderer Berücksichtigung Max Schelers (Munster, Aschendorff, 1923.
XI1-244 P.). | Gr.
— La firme A. Tôpelmann, de Giessen, se propose de publier une deuxième
édition, entièrement remaniée, du Handwôrterbuch zum Neuen Testament de
E. Preuschen. Cette mise au point d’un ouvrage bien connu et justement
apprécié est l’œuvre du professeur W. BAUER, de Goettingue. Des conditions
avantageuses sont offertes aux souscripteurs, à qui ilest fait appel, la publi-
cation envisagée dépendant de leur nombre.
— Le Dr LeiseGANG, privat-dozent, à Markrandstädt-lez-Leipzig (Marien-
str., 28), a composé un index lexicographique des œuvres de Philon. Les
conditions économiques actuelles ne permettent pas l’impression de ce
travail, qui peut cependant rendre de grands services. L'auteur se met
volonticrs à la disposition des spécialistes pour leur communiquer des
extraits de son œuvre manuscrite touchant l’emploi ct le sens de certains
termes dans les écrits de Philon, ainsi qu'il le déclare dans les Sifzungsbe-
richte de l’Académie des Sciences de Berlin (25 janvier 1923).
— Malgré les difficultés du moment, certaines revues spéciales continuent
à paraître. C’est ainsi que grâce à l’appui des Badois établis aux États-Unis
d'Amérique et de la Notgemeinschaft, la Zeitschrift für die Geschichte des
Oberrheins, de Karlsruhe, sera publiée régulièrement. D'autre part, l'Oriens
christianus, édité à Leipzig chez Harrassowitz par le Dr ANTON BAUMSTARK, a
donné pour les années 1920 et 1921 un tome double (x-x1 de la nouv. sér.).
Comme par le passé, ce périodique si important pour nos études se dis-
tingue par une belle tenue scientifique, et comprend des articles de fond, des
documents, des comptes rendus critiques et surtout des notices bibliogra-
phiques fouillées rédigées par M. Baumstark lui-même. Enfin, l’Académie de
Berlin (Sect. Philos. et hist.) a accordé les sommes de 200.000 M. (or) à la
Commission des études orientales, de 60.000 M. en vue de l'édition de textes
égyptiens et de 150.000 M. pour l’édition des inscriptions grecques.
La faculté de philosophie de l’université de Munich a mis au concours
(prix. 200.000 M.) la question : Geschichte des Buchdrucks in München von
den ersten Anfängen bis zum Ende des 30 jähr. Krieges.
L'Académie de Prusse vient d’hériter l’exemplaire annoté par le pro-
fesseur Anton Dillmann : Lexicon linguae Aethiopicae cum indice latino
(Leipzig, 1865). H. N.
— Les archives de la famille Schnorr von Carolsfeld, très importantes pour
l'histoire de l’art moderne, ont été léguées à la Landesbibliothek de Dresde.
Le Prof Dr R. SomMMERr a fait, à l'université de Giessen, une fondation
en vuc de promouvoir les études de généalogie. L'administration en est
çonfiée au Dr G. Lehnert, directeur des Hessische Biographien.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 135
Nominations. — Le Dr O. RIEDNER a été nommé directeur général des
archives de l'État en Bavière en remplacement de v. Jochner, décédé.
Le Dr W. MocreNBERG a été nommé directeur général des archives de
l'Etat, à Magdebourg.
Se sont fait agréger : à Leipzig, le Dr J. KuExx (histoire du moyen âge et
des temps modernes); à Koenigsberg, le Dr H. CLasen (histoire de l’art
moderne, en particulier l’histoire de l’architecture religieuse); à Darm-
stadt, le Dr E. RosensrTocx (histoire sociale) ; à Wurzbourg, le Dr J. LorrTz
(histoire ecclésiastique); à Leipzig, le Dr A. Rumpr (archéologie).
M. F. RôriG, professeur extraordinaire des sciences auxiliaires de l’histoire
à Leipzig, a été nommé professeur ordinaire à Kiel.
M. W. EBERT, directeur du séminaire évangélique à Breslau, a été nommé
professeur titulaire d'histoire ecclésiastique à Erlangen.
M.G. MExTr2, professeur d'histoire, a été nommé professeur titulaire à Iéna.
Gr.
— Décès. — Le Dr Fr. VoLMER, professeur de philologie classique à
Munich, y est décédé en octobre 1923 à l’âge de 56 ans. Il fut le premier
directeur du Thesaurus linguae latinae, publié par les académies de Berlin,
de Gocttingue, de Leipzig, de Munich et de Vienne.
Le Dr EBERHARD GOTHEIN, professeur d'histoire économique à Heidelberg,
bien connu pour sa vie de S. Ignace de Loyola. A l’occasion de son 6ne anni-
versaire, ses élèves lui avaient offert, peu avant sa mort survenue en
novembre dernier, un recueil de mélanges. GR.
M. Orro KiIPPENBERG, mort à Warnemünde, bibliothécaire en chef de
l'université de Leipzig.
A Iléna, âgé de 44 ans, M. PAUL EHRHARDT, connu par ses études de
philosophie religieuse et directeur de la revue mensuelle : Deutscher Pfeiler.
H. N.
Angleterre-Écosse-Irlande. — Le travail de Marius BESsiÈRE sur La
tradition manuscrite de la correspondance de S. Basile, qui a été publié dans le
Journal of theological studies (t. XXI-XXIII), vient d’être tiré à part par la
Clarendon Press (1923, viti-1x82 pages ; prix : 12 s. 6 d.). Cette étude, précédée
d’une introduction de M. C. H. TURNER, est pourvue d'un index alphabétique
des lettres.
«Le but de l’auteur de ce volume », lit-on dans la préface du Saint
Columba du Rev.T.H. WaLker (Paisley, À. Gardner, 1923. 120 pages), a «été
de donner un exposé populaire de la vie de S. Columba [d'Tona], de l’époque
où il a vécu et de l’influence qu’il a exercée sur l’histoire d'Écosse. » Ce
livre est parfaitement négligeable pour ceux qui se piquent d'étudier scienti-
fiquement l’histoire ecclésiastique.
Un guide de premicr ordre pour l'étude de l’art anglo-saxon et des anti-
quités germaniques nous est offert dans le nouveau Guide to the Anglo-Saxon
and foreign Teutonic Antiquities in the department of British and Mediaeval
antiquities [of the British Museum] (Londres, 1923. x11-179 p.), que l’on doit à
M. ReGiNaALD A. SuiTH, B A., F.S. A., conservateur de ce département. Le
volume, bien illustré, est en vente au British Museum au prix de 25, 6 d,
136 - CHRONIQUE.
L'étude des chartes anglo-saxonnes du Berkshire, du Hampshire et du
Wiltshire, poursuivie pendant plusieurs années, a permis à M. G. B. GrunDy
d'établir la signification d'un grand nombre des termes obscurs qui s’y ren-
contrent : On the meaning of certain terms in the Anglo-Saxon charters
(Essays and studies by members of the English Association, Oxford, 1922,
t. VIII, p. 37-60).
Le Dr H. J. W. Tir ryarD, professeur à l’université de Birmingham, a
traduit en anglais les pièces de Roswitha : The Plays of Roswitha (The Faith
Press, 1923. XIX-123 p.). ° |
Sur les premiers lapidaires chrétiens et leurs modèles, ainsi que sur le
poème de Marbode, évêque en Rennes (+ 1123), et sur ses imitateurs, on con-
sultera avec fruit l’ouvrage de M. Joan Evans, Magical jewels of the Middle
Ages and the Renaissance particularly in England (Oxford, Clarendon Press,
1922. 264 p.).
Le Dr R. L. Pooe, comblant une lacune de la biographie de Jean de
Salisbury, étudie son séjour à la cour pontificale et établit que l’opinion qui
le fait entrer au service de l’archevéque de Cantorbéry Théobalde vers 1148,
n'est pas fondée : John of Salisbury at the papal court (English historical review,
1923,t. XXXVIIL p. 321-330).
Le Dr WaLTER W. SEToN a de fortes raisons de penser qu’il a découvert
un résumé inédit en 66 chapitres des 224 chapitres de la seconde Vie de
S. François d'Assise par Thomas de Celano dans le Ms. F. 15 de la biblio-
thèque capitulaire de Worcester (fol. 128-145). Le manuscrit de Worcester
(fol. 128-145) paraît être plus ancien que les deux manuscrits de la Vita
secunda connus jusqu'ici : À Franciscan find in a Benedictine Library (Lau-
date, the quarterly magazine of the Benedictine Community of Pershore
abbey, 1923, t. I. p. 116-120).
M. RogiN FLOWER rapproche trois textes, un gallois, un irlandais et un
anglais, d’un texte latin, dont ils paraissent dépendre, et qu’on a attribué à
Albert le Grand (+ 1280). Ce sont les neuf réponses qu’aurait faites Notre-
Scigneur à une pieusc personne « desideranti et quarrenti quid sibi prae
omnibus placeret in hac vita ». Cette étude, intitulée The nine answers, a paru
dans une nouvelle publication philologique périodique éditée par l'université
du pays de Galles, The Bulletin of the Board of Celtic studies (I, 1922, p. 133-
139). Le quatrième fascicule, paru en juin 1923, complète le premier volume.
Prix du fascicule : 75. 6 d.
Après avoir donné, dans un précédent ouvrage (Scottish annals from
English chroniclers, Londres, 1908), la traduction anglaise de tous les
passages des chroniques anglaises antérieures à l’an 1291 relatifs à l’histoire
d'Écosse de l'an 500 à 1286, M. ALAN ORR ANDERSON a ensuite publié un
recueil bien autrement important, qui constitue un excellent instrument de
travail pour tous ceux qui auront à s'orienter dans le dédale des sources de
l'histoire d'Écosse, pays où le genre fabuleux a été cultivé avec une
incroyable persistance de génération en génération. ÆEarly sources of
Scottish history. À. D. $oo to 1286 (Edimbourg, Oliver et Body, 1922. 2 vol.,
cLvitt-604 p. et 805 p. Prix : 70 s.), tel est le titre de ce nouveau recueil qui
renferme la traduction anglaise de toutes les autres chroniques ou textes
ANGLETERRE ÉCOSSE-IRLANDE. | 137
quelconques antérieurs à 1291, rédigés en latin ou en langues vulgaires et se
rapportant à l'histoire d'Écosse de 500 à 1286. Dans sa préface, l'auteur
fait connaître son dessein : « Ce livre, dit-il, est destiné à servir de guide,
il n'a pas la prétention de dispenser de consulter les sources. Sur bien des
points on ne se fiera pas à une traduction, et on devra recourir à l'original
et au contexte. Notre but a été de fournir une première interprétation des
sources originales. Ce recueil sera un livre de référence particulièrement
utile à ceux qui ignorent les langues étrangères (notamment pour les textes
scandinaves) et à ceux qui travaillent loin des grandes bibliothèques. » Un
commentaire et des notes nous renseignent sur les textes colligés et tra-
duits, et 80 pages de notes bibliographiques en indiquent les diverses éditions.
Le petit livre de M. JoHAN VIsING, professeur de langues romanes à
l'université de Gôteborg (Suède), Anglo-Norman language and literature
(Londres, Oxford University press, 1923. 111 pages), sera un guide commode
pour les travailleurs qui auront des recherches à faire dans la littérature
anglo-normande, laquelle comprend, on le sait, un grand nombre d'ouvrages
ecclésiastiques. Dans la seconde partie, l’auteur a dressé le catalogue
détaillé de cette littérature du xrie au xtve siècle, dans laquelle se rencontrent
des traductions et commentaires de la Bible, des Vies des Saints, des ser-
mons, des traités théologiques et enfin des drames chrétiens (miracles et
mystères). La part prise par les gens d'Église dans la diffusion de la langue
et de la littérature anglo-normandes est bien caractérisée (p. 8-18); mais
l'expression « Augustinian monks ». qui revient à plusieurs reprises sous la
plume du docte auteur (p. 9, 11), n'est pas heureuse.
L'ouvrage auque! M. WazTer CLirrorp MELLER a donné pour titre
The Boy Bishop and other essays on forgotten customs and beliefs of the past
(Londres, Bell, 1923. 157 p.) comprend une série d’essais sur l’Enfant-évêque,
le Saint Graal, les traditions de Glastoabury, le toucher du roi, les origines
de la fleur de lys, etc., qui s’adressent plutôt au grand public.
Signalons, dans un livre intéressant et bien illustré, du Dr GEORGE
C. WiLLIAMSON, Curious survivals, habits and customs of the past that still
live in the present (Londres, 1923. x11-256 p.), le ch. XI sur les évêques et le
clergé et le chap. XII sur les cérémonies ecclésiastiques et la survivance des
vieux usages religieux.
M. MAURICE FROST a publié dans Theology (1923, t. 1923, t. VI, p. 285)
le texte de la prière Anima Christi d'après le Ms. Harl. 2253 du British
Museum (fol. 54%), écrit entre 1314 et 1320.
L'original de l’Amendement de la vie de Richard Rolle de Hampole est
le texte latin. En 1914, Miss Comper en a publié une traduction ancienne en
dialecte de Lincoln, exécutée par Misyn (1434) (voir RHE, 1923, t. XIX,
p. 111). Le Rev. H. L. HusBaRp traduit cette traduction en anglais moderne
(The amending of life, Londres, Watkins, 1922. Prix : 25.6 d.). Les notes
de son cru sont tout-à-fait médiocres.
À quelques semaines d'intervalle, il a paru une traduction française du
livre du mystique anglais Walter Hilton (+ 1396), The scale of perfection, due
à deux bénédictins de Solesmes, Dom M. Noctinger et Dom E. Bouvet
(Scala perfectionis, Tours, Mame, 1923, 2 vol.) et une nouvelle édition du
138 | CHRONIQUE.
texte anglais préparée par Miss EVELYN UNDERHILL : The scale of perfection,
(Londres, John M. Watkins, 1923. Lxv1-464 p. Prix : 7 s. 6 d.). Dans une
introduction très soignée, Miss E. U. nous dit le peu que l’on sait de la vie
du chanoine régulier de Thurgarton, puis elle nous renseigne sur ses
œuvres, dont beaucoup sont encore inédites, et enfin elle caractérise
l'ouvrage qu’elle réédite. Comme tous les écrivains mystiques, Walter Hilton
a été un grand emprunteur. Il doit surtout beaucoup à S. Augustin, à
S. Grégoire le Grand et à Denys l'Aréopagite. Il est familiarisé avec la
théologie scolastique et avec les idées mystiques de S. Bernard, de S. Bona-
venture et surtout de Richard de Saint-Victor. Il est saturé de la Bible et
spécialement des psaumes. Les parallèles signalés par l'éditeur entre la
doctrine de Walter Hilton et celle de Ruysbroeck et quelques traits de
Jacopone de Todi s'expliquent par une dépendance de sources communes,
particulièrement de S. Augustin. Dans l'histoire du mysticisme anglais,
Hilton se présente, sinon comme un disciple de Richard Rolle de Hampole,
qui l’a précédé d’une quarantaine d'années, du moins comme se rattachant
étroitement à ce maître, qu'il a beaucoup étudié. Rolle, plus imaginatif,
écrit en poète sous l'impulsion du sentiment ; Hilton fait plus de place au
raisonnement. La Scale of perfection a été très luc en Angleterre aux xtve,
xve et xvie siècles. Les traducteurs français avaient fait observer que ce
livre paraît avoir été très prisé par les chartreux (I, p. 53). C’est, en effet,
ce que confirme la provenance de deux au moins des manuscrits employés
par Miss U. L'un d'eux appartint à la chartreuse de Sheen, près de Londres,
et l'autre (Br. M. Hari. 6579, sur parchemin, début du xve siècle) à la
chartreuse de Londres. C’est de ce manuscrit que l'éditeur a fait la base de
son texte. On a conservé, autant que possible, au texte de Walter Hilton
son cachet archaïque ; on a dû cependant remplacer certains termes main-
tenant complètement inusités (une quarantaine environ) par des équivalents
modernes.
The Prymer, livre de dévotion publié par la maison Burns, Oates et
Washbourne (Londres, 1923), débute par une introduction historique de
20 pages (p. VII-XXvIII) dans laquelle le R P. H. THURSTON, S$. ]., traite des
heures canoniales, de l'office de la Sainte Vierge, de l'office des morts, du
nom du prymer et des dernières éditions de ce livre de prières, qui corres-
pond à peu près aux livres d'heures du continent.
L'édition des lettres d'Érasme suit son cours. Le premier volume donné
en 1906 par M. P.S. ALLEN, Opus epistolarum Erasmi Rotorodami, contenait
les lettres écrites de 1484 à 1514 (voir RHE, 1907, t. VILLE, p. 416-417). Trois
volumes ont été publiés ensuite : le t. IT (1514-1517) en 1910, le t. III (1517-
1519) en 1913, le t. IV (1519-1521) en 1922.
Sir E. A. Wazcis BUuDGe, l'éditeur des manuscrits éthiopiens de Lady
Meux, nous donne une traduction anglaise de 110 miracles de la Sainte Vierge
tirés de divers manuscrits éthiopiens des xve, xvie et xvire siècles, principale-
ment de ceux du British Museum : One hundred and ten miracles of Our Lady
Mary (Londres, The Medici Society, 1923. LVI11-359 p.). L'ouvrage comprend
64 belles planches consistant en reproductions de miniatures dont ces textes
sont ornés. Le traducteur n’a pas négligé d’indiquer les sources occidentales
de ceux de ces miracles, — c'est le plus grand nombre, — qui proviennent
de l'Occident,
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 139
Nous avons annoncé la publication du premier fascicule du recueil de
paléographie que publie le Prof. W. M. Linpsay (voir RHE, 1923, t. XIX,
p. 112-113). Un second fascicule de la Palaeographia latina a paru à l'automne
de 1923; en voici le contenu : ro Collectanea varia (p. 5-55) par le Prof:
W. M. Linpsay (Explicit et Finit ; la correction des manuscrits ; signes usités
pour la commodité de la lecture ; les scribes et leurs habitudes ; l'I long; la
transmission des textes), 20 Ein Basler Fragment des Nordfranzôsischen az-
Typus (p. 56-60) par le Prof. PAuL LEHMANN. 39 Berne 207 (p. 61-66) par le
Prof. W. M. Laxpsay, 40 The Lyÿons scriptorium (p. 66-73) par S. TArFEL (la
bibliothèque de la cathédrale, la bibliothèque de l’Ile Barbe), 5° Bibliographie
der lateinischen Buchschrift bis 1050 (1911-1922) (p. 74-96) par WILHELM
WeixBERGER. Le fascicule contient trois planches. Prix :5s.
The Library (Transactions of the Bibliographical Society) a inauguré une
nouvelle série (la quatrième) avec le no de juin 1920. Parmi les nombreux
articles intéressants de cette publication, signalons les suivants de dates
récentes : 10 The royal Mss. at the British Museum, par M. R. JAMES (4e sér..
t. [, 1921, p. 193-200) à propos du catalogue de ces manuscrits récemment
publié par le British Museum (voir RHE, 1922, XVIII, p. 590; XIX, 1923,
P. 113); 20 un rapport sur la Worcester cathedral Library du chanoine
J. M. Wizson (4e sér., t. Il, 1922, p. 257-265); 30 Chronograms, par
W. H. Wire (4e sér., t. IV, 1923, p. 59-74) sur le procédé bien connu qui
consiste à indiquer des dates dans les textes au moyen de capitales plus
grandes que les autres. Exemple : GUsTAVUs ADoLPHUs GLorlose PUGNANS
MorITUR = 1632.
La Historical association (voir RHE, 1923, t. XIX, p. 452-453) a publié en
1923 : 10 son Annual Bulletin of historical literature, relevé des publications
historiques de 1922 dù à un groupe de collaborateurs : M. L. W. LAISTNER,
Miss ALICE GARDNER, Prof. F. M. Powicke, Miss E. E. PoweR, J. E. NEALE,
Prof. F. C. MonraGue, H. W. V. TEMPERLEY, Miss L. M. PENSoON, PF. J. C.
HEARNSHAW ; 2e À short bibliography of architecture, par ARTHUR STRATTON,
F. S. À. (14 pages; prix: 1 s. 1 d.); 3° Bibliography of Church history par
époques, par J. P. WuHiTNey (43 pages).
La Revue a signalé la fondation de l’I#stitute of historical Research de
Londres (RHE, 1921, t. XVII, p. 678; 1922, t. XVIII, p. 168-169), dont
l'organisation paraît actuellement complète et dont l'équipement se poursuit
dans les meilleures conditions, ainsi qu'on en peut juger par le First annual
Report (1921-1922). Ce rapport renseigne pleinement sur l'activité d’une
institution qui est appelée à exercer une grande influence sur les travaux de
recherche historique dans les pays anglo-saxons. Le Bulletin of the institute
of historical research, dont le premier fascicule a paru en juin 1923, fait
également bien augurer de l’avenir dela nouvelle fondation. C’est le périodique
qu'il faudra consulter pour se tenir au courant des publications d’inventaires
d'archives ou de catalogues de manuscrits, comme aussi pour suivre les
migrations de ces derniers. Le Bulletin se propose de donner d’utiles addenda
et corrigenda aux grands ouvrages de référence, tels que le Dictionary of
National Biography, le New English Dictionary, l'Encyclopaedia britannica.
Très instructif est le Report on editing historical documents, que contient le
présent fascicule (p. 6-25). Le bulletin doit paraitre trois fois l’an, en juin,
novembre et février. Prix du numéro ; 25. Prix de l’abonnement annuel ; 58,
140 CHRONIQUE.
" L'histoire des comtés d'Angleterre (Victoria history of the Counties of
England), arrêtée par la guerre, reprend sous la direction de M. WizLiAM
PAGE. L. Goucaus», O. S. B.
— Le décret ordonnant la confection des Inventaires des œuvres d’art de
l'Angleterre date du 28 octobre 1908. À ce moment des entreprises analogues
étaient déjà commencées en plusieurs autres pays : en Allemagne, en
Autriche, en France, aux Pays-Bas, tandis qu’en Belgique on s'en était
tenu à quelques essais régionaux. Aujourd’hui il existe en Angicterre des
volumes d'inventaires pour le Hertsfordshire, le Buckingamshire et Essex.
Le troisième volume pour le comté d’Essex vient de paraître {An inventory
of historical Monuments in Essex. Londres, 274 p., illustrations, frontispice
et carte. Prix : 2 L., 1 sh. ; publication de la Royal Commission on historical
monuments. England.) On estime, qu’à l'allure actuelle, il faudra soixante-
dix ans pour mener la publication à sa fin.
Durant l'été dernier des peintures murales qui comptent parmi les plus
belles de l’Angleterre ont été découvertes au Kings College, fondé à Eton
en 1440. En vérité elles n'étaient pas totalement inconnues. On savait
qu'entre les annécs 1479 et 1488 la chapelle du collège avait été ornée de
peintures représentant les miracles de Notre Dame, les comptes mention-
nent même, pour l’année 1486-1487, le nom de l’auteur, William Baker.
Mais les sujets offusquaient les regards des anglicans. En 1560, sous la reine
Élisabeth, les peintures furent passées à la chaux et, lorsqu'elles apparurent
à nouveau en 1847, on ne toléra pas davantage ces témoignages de croyances
du moyen âge. Cette fois on les dissimula derrière des boiseries des stalles
et on détruisit les éléments qui dépassaient les boiseries. Toutefois, au
préalable, R. H. Essex avait exécuté un dessin, conservé aujourd’hui dans la
bibliothèque du collège. Les boiseries ont maintenant été enlevées et les
peintures sont réapparues dans un surprenant état de fraîcheur. Les couleurs
sont posées directement sur la pierre; ce semble être une préparation
peu connue à la cire qui leur vaut leur excellente conservation. Les sujets
représentés, miracles de la Vierge, se retrouvent ailleurs dans la peinture
murale anglaise, notamment à la Lady Chapel de la cathédrale de Winches-
ter. L'œuvre trahit diverses influences étrangères. surtout des influences
flamandes. M. CH. HoLMESs lui consacre une courte étude dans le Burlington
Magazine (1923, t. XLIII, p. 229 238 et 3 pl.). La découverte a d’autant plus
attiré l’attention qu’elle fait connaître un « primitif » anglais de talent, Wil-
liam Baker, et que l’histoire de l’art national, surtout du moyen âge, attire
pour le moment l'attention en Angleterre. Dans cet ordre il faut signaler
les numéros récents du Burlington Magazine avec les articles de M. Mir-
CHELL sur l’art anglo-saxon {Flotsam of anglo-saxon art) et celui de M. Cox-
way intitulé British primitives. Il faut signaler aussi une exposition récente
de primitifs anglais, à l’Académie royale des arts à Londres (xrie au
xvie siècle). Elle a réuni 137 pièces : panneaux peints, broderies, sculp-
tures, etc. R. MAERE.
— Le congrès des catholiques anglais, tenu à Londres en septembre 1923,
a longuement discuté la question de la réunion des Églises. Il aurait reconnu
l'accord fondamental qui existe entre la doctrine de l’Église catholique et celle
de } Église anglicane et de l’Église épiscopalienne américaine, au moins pour
çe qui regarde les dogmes les plus importants (cfr S. P. DeLany, The anglo-
ANGLETERRE-ÉCOSSE-tRLANDE, li
ctholic congress, dans The american Church monthly, 1923, t. XIV, p. 13-31).
Le Rev. S. H. Scorr, Anglo-catholicism and reunion (Londres, Scott, 1923.
47 p.) vient de contester l'existence de cette identité substantielle des doc-
trines. Il en appelle, pour prouver sa thèse, au dernier livre de l’évêque Gore
(Belief in Christ) qui, sur la christologie, admet des théories formellement
répudiées par le catholicisme. De plus, la reconnaissance de la validité des
ordinations anglicanes par les Églises orthodoxes ne démontrerait pas,
d'après Scott, l'identité des doctrines fondamentales des deux Églises. Celle-ci
reste à prouver par la comparaison des croyances actuelles de l'Eglise angli-
cane et de celles des Pères et des conciles œcuméniques. A. PALMIERI.
— Cours et conférences. — Le 17 octobre, l’auteur de cette chronique a
donné une conférence sur The practice of phlebotomy in Monasteries à la
Royal Society of Medicine de Londres Cette conférence sera publiée pro-
chainement en français dans la Revue Mabillon.
Durant le terme qui a commencé le 3 octobre 1923, le Dr ERNEST BARKER,
le Professeur Box et M. Enwyn BEVAN ont donné, au King's College de
Londres, une série de leçons publiques sur The conflict of Religions in the
Roman Empire.
Nominations. — Le Rev. WALTer HowaARD FRERE, savant liturgiste, de
la Communauté de la Résurrection de Mirfield, a été choisi pour occuper le
siège épiscopal anglican de Truro (Cornwall).
Le conseil de l’université de Manchester a nommé le Rev. Jon Nico
FarquHAR, M. A. D. Litt. Oxon., à la chaire de religion comparée de cette
université.
M. A. F. ScxocriELp, M. A., a été nommé bibliothécaire de l’université
de Cambridge comme successeur de feu Francis Jenkinson.
Décès. — Le 11 septembre 1923, Dom CozumBa EbMonps, prieur de
l'abbaye de Fort-Augustus (Écosse), âgé de 63 ans. Né à Oxford, converti du
protestantisme, il a publié The early Scottish Church, its doctrine and
discipline (Londres, 1906).
Le 21 septembre, F J. H. JENKINSON, bibliothécaire de l’université de
Cambridge. Il était né le 20 août 1853. Il fut nommé curateur de la Cam-
bridge Antiquarian Society en 1882. Il livra aux éditeurs du Breviarium ad
usum insignis Ecclesiae Sarum (1882-1886), en les complétant, les notes de
Henry Bradshaw (+ 1886) dont il avait été l'élève, et il aida Mommsen à
préparer son édition de Nennius pour les Monumenta Germaniae historica.
L'édition des Collected papers de Bradshaw (1889) fut préparée par ses soins,
ainsi que celle d’une autre publication posthume du même érudit, The early
collection of canons known as the Hibernensis (1893). Jenkinson fut élu prési-
dent de l’Antiquarian Society en 1893, et, à l’occasion du troisième centenaire
de la bibliothèque Bodléienne, en 1902, l’université d'Oxford lui décerna le
titre de docteur ès lettres honoris causa. Ce savant n’a pas beaucoup publié;
il travaillait volontiers pour les autres, et il avait coutume de dire à ses
amis : « Je n’ai jamais le désir d'écrire, j'ai toujours celui de m'instruire. »
Î a cependant donné une remarquable édition des Hisperica famina (1908),
ouvrage dont la Revue a signalé l’apparition (1909, t. X, p. 869).
Le 25 septembre, Lord Jon MorzeY, homme politique et littérateur, né à
Blackburn (Lancashire) en 1838, auteur d’une Life of W. E. Gladstone, 1903
(Voir RHE, 1903, t. V, p. 413-420). L. Goucaup, O.S,B,
142 CHRONIQUE.
Autriche. — Les musées de Vienne sont l’objet d’une réorganisation com-
plète, sous l’habile direction du Prof. H. Tietze. Un groupement nouveau
s’imposait, à la suite des événements qui ont fait passer dans le domaine de
l'Etat les collections impériales. Le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque
de la Cour a été joint à l’Albertina et forme aujourd’hui la plus belle collec-
tion d'estampes du monde, après celles du Cabinet des Estampes de Paris
et du Print-room du British Museum.
D'autre part, les plus belles œuvres du xvirie siècle ont été réunies dans un
musée spécial, le nouveau « Barock museum » installé au palais du Bel-
védère inférieur. On y peut admirer, dans des locaux d'une adaptation
idéale : palais construit par Lucas von Hildebrand pour le prince Eugène,
les chefs-d'œuvre de l’époque la plus brillante de l’art autrichien (1700-1750).
La galerie de peinture moderne (xixe siècle) sera installée dans le Bel-
védère supérieur, tandis que toutes les œuvres antérieures au xvine siècle
seront réunies au Kunsthistorisches Museum (Burgring). R. M.
Belgique. — M. Van Steenkiste a préparé lui-même les cinq premières
éditions de son commentaire des Actes des Apôtres. La sixième, considérable-
ment remaniée, parut en 19x10 par les soins de M.CAMERLYNCK qui vient encore
de publier la septième en collaboration avec M. VAN DER HEEREN, son succes-
seur à la chaire d'Écriture sainte du grand séminaire de Bruges (Commentarius
in Actus Apostolorum. Bruges, C. Beyaert, 1923. In-8, 422 p.). A divers points
de vue, la nouvelle édition est en progrès sur la précédente : pour la netteté
de l'impression, la beauté des caractères, la qualité du papier, l’art de con-
denser une matière plus abondante en un nombre de pages légèrement
inférieur à celui de la 6e édition. Ce n'est donc pas le cas de dire : omne decus
ejus ab intus ! Cependant le fond lui-même a subi d'heureuses modifications.
Il ne suffit pas de remarquer qu’on a tenu compte des travaux importants
parus sur les Actes des Apôtres depuis 1910, mais les chapitres sur l’auteur,
la date de composition et la chronologie des Actes ont été refondus à la suite
du décret de la Commission biblique et des publications nombreuses suscitées
par l'inscription de Delphes. Toutefois, l'innovation la plus .marquante
consiste dans l’addition des variantes les plus importantes du texte grec, et
dans la juxtaposition au texte de la Vulgate d’une paraphrase, véritable
commentaire à l'usage des gens pressés qui n’ont pas le loisir de parcourir
les notes explicatives. Celles-ci se déroulent sobrement au bas des pages cn
dessous du texte et de la paraphrase et sont interrompucs parfois par des
excursus plus étendus et pleins de richesses de bon aloi. Nous souhaitons
plein succès à ce beau commentaire d’un exposé si clair, d’une doctrine si
sûre et d’une si abondante érudition.
Le Cours de Religion publié par M. l'abbé Fr. VERHELST chez
À. Dewit à Bruxelles est très estimé en Belgique et sa renommée a même
rapidement franchi nos frontières. Les revues théologiques françaises en ont
rendu compte en termes vraiment élogieux. Après l’Apologétique (In-12 de
Xv-378 p. 2° éd. 1921. F. 7,50), la Dogmatique (in-12 de 640 p. 1918. F. 15),
la Morale (in-12 de 314 p. 1920. F. 7,50), l’auteur vient de faire paraitre,
pour couronner son œuvre, un volume sur Les Sacrements (in-12 de 264 p.
1923. F. 7,50). Ajoutons que dans l’entre-temps ont paru un Précis d’apolo-
gétique (in-12 de 144 p. 1917. F. 2,75), un Précis de dogmatique (in-12 de 238 p.
BELGIQUE. | _ 143
1923. F. 6) et une étude apologétique sur La divinité de Jésus-Christ (in-18
de 158 p. x9x9. F. 2,50).
Ces ouvrages sont destinés principalement à l’enseignement secondaire et
aux chrétiens cultivés qui veulent se rendre compte de leurs raisons de
croire et approfondir leur religion, mais leur utilité s’étendra bien au-delà.
Les prêtres eux-mêmes, à leur sortie du séminaire, ou plus tard, dans les
rares loisirs du ministère, y trouveront une occasion agréable et fructueuse
de récapituler ou de rafraichir leurs connaissances apologétiques et théolo-
giques. Ces volumes, en effet, d’une doctrine très dense et très sûre, d’un
style sobre, d’un exposé facile et clair, marquent un progrès considérable
sur les traités similaires. Les points de foi sont nettement formulés et aussi
settement distingués des opinions théologiques. Les preuves positives,
scripturaires ou traditionnelles, ont un relief qu’elles n'avaient pas aupa-
ravant, et c'est à ce titre principalement que nous signalons ce Cuurs de
Religion dans une revue d'histoire ecclésiastique. L'auteur est bien au cou-
rant de l’état des questions et des controverses les plus récentes, et, sans se
perdre dans le dédale d’une bibliographie aride qui ne serait nullement de
mise ici et n'est d’ailleurs à sa place nulle part, il parvient à les synthétiser
avec une véritable maîtrise, marque d'un esprit judicieux et précis. Nous
avons éprouvé, pour notre part, une réelle jouissance à parcourir cette série
de petits volumes qui remplaceront souvent toute une bibliothèque,
E. ToBac.
— Notre savant collaborateur Mgr AuausTs PELZER, Scriptor de la
Bibliothèque vaticane, vient de faire une découverte importante qu’il
communique dans les Annales de l’Institut supérieur de philosophie de Louvain
(1923, p. 451-492), sous le titre : Le premier livre des Reportata Parisiensia de
Jean Duns Scot (Louvain, 1, rue des Flamands, 1923. In-8, 48 p.). Comme on
le sait, les Reportata Parisiensia du Docteur subtil ont été imprimés d’abord
à Paris, grâce à Jean Mair, en 1517 et 1518, ensuite à Lyon, en 1639, par Luc
Wadding. Cette dernière édition, notablement différente de celle de Jean
Mair, a été universellement employée depuis près de trois siècles. Or,
l'examen des mss que vient de faire Mgr Pelzer, prouve qu’en ce qui concerne
le Ier livre « les Reportata Parisiensia de l'édition de Wadding sont simplement
une reconstitution arbitraire, basée sur l’Abrégé de Guillaume Alnwick, de
la Réportation authentiquée par le Docteur subtil, et sur la mauvaise Répor-
tation éditée par Jean Mair ». D'autre part, il reste au moins trois exemplaires
mss de la Réportation du Ier livre, authentiquée par l'examen qu’en a fait
Duns Scot lui-même. Ces mss, analysés par Mgr Pelzer, serviront de base à
la nouvelle édition de la Réportation du Ier livre, qui paraîtra incessamment.
À. D. M.
— Après 30 années, voici achevée la publication des Ordonnances des Pays-
Bas. Règne de Charles V, en six gros in-fol. Le dernier ou 6e de la collection,
paru récemment (Bruxelles, J. Goemaere, 1922. In-fol. 510 p.) par les soins
de feu M. J. LAMBERE, président honoraire de la Cour de Cassation, com-
prend le texte intégral des ordonnances de janv. 1550 à oct. 1555. Nous
possédons donc toute l’œuvre législative de Charles-Quint en Belgique ;
mais le mot ordonnance doit s'entendre au sens large : instructions explica-
tives, arrêts du Conseil privé, octrois commerciaux, édits, règlements,
voire tarif de tonlieu. L’historien de l'Église aura À glaner dans le volume aux
144 cHRONIQUÉ.
. mots : hérésies, blasphèmes, clergé, nouveaux chrétiens, religion, nonces, etc.
Quelques références bibliographiques manquent de précision (v. p. 63, 110,
118, 228, 296). H. N.
— Le nom de Léonard Lessius est bien connu de tous ceux qui s'occupent
de sciences ecclésiastiques. Auteur de plusieurs traités de théologie dogma-
tique, de morale et d'ascétisme, Lessius a exercé de son vivant une influence
considérable et, de nos jours encore, ses opinions ont une grande autorité dans
les milieux théologiques. A l'occasion du troisième centenaire de sa mort,
quelques revues lui ont consacré, en 1923, des articles qui ont été signalés
dans n°tre bibliographie. À cette même occasion le KR. P. K. Van Suez, S. J.,
a fait paraître un ouvrage assez étendu, où il a condensé le résultat de ses
patientes recherches sur la vie et les œuvres du grand théologien (Leonardus
Lessius. Wetteren, J. De Meester, 1923. viti-336 p.). La famille de celui-ci
ainsi que ses supérieurs ont pieusement conservé de lui de nombreux souve-
nirs, ce qui a permis au R. P. Van Sull de nous retracer une biographie
détaillé de Lessius et de nous faire connaître successivement sa jeunesse, ses
années d’études, ses débuts dans la Compagnie de Jésus et dans l’enseigne-
ment, ses démêélés avec l’université de Louvain, les succès vraiment remar-
quables qu'il obtint comme prêtre, comme professeur et comme écrivain,
enfin sa mort et la réputation de sainteté qu'il laissa.
L'ouvrage du R. P. Van Sull poursuit sans doute un but d’édification. Mais
il rendra aussi de réels services aux historiens de l'Église par les nombreux
détails qu’il leur apprendra sur la vie d’un des plus influents théologiens de
la Compagnie de Jésus. A. D. M.
— La Société d’études religieuses, dans un but de diffusion doctrinale,
publie périodiquement des brochures à bon marché, mais de tenue fort
remarquable, si l’on en juge par celles que Dom H. Dumaine vient de faire
paraître sur Le Dimanche Chrétien, ses origines, ses principaux caractères»
(Bruxelles, Soc. d’études religieuses, Action catholique, s. d. [1922]. In-12).
C’est en effet un travail approfondi, à la fois théologique et historique. sur
l'institution fondamentale du culte chrétien. À feuillcter ces 125 pages
d'impression serrée mais très nette, à lire le prix de l'abonnement annuel :
10 fr. les 24 brochures de quinzaine, on se voit reporté aux années d'avant-
guerre. La Société s’honore du patronage des cardinaux Mercier et Dubois.
P. DEBONGNIE.
— La Revue d'histoire ecclésiastique a annoncé déjà la fondation de l Œuvre
nationale pour la reproduction des manuscrits à miniatures (t. XVIII, 1922,
p. 602). Aujourd’hui cette société cst en pleine activité. Elle a publié un
premier volume, qui est un petit chef-d'œuvre de reproduction d'après la
photographie dés quatre couleurs : Les heures de Notre Dame, dites de
Hennessy (Bruxelles, 1923. In-8, 56 pl. en couleurs ct or, 14 pi. en photo-
typogravure, grandeur de l'original, 112 p.). La rédaction du texte ne pouvait
être mieux confiée qu'à M. Jos. DESTRÉE, qui a commenté autrefois Îles
reproductions monochromes consacrées au précieux manuscrit. Le texte
nouveau est complètement remanié et fournit des renscignements inédits
sur les productions de l'atelier de Simon Bening. L’exécution des planches
est due à la maison Jean Malvaux, l'impression par la maison J. E. Goossens
s'est faite sous la direction de M. H. Grégoire.
D'autres publications se préparent. M. FIERENS-GEVAERT commentera le
BELGIQUE. 145
Livre d'Heures du duc de Berry, dont les miniatures sont attribuées à
Jacquemart de Hesdin. M. C. Gaspar, de la Bibliothèque royale, prépare
l'édition des Chroniques du Hainaut, avec ses miniatures de Guillaume Vrelant.
Après cela viendra le tour d’autres manuscrits célèbres, peut-être en premier
lieu du Livre d'Heures de Philippe le Bon, conservé à La Haye.
M. Ep. MICHEL, auquel nous devions déjà Hôtels de ville et beffrois de
Beigique, vient de faire paraitre à la librairie Van Oest un nouveau volume,
intitulé : Abbayes et Monastères de Belgique. Leur importance et leur rôle dans
le développement du pays. (Bruxelles, 1923. In-12, 270 p. et 48 pl.). Après un
aperçu général et substantiel, dont le sous-titre indique suffisamment la
nature, l’auteur passe en revue, province par province, un grand nombre
d'abbayes, les unes encore existantes dans leur ensemble, les autres
remarquables par la beauté de leurs ruines où par la grandeur de leurs
souvenirs. Pour chaque monastère la notice comprend quelques renscigne-
ments pratiques, de courtes notions sur l’état actuel et sur l’histoire, et une
excellente bibliographie sommaire. On pourrait sans doute signaler quelques
lacunes dans la liste des maisons décrites : ainsi la Chartreuse et l'abbaye
Ste Gertrude à Louvain, pour ne pas signaler d’autres omissions, méritaient
d'ètre mentionnées. Mais, tel qu’il est, ce modeste ouvrage contient de
nombreux et précieux renseignements. Non seulement le touriste, mais
l’archéologue et l’historien consulteront volontiers son illustration bien
choisie, ses notes rapides et surtout sa bibliographie détaillée ct con-
sciencieuse. R. M.
— Les Verzamelde opstellen uitgegeven door den geschied- en oudheidskun-
dige studiekring te Hasselt ter eere van den E. H. Pol. Daniéls (Hasselt, 1923.
In-8, 158 et photogr.) contiennent, outre une bio-bibliographie du distingué
et savant drchiviste de Hasselt, M. Pol. Daniëéls (par M. SENGENS), de
nombreux articles intéressant l'histoire et l'archéologie religieuses du
Limbourg. Parmi ceux-ci signalons : P. DaniËLs, Le château de Curange;
Lettre d'indulgence délivrée en 1363 en faveur de l’abbaye d'Herkenrode.
Le bénitier de l'église d’Heur-le-Tixhe et Jean Fréderix, curé de Hasselt :
SmoLpERrs, la nouvelle église de Donk ; PAQuayY, Liste des curés primaires de
Hasselt ; C. VAN DER STRAETEN, Origine de la chantrerie en l’église primaire
de Hasselt ; CognEN, L'église abbatiale de Postel.
— Le Spicilegium Sacrum Lovaniense, dont les deux premiers fascicules ont
déjà été analysés dans la RHE (t. XIX, p. 206), vient de faire paraître quatre
nouveaux fascicules : celui de M. CHossaT, qui donne une solution originale
et inattendue au problème de l'authenticité de la Sumima Sententiarum ; celui
de M. Barpy sur Paul de Samosate, qui étudie de façon «exhaustive » et à
l'aide de quelques nouveaux fragments, la carrière et la doctrine d’un per-
sonnage longtemps célèbre ; celui de MM. DE BAcKkER, POUkENS, LEBACQZ ct
DE GHELLINCK, qui fournit les résultats d’une vaste enquête lexicographique
sur l'emploi du mot sacramentum pendant toute la période anténicéenne;
enfin, celui de M. FLicHe sur l’élaboration des idées grégoriennes à la fin du
xe siècle et pendant les trois premiers quarts du xit siècle.
— C'est avec plaisir que nous annonçons à tous ceux qui s'intéressent aux
, études théologiques la publication d'une nouvelle revue trimestrielle Ephe=
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 19
146 CHRONIQUE.
merides Theologicie Lovanienses, éditée sous la direction de MM. J. BiTTRe-
MIEUX, J. DE BECKER, J. FoRGET, A. JANSSEN, C. Van CROMBRUGGHE et
A. Van Hove, professeurs à la Faculté de théologie de l’université de Louvain.
Elle sera consacrée à l’étude des questions relevant de la théologie dogma-
tique (générale et spéciale), de la théologie morale et du droit canon. Elle ne
s’occupera pas ex professo d'histoire ecclésiastique ou de critique biblique.
Chaque numéro de la revue (in-8 de 128 p. environ) comprendra des
articles de fond, des notes ou mélanges, des comptes rendus, une biblio-
graphie aussi complète que possible, systématique ct critique, des ouvrages
et des articles parus dans différentes revues, enfin, s'il y a lieu, une chronique.
Le prospectus donne de plus amples détails sur la façon dont seront
traitées les différentes matières. La liste des collaborateurs, où l’on trouve
des noms avantageusement connus dans le monde théologique, permet d’en
attendre des contributions de réelle valeur. Le prix de l’abonnement est de
25 francs pour la Bcigique, de 30 francs pour les autres pays. M. l'abbé
A. Janssen (19, rue des Récollets, Louvain), est chargé du secrétariat de la
Revue et M. Bcyaert (6, rue Notre-Dame, Bruges) de l’édition.
Nous souhaitons à la nouvelle revue grand succès et nous espérons qu’elle
contribuera puissamment à donner un nouvel essor aux études théologiques
en notre pays et à l'étranger.
Égypte. — ConsTanTIN KaLLinikos (protopresbyter}), ‘O ALIGTIRUr0G
Va0s noi TO TEAGUUEVA Ey aur@. Alexandrie, 1923. 750 p. Ce grand ouvrage
comprend deux parties : la première traite du développement historique de
l’architecture chrétienne en Orient, de l’ornementation et du mobilier des
églises ; la seconde, de la liturgie et des sacrements. Exposé clair et
méthodique qui rendra service à ceux qui s'occupent soit d'archéologie
chrétienne, soit de liturgie orthodoxe.
M. J. PaokyLipes, directeur de l’'Exz. Doucs, annonce la publication
prochaine d’un gros ouvrage de 800 p., comprenant l'histoire complète de la
laure de Saint-Sabas le sanctifié ((O ‘Hszxcuivos). A. PALMIERI.
Espagne. — M. B. SancHEz ALONSo : Fuentes de la historia espanola
(Ensayo de bibliografia sistematica de las monografias impresas que illustran
Ja historia politica nacional de España excluidas sus relaciones con América).
Con prélogo de D. R. Altamira. Madrid, Centro de estudios histéricos,
Moreto, 1, 1919. In-4, xx1-448 p. Pés. 20. Ce répertoire comble, au moins en
partie, une lacune fort regrettée par les historiens. Il comprend uniquement,
comme le sous-titre l'indique, les ouvrages se repportant à l’histoire poli-
tique d'Espagne. Les ouvrages concernant soit les sciences auxiliaires, soit
l'histoire spéciale (constitutionnelle, religieuse, économique, sociale, etc.) et
locale n’y ont pas trouvé place et seront signalés dans un volume suivant. De
plus, l’auteur se propose (p. xvit) de dresser, dans un tome séparé, la liste
des sources et des travaux relatifs aux rapports de l'Espagne avec l'Amérique,
Les ouvrages sont rangés, d’après l’ordre chronologique, sous sept
rubriques : 1) période préromaine (p. 1-10); 2) période romaine (205 av.
J. C.-414 après J]. C.) (p. 11-13) ; 3) période wisigothique (414-711) (p. 23-103);
- 4) période arabe-chrétienne (711-1516) (p. 23-103); 5) période de la Maison
d'Autriche (1516-1700) (p. 104-218); 6) période des Bourbons (1700-1808)
ESPAGNE. 147
(p. 219-254) : ?) l'Espagne au xixe siècle (p. 255-370). Pour chaque période,
l'auteur signale d’abord les sources, puis les principaux travaux (les
ouvrages de vulgarisation et les manuels d’histoire en usage dans l'enseigne-
ments primaire et secondaire étant exclus), les traductions qui en ont été
donnécs et les comptes rendus qui en ont paru dans différentes revues
espagnoles et étrangères. Il énumère ainsi 6783 titres. Sans doute, pour ce
qui concerne les sources, l'ouvrage de M. Sanchez Alonso est encore fort
incomplet. Mais on ne peut oublier qu’en Espagne l'élaboration des cata-
logues des bibliothèques et le travail d'inventorisation des archives sont neu
avancés. Trois index, donnés à la fin du volume, en facilitent l'usage :
1} able onomastique des auteurs et des traducteurs cités, suivie de la liste
des pseudonymes dont les vrais noms n’ont pas encore été trouvés jusqu’à
présent (p. 371-419) ; 2) table alphabétique des matières ; 3) table alphabétique
des ouvrages et des sigles. Ce répertoire de M. Sanchez Alonso, faut-il le
dire, rendra de grands services aux historiens. Souhaitons qu'il puisse être
complété à bref délai.
On sait que M. P. Torres LANzaAs, directeur du Centro de estudios ame-
ricanistas de Sevilla, a entrepris la publication d’un inventaire du riche dépôt
d'archives qui lui a été confié (cfr RHE, 1922, t. XVIII, p. 605-606). Son
Catälogo de Legajos del archivio general de Indias. Seccién tercera ; Casa de
contrataciôn de Indias (Séville, Zarzuela-Alvarez, Quintero 72, 1922. In-4,
256 p.) constitue le quatrième et dernier volume de la section indiquée et le
huitième de la Biblioteca colonial americana. Les documents, inventoriés
dans ce volume, se rapportent principalement à l'intervention de la « Casa
de contrataciôn de Indias » de Séville dans les missions militaires, commer-
ciales, religieuses qui allaient et revenaient entre l'Espagne et l'Amérique,
de 1573 à 1786. Les documents signalés p. 222-223 concernent exclusivement
les missions des franciscains, des jésuites et d’autres religieux.
Dans la même collection, Biblioteca colonigl americana, le R. P. J. Zarco
Cueva, O.S. À. a fait paraître, d’après le ms de l’Escurial ij-k-15, un docu-
ment du xvic siècle, intéressant l’histoire de la colonisation américaine :
Libro intitulado : Coloquios de la Verdad : Trata de las causas e inconve-
nientes que impiden la doctrina y conversiôn de los Indias de los Reinos del
Peré y de los danos é malas é agravios que padecen ; por Pedro de Quiroga
(Séville, Zarzuela-Alvarez, 1922. In-4, 130 p.). L'auteur, qui se cache sous le
pseudonyme de Quiroga, est resté inconnu jusqu’à présent. On peut déduire
de ses propres affirmations qu'il était prêtre et qu’il avait séjourné comme
missionnaire pendant quelques années en Amérique. Partisan des idées de
Las Casas, il attaque violemment Sepülveda. Dans une introduction (p. 5-
36), le KR. P. Zarco décrit la situation du Pérou au xvie siècle ; il montre
ainsi combien peu de confiance mérite cette littérature polémique répandue
par les admirateurs et les adversaires de Las Casas.
R. P. GorpiLLo, S. ]. La Asuncion de Maria en la Iglesia espanola
(Siglos VII-XI). Madrid, Editorial La Estrella del Mar, 1922. xvi-272 p.
Dans cet ouvrage, le R. P. Gordillo cherche à résoudre différents problèmes
qui se posent, pour l'Église d'Espagne, touchant l’origine de la croyance en
l'Assomption de la Sainte-Vierge. Dans ce but, il examine d’abord les nom-
breux documents de la liturgie mozarabe (hymnes, prières, messes, calen-
. driers), qui accordent déjà une place importante à la fête de l’Assomption.et
148 CHRONIQUE.
en parlent avec une précision théologique remarquable. Les origines de la
liturgie mozarabe restent assez obscures ; en particulier, ses rapports avec
la liturgie gallicane sont encore mal connus. Cependant, pour ce qui con-
cerne la fête de l’Assomption, le R. P. Gordillo admet que la liturgie moza-
rabe ne dépend pas de la liturgie gallicane. En effet, contrairement à cette
dernière, la liturgie mozarabe accorde une place toute spéciale à S. Jean
l'Évangéliste et elle fixe la date de la fête, non en janvier, mais le 15 août.
La première mention de l’Assomption se retrouve dans l’antiphonaire de la
cathédrale de Léon, que dom Férotin ct Mgr Duchesne attribuent au com-
mencement du vinie siècle. Le Liber comitis de S. Millän, un peu postérieur
à cet antiphonaire, contient, dans quelques feuillets ajoutés à la fin du livre,
des extraits de l’Écriture appliqués à l’Assomption et une note du copiste
d’après laquelle la fête aurait été introduite à San Millän au temps de l'abbé
Émile, vers 706. Le P. Gordillo en conclut que la fête était célébrée en
Espagne au commencement du vite siècle. Il va même plus loin et prétend
établir que la messe de cette fête a été composée par S. Ildephonse. Cette
dernière affirmation n’est, évidemment, qu’une simple conjecture. Je crois
même que la première conclusion de l'auteur ne sera pas admise sans
réserve. L’annexe du Liber comitis, sur laquelle elle s'appuie en partie, est
d'une datc trop incertaine pour qu’elle puisse fournir une preuve solide. Et
le R. P. n’a guère démontré que le passage de l’antiphonaire de Léon, sur
lequel se base aussi sa conclusion, n’est pas une simple interpolation. En outre,
en maintenant sa thèse, il peut difficilement expliquer le silence de S. Isidore
” touchant cette fête, dans son De ortu et obitu Patrum.
Quoi qu'il en soit, après avoir étudié ces documents liturgiques, le R. P.
examine les récits que nous ont laissés de leur voyage en Terre-Sainte les
nombreux pèlerins de cette époque. Ces relations ne renferment aucun
témoignage explicite sur notre question. Enfin, le R. P. cherche à s'appuyer
sur le fait que différentes églises ont été dédiées autrefois à l’Assomption.
Mais ici encore, il ne trouve guère de preuve convaincante. Le célèbre bas-
relief de Saragosse, du ive siècle, qui représenterait, d’après quelques
_ auteurs, l’Assomption de la Sainte-Vierge (cfr Dict. d'arch. chrét. et de lit.,
t. 1, c. 2990-2992), est resté, dans tous les cas, un témoignage isolé, dont le
sens a été rapidement perdu. En annexe (p. 211-269), le R. P. publie des
extraits des principaux documents liturgiques, cités dans son ouvrage.
En somme, le KR. P. a soulevé une question très intéressante ; pour la
. résoudre, il a interrogé tous les documents ; quant à ses conclusions, quel-
ques-uncs au moins paraîtront bien risquées et appellent des réserves.
Le congrès hispano-portugais pour le progrès des sciences s'est tenu
à Salamanque du 24 au 29 juin 1923. À la section d'histoire, quelques
travaux ont été présentés : M. QuEiroz VELLOSo, professeur à l’université
de Lisbonne, donna un rapport sur l’O arquivo general de Simancas et son
importance pour l’histoire du Portugal. — Mgr FERREIRA a lu un mémoire
sur l’histoire d'Oporto depuis le vie siècle. — Le R. P. Gascon, S. J. fit
connaître les ditiérents répertoires des écrivains de la compagnie de Jésus.
— M. LoPrez MARTINEZ, professeur à Séville, exposa les relations entre
l'Espagne et le Portugal dans la seconde moitié du xvrre siècle.
Pour la première lois, ce congrès a admis une section de théologie.
Plusieurs communications y ont été faites qui intéressent autant l'historien
de l'Eglise que le théologien : P. GoYEna, S. J., L'école de Roger Bacon et
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 149
la théologie espagnole ; Munecas, S. J., Les Albigeois à Léon ; Bover, S. J.,
La médiation de Marie dans la tradition patristique ; BELTRAN De HEeRRDIA,
0. P., Les dominicains espagnols et l’enseignement universitaire; GALDOZ, S. J,
Les études bibliques en Espagne avant le concile de Trente : Mgr FERREIRA,
Les origines liturgiques de l'Église de Braga ; PrADo, O.S. B., La liturgie
sisigothique du baptéme et de la PRE des églises ; Le chant dans
l'acienne Église espagnole.
Les théologiens, réunis à ce congrès, ont ne aussi des changements
àapporter au programme de l’enseignement théologique. Mais ces proposi-
tions ont le grand tort d’être trop vagues et il est à craindre qu'on n’en
tienne aucun compte.
La liste des ouvrages reçus par l’Académie, qui paraît périodiquement
dans le Boletin de la Real Academia de historia, sera désormais rédigée
d'après un ordre systématique.
La nouvelle collection, entreprise par M. BeNjamIN Marcos sous le
titre : Biblioteca filoséfica. Los grandes filésofos espanoles (25, Paseo de Reco-
letos, Madrid), est destinée À faire connaître les principaux écrivains et
philosophes d'Espagne. Chaque volume comprendra la biographie sommaire
d'un auteur, la liste de ses œuvres, l'exposé de sa doctrine, quelquefois des
extraits de ses écrits.
Décès. — Le KR. P. Pascuaz SAuRA Lenoz, O. F. M., ancien directeur
de la Revista franciscana, auteur de la Vida de Sor Teresa Arguyol, fundatore
de las Clarisas de la Providencia, et de nombreux articles parus dans l’Archivo-
Ibero-Americano. I] enseigna, depuis 1919, l’histoire des missions à Rome,
et collabora à l’achèvement du Bullarium franciscanum.
L. GOLDARACENA.
États-Unis d'Amérique. — Comme on le sait, l'Église épiscopalienne
travaille activement à se rapprocher des Églises d'Orient. Dans ce but, le
Dr Frank Gavin, professeur d’exégèse du N. T. au séminaire de Nashotah
(Wisconsin), vient de publier un ouvrage sur l'état actuel de la théologie
orthodoxe : Some aspects of contemperary greck orthodo.r thought (Milwaukee,
1923. In-8, xxxX1V-430 p.). Laissant de côté la théologie russe, il expose la
doctrine de l'Église orthodoxe grecque, principalement d’après Androutsos,
Rhosis, Dyovouniotis et Mesoloras. Dans les prolégomènes, l’auteur reprend
et discute les données et les conclusions que nous avons recueillies dans
notre Theologica dogmatica orthodoxa. Suit un exposé précis et savant, en
plusieurs chapitres, de la doctrine théologique grecque sur Dieu, le péché, la
justification, le salut éternel, le rédempteur, la grâce, l'Église, les sacrements,
le jugement dernier, la résurrection. En général, M. Gavin se montre favo-
rable aux doctrines de l'Église grecque. Il rejette l'opinion que nous avons
émise touchant l'absence de progrès dogmatique « secundum quid » dans la
théologie des Églises d'Orient. Nous ne pouvons accepter toutes les affirma-
tions de l’auteur, mais nous lui reconnaissons volontiers une vaste érudition
et une grande pénétration dans l'intelligence et l’exposé des doctrines. Son
ouvrage, qu’on pourrait appeler un traité éclectique de théologie orthodoxe,
est fort remarquable et il est à souhaiter qu’il trouve bientôt son pendant
dans la littérature catholique. A. PALNMIERI,
150 CHRONIQUE.
— En publiant son beau volume : The national Pastorals of the American
Hierarchy (1792-1919) (Washington, 1923. In-8, x111-358 p.), le professeur
Dr P. Guizpay n'a pas seulement servi les intérêts de la vie religieuse dans
sa patrie, mais aussi ceux de l'histoire ecclésiastique. Ces lettres pastorales,
au nombre de treize, sont, ainsi que l’observe justement leur éditeur, comme
des miroirs qui reflètent la vie intime de l'Église durant les cent-trente ans
écoulés depuis l'établissement de la hiérarchie catholique aux États-Unis.
Dispersés, ces documents risquent de se perdre malgré leur importance : le
présent volume les sauvera tout à la fois de la destruction et de l'oubli. Les
textes sont précédés de brèves introductions, qui mettent le lecteur au
courant des circonstances qui en expliquent l'origine et la teneur. M. Guilday
a étendu à toutes les pièces la division systématique en paragraphes avec
titres particuliers, dont certaines lettres fournissaient le modèle ; l’utilité
pratique de la collection n'a fait qu'y gagner. Grâce à l’index détaillé et très
heureusement conçu qui le termine, ce volume renseignera rapidement, et
par des sources autorisées, tous ceux qui lui demanderont les éléments de
l'histoire religieuse des États-Unis durant la dernière période, et des direc-
tives et des solutions pour bien des difficultés et des problèmes de l’heure
présente. J. Leson.
— Nous signalons ici deux recueils d'études se rapportant à l’histoire du
christianisme et à l'exposé de sa doctrine et de sa mission : le premier, The
return of Christendom (New-York, Macmillan, 1922. [n-8, xx-252 p.) contient
neuf articles, précédés de deux préfaces, composées par les évêques anglicans
Brent et Gore; ces articles dénoncent les maux de la société moderne et
proposent un plan de réforme sociale, basée sur les principes chrétiens. Le
second : Anglican Essais (New-York, Macmillan, 1923. In-8, x-337 p.) est une
réponse indirecte du parti « modéré » de l'Église anglicane au congrès « anglo-
catholique ». Quelques études de ce recueil sont purement polémiques.
A. P.
France. — Nous devons encore signaler à nos lecteurs les principales
études que renferme le tome V (fasc, 45-50. Paris, Letouzey et Ané, 1922) du
Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, publié sous la direction du
Rme po F. CasroL et du R. P. Dom H. LeczercQ. Sur la ville d'Envermeu
(c. 68-107), le R. P. H. LecLERcQ donne une étude historique et archéologique
des plus intéressantes. Située dans la vallée de l'Eaulne, une des plus riches
au point de vue archéologique, Envermeu nous a conservé de nombreux
vestiges de l’époque franque : des fosses, des vases, des haches, des clefs en
fer, des couteaux et des flèches, etc. Par la description détaillée de ces
vestiges, le R. P. reconstitue une image de la civilisation franque. — La ville
d'Éphèse (c. x18-r42) était, à l'époque néotestamentairce, la métropole de la
province romaine d'Asie et un des centres religieux les plus célèbres. De
plus, elle a joué un rôle considérable dans la diffusion du christianisme ;
S. Paul etS,. Jean y firent, l’un et l’autre, un séjour prolongé. Le R. P. H. Le-
CLERCQ en donne une description remarquable et retrace, dans des couleurs
vivantes, l’activité qu'y ont exercée Paul, Luc et Jean. Il fait connaître ses
principales églises, où l'art byzantin offre des éléments asiatiques combinés
avec des éléments romains sous l'influence grecque. — Touchant l’Épiclèse
(c. 142-184), le Rme pom CABROL a réuni les principaux témoins patristiques
et les différentes formules qu'on rencontre dans les liturgies orientales,
FRANCE. 151
grecque, gallicane et romaine. L’explication de l’épiclèse soulève, comme on
sait, certaines difficultés théologiques. On trouvera ici les solutions qui ont
été proposées par les théologiens. Enfin, le Rme P. retrace à grands traits
l’évolution de l’épiclèse et développe les textes de l’Écriture sur lesquels elle
s'appuie. — L'étude du R. P. H. LECLERCQ sur l'Épiscopat (c. 202-238) con-
stitue une excellente synthèse des nombreux ouvrages qui ont été écrits sur
l'origine et le premier développement de cette institution jusqu’à la fin du
ve siècle. Elle comporte d'abord la discussion du sens exact des mots
EntTXONOS et mpeofBirepos dans les écrits du N.T.; puis l'exposé de la doc-
trine de S. Ignace d’Antioche ; enfin la critique des témoignages postérieurs
attestant le développement de l’épiscopat. — Dans son article sur les Épiîtres
(c. 245-344) dans l'Église occidentale, le R. P. G. Gopu aborde un sujet
encore peu étudié. L'usage de lire et de commenter l'Écriture Sainte dans
les assemblées des fidèles remonte aux premiers siècles de l'Église. Mais il
ne s’agit pas encore à cette époque de péricopes déterminées, attribuées à des
dates fixes de l’année ecclésiastique. Les premières tentatives de fixation de
péricopes apparaissent en Gaule vers le milieu et à la fin du ve siècle. Au
début, cette détermination ne se fit que pour certaines fêtes; mais, dans la
suite, elle fut étendue aux dimanches et à toutes les fêtes de l’année ecclé-
siastique. Elle se produisit vers la même époque, mais d’une manière indé-
pendante, dans différentes Églises. Ainsi nous avons plusieurs systèmes ou
séries de péricopes que le R. P. fait connaître par une description minutieuse
et par des tableaux comparatifs : les systèmes mozarabe, carolingien,
ambrosien, romain. Quant à expliquer la formation de ces systèmes, c’est là
un problème très obscur. En effet, si l’on peut rendre compte du choix de
certaines péricopes, qui se présentent d’ailleurs dans toutes les séries aux
mémes jours, pour les autres, on en est réduit aux conjectures. — Au mot
Êre (c. 350-384), le R. P. H. LecLERCQ donne des notions sur les ères les plus
fréquemment employées dans les documents chrétiens. Nous les énumérons
ici : l'ère Alexandrine mineure, l’ère césarienne d’Antioche, l'ère de Bostra,
l'ère de l'Eglise byzantine, l'ère chrétienne, l’ère de Dioclétien, l’ère d'Es-
pagne, l’ère de Gaza, l'ère de Maurétanie, l'ère des Séleucides. — L'article
Espagne (c. 407-523), du même KR. P. H. LECLERCQ, est très intéressant tant
au point de vue historique qu’au point de vue archéologique. Avec finesse et
pénétration, le KR. P. y discute d’abord les textes relatifs aux origines du
christianisme en Espagne. Ensuite il fait connaître le développement qu'y
prit l'Église de la fin du rie siècle jusqu’au commencement de la période
wisigothique. En ce qui concerne les monuments de l'Espagne chrétienne,
ils sont peu nombreux et de médiocre importance. « Les conditions dans
lesquelles l’Église catholique végéta sous les rois ariens ne permettaient pas
d'imposantes et solides constructions ». De plus « les rares spécimens qui
nous ont été conservés prêtent parfois à des hésitations qui autoriseraient à
les rajeunir notablement ». Tel est le cas pour San Juan Bautista de Banos
et pour plusieurs autres églises et oratoires que les archéologues espagnols
attribuent trop facilement à l’époque wisigothique. Dans la description de
ces monuments, l’auteur fait preuve d’une critique judicieuse, et montre ce
qu'il y a d’arbitraire et d’erroné dans les opinions qu'il combat. Les monu-
ments épigraphiques à date certaine ne paraissent que fort tard en Espagne
(fin du 1ve siècle). On en possède entre cinq et six cents, dont un assez grand
nombre ne sont connus que par des copies manuscrites, Plusieurs d’entre eux
152 CHRONIQUE.
nous ont conservé des listes de reliques’ d’autres le nom de certains évêques
ou prêtres ; d’autres encore des usages rituels. Enfin, l'Espagne ne possède
qu’un nombre assez restreint de sarcophages chrétiens ornés de bas-reliefs ;
trois d'entre eux seulement portent des inscriptions. Le R. P. en décrit une
trentaine, des plus caractéristiques ; à son avis, ils proviennent presque tous
de l’étranger. — La Peregrinatio Sylviae ou Etheriae, retrouvée fragmen-
tairement à la fin du xixe siècle, a donné lieu à d’intéressantes études
d'histoire littéraire. On sait que c’est dom M. Férotin qui, le premier, a
déterminé l’auteur de cet écrit. Au mot ÆEtheria (c. 552-584), le même
R. P. FÉROTIN et dom H. LECLERCQ nous font connaître l’histoire de ces
études ainsi que les circonstances de composition de la Peregrinatio. — Au
mot Éthiopie (c. 584-624), dom H. LecLercQ discute les textes relatifs à
l’'évangélisation des différentes peuplades de ce pays. Il soutient que le
Christianisme n’y fut introduit qu’au rve siècle. Il dépeint l’activité de S. Fru-
mence et de Théophile de Dibons et passe en revue les premières conversions
opérées chez les Blemmves, les Nobades, les Alodes et les Homérites. — Le
martyre et la sépulture de S. Etienne soulèvent des questions de critique,
sur la solution desquelles les auteurs ne s'entendent pas. Dans son étude sur
S. Étienne (c. 624-671), le R. P. H. LECLERCQ expose clairement l'état de ces
questions controversées et examine méthodiquement les arguments invoqués
de part et d’autre. Pour ce qui concerne les rapports qui existent entre la
basilique Saint-Étienne et le lieu de lapidation, l’auteur, adoptant les con-
clusions du P. Lagrange à ce sujet, écrit : « À l’époque des croisades, le
culte de S. Étienne se concentrait au lieu que l’on croyait être celui de la
lapidation, celui-là même où s'était fixée la tradition du milieu du ve siècle. »
La tradition postérieure en faveur du martyrium de Cedron doit être rejetée.
— L'Espagne honore deux saintes portant le même nom Eulalie, celle de
Merida et celle de Barcelone. Reprenant les arguments et les conclusions du
P. Moretus, le R. P. H. LECLERCQ (c. 705-732) prouve l'existence de S. Eulalie
de Merida, et rejette celle de S. Eulalie de Barcelone. Celle-ci n’est qu’un
dédoublement de la première. — Le même auteur, dom H. LECLERCQ,
consacre un bel article à Eusébe de Césarée (c. 747-775), où il fait connaître la
vie ct l’étonnante activité de ce grand historien, ainsi que les services
immenses qu’il a rendus à l’histoire de l'Église. — Au mot Évangéliaire
(c. 775-845), le KR. P. H. LEcLERCQ donne un essai de classification de quel-
ques évangéliaires. 168 évangéliaires, appartenant à presque tous Îles pays
d'Occident, y sont décrits et classés. — L'étude du KR. P G. Gopu sur les
Évangiles (c. 852-923) est à rapprocher de celle qu'il a donnée plus haut sur
les épîtres. En effet, pour l’emploi des évangiles on constate la même
évolution que pour l'usage des épitres : pour l’un comme pour l’autre, on se
heurte aux mêmes difficultés quand on cherche à déterminer les règles qui ont
présidé à la fixation des péricopes Les séries d’évangiles, analysées par le
R. P., appartiennent à plusieurs pays : l'Espagne, la France, l'Italie septen-
trionale (Milan) et méridionale (Rome-Naples). Comme pour les séries
d’épîtres, l’auteur étudie ici plus en détail le système romain. Il complète,
sous ce rapport, les conclusions de l'ouvrage d’E. Ranke, qui reste toujours
le meilleur sur le sujet. — Adam et Live ont été souvent représentés sur des
fresques ou autres monuments chrétiens. Le R. P. H. LEcLERCQ nous donne,
au mot Eve (c. 923-938) un bon chapitre de l'histoire de l'iconographie en
décrivant 111 monuments et documents des plus caractéristiques sur lesquels
figurent les premiers parents de l'humanité. — Touchant l’Expansion du
FRANCE. 153
christianisme (c. 978-1014), le R. P. H. LECLERCQ fait d’abord connaître, par
l'analyse des sources, la diffusion du christianisme depuis ses débuts jusqu’à
la paix de Constantin. La période apostolique, mieux connue que les deux :
siècies suivants, occupe, dans cet exposé, plus de place. Puis, le R. P. traite
de la pénétration sociale du christianisme : celui-ci ne s’adressi: pas unique-
ment aux pauvres, et de bonne heure il compta des adeptes assez nombreux
dans les hautes classes de la société. Suit, enfin, la liste des localités dans
lesquelles, d’après les documents, le christianisme a été prêché pendant ces
trois premiers siècles. — L'article Expositio missae (c. 1014-1027) de dom
A. WILMART traite un sujet encore peu connu. Il ne s'agit pas ici des com-
mentaires liturgiques ou symboliques de la messe, tels que le moyen âge nous
en a légué beaucoup; l'Expositio missae appartient à une catégorie d'ouvrages
bien déterminés ; c’est un commentaire des parties invariables de la messe
qui vise l'instruction des ecclésiastiques. L'auteur énumère les principales
Expositiones missae et en indique les différentes éditions. — Au mot Faillis
(c. 1067-1080) dom H. LecLERCQ expose l’histoire des lapsi et le confit qu'eût
à leur sujet S. Cyprien avec l’évêque de Rome. — Le même auteur met en
lumière l’influence exercée par le christianisme sur la réorganisation de la
Famille (c. 1082-1102). Il y insiste sur l’enseignement de la Didascalie et sur
l'évolution de la législation canonique en matière familiale. Plusieurs monu-
ments relatifs à la famille, sont cités et décrits dans cet article. —.On sait
que, pour fixer les dates, les chrétiens ont fait couramment usage des Fastes
consulaires (c. 1133-1212) jusqu’au milieu du vie siècle. Le R. P. H. LECLERCQ
explique la règle suivie pour la datation consulaire, et apporte de nombreux
témoignages épigraphiques. Cet article, comme celui mentionné plus haut
sur l'ère, constitue une importante contribution à la chronologie. — Les Faux
(c. 1213-1246) ne manquent pas dans la littérature chrétienne. L'article du
KR. P. H. LECLERQ fait connaître les principaux d’entre eux : faux actes des
martyrs, fausses lettres, fausses vies de saints, fausses décrétales, fausses
liturgies, etc. — Sur la passion et le cimetière de Ste Félicité (c. 1259-1298) le
R. P. H. LecLeRrcQ donne une contribution très importante, tant au point de
vue hagiographique qu’au point de vue archéologique. — Au mot Femmes
{c. 1300-1353) le même auteur fait connaître la condition sociale et juridique
de la femme chez les Hébreux, en Égypte, en Grèce et à Rome; il montre
’influence que le christianisme a exercée sur la condition sociale de la
femme ; il expose le sens des paroles de l’Apôtre : e taceant mulieres in
Ecclesia », et la législation canonique du mariage en vue de la protection de
la femme ; enfin il retrace les différentes opinions des philosophes sur l’exis-
tence de l’âme des femmes. — Le Rme dom CaBroL et le R. P. H. LECLERCQ
consacrent une notice nécrologique et bibliographique à dom Férotin (c. 1382-
1398», mort en 1914, qui fut l’un de leurs plus savants et dévoués collabora-
teurs. — À propos des Fêtes chrétiennes (c. 1403-1452), le Rme dom CABRoL
décrit l’origine des dimanches, des grandes fêtes du Christ, des fêtes de la
Sainte Vierge. des saints et des apôtres. Il donne aussi l’histoire du calen-
drier, en marquant la multiplication et la diminution des fêtes.
A côté des articles, dont l'analyse précède, le t. V du Dictionnaire d'archéo-
lygie contient encore de nombreuses études moins étendues, mais qui ne
méritent pas moins de retenir l’attention des historiens et des archéologues.
Comme nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises dans cette Revue, le
Dictionnaire du Rme dom Cabrol et du KR. P. dom Leclercq donne sur l’art
Chrétien et la liturgie un ensemble d’études de la plus haute valeur,
154 CHRONIQUE.
Les historiens de l'Église et plus particulièrement les historiens du
dogme trouveront dans les fasc. LIII-LV du Dictionnaire de théologie catho-
lique (Paris, Letouzey et Ané, 1922) quelques articles très importants. Sur
l’Immavulée Conception (c. 845-1218), les RR. PP. M. Jucte et X. Le BACHELET
cxposent longuement tout ce qui a été écrit sur ce dogme tant en Orient
qu’en Occident. Des centaines d'écrivains y sont passés en revue et leurs
doctrines développées et critiquées. — Les aperçus historiques de M. Ér.
ManGin sur les Zmmunités ecclésiastiques (c. 1218-1262) rendront services aux
canonistes. — Touchant le rite de l’Imposition des mains (c. 1302-1425), son
origine, son usage et son efficacité, le R. P. GALTIER, S. J., donne une
savante et consciencieuse dissertation. On connaît la place importante
qu'occupe l'imposition des mains, comme rite de bénédiction, dans les
usages juives. On se rappelle aussi que, d’après les évangiles, le Christ
recourut fréquemment à l’imposition des mains dans les bénédictions et dans
les guérisons. Enfin ce rite revient dans l’administration de plusieurs sacre-
ments. Le R. P. classe les différents faits et expose les explications théolo-
giques qui en ont été proposées. Peut-être aurait-il pu donner aussi quelques
renseignements sur ce rite, tel qu'il se présente dans d’autres religions. —
L'article Incarnation, de M. A. MicHEeL, est un exposé dogmatique des
questions relatives à la personne du Christ. Il est suivi de nombreux renvois
aux écrits des Pères et des théologiens. — Les Indépendants (c. 1557-1570)
constituent depuis 1640 une secte dans l’Église d'Angleterre. M. HumBerrT en
expose l’origine ct le développement jusqu’à nos jours. — M. Ér. MANGIN,
Indulgences (c. 1594-1636) : contient une esquisse de l’histoire des indulgences.
— Le KR. P. E. Duszancuy donne sur l'Infaillibilité pontificale les principaux
témoignages patristiques.
— M. CHARLES F. JEAN se propose de grouper un certain nombre de
faits, d'idées, de documents, qui aident à faire revivre le milieu biblique
avant Jésus-Christ. L'ouvrage comprendra trois volumes. Dans le premier,
on raconte l'histoire et l’on décrit la civilisation des peuples du milieu
biblique. Le second sera pour unc large part consacré à la littérature de ces
peuples, surtout des Égyptiens et des Assyro-Babyloniens. Enfin, le troisième
volume traitera de l’histoire des idées religieuses et morales dans Île milieu
biblique.
Le premier volume a paru (Le milieu biblique avant Jésus-Christ. I. Histoire
et civilisation. Paris, Paul Geuthner. 1922, In-8, xx1-339 p. Fr. 20). Le sujet
qu'il développene se rattache que très indirectement à l'histoire ecclésiastique.
Nous nous contenterons d’en indiquer le plan, réservant aux autres volumes
un compte rendu plus développé, s'ils se rapprochent davantage du pro-
gramme de la Revue. L'histoire du milieu biblique est partagée en trois
périodes : des temps préhistoriques aux grandes migrations maritimes; des
grandes migrations maritimes à Cyrus; de Cyrus à Jésus-Christ. Une place
de choix est réservée aux Grecs et aux Romains, dont le caractère se dessine
et s'accentue au cours des siècles étudiés, et qui furent appelés à exercer une
si grande influence sur les idées bibliques. E. Togac.
— L'étude littéraire du Nouveau Testament passe par les mêmes phases
que celle de l'Ancien. Après l’examen des livres et la recherche des sources
vient l'histoire de ces documents fondamentaux et des traditions qu'ils
représentent. En ce qui concerne la littérature évangélique, par exemple, on
FRANCE. 155 .
s’attache surtout, depuis quelques années, à dégager les lois qui ont présidé
à la formation et au développement de la tradition, à en distinguer les
différents types, récits, thèmes, paradigmes ou paroles qui sont plus au moins
confondus et combinés dans nos évangiles actuels. C’est dans cette direction
que nous engagent les récents travaux de Dibelius, de Schmidt, de Bultmann.
Ces recherches aboutiront-elles à des résultats sérieux ? Ne sont-elles pas
trop souvent privées de points d'appui solides ? L'avenir nous l’apprendra.
Tout en signalant ce mouvement dans sa préface et dans son exposé du
problème synoptique, ce n’est pas encore une histoire de la tradition
chrétienne, mais une introduction aux évangiles synoptiques, d’après les
cadres ordinaires, que vient de composer M. GoauEL, comme premier volume
de son Introduction au Nouveau Testament (Les Évangiles synoptiques. Paris,
Leroux, 1923. In-8, 532 p. Fr. 10.)
D étudie dans un premier chapitre le sens du mot Évangile dans le Nouveau
Testament, en dehors de la littérature évangélique, puis dans S. Marc et
S. Matthieu. Jésus n’a jamais employé lui-même le terme araméen corres-
pondant à Évangile, celui-ci signifiant partout la prédication apostolique
ayant pour objet le Christ. Si l’on a recueilli les traditions touchant la vie et
l'enseignement de Jésus, ce n'était pas dans un but historique, mais parce
que l’on voyait, dans ces événements, une règle de conduite et le fondement
du salut à venir. On ne visait donc pas à conserver une image cohérente de
la vie de Jésus. Mais pourquoi n’aurait-on pu aussi, par piété, par respect
pour la mémoire du héros, voulu sauver de l'oubli la relation de sa vie? Ce
premier chapitre touche donc aussi au problème de la formation de la tra-
dition synoptique.
Le second chapitre retrace d'une façon très claire et très méthodique
l'histoire du problème synoptique. Le résultat de près d’un siècle d’exégèse
a été d'établir d'une manière à peu près décisive, d’après M. Goguel, la thèse
de la priorité de Marc, laquelle conduit naturellement à la théorie des deux
sources. La tâche actuelle de la critique doit être de préciser cette théorie
et d'autre part d’expliquer dans la mesure du possible, la formation des
documents qui sont à la base de la littérature évangélique actuelle.
M. Goguel admet également la théorie des deux sources. On dirait même
qu’il s’efforce de la déduire des témoignages de l'antiquité. Son examen de
la tradition, dans ce Ille chapitre, nous a paru superficiel et dominé par
beaucoup de scepticisme. Le IVe chapitre étudie le contenu des Évangiles,
le Ve leur parenté littéraire et la priorité de Marc, et le VIe est consacré aux
Logia. Ce recueil de paroles de Jésus, constitué d’abord en araméen pour les
besoins de la prédication, puis traduit en grec, fut dans une faible mesure
utilisé par Marc, puis continua à se développer, dans des milieux divers,
tantôt par l'adjonction des mêmes morceaux différenciés dans la forme,
tantôt de morceaux entièrement distincts. Les évangiles de Matthieu
et de Luc permettraient encore d’apercevoir ces deux branches divergentes.
Les trois derniers chapitres examinent, pour chacun des évangiles synop-
tiques, les questions littéraires ordinaires, la tradition, le plan, le but, les
idées théologiques, le style, la langue, les sources, le lieu et la date de com-
position, etc. L’évangile de Marc est une compilation faite à Rome après 70,
de diverses traditions dont les principales sont le souvenir de la prédication
de Pierre et le recueil des Logia. Elle paraît être l’œuvre d’un palestinien
d'origine qui pourrait être Jean Marc. L'Évangile de Matthieu, écrit entre
80 et 90, à l’aide de Marc, des Logia, et d’autres sources secondaires, n'a
156 CHRONIQUE.
pas l’apôtre Matthieu pour auteur. On est impuissant à résoudre la question
du lieu d’origine. L'évangile de Luc paraît avoir été composé entre 75 et 85.
On n’en connaît pas le lieu de composition. Il n'est pas l’œuvre de Luc, mais
il lui a été attribué parce que celui qui l’a rédigé s’est servi, dans le livre
des Actes, second tome de son ouvrage, d’une œuvre de Luc. Il ne paraît
pas avoir de relation directe avec Matthieu, mais s’est servi comme lui de
Marc et des Logia à côté d’autres traditions secondaires.
L’Introduction de M. Goguel est claire, méthodique, admirablement
documentée, contenant une multitude de remarques très sensées. Elle paraît
plus synthétique que celle de M. Jacquier avec laquelle on la comparera
souvent et non sans fruit. Elle ne fournit pas beaucoup d'aperçus nouveaux
aux professionnels, mais c'est un excellent manuel raisonnant et systéma-
tisant les idées, une sorte de philosophie de l'histoire du problème synop-
tique. Après avoir étudié nous-même pendant trois ans S. Marc et ses
parallèles synoptiques, nous l'avons lue avec un vif intérêt, par manière de
récapitulation, tout en refusant souvent notre adhésion à des thèses chères à
l’auteur. É. Tosac.
— M. l'abbé J. Vrreau étudie en quelques pages le rôle de S. Jean dans la
Passion et dans les événements postérieurs (Une énigme historique. Le rôle
de S. Jean. Auxerre, Imprimerie moderne, 1923. In-8, 11 p.). Ce rôle soulève
des questions auxquelles notre ignorance actuelle ne peut donner de réponse.
On les énumère dans l’ordre chronologique et d’après le 4e Évangile. S. Jean
a ses entrées chez le grand prêtre Caïphe, chez Pilate ; il semble jouir d’une :
protection spéciale de la part des autorités ; il est dans l’intimité spéciale de
Jésus et apparaît comme le suivant de Pierre, non seulement dans le 4° Évan-
gile mais aussi dans le 3e, dans les Actes, dans S. Paul. Il semble, dit M. Viteau,
qu’un mystère planc sur la personne de S. Jean. Y aurait-il dans la vie de
l'Apôtre des raisons historiques à la situation toute spéciale qu'il occupe ?
Dans une seconde plaquette (Le Jour de la Pâque dans S. Jean. Le Puy,
Imprimerie Peyriller, 1923. In-8, 7 p.) M. ViTEAU examine une autre énigme :
lorsque l'on essaie de classer les événements de la passion dans S. Jean, on
échoue devant des indications divergentes de temps. D'après XIII, 1-4, 27-29;
XVIII, 38-40, 31; XIX, 41-42 ct XX, 1, Jésus est mort le jour même de la
Pâque ; au contraire, d’après XVIII, 28 et XIX, 13-16, il serait mort la veille
de la Pâque. Les deux groupes de textes semblent bien se contredire et l'on
ne trouve aucun moyen de les concilier. On remarque cependant que les
textes du second groupe se présentent mal; on pourrait les enlever sans
aucun inconvenient pour les phrases ni pour la narration. En tout cas cette
question doit être résolue avant de pouvoir entreprendre un travail scien-
tifique sur le jour de la Pâque dans S. Jean.
La publication de la seconde édition du Guide de Terre Sainte par le
P. BARNABÉ MEISTERMANN (Paris, Picard, 1923. xxxv-748 p. Fr. 25.) fut
retardée par la guerre. Ce contre-temps eut ses avantages, vu les changements
nombreux et importants que la conquête de la Palestine et de la Syrie ont
réalisés dans ces pays. Il permit à l’auteur de corriger et de compléter son
guide en l’adaptant aux itinéraires nouveaux. Ïl va sans dire que les chapitres
sur le gouvernement et l’organisation administrative du pays ont dû être
remplacés. On résume p. xxx1-xxx1H1 la nouvelle constitution dans les pays
arabes. Le lecteur trouvera dans cet excellent guide, après les renscignements
FRANCE. 15?
généraux, un précis d'histoire de la Palestine, et un exposé succinct sur les
populations, races et religions de la Terre Sainte, vingt-huit excursions ou
voyages, une carte générale de la Palestine, de nombreuses cartes spéciales,
des plans de villes et de monuments qui illustrent le texte et en facilitent
l'intelligence. |
Dans cette édition, comme dans la précédente, la description des lieux
mémorables est souvent suivie d’une brève dissertation où l’auteur expose et
défend son point de vue ou sa thèse Rappelons que ce Guide n'est pas un
manuel de touriste, mais veut être le vade mecum du pèlerin qui, tout en
exigeant des renseignements exacts, désire aussi alimenter sa foi et sa piété.
On ne s'étonnera donc pas de rencontrer, parmi les suppléments, des extraits
de l'Ancien et du Nouveau Testament, ct un exercice du Chemin de la Croix.
Cette seconde édition trouvera certainement, dans le monde des pèlerins, un
accueil aussi bienveillant que la première. E. ToBac.
— Les RR. PP. Dom M. NoETiNGER et Dom E. Bouver viennent de publier
une traduction française de la Scala perfectionis de Wailter Hilton, le grand
mystique anglais du xive siècle (Tours, A. Mame et fils, 1923. 2 vol. In-r6,
335 et 372 p. Fr. 15.). Ils la font précéder d'une introduction historique et
l'accompagnent de notes bibliographiques intéressantes et utiles. Les mots
inscrits en vedette du titre : « Mystiques anglais » annoncent, semble-t-il, une
collection destinée à être continuée ; cependant ni l'introduction ni la notice
de l'éditeur ne renseignent le lecteur sur ce sujet. P. DEBONGNIE.
— Les Dominicains de la province de France ont publié un beau volume
de Mélanges thomistes, à l'occasion du sixième centenaire de la canonisation
de S. Thomas d'Aquin (18 juillet 1323) (Le Saulchoir, Kain, 1923. In-8,
412 p.). À côté de plusieurs articles consacrés à l’exposé de la doctrine de
S. Thomas (p. 153-360), on y trouve des études critiques intéressant plus
directement l'historien. Nous en donnons ici une brève analyse : R. P. MaAN-
DONNET, La canonisation de S. Thomas d'Aquin (p. 1-48). Dans cet article, le
savant directeur de la Bibliothèque thomiste raconte, d’après les sources, les
miracles opérés par l’intercession du saint après sa mort, le sort que subit
son corps dont on se disputait les membres, les différentes phases du procès
de la canonisation. — R P. Desrrez, Les disputes quodlibétiques de S. Thomas,
d'apres la tradition manuscrite (p. 49-198). L'auteur y donne l'inventaire
et le classement des mss (119) contenant des questions quodiibétiques de
S. Thomas; il détermine les additions à la collection primitive dont il
s'eflorce de fixer la composition et le mode de formation. Cette collection,
d’après l’auteur, ne comprenait au début que onze guodlibeta ; le quodlibet de
Peckham, le douzième quodlibet, la question sur le travail manuel, la question
sur l'entrée des enfants en religion étant des additions postérieures, faites à
Paris. — Sous le titre : Le commentaire de S. Thomas sur les quatre évangiles
d'après le catalogue officiel (p. 109-122), le KR. P. SYNAVE prétend démontrer
qu'il n°y a pas de commentaire selon le sens littéral sur les quatre évangiles.
« Il n'existe, dit-il, qu’une réportation, imparfaite à certains égards, sur
l'évangile de S. Matthieu, et une réportation, celle-là hors de pair, sur
l’évangile de S. Jean. » — Le R. P. CHEnNU, Contribution à l’histoire du traité
de la foi (p. 123-140) : donne un commentaire historique de la Somme
théologique Ils 1lse, q. x, a. 2 : intéressante reconstitution de la genèse de la
doctrine théologique touchant l'immutabilité substantielle de l’objet de la foi,
158 | CHRONIQUE.
— L. MisserEY, Contribution à l’histoire du vœu solennel (p. 141-151) : examine
les différentes opinions qui ont été émises au sujet du vœu solennel, depuis
le xrre siècle jusqu’à S. Thomas. — KR. P. THÉRY, Essai sur David de Dinant
d’après Albert le Grand et S. Thomas (p. 361-408). David de Dinant, condamné
en 1210 par des évêques de France réunis à Paris et, en 1215, par le légat
pontifical à l’université de Paris, est resté un personnage très obscur. Le
KR. P. Théry essaie de compléter les données biographiques qu'on possède à
son sujet, de reconstituer la liste de ses œuvres et les principaux points de sa
doctrine,
Ces courtes analyses permettront aux lecteurs de notre Revue de se
faire une idée de l’importance de ces Mélanges Thomistes, particulièrement
pour l’histoire des œuvres et de la doctrine de S. Thomas. En publiant ce
volume, le PP. Dominicains de la province de France ont rendu un hommage
magnifique à la mémoire de leur grand docteur et ils se sont acquis un
nouveau titre à la reconnaissance des historiens et des philosophes, qui
apprécient si hautement leurs savantes et pénétrantes publications.
À. D. M.
— M. Henry Vicnaup a eu l'excellente idée de réunir en un petit volume
intitulé Le vrai Christophe Colomb et la légende (Paris, Picard, 1921. In-8,
230 p. Fr. 6) la substance des résultats obtenus par la critique moderne sur
Colomb et sur son œuvre, tels qu'il les avait exposés dans ses trois gros
volumes d'Études critiques, publiés de 1905 à xgur. Il les a complétés par les
conclusions tirées tant de ses nouvelles études que des critiques sérieuses,
soulevées par scs travaux antérieurs, et des documents découverts depuis. Ce
livre est un modèle de critique historique et si, parlois, l'argumentation nuit
quelque peu à l’esprit de synthèse, on peut dire cependant que la personnalité
de Colomb nous est présentée sous son vrai jour. L'auteur étudie son héros
sans parti pris et s’il lui enlève l’auréole de sainteté dont certains préten-
daient le nimber, il n'en montre pas moins qu'au point de vue de la vérité
historique, le vrai Colomb, avec toutes les faiblesses inhérentes à notre
nature, est plus grand que celui de la légende. CH. TERLINDEN.
— Dans une plaquette intitulée : Pascal et saint Ignace (Paris, E. Champion,
1923. In-8, 58 p.), M. ERNEST Jovy établit quelques parallèles entre certaines
« Pensées » et des passages des « Exercices ». Il veut, par là, simplement
soulever le problème de l'influence de S. Ignace sur l'esprit de Pascal;
lui-même (p. 56-57) ne {ormule à ce sujet aucune conclusion.
À première vue, ces parallèles sont assez frappants; à notre avis, ils ne
constituent cependant pas une preuve suffisante de la dépendance des Pensées
par rapport aux Æxercices. En effet, plusieurs d’entre eux rappellent trop
soit des paroles de l’Ecriture, soit celles d'auteurs mystiques bien connus,
pour qu’on s'arrête, dans l’étude des sources, à S. Ignace. De plus, Pascal a
si profondément médité ses « Pensées » et nous y a révélé des émotions
religieuses si intimes, qu’il n’est plus possible, pour ainsi dire, de décomposer
son ouvrage et d’en rattacher les morceaux à des auteurs antérieurs. D'autre
part, on concèdera à M. Jovy que Pascal a eu probablement sous la main,
voire même qu'il aura médité les Exercices ; car les solitaires de Port-Royal
avaient de la littérature ascétique et spirituelle des Jésuites une connaissance
plus étendue que ne le suppose l’auteur. .. A.D.M.
FRANCE. 15€
— Le Dictionnaire des institutions de la France aux XVIIe et XVIII° siècles
de M. MarceL Marion, professeur au Collège de France (Paris, Picard, 1923.
108, 1x-564 p. Fr. 35), rendra de grands services aux chercheurs s'intéressant
à l'histoire ecclésiastique comme à ceux qui s'intéressent à l’histoire politique
des deux derniers siècles de la monarchie française. M. Marion a parfaite-
ment compris que l’union intime existant à cette époque entre l'Eglise et
l'État donnait une importance aussi grande aux institutions religieuses qu'aux
institutions civiles. Plusieurs articles constituent de véritables monographies
permettant d'acquérir une connaissance complète, à tous les points de vue,
des objets les plus importants. C’est ainsi que, sous le vocable bénéfices
ecclésiastiques, nous trouvons, après la définition, l'examen des diverses
variétés de bénéfices et l'exposé des divers modes de collation : par lc roi, ou
plutôt par le ministre chargé de la « fameuse feuille des bénéfices », par le
patron, par les officiers du parlement, par le bénéficier lui-même, par le pape,
enfin par l'élection dans quelques rares abbayes, qui avaient conservé ce
privilège, et dans la plupart des prieurés. Toutes les manœuvres et les abus
auxquels donnaient lieu « la course aux bénéfices » sont exposés d’une façon
objective. — De même au mot Clergé, M. Marion nous donne une excellente
vue d’ensemble sur la composition du clergé, sur sa hiérarchie, sur sa
division depuis 1507 en clergé de France et clergé étranger, sur ses revenus,
sur sa part contributive aux dépenses de l'État, sur l’organisation et les
attributions de ses assemblées et de ses agents-généraux, sur les privilèges,
la situation, l'influence et les honneurs dont les ecclésiastiques jouissaient
dans l’État. Signalons encore l'importance des articles relatifs aux mots :
appel comme d'abus, commende, dime, diocèse (où l’auteur nous donne la liste
des dix-huit archevéchés et cent vingt-et-un évêchés souvent dressée d’une
façon fort inexacte, par M. CHÉRUEL notamment), enseignement, justice
ecclésiastique, libertés de l'Église gallicane, portion congrue, sacre, Sorbonne,
Universités, ctc. Le Dictionnaire nous documente aussi d’une façon fort utile
sur des institutions de moindre importance et nous fait comprendre des
termes peu usités ou à sens spécial. Dans cette catégorie rangeons les mots :
banquiers expéditionnaires en cours de Rome, bureaux diocésains, commission
des réguliers, confidence, course ambitieuse, dévolut, économats, mandat apos-
tolique, titre clérical, union de bénéfices, etc.
Le livre de M. Marion servira également à l'étude des idées, doctrines,
schismes et hérésies. En effet, l’auteur ne s’est pas limité aux institutions au
sens strict du terme, non seulement il fait figurer dans son Dictionnaire les
ordres religieux, qui sont encore des institutions, bien que d’une nature un peu
spéciale (l’article consacré aux Jésuites mérite spécialement l'attention), mais
il parle également des grands mouvements religieux : de la Compagnie du
Saint-Sacrement, du Jansénisme, dont il fait un cxposé doctrinal et historique
clair et complet (une notice spéciale traite du refus des sacrements aux
Jansénistes), du Protestantisme (avec des articles spéciaux sur les assemblées
du Désert et sur les Dragonnades), du Quiétisme, etc. Des notices sur les Juifs,
sur la Franc-maçonnerie et sur la Sorcellerie méritent aussi de retenir
l'attention.
M. Marion se montre dans tout son travail fort objectif. Non seulement
dans ses exposés il ne se laisse guider par aucune idée préconçue (nous le
constatons notamment dans son article relatif aux dragonnades, où il montre
. la modération des évêques et leur peu d'enthousiasme pour les conversions
160 CHRONIQUE.
obtenues par la force), mais, même dans les indications bibliographiques
mises au bas des principaux articles, il prend soin de mentionner des ouvrages
en contradiction avec ses appréciations, afin de permettre au lecteur de se
faire une opinion en toute connaissance de cause.
Il est extrémement utile pour développer le goût des études historiques
parmi la jeunesse des écoles de mettre à sa disposition des textes d’une
lecture à la fois instructive et agréable, tenant le milieu entre les documents
essentiels sur lesquels ont travaillé les historiens et les « à côté » de la
« petite histoire ». C'est ce qu'ont fort bien compris MM. GuÉnIiN et Nouaiz-
LAC en publiant, sous lc titre L'ancien régime et la Révolution, 1715-1$00 (Paris,
Plon, 5e édition, 1921. In-8, 1v-436 p.), des lectures historiques exposant l’histoire
d’après les témoignages des contemporains. Ils ont pris soin de choisir les
témoins parmi les personnages les plus représentatifs des opinions opposées
et dans les commentaires introductifs des textes ainsi que dans les notes,
réduites au minimum, ils restent objectifs. C’est ainsi que (p. 40-41) pour la
suppression de la Compagnie de Jésus en 1764, avant méme de citer le
témoignage de Choiscul, ils reproduisent l'opinion du président Hénault qui
regrette l’enseignement des Jésuites et fait la balance du bien et du mal qu’on
pense de la Compagnie. De même (p. 212) dans le commentaire qui précède
lès témoignages relatifs aux effcts de la Constitution civile du clergé, les
éditeurs montrent l’imprudence commise par l’Assemblée en imposant aux
prêtres le serment de fidélité à la Constitution. Les extraits relatifs à la guerre
religieuse (p. 233-236) sont également bien choisis et l’émouvant récit de la
mort du curé de Vaiges, extrait des Mémoires du général Tercier, est particu-
lièrement caractéristique de la barbarie de la persécution. MM. GUuÉxIN et
NouaizLac ont eu l’excellente idée de donner comme conclusion à leur
recueil une vuc d’ensemble sur l’ancien régime et la Révolution, fort habile-
‘ ment tirée de divers passages du livre de SoreL, L'Europe et la Révolution
française. CH. TERLINDEN.
— La magnifique publication La Picardie historique et monumentale, com-
mencée en 1893, en était arrivée à son cinquième volume lorsque la guerre
éclata. Le dernier fascicule du tome V, avec la description du canton
d’Acheux, put encore être publié en 1914, mais ensuite ce fut la destruction
des monuments qui restaient à décrire et, le 20 avril 1917, la mort de
M. E. Soyez, le généreux Mécène qui soutenait de scs deniers la grande
entreprise de la Société des antiquaires de Picardie.
En mourant M. Soyez laissa des fonds pour la continuation de l’œuvre, et
des archéologues de première valcur, MM. A. Perrault-Dabot, G. Durand,
C. Enlart, Ph. Des Forts, R. Rodière et L. Regnier, se remirent à la besogne.
Ils nous donnent aujourd’hui le premier fascicule d’un sixième tome
(Amiens, Yvert et Tillier, et Paris, A. Picard, 1923. In-4, 1v-104 p., fig. et
planches). Il concerne l'arrondissement de Pé:onne, qui souffrit à un haut
degré des horreurs de la guerre. Aussi les descriptions des monuments sont-
elles rédigées en grande partie d’après des notes prises avant les dévastations
et les destructions. Le premier fascicule du volume comprend la description
de la ville et du canton de Péronne et du canton de Roisel. M. G. Durand
appelle l'attention sur une série d’églises romanes à trois nefs non voûtées,
avec arcades sur piliers carrés aux impostes généralement chanfreinées et
. dont le type se retrouve à l’est : dans les régions de Reims, de la haute Marne
FRANCE. 161
de la Moselle et du Rhin. M. C. Enlart donne la monographie de l’église de
St-Jean-Baptiste à Péronne, un bel édifice de style flamboyant, avec trois nefs
d'égale hauteur, richement voûtées. Elle est ruinée aujourd’hui et sa restau-
ration, décidée en principe, est retardée par le manque de ressources. Les
planches et les figures dans le texte, qui accompagnent les notices, ont été
exécutées avec le plus grand soin par la maison Lévy de Paris.
Parmi les belles publications parues en France en ces dernières années
il faut citer : Les accroissements des musées francais. Le musée du Louvre
depuis 1914. Recueil annuel (in-fol.) édité sous la direction de M. H. RIVIÈRE.
C'est une des entreprises remarquables de la maison d'édition Demotte
(Paris et New-York), dont le chef, antiquaire de renom, est mort l’automne
dernier victime d’un regrettable accident de chasse. Les deux premiers
volumes, parus en 1919 et 1920, sont consacrés:aux acquisitions, dons et legs
des années 1914-1919 et comprennent, avec une introduction de M.L. Barthou,
membre du conseil des musées, cent magnifiques planches, dont quelques-
unes en couleurs, et des notes explicatives rédigées par les meilleurs spécia-
listes. Le troisième volume, paru en 1921, comprend cinquante planches
avec reproductions des principaux objets et œuvres d'art, entrés au musée
durant l’année 1920. Comme le dit M. L. Barthou, les acquisitions du Louvre
depuis 1914 constitueraient à elles seules un musée important. L'art religieux
y est représenté par des pièces de grande valeur.
L’Exposition de l'art belge à Paris a réuni durant l’été dernier quelques
uns des plus grands chefs-d'œuvre de l'école flamande du xve et du
xvre siècle, quelques bons tableaux de Rubens et de son école, et un certain
nombre d’œuvres de valeur de l’école belge du xtxe siècle.
Des historiens belges en ont fixé le souvenir dans deux revues françaises :
M. FIBRENS-GEVAERT décrit avant tout (Gazefte des Beaux-Arts, 1923,
se sér.,t. VII, p. 317-342, pl. et fig.) les tableaux anciens exposés à Paris,
tandis que M. E. VERLANT s'occupe presqu’exclusivement des œuvres de
l'école belge du xixe siècle, dans un article de la Revue de l'art ancien et
moderne (1923, t. XLIV, p. 3-40 et fig.). Ce sujet est repris plus au long, dans
la même revue, par M. Sanpær PIERRON (La peinture belge depuis le milieu
du XIXe siècle, p. 184-1096 ; 251-266 ; 342-356 et fig.).
D'autre part, la Revue de l’art ancien et moderne a eu l’ingénieuse idée
de demander à des spécialistes si l'Exposition de primitifs flamands à Paris
avait eu des résultats appréciables pour l’histoire de l’art. MM. S. Reinach,
E. Verlant, Hubin de Loo, J. de Figueiredo, le comte P. Durrieu, L. Mae-
terlinck, A. de la Borde, L. Gillet, Fierens-Gevaert, F. de Mély, ont
envoyé des réponses qui ne manquent pas d'intérêt. Il en résulte, semble-
til, que la juxtaposition des chefs-d’œuvre réunis au « Jeu de Paume » n’a
guère avancé la solution des problèmes qui se posent encore à propos des
primitifs flamands. Les réponses de la plupart des érudits consultés s’en
üennent à une prudente réserve (voir volume cité, p. 81-100 ; 174-178 ; 287-
36) mais il est intéressant de connaitre leur opinion sur quelques questions
bien précises qui restent pendantes. Cette opinion n’a guère été influencée
par l'exposition, mais grâce à elle le public a pris intérêt à la connaître.
R. M.
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. _A
A ———
[1
162 CHRONIQUE.
— Le Dr CoLomBE continue la publication de ses études sur le palais des
papes, à Avignon. Dans la brochure intitulée Au palais des papes d'Avignon.
Recherches critiques et archéologiques. X XIII. Le bücher. La roue qui monte le
bois (Paris, E. Champion, 1923. In-8, 23 p.), il pose certaines conclusions
intéressantes : le bûcher était un bâtiment dit de Trouilhas à l’époque de
Jean XXII et de Benoît XII, sis dans la région de Trouilhas ; lorsque la tour
actuelle de Trouilhas eut été achevée, le bois fut entassé dans les caves et
dans les écuries avoisinantes, vers 1346; après l’incendic de juillet 1354 il y
demeura; néanmoins le magasin principal se trouvait hors de la tour et bors
de l'enceinte du palais, contre les écuries, adossé au rocher, au pied des
escaliers de Sainte-Anne ; une roue montait le bois jusqu'aux cuisines papales.
Le mot palafrenaria qui se rencontre souvent dans les livres de comptes de
la Chambre Apostolique désigne les écuries pontificales, le grenier à foin, le
magasin pour la paille, la sellerie et peut-être l'habitation du surveillant. Il y
avait deux « palafreneries » vers 1348, l’une sise près la porte Aurose, l’autre
dite de Trouilhas, parce qu'elle était adossée à la tour du même nom, et
située comme le bûcher hors de l'enceinte même du palais. A son étude
instructive, M. Colombe a joint un plan qui permet de reconstituer approxi-
mativement le plan des lieux. G. MoLLart.
— La Bibliographie lorraine (rer juillet 1913-37 décembre 1919) (Nancy-Paris-
Strasbourg, Berger-Levrault, 1921. In-8, 394 p. Fr. 15), dressée par les pro-
fesseurs de la Faculté des lettres de l'université de Nancy, contient une
analyse critique de toutes les publications, parues de 1913 À 1919, qui se
rapportent à l’histoire de la Lorraine. Les études d'histoire religieuse n’y
sont pas groupées sous une rubrique spéciale. Mais on les retrouvera facile-
ment en consultant soit la table détaillée des matières, soit l'index alpha-
bétique des noms d’auteurs, de personnes et de lieux. A. D. M.
— M. CH. APPUHN a consacré, dans la nouvelle Revue d'histoire de la
guerre mondiale (Paris, 1923, t. Ï, p. 1-22) sous le titre : Le gouvernement
allemand et la paix. L'offre de médiation pontificale (1917), un article tres
documenté sur les efforts faits par le pape Benoît XV, de juin à août 1917,
pour arriver à une « paix honorable » entre les belligérants. Il examine les
tentatives faites par le nonce de Munich, Mgr Pacelli, auprès de Guillaume II,
Bethmann-Hollweg et le chancelier Michaëlis. Les offres de l’Allemagne
paraissaient aux yeux des pays de l’Entente si vagues et si équivoques, que
la paix ne put se conclure et que le plan de Benoît XV échoua aux premiers
Jours d'automne 1917.
On doit aux deux écrivains M. GEOFFROY DE GRANDMAISON et M. FRax-
çots VEUILLOT un livre particulièrement émouvant : L'aumônerie militaire
pendant la guerre. 1914-1918. (Paris, Bloud et Gay, 1923. In-8, x1x-333 p.).
C’est moins le récit d'actes de dévouement religieux ou de bravoure
guerrière qu’une vaste collection d'extraits de correspondance et de citations
à l’ordre du jour. La publication constitue ainsi une source de renseigne-
ments précis, sûrs et hautement éloquents provenant du Bureau de l’Aumô-
nerie volontaire. La vie de quatre années de guerre est exposée dans deux
chapitres : « L'action des aumôniers » et « L'enquête des aumôniers ». On
y assiste tour à tour au départ des aumôniers, à la vie qu’ils mènent au
front et à leur activité (action des aumôniers sur les prètres soldats, aumô-
FRANCE: | 163
niers bénévoles, action de ceux-ci) dans les ambulances, auprès des troupes
indigènes (difficultés administratives, affaires des Annamitces), en Orient,
enfin dans les missions extraordinaires (camps d'Allemagne, internés de
Suisse, chez les alliés). Le chapitre : « Les Morts » est à la fois un mar-
tyrologe et un livre d’or. La troisième partie : « Enquête » est plutôt d'ordre
administratif; à noter cependant les chap. IV et V : « Le moral et la vie
religieuse » ct « les conversions du soldat français ». I] va sans dire que le
clergé régulier figure dans ce livre au méme titre que le clergé séculier.
* H. Neuis.
— Ce que furent les années d’enfance et de jeunesse de Mgr Duchesne, et
de quelle manière s’écoulaient ses vacances en son pays de Saint-Servan,
coin de terre bretonne qui lui demeura toujours cher, et auquel il a voulu que
sa dépouille mortelle fût confiée, c’est ce que M. ÉTIENNE Duponr, ami et
admirateur du savant historien, a bien voulu nous dire dans une brochure
d'une information très sûre et d’une présentation littéraire très soignée,
comme tout ce qui sort de cette plume distinguée : Mgr Duchesne chez lui,
en Bretagne, 1843-1922 (Rennes, Librairie moderne, 1923. 61 pages et 2 gra-
vures). Sur la nécrologie et la bibliographie de Mgr Duchesne, voir RHE,
1922, t. XVI, p. 418-419 et 595 ; 1923, t. XIX, p. 616-617. L. Goucaur.
— Académie des inscriptions et belles-lettres. — Le 3 août, le P. JEAN
DESTREz indique la manière dont fonctionna la petia dans les manuscrits du
moyen âge. Plusieurs moines écrivaient sous la dictée d'un seul lecteur qui
se servait d’un texte dûment corrigé. Ce système, en vigueur dans les abbayes
du haut moyen âge, permettait la multiplication rapide des manuscrits et une
reproduction aussi exacte que possible du texte primitif. Vers le milieu du
xu1e siècle, il fut abandonné. Les copistes ne sont plus des moines, mais des
séculiers qui vivent dans les milieux universitaires et qui travaillent indivi-
duellement. À l'université de Paris on inaugura un régime qu’adoptèrent les
autres universités. Une commission universitaire corrigea soigneusement la
première copie officielle d’un texte à reproduire. Cette copie était faite sur
des cahiers de quatre feuillets indépendants les uns des autres, Chaque
cahier se composait d’une peau de mouton pliée en quatre, dite petia. L'habi-
tude se prit d'appliquer ce mot au cahier même de quatre feuillets.
Le 10 août, M. Seymour DE Ricci annonce qu'un collectionneur de Philas
delphie a acheté récemment, en Angleterre, le célèbre calice de Suger qui
faisait partie jadis du trésor de Saint-Denis, passa dans la suite au cabinet des
médailles et y fut volé en 1804. — M. SALoMoN REINACH lit la première partie
d’un travail consacré au texte latin du procès de Jeanne d'Arc.
Le 17 août, M. REINAcCH achève la lecture de son travail.
Le 24 août, le même indique l’usage d’après lequel les œuvres d’art flamand
du xve siècle détruites à la suite d’incendies ou de naufrages étaicnt recon-
stituées. C’est ainsi qu’1l donne comme exemple une descente de croix, neut
panneaux et une tapisserie qui LEPPOOSENTel un panneau perdu de KRogier
van der Weyden.
Le 31 août, M. ANroINE l'HOMAS parle d’un passage de l’ancien poème
provençal sur Sainte-Foy d'Agen, découvert en 1902 par M. J. Leite de Vas-
concellos. Un texte inédit du xrre siècle extrait du cartulaire de l’abbaye de
164 CHRONIQUE.
Bonlieu (Creuse), lui permet de confirmer l'hypothèse qu'il avait proposée
au sujet du mot maz7, en 1903. Ce mot est le nominatif singulier de maçon
pris au sens figuré de machinateur.
Le 5 octobre, M. LAUER fait observer que les réformes relatives à la littéra-
ture liturgique vers la fin du vrrre siècle occasionnèrent une réforme de
l'écriture latine. Les nombreux manuscrits qui datent de cette époque furent
écrits d’après les signes d'abréviation et le système de ligatures spéciaux à
l'écriture anglo-saxonne, — M. CH. ViROLLEAU parle des travaux exécutés en
Syrie par le service des antiquités du haut-commissariat de France. Il signale,
en particulier, la découverte de quatre églises ou chapelles du moyen âge,
sises dans la région de Tripoli. Celle d'Amioun est décorée de peintures d’une
‘grande fraicheur et celle de Deddé a une abside ornée de scènes tirées de
l'Évangile. Ces diverses fresques sont, avec celles d’Abou-Gosh en Palestine,
les seules retrouvées jusqu'ici dans l'étendue de l’ancien royaume latin de
Jérusalem.
Académie des sciences morales et politiques. — Le 13 octobre, M. Lacour-
GAYET rappelle que Jean Casimir, roi de Pologne, reçut de Louis XIV, après
son abdication, huit abbayes en commende, parmi lesquelles se trouvait
celle de Saint-Germain-des-Prés. L'ex-roi tint à ce que, après son décès, son
cœur fut déposé dans l'église de la célèbre abbaye, Gaspard Maroy édifia le
mausolée.
Société nationale des antiquaires de France. — Le 24 octobre, M. De MÉLY
étudie les comptes de la cathédrale de Meaux et confirme les conclusions de
M. Deshoulières relatives aux époques diverses auxquelles elle fut construite.
Il donne en outre les noms des architectes et Ics dates des travaux. —
M. ENLART établit que différents chandeliers de fer du moyen âge, conservés
à Jérusalem ct à Chypre, sont d'origine catalane.
Le 14 novembre, M. DE LoisnE parle de la découverte faite, en 1913, d'un
cimetière gallo-romain à Grenay (Pas-de-Calais), — M. Mayeux montre
quelques photographies de certaines parties de l’église de Collonges (Corrèzes
nouvellement mises au jour.
Le 5 décembre, M. BRANCHEREAU parle des fouilles exécutées dan)
l'église Saint-Benoiît-sur-Loire au cours desquelles ont été découvertes des
tombes. Îl exhibe un tronçon de chancel de l’époque carolingienne.
M. le chanoine Sicarp a fondé à l'Institut catholique de Paris un prix
biennal de 3.000 francs, qui sera décerné à un ouvrage de philosophie reli-
gieuse, d'écriture sainte ou d'histoire ecclésiastique, et pouvant servir à
’apologétique chrétienne.
Une fresque, datée de 1574 et représentant une scène pastorale, a été
découverte dans une maison en ruines de Pérouges (Ain).
Un Institut français a été fondé à Varsovie sur le modèle des écoles
françaises d'Athènes ct de Rome. Il dépendra de l’université de Paris.
À Lyon s'est constitué une Société des amis de la bibliothèque qui a
entrepris de faire connaitre les richesses qu'elle contient en manuscrits,
hvres rarcs, dessins originaux. Elle publiera des fascicules sous le titre de
Documents paléographiques, typographiques, iconographiques.
FRANCE: 165
On annoncé l'ouverture d'une école d'archéologie de l'Afrique du Nord,
due à l'initiative du comte Byron Kuhn de Prorok. Cette école grouperait,
sous l'égide française, les érudits des États-Unis, de Grande Bretagne, de
Scandinavie, de France, qui s'intéressent à l’ancien passé archéologique et
artistique de l’Afrique du Nord,
La librairie Letouzey a inauguré une collection de monographies : Les
grands pèlerinages de France. destinées au grand public. Chaque volume
contient l’histoire du pèlerinage, son rayonnement en France et à l'étranger,
et une bibliographie succincte (Prix : 4 fr.). Cinq volumes ont paru : Notre-
Dame de la Salette, Notre-Dame de Sion en Lorraine, Notre-Dame de Rocama-
dour, Notre-Dame des Dunes à Dunkerque, Saint-Denis.
Au musée Calvet, en Avignon, a été inaugurée une salle entièrement
consacrée à des peintures du xvirie siècle.
La revue La France franciscaine se transforme en une Revue d'histoire
franciscaine trimestrielle (un an : 30 fr.; union postale : 35 fr. Paris, Picard,
82, rue Bonaparte). Elle se propose de suivre un programme d’érudition pure
et concernera l’histoire des trois ordres de saint François non plus seulement
en France, mais partout où ceux-ci essaimèrent. La revue publiera comme
annexes des mémoires ou des documents d’une trop grande ampleur.
Nominations. — M. bg PorTo-RicHe, administrateur de la bibliothèque
Mazarine, est chargé du département de la bibliothèque nationale qui est
constitué par la Mazarine.
M. Louis BATIFFOL, conservateur-adjoint à la bibliothèque de l’Arsenal, a
été élevé au rang d'administrateur.
MM. Tessier, archiviste paléographe, et MÉDAULE, agrégé d'histoire, ont
été nommés membres de l'école française de Rome pour l’année 1923-1924.
M. COURTEAULT a été nommé conservateur de troisième classe aux
Archives nationales, en remplacement de M. H. Stein, admis à la retraite.
M. VizLEPELET, archiviste principal, est nommé conservateur-adjoint,
M. PAUPHILEr a été nommé professeur de langue et de littérature françaises
du moyen âge à la faculté des lettres de Lyon.
M. BRUNEAU a été nommé professeur d'histoire des parlers lorrains à la
faculté des lettres de Nancy.
M. PuiLipPoT a été nommé professeur de langue et de littérature françaises
à la faculté des lettres de Rennes.
M. TOURNEUR-AUMONT a été nommé professeur d'histoire à la faculté des
lettres de Poitiers.
M. Piesre RoLanNp-MARCEL a été nommé administrateur général de la
bibliothèque nationale, à Paris, pour la réorganisation des bibliothèques, en
remplacement de M. Homolle, admis à la retraite.
M. CANTINELLI, conservateur de la bibliothèque municipale de Lyon, a été
nommé administrateur de la bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris.
M. Mazon, professeur à la faculté des lettres de Strasbourg, a eté nommé
professeur titulaire de la chaire de langue et littérature slaves au Collège de
France.
M. Le Bras, agrégé près de la faculté de droit de Strasbourg, a été nommé
professeur de droit romain à la même faculté,
Re —
166 CHRONIQUE.
Ont été élus membres correspondants de l'académie des inscriptions et
beiles lettres MM. PERDRIZET, professeur à l’université de Strasbourg,
Bourciez, professeur à l'université de Bordeaux, et Lacau, directeur du
service des antiquités égyptiennes.
MM. ELie BERGER et EUGÈNE LELONG, professeurs à l’école des Chartes,
ont été admis à la retraite. M, Lyon, recteur de l’académie de Lille, a été
également mis en retraite,
M. CaMilze DaviLLé a été nommé archiviste du Jura.
M. ALaïo DE BoüaARD, archiviste aux Archives Nationales, a été nommé
professeur titulaire au Collège de France d'une chaire de phonétique.
M. BERNARD DE FRANCQUEVILLE a été nommé protesseur de droit inter-
national à l’Institut catholique de Paris.
M. AIMÉ PuEcx, professeur de langue grecque à la Sorbonne, a été élu
membre de l'Académic des Inscriptions et belles-lettres.
M. Émice MaLe, dont la Revue d'histoire ecclésiastique a fait connaître
récemment le dernier ouvrage, succède à Mgr Duchesne comme directeur de
l'École française de Rome. NE en 1862, il est professeur d'histoire de l'art à
la Sorbonne et membre de l’Académie des Inscriptions depuis 1908.
— Décès. — M. Juzes MarTHorez, archiviste paléographe, auteur d'une
thèse sur Guillaume aux Blanches-Mfains, évéque de Chartres (Paris, 1912) et
d’un grand ouvrage, inachevé, dont deux tomes seulement ont paru : Histoire
de la formation de la nation française (Paris, 1919-1921).
Dom PauL CaGix, bibliothécaire de l'abbaye de Solesmes, qui publia toute
une série d'ouvrages fort importants sur la liturgie et le plain-chant, tels que
le tome V de la Paléographie musicale (Paris, 1896); L'Eucharistia, canon
primitif de la messe, ou formulaire essentiel et premier de toutes les liturgies
(Paris, 1912); 7e Deum ou Illatio ? Contribution à l'histoire de l'euchologie
latine à propos des origines du Te Deum (Paris, 1906).
M. LÉONCE PINGAUD, professeur honoraire à l’université de Besançon,
correspondant de l'académie des sciences morales et politiques, auteur de
divers travaux concernant l’époque napoléonienne.
M. ANDRE WaALrz, bibliothécaire de la bibliothèque de Colmar.
MM. A. Boucuié-LECcLERCQ et ALFRED CROISET, professeurs honoraires à
la faculté des lettres de Paris, qui laissent une œuvre considérable relative-
ment à l'histoire grecque. |
M. le chanoine EUGÈNE GRISELLE, ancien professeur à l'institut catholique
de Lille, ex-jésuite, excellent érudit, qui écrivit un grand nombre d’ouvrages ;
À propos du monument Bossuet. Les principaux portraits de Bossuet (Paris, 1898) :
Quelques manuscrits autographes de saint François de Sales (Lille, 1899) ; De
munere pastorali quod concionando adimplevit tempore praesertim Meldensis
episcopatus Jacobus Benignus Bossuet (Paris, 1901); Bourdaloue, histoire
critique de sa prédication d'après les notes de ses auditeurs et les témoignages
contemporains (Paris, 1901-1906, 3 vol.); La venérable mère Marie de l'Incarna-
tion. Supplément à sa correspondance (Paris, 1909) ; Bossuet et Fénelon; édition
de leur correspondance (Paris, 1910) ; Fénelon ; études historiques (Paris, 1911);
Profils de jésuites du XVIIe siecle. I. Le P. Coton, le P. Arnoux, le P. Suffren
et Louis XIII (1615-1620). II. Le P. Adam et les protestants (1608-1684) (Paris,
1911); Louis XIII et Richelieu, lettres et pièces diplomatiques (Paris, 1911);
Avant et apres la révocation de l'édit de Nantes, chronique des événements
relatifs au protestantisme de 16$2 à 168% (Paris, 1912). -
FRANCE. 167
M. Maurice VERNES, directeur-adjoint à l’école pratique des hautes-
études, connu pour ses nombreux ouvrages d’exégèse. C'était un disciple
attardé de Renan. On lui doit en partie la fondation de la Revue de l’histoire .
des religions. Signalons en particulier : Mélanges de critique religieuse (Paris,
1880) ; Précis d'histoire juive depuis les origines jusqu'à l’époque persane (Paris,
1889) ; Les résultats de l'exégèse biblique (Paris, 1890); Du prétendu polythéisme
des hébreux (Paris, 1892, 2 vol.); Essais bibliques (Paris, 1892); Histoire
sociale des religions. I. Les religions occidentales dans leurs rapports avec le
progrès politique et social, judaïsme, christianisme, religion gréco-romaine,
islam, catholicisme. protestantisme (Paris, 1911); Des emprunts de la bible
hébraïque au grec et au latin (Paris, 1914).
M. GusTAve ALLAIS, professeur de littérature française à l’université de
Rennes.
M. L. P. M. LÉGER, membre de l'académie des inscriptions et belles-lettres,
professeur de langue et de littérature slaves au collège de France.
M. E. Droz, professeur honoraire à la faculté de icttres de Besançon,
auteur d’une Étude sur le scepticisme de Pascal considéré dans le livre des
Perisées (Paris, 1886).
M. le chanoine ULysse CHEVALIER, membre de l'académie des inscriptions
et belles-lettres. C'était un érudit de rare valeur, ayant de vastes connais.
sances. Son œuvre a consisté À restaurer parmi le clergé la culture scienti-
fique. Il voulut d'abord lui fournir des instruments de travail. Cette idée il la
réalisa par la publication du Répertoire des sources historiques du moyen âge :
Bio-bibliographie et Topo-bibliographie (Paris, 1894-1907. 4 vol. in-4). Ce fut
lui qui provoqua en France la renaissance des études liturgiques. La biblio-
thèque liturgique, qu’il inaugura en 1890, comprend actuellement vingt
volumes, dont six consacrés au Repertorium hymnologicum, catalogue des
chants, hymnes, proses, séquences, tropes en usage dans l’Église latine depuis les
origines jusqu'à nos jours. La consultation des Archives Vaticanes avait
permis au regretté et savant chanoine Albanès de songer à reviser la Gallia
Christiana Son travail de dépouillement n’était pas encore achevé, quand la
mort le frappa. Ulysse Chevalier reprit l'œuvre interrompue, la développa ct
publia sept volumes sous le titre de Gallia Christiana novissima (Montbéliard-
Valence, 1899-1910). A cet ouvrage s’adjoignirent d’autres publications de
textes : une collection de cartulaires dauphinois (9 tomes, 1869-1891) et une
collection de Documents historiques inédits sur le Dauphiné (11 livraisons,
1869-1922).
Ulysse Chevalier ne fut pas qu’un bibliographe et qu’un érudit de
première marque. C'était aussi un historien. Deux de ses livres lui ont valu
des attaques, mais ont consacré sa renommée : Étude critique sur l’origine du
Saint-Suaire de Lirey-Chambéry (Paris, 1900) et Notre-Dame de Lorette, étude
historique sur l'authenticité de la Santa Casa (Paris, 1906). Son étude sur
L'abjuration de Jeanne d'Arc au cimetière de Saint-Ouen (Paris, 1902) hâta,
sans nul doute, la décision de la congrégation des rites en faveur de la
béatification de la vaillante lorraine. Malgré son labeur acharné, Ulysse
Chevalier trouva encore le temps de professer un cours d'histoire à l'institut
catholique de Lyon. La science française perd en lui un de ses plus dignes
représentants.
Le R. P. EscHBACH, ancien supérieur du séminaire français à Rome, qui
combattit la thèse soutenue par Ulysse Chevalier sur Lorette, dans un livre
Le |
168 CHRONIQUE.
intitulé : La vérité sur le fait de Lorette. Exposé historique et critique (Paris,
1909).
M. De FLeury, archiviste paléographe, auteur de Notes additionnelles et
rectificatives au Gallia christiana (Angoulême, s. d.).
M. ERNEST BABELON. ancien conservateur du département des médailles
à la bibliothèque nationale et membre de l'académie des inscriptions et
bellcs-lettres, dont les travaux nombreux sur la numismatique font autorité.
M. BLocx, professeur d'histoire à la faculté des lettres de Paris.
G. MoLLart.
— M. EUGÈNE LEerÈvRE-PoNTaALIs, né à Paris en 1862, est mort en sa
propriété de Vieux-Moulin (Oise) le 31 octobre dernier. Il y a quelques mois
à peine il abandonnait la direction du Bulletin monumental qu'il avait
recueillie en 1900, en succédant au comte de Marcy comme directeur
de la Société française d'archéologie. 1 comptait se consacrer dorénavant à
l'organisation et à la publication des Congrès annuels de cette société,
devenue sous son impulsion, avec 2000 membres environ, l'une des plus
puissantes et des plus sérieuses sociétés scientifiques de la France. Depuis
1911, il occupait à l'École des Chartes la chaire où avaient professé suc-
cessivement les maîtres de l'archéologie médiévale Quicherat et Robert de
Lasteyrie. Il y a formé des élèves qui sauront conserver au Bulletin monu-
mental et aux Comptes rendus des Congrès d'archéologie française le carac-
tère de haute discipline scientifique qu’il leur avait imprimé.
Sa parole, un peu sèche peut-être, étonnait par la sûreté de son analyse et
l'étendue de ses connaissances, dans le domaine bien délimité de l’archéo-
logie française. Îl en est de même des nombreux articles sortis de sa plume.
Son ouvrage principal : L'architecture religieuse dans l'ancien diocèse de Sois-
sons aux XIe et XITC siècles (Paris, 1894) avait été présenté comme thèse en
1885 et lui mérita le prix Fould de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres. La Bibliographie des sociétés savantes qu'il avait commencée avec
de Lasteyrie est continuée aujourd’hui par M. Vidier. R. M.
Grèce. — M. B. ANTontapos, professeur à l’école théologique de Chalcis,
s’est proposé d'écrire à l’usage des étudiants en théologie un précis d'intro-
duction aux Saintes Écritures : Egcheiridion hieras hermeneutikes (Constan-
tinople, 1921. 142 p). Après avoir donné les définitions de l’exégèse et de
l’'herméneutique, il explique l'utilité et la dignité de ces deux disciplines (2-7),
en indique les sources et les instruments de travail (p. 7-48), puis en esquisse
lMhistoire. L'aperçu historique, une vue d'ensemble sur les méthodes et les
travaux des grandes écoles d'exégèse biblique, introduit au chapitre premier,
où l’auteur traite des sens multiples du texte sacré (p. 49-72). Le chapitre
deuxième expose la méthode, dont il convient de se servir pour dégager sans
erreur et avec le plus de précision la doctrine des livres inspirés; enfin un
troisième chapitre signale les règles qui doivent présider à l'exposition de la
doctrine sacrée : versions, paraphrases, annotations, homélies, scolies, gloses,
chaînes bibliques, questions choisies, traités et commentaires.
Le traité est écrit dans une langue grecque claire et distinguée, dont l’intel-
ligence est accessible sans grands efforts à tous ceux qui connaissent le grec
classique. Sans doute il ne nous apprend rien de neuf, Mais sa lecture
s'impose à qui veut se rendre compte des études qu'entreprend le clergé
. GRÉCE. 169
orthodoxe, et de l'esprit qui règne dans ces milieux théologiques. On sera
agréablement surpris de constater que malgré le schismeé, tant de fois sécu”
lire, l'Église grecque connaît encore et cite les Pères latins et qu'elle fait
preuve d’un réel bon vouloir de se mettre au courant des travaux des exégètes
catholiques. L'auteur cite, par exemple, plusieurs fois le dictionnaire biblique
de Vigouroux, mais il ignore encore les représentants et les travaux les plus
récents de l'exégèse catholique, tels le Cursus Scripturae et les Études
Bibliques. J. CoPPexs.
— Nicozas SartPoLos, ZUornua Toù uvraypuatixoÙ Juxatou rne ‘E})& doc,
É) TUYADITEL TO0S Ta TÜY ÉÉVOY xparwy. Athènes, 1923. 360 p. Dans cet
ouvrage de droit, l'historien trouvera de nombreux renseignements sur les
relations entre l'Église et l'Etat, la notion de « l’autocéphalie », l’organisation
actuelle de l'Église grecque, le titre de « religion dominante » ("Enrparoïox
Orrsxsia) qu'on lui accorde, et qui a été si âprement discuté dans ces
derniers temps.
Le célèbre SP. LAMBRos a laissé de nombreux manuscrits dans lesquels
il avait compuisé des notes et des documents, trouvés au cours de ses
inngues recherches. Ces mss vont être, en partie, publiés. Le premier volume,
qui vient de paraître ([lxhaoloyelx xa [le/onowraiax4. Athènes, 1923),
contient des études et des documents du plus haut intérêt. Ainsi, nous y
trouvons d'abord le texte d’une lettre, adressée au concile de Florence,
d’après le cod. pal. 226 de la Bibliothèque vaticine. Cette adresse avait déjà
été publiée en latin par Mansi, Cecconi et Haller. D'après I. Voghiatzides,
elle a été composée par le métropolite Isidore, à l'occasion du concile de
Bäle (1434). Puis, l'éditeur nous donne plusieurs écrits de Marc d’Éphèse,
parmi lesquels une lettre adressée au patriarche de Constantinople (in-
authentique d’après Diamantopoulos), des homélies, une prière au Basileus,
etc. Suivent une réédition de l'épitaphe de Marc d'Éphèse par Théodore
Agallianos, une lettre à Syropoulos, etc.
Le nouveau métropolite d'Athènes, Chrysostome Papadopoulos, travaille
activement au relèvement intellectuel de son clergé. Grâce à ses encourage-
ments, GRÉGOIRE PAPAMIKHAIL, professeur à l’université d'Athènes, a pu
entreprendre la publication d’une revue trimestrielle, Oeoloytax, consacrée
à la théologie et à l’histoire religieuse. Les deux premières livraisons
contiennent des études de valeur : K. I. Dyovounioris fait connaître (p. 18-
40) Théodore Zygomalas, un des champions les plus ardents de l'union de
l'Eglise grecque avec le protestantisme, au xvie siècle. Cette biographie
critique est basée sur une abondante information, qui permettrait d'étendre
les recherches sur les influences du protestantisme en Orient. — D. S. BaLa-
sos donne un premier article sur Alexandre Lykourgos (1817-1875), un des
meilleurs orateurs sacrés de la Grèce nouvelle. — A. N. DIAMANTOPOULOS
s'eorce de démontrer, au point de vue historique, que les décrets du con-
cile de Florence n’autorisent pas le Saint-Siège à étendre sa juridiction aux
Eglises d'Orient. — Enfin, dans d’autres études, on trouve des renseigne-
ments sur des orateurs sacrés de la Grèce, la doctrine de la transsubstantia-
tion chez les Anglicans, l'évêché de Rhéon et de Prastos, l’école théologique
grecque d'Athènes,
]70 CHRONIQUE.
"ExxArota est le titre d’une nouvelle revue grecque, fondée par le
métropolite d'Athènes CHrysasroms. La première livraison a paru le rer juin
1923. Elle est l'organe officiel de l'Église du royaume hellénique, de même
que la Vérité Ecclésiastique est l’organe officiel du patriarcat de Constan-
tinople. En dehors des documents officiels, elle publie une chronique abon-
dante des Églises orthodoxes, et des études sur le mouvement religieux au
sein de l’hellénisme. A. PALMIERI.
— Concours et prix. — Le Dr T. Ch. Kandiloros, écrivain et historien
bien connu, a fondé, en juin 1920, un prix annuel de 4.000 drachmes, pour
favoriser les travaux historiques en Grèce et les recherches touchant le passé
grec depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. Les questions À
traiter sont déterminées périodiquement par l’université d'Athènes, et les
étrangers sont également admis à concourir. Pour 1920-1921, le sujet assigné
était : l'idée de la communauté des nations chez les Grecs; le prix a été
décerné au professeur S. KouGEAs, qui représenta l’université d'Athènes au
récent congrès international d'histoire à Bruxelles.
Nomination. — Le Dr G. A. GorTiriou a été nommé par le gouvernement
grec directeur du Musée byzantin à Athènes.
Italie. —Mor Sinorozt DI GIUNTA écrit, pour les séminaires jtaliens, une
Storia letteraria della Chiesa (Turin-Rome, Marietti). Un premier volume,
Dalle origini della Chiesa all Editto di Milano, a paru en 1920 ; le deuxième, Da
Costantino a S, Gregorio Magno (a. 604), porte la date de 1922. Le troisième
parcourra l'époque qui s'étend Dalla caduta di Gierusalemme in mano dei Per-
sani alla quinta crociata (a. 614-a. 1220) ; le quatrième enfin sera réservé aux
auteurs de la seconde moitié du moyen âge : Da S. Francesco di Assisi al
concilio di Trento (a. 1534). S’affranchissant des méthodes scientifiques, mais
s'inspirant de bons auteurs, de la Patrologie de O. Bardenhewer en particu-
lier, Mgr S. di G. fait rentrer dans des cadres très larges les renseignements
d'ordre divers qu’il a rassemblés, au profit des jeunes lévites, sur les écrivains
ecclésiastiques. Il passe dans l’ouvrage ainsi conçu un souffle de piété et
d'édification qui lui sera, s’il en est besoin, une recommandation de plus
auprès des lecteurs auxquels il est destiné, R. DRAGUET.
— Enrico FoscHiani publie, sous le titre Exit edictum a Caesare Augusto
(Luc, Il). Padoue, 1923. In-12, 119 p., la dissertation qu’il présenta pour
conquérir la licence à l’Institut biblique de Rome. Le travail se ressent un peu
des raisons particulières qui l'ont déterminé. L'auteur passe en revue les
objections que l’on présente contre la véracité de ce texte et les solutions que
l’on donne; il marque des préférences pour celle qui voit en Quirinus, au
moment de la naissance du Sauveur et du recensement ordonné par Auguste,
un chef militaire en Syrie, non un véritable proconsul; si l'évangéliste lui
donne ce titre, il le fait à cause de la notoriété que Quirinus acquit en Pales-
tine, ayant mis à exécution un autre recensement en l’an 759 de Rome.
L'auteur n'apporte aucune donnée nouvelle sur la question, si ce n’est une
connaissance exacte des sources ct des conclusions qu'on en a déduites
jusqu’à présent; cc n’est pas peu de choses pour une question si discutée.
P. PASCHINI,
ITALIE. 171
— Dans son article J! privilegio paolino dal principo del secolo XI agli albori
del XV (Extrait des Studi Sassaresi, 2e sér., 2e vol. Sassari, G. Gallizzi, 1922.
1n-8,93 p.), le R. P.A.C. JzemMoLo nous livre la première partie de son intéressante
étude sur le privilège paulinien. Après une interprétation succincte mais très
claire du ch. VII de la Ï3 ad Cor., il nous expose la doctrine des Pères du
ve siècle et prouve que S. Ambroise voyait déjà dans la séparation dont
parle S. Paul une vraie dissolution du lien matrimonial. Toutefois, c'est
l'Ambrosiaster qui, le premier, reconnaît aux époux ainsi séparés la faculté
de contracter un nouveau mariage. Cette institution de droit canonique, — vu
son importance de jour en jour moins grande, — ne subit aucune notable
évolution durant les siècles ultérieurs. Enfin, au xrie siècle, Gratien et
P. Lombard donnèrent au privilège de S. Paul sa physionomic définitive;
leur doctrine fut confirmée par Innocent III. Les décrétistes et les décrétalistes
élucidèrent certains points restés indécis, À savoir. : quand et comment
s’opérait la dissolution et quels effets celle-ci entraînait pour l'époux resté
infidèle. Quant au vrai fondement juridique de ce privilège, on ne l'avait pas
encore découvert au début du xve siècle. Plusieurs autres questions connues
sont traitées au cours de cette savante dissertation, qui ne manqueront pas
d’intéresser les lecteurs attentifs. Signalons, par exemple, l’exposé de diverses
interprétations données à l’obscur v. 14 de la Is ad Cor. G. KETTEL.
— Dans la Cüiviltà cattolica, 1923, t. Ï, p. 385-400, notons un article du
R. P. PELSTER, La giovinezza di S. Tommaso d’Aquino, étude critique sur
les sources. L'auteur cherche à déterminer tout d’abord l’année précise de la
naissance du saint; étant donné qu'il mourût âgé de 48 ans environ, il dut
naitre entre la fin de l’année 1225 et le commencement de l’année 1227, et
selon toute probabilité au château familial, à Roccasecca. Il porte le nom
d’Aquino parce que sa famille était ordinairement désignée sous ce nom,
probablement à cause des biens qu’elle possédait dans la ville d'Aquin. Dans
un second article, le même auteur, sous le titre La famiglia di S. Tommaso
d'Aguino (Ibid., 1923, t. Il, p. 401-410), fait mention de la mère du saint dont
on ne connaît que le prénom, Théodora, et croit qu’il faut distinguer son père,
Landolfo di Aimone, d’un autre Landolfo, cité déjà en 1196 : je n’oserais
affirmer que cette distinction soit fondée.
Dans l'Archivio Veneto-Tridentino, 1923, t. III, p. 169 sv., notons un
article de A. SERENA, Fra gli eretici trevigiani. I] y est question d’un notaire,
Albert de Guinicono, poursuivi comme hérétique patarin qui fut condamné
après sa mort, en 1297, et dont le cadavre fut brûlé et les biens confisqués; d’un
procès intenté par l’inquisiteur de Trévise contre Lorenzo da Crema, noble,
notaire à Trévise en 1557-1558 ; procès interrompu par suite de la mort du
suspect en 1558.
Signalons enfin une étude de MaR14A BENEDETTI, Un segretario di Cristoforo
Madruzzo : Nicolo Secco. Originaire de Brescia, Secco, qui avait été compagnon
d'étude de Madruzzo, devint son secrétaire et confident en 1541 et, en 1545,
obtint la charge de capitaine de justice à Milan. Envoyé en mission diplo-
matique en Turquie, il n’assista pas avec son maître à la première période du
concile de Trente ; mais il l’'accompagna lorsqu'il fut nommé gouverneur de
Milan, Secco se retira à la campagne lorsque Madruzzo quitta Milan en 1557;
172 CHRONIQUE.
mais il le rejoignit à Rome en 1560 avec l'intention d’embrasser l’état
ecclésiastique ; l’année de sa mort reste inconnue; elle doit être placée cer-.
tainement avant 1575.
En 1923, P. F. Ke a repris la publication de l'‘Jtalia Pontificia. Le
t. VII, Venetia et Histria, est divisé en deux parties. La première seulea paru
et comprend les regestes des actes pontificaux émanés en faveur des églises
ct monastères du patriarcat d’Aquilée dans les diocèses d'Aquilée, Concordia,
Ceneda, Belluno, Feltre, Trévise, Vicence, Padoue, Vérone, Mantoue ; en
tout 734 documents, dont 366 seulement se trouvent mentionnés dans les
registres de Jaffé, 470 sont conservés entièrement; 142, en autographes ;
26 sont des faux. Dans la seconde partie seront recueillis les actes concer-
nant l’Istrie et le patriarcat de Grado.
L'article Dante e la S. Congregazione dell" Indice (Civ. catt., 1923, p. 345-
351), s'occupe de la condamnation du traité De Monarchia faite par le car-
dinal del Poggetto au xive siècle, qui fut insérée dans l’Index imprimé à
Venise en 1554, d’où elle passa dans celui de Pie IV de 1564. D’autre part, il
n'est pas exact, comme on l’a affirmé il y a peu de temps, que l’on ait songé
vers 1860 à mettre la Divine Comédie à l’Index.
Le KR. P. Domenico DA ISNELLo, capucin, publie une étude sur Z! convento
della Concezione de’ padri cappucini in Piazza Barberini di Roma. Viterbe,
1923. In-8, 300 p. Le couvent, fondé par le pape Urbain VIII et par son frère le
cardinal Antoine Barberini, accueillit en 1631 les capucins qui, depuis 1536,
occupaient à St-Bonaventure {actuellement S Croce de’ Lucchesi) une
propriété qui leur avait été donnée par les Colonna. Vie tranquille et bien-
faisante que celle des pères de la province romaine dans ce couvent jusqu’au
moment de l'invasion napoléonienne et ensuite jusqu’à la confiscation de l’édi-
fice et des dépendances par le gouvernement italien après 1870. C'est durant
cette dernière période que se sont produits des événements assez intéressants
pour la vie de l’ordre.
M. D'ANGELO, 1! cardinale Girolamo Casanate (1620-1700) (Rome, 1923.
In-8): Le cardinal est connu dans l'histoire de Rome du xvire siècle à
cause de la célèbre bibliothèque, riche en livres et en manuscrits, qu’il
forma avec soin et qu'il légua cn mourant au couvent des Dominicains de
la Minerve; elle est maintenant devenue bibliothèque d'État, Né à Naples
d’une famille originaire d’Espagne, il revétit l’habit dominicain ; en 1645
il entra à la cour d’Innocent X, prit place dans la prélature et occupa
des charges élevées dans le gouvernement temporel de l'Église. L'auteur ne
donne pas la raison de ce changement. Casanate passa ensuite au poste délicat
d’inquisiteur de Malte; en 1667 il est gouverneur du conclave qui élit
Clément IX ; celui-ci le nomme assesseur du Saint-Office. En 1673 il est créé
cardinal et ensuite, en 1693, devient bibliothécaire de la Vaticane. Il prit une
part active à toutes les discussions théologiques et politiques qui agitèrent la
curie romaine à cette époque. Et pourtant cet homme célèbre par sa doctrine,
sa scicnce et son érudition, qui fut en relations épistolaires avec Noris,
Mabillon, Baluze, ne laissa aucun écrit. L'auteur, en appendice, nous donne
quelques lettres importantes. Cette monographie n’est certes pas parfaite (il y
manque même une table des matières), mais si elle dénote de l’inexpérience,
ITALIE. 153.
elle groupe toutefois un bon nombre de notices et d'observations qui ne seront
pas inutiles à ceux qui s'intéressent à l’histoire ecclésiastique du xvire siècle.
La collection : Monograñe del collegio Alberoni (collège florissant de
Plaisance, fondé autrefois par le célèbre cardinal Alberoni et confié aux
Lazaristes italiens), commencée il y a peu de temps, publie un second volume :
À. ARATA, 11 processo del Cardinale Alberoni (Plaisance, 1923. 253 p. avec
documents). L'auteur s'appuie exclusivement sur les archives du Vatican, où
se trouvent conservées les pièces du procès et les carte Albani qui s'en
occupent. Il n’aurait cependant pas été inutile d'examiner les dépêches
qu'envoyaient de Rome les différents ambassadeurs et celles du nonce en
France, qui certes devait informer la cour pontificale des répercussions que
le procès avait à Paris. L’exposé y aurait gagné en clarté et cet événement
sensationnel eut été traité plus complètement. Bien que Arata ne se montre
pas défavorable au cardinal dans ses appréciations, il doit admettre que
Aiberoni fut homme peu scrupuleux, d’une mentalité politique assez
étrange, et porté vers l'intrigue; mais, d'autre part, la conduite de
Philippe V suffit à disqualifier un homme. Ce roi, en effet, ne se contenta
pas de charger le tout-puissant ministre de fautes qui n'étaient pas exclusive-
ment les siennes, mais le poursuivit avec acharnement, même après l'avoir
expulsé d'Espagne. Il tira profit également des relations tendues qui existaient
entre Alberoni et le pape Clément XI. La situation politique de Clément XI,
comme prince temporel, le liait à l’Autriche, sur la coopération de
laquelle la Curie romaine devait compter pour vaincre et chasser les Turcs
de l’Europe : Alberoni, au contraire, n'avait d'autre but que celui d’humilier
l'Autriche, de l'amoindrir et de lui rendre définitivement impossible toute
ingérence dans les affaires d'Italie. Il joignait à ce but celui d'augmenter la
fortune des Farnèse, qui le traitèrent ensuite d’une manière indigne. Clé-
ment XI, prévenu contre Alberoni, se laissa entraîner à instruire contre
lui un procès canonique, que l’auteur appelle à bon droit une manœuvre poli-
tique, et qui ne tenait pas compte des intérêts plus généraux de la justice ni
de l’opportunité. L'auteur a raison de relever que lc point de départ du procès
fut erroné : on ne put rien prouver de certain ni de grave dans le
procès de Plaisance contre la moralité privée du cardinal ni contre sa
conduite sacerdotale; d'autre part, le pape ne pouvait être juge de sa
conduite politique comme premier ministre et de sa gestion des affaires
administratives à la cour d'Espagne. La mort de Clément XI vint mettre fin à
une situation embarrassante pour le Saint-Siège et dangereuse pour Alberoni,
qui devait vivre caché pour échapper à la prison préventive. Innocent XIII
mit fin à tout par une sentence qui déclarait que Alberoni n'avait pas mérité
de perdre sa dignité cardinalice; que les fautes de moindre importance
n'étaient pas prouvées; que le procès devait être considéré comme non
avenu pour ce qui concerne l'honorabilité de l’accusé. C’est de cette façon
que se termina ce procès sensationnel contre un homme qui avait voulu
guider d’une main vigoureuse les destinées de l'Espagne et qui, À cause de ce
procès, est encore défavorablement jugé par les historiens.
Mgr G. Prerro Sinopozi D1 GiuNTA, 1! cardinale Mariano Rampolla
del Tindaro. Rome, 1923. In-8. Il est certes prématuré de publier
une biographie complète çt impartiale du cardinal Rampolla, qui eut
174 CHRONIQUE.
une part si grande dans la mise en œuvre de la politique de Léon XIII et
que Benoît XV appelait père vénéré et maître inoubliable. L'auteur se
contente de recueillir des renseignements sur la vie privée de Ram-
polla, de rapporter des anecdotes que le temps aurait fait oublier ; pour
ce qui concerne la carrière publique il s'en rapporte à ce que lui fournissent
les documents imprimés. Aussi a-t-il pu parler avec intérêt de l'homme privé
mais d’une manière inadéquate du diplomate et du secrétaire d’État.
L'article Pio VI fedifrago o il generale Bonaparte (Civ. catt., 1923,t. I,
p. 491-500; t. II, p. 32-43) établit que ce ne fut pas le pape qui agit avec
duplicité au cours de ses pourparlers avec Bonaparte, commencés à l’occasion
de l'armistice de Bologne (23 juin 1796) et qui aboutirent au traité de Tolen-
tino (19 février 1797). C’est le directoire français qui rompit le compromis de
Bologne et poussa Bonaparte à envahir le territoire pontifical ; il y recueillit
plus d'or que de gloire. Cet article fut écrit à l’occasion de la reprise, dans le
journal la T'ribuna (10 janvier 1923), de l’accusation de l’historien Coletta.
Pour commémorer le premier centenaire de la mort de Pie VII, la Civ.
catt. publie une étude intitulée : Pio VII (1800-1823), I giorni e le glorie di
Roma. Il governo della Chiesa cattolica (1923, t. III, p. 289-303 ; 395-409;
498-505) afin de mettre mieux en lumière certaines circonstances moins bien
connues de la vie de Pic VII. Le conclave de Venise (1800) et l'élection de
Pie VII; le rétablissement de la compagnie de Jésus; la reprise des relations
avec l'Angleterre; la restitution des objets d'art enlevés par la France; les
concordats conclus avec la France et le Piémont et Naples; des précisions
sur la restauration de l'administration intérieure, l’un des derniers mérites
du cardinal Consalvi.
” G. Ceci, Cimeli Bobbiensi (Civ. catt., 1923, t. II, p. 504-514 ; t. IL, p. 37-
45; 124-136; 335-344) L'auteur examine différents objets retrouvés le 17 fé-
vrier 1910 dans la crypte de S. Columban à Bobbio, où ils avaient été déposés:
on ne sait exactement à quelle époque, mais certainement pas avant le
pontificat d'Alexandre VI. ]1 s’agit d'ampoules analogues à celles, si célèbres,
du trésor de Monza, ornées de dessins, de scènes bibliques et d'inscriptions
grecques que l’auteur étudie ; il donne également des reproductions de
certains objets, en particulier de ceux qui représentent des sujets neufs pour
l’iconographie chrétienne. Il est à supposer que Attala, successeur de
Columban, est centré en possession de ces ampoules qui contenaient des huiles
des sanctuaircs de Terre Sainte, par l’intermédiaire de la cour lombarde avec
laquelle il était en bonnes relations. On trouva en même temps les eulogies
de S. Élisabeth, de S. Simon stylite le jeune, trois sceaux dont un portant
le nom de Jean diacre et enfin un précieux Agnus Dei d'Alexandre VI.
Dans le t. XX VIII (1922) du Nuovo bulletino di archeologia cristiana, paru
au cours de l’année 1923, plusieurs courtes études méritent d’être signalées.
O. Maruccui, Gli ultimi scavi nella basilica di S. Sebastiano e la memoria
sepolcrale degli apostoli Pietro e Paolo, complète les articles publiés antérieu-
rement (voir RHE, 1923, t. XIX, p. 317 sv.) sur le même sujet. Il conclut : « les
tombes primitives des deux apôtres furent au Vatican et sur la voie Ostienne»,
tandis que « leur déposition sur la voie Appienne est postérieure » et peut étre
fixée, grâce à des indices sûrs, à l’année 258. L'auteur se demande à nouveau
ITALIE. 175
en quel endroit précis de la localité ad catacumbas furent déposées temporaire-
ment les dépouilles des apôtres ? Selon toute probabilité, « dans l’hypogée
couvert de graffiti qui invoquent les apôtres »., L'endroit exact ne peut toute-
fois étre fixé avec certitude jusqu'à présent. Marucchi reparle également du
rite du refrigerium et du monument de la Platonia où fut déposé le corps de
S. Quirin, ramené d'Illyrie. Sur le refrigerium le regretté P. F. Grossi-
Goxpt donne quelques précisions dans un article intitulé : Un graffito greco
nella triclia di S. Sebastiano sull’ Appia (ibid., p. 27 svv.).
A. Monaci, dans une notice : Per la data del martirio diS. Agnese (ibid.,
p- 33 sv.), contrairement à l'opinion de plusieurs qui fixent le martyre au
temps de Dioclétien ou à celui de Dèce, établit, avec preuves, qu'il doit être
porté au temps de Dèce (250-251).
VALENTINO Carocci traite Di alcune iscrizioni dell’ Italia meridionale,
importantes parce que les documents épigraphiques sont rares pour ces
régions. Il est question de trois inscriptions grecques trouvées dans la ville
de Santa Severina en Calabre. Nous savons que cette ville, appelée dans
l'antiquité Siberena, prit le nom de S. Severina, au plus tard au rxe siècle,
.lorsqu’elle devint siège d’un archevêché. Mais on ne possédait aucun docu-
ment ou mémoire à ce suiet. S. Severina est explicitement citée dans la
première des inscriptions qui date probablement du x° siècle ; les deux autres
font mention d’un Ambroise, évêque de S. Severina aux environs de l’an 1036,
inconnu jusqu’à nos jours. Une de ces dernières inscriptions mentionne
également sainte Severina, mais il est impossible de déterminer si elle fut
martyre de la Calabre ou si son culte fut introduit dans l’ancienne Siberena.
Sous le titre général Studi sopra alcune basiliche cristiane di Roma, la revue
donne trois brèves études posthumes de S. PESARINI (5bid., p. 71 sv.). La
première sur La cripta sepolcrale di S. Pancrazio e la sua basilica sulla via Aure-
la. Cette basilique qui subsiste encore, a été reconstruite par Honorius (625-
638) à l'emplacement d’un autre édifice élevé au commencement du vie siècle
par le pape Symmaque. Fait important à noter, d'après l'inscription dédica.
toire, « le corps du martyr reposait dans une salle souterraine assez vaste —
aula — et y était placé non d’une manière régulière mais en biais. Ceci
démontre que la tombe était encore conservée dans son état primitif, et que
la salle — aula — dont il est question, était l’hypogée construit pour l’abriter.
Les tombes des saints Marcellin et Pierre se trouvaient dans la même
position par rapport à la salle qui les contenait, Ces basiliques souterraines,
sous l’action du temps et pour différents motifs, menaçaient ruine ; on eut
recours alors soit au transport des corps dans des oratoires ou églises
édifiées à la surface du sol, soit à la construction de nouvelles basiliques dont
les substructions enchâssaient le monument préexistant comme cela se fit
pour St-Laurent par le pape Pélage, pour Ste-Agnès par Honorius Ier et à une
époque inconnue pour les saints Nérée, Achillée et Pétronille sur la via
Ardeatina. Honorius dut faire quelque chose d’équivalent pour St-Valentin
sur la via Flaminia et pour St-Pancrace. Pour ce dernier cas il changea de
place la tombe en la mettant sous l’autel. Ces différentes constatations per-
mettent à l'auteur de fixer les modifications successives des basiliques
construites sur l'emplacement de cimetières. Première période : enscvelisse-
ment du martyr dans les cubicula ou galeries des cimetières. Seconde période
(premiers temps après la paix religieuse) : élargissement des hypogées sans
toucher aux tombes; construction de nouveaux et plus larges escaliers et
—
176 CHRONIQUE.
d’ambulacres pour en faciliter l'accès. Troisième période : construction de
basiliques à la surface du sol, ou bien profondes excavations pour construire
ces églises sur l'emplacement même de la tombe du martyr, sans la changer
de place. Ces conclusions me semblent dignes d’être notées.
La seconde étude a pour objet Le confessioni aperte nelle basiliche romane.
Les cryptes des basiliques de St-Pierre et de St-Paul étaient formées par des
galeries souterraines qui, partant d’un point de l’abside, conduisaient aux
tombeaux des apôtres. Cette disposition fut imitée dans d’autres églises de
Rome, puis à St-Apollinaire à Ravenne, dans la cathédrale de Lucques (en
780), à St-Maurice en Valteline et resta en usage à Rome jusqu’au xvie siècle.
Fontana le premier, en modifiant sous Sixte V l'emplacement de l'oratoire
de la crèche à Ste-Marie-Majeure, construisit une crypte non fermée, accessible
directement de l’église elle-même par un escalier, s'inspirant peut-être de ce
qui existait dans la basilique de St-Sébastien sur la via Appia, devant la tombe
du martyr. L'exemple de Fontana fut suivi, mais dans des proportions plus
amples, dans la basilique de St-Paul vers 1600, puis à St-Pierre entre 1605 et
1620, d’après les dessins de Maderna.
La dernière étude a rapport à L'antico altare maggiore di Santa Prassede,
L'auteur s’occupe de quatre plaques de marbre en forme d’arc, qui existent
encorc et ont été étudiées par Rohault de Fleury ; avec les quatre colonnes
de porphyre qui ornent le baldaquin actuel du maître autel, elles devaient
constituer le couronnement de l’ancien maître autel : les colonnes, estime
l’auteur, devaient être dressées sur les quatre angles de l'autel, de façon à
.ce que celui-ci servit en quelque sorte de base au petit édifice, forme connue
de l'antiquité chrétienne. La disposition dut être modifiée par S. Charles
Borromée, titulaire de la basilique, et ensuite radicalement transformée par
Ludovic Pic de la Mirandole, vers 1730.
Parmi les notices variées qui sont signalées à la fin du volume, notons celles
qui ont rapport aux fouilles dans la basilique de St-Sébastien, au cimetière
des Giordani, découvert sur la via Salaria nuova, et cn particulier la décou-
verte d’une ancienne tombe chrétienne sur le territoire de Velletri, près de
la via Ostia, à cinq kilomètres de la ville. Deux pierres nous donnent les
dates de 381 et 385, et une troisième le nom de Faltonia Hilarites, qyae hoc
coemeterium a sola sua pecunia fecit et huihic (sic) religiont donavit. Les données
paléographiques permettent de dater cette dernière inscription de la fin du
Ille où du commencement du 1ve siècle. ‘Foutefois, observe G. Maxcini, ce
cimetière, bien que se trouvant sur le territoire de Velletri, ne devait pas
servir à la communauté chrétienne de Velletri, mais à une mansio des
environs que l'on ne peut préciser davantage.
ll existait jusqu’à présent en Italie deux institutions distinctes ayant pour
but de publier les sources historiques; institutions méritantes, mais qui
avaient le tort de ne pas s'entendre pour répartir entre elles les textes à
éditer. L'une est l’{stituto storico italiano, fondé et présidé par P. Boselli, qui
publie un Bollettino de recherches historiques et a fait paraitre plusieurs
volumes de sources. L'autre est le comité pour la réimpression de la collec-
tion de Muratori : Rerum Italicarum Scriptores, présidé et dirigé par le prof.
V. Fiorini, Ce comité réussit, malgré de nombreuses difficultés, à publier
200 fascicules des Scriptores. On n’y trouve pas seulement les textes édités
- par Muratori, avec index, notes, prélaces critiques, mais d'autres textes
POLOGNE. 177
que Muratori avait ignorés. A côté de Scriptores, ce comité publiait
l'Archivio Muratoriano, dont deux volumes ont paru. Des conflits
surgirent à différentes reprises entre les deux institutions. Le 12 juin dernier
un accord est intervenu pour fixer le rôle de chacun des organismes; le
Bolletino paraîtra sous le titre d’Archivio Muratoriano ; les deux publications
périodiques sont ainsi fusionnées. P. PASCHINI.
— A l’occasion de la trentième année d’enseignement de M. A. Venturi,
directeur de la revue L’Arte, un ouvrage de luxe sur Le Corrège doit paraître
en 1923. Ce sera un volume in-folio de 200 pages de texte et 200 planches. Le
prix de souscription est fixé à 1.000 lire, soit 14 livres sterling. R. M.
— Décès. — En septembre dernier, au cours d’une ascension sur les glaciers
de l'Ortler, le professeur WLADIMIR ZABUGHIN mourut tragiquement à la
suite d’une chute. Né à Kiew, il avait fait ses études de philosophie et
lettres à l’université de Pétrograd. Encore jeune il vint à Rome, qu'il ne
quitta plus et conquit le titre de libero docente à l'université de l'État. Durant
plusieurs années il donna avec succès des cours sur la littérature humaniste,
branche dans laquelle il était devenu maître. Érudit minutieux, il laisse
plusieurs travaux de choix qui continueront à être consultés par les inté-
ressés, une étude sur Ginnio Pomponio Leto, une autre sur l’iconographie
de Dante. L’an dernier. il publia un travail sur Virgile et la Renaissance
italienne. Il collaborait également à la revue Roma e l’Oriente, publiée par les
moines grecs de Grottaferrata, D’un autre genre, mais non moins intéressant,
est le livre qu'il publia il y a deux ans, après un séjour prolongé en Russie
révolutionnaire : Il gigante folle.
En 1923 mourut également, très âgé, GIAN FRANCESCO GAMURIRINI, qui
publia, en 1887 S. Hilarii Tractatus de mysteriis et hymni et S. Sy-lviae
Aquitaniae peregrinatio ad loca sancta.
Durant la nuit du 30-31 mars mourut à l’université Grégorienne, où il
enseignait, le P. Grossi-Gonpt, S. J. Archéologue de valeur, il collabora au
dictionnaire épigraphique de De Ruggero, écrivit deux volumes sur la Villa
dei Quintili a Mondragone et Il Tusculane e l’età classica. I] s’occupa d’archéo-
logie chrétienne et publia entre autres choses : Principii e problemi di critica
kagiographica (1919); un Trattato di epigrafia cristiana (1921) ; I monumenti
cristiani iconografici ed architettonici dei sei primi secoli, et assura pour cette
branche sa collaboration à la Civiltà Cattolica et au Nuovo bulletino di archeo-
logia cristiana. | | P. PASCHINI.
Palestine. — Le patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem, DAMIEN, vient
de publier un ouvrage historique ayant pour but de prouver les droits de la
communauté grecque orthodoxe sur les Lieux Saints : ‘Ynéuymua nepi Toy
ORaULAT OV TO EÀÀNUXOÙ érBoddE cu TaTpiapyetou ‘lecocokuuwv. Jérusa-
lem, 1923. Le but politique et intéressé que poursuit l’auteur, explique le
caractère plus ou moins tendancieux de son étude. A. PALMIERI.
Pays-Bas. — Le P. G. Gorris, S. J., de Maestricht, vient de ruiner une
légende qui a eu longtemps cours dans les livres de science et les manucls
scolaires : De vermeende vrijmaking der lijfeigenen door den paus om wille
178 CHRONIQUE.
van den kruistocht (dans Historisch Tijdschrift, t. 1, 1922, p. 379-306 ; t. ÎI,
1923, P. 9-26) en montrant que les papes n’ont jamais décrété au moyen âge
qu’un serf devenait libre par le fait de participer aux croisades. L'origine de
cette erreur remontc à 1740, et est due à une interprétation abusive de textes
cités par le juriste allemand J. H. Boehmer dans ses Exercitationes al
Pandecta. On en tirait cette conclusion : on n’empêcha pas les serfs de se
rendre en Terre Sainte soit par esprit religieux, soit par crainte d'être con-
damné par l'Église (Urbain Il). L'opinion fut dans la suite exagérée et amplifiée
en Allemagne par Maier, Heeren, Regenbogen mais surtout par Weber,
pour être répandue au xixe siècle par des historiens français, hollandais
et belges. L'auteur suit pas à pas, dans tous Îles livres d’histoire parus
pendant ces deux derniers siècles, la déformation de textes mal compris
de Guillaume de Tyr et d’Orderic Vital; sa démonstration est convain-
cante ; mais fallait-il suivre l'erreur jusque dans les moindres manuels de
seconde main ?
Le récent ouvrage de M. Eu. Rocxe, docteur ès lettres : La censure en
Hollande pendant la domination française (Q juillet 1810-16 nov. 1813). (La Haye,
D. Daamen ; Paris, L. Asnette, 1923. In-8, 265 p.) étudie un sujet, en majeure
partie neuf, à l’aide de documents administratifs provenant des Archives
Nationales de Paris (Série F) et des archives hollandaises. La censure fut,
sous l'Empire, un puissant instrument politique ; celle des livres s'exerçait
à la direction de l'imprimerie et de la librairie, dont de Portalis et de Pom-
mereul furent les directeurs bien connus. En Hollande, le contrôle officiel
s'étendait à la triple manifestation de l'opinion publique : le livre, le journal
et le théâtre. Les livres religieux furent naturellement l'objet d'une sur-
veillance particulière et on y supprimait toute allusion au régime napoléonicn;
tels furent les livres de dévotion, les catéchismes de l’Empire, les « opus-
cules fanatiques » ; non seulement lcs écrits des pasteurs protestants furent
étroitement cxaminés par la police, mais les pamphlets du curé Stevens
sévèrement recherchés. La tête de ce dernier est mise à prix en l’an xutt par
le ministre Fouché. Quant aux livres licencieux ou aux pièces anticléricales,
on vise à en faire disparaître la circulation ou à les rayer du répertoire
théâtral. La chaire chrétienne est également l’objet d’une étroite surveil-
lance, bien que les milieux officiels n'aient guère d'estime pour le talent
oratoire des pasteurs protestants (v. l’appréciation sur van der Palm, p. 103).
Quelques pièces en annexe montrent sur le vif le travail de la censure
(v. l'examen du Woord van Troost en Kracht, de 1811, du pasteur F. van
Teutem, p. 246). H. Nezis.
Pays Scandinaves. — Il n'est pas trop tard pour signaler l'étude
de M. H. CoRNELL, sur l'art religieux du moyen âge dans la région nord de
la Suède, appelée Norrland (Norrlands Kyrkliga Konst under Medeitiden.
Upsala, 1918. xu1-271 p., xvi1 pl. et 206 fig.). Cette région est peu peuplée;
il n’est donc pas étonnant que ses é;lises, dont quelques-unes remontent au
xute siècle, soient très simples : nef unique sans contreforts, souvent avec
tour basse en bois, construite à côté de l’église. Elles sont parfois ornées de
peintures murales, dont les plus anciennes datent de 1273 environ, d’autres
ornent les voûtes, à nervures compliquées du xvie siècle. Les fonts baptis-
maux du xsie et du xrie siècle ne sont pas rares. lis affectent généralement
TURQUIE. | 179
la forme d’un calice avec nœud. A Aln6 et à Lockne ils sont en bois,
couverts d’une sculpture d’enlacements et d'animaux fantastiques.
Parmi les sculptures en bois il faut signaler la Vierge ouvrante du type de
la Trinité, conservée à Ofvertorneë. Les retables dépendent les uns de
l'Allemagne du nord (Lübeck), l’un ou l’autre de l’Allemagne du Sud (Rie-
menschneider). Trois sont importés d'Anvers et un de Bruxelles. D'autres
sont de provenance suédoise {xvre siècle). M. Cornell étudie aussi les tissus
(tantôt suédois, tantôt allemands, tantôt italiens), les broderies, les orfèvre-
ries : il signale notamment quelques petites châsses limousines et un autel
portatif d’origine colonaise. R. MaABRE.
Pologne. — La direction de la revue ruthène Bogoslovia a commencé la
publication d’un recueil de travaux, dont le premier fascicule donne la
dissertation du Dr JoserH SLtpyt : De amore mutuo et reflexo in processione
Spiritus Sancti explicanda. Léopol, 1923. In-8, 29 p. On y trouve un exposé de
la doctrine des grands scolastiques sur la procession du Saint-Esprit.
Des catholiques polonais, résidant aux États-Unis, se sont séparés autre-
fois de l'Église romaine et ont fondé une Église nationale Celle-ci compte
environ 70 paroisses, établies dans plusieurs États (Pennsylv., New-York,
Connect., Massach., Rhode Island, New-Jersey, Maryland, Ill, Chicago,
Wisc., etc.). Depuis le rétablissement de la Pologne, ils y ont entrepris une
propagande active, dont le centre est Krakéw-Debniki. Le Dr Hoour, évêque
et chef de la secte, vient de retracer l’histoire de ce mouvement : Nasza
wiza [Notre foi]. Cracovie, 1923. Sous la direction de ANTONI PTASZEK,
parait aussi une revue hebdomadaire Polska odrodzona, qui est consacrée à
la polémique contre les catholiques. A. PALMIERI.
Tchéco-Slovaquie. — Le R. P. AuGUsTIN NEUMANN, O.S. A., de l’abbaye
de Brunn (Brno) en Moravie, s'applique à nous donner une idée complète de
là situation religieuse de son pays à l’époque du hussitisme. En 1920, il fit
paraitre une étude sur les biens ecclésiastiques au xve siècle /Cirkeyni jmeni
a doby husitske, Olomouc). En 1923, il publia une histoire de la réforme
liturgique en Bohême à la même époque (Z dejin bokosluzeb o dobe husitske.
(S.d.] 298-x1t-11 p.). Ce dernier ouvrage contient de nombreux renseignements
sur la liturgie slave en Bohême, sur l’art religieux, sur la vie intellec-
tuelle dans Jes monastères. Pour les faits qu’il rapporte de Jean Huss
et du hussitisme, ils’en tient aux ouvrages de Scdlak et de Nejediy et
Urbanek. Il est fort regrettable que l’auteur n’ait pas connu les deux ouvrages
importants sur la liturgie et la doctrine hussites : celui de J.S. Palmov, pro-
fesseur à l'Académie ecclésiastique de Pétrograd, Le mouvement hussite : la
question du calice dans le mouvement hussite. Pétrograd, 188r ; celui de Viat-
cheslav Koranda, sur L'utraquisme hussite dans la seconde moitié du XVe siècle
(Pétrograd, 1905). À. PALMIERI.
Turquie. — [loaxruxx nai ancpaoes roù ev Kovoravrivourol ravop-
Ki Tuaûpiou. Ce volume contient les actes du concile « panorthodoxe »
180 CHRONIQUE.
qui a été célébré à C. du 10 mai au 8 juin 1933. Toutes les Églises orthodoxes
grecques y étaient représentées. Des questions très importantes y ont été
débattues, entre autres : l'adoption du calendrier grégorien, le second
mariage des prêtres veufs, le mariage des évêques, etc. On sait qu’à la suite
de ce concile, le calendrier grégorien a été introduit dans l'Eglise grecque.
Ces mêmes actes ont aussi été publiés comme supplément à la revue
"’Exxinote. A: PALMIERI,
HE 6 1%
ET RÉ |
L', vtr aibib | | JUN 1 4 1924
Publication trimestrielle
VIKGT-CINQUIÈME ANNÉE. — T.XX,F. À. AYRIL 49924
UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
OR VUE
D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE
fondée en 1900 par
| A. CAUCHIE et P. LADEUZE
| | | et publiée sous la direction de
A. DE MEYER, R. KOERPERICH, J. LEBON
CH. TERLINDEN, É. TOBAC et L. VAN DER ESSEN
| SOMMAIRE
| J. Lebon. La position de saint Cyrille de Jérusalem dans les ue
| provuquées par l’arianisine (à suivre) . . . 181
| L. Gougaud, O. S. B. La prière dite de Charlemagne et les ri ces
apoeryphes apparentées. . Bee, ee où a SU
| Mélanges : É. Tobac. OL: 9: caro. à 239
É. Tobac. Note sur la doctrine du Christ, Nouvel br 243
Comptes rendus (Voir la table complète au verso). . . . : 248
Chronique: à } 4 2-4 4 2.4 ra Se ne 5 à: 7209
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . (65
Compte chèques-postaux n° 39,421
LOU VAIN
_ BUREAUX DE LA REVUE
40, RUE DE NAHUR, 40
Tous droits de repro.luction et de traduction réservés.
| Louvain, — Imprimerie Pierre SMEESTERS, rue Ste-Barbe, 18.
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| Voir AVIS IMPORTANT au verso.
AVIS IMPORTANT
Le Comité de la Revue d’histoire ecclésiastique prie MM. les Sous-
cripteurs qui n’ont pas encore payé leur abonnement pour 1924, de
bien vouloir lui en faire parvenir le montant avant le 1° juillet.
(Compte Chèques-Postaux de la Revue, n° 39,421.) En cas de non-
paiement à cette date, le Comité devra suspendre l’envoi de la Revue.
COMPTES RENDUS
B. J. Kidd, D. D. A History of the Church to
A. D. 461. (P. G. CHAUVIN, 0. S B.). 248
J. Boutet. Saint Cyprien, évèque de Carthage
et martyr (210-258). I. (La vie chrétienne
à l'école des Saints Pères.)(J. FLAMION.) 251
A. Moulard. Saint Jean Chrisostome, le
défenseur du mariaye et l'apôtre de la vir-
ginité. (4. FORGET.) . . . . . . . 253
P. Theoph. Harapin, 0. F. M. Primatus
Pontiticis Romani in Concilio Chalcedonensi
et Ecclesiae dissidentes. (Collectanea philo-
sophico-theologiea, cura professorum Gol-
lexii internationalis S. Antonii de Urbe
edita. Vol. 1.) (J. FORGET.). . 257
F. J. Foakes Jackson. An introduction to
the history of christianity A. D. 590-1314.
(L. VAN DER ESSEN.). . . . ., 200
J. Armitage Robinson. The times of Saint
Dunstan. (L. Gorcaub, 0. S. B.). . . 263
À. Adam. Guillaume de Saint-Thierry, sa
vie el ses œuvres. (Thèse de doctorat pré-
sentée à la Faculté de théologie de Lyon.)
(P. DERONGNIE, C. SS. R.). 264
Marc. Chossat, S. J. La Somme des Sen-
tences, uvre de Hugues de Mortayne vers
1152. Avec préface et introduction par 4, de
Ghellinck, S. 3. (Spicilesium sacrum Lo-
vaniense. Etudes et documents. Fase. 5)
(E, DE MOREAU, NS. J.) . 200
P. de Corswarem. De lilursische bocken
der kolleuiale kerk van Tonyeren voor het
concile van Trente. (Koninklike Vlaamsche
Akademie Van taal- en letterkunde. Fase. 1.)
(P, DE PUNIET.) . . . 267
P. Aug. Daniels, 0.S.HB. Eine lateinische
Rechtfertyunussehrift des Meister Eckhart.
(Beilräse zur Geschichte der Philosophie des
Mitielallers, hrsg. v. Cl. Baeumker.
T. XXJIL, fase. 5.) (R.-M. MARTIN, O0. P.) 269
G. J. Hoogewerff. De oniwikkeling der ita-
liaansche Renaissance. (R. MAERE.). 271
Leighton Pullan. Religion since the Refor-
mation. (R. KREMER, C. SS.R.) . . . 273
R. P. Joseph Thermss, S. J. Le bienheu-
reux Robert Bellarmin (1542-1621) (Collec-
tion : Les Suints.) (A. PASTURE.). , 276
R P. Henri Fouqueray, S. J. Histoire de
la Compagnie de Jésus en France des ori-
gines à la suppression (1528-1762). Tome IT :
Époque de progrès (1605-1023). (A. PASTURE.)
RE
Dom H. Leclercq. Histoire de la Réyence
pendant la minorité de Louis XV. (CH. TER-
LENDEN ‘hs 2 8 ee & À 2H2
Bertrard van der Schelden, 0. M. Cap. La
Franc-maçonnerie belse sous le réyime
autrichien (1721-1794). Etude historique et
critique. (Recueil des travaux publiés par
les membres des Conférences d'histoire et
de philologie, 2e sér., 1er fase.) (A. VAN HOVE.)
D ar et UC En er x COSU
The life of Cornelia Conne!lv, Foundress of
he Society of the Holy child Jesus (1809-
1879), by a member of the Sociely, with à
Preface bv cardinal Gasquet. (P. G. CHAU-
VINSOE SD) es à SE 2 D pars 009
M. Monabam. Life and Lellers of Janet Ers-
kine Stuart. Superior General of the Society
ot the Sacred Heart (1857-1994), With an
introduction by cardinal Bourne. (P. G.
CHAPVINS OL SR 2 ce 4, à ee 230
Mgr Laveille. Thérèse Durnerin fondatrice
de la Société des Amis des Pauvres (1R48s-
1905). (J. FORGET.) . 203
RERO < EEE EEE À ORNE
RE 5
La position de saint Cyrille de Jérusalem
dans les luttes provoquées par l’arianisme.
Aux temps anciens, on passait aisément pour homme de foi
suspecte. Cependant, qu’un Docteur de l'Église ait nettement accusé
d'héresie un autre Docteur, et que sa voix ne soit pas restée sans
écho, ni son témoignage isolé, c’est là un fait qui ne parait pas
banal. 11 s’est produit au 1v° siècle, l'accusé étant saint Cyrille de
Jérusalem, et l’accusateur n'étant autre que saint Jérôme, qui écrit
sans sourciller, dans sa Chronique, à l’année 14° de Constance :
tÂL Maximus post Macarium hisrosolymarum episcopus moritur.
post quem ecclesiam arriani inuadunt, 14 est, cyrillus, eutychius,
rursum cyrillus, [h]irenaeus, tertio cyrillus, hilarius, quarto cyril-
lus (1). » Au même endroit, saint Jérôme ajoute, touchant l’évêque
Cyrille, quelques détails aussi peu honorables pour l'intéressé que
celui qui vient d’être rappelé; nous les examinerons dans un instant.
I! faut bien constater que l’évèque de Jérusalem n’a pas commencé
par avoir unc bonne presse dans l’antiquité chrétienne, Déja saint
Épiphane. dans son Panarion, le montre engagé dans des relations
singulières. L’armée des Ariens, dit l'ardent hérésiologue, s'était, à
la suite de dissentiments nés entre ses chefs, divisée en trois corps.
À la tête de l’une de ces fractivus ariennes se trouvaient, entre
autres, Basile d'Ancyre et Georges de Laodicée, et l’évèque de Jéru-
salem se trouvait rallié à ces personnages, dont les convictions
hérétiques viennent d'être notées : « sivar dE Toy Kupuicy äux Baot-
lei = l'xxrn... rai L'iopyie r@ Axodixstxs (2). » Plusieurs historiens
de la même époque formulent ou insinuent une pensée semblable,
L'est, tout d'abord, Rufin qui, dans son {listoire ecclésiastique,
présente saint Cyrille comme inconstant et versatile dans sa foi et
Surlout dans sa communion : « Hierusolymis vero Cyrillus post
Maximum sacerdotio confusa iam ordinatione suscepto uliquando
th fide, saepius in communione variabat (3). » En notant sa présence,
(1) S. JÉRÔME, Chronique, édit. R. Hem, Die Chronik des Hieronymus.
Leipzig, 1913. P. 1, p. 237 (Eusebius Werke, t. Vil, dans Die griechischen
Christlichen Schriftsteller der ersten drei Jahrhunderte, t. XIX). On trouve ce
même témoignage dans PL, XX VII, 684.
(2) S. EPIPHANE, Panarion, haeres. LXXIII, 27 (PG, XLII, 456, B-C).
(3) Rurin, Hist. eccles., X, 24, édit. T. MoMMsEen, Die lateinische Ueber«
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 13
185 j. LEBON.
en 381, au premier concile æœcuménique de Constantinople, Socrate
signale l’évêque de Jérusalem comme alors converti à la doctrine du
consubstantiel : « x 95 ‘Isporodüur Kupuhes, rôre Ex peraucheixs TGr
éucouaiw mpogkeiueyos (1). » À la même occasion, Sozomène dit, avec
plus de précision, que c'était des idées de Macédonius que Cyrille
avait été partisan auparavant et que ce repentir l’avait ramené :
« xœi Küpuhlos Ô Tepcachipuy, usrauerets rôre, ôT roôrepey Ta Maxxs-
dovicu Egpive (2). » L'expression employée par Sozomène : « 7&
Maxsdoviou Egpéve », peut encore trahir l'écho d'une accusation
d’arianisme ; on sait, en effet, qu’à la dernière période de la contro-
verse arienne, les termes macédoniens, pneumalomaques, semiariens
étaient parfois synonymes, dans le langage courant, et désignaient
les mêmes hérétiques (5). D'ailleurs, Sozomène lui-même confirme
cette interprétation ; dans un autre passage, il dit que c'était
d’homoïousianisime que saint Cyrille avait été soupçonné : « .… npiv
ÉY OTSVOUX 1... Kipuhics.…., rois ucouatey TG Flarot roy Yioy eioryou-
pévors énGueyos (4). » Ces témoignages obligent à reconnaître que, dès
le dernier quart du 1v° siècle, et du vivant même du saint évêque,
une opinion très répandue avait soupçonné l'orthodoxie de saint
Cyrille, à cause de certaines accointances avec des personnages dont
la foi, pour le moins, n’était pas franchementnicéenne.
Toutefois, il n'est que juste de noter égalemégt/les protestations
et les tentatives de réaction contre cette opinion. Réunis à Constan-
tinople, en 382, les évêques orientaux écrivent au pape Damase et
aux Occidentaux que Cyrille a lutté beaucoup, à diverses reprises,
contre les Ariens : « :ôy aidscmmmrarey nai Oecquéoraroy Kepilor…
ThEiTTa mp0; Tous Âveuavous Ey Ouavéocs xpivors abiraavra. » C'est
Théodoret qui a conservé ce certificat élogieux (5) ; instruit peut-être
par ses propres malheurs, l’évêque de Cyr se montre sympathique à
setyung des Rufinus. Leipzig, 1908. (E. ScHwarrz, Eusebius Werke, t. Il,
part. 2, dans Die griechische christliche Schrifisteller.…., t. IX, 2). Dans PL
(XXI, 495, B) ce texte est donné à Hist. eccles., I, 23.
(x) SOCRATE, Hist. eccles., V, 8 (édit. R. Hussey, Socratis scholastici eccle-
siastica historia, Oxford, 1853, t. II, p. 584 ; PG, LX VII, 576, C).
(2) SozoMÈNE, Hist. eccles., VII, 7 (édit. R. Hussey, Sozomenti ecclesiastica
historia, Oxford, 1860, t. IE, p. 693; PG, LXVII, 1429, C).
(3) Cfr J. TixERoNT, Histoire des dogmes, 2° édit., t. II (Paris, 1909), p. 51
et 58.
(4) SOZOMÈNE, Hist. eccles., IV, 25 (édit. R. Hussey, t. I, p. 412; PG,
LXVII, 1196, B).
(5) THÉODORET, Hist. eccles., V, 9 (édit. L. PARMENTIER, T'heodoret. Kir-
chengeschichte. Leipzig. 1911, p. 294, dans Die griechischen christlichen
Schriftsteller.…, t. XIX ; PG, LXXXII, 1217, C).
) \ :
8, CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 183
celui dont il relate les ennuis et les persécutions et n'hésite pas à
l'appeler un défenseur courageux des dogines apostoliques : « Ku-
puios…. T@y anocrolx@v doyuéroy nocbvuows Ünsouayéwv (1). » Dans
un des florilèges de son Eranistes, il range l’évêque de Jérusalem
parmi « les saints qui ont brillé autrefois dans les Églises », et il
recourt à son autorité pour établir et confirmer la vraie doctrine (2).
Dès la première moitié du v° siècle, la mémoire de saint Cyrille
parait rébhabilitée ; au cours des controverses christologiques et dans
la suite, les florilèges dogmatiques utiliseront ses écrits, sans qu’il
soit formulé d’objection ou de doute au sujet de son orthodoxie (3).
Mais, pour l’historien, la question n’est pas résolue par la simple
production de cette double série de témoignages ; elle reste ouverte
et se pose même plus impérieuse, et peut-être plus intéressante, par
le fait du désaccord des témoins anciens. On n’a pas manqué de
l’examiner, de l’étudier soigneusement, ni même d'y faire, entre
autres, la réponse que nous croyons juste et vraie. Cependant,
il y a lieu d’essayer de mettre cette réponse en meilleure lumière,
si l’on en juge par la persistance du désaccord entre les auteurs
modernes. |
Tandis que les historiens catholiques croient pouvoir dissiper, en
les expliquant, les accusations portées contre saint Cyrille et mettre
à couvert son orthodoxie réelle, les autres sont encore divisés dans
leurs appréciations des faits et des textes et dans les jugements
qu'ils portent sur la doctrine de l’évêque de Jérusalem. 1 nous
suffira de citer en preuve deux noms et deux avis, de grande autorité
dans ce camp. Harnack écrit que, dans le fait, saint Cyrille est ortho-
doxe, c’est-à-dire, nicéen de doctrine, et que seul le terme éuosuato;s
(1) THÉODORET, Hist. eccles., II, 22 (édit. L. PARMENTIER, p. 157; PG,
LXXXII, 1064, D).
(2) THÉoDoReT, Eranistes, dial. II (PG, LXXXIII, 204, Cj:« Kupi sou
ETLTKÔTOU ‘Lpcoo) uw », Cette citation, comme toutes celles qui com-
posent ce florilège, répond à la parole de l'adversaire (#bid., 169, À) :
C'Eyo Tois Ev Tais Erxinaiois nähai duxdauhaoy axchoubc ayons.
Asia Totyuy Exsivous... ». On peut même remonter plus haut en admet-
tant que cette citation est une de celles que Théodoret a empruntées au
recueil d'autorités patristiques composé, en 431, par l’épiscopat d’Antioche
pour combattre la théologie de saint Cyrille d'Alcxandrie, comme l’a
démontré L. SaLTer (Les sources de l''Ecansri; de Théodoret, dans la
Revue d’histuire ecclésiastique, 1905, t. VI, p. 513 et suiv.).
(3) On trouvera des indications à ce sujet dans l’ouvrage de TH. SCHER-
MANN, Die Geschichte der dogmatischen Florilegien. Leipzig, 1905 (T'exte und
Untersuchungen.., t. XXVIII, 1); voir les références à la table, à l’art,
Kyrillos von Jérusalem.
184 J. LEBON. :
manque dans ses Catéchèses (1). Au contraire, R. Seeberg fait de ces
mêmes Catéchèses un monument de la doctrine des tiomoïousiens et
affirme que, autant leur auteur reconnaît clairement la divinité
véritable du Fils, autant il est éloigné de l’éuoouaros de Nicée (2). Il
s’agit de s'entendre sur les points à concéder et sur les positions à
maintenir pour représenter fidèlement la réalité historique qui est
souvent, comme dans le cas présent, quelque peu compliquée et
nuancéc. À cet effet, il faut retourner aux sources historiques et
doctrinales.
Pour les sources historiques, point n’est besoin, semble-t-il, de les
présenter spécialement et en détail; ce sont, outre les œuvres des
historiens ou écrivains déjà cités, des documents de nature diverse,
qui seront allésués et appréciés quand il faudra rappeler ou établir
les faits. Les sources doctrinales sont tout particulièrement les écrits
mêmes de saint Cyrille (5). À ce Père, comme à tant d’autres, on n’a
pas manqué d’attribuer autrefois unc série d'œuvres, qui ne peuvent
pas légitimement se réclamer de sun nom. Il reste encore plusieurs
écrits de ce genre dans l'édition des Mauristes, que la Patrologie
grecque a reproduite, mais leur caractère apocryphe est actuellement
reconnu. Comme œuvres certainement authentiques (4), la critique
moderne retient une fomélie sur le paralytique dont la guérison est
ra-ontée en Jou., V, 2-16, une Lettre à l'empereur Constance sur
(x) À. HaRNaACK, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. II, 4° édit. (Tubingue,
1909), p. 249, n. 3 : « Die Katechese Cyrill's zeigen den Standpunkt der
orientalischen äussersten Rechten ; … nur das éucouctes fehlt, in der Sache
ist Cyrill orthodox. »
(2) R. SEEBERG, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. II, 2e édit. (Leipzig,
1910), P. 94-95.
(3) La Patrologie grecque (t. XXXIII) a reproduit (Paris, 1857) l'édition
des Mauristes, préparée par A. Touttée ct publiée par Pr. Maran (Paris,
1720). L'édition de W. K. ReiscHL et J. RüuPr (Munich, 1848-1860. 2 vol.)
offre des améliorations du paint de vue critique ; c’est elle que nous citerons
en ordre principal, tout en ajoutant chaque fois, pour la facilité de la con-
sultation, le renvoi à la Patrologie grecque. L'édition de PH. ALEXANDRIDES,
avec notes de D. KLEopHas (Jérusalem, 1867-1€68. 2 vol.) nous est demeurée
totalement inaccessible.
(4) Cfr l’article consacré à S. Cyrille de Jérusalem par O. BARDENHEVWER,
dans sa magistrale Geschichte der altkirchlichen Literatur, t. III (Fribourg-en-
Br., 1912), p. 273-281. Voir aussi les travaux de J. Maper, Der heilige
Cyrillus, Bischof von Jerusalem, in seinem Leben und seinen Schriften nach
den Quellen dargestellt, Einsiedeln, 1891, et de T. P. THEMELIS, Kuc4os 6
LE ECOTO À uuwy 5 Kazryrrrs, Jérusalem, 1920, ainsi que les articles de
‘T. FôRrSTER, dans la Realencyclopädie für protestantische Theologie und
Kirche, 3° édit., t. IV (Leipzig, 1898), p. 381-384, et du P. Le BACHELET, dans
le Dictionnaire de théologie catholique, t. IIT (Paris, 1908), c. 2527-2577.
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 185
l'apparition d’une croix lumineuse à Jérusalem, en 351, et enfin les
Catéchèses, conférences ou instructions familières faites par Cyrille,
— déjà évêque selon certains, encore simple prêtre selon d’autres, —
au temps de Pâques d’une année qui est probablement 348, devant
des auditeurs qui étaient à la veille d'être baptisés ou qui venaient
de recevoir le baptéme. Une instruction préparatoire, ou Procaté-
chèse, est suivie de dix-huit conférences (Catecheses 1lluminandorum)
qui expliquent, point par point, aux candidats au baptème, le sym-
bole de foi de l’Église de Jérusalem, et de cinq autres (Catecheses
myslagogicae), qui initient les néophytes aux mystères ou sacre-
ments chrétiens. Contentons-nous ici de noter encore, à propos de
ces instructions, que leur authenticité a été, depuis longtemps et
victorieusement, défendue contre les attaques de certains critiques
du xvne siècle et est, à présent, établie et reçue. Nous parlons ainsi
de toutes les Catéchéses ; nous pensons, en effet, qu'il n’y a pas de
raison suffisante d’attribuer, comme on l’a encore voulu faire
récemment (1), les cinq Catéchèses mystagogiques à l'évêque Jean de
Jérusalem (586-417). Ce point de critique est, d’ailleurs, iei tout
à fait secondaire et peut être négligé, car notre étude et ses conclu-
sions ne s’appuieront que sur les Catecheses illuminandorum. Celles-
ci offrent à notre étude doctrinale une base ample et sûre. L’homélie
sur le paralytique ne fournit que quelques indications dont nous
pourrions tirer parti. De la lettre à l'empereur Constance, que nous
croyons authentique, il sera encore question plus loin à propos de
l'emploi du terme éuscvuotos (2).
(x) TH. SCHERMANN, dans Theologische Revue, 1911, t. X, c. 577. Voir,
en sens contraire, $S. SALAVILLE, Une question de crilique littéraire. Les
« Catéchèses mystagogiques » de S. Cyrille de Jérusalem, dans les Échos
d'Orient, 1915, t. XVII, p. 531-537. ,
(2) Reste la question de l’authenticité de quelques fragments d’homélies,
sur laquelle la critique ne paraît pas encore définitivement fixée. Cfr O. Bar-
DENHEVWER, d. C., p. 281. Ces fragments étant purement christologiques, nous
n'avons aucun intérêt à nous en occuper spécialement ici. Mais c’est l’occa-
sion de noter quelques détails de critique externe, qui nous semblent
démontrer le caractère apocrvphe de ces fragments, déjà très suspects à
cause de leur christologic trop avancée, dans sa terminologie, pour le
Ive siècle, Des trois fragments déjà publiés par dom Touttée (édit. REIScHL
et Rupp. t. If, p. 442; PG, XXXIII, 1181), les deux premiers (donnés aussi
par la Doctrina Patrum, Edit. F. Diekamp, Munster, 1907, p 92-93) se ren-
contrent également, dans la tradition manuscrite, réunis en un seul et
attribués à saint Cyrille d'Alexandrie (PH. En. Pusex, S. P. N. Cyrilli
archiepiscopi Alexandrini, in D. Ioannis evangelium. Oxford, 1872, t. IL,
P. 474, n. xv); le troisième n’a pour lui que le témoignage, très précaire en
matière positive, de Léonce de Byzance et semble bien devoir aussi être
186 J. LEBON.
\
Nous pouvons maintenant en venir à la question que nous nous
sommes proposé d'examiner, et nous demander : Que faut-il penser
des accusations portées contre l’orthodoxie de saint Cyrille de
abandonné. Un quatrième fragment cst fourni par la Doctrina Patrum (édit.
F. DiEkAMP. p. 20, n. xxx); il est donné comme se rapportant à la parole
du Christ : J0£xoûvy ue, dans Jou., xvut, 5. Tous ces fragments pourraient
bien être redevables de leur origine et de l'attribution sous laquelle ils
apparaissent dans la tradition manuscrite et littéraire, à la même fraude
intéressée. Au début du vie siècle, au fort des luttes christologiques,
Sévère d’Antioche connaissait déjà et démasquait l’abus que les diophysites
faisaient de prétendus témoignages de saint Cyrille de Jérusalem. Dans son
grand ouvrage, encore inédit, contre le grammairien Jean de Césarée
(Contra Grammaticum, 1. III, chap. 38; d’après le ms. syriaque du British
Museum Addit. 12157, 1° 188, r), Sévère explique le sens et la portée véri-
tables d’un passage christologique de la xrve Catéchèse (PG, XXXUI, 468, A);
il remarque que le Grammairien, qui reprenait ses citations chez d’autres
sans aller lui-même aux sources, n’en a donné que la fin; puis, il ajoute ces
détails, que nous reproduisons en traduisant aussi littéralement que possible
le texte syriaque, qui est lui-même une version très littérale de l'original
grec : « His autem commiscuit aliam citationem, tanquam eiusdem auctoris
in oratione, cui titulus : sis T6 * É/G) TOÔ; TOY TaTÉUX TOpEVOUA * Kai Ô TL
y airiontTe Ey T@ Ovouari pou, Toro rarGu, Îva JobacËr à RaThp Ev To
viw. Ego vero, cum multum laborassem et quaesivissem illam orationem,
non potui hucusque illam invenire : placct enim mihi non ex fragmentis, sed
ex orationibus integris investigare veritatem. Attamen, quia invenerunt isti
impii in illa citatione my To TpCGHREU GuvATEuxy, quasi qui doctrinam
Nestorii expiscati sint, exsultant. » Sévère dit encore que toutes ces cita-
tions tronquées ou altérées, qu'il a dû critiquer dans l'œuvre du Grammai-
rien, avaient déjà été produites auparavant, dans les disputes contre lui, par
les diophysites de Constantinople. Il déclare même posséder un Àcycs
adressé autrefois par certains diophysites à l’empereur Marcien, et auquel
sont jointes ces citations patristiques. Le fait que Sévère, qui était un érudit
et un chercheur infatigable, n'ait pas réussi à découvrir cette prétendue
homélie de saint Cyrille, et les circonstances dans lesquelles on en avait
produit des fragments, rendent extrémement vraisemblable et probable le
caractère apocryphe et frauduleux de la pièce. Or, on remarquera qu'il faut
très probablement considérer comme tirés de cette homélie le troisième et
le quatrième des fragments mentionnés plus haut : le troisième, car le
thème scripturaire de l'homélie cité dans le Iemma introductif de la citation.
faite par Léonce de Byzance peut tout aussi bien être JoH., x1v, 12 (comme
il l'est d’après Sévère), que Jo., xvi, 28, comme l’indiquait dom Touttée;
le quatrième, car on y trouve l'expression caractéristique Tny TO TPOGUTOU
guvaquay (DiEkAMP, l. t.), que, d'après Sévère, les diophysites se réjouis-
saient de rencontrer dans la citation qu'ils empruntaient à l’homélie en
question. Nous croyons donc que tous ces fragments sont apocryphes ; il ne
reste plus de base à la conjecture qu’ils suggéraient à dom Toutté : non ille-
gitima suspicio oritur, fuisse olim integrum Cyrilli in loannis Evangelium
homiliarum opus (dans PG, XXII, 125, À).
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 187
Jérusalem et des accointances qu'on lui a imputées avec l’arianisme
ou avec certaines tendances arianisantes ?
*
# + ’
En parlant, comme nous l'avons entendu, des variations de saint
Cyrille aliquando in fide... saepius in communione, Rulin appelle
l'attention sur une distinction qui est ici d'importance primordiale.
La nécessité d’en tenir compte pour discerner, dans le cas présent,
la vérité de l’exagération et de l’erreur, apparaît par la considération
d’un des caractères propres aux luttes ariennes et antiariennes.
Contre Arius et les partisans de son erreur, le concile de Nicée
avait proclamé la consubstantialité du Père et du Fils. Cette définition
avait, comme le dit énergiquement saint Athanase (1), buriné la foi
sur une colonne dressée contre toute hérésie. Les quelques opposants
irréductibles avaient été, comme l’hérésiarque, envoyés en exil, et
l'empereur Constantin pouvait caresser l’espoir d’avoir rétabli l’unité
et fait la pacification religieuse. Espoir trompeur et qui devait être
bientôt et lamentablement déçu ! Dès le lendemain du concile peut-
on dire, la réaction se mit à l’œuvre. Circonvenant habilement
l’empereur, elle obtint déjà vers la fin de 328 qu’Eusèbe de Nico-
médie et Théognis de Nicée fussent reinis en possession de leurs
sièges épiscopaux. Cet Eusèbe prit la tête du mouvement antinicéen,
et jusqu’à sa mort il en fut l’âme. L'heure était peu propice à des
attaques ouvertes contre le synode et la définition de Nicée. On
adopta un plan plus habile et plus sûr ; on s’employa principalement
a réhabiliter Arius et ses partisans et à perdre les chefs du parti
orthodoxe. Parmi ces derniers, on visa surtout Euslathe d’Antioche,
Marcel d'Ancyre, et le nouvel évêque d'Alexandrie, saint Athanase.
Successivement, Eustathe fut déposé dans un synode tenu à Antioche
mème, en 350, Athanase fut condamné au synode de Tyr, en 535, et
exilé, et Marcel eut le même sort quelques mois plus tard.
Nous nous contentons de rappeler brièvement ces faits (2) pour
en relever une conséquence notable,
Quels que fussent les motifs allégués par leurs auteurs pour
expliquer et justifier ces condamnations, ils ne trompaient per-
sonne dans le camp nicéen. On savait et l’on croyait fermement
(1) S ATHANASE, Epist. ad Afros, 11 (PG, XX VI, 1048, A) :« aTnAoypa-
la XATA TAONG RIDETEONS ».
(2} On trouvera un exposé plus circonstancié de la réaction antinicéenne,
par exemple dans H. M. GWwaATKIN, Studies of Arianism, 2e édit. (Cambridge,
1900). p. 56 et suiv.; L. DucHEsNE, Histoire ancienne de l'Église, t. IL
(2e édit., Paris, 1907), p. 158 et suiv,
183 J. LEBON.
que toutes ces sentences, et les mesures de rigueur qui les suivaient,
étaient inspirées par l’attachement à une doctrine mauvaise, opposée
à la profession de foi du grand concile. Dès lors, les condamnés
acquéraient l’auréole de victimes et de martyrs de la foi, — la méri-
tassent-ils, comme saint Athanase, ou n’y eussent-ils d’ailleurs que
des titres douteux, comme Marcel d’Ancyre, qui gâtait sa cause par
ses singularités de doctrine et de langage et créa encore bien des
ennuis à ceux qui, pendant longtemps, s’obstinèrent à demeurer ses
défenseurs. À la question fondamentale et primitive de la foi et de
la définition de Nicée vinrent se mêler et presque se substituer Îles
questions secondaires, mais si irritantes et si funcstes, de personnes :
toat autant, et bientôt plus encore et, en tout cas, plus ouvertement
et avec plus d’acharnement, que pour ou contre l’évoovarx nicéen, on
fut pour ou contre Athanase, pour ou contre Marcel. Aux yeux des
Orientaux en général, ces évêques étaient condamnés, déposés ; peu
-importait qu’ils fussent reçus par les évêques d'Occident, justifiés à
Rome ; rien ne pouvait les réhabiliter, les rétablir aussi longtemps
qu'un concile oriental n'avait pas défait ce qu'un concile oriental
avait fait à leur sujet. En outre, Marcel passait pour hérétique ;
on lui imputait un sabellianisme, dont ses locutions obscures et
équivoques ne donnaient que trop l'impression, et que beaucoup
craignaient méme et soupeonnaient caché sous le terme éussvctos, de
mémoire suspecte, consacré par Île concile de Nicée.
Ainsi se faisait-il que des hommes, des évêques qui n’admettaient
pas les thèses d’Arius, se rattachaient cependant au groupe dont les
chefs, comme Eusèbe de Nicomédie, étaient réellement ariens. Beau-
coup, parmi eux, professaient, au fond, des opinions plus modérées,
quand ils avaient d'ailleurs des idées claires et précises touchant
les questions théologiques; car celles-ci se chargaient déjà de sub-
tilités dialectiques et, — ce n’est faire injure à personne que de Île
croire et de le dire, — tous étaient loin de s’y mouvoir avec la même
aisance et avec une égale compétence, Du point de vue doctrinal, le
groupe des Eusébiens n’offrait pas le spectacle d’une parfaite homo-
généité ; il présentail, au contraire, l’aspect de nuances très variées,
allant de l’arianisme équivalent chez certains à l’orthodaxie équiva-
lente chez d’autres, en passant par tous les degrés intermédiaires.
I y avait, sans doute, dans tous ces esprits orientaux, un certain
fonds de principes, de tendances, sinon de doctrines proprement
dites, patrimoine commun qui explique leur opposition constante et
unanime à l'écouaic: nicéen, qu'ils combattaient ouvertement ou sur
lequel ils gardaient un silence significatif. Mais l’utilisation de ce
fonds, si l’on peut ainsi parler, ne se faisait pas d'une manière
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 189
uniforme, et les éléments personnels que les hommes de doctrine
y ajoutaient, créaient entre eux, pour le redire encore, des diver-
gences considérables.
Beaucoup plus que pour énoncer nettement une doctrine théolo-
gique précise et unique, on s’entendait, dans le camp de l’opposition,
pour exclure de la communion ecclésiastique les Occidentaux et les
Orientaux nicéens. Bref, surtout entre les années 340 et 350, c’est-
a-dire à la période qui nous intéresse tout particulièrement, parce
que c’est d'elle que datent les sources principales de l’exposé de la
doctrine de saint Cyrille, les Antinicéens ou Eusébiens forment un
parti plutôt qu’une secte, un parti ecclésiastique plutôt qu’une con-
fession de foi ou même qu’une école théologique (1).
Ces considérations, dont on percevra immédiatement la nécessité,
nous ramènent à la distinction «in fide... in communione », que
Rufin applique à la position gardée par saint Cyrille dans les agita-
tions de son temps. La question que nous nous sommes posée à ce
même sujet est susceptible de deux interprétations : elle peut viser
les partis et les doctrines. Dans le premier sens, elle s'explique
comme suit : Dans les luttes qui suivirent le concile de Nicée, et
au cours desquelles les controverses doctrinales se compliquèrent
par le mélange de questions personnelles, politiques et autres, saint
Cyrille de Jérusalem se range-t-il dans le groupe d’évêques dont le
chef reconnu et vénéré est saint Athanase, qui soutiennent longtemps
Marcel d’Ancyre, acceptent résolûment les termes de la définition de
Nicée et en font la marque authentique et nécessaire de l’orthodoxie,
— ou bien appartient-il au groupe de ceux qui combattent saint
Athanase et Marcel d’Ancyre, ou hésitent à épouser leur cause, qui
rejettent ou passent sous silence l'ôuocusto: nicéen, tout en s’écartant
aussi de l’arianisme franc et brutal ? C’est là un premier sens de la
question susdite. Il en est un autre, que voici : Quoi qu’il en soit de
ses attaches extérieures, par les liens de la communion ecclésias-
tique, et quoi qu'il en soit de son altitude à l’égard du terme
uarus, saint Cyrille s'est-il opposé à la consubstantialité véritable
et parfaite du Père et du Fils ou s’en est-il écarté, — ou bien, le
terme mis à part, a-t-il tenu et proposé sous d’autres formules une
doctrine réellement équivalente ? Cette distinction éclaire et précise
le problème et permet, croyons-nous, d’en donner une solution qui,
en tenant un juste compte de tous les éléments, correspondra
(1) On voudra bien remarquer que ce jugement ne porte que sur l’ensemble
de l'opposition antinicéenne ; nous n'entendons pas nier par là qu'elle ne
renfermät dans son sein des groupes particuliers d’une homogénéité doç-
trinale plus parfaite. Jl y avait encore des Collucianistes !
190 J. LEBON.
fidèlement à la vérité historique. Nous l’adopterons en examinant
successivement la position historique et la position doctrinale de
saint Cyrille dans les luttes ici envisagées.
[. — LA POSITION HISTORIQUE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM,
Il faut reconnaître loyalement que saint Cyrille fut tout d’abord
dans le parti antinicéen et qu’il y demeura longtemps. C’est là un
fait qui s'établit clairement par un examen même rapide des prin-
cipaux événements de sa carrière épiscopale (1).
Né vers 313, à Jérusalem ou dans les environs, et peut-être moine
dans sa jeunesse, Cyrille devint évêque de la ville sainte en 348.
Sur ses promotions successives aux divers ordres, saint Jérôme
prétend nous renseigner, dans la notice de sa Chronique, dont nous
avons lu précédemment la première phrase et à laquelle nous nous
sommes promis de revenir. D’après lui, Cyrille aurait reçu l’ordina-
tion sacerdotale des mains de Maxime Il, évêque de Jérusalem. En
lui supposant alors l’âge canonique, on fixera cette ordination à
l’année 343. À la mort de l’évêque, dit encore saint Jérôme, Acace
de Césarée et les autres ariens promirent l'épiscopat à Cyrille, s'il
voulait renoncer à la prêtrise reçue de Maxime ; celui-ci, en ellet,
leur était odieux parce quil avait fait sa paix avec saint Athanase.
Cédant à ces sollicitations, Cyrille se contenta de servir dans l’église
comme diacre : d’où l’on conclut que le diaconat lui avait été conféré
non par Maxime, mais par son prédécesseur Macaire. Entretemps,
l’évèque de Jérusalem était Héraclius, que Maxime mourant s'était
donné comme successeur, Mais Cyrille intriguait et, avec l'appui de
ses protecteurs ariens, il s’adjugea l’épiscopat et réduisit Héraclius
au rang de simple prètre (2).
(1) Les auteurs catholiques eux-mêmes n'hésitent pas à faire cette con-
statation et ne songent pas à s’en émouvoir. ]. TIXERONT (/. c., p. 50) dit que
saint Cyrille de Jérusalem appartint longtemps au groupe des évêques, formé
autour de Basile d'Ancyre (oi ne pt Baotacv), « à qui l’on donna, et à qui
convient proprement le nom de semi-ariens (ruexperr). » Le P. Le BacHe-
LET (l. c., c. 2532) détaille ainsi les changements de saint Cyrille : « Qu'il ait
varié du sa communion, c'est un fait vrai en ce sens que nous le voyons en
rapports d’abord avec les eusébiens, puis avec les homéousiens et les
mélétiens, enfin avec les nicéens. » L. DUCHESNE (/. c., p. 282) dit du groupe
des évêques orientaux que c'était un « groupe fort nuancé, dans lequel se
rencontraient, avec Ursace et Valens, des personnes comme Basile d'Ancyre
et Cyrille de Jérusalem, d'idées beaucoup moins avancées. »
(2) S. JÉRÔME, Chronique (édit. R. Heu, p. 237; PL, XXVII, 684) :
« quorum cyrillus, cum a Maximo fuisset presbyter ordinatus ct post mortem
cius ita ei ab Acacio episcopo caesariensi et ceteris arrianis episcopatus pro-
_ $S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'’ARIANISME. 191
Il est à peine besoin de faire remarquer que certains détails de
cette notice sont, à tout le moins, très peu vraisemblables et
s'écartent des renseignements fournis par les autres historiens.
Sans mettre en doute la bonne foi de saint Jérôme, on peut, avec
son plus récent biographe, expliquer ce jugement sévère, comme
tant d’autres qui se rencontrent sous sa plume, par son tempérament
fougueux et tout d’une pièce et par l’influence de sympathies qu'il
nourrissait et que saint Cyrille n'avait pas partagées (1). Le jugement
suivant nous semble bien remettre au point ce que les paroles de
saint Jérôme ont d’excessif : « Prévenu sans doute contre saint
Cyrille, protégé des homéousiens et ami de Mélèce d'’Antioche, le
fougueux partisan de l'éuocuoto: et de Paulin aura trop facilement
accueilli les bruits défavorables que les adversaires de Jérusalem
faisaient courir sur son compte dans le milieu constantinopolitain
où Jérôme composa sa Chronique, vers l’an 380 (2). »
Toutefois, en lisant les autres témoignages, on ne peut se défendre
de l’impression que certaines influences de nature à éveiller des
Soupcons, ont concouru pour une part à porter Cyrille à l’épiscopat.
La formule qu’emploie Rufin : sacerdotio confusa iam ordinatione
suscepto, le laisse vaguement entendre (3). Et pourquoi, demande-
rons-nous, les évèques réunis à Constantinople, en 382, éprouvent-
ils le besoin de faire savoir au pape Damase, non seulement que
l'évêque de Jérusalem est «le très révérend et très cher à Dieu
Cyrille », mais encore d’ajouter à cet éloge la remarque qu'il « a été
autrefois consacré canoniquement par les évêques de la province et
qu’il a lutté beaucoup, à diverses reprises, contre les Ariens (4) » ?
mitteretur, si ordinationem Maximi repudiasset, diaconus in ecclesia minis-
travit. Ob quam impietatem sacerdotii mercede pensatus Heraclium, quem
moriens Maximus in suum locum substituerat, varia fraude sollicitans de
episcopo in preshyterum regradavit. » |
(1) F. CAVALLERA, Saint Jérôme, sa vie et son œuvre, première partie, t. Ï
(Louvain, 1922 ; dans le Spicilegium Sacrum Lovaniense, fasc. 1), p. 66 : « Le
plus grave reproche que l'on puisse lui faire (à saint Jérôme, dans sa
Chronique), c'est d’avoir, sincèrement d'ailleurs, fort mal jugé certains de
ses contemporains. Jérôme n'était pas un homme à qui il fallait demander
de l’impartialité. Si sincères que soient ses protestations qu’il ne craint que
Dieu et ne redoute pas de dire la vérité, il n’est pas à l’abri du parti-pris, au
contraire. Amis ou ennemis sont traités avec la même vigueur de sentiment :
il est tout à l’éloge ou au blâme. Ainsi, rien ne montre mieux à quel point
il est attaché au parti paulinien que le jugement injuste sur saint Mélèce et
la manière dont son rival Paulin est loué... Saint Cyrille de Jérusalem et
Pierre d'Alexandrie ne sont pas mieux servis. »
(2) X. M. Le BacHELer, /. c.. col. 2529.
(3) Rurin, L. c., supra, p. 181. |
(4) Dans Tuéoporer, Hist. eccles., V, 9 (édit. L. PARMENTIER, p. 294; PG,
192 J. LEBON.
Il semble évident que ces paroles trahissent l'intention de réagir
contre des soupçons ou des accusations d’attaches ariennes, qui
doivent leur origine aux circonstances de la promotion de Cyrille à
l'épiscopat. Socrate et Sozomène font intervenir dans cette élection
le métropolitain Acace de Césarée et un évêque du voisinage, Patro-
phile de Scythopolis ; c’est très naturel, mais ces deux personnages,
on le sait, n'étaient nullement des Nicéens. Ces historiens ajoutent
même que Maxime fut déposé et chassé (1). Il est impossible de
contrôler l’exaclitude de ce dernier détail, rapporté tardivement, et
qui ne paraît pas pouvoir affronter l'affirmation des évêques de 382.
L'ensemble des témoignages et leur examen critique nous engagent
à nous rallier encore au jugement que le P. Le Bachelet a formulé
avec une modération prudente et éclairée : « Ces bruits défavorables
ont pu naître d’une circonstance qui, sans être strictement démontrée,
paraît hautement probable. Acace resté de fait évêque de Césarée,
malgré la sentence de déposition prononcée contre lui au concile de
Sardique, et comine tel métropolitain de Palestine, aurait concouru
avec ses amis à l'élection et à la consécration de Cyrille, son condis-
ciple peut-être. Il serait même possible que Maxime mourant eût
désigné Héraclius pour son successeur, acte sans valeur canonique
qui aurait pu ne pas recevoir l’approbation des avants-droit. Le fait,
travesti ensuite par les adversaires de Cyrille, serait devenu le récit
calomnieux dont saint Jérôme fut l'écho (2). »
À quelques proportions qu’on la réduise, l'intervention d’Acace et
de Patrophile en faveur de l'élévation de Cyrille au siège de
Jérusalem n’est pas de nature à nous faire reconnaitre en lui, à ce
moment, un nicéen fervent et avéré, au contraire. Rien non plus, au
début, ne nous le montre en cominunion avec saint Athanase. Sans
doute, l’illustre proscrit, au retour de son deuxième exil, en 346,
avait été bien accueilli par Maxime de Jérusalem et seize évêques
rassemblés autour de lui ; mais alors Cyrille n'était pas encore le
chef de cette église. Il n’acceptait sûrement pas l'orthodoxie de
Marcel d’Ancyre ; personne ne se trompera sur l'identification de la
« nouvelle tête du dragon récemment poussée dans la région de
LXXXLU, 1217, C): « T3 0€ JE PXTO0S ATATÈY Toy EXX ANT LV TRS Ev “ece-
soupe roy aides xTOY al Gogésraroy Küpihkoy ERÉTXOmCY Eva
propiie UE, AAYGNAGS TE TX02 TOY TS MED ACE X£1LOTO orbévra Tralau
Xai TATTA TU0S TOUS "Acetavols à éy duxtiocts yocvots AÜ/roavra. »
(1) SOCRATE. Hist. eccles., IT, 38 (édit. R. HusseY, t. I, p. 327; PG, LXVII,
324, B); SozoMÈne, AHist. eccles., IV, 20 (édit. KR. Hussey, t. I, p. 384; PG,
LXVII, 1173, A).
(2) X. M. Le BacueLer, L, c., col. 2529.
ee
—
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 193
Galatie », dont il parle en faisant une opposition vigoureuse à ce qui
constitue les doctrines spécifiques du Galate (1). Quant au terme
sazvgtos, dont les Nicéens faisaient alors la tessère de l’orthodoxie,
le mieux que l’on puisse dire de l'attitude de l’auteur des Catéchèses
à son égard, c’est qu'il ne l’attaque ni ne le rejette nulle part ouver-
tement. Mais il le passe complètement sous silence (2), et une
omission si totale de ce terme, et l'emploi d’autres expressions pour
le remplacer, sont, à ce moment, assez claires et assez significatives
pour marquer indubitablement le parti auquel vont les sympathies
d'un auteur. Peut-être même n’est-il pas impossible de découvrir,
dans un passage de la 45° Catéchèse, une condamnation quelque peu
voilée, mais réelle, du chef de sabellianisme, de tous ceux qui
(1) Catech. XV. 27 (édit. Rerscxz et Rupp, t. Il, p. 194 ; PG, XXXII, 909, A):
« TS DCRXONTÉ: écriy d)Ân xEpaÂT TPOGGATUS TEOÙ TNY L'xhatiay ava-
œwÆtgz. » Jamais Cyrille ne prononce le nom de Marcel d’Ancyre, mais
l’hérésiarque récent de Galatie, à ce moment, ne peut être un autre per-
sonnage. Cette identification se confirme par les doctrines attribuées ici à
cet adversaire et qui sont les deux points caractéristiques toujours relevés
dans les reproches adressés à Marcel, à savoir, la fin de la royauté du Christ
après la consommation du monde présent (ETOAUNTE TLS Asye 0 OTt UET a TO
T£AOS TOÙ 2x0 u0U Ô APIOTOS cu [Sagueua), et la rentrée du Verbe dans
l'unité de la monade, cette dernière doctrine étant exprimée par Cyrille
dans la forme que lui donnèrent habituellement les premiers adversaires de
Marcel : le Verbe, sorti du Père, est comme réabsorbé et va cn quelque
sorte se dissoudre et se perdre de nouveau en lui (xxi EréAunoey eineiy ôrt
à dyos Ex Tarpos E6=0w cûros els Tatépa raby avahubeis obxére cri).
(2) À la fin de la Lettre à Constance (édit. Reisca et Rupp, t. II, p. 440;
PG, XXXIL, 1176, A), on trouve actuellement une mention de la &yix xœt
Sucousucs "Tpuxs. D'aucuns ont tiré de ces mots une objection contre
l'authenticité de la lettre ; d’autres en ont conclu que Cyrille s'était entre-
temps réconcilié avec le terme saillant du symbole de Nicée. Ainsi O. BaRr-
DENHEWER (l. c., p. 281) écrit : « Da die handschriftlichen Zeugen, soviel
bekannt, kein Schwanken zeigen, wird nur die Annahme gestattet sein, dass
Cyrillus sich inzwischen mit dem Stichworte des Nicänums ausgcsôhnt
hatte. » On se rangera difficilement à cet avis. La tradition manuscrite est
encore loin d'être complètement explorée ; telle qu'on la connaît actuelle-
ment, elle pourrait dépendre tout entière d’un archétype falsifié en ce point.
Ce n'est pas là une conjecture gratuite et arbitraire. Rien n’est plus aisé
qu'une interpolation de ce genre dans une finale doxologique. Au contraire, la
réconciliation de saint Cyrille à cette date (la lettre est de 351) avec le terme
uoouaics serait extrêmement étonnante, et plus étonnant encore serait
l'emploi que Cyrille ferait de ce terme dans une lettre adressée à l’arien
Constance, à qui il devait être odieux. Nous pensons donc, avec J. MADER
(. c., p. 60) qu’il faut rejeter l'authenticité de cette mention de l’éucoucios,
tout en retenant celle de la lettre, garantie par le témoignage de SOoZOMÈXE,
Hist. eccles., 1V, 5 (édit. R. Hussey, t. I, p. 320-321 ; PG, LXVIL, 1117, C},
194 J. LEBON.
s’opposaient aux évêques eusébiens et défendaient contre eux Marcel
d’Ancyre et l'éucevoc: ; c'était l'avis de dom Touttée, et c"t avis ne
manque pas totalement d'appui dans le texte (1).
La conclusion s'impose : au début de son épiscopat, à l’époque
pour laquelle son activité littéraire nous est connue, saint Cyrille
n’était pas dans le parti nicéen. Nous pouvons dire que toutes les
marques qui distinguent les évêques du parti antinicéen se ren-
contrent chez lui. Observons d’ailleurs que cette constatation ne
préjuge rien quant à la nature de sa doctrine théologique, à laquelle
nous reviendrons plus loin.
*
y y
La suite de son épiscopat va-telle peut-être infirmer cette conclu-
sion ? Bientôt les rapports entre lui et Acace de Césarée se tendent ;
la lutte s'engage et aboutit à une sentence de déposition portée
contre l'évêque de Jérusalem par Acace et une assemblée conciliaire,
en 357-358. Cyrille interjecte appel de cette sentence, mais entre-
temps, il est forcé de prendre le chemin de l'exil et il se retire à
Antioche, puis à Tarse. Cette lutte que les historiens présentent
comme un conflit de juridiction entre le métropolitain et l’évèque de
Jérusalem (2), résultait-elle également de divergences d'ordre doc-
trinal ? Sozomène dit qu'ils s’accusaient mutuellement de ne pas
penser sainement au sujet de Dieu ; il ajoute que tous deux étaient
déjà suspects auparavant, l’un (Acace) pour enseigner l'erreur
d’Arius, l’autre (Cyrille) pour s'être rattaché aux auteurs de l'ho-
moïousianisme (3).
Ce témoignage ne nous présente pas encore Cyrille comme nicéen.
Sozomène anticipe un peu les faits en rapportant qu'il était déjà
suspect pour s'être rallié aux chefs de l’homoïousianisme ; en effet,
ce n’est probablement que pendant son séjour à Tarse et par l’entre-
mise de Silvain, évêque de cette ville, qu’il entra en relations avec
le créateur et avec les chefs du parti homoïousien, Basile d’Ancyre,
Georges de Laodicée et Eustathe de Sébaste. 11 fut avec eux et dans
(1) Catech. XV, 9 (édit. Reiscuz et Rupp, t. IT, p. 164 et suiv.; PG, XXXII,
88r. B). Voir le jugement de dom Touttée dans PG, XXXIII, 43, C.
(2) SozomÈne, Hist. eccles., IV, 25 (édit. R. Hussey, t. K, p. 411 et suiv.:
PG. LXVIL 1196 et suiv.); THéoporeTt, Hist. eccles., Il, 22 (al. 27) (édit.
L. PARMENTIER, p. 157 ; PG, LXXXIL, 1064, D).
(3) SU POMENE: | APTE ARC RS GT AOUS Défahor, C2 074 opte rent 0eoù
ue * 4ai y30 Xai TO EV UROVOIX ÉXATEUOS VV, Ô pv Ta Acelou
oyHar ser * Kéguos dE, Tois Sucrosugicy Tù ÎLor où Toy Y'ioy cionyouué-
vols ÉTOUEVOS.
Cu
8. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 195
leur communion, en 359, au concile de Séleucie (1); et il est impor-
tant de remarquer que ces évêques venaient de se constituer alors
en parti distinct et de faire profession ouverte d’homoïousianisme”
en publiant la lettre synodale du concile qu'ils avaient tenu à Ancyre,
en 558. Grâce à leur appui, Cyrille fut justifié et se vit rendre son
siège épiscopal ; ce retour de fortune fut d'ailleurs de cuurte durée
car l’année suivante, Acace prit sa revanche au synode de Constan-
tinople, en le faisant de nouveau déposer, avec tous les évêques
homoïousiens. |
La mort de Constance (3 novembre 561) et l'avènement de l’empe-
reur Julien permirent à saint Cyrille de rentrer dans son évéché,
dans le courant de l’année 362. Mais il n’était pas au bout de ses
tribulations ; il fut de nouveau chassé par les Ariens et vécut encore
en exil, on ne sait où, de 367 à 378, c’est-à-dire jusqu'à la mort de
Valens, qui avait de nouveau banni les évêques exilés sous Constance
et rentrés dans leurs églises grâce aux mesures prises par Julien.
De telles infortunes, et les vexations incessantes subies de la part
des Eusébiens, n'étaient pas faites pour ancrer fortement dans le
parti antinicéen celui qui en était l'objet; quelques événements, sur
lesquels il faut revenir pour y insister, aideront peut-être à com-
prendre comment il s’en détacha peu à peu, par une évolution
graduelle qui l’amena à la communion franche et publique avec les
Nicéeps. Au concile de Séleucie, en 359, un champion de l’orthodoxie
nicéenne, saint Hilaire de Poitiers, n’avait pas hésité à communiquer
avec les évêques du parti homoïvusien, Au même moment, saint
Athbanase leur faisait aussi des avances ; dans son De synodts,
l'évêque d’Alexandrie inanifestait une grande largeur de vues et
sonnait en quelque sorte le rappel pour tous les hommes de bonne
volonté. Il faut entendre ses paroles, empreintes d’un désir d’entente,
d'une bienveillance et d’une sincérité qui devaient faire une profonde
impression sur ceux qu'il proclamait n’être pas loin de la profession
intégrale de la vérité : « Pour ceux qui reçoivent toutes les autres
décisions du synode de Nicée, et qui n’ont des scrupules qu’au sujet
du seul ézcovouos, il ne faut pas les traiter en ennemis. Nous, en
effet, nous ne les attaquons pas comme des Ariomanites, ni comme
des adversaires des Pères, mais nous discutons avec eux comme des
frères avec des frères qui pensent comme nous et ne diffèrent que
touchant un mot. Car en confessant que le Fils est de la substance
(x) THÉoDORET, Hist. eccles., Il, 22 (édit. L. PARMENTIER. P. 158 ; PG,
LXXXII, 1065, A): « ETEÔn dE nd Ets TV Zehevra, à EXOLYGDVEL LEV
tot: auçgi Tv Bacileoy xat Evarabioy rat Zufavoy, xai roi dornoïis é
KüpuAds Toù œuvedpiou. »
196 | . LEBON.
du Père et non d’une autre hypostase (xai yàp épohoyouvres Ex TRS
OUG IA: TOÙ [arpos, xai Ur, ££ Frépas UneoT aq Eu 70 Yico), qu'il n’est ni
créature, ni œuvre (2riouax 7: ur sivat, 792 roimux avrcy), mais rejeton
authentique et naturel, éternellement coexistant au Père, Verbe et
Sagesse (yro10v 2at qUGE VEUX aids TE AUTO CUYEÏYAL TO Harpe
AGyoy éyra xai Ziay), ils ne sont pas éloignés de recevoir aussi le
terme même d'éuocuouss (où paxpay soi an0:EaqÜa xai riv Toù éprou-
cicu JE). Tel est Basile d’Ancyre qui a écrit sur la foi (rowdrcs dE
core BactAcos à 4m2 ‘A: Propxs, ypabes Tépi riorews) (1). »
Dans ce parti homoïousien ou semi-arien, où saint Hilaire et saint
Athanase se plaisaient à découvrir, chez beaucoup, une orthodoxie
équivalente, saint Cyrille de Jérusalem n'était certes pas, — nous le
verrons en examinant la doctrine des Catéchèses, — le moins rap-
proché des Nicéens. Vers le méme temps, des évèques homoïousiens,
en assez grand nombre, se prononcèrent contre la divinité du Saint-
Esprit, et la doctrine pneumatomaque devint commune parmi ceux
qui s’obstinèrent dans le semi-arianisme (2).
Sur ce point encore, la pensée de saint Cyrille avait toujours été
orthodoxe. Toutes ces causes, on ne peut en douter, joiutes à ses
épreuves dans le parti antinicéen, le poussaient à faire le pas décisif
et à entrer résolûment dans la communion des défenseurs du grand
synode. Les dispositions modérées et conciliantes du synode
d'Alexandrie (562) contribuërent sans doute à le décider. .
La réconciliation se fit-elle par un acte formel et précis ? Nous en
ignorons les circonstances, l’histoire ne nous ayant conservé aucun
détail du dernier exil de l’évêque de Jérusalem (567-378). Mais
cette réconciliation est un fait accompli au temps du deuxième con-
cile œcuménique (Constantinople, 581). L'historien Sozomène rap-
porte (5) que cette assemblée comprenait deux groupes d’ évêques : :
environ 450 professaient l'homoousie de la Trinité (ou Abcy cuy, Ex
LEY TOY GUCOUTICY TF9 Tpi202 dc x yT uv, aug EAATOY ai TevrracyTa) et
36 se rattachaient à l’hérésie macédonienne (r@y 0: 270 r%s Maxz-
dovicu xivécews Ë£ xxi ruäncyra). Les chefs étaient respectivement,
pour ceux-ci (yoïvyre d: rcurwv), c'est-à-dire pour les Macédoniens,
Eleusios de Gyzique et Marcien de Lampsaque, et pour les autres
(r@Y d: &2)w), c'est-à-dire pour les orthodoxes, Timothée d’Alexan-
drie, Mélèce d'Antioche et Cyrille de Jérusalem. C’est ici que Sozo-
mène introduit la mention du repentir qui avait ramené Cyrille des
(t) S. ATHANASE, Epist. de sy-nodis, 41 (PG, XXVI, 765, À).
(2) Cfr J. TiXERONT, L. c., p. 58.
(3) SozoMÈNE, ist. eccles., VII, 7 (édit. R. Hussey, t. IL, p. 693; PG,
LXVU, 1429, B-C).
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 197
idées de Macédonius (... xai Kuün/dos d “Teposohtpuor, ueraueAnbeis
rôre, 0x noôrepoy Ta Maxtdoviou ëgpéva). Comme nous l'avons déja dit,
il semble certain que cette formule de Sozomène signifie simplement
que saint Cyrille avait appartenu précédemment au parti semi-arien.
En effet, il est bien difficile d'admettre qu'il ait jamais partagé
l'erreur pneumatomaque, lui qui, dès avant 350, dans ses Catéchèses,
professait déjà, comme nous le montrerons, la divinité proprement
dite du Saint-Esprit.
Ainsi s’acheva (1), dans la profession publique de l’orthodoxie
nicéenne et dans la communion officielle de la grande Église, la
carrière, longue et mouvementée, de celui à qui ce n'est pas faire
injure de reconnaitre que les circonstances le placèrent d’abord et
le retinrent longtemps dans le parti antinicéen. Il apparait successi-
vement, à la lumière des documents historiques, parmi les Eusébiens,
parmi les Homoïousiens ou Semi-ariens (nous ne disons pas : les
Macédoniens) et enfin parmi les Nicéens. Si l'on veut ne pas appuyer
outre mesure sur l’adverbe, la seconde partie de l’appréciation de
Rufin est juste : « .. saepius in communione variabat ». (jue penser
de la première : « aliquando tn fide (variabat) » ? Ce second point est
beaucoup plus important que le premier, qui n’offre, comme on l’aura
remarqué qu’un intérèt purement historique ; il nous reste à l’exa-
miner en étudiant la doctrine théologique que saint Cyrille exposa,
alors qu’il appartenait sûrement encore au parti antinicéen, dans les
Catéchèses qu’il prononça à la veille ou au début de son épiscopat.
Il. — LA POSITION DOCTRINALE DE SAINT CYRILLE DE JÉRUSALEM.
Au concile de Constantinople, en 381, saint Cyrille, rallié à la
grande Église et l’un des chefs du groupe orthodoxe, professe
évidemment, dans son intégrité et dans sa formule officielle, la foi
nicéenne ; il confesse la consubstantialité ou homoousie véritable et
parfaite du Père, du Fils et du Saint-Esprit. A cette occasion, Sozo-
mène distingue nettement, quant à ce point, les orthodoxes et les
Macédoniens : les premiers, remarque-t-il, proclament l’homoousie
de la Trinité (ëx pév r@v duocurioy nv Tuuida doËafévrw») et louent la
formule de Nicée (of dn mavres émarvérau ruyyavoures This ëv Ninaix
(1) S. JÉRÔME (De viris inlustr., cap. CXII; édit. E. RicHARDSoN, Hiero-
nymus. Liber de viris inlustribus, p. 50. Leipzig, 1896, dans les T'exte und
Untersuchungen..., t. XIV, 1; PL, XXIIL, 706-707) écrit : « Cyrillus, Hiero-
solymae episcopus, saepe pulsus ecclesia et receptus ad extremum, sub
Theodosio principe octo annis inconcussum cpiscopatum tenuit. » On en
conclut que saint Cyrille mourut en 387.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 13
198 J. LEBON4
BsBouwbeions ypxgñs) ; les autres refusent catégoriquement de recoti-
se que le Fils est consubstantiel au Père (unnore ouoouaioy Tœ
Hazoi ro Yièy doraïu avagavoër airsvres), et ce refus, peut-on dire,
s'étend à plus forte raison à la consubstantialité du Saint-Esprit (1).
S'il fallait en croire Rulin, dont nous avons rapporté le
témoignage, saint Cyrille n’en serait venu à cette position doctrinale
qu’au prix d’un changement dans sa foi. Les événements historiques,
nous l'avons vu, montrent l'évêque de Jérusalem soumis à une
évolution qui, lentement et progressivement, le détache des anti-
nicéens et l'amène dans les rangs du parti nicéen. Fut-il jamais
hétérodoxe? Dans l’affirmative, l’hétérodoxie de sa pensée théolo-
gique n’a dù se marquer à aucun moment plus nettement qu'au
point de départ d'ua changement dans lequel rien ne nous révèle ni
ne nous autorise à soupçonner de brusques retours. C'est à ce point
de départ que les Catéchèses nous reportent. Lorsqu'il les prononce,
Cyrille ne trouve ni dans la communion ecclésiastique, qui le rattache
aux Eusébiens, ni dans la situation politique de l'Orient, où l’arien
Constance règne en maitre, nulle raison d'atténuer son opposition
éventuelle à la doctrine nicéenne, ou d’en voiler l'expression, au
contraire. Si l’on remarque encure que, tout en évitant la polémique
directe, il y traite longuement les questions autour desquelles les
controverses s’agitaient en ce temps, on sera assuré que les Catéchèses
sont des sources de tout point excellentes pour le travail de
recherches et de comparaison que nous entreprenons.
I] nous serait agréable, et il serait certes utile, d'exposer dans
tous ses détails, telle qu’une analyse minutieuse la dégage des
Catéchèses, la théologie trinitaire de saint Cyrille. En dehors des
points alors si vivement discutés, on y rencontre bon nombre
d’aperçus intéressants, qui permettent d'observer à quel degré cette
doctrine pénétrait non seulement les esprits, mais encore toute: la
vie chrétienne. Malheureusement, ce tableau déborderait les limites
qui nous sont assignées ici. D’autre part, on ne nous pardonnerait
pas de n'offrir qu'une synthèse générale, procédant par de simples
affirmations, sans allégation continuelle de références et de preuves
enmpruntées aux textes. Dans ces conditions, il est préférable,
croyons-nous, de nous arrêter à l’examen approfondi de quelques
chefs spéciaux, mais essentiels, de doctrine ; cette méthode nous
mettra à même de déterminer en connaissance de cause ce qui écarte
ou rapproche la foi et la pensée théologique de notre auteur de
l’arianisme, soit franc soit mitigé, ou de l’orthodoxie nicéenne.
(1) Sozomèxe, Hist. eccles., VII, 7 (édit. R. Hussey, t. LU, p. 694; PG,
LXVILI 1429, B-D).
$. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME: 199
Ces points essentiels, sur lesquels notre attention aura à se fixer,
peuvent être résumés dans une brève caractéristique des deux posi-
tions doctrinales en présence. L’arianisine, fondamentalement,
faisait du Verbe une créature du Père consideré comme l’unique
zimros, le seul vrai Dieu ; le Verbe, pour lui, était la première des
œuvres du Père, l'intermédiaire librement produit par lui pour les
nécessités de la création ; ce Verbe était susceptible de changement
et de progrès, et finalement élevé à une sorte de filiation, de dignité
divine, quoique restant toujours subordonné au seul Dieu véritable
et infiniment distant de l'égalité avec lui et de la perfection de sa
substance, Toute atténuation de ces thèses, par exemple par l'affir-
mation de la similitude, de la similitude parfaite et en toutes choses
entre le Père et le Fils, marque un abandon partiel de la doctrine
arienne, une déviation qui, nous pouvons le dire, demeure illogique
aussi longtemps qu’elle s’obstine à rejeter l'unité numérique de
substance divine (1). Lorsque, dans ce camp, on s’occupa du Saint-
(1) On voudra bien observer qu'il ne s’agit plus désormais pour nous de
parti, mais de doctrine. L'orthodoxie doctrinale n’admet ni les à peu près,
ni les nuances, et nous ne serions pas fondés à l’attribuer au saint Cyrille
des Catéchèses si nous n’aboutissions qu'à faire voir qu’il s’y révèle comme
très modéré, comme le plus modéré des Eusébiens, dont les grandes et
profondes divergences doctrinales sont bien connues. D'autre part, il est
également très important de remarquer que, quelque considérable que soit
le rôle joué, dans ces luttes, par les formules dogmatiques, dont on alla
méme jusqu’à tirer les noms de diverses sectes, certaines d’entre elles
doiveat être, dans les cas particuliers, soigneusement vérifiées quant à leur
contenu et quant au sens que leur prêtent non seulement ceux qui les
emploient, mais aussi ceux qui les combattent. Îl en va ainsi tout spéciale-
ment du terme ÔpLoouT 105. H ne semble pas que tout le monde, même parmi
les Nicéens, ait cru, À cette époque, que le concile de Nicée avait canonisé
ce terme et fait de son emploi une condition indispensable d’orthodoxie, ni
qu’il avait par le fait même condamné et interdit toute autre expression du
rapport substantiel du Fils au Père. Sinon, comment expliquer que saint
Athanase, dans certains de ses écrits, n’en fasse qu’un usage extrêmement
restreint et n’hésite pas à employer des expressions qui avaient cours chez
les antinicéens ? Parmi ces derniers, nous savons qu'il en était qui donnaient
comme raison de leur opposition à l'éuocuT io; l'aspect sabellien que ce terme
revétait nécessairement à leurs yeux. Aussi avons-nous cru préférable de
considérer avant tout l'attitude des personnages à l'égard de ce terme
comme un critère qui distingue les partis. Du point de vue doctrinal, la
portée de cette attitude nous paraît être la suivante : quiconque emploie ce
terme et, à plus forte raison, le justifie et le défend, manifeste par là-mème
une orthodoxie réelle et formelle de doctrine; quiconque le passe sous
silence, ou même le combat, perd sans doute l'orthodoxie formelle, mais
non pas nécessairement l’orthodoxie réclle et équivalente qu'il sera peut-être
possible de retrouver en scrutant, par delà les formules, le fond de sa docs
200 | à . Î. LEBON:
Esprit, on en fit de mème une créature, la créature du Verbe ou
Fils (1). A l'opposé de ces théories, plus dialectiques que chrétiennes
ou même simplement religieuses, l’orthodoxie nicéenne proclamait
que le Verbe est véritablement le Fils de Dieu, engendré de sa
substance, réellement et parfaitement égal et, par l'unité et la com-
nune possession de la nature divine, consubstantiel au Père. Dans
la question touchant le Saint-Esprit, la position prise et gardée par
les Nicéens était la même : la divinite proprement dite, l’égalité
absolue et la consubstantialité avec le Père et le Fils étaient
reconnues et attribuées à la troisième personne de la Trinité.
trine. Ajoutons cependant que la lutte directe et ouverte contre ce terme est
difficilement conciliable avec l’orthodoxie équivalente de pensée, dont nous
venons de parler ; les faits ne fournissent pas d'exemples d'une telle associa-
tion. Ces remarques expliqueront le soin, en apparence peut-être parfois
excessif, que nous prendrons de pénétrer toujours jusqu'à la pensée de
saint Cyrille et de u’établir nos comparaisons que sur les doctrines, et non
sur les formules.
(1) Comme l'écrit J. TIxERONT (Histoire des dogmes, 2e édit., t. Il, p. 28),
d'après Arius « .… le Saint-Esprit est infiniment éloigné, séparé des deux
autres personnes : il leur est étranger par l'essence : il ne possède ni même
substance, ni même gloire ». Ce jugement s'appuie sur des preuves tirées
des textes. On n’en peut pas dire autant, croyons-nous, des affirmations par
lesquelles le même auteur poursuit son exposé : « Arius en faisait probable-
ment unc créature du Fils. Ce point de sa doctrine resta toutetois dans
l'ombre jusqu'au moment où il fut mis en évidence par l'hérésie macé-
donienne. » D'une telle doctrine chez Arius 1l faut simplement avouer que
nous ne savons rien. Les déductions par lesquelles TH. SCHERMANN (Die
Gottheit des heïligen Geistes nach den griechischen Vätern des vierten Jahr-
hunderts, p. 45, dans les Strassburger theologische Studien, t. IV, fasc. 4-5.
Fribourg-en-Br., 1901) a voulu la retrouver chez l’hérésiarque ne valent pas
un texte ciair et ne sont pas convaincantes ; on ne peut pas prouver que,
dans le fait, Arius ait envisagé ce point, même si l’on remarque qu’il devait
être conduit à cette opinion par la logique de son système. D'ailleurs, les
appels à l'autorité de saint ATHANASE (Contra Arian., I, 8; PG, XXVI, 28,
A et Epist, I ad Serap., 2; ibid., 532, B) ne prouvent pas davantage- ce qu’il
faudrait établir; car Athanase, lui aussi, raisonne et ne cite pas. Dans le
second passage, 1l parle des Ariens et non d'Arius; dans le premier, il est
bien question d’Arius en personne, mais c’est Athanase et non Arius qui
appelle le Fils ré roùre (ro Ilæuux) zoprycüvrx Ayo. D'autre part, on
n’a pas attendu l’hérésie macédonienne, dans le camp aricn, pour faire de
l'Esprit une créature du Fils. Déjà avant la définition de Nicée, EUSÈBE DE
CÈÉSARÉE (Praepar. evang., XI, 20, 1: PG, XXI, got, BJ avait appelé l'Esprit la
TOUTN Ouvapus, la première des substances intelligentes qui ont leur être par
le Fils (cüaaxy 7e npmTny péy Toy Oux rod vis ouaracüy vosp@y). On
pourrait, semble-t-il, retrouver la méme doctrine chez le disciple et succes-
seur d'Eusèbe, Acace de Césarée, et chez Patrophile de Scythopolis. Cfr
" ATHANASE, Epist. IV ad Serap., 1, 7 (PG, XXVI, 637, B ; 648, B).
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 201
Nul ne contestera, croyons-nous, l'exactitude de cet exposé
concis. Nous allons donc étudier en ces points saillants et carac-
téristiques l’enseignement théologique de saint Cyrille pour le con-
fronter avec ces doctrines. Le jugement que nous. cherchons
découlera naturellement de cet examen comparatif (1). |
*
+» +
Le premier point de doctrine auquel notre attention doit s'arrêter,
c'est l’origine de celui que saint Cyrille reconnaît comme le second
de la sainte et adorable Trinité (2). À la suite des Écritures, la foi
chrétienne trouve cette origine nettement marquée dans les noms de
Péreet de Fils, dont elle cherche la raison et reporte la signification
dans la vie intime et éternelle de Dieu. Avec sa théorie du Verbe
créature, du Verbe produit pour servir d’instrument et d'inter-
médiaire au Dieu transcendant, à l'unique &£rmtos, dans la création
des autres êtres tirés du néant, l’arianisme ne pouvait pas entendre
dans leur sens propre et dans leur pleine vérité les noms susdits.
Force lui était bien de les employer parfois, sous la contrainte des
Écritures et de l'enseignement traditionnel : mais il en restreignait
le plus possible l'usage, les remplaçant par les termes de sy£wnres
et de 25,0; et, quand il en faisait mention, ce n’était que pour
exprimer une génération métaphorique et une relation accidentelle (3).
(1) Pour simplifier, autant que possible, les nombreuses références aux
textes de saint Cyrille, nous y indiquerons désormais par le sigle R l'édition
de Rerscu et Ruprp, signalée plus haut, et par le sigle M le tome XXXIII de
la Patrologie grecque de Migne. Les indications numériques qui ne sont pas
précédées d’un de ces sigles, renvoient aux Catéchéses (chiffres romains) et à
leurs paragraphes (chiffres arabes).
(21 Le but que nous poursuivons dans cette étude, ne demande pas que
nous établissions que saint Cyrille confesse l’unité rigoureuse de Dieu et la
trinité véritable d’êtres numériquement distincts, que nous appelons les
Personnes divines. Pour ce qui concerne, en particulier, la distinction réelle
entre la personne du Père et celle du Fils, son enseignement est clair et
formel ; personne n’a jamais songé à le soupçonner même de sabellianisme,
qu'il rejette et condamne d’ailleurs explicitement. N’exposant pas ici toute
l théologie de notre auteur, nous croyons inutile de nous attarder sur ce
point.
(3) On pourrait apporter en preuve beaucoup de textes ; nous n’en rappel-
lerons ici que l’un ou l’autre. ArIus avait écrit, dans sa Thalie (d'après
ATHANASE, Orat. contra Arian. » L 5; PG, XXVI, 21, A): « OÙ aet © D:0s
-
Tao y 7 GA y ÔTE 6 D pôvos v aai or Tarhp Kv * Larscoy dE
ETE /OYE TXTT0. » EUSÈRE DE NicoMÉDIE, dans sa lettre à Paulin de Tyr
(dans THéovorer, Hist. ec:l., I, 4; édit. L. PARMENTIER, p. 29; PG, LXXXII,
916, A) rappelait que |’ Écriture donne comme engendrés par Dieu, évidem-
202 J. LEBON.
Qu'en pense saint Cyrille ? Sans doute, il revendique aussi exclu-
sivement pour le premier de la Trinité la perfection de GyEVVNT OS (4),
mais il n’en fait ni sa caractéristique ni son nom propres (2). Il
faut reconnaître Dieu comme Père, car cela appartient à la vraie foi.
Dieu est toujours Père ; il ne l’est pas devenu à un moment du
temps (3). La raison formelle de cette perfection en Dieu et de ce
titre qui lui est donné, réside dans la nature de la relation qui rat-
tache les deux premières personnes ; ces deux noms de Père et de
Fils, comme les êtres qu'ils désignent, sont corrélatifs, s'appellent
mutuellement et nécessairement : entre eux, nul intermédiaire (4).
ment au sens métaphorique, d’autres êtres que le Fils. Remarquons cepen-
dant que des Eusébiens comme Acace de Césarée ct Eusèbe d’Emèse
admettent pour le Fils une génération proprement dite du Père ; c’est un
premier pas vers l’orthodoxie.
G) Par exemple. IV, 4 (R, IL, 92; M, 457, B): « 6 eds ele éart LL0vOs,
G'YEVVNT OS. e oÙy ÙDp ET Tépov YEYEVVNUEVOS » 5 VI, 13 (R, I, 172; M, 537, A)
ce sont les hérétiques qui ont osé dire deux dieux, et deux sources du bien
et du mal, € AA TAUTAS GYEVVT GUS »; XI, 13 @, I, 306; M, 708, A) :
« GÙTE Oo à PTE, OÙTE duo UoYoyE ri * a) ets EcTt ITarrp GHÉVINTOS,
(ayEmmres yé0 EaTiy à natTépa pr Éyoy).» — On sait la difficulté qui résulte,
pour l'interprétation des textes théologiques de cette époque, du mélange et
de la confusion fréquente des termes &yENVNT OS et àyEMTOs. On peut lire, à
ce sujet, les études de P. STiEGELE, Der Agennesiebegriff in der griechischen
Theologie des vierten Jahrhunderts (Freiburger theologische Studien, fasc. 12),
Fribourg-en-Br., 1913. et de L. PresriGe, ’Ayév{yInres and yev[”]nr5e,
and kindred words, in Eusebius and the early Arians, dans Journal of theolo-
gical Studies, 1923, t. XX1V, p. 486-496. Pour saint Cyrille de Jérusalem,
l’agennésie semble bien être toujours l'innascibilité; les variantes des
graphies s'expliquent peut-être aussi par le fait que les Catéchèses ont été
publiées. sans révision, dans le texte tachygraphié par un auditeur. Cfr
P. STIEGELE, Op. cif., P. 109-110.
(2) La notion de la première personne est appelée To TATEUXOY aéioux.
Voir les textes de la note suivante. Cyrille dit que c’est de cette perfection
qu'elle est glorifiée par dessus tout : VII, 5 (R, I, 212; M, 609, B) : « route
uàhcy % Toi: lounoic afmuxct aeuvuviusyos ».
(3) VIT, x (R, I, 208 ; M, 606, NÉE Z: surmusÔn ris abrfoocs TICTENS
xaTa0=EmuEx, TD TÉS LOYXUYXS GEMUATL TO TATOUASY CUVINTONTES, KA
TICTEUGYTES El: Eva Oeny Naréca » : ; VIL 5 (R, I, 212: M, 609, B) : « où
x 00v0L 5 T0 Ta T0 styat XTNTAUEVOS, Er ac ITx7 np TO [L6VOYEVOUS TUy{AVY.
Où Ye rats 1)ÿ TpÔ : TO CU, TATRO VE D UGTEGOY JET rafiouhsuTauEves *
CAVE 22 TAGS UTOTTOTENS ZA TG RATNE icbiseus, is YESVOY 7 TE
Za C0 RAYTO)Y TOY AYNY, TO RATE aéloua Eye 9 es.
(4) VIL, 4 (R, I, 212: M, 608-609) : « To 729 TOÙ Merpss bus Ua TO
TK CYaUXTIZE TOC GT UATI, GE ty né Et at Toy V'isy * Go: GECLCE
Vidy vus Ovousouz, eus evôrge nai Toy [aréca. Ei y5p rar xp, TAYTOS
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 203
La relation qui justifie ces deux noins est fondée sur l'origine de la
deuxième personne ; celle-ci n’est pas àyiumrcs, mais elle est du
Pére, et elle est du Père par génération (1).
Cette génération est inscrutable et incompréhensible ; le Père est
seul à en connaître le mode. Aucune créature, si élevée soit-elle en
perfection et en dignité, ne connaît ce rs éyémmos ; la créature
ignore même le comment de sa propre origine ; ni le ciel, ni les
anges ne pénètrent celle du Fils. C’est d’ailleurs une audace into-
lérable de vouloir scruter ce que le Saint-Esprit, qui scrute seul les
profondeurs de Dieu, n’a pas exprimé dans les saintes Écritures,
quand on ne parvient pas même à comprendre tout ce qu’il y a dit ;
qu'il nous suflise, conclut Cyrille après ces remarques si sensées,
de savoir que Dieu a engendré un seul Fils. Pour lui, il ne promet
pas d'expliquer comment s’est faite cette génération ; il se conten-
tera de procéder par voie d'exclusion et d’écarter les notions qui ne
lui conviennent pas (2). Dans ses explications, en effet, il reste
fidèle à la règle qu’il s’est tracée, se contentant de soustraire la
génération du Fils à toute imperfection, pour dissiper toute équivoque
et toute erreur à ce sujet. Toutefois, nonobstant leur caractère avant
tout négatif, ces développements ne laissent pas de nous fournir
d'utiles éléments de comparaison, comme on va le remarquer sans
tarder.
Tout d’abord, cette génération ne doit pas être conçue comme se
faisant à la facon des générations matérielles ; elle est spirituelle,
comme Dieu lui-même. Elle a lieu également sans aucune altération
O7: RATE ViOU * Ha EÙ VIOS, TAVTUS ÔT TaTp0c vios... ioù yxD xœi TATPOS
codEy GTI METRE Tv ÉvTE@Y. »
(x) XI, 13 (R, I, 306; M, 708, A): « E5 Evos püvou Ilarpos, ets povoysunc
Yi5s. » Ibid., et passim, c'est continuellement que le Père est appelé 6 yev-
maas et le Fils 5 yembeis ou ex [Tarpos ysyewmuévos. Il est inutile de mul-
tiplier ici les références et de s'arrêter à montrer que ces termes doivent
bien s'entendre d'une génération.
_(e) XI, 4 (R, I, 294 ; M, 693, C): « uicy aet yernlirra àTepispyagTo ai
axarairnre Th yevyñoet ». Cfr XI, 10-12 (R. I, 302-306; M, 701-705), par
exemple, 12(R, I, 304; M, 705, B): « té écriy Érepoy ywvozov Ta (340n roù
Gec5, ei un uôvoy 70 [ludux 70 &yuov, To Aalaay tas Oiias yoapss ;
A2" 629 aùro ro Ilysoux T0 &t0Y, REDI Th Ex Ixrpos Toù Yioù yevr-
Gin Ey Tais YOXais El 2 hnTev. Ti roivuy rohunpæyuoveïs, & und: Tô
eux T0 &yuoy Éyparhey ëvy Tais yoaqais ; ‘O ra yeyoxupiva un YO -
29, TA UN yiypauuéva Tolvroaypoveis ; … AÜtapees muiy sidéva, ÔTe
553 Eyivmge) Y'iôy Eva pôvoy. » Et 11 (R, I, 302; M, 704, A): « où Y20 TÜ,
ROS E/ÉVUNTEY, Eirsiy Etayye2ousbx, aAÂX 70, ouy crus, duafieGaiouus0x. à
204 J. LEBON.
dans celui qui engendre (1). Ce point est important à noter, car ou
sait que les Ariens et les arianisants, hantés ‘par le spectre de la
génération humaine, ne pouvaient concevoir aucune génération
réelle sans altération de l’engendrant et, de ce chef, se croyaient
obligés de rejeter de la vie divine toute génération proprement dite.
Cyrille qui, comme nous allons l'entendre, affirmait si clairement
une génération naturelle et véritable, devait insister sur l'absence
de toute altération. Il y revient à de nombreuses reprises, allant
jusqu'à déclarer qu'il a conscience de répéter souvent la même
chose, mais que cela lui parait nécessaire pour la fermeté de la foi
de ses auditeurs (2). Parlant, en un endroit (3), de la manière dont
Dieu est le Père du Monogène, il se plait à énumérer une série de
modes d’altération ou d’imperfection, pour les rejeter tous : l'altéra-
tion en général (zxt où na rare ysvousyos), l'union avec un autre
principe (oùx £x cuur/ce7s), le processus aveugle (où xar” éyvotar) (4),
l'écoulement ou émanation (ox aroocsisxc), l'amoindrissement (cv
pstmbet:), le changement (oùz &))cufer:) ; il conclut par l'affirmation
de la perfection absolue de l’engendrant et de l’engendré ([arxc
rélas, Télsoy Vis yesvro as) (5).
Cette génération doit être soigneusement distinguée des généra-
tions métaphoriques, qui n’aboutissent qu'à des paternités et filia-
tions improprement dites. Il ne faut pas la concevoir, par exemple,
comme la relation qui permet de dire que le maître engendre ses
disciples ct en vertu de laquelle celui qui n’est pas fils par nature,
devient fils par la doctrine (6). Dieu n’est pas de la même manière
Père du Fils et Père des créatures (7). Sans doute, dans un sens
(x) XI, 7 (R, I, 298 ; M, 700, A): 4 AUS x 02 Osny 072xy axoTnes ur.
XATATEONS Es TOUATA, Ur & GOx0TrY . Ur 3503, x UT AGE ons.
Joux 6 Gs5£, FHEVUATIAN N D LTES » 1bid.,5 (R, I, 206 ; M. 697, À) :
« [zoux à 6:05. O neux m9, nrsvuxr gi HUE US ATOUXTOS. M
(2) XI,13 (R, I, 36: M, 708, A): oùTz 9 peniTas Efrutnn Tt, OÙTE
het TT Jen: * ot0æx No Tara eionkws, GX TohdInS
TaÜra Spnrat TO Ts VU aTpahEXS, 9
(3) VIL, 5 (R, I, 212: M, 609, B).
(4) Cette « ignorance » est celle de l’homme, qui engendre sans savoir qui
il va engendrer et sans engendrer qui il voudrait. Ainsi l’entend Cyrille, XI,
8 (R, I, 300 ; M, 700, B). ,
(5) Voir encore, par exemple, XI, 18 (R, I, 312; M, 713, B).
(6) XI, 9 (R, L, 300; M, 700-70r) : Le Père engendre le Fils « c5y ms
OPEL LT eo ou 33... 9e UEy y30 Ô UK xaTù QUI Vos Gy, dx
Thc palmreixs vins tyévsro.. ». Cfr VIL 9 (R, I, 218; M, 616, A-B).
(7) XL, 19 (R, I, 312; 713, B): 4 a2A vx ur vouiTrs ÔTL OUOlWS TU
VicÙ nai Toy xriouarwy ecrit Ilar%p... »
S. CYRILLE DK JÉRUSALEM ET L'’ARIANISME. 205
impropre et par une sorte d'abus du terme, Dieu est le Père de
beaucoup d’êtres : mais en réalité et en vérité, il n’est le Père que
du seul et unique Fils monogène, notre Seigneur Jésus-Christ, pour
qui le nom de Fils n’a rien d’abusif (1).
C'est à la réalité et à la vérité de cette génération et de la relation
qui en découle, que Cyrille revient continuellement ; il y insiste,
comme rendant exactement sa pensée; sa formule préférée est quo
ru ahrbstx, soit qu'il en associe lès deux termes, soit qu'il les emploie
isolément, sous diverses formes : œuos, quarts, xara quo, [uiss]
cms, el aÂrbeix, 2r0os, àdrirs où à&rñuuos [uics] (2). La généra-
üon du Fils est ainsi caractérisée pour l’opposer surtout à une
génération improprement dite, qui se fait par adoption et est fondée
sur la grâce : Héou, xara Oicuy, xara Oioù you xat DEceu, ainsi qu'on
la trouve chez les hommes élevés à la dignité de fils de Dieu.
Cyrille établit et répète souvent cette distinction (3), et c’est là un
(1) VI, 5 (R, 1,212; M, 609, A) : « éore Toivuy 0 0:05, moÂAGY UEy xaTaæ-
LTD: HATYO * EVOS Ôë uévou qÜoe xal œhnisix Tob uovoyevcds You,
ri 0 ur Irocd Xpuoroë, Ilazño. » XI, 4 (R, I, 294; M, 693, C) :
Vis dE mac dde, un xarayonorm@s dnous uôvoy * aXdà vi
dbz, vi œuauxbr, duapyus * cbx Ex Jouheixs sl: nocxcnny vicbeaias
Tiliyra, &)a Viny ei Jennvre... » Ibid, 2 (R, I, 290; M, 692, B):
€ Yisy D ray axsvwy, un vouions Oerov, 233 œuouoy Yidy…. »
(2) On trouvera, dans les textes que nous citons, assez d'exemples de ces
locutions pour nous dispenser de donner ici des références spéciales. Mais
où remarquera que nous traduisons l'expression que xai &drbeix par
‘en réalité et vérité >. Nous n'entendons par là ni blâmer, ni rejeter l'usage
Qui emprunte au terme « nature » la traduction de gUTts et de ses dérivés;
Qous ne faisons aucune difficulté à reconnaître et à confesser que cette géné-
ration est « naturelle », que le Fils est fils naturel de Dieu, etc., ainsi que
s'exprime la théologie. Mais, en traduisant comme nous le faisons, nous
trovons serrer de plus près la pensée de saint Cyrille, qui va directement et
toncrétement à ce qu’il y a de réel dans l'être, sans donner autant d’atten-
Uon que la nôtre aux notes spécifiques de cette réalité. Si nous en avions le
temps, nous pourrions montrer que Cyrille emploie les termes œuots et
“7597acts et leurs dérivés, dans une parfaite synonymie, pour marquer
simplement la réalité concrète. Tout ce que le concile de Nicée a voulu
gnifier en disant êx r%s ovotos Toù [laro6:, c'est que le Fils est engendré
de l'étre même, de la réalité même du Père ; Cyrille évite l'emploi du terme
S%ix, auquel les Antinicéens reprochèrent si vivement et si obstinément de
n'être pas scripturaire, mais il en a tout le sens avec quo, œuTtxus, etc.,
que 2rGetx, &nP®z, etc., ne font que renforcer.
(3) Par exemple, VII, 7-10 (R, I, 216-220 ; M, 613-617), craignant que l'on
ne tire de JoH., XX, 17 que le Christ n’a pas une dignité différente de celle
des justes (zooms drxxiois (TÔT LUOY Elvat TOY Xpuoroy), Cyrille s'applique
àmontrer que le nom de Père y est employé dans des sens divers (70 piy
206 J. LEBON.
nouvel élément de différence entre sa doctrine et celle des Ariens (1).
Cette différence s’accuse encore, d’une manière sensible et remar-
quable, dans la détermination du moment de la génération, et dans
les conditions de durée assignées à l’existence du Fils. Nous consta-
tons tout d’abord que saint Cyrille rejette implicitement et explicite-
ment les formules ariennes, qui tendaient à montrer le Fils comme
tiré du néant et à lui fixer un commencement d'existence. Le Père n’a
pas amené le Fils du néant à l'être, ni celui qui n’était pas (fils) à la
filiation adoptive (2). Parmi les gens qui ont fait défection de la
vraie foi, il y a ceux qui « osent dire que le Christ a été amené du
non-être à l'être » (3). C’est la formule arienne qui est visée ; elle
est explicitement condamnée ailleurs : « Ne disons pas la (parole) :
Il y eut un moment où le Fils n’était pas (4). » Notre auteur ne se
contente pas, comme plusieurs dans son parti, d'affirmations équi-
voques touchant l'existence et la génération du Fils « dès le prin-
cipe » ou « avant les temps et les siècles » ; il y méle ou y ajoute
d’autres déclarations catégoriques : le Fils est toujours engendré,
éternellement engendré ; le Fils est éternel (5).
To RaTpôs Éy EGTUw dvoua, RotxiAn ÔE THs ÉVEPYEXS N dévaqus). Le Christ
n’a pas dit: « Je monte vers notre Père »;ila distingué, et « ET TPGTOY
T0 dxsicy, mo TOY [arépa Lou, ÊTEp Fv xaT QUO * ET ÉTAYAYUY, ka
raTÉpa Up, ÔTEO "y xara DEguy n. Cyrille montre, par Isaie, LXIV, 8,
(CÔTE UN xxTaà quo, AAXZ ar 0:60 ySpuw xai Biou, naTipa ra bcopusy » ;
il répète la distinction en notant encore la différence de la paternité de Dieu
à l'égard du Christ ct à l’égard des hommes : « 7@y pEy avOpTy, xaÜcs
ELONTaL, HATAYONOT IX ETTI RATIO * Xpuoroù Ô: LLOYCU XaTà ŒUGIY ETTI
ee G Peos, où aura Gegiy ». Voir encore X{, 9 (R, I, 300; M, 70t, A);
X, 4 (R, 1, 264; M, 665, À) : « uids xaAcirau * où Üeruxs mpoaybkis, æ}À&
PUauxS VErvnbEts ».
(1) Qu'il nous suffise de renvoyer à un passage d'EUSÈBE DE NICOMÉDIE
qui, dans une lettre à Paulin de Tyr (dans THÉODORET, Hist. eccles,, 1,5;
édit. L. PARMENTIER, p. 29; PG, LXXXII, 916, A), fait valoir contre l'inter-
prétation au sens propre du terme « engendré ( JEVVNTOS £) » appliqué au Fils,
” divers textes dans lesquels l'Écriture fait « engendrer » par Dieu d'autres
êtres.
(2) XI, 14 (R, I, 308 ; M, 708, B) : « Kai bei Eonra rohigxts, OUX EX
Toù pñ Ovros els TO Etvxr TOY Vioy Taprya/ey, OUDE TOY un OvTa Ets vibes iay
fyxyEv. »
(3) XV, 9 (R, IL, 164-165; M, 881, B) : « Nüy 0: Ecru ñ aTrogTaTix.
Aéornqay 122 oi d/0purot Ts 000%: rirrems. Kai ci piv.…. oi dE Toy
Xpuroy EË où OyTUY Ei3 TO Etvxt MALEVE A Ta LEE Too. »
(4) XI, 17 (R, L, 310; M, 712, B): « prre Aéyouzsy TO, y NOTE, ÔTE Oux
rv Ô Yioc. »
(5) Il faut, en ce point, se tenir en re contre les gloses dont le texte de
B]
RASE AE SEE a ne, RE RE ve 4 à
RERREER à SRE
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 207
La génération du Fils, d’après notre auteur, est donc bien éter-
nelle en ce sens que non seulement elle précède les temps et les
siècles, qui mesurent la durée des créatures, mais s'est faite de
toute éternité. On pourrait se demander s’il y a plus et si la pensée
de saint Cyrille va jusqu’à une génération éternelle en ce sens
qu'elle est toujours en acte durant toute l'éternité.
Il n'est pas inutile peut-être de dire un mot de cette question,
puisqu'on a prétendu qu'il faut y répondre négativement. On a écrit,
en effet (1), que Cyrille n’a pas l’idée d'une génération éternelle telle
qu'elle se rencontre chez Origène, Alexandre d'Alexandrie, Atbanase,
mais qu'il conçoit plutôt cette génération comme un acte une fois
posé. On en appelle à Cat. XI, 14, où il est dit que le Père a
engendré le Fils éternellement, et beaucoup plus rapidement que
nous ne pouvons le dire ou le concevoir (2). Toutefois, il faut
remarquer que ce que Cyrille veut enseigner en parlant ainsi, c’est
M est parfois chargé ; l’épuration est faite dans le texte plus critique de KR.
Comme il peut y avoir intérêt à attirer l'attention sur ces gloses, nous les
reproduisons dans nos citations mais nous les plaçons entre crochets, pour
les rendre inoffensives. Il reste d’ailleurs assez d'éléments authentiques pour
appuyer nos affirmations. — IV, 7 (R, I, 96 ; M, 461, B) : « roy ox Ev XPOvOLs
T0 elvat ATNOAUEVOY, GAÂX TOO TAVTOY TOY aicyoy dilws xai &xaTa}PT-
Tus Ex TOÙ rarTLos yeyevmuévor.…. [éoTe dE yevynbeis Ex Tarpos &ei] » ;
VI, 5 (R, I, 212; M, 69, A-B), l'éternité de la génération du Fils est
affirmée équivalemment dans celle de la paternité du Père : € où xPOVOI TO
FaTho var XTNOAUEVOS, AA À ai TaTNp ToÙ povoryevous Tuyyavwy. Ou 70
dat @Y ME TOUTOU, TATNP YÉVOVE, ae ueraBouAeusauevos * &Ala
TL RAON; UTOOTAGEUWS kai TOO RAGNs aICÜGENS, TPO YPOVOY TE xai
T2 OV TOY aivov, TO RarTpuxoy aEicpux Ever 0 0605... » ; XI, 4 (R, 1, 294;
M, 696, A) : « vios [roù [larpss] #5 apyñs eyewrfn, [ünepave naons apyñs
rai aiovoy Tuyyävov],..… [aidios EË aidiou Tlarcde] » ; XI,5 (R, I, 2%;
M, 696-697) : « … uios 0 Decu npo mére T@y aimvwy [avapyws]... Toüro
dE 5 Eye, tits EE yevvribeis En Ilarpés… *AÂÂX TO piv xaTa Toy Aaf3d,
vai yo drofaherou... To dE xara Thy Beornra, ocre ypow Uunofiai-
Jszat TE Ton®... » Ensuite, sur Psalm. II, 7 : « Ego hodie genuï te »,
Cyrille remarque : « rù ë cuepoy, où nodoqarov, &ÂX' àfduor * rè onpepor
200, TO TAVTOY TOY aiwvoy » ; XI, 13 (R, I, 306; M, 708, A): « ets
EcTiy viDs, &idius EX TaTDôs yEVEVNUÉVOS * CÙ ypôvots yeyEevmuévos, &ÀAX
RL) aiwywy yves. »
(1) J. GuuuEerus, Die homôusianische Partei bis zum Tode des Konstantius
(Leipzig, 1900), p. 23 ; R. SEZBERG, L. C., p. 94-05.
(2) R, I, 306-308 ; M, 708, B. Voici le passage dans son contexte : « ‘O yp
aanns 0:05 où yeyva Vevd%, nat elonrai, oudE œxebzpuevos, barepoy éyév-
26€ * QX Gidims Eyévmge, ati nov uälloy TAyetoy TOY MUETÉOOY
pruaruwy Tr vonuare, Ééyévvroer. "Husis pv ap, Ev ypévors Dahobvres
? +
Yu avalicaouey * Emi de Ts lag Juvauews, dypovos À JEVNa. »
4
208 J. LEBON.
que la génération divine ne requiert pas de temps pour se faire,
mais existe et est parfaite, c’est-à-dire posant là son terme, instan-
tanément. Dieu, vient-il de dire, n’a pas commencé par délibérer et
se demander si et comment il engendrerait, pour n’engendrer qu’en-
suite ; il a engendré éternellement (417 aidtws ÉVÉVMNOE) et donc cette
génération n’a eu ni commencement dans le temps, ni durée tempo-
relle. C’est cette dernière idée qu'il exprime en ajoutant que la
génération divine l’emporte de beaucoup en rapidité sur nos paroles
et nos pensées (zxi moÂù uälhoy Tayeoy TOY AUETELOY CrATOY % von-
péroy éyemmaey). On le voit bien par la suite du texte, que l’on peut
ainsi expliquer : pour nous, nos paroles sont accommodées à notre
être, dont la durée est le temps : nous parlons donc de toutes les
choses comme si elles étaient dans le temps et de la sorte, quand
nous parlons de la génération divine, nous lui consacrons du temps,
nous y dépensons du temps; mais il faut corriger cette erreur quand
il s’agit de la puissance divine, quand c'est le Dieu tout-puissant
qui agit, qui engendre ; il ne faut pas le ramener à notre mesure,
mais au contraire reconnaitre qu'alors la génération ne requiert pas
de temps qu’elle est atemporelle (ent di =%c Osixs Duvaueuxs, dy pOYCs N
7Eevrots). La phrase roy uäÂÂoy Taser Toy RULETÉCOY CNUATOY Ÿ VOr-
LAT OV ÉTEINT EY ne signifie pas autre chose que cet #ypovos ; elle ne
marque donc pas formellement que, pour saint Cyrille, la génération
du Fils se fait par un acte une fois posé, à un moment, si l’on peut
ainsi dire, de l’éternité, à l'exclusion d’un acte durant éternellement.
Le plus que l’on puisse dire, c’est que notre auteur ne s’est pas posé
la question de la durée, éternelle ou non, de l’acte de la génération
du Fils; il n’a pas, que nous sachions, rejeté la durée éternelle (1).
On sait encore que les Ariens et arianisants reprochaient à la
formule nicéenne £x =%5 ouatas où Ila:c6; de faire de la génération
un acte forcé du Père, et qu’ils rapportaient au bon plaisir du Père
la production du Fils, comme celle des créatures (fouhñoa xai
Gers). Leur subtilité voulait tirer parti ds l’équivoque de la dis-
tinction : nécessaire ou libre, appliquée insidieusement à cette
matière (2). Saint Cyrille ne traite nulle part explicitement ce point.
(x) Nous ne voulons pas insister sur les passages cités supra, p. 206, n. 5, où
il est dit que le Père se trouve toujours Père du Monogène (ae TaTNp TOÙ
poyoyevous Tuyyävov), que le Fils est toujours engendré (£cT! 0: yewvrbets
et, viôv et yivyrbivræ) ; le sens formel de &zf y est dirigé contre l'opinion
qui placerait cette génération à un moment du temps et limiterait ainsi par
le commencement la paternité et la filiation.
(2) Il suffit de rappeler les développements et réfutations que consacre à
cette thèse arienne saint ATHANASE, Orat. contra Arian., III, 59-67 (PG,
XAVI, 445-465).
$. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 20
Tout autant que la formule nicéenne : Ex Ts ouotac, il omet complète-
ment la formule arienne Boudñoe xai Gexroe. Cependant par le fait
qu’il insiste sur le caractère naturel de la génération (cuow&s, euouu,
x27a va), il a tout le contenu de la thèse orthodoxe, qui rattache
l'origine du Fils à l’être même du Père et non pas seulement à son
bon plaisir ou vouloir (1).
Touchant l’origine du Fils, l'opposition est radicale entre l’ensei-
gnement des Ariens et celui des Nicéeris. Ce que nous avons constaté
jusqu'ici nous a montré, quant à ce point capital, chez saint Cyrille
de Jérusalem, une doctrine tout à fait orthodoxe, malgré l’omission
de la formule £x +%3 ouotas où Ilxrpés. Le Père, seul &yinros, cst
le principe du Fils pcvyevrs par une génération proprement dite,
totalement différente de la génération humaïne et impénétrable à
l'esprit de l’homme, exempte de toute altération et passibilité, abou-
tissant à une filiation qui n’est pas seulement métaphorique ou
adoptive, mais bien réelle. Des déclarations semblables à celles que
nous venons de rappeler pourraient aussi se rencontrer chez d’autres
personnages du parti antinicéen à ce moment (2). Mais il y a plus
encore chez saint Cyrille : il y a, dans les Catéchèses, l'affirmation
catégorique et explicite que la génération se fait quouxos, quoer, xara
ur, que le Fils est tel quo xai &An6s!x, qu'il est œouxns Yios ; il y
a l'affirmation explicite de l’éternité de cette génération. Ces affir-
mations formelles, nous ne les avons pas rencontrées antérieurement
dans le parti antinicéen, ni dans ses professions de foi, ni chez ses
représentants de nuance modérée comme Eusèbe d’Emèse. Et cela,
on en conviendra, rapproche intimement Cyrille de la doctrine
(1) Étant ce qu'il est, le Père ne peut pas ne pas engendrer le Fils; il ya
en cela, si l’on veut, une sorte de nécessité, dont on ne peut pas faire une
contrainte, une violence imposée au Père malgré ou contre sa volonté, car
ce qu’il fait en vertu de son être même, c’est-à-dire, engendrer le Fils, le
Père le veut pleinement et parfaitement en s'aimant et se voulant lui-même
tel qu’il est. Cyrille connaît bien, et applique à d’autres matières, l’oppo-
sition entre la nécessité de nature et la spontanéité ou le choix de libre
volonté (voir, par exemple, IV, 21 et VII, 13, dans KR, I, 112 et 222; M, 48x
et 620, la distinction et l’opposition entre xaT& qua, PTE, EX ŒUIEUS
[= érava vrss] et 2ATa FLOXIDEOUY, Ex TOOMPÈTEUS, auretouciuws). Si,
comme nous l’avons constaté, il s’abstient complètement de rapporter
l'origine du Fils à la volonté du Père (Bouarou 2 dezrse), les circon-
stances autorisent à conclure de ce silence prudent qu’il ne partage pas
l'opinion des Antinicéens en ce point. Malgré le caractère populaire de ses
instructions, il aurait bien fait mention de cette doctrine et de cette formule
si elles avaient répondu à son sentiment.
(2) Nous visons Acace de Césarée, à ce moment, et Eusèbe d'Emèse, dont
ce n’est pas ici le lieu de retracer la doctrine.
210 J. LEBON.
exprimée par la formule nicéenne ëx +%5 oaias rod [larpss. Disons-le
clairement : c’est la même doctrine de part et d'autre. Ce jugement
se confirme par le fait que Cyrille, à l'encontre des Ariens et ariani-
sants de l'époque, ne subordonne l'existence du Fils ni à la volonté
du Père, ni aux nécessités de la création, maïs proclame qu'il est
engendré œuowws et &ï)iws par le Père. (A suivre.)
Louvain. J. LEBON.
Fe + En Ge GE NE
nn. ie EN tr. APE AE
LA PRIÈRE DITÉ DE CHARLEMAGNE
ET LES PIÈCES APOCRYPHES APPARENTÉES.
Il y a des siècles que la soi-disant prière de Charlemagne circule
dans l’Europe entière, et il est probable qu'elle continuera de jouir
longtemps encore, parmi les simples, d’une faveur tout à fait
imméritée. Le pape Léon III aurait envoyé cette merveilleuse for-
mule à Charlemagne afin que celui-ci s’en servit comme d’un porte-
bonheur dans les batailles. Une protection infaillible contre les
risques de guerre et les accidents du temps de paix est assurée à
quiconque la récitera fidèlement, ou bien l'entendra réciter, ou
même la portera sur soi. Ainsi s'explique la singulière popularité
dont cette oraison a joui particulièrement dans les temps de grandes
calamités publiques, aux jours de troubles politiques et en temps
de guerre. |
Les copies de cette prière ou de pièces apparentées ont été trou-
vées sur les soldats dans la plupart des guerres du xix° siècle, et
celle de 1914-1918 a procuré un renouveau de vogue à cette littérature
pseudo-religieuse, ainsi qu'ont pu le constater beaucoup d’aumi-
niers militaires et de soldats. Un conservateur du département des
manuscrits du British Museum nous a montré une importante
collection de telles pièces, recueillies sur divers fronts, qui lui a été
confiée par un jésuite bien connu de Londres.
Ilest plus considérable qu’on ne le croit communément, le nombre
des simples qui s’attachent à ce genre de prières, séduits qu'ils sont
par leur caractère mystérieux, par les formules orthodoxes dont
elles sont souvent farcies et surtout par les promesses d'efficacité
suveraine qu’elles renferment. Certains apocryphes, par exemple la
Lettre du Christ à Abgar et la Lettre sur l'observation du dimanche,
ont été soigneusement étudiés par les érudits. Par contre, la prière
de Charlemagne et plusieurs autres pièces que nous aurons à en
rapprocher, tout aussi répandues que les précédentes, n’ont pas
encore été soumises, à notre connaissance, à un examen sérieux
basé sur une large documentation ni envisagées du point de vue
historique. Au surplus, bon nombre de gens d’Église semblent
ignorer l'existence ou l’importance de ces étranges productions
auxquelles beaucoup de personnes mal éclairées continuent, de très
bonne foi, d'accorder leur confiance, au détriment de la saine piété,
212 L. GOUGAUD, O. S. B.
Certes, ce n’est pas chose aisée que d'éliminer ces herbes folles du
champ de la religion. Du moins faudrait-il que ceux à qui ce soin
incombe se gardassent de croire qu’il s’agit la d’un foisonnement
éphémère et de peu d'importance. Aurait-il pour unique résultat de
montrer par quelles fortes racines cette végétation s’insère dans le
sol des superstitions populaires, le présent travail, croyons-nous,
ne serait pas inutile.
Avant d'aborder l’étude historique de la prière de Charlemagne, il
convient d'indiquer et de caractériser les documents apocryphes que
nous aurons à en rapprocher le plus souvent et qu’on peut répartir
en cinq catégories :
4° La lettre du Christ à Abgar;
20 La lettre du Christ sur l’observation du dimanche ;
3° Les lettres-amulettes tombées du ciel ;
4 La mesure du corps du Christ ;
° La mesure de la plaie du côté du Sauveur.
I. — La LETTRE DU CHRIST À ABGAR.
D'après une tradition déjà connue de l'historien Eusèbe de
Césarée, mort vers l’an 338 (1), Abgar, toparque d’Edesse, ayant
écrit à Jésus pour implorer son secours dans une grave maladie,
aurait reçu du Sauveur une réponse qui fut considérée comme un
document authentique et que certaines gens, aujourd’hui encore,
tiennent pour tel (2), malgré la condamnation portée par le décret
pseudo-Gélasien De recipiendis et non recipiendis hbris, au vi siè-
cle (5), et par les Libri carolini à l'époque carolingienne (4).
Les littératures syriaque, arménienne, grecque, latine, arabe,
persane, d'autres encore, ont enregistré la légende d'Abgar (5).
Chose plus curieuse, on trouve la lettre en question insérée dans deux
recueils d’hymnes qui furent en usage en frlande au xi° siècle (6),
ce qui fait supposer qu'elle aurait été usitée, même dans la liturgie,
supposition que corrobore une mention du même apocryphe dans
(1) EusÈse, Hist. eccl., I, 13 (P. G., XX, 131); éd. Moumsex. Leipzig,
1903, II, p. 88.
(2) Voir, par exemple, FRANÇoIs TALON, Histoire merveilleuse du vraï
portrait traditionnel de Jésus-Christ donné par N.-S. lui-méme à Abgar, roi
d’Edesse. Chambéry, 1922, p. 185.
(3) Micne, P. L., LIX, 164.
(4) Libri carolini, IV, 10 (P. L., XCVIII, 1202-1203).
(5) Voir Dom H. LECLERCQ, Aégar (La légende d'), dans le Dict. d’'arch.
chrèt. et de liturgie, I, 1, col. 87-97.
(6) Zrish liber Hymnorum, éd. J. H. BERxARD ct R. ATKkINSON. Londres
(H. Bradshaw Soc.), 1898, [, p. 94.
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 313
un fragment d'office conservé dans un psautier de la bibliothèque
universitaire de Bâle (Ms. A. xu. 3), qui date probablement du
x* siècle (4).
On a trouvé la lettre à Abgar inscrite sur des linteaux de portes
et affichée à l’intérieur des maisons pour écarter des foyers toute
influence funeste (2). A la fin du xix° siècle, on en signalait l’emploi
superstitieux jusque dans l'Inde.
Dans un manuscrit du British Museum (Ms. Roy. 2. A. xx, fol. 13),
écrit en Angleterre au var siècle, on lit l’addition suivante à la suite
du texte de la lettre :
Siue in domu tua siue in ciuitate tua siue in omni loco nemo
inimicorum tuorum dominabitur et insidias diabuli ne timeas et
carmina inimicorum tuorum distruuntur. Et omnes inimici tui
expellentur à te siue a grandine siue a tonitrua non noceberis et
ab omni periculo liberaueris. Siue in mare siue in terra siue in
die siue in nocte siue in locis obscuris si quis hanc epistolam
secum habuerit securus ambulet in pace. Amen (3).
II, — LETTRE DU DIMANCHE.
Cette lettre soi-disant tombée du ciel passait aussi pour avoir été
écrite par le Christ. En termes menaçants, on y ordonne principale-
ment la suspension de tout travail le dimanche et la religieuse
observance de ce jour, mais aussi l'observation des lois ecclésias-
tiques concernant le jeûne, les dimes et les oblations (4). Des textes
(1) Zrish liber Hymn., 1, p. xxvu1; H. J. LawLor, Chapters on the Book of
Mulling. Édimbourg, 1897, p. 165.
(2) R. HBBERDEY, Vorläufiger Bericht über die Ausgrabungen in Ephesus
(Jahreshefte des üsterreichischen archäolog. Institut, Beïblatt, 1II, 1900, col. 83-
96); Communication de M. E. MicHon au Bulletin de la société des Antiquaires
de France, 1901, p. 190.
(G3) Zrish liber Hymn., 1, p. 94; Sir GeoRGE F. WARNER et J. P. GILsoN,
Catalogue of Western Manuscripts in the old Royal and King's collections.
Londres, 1921, I, p. 33-34.
(4) Sur l’Epitre du dimanche, consulter spécialement H. DELEHAYE, Note
sur la légende de la lettre du Christ tombée du ciel (Bulletin de l’Acad roy. de
Belgique ; Classe des lettres, 1899, p. 171-213); E. Renoir, Christ (Lettre du)
tombée du ciel (Dict. d'arch. chrét, et de litt., IT, 1, col. 1534-1546); [R. L. Besr|,
Bibliography of Irish philolozy and of printed Irish literature. Dublin, 1913,
p. 81; R. PRIEBSCH, Quelle und Abfassungszeit der Sonntagsepistel in der
irischen « Câin Domnaig » (Modern language review, Il, 1907, p. 138-154); du
mème, Diu vrôve Botschaft ze der Christenheit (Grazer Studien qur deutschen
Philol sgie). Graz, 1895 ; du même, John Audelays poem on the observance of
Sunday and its sources (An English miscellany presented to Dr Furnivall in
honour of his 77th Birthday). Oxford, 1901, p. 397-107.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe X4
214 L. GOUGAUD, 0. $. B.
copiés ou imprimés dans les derniers siècles portent, en oùtre, la
prescription suivante : « Vous jeünerez cinq vendredis en l’honneur
des cinq plaies que j'ai souffertes pour vous sauver sur l'arbre de
la croix (4). »
Cette lettre a également eu une très grande diffusion. Elle a été
copiée et recopiée en tout pays, depuis l’Éthiopie jusqu’en Islande.
On en possède de nombreuses recensions que M. Kühler a réparties
en trois familles (2). « Connue dès la fin du vi° siècle, peut-être même
auparavant, dit M. E. Renoir, elle circule encure de nos jours, elle
s'édite, elle est tenue pour authentique et vénérable dans certains
milieux slaves ou orientaux, plus soucieux de merveilleux que
d'esprit critique. Nous en possédons des versions daos les princi-
pales langucs de l’Europe et de l'Orient (3). »
Saint Bohiface, l’apôtre de la Germanie, ayant porté plainte auprès
du pape Zacharie contre un évèque imposteur du nom d’Adelbert
(ou Aldebert), qui abusait les populations au moyen d’une lettre qu'il
disait être de la main du Christ, cet écrit fut condamné par le concile
de Latran de 745 (4). Mais cette condamnation ne mit pas fin à
limposture, car Charlemagne se vit obligé de condamner de nouveau
l’apocryphe, à la date du 23 mars 789, en des termes énergiques
qui ont pour nous un intérèl tout spécial :
Item et pseudografia et dubiae narrationes vel quae omnino
contra fidem catholicam sunt et epistola pessima et falsissima,
quam transacto anno dicebant aliqui errantes et in errorem alios
mittentes quod de caelo cecidisset, nec credantur nec legantur
sed comburentur, ne in errorem per talia scripta populus mitta-
tur. Sed soli canouici libri et catholici tractatus et sanctorum
auctorum dicta legantur et tradantur (5).
Le nom du destinataire (ou de l'inventeur) de la lettre varie
suivant les recensions ; on nomme Pierre, évêque de Nimes, Pierre,
(x) Voir Le trépassement de la Vierge Marie. Troyes, Garnier, s. d. [appro-
bation du 25 février 1676}, p. 55, livret obligeamment mis à ma disposition
par M. LousserG, du consulat de Belgique à Cologne. Cir J.'T. FowLer,
Extracts from a parish account-book [texte du xvnies.](T'he Antiquary, XXXIX,
1903, p. 38).
(2) W. KGHLER, Himmels- und Teufelsbrief (Religion in Geschichte und
Gegenwart de GUNKEL et SCHEEL. Tubinguc, 1910, IL, col. 31-33). Cfr Le
médecin des pauvres (Verdun, 1824), reproduit par La Tradition, IL, 1888,
p. 207-208.
(3) Art. cité, col. 1534.
(4) JAFFÉ, Bibl. rer. Germanic., III, p. 142-143.
(5) Admonitio generalis : Capitularia, 78, éd. BorerTivs, M. G., I, p. 60.
LA PRIÈRE DÎTE DE CHARLEMAGNE. 915
évêque de Gaza, saint Pierre « in civilate Cassiana », ou bien un
évèque d’Antioche (4).
H. Günther cite un certain nombre de prières (le Trisagion du
Vendredi-Saint, le Salve regina, etc.), d’écrits ou d'objets de piété
(la Règle de S. Augustin pour les Prémontrés, l’habit des mèmes
religieux, etc.) que l’on a cru être tombés du ciel (2). Nous verrons
que la croyance à l’origine céleste d’un nombre considérable d’apo-
cryphes fut extrémement répandue et qu’elle est encore très vivace.
La lettre du dimanche a été également employée comme amulette
ou porte-bonheur, témoin, entre autres, ces lignes qui l’accom-
pagnent dans un livret de prières moderne :
Ceux qui la garderont soigneusement avec dévotion dans leurs
maisons, jamais l'esprit malin, ni feu, ni foudre, ni tempête ne
pourront leur faire tort, et seront préservés de tout malheur.
Toute femme en travail d'enfant sera délivrée en la mettant
sur elle (3).
II. — LETTRES-AMULETTES TOMBÉES DU CIEL.
À la différence des pièces dont il vient d’être question et de celles
que nous étudierons plus loin, qui sont écrites tantôt en latin tantôt
en langues vulgaires, celles de cette catégorie, d’origine plus
récente, ne se présentent guère qu'en langues vulgaires.
Une épiître écrite en lettres d’ur, racontent les légendes, a d’abord
plané quelque temps au-dessus du bénitier (ou des fonts baptismaux)
d'une église, généralement dans le Holstein, et il a été impossible
de s’en emparer pour la copier. Chaque fois que la main s'appro-
chait pour la saisir, la lettre mystérieuse fuyait, Enfin, une personne
privilégiée ayant réussi à la capter, on en prit copie, et, à partir
de ce jour, l’épiître se répandit partout, tant sont PR les vertus
qu'on lui attribue.
Une telle lettre est « plus précieuse que l'or » (4). icones la
(1) E. Renoir, art. cité, col. 1540; PRIEBSCH, John Audelays Poem, p. 397;
Warner et GILsON, Catalogue, p. 264, 348.
(2) Heinrich GUENTHER, Die christliche Legenden des Abendlandes (Reli-
g'onswissenschaftliche Bibliothek). Heidelberg, 1910, p. 91 s.
(3) Pratique de dévotion de N.-D. de Bon-Secours avec des prières de chaque
jour de la semaine. Épinal, chez Pellerin, s. d., ouvrage cité par CH. NisARD,
Histoire des livres populaires ou de la littérature de colportage depuis le
XVe siècle., 2e éd. Paris, 1864, IL, p. 44 s. — On voyait cette épitre affichée
dans les fermes de Devonshire dans la première moitié du xixe siècle (Notes
and Queries, 4e sér., IX, 1872, p. 476).
(4) F. Branxy, Himmelsbriefe (Archiv f. Religionswissenschaft, V, 1902
P. 153).
216 L. GOUGAUD, 0. S. B.
portera sur soi ou la fixera dans sa demeure sera à l’abri de tout
danger. Les hommes de guerre notamment qui s’en seront munis
pourront affronter l'ennemi sans auvune crainte, la lettre leur servira
de bouclier. De là la vogue extraordinaire de cette pièce parmi les
soldats. Sous des formes de rédaction diverses, elle a été utilisée
comme amulette de guerre au moins depuis le xvi° siècle. En 1866,
en 1870-1871 et dans la guerre dernière, des soldats protestants et
des soldats catholiques l'ont portée sur eux avec confiance (4).
Les lettres protectrices de cette catégorie ont été collectionnées et
étudiées particulièrement par les folkloristes de langue allemande,
qui en ont trouvé de nombreux exemplaires dans leur pays (2). De
tous les documents apocryphes que nous avons examinés, cette
catégorie est celle qui présente le moins d’analogie avec la prière de
Charlemagne.
IV. — LA MESURE Du corrs pu CHRIST.
Au moyen âge, beaucoup de gens croyaient connaitre la dimension
de la taille du Christ. Cette « mesure du corps du Christ » à laquelle
on attachait une singulière puissance de protection était représentée,
dans certains livrets de prières, sur de longues bandes, sur des
rouleaux de parchemin ou sur de simples feuilles volantes, au moyen
d’une ligne, d'une croix ou d’un dessin de forme variée dont on
(1) E. vox DogscnuErz, Charms and amulets (Christian), dans l’Encycl. of
Religion and Ethics d'HasrTinGs, III, p. 417; Dr WazTER H. VosT, Die
Schutzbriefe unserer Svuldaten (Mitteilungen der schlesischen Gesellschaft f.
Volkskunde, t, XIIT-XIV, formant la Festschrift zur Jahrhundertfeier der
Universität zu Breslau, 1911, p. 586).
(2) W. H. Voar, art. cité, p. 557-594; F. BRANKY, art. cité, p. 149-154;
Karz OLsrica, Ueber Waffensegen (Mitteilungen der schl. Gesellschaft f.
Volksk., II, 1897, p. 88-93); du mème, Deutsche Himmelsbriefe und russiscre
Heiligenamulette im Weltkriege (Mitt. d. schl. Gesellschaft [. V., XIX, 1917,
p. 140 5.); J. JorDAN, Himmelsbriefe (Arch. f. Religionswis., VI, 1903, p. 334-
336); FRANZ KonpziEeLLaA, Volkstümliliche Sitten und Bräuche im mittelhoch-
deutschen Volksepos ( Wort und Brauch, Heft VIII). Breslau, 1972, p. 159-160;
ALBERT BECKER, Gebetsparodien, ein Beitrag zur religiosen Volkskunde der
Vôlkerkrieges (Festschrift f, Eduard Hoffmannkrayer —= Schweïizerisches
Archiy. f Volkskunde, XX, 1916, p. 16-28) ; En. A. GESSsLER, Kriegsaberglaube
in alte Zeit (Schweizerisches Archi f. Volksk., XXI, 1917, p. 233-235); BARBIER
DE MONTAULT, Les mesures, poids, fac-similes et empreintes de dévotion, art.
d'abord publié dans la Revue de l'art chrétien, XX XII, 1881, p. 369-419, puis
recueilli dans les Œuvres. Paris, 1893. t. VIL, p. 406; Dr TricoT-RoYer, La
prière-amulette de Charles-Quint (Bulletin de la société francaise d’hist. de la
médecine, XVI, 1922, p. 284-292); CH. CaLiPpe, Prières efficaces et porte-
bonheur (Revue du clergé français, 1er févr. 1917, p. 241-253 et xer sept. 1917,
P: 462-463).
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 217
n'avait qu’à multiplier la longueur par un nombre indiqué pour
obtenir la dimension du corps du Christ. La multiplication donne
des résultats fort variables : 1"60, 4m74, 1"80, 1"90, etc.
C'est surtout au xv° siècle que se propagea « la vraie mesure du
Christ » avec les invocations et les prières qui y étaient attachées.
On s'en servait comme d’une amulette, usage qui a continué jusqu’à
nos jours (1). À quelle époque remonte cette singulière « dévotion » ?
On en a des attestations bien antérieures au xv° siècle. On peut
mème affirmer hardiment que la coutume de faire servié la mesure
du corps du Christ à des fins superstitieuses avait déjà des partisans,
dans notre Occident, au xw siècle, sinon au x°. On trouve, en effet,
dans un mapuscrit écrit à Winchester au x° ou au x1° siècle (British
Museum, Ms. Cott. Titus D. xxvi, fol. 3 r°) le texte suivant qu'il
semble impossible d'expliquer autrement que par la coutume susdite :
De mensiu (lisez : mensura) saluatoris. Haec tigura dedecies
multiplicata perficit mensuram domini nostri Ihesu XPi corporis
et est assumpta à ligno pretioso dominice fsic) (2).
Ce passage n’est pas une addition postérieure au reste du manu-
scrit, lequel ne présente pas un texte suivi, mais est un recueil de
pièces disparates. Toutefois, la figure à laquelle il est fait allusion
n'existe pas dans le manuscrit. Elle était probablement dessinée
dans le codex que le scribe avait sous les yeux et d’où il a tiré ces
lignes, mais il a négligé ou oublié de la reproduire. Aussitôt il
passe à un autre sujet, et nous parle des quatre espèces de bois
différents qui auraient été employés pour la fabrication de la croix
du Calvaire, point d’archéologie sacrée sur lequel on s’est plu à
disserter au moyen âge, mais qui ne nous intéresse pas présen-
tement.
Ce qui nous intéresse, c’est la croix-étalon sur laquelle aurait été
prise la mesure du corps du Sauveur. Celle-ci, nous disent la plupart
des légendes insérées dans nos textes, n’était pas de bois, mais d’or :
« Cette ligne [laquelle porte ces trois mots : JESUS : NASA-
RENVS : JVDEORVM] a été à l’origine mesurée à Constantinople
(x) En Styrie, la « Längenmass Christi » se vend encore dans les foires
(E. von DoBscHUETz, Christusbilder (GERHARDT et HARNACK, Texte und
(2) Consulter, sur ce texte, W. ne GRrAY Bircu, On two Anglo-Saxon
manuscripts in the British Museum (Transact. of the Roy. Soc. of Literature,
nouv, sér., XI, 1876, p. 8) et, du même, Liber Vitae, Register and martyrology
of New Minster and Hyde Abbey Winchester. Londres et Winchester
(Hampshire Record Soc.), 1892, p. 252.
218 L. GOUGAUD, 0. 8, B.
sur Ja Croix de N.S. J. C.; elle représente la seizième partie de
la taille du Sauveur ». (Pièce trouvée en Islande au xrx° siècle) (1).
« Dis ist die lunge unsers herren Jesu Christi, die der Konig
von Constantinopolim gab in dise wernt mitt eine gulden crütze ».
(Zurich, Ms. 101, fol. 106 r°. — xv° siècle) (2).
« Longueur de N. S. J. C. mesurée sur une croix d'or à Con-
stantinople ». (Placard imprimé vers 1490) (3).
« Haec linea bis sexties ducta mensuram dominici corporis
monstrat. Sumpta est autem de Constantinopoli ex aurea cruce
facta ad formam corporis Christi. » (Florence, Ms. Laur. Plut.
XXV, 3, fol. 15 v°. — xiv* siècle) (4).
« Linea a Constantinopoly ex aurea cruce sumpta, que si
sequieties fuerit ducta monstrat longitudinem corporis Christi. >
(Cambrai, Ms. 508, fol. 1. — xr1° siècle) (5).
Antoine de Noygorode, vers l’an 1200, parle de ladite croix-étalon
en or, qui existait à Sainte-Sophie :
Extra sanctuarium minus erecta est crux mensuralis quae
scilicet staturam Christi secundum carnem indicat (6).
Toutefois, d’autres documents veulent que la « vraie mesure » ait
été prise, ou trouvée, non pas à Constantinople, mais à Jérusalem, au
Saint-Sépulcre (7), lieu que nombre de textes, on le verra, indiquent
également comme celui de l'invention de la prière de Charlemagne.
(x) Cfr O. Davipsson, /sländische Zauberzeichen und Zauberbücher (Zeit-
schrift des Vereins für Volkskunde, XIII, 1903, p. 273).
(2) Cfr JWERNER, Segen (4lemannia, XVI, 1888, p. 235).
(3) Cfr Theologische Revne, VII, 1968, p. 223.
‘(4) Cfr G. Uzrezui, Le misure lineari medievali dell'efigie di Cristo. Firenze,
1899, p. 30; E. von DoBscHuETz, Christusbilder, loc. cit.
(5) F. DE MELy, Le Saint-Suaire de Turin est-il authentique ? Les représen-
tations du Christ à travers les âges. Paris, 1902, p. 78-79 et fig. 42.
(6) ANTonIuSs NovGoRoDENSsIs, Liber qui dicitur Peregrinus seu descriptio
sanctorum locorum cesareae civitatis, cité par le comte RIANT, Exuviae sacrae
Constantinopolitanae. Genève, 1877, II, p. 220. — Une marque tracée sur une
colonne de la Confession dans l’église de San Stefano de Bologne indique la
hauteur de taille du Christ. — D'après un texte irlandais du xrve/xve siècle
(Ms. Rawi. B. 512 de la Bodléienne, fol. 52 v°), la mesure du corps du Christ
aurait été prise par l’empereur Constantin (Cfr Kuno MEYER, Die Leibeslänge
Christi, dans la Zeitschrift für celtische Philologie, X, 1914-1915, p. 401-402).
(7) D'après des rouleaux en papier recueillis en Styrie cet en Souabe,
de même que d’après un placard imprimé à Cologne et trouvé à Horitz
(Bôhmerwald), la « mesure » aurait été trouvée à Jérusalem en l’année 1655.
Voir Max BarTeLs, Volks-Anthropometrie (Zeitschrift des Vereins [. Volksk.,
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 219
Quant aux prières jointes à la « Vraie mesure », elles varient
beaucoup. Voici une oraison qui s’imprimait dans la première moitié
da xvie siècle :
Oratio. Defende Domine Jesu XpPe super hanc tui gloriosissimi
corporis mensuram famulum tuum N. ut quotiens eadem super
ide corpus multiplicatamihi /sic) magnitudinem ipsius ostendat
totidem eiusdem tue magnitudinis protectione coserves. Per
Christum d. nostrum. Amen (l).
Les formules latines suivantes que nous retrouvrons ailleurs sont
a signaler :
49 L’acclamation des laudes : « Christus vincit, Christus regnat,
Christus imperat » (2), parfois transformée en : « Christus vincil,
Christus regnat, Christus me benedicat et custodiat ab omni malo
anime el corporis » (3).
20 Une phrase de l'Évangile de S. Luc (IV, 30) : « Jesus autem
transiens per medium illorum 1bat », dont font usage beaucoup de
charmes et de prières superstitieuses (4).
3° « Christus rex venit in pace, Deus homo factus est » (3).
4 L’énumération des noms de Dieu : Agios, Adonai, Tetragram-
mation, etc. (6).
Toutes ces formules sont entrecoupées de nombreuses croix (ff f).
Des prières plus ou moins longues en langue vulgaire sont très
fréquentes. Une note sur l'excellence de la dévotion à la mesure du
Christ est de rigueur. En voici un spécimen :
XII, 1903, p. 366); À. BIRLINGER, Aus Schiwvaben : Sagen, Legenden, Aber-
glauben, Sitten. Wiesbaden, 1874, I, p. 485; J. J. AMMANN, Volkssagen aus
dem Bühmerwal1i (Zeit. des V. f. Volksk., II, 1892, p. 168-169).
(1) Éditée par G. UzieLLi, L'orayione della misura di Christo (Archivio
storico italiano, 5c sér., XXVII, 1907, p. 340).
(2) BARBIER nE MONTAULT, Les mesures, etc. (Œuvres, VIL, p. 350). Cfr Du
Cane, éd. HENSCHEL-FAVRE, s. v. Laus, p. 46: R. MaxwELL-WooLLey,
Coronation Rîtes. Cambridge, 1915, p. 43.
(3) JWERNER, art. cité, p. 235. Cfr A. Franz, Die kirchlichen Benediktionen.
Fribourg-en-Br., 1909, p. 96. |
(4) Barster DE MONTAULT, loc. cit.
(5) BARBIER DE MONTAULT, loc. cit.
(6) JWERNER, loc. cit. — Sur les 15 ou les 72 noms de Dieu, consulter :
P. L. JacoB, Curiosités des sciences occultes. Paris, 1885, p. 71; PAUL MEYER,
Daurel et Beton. Paris, 1880, préf. p. c1; du même éditeur, Girart de Rous-
sillon. Paris, 1884, p. 84 note 1; Romania, XIV, p. 528; JoHANNES BoLTe,
Ueber die 72 Namen Gottis (Zeit. d. V. f. Volksk., XIII, 1903, p. 444-450) ;
Pau vox WiNTERFELD, Ein lateinischer Segen mit den Namen Christi (Même
revue, XIIL, 1903, p. 442-444) ; IvAN FRANKo, Kirkenslawische Apocrypha von
den 72 Namen Gottes (Même revue, XIV, 1904, p. 408-413).
Û
220 L. GOUGAUD, O0. S. B.
Qui aura dévotion de l’avoir ou porter sur s0y ne pourra mourir
de mort subite, ny par feu, ni par eau, ni par flesche, ny par
tempeste, ny par tonnerre, ny par venins, ny de mauvais esprits,
ny par faux jugemens, ny faux tesmoignages de meschans (1).
Les rubriques insistent beaucoup plus sur l’utilité d'afficher la
« mesure » dans les demeures, de la porter sur soi ou de la regarder
pour en tirer avantage que sur l'obligation de réciter les prières dont
il vient d’être question, le livret, le rouleau de parchemin ou le
u bref » opérant à la manière d’un charme magique.
Une question se pose : qu'est-ce qui a pu suggérer à des chrétiens
la pensée d'associer le corps sacré du Sauveur à une pratique aussi
manifestement déraisonnable et superstitieuse ? 11 ne parait pas
facile d'indiquer l’origine de cet abus; mais hasardons une byÿpo-
thèse. Les chapitres III et 1V de l’Épitre aux Éphésiens contiennent
certains versets d'apparence assez mystérieuse : « … ut possitis
comprehendere cum oimnibus sanctis quae sit latitudo et longttudo
et sublimitas et profondum » (III, 18); « unicuique nostrum data est
gratia secundum mensuram donationtis Christi n (IV, 7); «in men-
suram aelatis plenitudinis Christi » (IV, 13) (2). Ces lignes auraient,
peut-être, suggéré cette étrange application à quelque exégète
simpliste.
Un recueil manuscrit et trois rouleaux de parchemin également
manuscrits, qui ont circulé en Angleterre, présentent une singularité
de plus qui doit nous arréter un instant. Ces manuscrits sont les
suivants :
4° Oxford, Ms. Bodi. 177, fol. 61 v° (fin du xix° siècle) (3).
2° Rouleau de Thomas Hearne (xv° siècle) (4).
(1) Enchiridion Leonis papae (Lyon, 1601), cité par F.DE MéLy, Le Saint-
Suaire de Turin est-il authentique ? p. 78-79. La « Mesure du Christ » ne figure
pas dans l'édition de l'Enchiridion (Mayence, 1634) que j'ai consultée.
(2) Peut-étre le texte suivant extrait du Pélerinage de Laurent de Pasztho
au purgatoire de S. Patrice (xve siècle), édité par le P. DELEHAYE, mérite-t-il
d’être cité ici : « O venerabile, salutiferum crucis signum, semper diaboli
suggestionem devincens, cuius latitudo signat opera caritatis, longitudo
perseveranciam usque in finem, sublimitas supernam fidem ad quam cuncta
referunt, profunditas veram carnis mortificationem » (Analecta Bollandiana,
XXVII, 1908, p. 52).
(3) Ce texte a été étudié et publié par C. T. On10oNSs, À devotion to the Cross
written in the S. W. of I:ngland (Modern language review, XII, 1918,
p. 228 230).
(4) Etudié et publié dans les Reliquiae Hearnianae edited by Pnicip BLiss,
2° éd. Londres, 1869, I, p. 193-198, et par W. SPARROW-SIMPSON, On a magical
Roll preserved in the British Museum (Journal of the British archaeological
Association, XLVIII, 1892, p. 38-40).
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 221
3° Brit. Mus., Harl, Roll, T, 44 (xv° siècle) (4).
4 Brit. Mus., Harl. Roll, 43. A. 14 (xv° siècle) (2).
Le trait commun de ces pièces, c’est que les prières transcrites à
côté ou à la suite. de la mesure du Christ accordent au martyr saint
Cyrice (ou Cyr) de Tarse et de sainte Julitte, sa mère, un rôle prédomi-
nant dans la création et la diffusion de l'étrange dévotien. Ce serait,
en eflet, sur la demande de ces martyrs que la « mesure » aurait reçu
le pouvoir de conjurer les maux dont sont menacés les humains :
ffor seynt Cerice and seyat Juliett his mother desirid yise gra-
ciouse gyftis of God which he grauntid un to yem and yis is
registrid on Rome (3).
Aussi est-il juste que l’on recoure à l’intercession desdits martyrs
pour s’assurer les mérites de « la glorieuse longueur » du corps
du Christ :
Salve decus parvulorum,
Miles Regis angelorum,
O Cerice cum beata Julitta.
V. Christus + et Maria + nos salvet in hora mortis nostre. Amen.
R. Preciosa est in conspectu Dei + mors sanctorum eius.
Oratio. Deus qui gloriosis martyribus tuis Cerico et Julitte
tribuisti dira nephandi judicis tormenta superare tribue michi
[ Wilhelmo] famulo tuo humilitatem et virtutem gloriose longi-
tudinis tue et venerabilis crucis tue, preciosi corporis et sanguinis
tui, et per omoipotentias et virtutes tuas et per intercessionem
sanctorum tuorum concedas michi triumphum omaoium inimico-
rum meorum ut possim semper retinere constantiam per Christum
D. N. Amen (1).
S. Cyr et sa mère furent particulièrement honorés en Grande-
Bretagne et en Irlande, et cela dès le haut moyen âge. Leurs actes
ont été traduits en irlandais (5). S. Cyr, si l’on en croit une lecture
conjecturale du Rev. F. E. Warren, serait invoqué immédiatement
après S. Patrice dans un recueil de prières du vu/ix° siècle (6).
Des églises lui furent dédiées en Cornwall, dans le Devon et en
Galles (7). On a des hymnes galloises composées en l'honneur de
(1) Cfr W. SPARROW-SIMPSON, art. cité, p. 50 s.
(2) Cfr W. pe GRrav BircH, On two Anglo-Saxon Manuscripts, p. 8-10.
(3) Harl. Roll, 43. À. 14.
(4) Ms. Bodi. 177.
(5) Br. M., Ms. add, 30572, fol. go vo.
G) Br. M., Ms. Harl. 7553, fol. 7 vo (Edit. F. E. WaRREN, The Antiphonary-
of Bangor. Londres, H. Bradshaw Soc., 1895, p. 86).
(7) PF. E. WarRen, op cit., p.92.
222 L. GOUGAUD, 0. S, B.
S. Cyr et de sainte Julitte (1), et Giraud le Cambrien raconte que le
bâton en forme de croix de S. Cyrig, tout revêtu d’or et d’argent,
opérait des miracles à St Harmons, en Galles (2). Il se pourrait que
la dévotion à ce saint oriental ait passé la mer avec l’évèque S. Ger-
main, le prédécesseur de celui-ci, S. Amator, ayant introduit le culte
de S. Cyr à Auxerre (3). Mais rien dans les actes du martyr de Tarse
ni dans ceux de sa mère ne permet d’éntrevoir ce qui a pu leur valoir
le patronage de la dévotion à la mesure du Christ en Angleterre.
L’explication de ce phénomène serait, peut-être, à chercher, dans
la tradition qui attribuait à un autre S. Cyrice, honoré le 4 mai,
l'honneur d’avoir découvert la croix du Christ (4). « Cyriacus qui
crucem Christi invenit », lit-on dans une glose du martyrologe
d'Oengus (5).
Comme on a pu le remarquer, le rouleau harléien coté 45. A. 14
note, de plus, que les privilèges attachés à la dévotion prônée ont
été enregistrés à Rome. Le rouleau de la même collection coté
T 41 et le rouleau de Hearne sont encore plus explicites ; ils nous
apprennent que la dévotion en question a été enregistrée à Saint-Jean
de Latran (6). L'énumération des reliques et objets précieux réunis
au Sancta sanctorum du Latran, dont des listes circulaient dans la
chrétienté, n’a pu manquer d'impressionner vivement les gens du
moyen âge, qui ont été portés tout naturellement à ajouter à ce riche
trésor d’autres richesses encore et notamment la mesure de la taille
de Jésus (7).
Évidemment, le souci de la vérité historique importait peu à ceux
qui s’appliquaient à favoriser de pareilles pratiques. Ainsi les feuilles
imprimées en Allemagne dont il a été question plus haut, placent en
(1) Lives of Cambro-British Saints, éd. W. J. Rees. Liandovery, 1853,
P. 276-277, 609-611.
(2) « In hac eadem provincia de Warthrenniaun, in ecclesia videlicet
Sancti Germani, baculus qui Sancti Cyricii dicitur » (/tinerarium Kambriae,
1, x, éd. J. F. Dimocx. Londres (Rolls), 1868, p. 17-18).
(3) Voir Bozc., Acta Sanct., Jun. IV, 7.
(4) Voir les Actes apocryphes de ce S. Cyrice dans BozL., Acta Sanct.,
Mai, I, p. 450.
(5) Édit. Warrzey Srokes. Londres (H. Br. Soc.), 1906, p. 130.
(6) « For this is regestrid at Rome at John Latorancnsez » (Harl. Roll.
T. 11); « … as hyt ys regesteryd yn Rome at St John Laterens » (Rouleau de
Hearne).
(7) On ne trouve aucune mention de la « mesure » dans Le trésor du Sancta
Sanctorum par PHiz. LAUER (Fondat. Eugène Piot; Monuments et mémoires.
Paris, 1906, XV); mais CoLLiN DE PLANCY mentionne, à Saint-Jean de
Latran, «la mesure de la taille de Jésus : c’est une toise » (Dictionnaire des
reliques, IL, 70).
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 223
1655 et à Jérusalem l'invention de la « mesure », tout en attribuant
l'approbation de cette dévotion et les indulgences y attachées à la
générosité du pape Clément VIII, alors que le pape aussi bien que
l’anti-pape de ce nom régnèrent bien avant la date de la prétendue
invention de la soi-disant mesure.
V. — LA MESURE DE LA PLAIE DU CÔTÉ.
Le rouleau Harl. T 41, qui mesure 1"22 de long sur 9° de large,
contient, outre la mesure du corps du Christ représentée par une
croix en forme de Tau, le dessin des trois clous, qui ont 147°"7 de
longueur, diverses figures mystérieuses, et enfin la mesure de la
plaie du côté droit du Sauveur, laquelle est représentée par un
losange peint en rouge, long de 7°. Les textes sont écrits à l’encre
noire (maintenant brune), à l’encre rouge et à l’encre verte. Les
dessins et les hachures sont en rouge et en vert. Entre les clous et
autour de la plaie ruisselle le sang, figuré par des lignes rouges
sinueuses.
La blessure du côté, parfois seule, mais plus souvent accompagnée
des quatre autres plaies sacrées, a été reproduite à profusion au
xv*° siècle par l’art xylographique à ses débuts. Elle figure dans les
livres d'heures, sur des estampes, sur des feuilles ou images de piété
populaires. À la vérité, les artistes avaient commencé depuis long-
temps à montrer le Christ blessé au côté droit, mais la représentation
isolée de la « benoite Plaie du Christ », de la « mesure » de la divine
blessure a-t-elle existée antérieurement au xv° siècle, qui s’éprit si
passionnément de la dévotion aux cinq Plaies ? Cela est possible,
mais nous n’en avons, pour notre part, rencontré aucun exemple ({).
La « mesure » apparaît fréquemment, comme dans le rouleau
dont il vient d’être question, sous la forme d’un losange (2) ; mais
on la trouve aussi figurée par d’autres dessins schématiques : ellipse
ou lentille bi-connexe, encadrée ou non d’une couronne d’épines,
ou enfermée dans un losange (3). Quelquefois la blessure d’où
(1) Voir la plaie du côté d’une grandeur démesurée et en forme de losange
dessinée sur le corps du Christ, scène du Noli me tangere, peinture à la
détrempe sur bois, exécutée en Italie au x11e siècle, suivant SEROUX D'AGIN-
cotrT, Histoire de l’art par les monuments (peinture), V. Paris, 1823, pl. xctt.
(2) Bibl. de Lambeth à Londres, Ms. 545 (Livre d'heures du xve siècle).
Cfr W. SPaRROw-SIMPSON, On the measure of the wound of the side of the
Redeemer (Journal of the British archaeological Association, XXX, 1874, fig.
de la p. 359); Livre d'heures du xve siècle, décrit par BARBIER DE MONTAULT,
Œuvres, VI, p. 405.
(3) Heures Nostre Dame a l'usaige de Seez, suivies d'une Vie ma dame Saincte
Marguerite, imprimées à Rouen par Nicolas Mulot, vers 1595 (voir SPARROW-
224 L. GOUGAUD, 0. S. B.
s’échappent des gouttes de sang apparaît, béante, sur un cœur ;
quelquefois le cœur vulnéré est lui-même placé dans un losange ou
encadré d’une couronne d’épines (1). On a un exemple de cœur dans
lequel s'engage la pointe de la lance (2). Une estampe montre le
cœur avec la plaie porté par deux anges (3). On voit parfois, dans
les livres d'heures, les anges soutenant un calice, et le contour
elliptique de la coupe vue en perspective est censé figurer la mesure
de la plaie (4). Il arrive aussi que cette mesure soit indiquée, sur
les estampes du xv° siècle, par une simple découpure pratiquée
dans le papier (5).
Variables sont les dimensions de ladite mesure : 6, 9 ou 10°" de
long ; 3 ou 4 de large, etc. (6). |
Parfois les deux « mesures », celle de la plaie et celle du corps
du Christ se trouvent combinées, l'indice de la dernière étant une
croix dessinée dans la blessure ou placée sur un cœur vulnéré. La
légende indique par quel nombre il faut multiplier la longueur de
la croix pour obtenir la dimension de la taille de Jésus-Christ (7).
SIMPSON, On the measure, fig. p. 352) ; « Mesure » du xv® siècle avancé signalée
par BARBIER DE MoNTAULT, Œuvres, VII, p. 407; Le Trépassement de la
Vierge Marie, à Troyes, chez Garnier, s. d., p. 45 (plaie lenticulaire dans un
losange). Dans l'édition du Trépassement (Épinal, Pellerin, s. d.), citée par
Cu. NisARD (Hist. des livres populaires, 2e édit. Paris, 1864, IL, p. 6), la plaie
lenticulaire est entourée d’une couronne d'épines.
(1) W. L. SCHREIBER, Manuel de l'amateur de la gravure sur dois et sur
métaux au XVe siècle. Berlin, 1891-1893, II, no 1788 ; CAMPBELL DoDGson.
Catalogue of early) German and Flemish woodcuts preserved in the Dep. of
prints and drawings in the British Museum. Londres, 1903, I, p. 109; B.bE V.,
Une ancienne custode (Revue de l'art chrétien, XXXV, 1885, p. 219-223).
(2) BARBIER DE MONTAULT, Les mesures de dévotion (Revue de l'art chrétien,
XXXII, 1881, fig. en f. de p. 403).
(3) SCHREIRBER, Manuel, II, n° 1789; J. E. Wessezy, Die Kupferstich-
Sammlung der k. Museum in Berlin. Leipzig, 1875, n0 16; PAUL KRISTELLER,
Holzschnitte im k. Kupferstichkabinett zu Berlin, 2° sér. Berlin, 1915, pl. 50.
(4) Heures à l'usaige de Poitiers impr. par Simon Vostre en 1491, Heures à
l'usaige ds Romme impr. par le même en 1498 (BARBIER DE MONTAULT,
Œuvres, VII, p. 499-410).
(5) SCHREIBER, Manuel, Il, p. 213.
(6) « On y voit [sur le saint suaire de Turin] l’imprimure de tout son tres
sainct corpz.. especialement celle de la plaie du costé longue environ d’ung
bon demi piedt », au témoignage d'Antoine de Lalaing (1503) (H. THURSTON,
A propos du Saint Suaire de Turin, dans la Revue du clergé français, XXXII,
1902, p. 508).
(7) En multipliant la longucur de la croix par 20, on obtient la « rechten
leng des leychnams unsers herren Ihu Xpi » (SCHREIBER, Manuel, IL, n° 1789).
— En multipliant la longueur de la croix par 40, on obtient la « Lengsheitten
seiner menschait » (SCHREIBER, ÎI, n° 1795). — « La croix en la plaie mesure
49 foy en la longueur de J. C.» (BARBIER DE MONTAULT, Œuvres, VII, p. 412).
LA PRIÈRE DITE DE CHARLHMAGNE. 22h
Les légendes, ou rubriques, ont aussi la prétention de nous faire
connaître l’origine de la dévotion. Avec une concordance frappante,
elle nous apprennent que la mesure de la plaie fut envoyée de
Constantinople à Charlemagne dans un reliquaire d’or, afin qu'aucun
de ses ennemis ne lui püt nuire en bataille (1). Citons la légende de
l'Enchiridion Leonis papae, qui nous renseigne à la fois, comme le
font beaucoup d’autres textes de ce genre, sur la provenance de la
mesure, sur ses merveilleuses vertus et sur l'emploi qu'on en doit
faire :
Haec est mensura plagae quae erat in latere Christi, declarata
(lisez : delata) Constantinopoli ad imperatorem Carolum magnum
io quadam capsaula aurea ut reliquiae preciosissimae pec ullos
sic) hostis posset nocere ei. Ejus autem tanta est virtus ut nec
ignis, nec aqua, nec ventus, nec tempestas, nec diabolus possint
nocere ei qui vel ipse leget, vel legi jubebit vel secum ferret.
Praeterea mulier dolore partus non morietur quae (lisez : quo)
die eam viderit, sed subito et facile liberabitur. Deinde quicum-
que eam mensuram secum gerit de suis inimicis victoriam
reporta{bi]t neque injuriam aut detrimeutum patit /sic). Denique
60 die quo eam legerit improvisa morte non peribit (2).
La plupart du temps, la légende explicative n’est suivie d'aucune
indication de prière à réciter, détail qui, à lui seul, montrerait que
nous avons affaire à de véritables amulettes (3). Exceptionnellement,
on trouve, à la suite de la légende, sur le rouleau Harl. T 11, cinq
formules de bénédiction en latin, plus les noms du Christ dans la
mème langue. Un autre document nous donne des formules déjà
relevées ailleurs : Christus vincit, etc. — Jesus autem transiens, et
une oraison aux Rois Mages, qui figure également dans beaucoup
de charmes : |
Jaspar fert mirram, Melchior thus, Balthazar aurum. In honore
istorum trium magorum deffendat nos rex angelorum Ihesus (4).
La mesure de la plaie du côté aurait été dotée par le pape
Innocent VIII (1484-1492) d'une indulgence de sept années (5).
(1) Harl. Roll, T. 115 T'répassement de Notre-Dame, éd. de Troyes, p. 45;
Heures à l'usage de Poitiers impr. par Simon Vostre (1491) (cfr BARBIER DE
MoNTAULT, op. cit., P 405, 407, 409) : Heures à l'usage de Seez (v. 1595) (cfr
SPARROW-SIMPSON, On the measure, p. 357.)
(2) Enchiridion Leonis papae. Moguntiae, 1634, p. 120.
(3) Ou bien l'oraison est extrêmement brève. Voir Lady Wine, Ancient
cures, charms and usages of Ireland, Londres, 1890, p. 10-11.
(4) BARBIER DE MONTAULT, Œuvres, VII, p. 407.
(5) BarBigrR DE MONTAULT, op. cit., P. 410, 412; SCHREIBER, Manuel
I, nos 1788, 1789, 1705. |
226 L. GOUGAUD, 0. S. B.
Pour la gagner, il suffisait de regarder la feuille portant le dessin de
la « mesure », de l'afficher dans sa demeure, de la porter sur soi ou
de la baiser.
Les mesures des instruments de la Passion ont aussi été trans-
formées en amulettes par la crédulité populaire : Mesure de la
croix : « La croix Nostre Seigneur avoit quinze pieds de long et dix
de travers, qui sont quarante-six foys la mesure de ceste cy.. Et
fust ceste mesure apportée à (lises : de) Constantinoble d’une croix
d'or et fust par la main de l'ange Gabriel baillée à Charlemaigne
empereur, affin que l’ennemy ne luy peust nuyre en bataille » (1).
— Mesure de la lance dont fut percé le côté du Sauveur (2). —
Mesure des clous qui furent enfoncés dans ses mains et dans ses
pieds (3).
On croyait aussi connaître la hauteur de taille de certains per-
sonnages célèbres, celle de la Sainte-Vierge, par exemple, et de
divers saints (4). La « longueur de Saint Sixte » était honorée dans
certains lieux de pèlerinage (5).
D'autre part, bien connues sont les offrandes d’une longueur,
d’un poids ou d’un volume rituellement déterminés faites à tel
saint. Volontiers on promettait — on promet encore — un cierge ou
tel autre ex-voto de la longueur ou du poids d'une personne guérie
ou à guérir, ou de la longueur d’un membre malade, ou encore une
quantité de grain correspondant au poids du donateur (6).
(r) Livre d'heures du xvre siècle (BARBIER DE MONTAULT, op. cit., p. 350-351).
(2) CarL RICHSTAETTER, Die Herz-Jesu-Verehrung des deutschen Mittel-
alters. Paderborn, 1919, p. 103-104 et pl. 40 c
(3) « Hec est vera longitudinis forma claui Christi » (Harl. Roll, T x1).
Voir une gravure sur bois des environs de l’an 1500, avec un texte dans Île
dialecte de Hagenau-Maycence, chez P. Heïrz, Pestblätter des XV. Jahr-
hunderts. Strasbourg, 1901, pl, 1.
(4) Bibl. de Lambeth, à Londres, Ms. 306 (xve siècle), fol, 177 ro, passage
édité par TH. Wkicur et J. O. HarziweLz, Reliquiae antiquae. Londres,
1843, I, p. 200. Cfr H. Moses. Die länge heil, Personen (Zeitschrift f. üsterreich.
Volkskunde, IV, p. 152, 208).
(5) Max BARTELS, Volks-Anthropometrie (Zeit. d. V. f. Volkskunde, XII,
1903, p. 307).
(6) GRÉGOIRE DE Tours, De Virtutibus S. Martini, I, 11 (P. L., LXXI, 924;
M. G., Scr. rer. Merov., I. 595); Miracula S. Lutgeri, VII, 41 (BoLL.. Acta
Sanct., Mart. III, 659); Vita S. Samsonis, 1, 3, éd. R. FAWTIER. Paris, 1912,
p. 101-102. Cfr #bid., p. 37. — Voir F. Duixe, Questions d'hagiographie et Vie
de S. Samson. Paris, 1914, p. 66; Léor. DeLisLe, Notice sur une forme de
vœux usitée en Normandie au moyen âge (Mém. de la soc. académique de
Cherbourg, XIX, 1912, p. 111-120); BARBIER DE MONTAULT, Les mesures
(Œuvres, VII, p. 470 s.); D. Rock, The Church of our Fathers. Londres, 1903,
LI, p. 191-197; ALPH. De Cocx, Volksgeneeskunde in Vlaanderen. Gand, 1891,
LA PRIÈRE DÎTE DE CHARLEMAGNE. 22?
Dans son ouvrage De decem praecepts, le théologien Thomas
Ebendorfer de Haselbach (+ 1464) réprouve la coutume d'offrir une
verge de la taille de l'impétrant (virga quae orantis continet longitu-
dinem) (4). Nonobstant de semblables condamnations, ces applica-
tions superstitieuses de l’anthropométrie aux choses de la religion
se sont perpéluées jusqu’à nos jours. La prière de Charlemagne fut
de même condamnée par le chanoine régulier Jean Busch vers la
méme époque ; mais les condamnations des théologiens ont peu
d'effet sur la piété dévoyée ou mal éclairée des foules si le clergé
local reste inactif. C’est à lui qu’il appartient de sarcler sans relâche
la glèbe où s'implante et se multiplie si facilement la superstition.
VI. — LA PRIÈRE DE CHARLEMAGNE.
Jean Busch, l’auteur de la Chronique de Windesheim et du Liber
de refurmalione monasteriorum, se trouvait à Halle en 1451. A
l'occasion du jubilé, une femme vint se confesser à lui. Elle portait
au cou un petit sachet qui intrigua fort le confesseur. Lui ayant
demandé ce qu’il contenait, la brave femme répondit qu'elle y
gardait précieusement un billet de parchemin dont elle ne se séparaïit
jamais, car il l'avait déjà préservée d’une foule d'accidents. Busch
se fit montrer le billet, il y lut que le pape Léon avait promis à tous
ceux qui en seraient porteurs de « n'être jamais blessés par le fer,
jamais brülés par le feu, jamais surpris ni submergés par les eaux,
jamais exposés à aucun accident. Ils ne tomberaient jamais entre les
mains de leurs ennemis ; bref, ils seraient à l’abri de tout danger. »
Ces promesses étaient suivies de diverses formules : Christus vincit,
Christus regnat, elc.; noms des Apôtres, noms des Rois Mages, le
tout entrecoupé de beaucoup de croix. Le chanoine fit comprendre
à sa pénitente que cet assemblage de mots et de signes, qui passait
pour être doué d’une telle puissance de préservation, n’était ni
authentique, ni conforme à la vraie foi catholique. En conséquence
il prononcça cette sentence : « Illa que in ea [scedula] scripta sunt
contra Deum et fidem sunt catholicam et omnino non sunt vera in
scedula ista vobis promissa nec Leo papa donavit ista hanc defe-
p.125; AD. FRAxZ, op. cit., IL, p. 199 et 457-467; An. WuTTKkE, Der deutsche
Volksaberglaube der Gegenwart. Berlin, 1900, p. 506 ; EmiLe H. VAN HEURCK,
Les drapelets de pèlerinage en Belgique et dans les pays voisins. Anvers, 1922,
P. 263; du méme, Le contrepoisage et le rite des offrades substitutives et
potives (Bulletin de la soc. francaise d'histoire de la médecine, XVII, 1923,
P. 101-103).
(1) Cité par A. E. ScHôNBACH, Zeugnisse zur deutschen Volkskunde des
Mittelalters (Zeit. d. V. f. Volksk., XII, 1902, p 7).
228 L. GOUGAUD, 0.S.B. +
renti. » Et la femme dut livrer son billet, qui fut brülé incontinent (1).
Jean Busch ne dit pas si le non de Charlemagne figurait sur le
parchemin, mais la description détaillée qu’il donne du document
nous autorise à y voir une copie de l’apocryphe soi-disant adressé
par le pape Léon à ce monarque. Nous avons examiné une trentaine
de copies de cette pièce provenant de différentes régions de l’Europe.
Presque toutes portent qu’elle fut envoyée par le pape Léon à
Charlemagne. Deux d'entre elles cependant font mention d’autres
personnages. Un livret de prières non daté impimé chez Pellerin à
Épinal renferme une « bénédiction » que labbé Coloman aurait
adressée à son père .« le roi Tibéry » au moment où celui-ci se
disposait à partir en campagne. Il faut noter d'ailleurs que ce même
texte ajoute que la bénédiction en question fut « approuvée par le
pape Charles-Léon », qui l’envoya aussi à son frère (2). Un autre
livre de dévotion, Der wahre geistliche Schild, celui-ci imprimé à
Prague au xvn° siècle, nous permet de débrouiller l'énigme enve.
loppée dans le farrago d'Épinal. lei la bénédiction est adressée
par le pape Léon à son frère Charles et également par « le digne
abbé Colomanus à son père le roi d’Ybérie — dem Künig von Ybe-
rien fsic) » (5). Du rapprochement de ces deux textes on peut d’abord
conclure que le Coloman en question n’est autre que le saint irlandais
de ce nom dont la popularité s’est perpétuée jusqu’à nos jours dans
diverses régions de l’Europe centrale (4). On peut conclure, en
outre, que « le roi Tibéry » du texte français est une cacographie
pour « roi d'Hibernie », c’est-à-dire d'Irlande. Quant à l'introduction
de Coloinan dans cette affaire, elle doit s'expliquer tout simplement
par la confusion du nom latin de ce saint (Colomanus) avec le nom
latin de Charlemagne (Carolus magnus).
Notons que la composition de la prière — ou de la « lettre »,
comme l’appellent plusieurs de nos textes, — n’est pas attribuée au
pape Léon. On nous présente simplement ce pape comme l'expéditeur
du document. D’après un texte du xur° siècle, sur lequel nous aurons
(1) J. Busca, Liber de reformatione monasteriorum, IL, 9, 6d. KarL GRUBE
(Geschichtsquellen der Provinz Sachsen, XIX). Halle, 1886, p. 699-700.
(2) Pratique de dévotion de N.-D. de Bon-Secours, etc. (Épinal, Pellerin,
s. d.), cité par CH. NisaRD, op. cit., 2° 6d., II, p. 44.
(3) Der wahre geisiliche Schild. Prague, 1647. Cfr Frep, Losc, Deutsche
Segen, Heil- un1 Bannsprüche (W'ürttembergische Jahrbücher fur Statistik und
Landeskunde, 1890). Stuttgart, 1891, Il, p. 244 s.;5 K. MUELLENHOFF et
W. SCHERER, Denkmäler deutscher Poesie und dem VIII.-XI, Jahrhundert.
Berlin, 1892, IL, p. 299.
(4) Voir mes Gaelic pioneers of Christianity. Dublin, 1923, p. 123-124,
143-145.
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 390
a revenir, l’auteur en serait saint Silvestre (1). Un autre, celui-ci du
xre siècle, dénomme la pièce £pistola sancti Salvatoris (2), et un
troisième, du xvi° siècle, veut que la lettre ait été expédiée du ciel
par le pape Léon au roi Charles (Das ist der brief, den bapst Leo
kunig Karolo von Himel sant) (3), tandis qu'ailleurs on prétend que
c'est Dieu lui-même qui l’envoya par un ange à Léon, afin que
celui-ci la transmit à Charles (4).
Le lieu où la lettre aurait été trouvée, c’est d’après le plus grand
nombre des témoignages, le Saint-Sépulcre (5). Quant à la date de
(1) La chanson du Chevalier au cygne, vers 4888 et suiv., éd. C. HIPPEAU,
Paris, 1874, 1, p. 179,
(2) « Hec est epistola Sancti Salvatoris quam Leo papa transmisit Karolo
regi » (Cathédr. de Lincoln, Ms. A. 1, 17, édité par C. HoRsTMAN, Yorkshire
writers, Richard Rolle of Hampole and his followers. Londres, 1896, I, p. 376).
Voir The Espitle of St Sauior, éditée par REGINALD ScoT, T'he discoverie of
Witchcraft, a reprint of the rs! edit. published in 1584. Londres, 1886, p. 187.
(3) Pièce conservée dans les archives de la famille von Stockalper, de
Brigue (Suisse) et publiée dans le Schweizerisches Archi für Volkskunde,
IV, 1909, p. 340.
(4) « Holie writing that was brought downe from heauen by an angell to
S. Leo pope of Rome and he bid him take it to king Charles, when he went
to the battel and Ronceuall » (Texte anglais du xvie siècle, édité par Reci-
NALD SCOT, op. cit., p. 187). — « Kragtig Gebedt van ’t H. Kruys onzes Heere
Jezus Kristus gebragt uyt den Hemel aan den Paus Leo van den Engel Godts
‘t welk hy daarna gezonden heeîft aan den Koning Karel als hy ten stryde
cou gaan » (Texte flamand du xvarie-xixe siècle, cité par E. H. VAN HEURCK
et G. J. BOEKENOOGEN, Histoire de l'imagerie populaire flamande. Bruxelles,
1910, p. 75).
(5) Texte flamand (xvarie s.): éd. DE Cocx, Volksgeneeskunde in Vlaanderen,
p.111; E. H. van HEeurcx et G. J. BOEKENOOGEN, loc. cit. ; TRICOT-ROYER,
art. cité, p. 284. — Texte allemand : Vocr, Die Schutzbriefe, p. 616. — Autre
texte allemand (xixe s.) : éd. L. STRACKERJAN, Aberglauben und Sagen aus
dem Herzogtum Oldenburg. Oldenbourg, 1867, p. 59. — Texte anglais : éd.
T. O'DonErTY, À scandalous imposture, dans l'Irish ÆEcclesiastical Record,
se sér., XII, 1918, p. 421-422. — Autre texte anglais : H. THurSroN, Omens,
dreams and such-like fooleries, dans le Month de déc. 1914, p. 632. — Texte
français moderne : éd. CH. CaLirre, Prières efficaces et porte-bonheur (Revue
du clergé français, LXXXIX, 1917, p. 248). — La prière Anima Christi et
l'Ave verum Corpus natum auraient été également trouvés dans le sépulcre de
N.S. J. C. à Jérusalem (J. B. Thiers, Traité des superstitions, IV. Paris,
1704, p. 55). — D’autres prières passaient pour avoir été trouvées «sur le
sépulcre de N.-Dame en la vallée de Josaphat » : « O glurieuse Vierge Marie,
Mère de Dieu, dame des anges (Trépassement de N.-D., p. 47), « Jésus en croix,
fils de Dieu le Père omnipotent » (Heures de Notre-Dame à l'usage de Soissons.
Paris, 1598, citées par J. B. Tiers, op. cit., IV, p. 93 et du même, De la plus
solide, la plus nécessaire et souvent la plus négligeée de toutes les dérotions.
Paris, 1702, p. 729).
REVUE D'HISTOIRE RCCLÉSIASTIQUE, XXe 15
—
230 ° L, GOUGAUD, 0.S. Be
l'invention, elle varie considérablement d’une version à l’autre : 303,
783, 803, 1303, 1505 (1), variations qui sont dues aux manipulations
infinies dont ces textes ont été l’objet au cours des siècles.
A un moment donné de son histoire apocryphe — après sa
réception par Charlemagne, semble-t-il, — la pièce aurait été déposée
« à Saint-Michel en France » (lisez : au Mont-Saint-Michel), où on pou-
vait la voir « admirablement gravée (ou imprimée) en lettres d'or » (2).
Comme on l’aura remarqué, un bon nombre de particularités
observées dans les apocryphes passés en revue précédemment se
retrouvent dans celui-ci. Des formules latines déjà connues entrent
dans la composition de la lettre-bénédiction du pape Léon. Citons
les suivantes :
4° Jesus autem transiens per medium 1llorum bat (3).
2° Les noms de Dieu (4).
5” Les noms des rois Mages (5).
4’ Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat (6) ou bien :
+ Christus vioit + Christus imperat Christus regnat + Christus me
{[Gallum] benedicut et defendat. Amen (;), furmule très voisine de
celle qui accompagne la mesure du corps du Christ déjà signalée
dans un manuscrit de Zurich (N° 404 ; xv° siècle), lequel contient
également la prière de Charlemagne.
Mais il s'en trouve encore d’autres qui n’ont pas été signalées
dans les dévotions précédentes :
4° Les noms des Apôtres (8).
2 Les noms des Évangélistes (9).
5° L’oraison des sept dernières paroles de Jésus en Croix, que l'on
trouve attribuée au Vénérable Bède dans un grand nombre d'anciens
(1) Les plus tardives de ces dates ont induit bien des gens(voir le Dr TricorT
RoYEr, loc cit.) à croire que l’empereur Charles mentionné dans ces textes
était Charles-Quint, monarque dont la légende est encore si populaire dans
les Flandres.
(2) J. STRACKERJAN, loc. cit.; Vocr, loc. cit.; HEUKRCK et BOoEKENOOGEN,
loc. cit. ; CALIPPE, loc. cit. — Variantes : « Quand il [Charlemagne] partit à
l'armée pour combattre les ennemis envoyés à Saint-Michel en France. »
(CaLiPreE, art, cité, p. 145, n. 3); « Dicser Bricf war geschrieben auf das Bild
des f:rzengels Michaelis bei unseren Papst Leo.» (Vocr, art. cité, p. 615).
‘ D'après un autre texte allemand, la lettre aurait été conservée «in der
Michaeliskirche zu St Germain » (K. OLBsricH, Ueber Waffensegen, p. 92).
(3) JWERNER, art. cité, p. 234 ; F. LoscH, art. cité, p. 244.
(4) JWERKNER, loc. cit.; REG. Scor, loc. cit.
(5) JWERKER, loc. cit. ; JEAN BUSCH, loc. cit.
(6) J. Buscu, loc. cit. ; F. LoscH, loc. cit.
(7) JWERNER, loc. cit.
(8) J. Buscu, loc. cit.
(y) JWERKNER, loc. cit. L
Le]
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE, 231
recueils (1). L’Enchiridion Leonis papae la donne comme particu-
liérement efficace en cas de naufrage.
4 L'oraison Prapitius esto mihi peccalori, attribuée sans fonde-
ment à S. Augustin, et qu’on donne comme protégeant infailliblement
quiconque la récite, l’entend réciter ou la porte sur soi (2).
5° Une série d’invocations à la Croix, dont le nombre et la forme
varient beaucoup suivant les recensions. Elles commencent souvent
par ces mots :
a) Crux Christi est arma invincibilis (5) ;
b) Crux Christi sit semper apud me N. (4);
c) Bént Seigneur Jésus, vous êtes mort au gibet de la croix (5).
Les invocations à la Croix sont, de toutes les formules citées,
celles qui figurent le plus fréquemment dans la composition ou à la
suite de la prière de Charlemagne.
C'est au moment où il entreprenait une de ses campagnes que
Charles reçut ce précieux talisman, qui devait lui procurer l'invul-
nérabilité dans les combats (6). La campagne durant laquelle il s’en
servit pour la première fois serait, d'après certains textes, celle de
Roncevaux (7). 11 l’aurait fait graver en lettres d'or sur son bou-
clier (8). Quiconque récitera la même oraison, ou l'entendra réciter,
ou la portera sur soi, ou l’affichera dans sa demeure, jouira de la même
(1) JWERNER, loc. cit. ; Schweigerisches Archiy f. Volkskunde, IV, 1909,
p. 340. — Cfr Oratio de septem verbis Christi in Cruce (P. L., XCIV, 561-562);
Br. Mus. Ms. add. 37787, fol. 60; Enchiridion Leonis D Apae. p.130; Liber
precum in quo variae et multae egregiae preces.. continentur (Lutitiae, 1858,
p. 468).
(2) « Nota sequentem orationem fquam] dicebat Carolus magnus dum
debebat intrare bellum et victoriam habuit de inimicis, et quicumque dixerit
eam toti die cum devotione nullum malum inveniet, etc.» Suit la prière
Deus propitius esto mihi peccatori (Ms. 73 de Carpentras, livre d'heures du
xive siècle). Cfr Nicozas SALICET, Antidotarius animae (1494), fol. XxXxvI1;
Enchiridion Leonis papae, p. 150.
(3) Horrsuan, op. cit., L, p. 326; Rec. Scor, op. cit., p. 187. Cfr CALIPPE,
art. Cité, p. 249.
(4) Fr. LoscH, art. cité, p. 244.
(5) T. O’DoxerrTy, loc. cit. ; TRICOT-ROYER, loc. cit. Voir encore SCHOEN-
BACH, Zum Tobiassegen (Zeitschrift fur deutsche Altertum, XXIV, 1880, p. 187);
Jwerxer, loc. cit.; VoGr, art. cité, p.616, 617 ; Erchiridion Leonis papae, p. 79.
(6) Chanson du Chevalier au cygne, loc. cit. ; Ms. 73 de Carpentras déjà cité.
Voir aussi beaucoup d’autres textes cités. — Suivant une version anglaise
moderne, c’est en l'an 808 que Charlemagne aurait reçu la merveilleuse
iettre de Léon (H. THURSTON, art. cité, p. 632).
(7) ReGiwazD Scor, Discoverie, p. 187; DaAvipsson, Isländische Zauber«
ieichen, p. 164-166.
(8) OzsricH, loc. cit. ; Vocr, toc, cit.
232 L, GOUGAUD, 0. S. H.
protection. Il sera à l'abri des coups de ses ennemis, de la foudre,
des maléfices diaboliques, et ne risquera pas de périr de mort
violente (1). Si la mer est agilée par la teinpète, la lettre de Charle-
magne pourra la calmer (2). Aux environs de Bruxelles, on attribuait
encore une autre propriété au même texte, au début du xx° siècle.
« Le conscrit qui lira quotidiennement cette prière pendant les huit
jours qui précèdent le tirage au sort et la liera au bras avec lequel
il tirera son billet de l’urne, est assuré de tirer un bon numéro » (5).
Mais, pour que tous ces heureux résultats se produisent, il faut avoir
foi en l’authenticité de la promesse et en sa singulière puissance.
Cette promesse, ne craignent pas d'affirmer ces grimoires, « est
aussi vraie que l'Évangile » (4).
Est-il besoin de le dire, c’est en vain qu’on chercherait dans les
textes de l’époque carolingienne un témoignage quelconque en
faveur de l'authenticité de ce document. I! est inadmissible qu'un
pape en ait été l'expéditeur, et il est inconcevable que Charlemagne
l'ait utilisé, comme on le prétend, lui qui, toujours soucieux d’ortho-
doxie, u’hésita pas à condamner formellement, en 789, la fameuse
Lettre du dimanche et d’autres apocryphes du mème genre comme
(1) Voir les textes déjà cités et spécialement STRACKERJAN, Op. cit. — La
coutume de porter sur soi des textes scripturaires, notamment l’évangile de
S. Jean, cest très anc'enne parmi les chrétiens. Voir par exemple : S. JEAN
CHRYSOSTOME, Homil. 72 in Mat. (P. G., LVIII, 669), Homil. 19 ad pop.
Antioch. (P.G , XLIX, 196); IsiboRE DE PÉLUSE, Epistolae, lib. I], 150 (P. G.,
LXXVII, 603-604); S. JÉRÔME, In Ev. Mat. 1V, 23 (P. L., XXVI, 174-175);
JEAN DE SALISBURY, loly-crat., II, 1 (P. L. CXCIX, 416); HEecror BoETHits,
Scotorum historiae, 1526, fol. cLiv vo; J. B. T'HIERS, Traité des superstitions,
I, p. 315-316; JoHANNEs DôLLer, Das Gebet im alten Testament (Theol. Studien
der Leo-Gesellschaft, XXI. Vienne, 1914, p. 83); E8B. NESTLE. Evangelien als
Amulet (Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft, VII, 1906. p. 96);
L. Goucaup, Étude sur les loricae celtiques (Bull. d'anc. litt. et d’arch. chrét.,
II, 1912, p. 113). — Dans la copic du Ms. de Trinity College (Dublin), la lettre
à Abgar est suivie de cette oraison : « Euangelium D. N. J. C. liberet nos,
protegat nos, custodiat nos, dcfendat nos ab omni malo, ob omni periculo, ab
omni languore, ab omni dolore, ab omni plaga, ab omni inuidia, ab omnibus
insidiis diabuli et malorum hominum hic et in futuro. Amen. >» — On a trouvé
des criminels porteurs de pièces superstitieuses et qui croyaient se rendre
ainsi invulnérables : A. FRANz, Die kirchlichen Benediktionen, I, p. 299; La
lettre de Jésus-Christ aux Bretons (Fureteur breton, IL, 1906-1907, p. 158, 272,
II, p. 178, IV, p. 30, IX, 1913-1914, p. 59). En 1868, on trouva une copie
sténographiée de la prière de Charlemagne sur la personne d’un incendiaire
en Irlande (Notes and Queries, 4e sér., II, 1865, p. 105-106).
(2) Ms. A. 1. 17 de la cathédrale de Lincoln (HoxSTMAN, Yorkshire
writers, I, p. 376).
(3) Hæurck et BOEKENOOGEN, Hist. de l'imagerie populaire flamande. p. 74.
(4) STRACKERJAN, loc. cit.; T. O'DoHERTY, loc. cit.
LA PRIÈRE DIIE DE CHARLEMAGNE. 233
contraires à la foi catholique ; « pseudografia et dubiae narrationes
tel quae omnino contra fidem catholicam sunt ». Qu'on veuille bien
remarquer les termes « contra fidem catholicam », employés par
Charlemagne dans cette circonstance, ce sont les mêmes que Jean
Busch employa, de son côté, en 1451, pour stigmatiser la prétendue
prière du pape Léon (1).
Le plus ancien texte qui, à notre connaissance, mentionne une
prière familière à Charlemagne est La chanson du Chevalier au
Cygne, dont la forme primitive — celle précisément qui contient le
passage qui nous intéresse — remonte au xmi° siècle. Voici ce
passage :
Chil Sires t'aidera qui fist la quarentaine,
Ja fist-il le pardon Marie Madeleine
Et si salva Jonas el ventre a la balaine ;
Por vos commencherai l’orison Karlemaine
Qu'il disoit en bataille quand on lachoit s’ensaigne.
Puis ne dotoit il home en bataille prochaine.
Saint Selvestres la fist en cele quarentaine
Que Thesu jeüna quant il sist à la chaine, -
Et puis en converti si la roine Elaine
La mère Costentin dont l'ame devint saine (2).
Il s’agit bien ici, on le voit, d'une oraison que Charles récitait dans
les combats « quand on lächait son enseigne » ; mais il n’y est point
fait mention du pape Léon. La composition en est attribuée au pape
S. Silvestre. Un « bref » superstitieux en vers, également du
xu siècle, était utilisé dans les passes dangereuses de l'existence,
par exemple par les femmes en couches, ainsi que plusieurs de nos
apocryphes, et il passait également pour avoir été composé par « un
pape de Rome » :
(1) On a néanmoins donné le nom d'«amulettc» ou de etalisman de Char-
lemagne » à divers objets qu'il aurait portés sur lui par dévotion ou par super-
sütion. Voir, à ce sujet : FR. KAUFMANN, Vom Talisman Karls des Grossen.
Kanonicus A. J, Bless und der Aachener Münsterschatz zur Zeit der franzü-
sischen Revolution. Aix-la-Chapelle, 1920 ; Sir MARTIN Conway, The Amulet
of Charlemagne (The Antiquaries journal, Il, 1922, p. 350-353); D. H. Le-
CLERCO, art. Charlemagne (Dict. d’arch. chrét. et de liturgie, col 696-698).
(2) Vers 4882 et suiv. Ed. C. HippEau (Paris, 1874, t. I, p. 179). Sur la date
de la forme la plus ancicnne du poème, consulter la Romania (XXIIL, 1894,
P. 445) et l'Histoire de la littérature française publiée sous la direction de
J. BËoier et P. Hazarp, I, p. 35. Le remaniement du Chevalier au cygne
exécuté au xrve siècle, publié par DE KEIFFENBERG et BORQUET (Bruxelles,
1846-1848), ne contient rien sur « l'orison Karlemaine ». Je dois ces derniers
renseignements à l’obligeance de mon ami M. Noël Dupire, professeur au
lycée Pasteur à Neuilly.
234 | L. GOUGAUD, O. 8. B.
Quant fame enfantera metés ces brief sur lui,
Celle escapera vive et ses frus autresi.
Li papes fu de Roume ki le traita et fist (1).
Ce bref de dévotion est également pourvu de la litanie des noms
de Dieu (au nombre de quinze) et d’une invocation aux Rois Mages ;
mais qu’il soit identique à la prière que nous étudions, cela est
fort douteux. Quant à la prière du livre d’heures de Carpentras
(xive siècle), soi-disant récitée par Charlemagne « dum debebat
intrare bellum », elle n’est autre que l’oraison pseudo-augustinienne
Deus propitius esto mths peccatori (2).
Ce n’est qu’au xv° siècle qu’on est absolument sûr d’avoir affaire
à la lettre-prière envoyée par le pape Léon à Charlemagne. Nous en
trouvons tous les éléments caractéristiques, avec le nom de l’expédi-
teur et celui du destinataire, dans quatre inanuscrits au moins de
cette époque d’origine germanique :
4° Zurich, Ms. 101, fol. 406 r°.
2° Munich, Cgm. 850, fol. 62 r°.
5° Université de Breslau, Ms. I. D. 8, fol. 1457 (3).
4° Rillet trouvé par Jean Busch à Halle en 1451.
et dans un manuscrit d’origine anglaise :
Lincoln, Ms. A. 1. 47, fol. 176 r°.
Quels faits historiques ou quelles traditions légendaires ont pu
donner à un faussaire du moyen âge l’idée de fabriquer, avec quel-
que soupçon de vraisemblance, un apocryphe voué à une telle
popularité, c’est ce qu'il nous reste à rechercher.
Les relations amicales de Charlemagne avec le pape Léon II
(795-816), qui eurent un si grand retentissement dans l’histoire,
commencèrent dés le début du règne de ce pontife. Aussitôt après
son couronnement, il fit don à Charles des clefs de la Confession de
saint Pierre et de l’étendard de la ville de Rome (4). L'envoi de
l’étendard fut immortalisé par des mosaïques et par une inscription
commémorative que Léon fit exécuter au Latran avant l’an 800.
D'après Alemanni, on y lisait ces mots : « Beate Petre, dona vitu
Leoni P. P. et bictoria Curulo regi dona » (5).
(x) Édit. Pauz Meyer, Un bref superstitieux du XIII® siècle en vers français
(Bulletin de la société des anc. textes français, XVII, 1891, p. 73).
(2) Catalogue des manuscrits des bibliothèques publ. des départements, Car-
pentras, I (190 }, p. 39. Cfr PErRTz, Archiv, VII, 1839, p. 207.
(3) Les deux premiers manuscrits ont déjà été plusieurs fois mentionnés.
Sur celui de Breslau, consulter Vocr, art. cité, p. 617 et les Mitteilungen des
schlesischen Gesellschaft für Volkskunde, XIII, p. 36 s.
(4) Annales Laurissenses majores, À. D. 796.
(5) Sur la mosaique du Triclinium du Latran, voir D. H, LecLERCQ, art,
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 235
L’étendard envoyé par le pontife romain devint la fameuse enseigne
de Charlemagne dont il est fait mention dans les chansons de geste
et à laquelle la Chanson de Roland donne le nom de « Romaine » (14).
Quant aux clefs de saint Pierre, elles étaient une sorte de décoration
que les papes envoyaient à de très hauts personnages. Portées au
cou, elles devaient préserver de tous les maux (2).
À ces présents, Léon en ajouta bien d'autres dans la suite. La
légende voulait que le pape eût envoyé à l’empereur une statue de la
Sainte Vierge fixée dans un médaillon et sculptée de ses propres
mains (3).
Les deux personnages se rencontrèrent plusieurs fois en des
circonstances mémorables. En 799, Léon HE, venu à Paderborn,
avait trouvé auprès de Charles un chaleureux accueil qui le consola
des avanies qu’il venait d’essuyer à Rome (4). L'année suivante, dans
la nuit de Noël, le pape conférait le titre d’empereur au roi des
Francs et posait sur son front la couronne impériale. En 804, le
pontife eut une nouvelle entrevue avec l’empereur à Aix-la-Chapelle,
Voilà, résumés en quelques lignes, un ensemble de faits historiques
qui dut vivement impressionner les contemporains et les générations
qui suivirent. D’après une légende qu'on voit se former dès le
x° siècle, Charlemagne passait, en outre, pour avoir fait le pèlerinage
de Jérusalem et de Constantinople. Jusqu'au xv:° siècle, on crut ce
pélerinage authentique (5). De ce voyage en Orient, Charles avait,
croyait-on, rapporté quantité de reliques dont il avait généreusement
Charlemagne (Dict. d'arch. chrét. et de liturgie, col. 661-681). Cfr ARTHUR
KLBINCLAUSZ, L'empire carolingien, ses origines et ses transformations. Paris,
1902, p. 177.
(1) Chanson de Roland, v. 3092 s. ; La chevalerie Ogier, v. 4685.
(2) A. KLEINCLAUSZ, op. cit.. p. 115.
(3) D. H. LecLercQ, art. cité, col. 742-743.
(4) Voir le poème Carolus magnus et Leo papa (P. L. XCVIIL, 1443) attribué
parfois à Alcuin, mais préférablement à Agilbert. ManiTius, Das Epos..
(Neues Archiv, IX, 1884, p. 616); L. HALPHEN, Etudes critiques sur l’histoire
de Charlemagne. Paris, 1921, p. 229 ; J. Béotrer, Les légendes épiques. Paris,
1921, IV, p. 440.
(5) Comte RranT, Les dépouilles religieuses enlevées à Constantinople au
XIII siècle par les Latins (Mémoires de la soc. des Antiquaires de France,
XXXVI, 1875, p. 11). Sur la Chanson du pélerinage de Charlemagne, voir
L. Mocanp, Charlemagne à Constantinople et à Jérusalem (Revue archéolo-
gique, 2° sér., II, 1867, p. 36-50); GasTon Paris, La chanson du pélerinage
(Romania, IX, 1880, p. 16 s.); H. Morr, Étude sur la date, le caractère et
l’origine de la chanson du pélerinage de Charlemagne (Romania. XIII, 1884,
p. 185-232); Juzes CouLer, Étude sur l'ancien poème français du voyage de
Charlemagne en Orient. Montpellier, 1907 (Soc. pour l'étude des langues
romanes, Public. spéciales, n° 19) ; J. BÉDIER, op. cit., IV, p. 445-446,
236 L. GOUGAUD, O. S. B.
doté maintes églises d'Occident (1). On était persuadé notamment
qu'il avait rapporté la sainte Croix du Saint-Sépulcre et un des clous
de la Passion, ainsi que la couronne d’épines, de Constantinople,
reliques que Charles le Chauve aurait données plus tard à l’abbaye
de Saint-Denis en France (2).
Si Charlemagne n’alla jamais en Orient, il est du moins établi
qu'il noua des relations avec le calife Haroun-al-Raschid, qui lui fit
remettre par ses ambassadeurs les clefs du Saint-Sépulcre, l’étendard
de la ville de Jérusalem et de précieuses reliques. Le calife aban-
donna mème le Saint-Sépulcre en toute propriété à Charles, donation
qui fut l'origine du protectorat des Carolingiens sur les Lieux-
Saints (3).
L'imagination populaire, toujours avide de merveilleux, ne s’est
pas fait faute de broder sur ces données historiques et sur ces
traditions légendaires. On a voulu que la « Longueur du corps du
Christ », mesurée sur une croix d’or conservée à Constantinople, ait
été baillée à Charlemage par l’ange Gabriel, on a voulu que la
« Mesure de la plaie du côté » ait été envoyée de Constantinople à
l’empereur dans un reliquaire d’or, ou que, d’après d’autres ver-
sions, le Saint-Sépulcre ait été l'endroit où furent trouvées ces
précieuses « mesures », ainsi que la lettre-pritre adressée par le pape
Léon au grand monarque, protecteur des Lieux-Saints, champion de
Dieu et zélateur de la foi chrétienne. Ce dernier document était
destiné à lui assurer partout la victoire et à le préserver de toute
influence néfaste, comme l'enseigne « Romaine » et comme les clefs
de la Confession de saint Pierre.
On trouve souvent plusieurs de nos apocryphes réunis dans un
même manuscrit (4). Souvent transcrits par la même main, souvent
récités par les mêmes lèvres, il n’est pas étonnant qu'ils se soient
(1) Comte RranrT, art. cité; LÉON GAUTIER, Les épopées françaises. Paris,
1867, IT, p. 2675.
(2) « Qualiter dominicum sepulcrum adiit ct qualiter lignum dominicum
secum adtulit unde multas ecclesias dotavit, scribere nequeo. » (Chronique
de Turpin, citée par LÉON GAUTIER, op. cit., p. 267 s.). Voir encore dans ce
même ouvrage, p. 264 et G. RAUSCHEN, Die Legende Karls des Grossen im
11. und 12. Jahrhund. Leipzig, 1900, p. 146.
(3) EinHaRo, Vita Caroli magni, 16 (P. L., XCVIL, 40); Annales Eginhardi,
A. D. 800 (M. G. Script., I, 187); Annales Laurissenses (Ibid.). Cfr L. BÉbier,
L'Église et l'Orient latin au moyen âge. Les croisades. Paris, 1907, p 245.
(4) Estampe décrite par Schreiber (Manuel, t. II, n° 1789); estampe
no 1705, tbid.; Br. M., Harl. Roll. T. 11; estampe de feu Julien Durand
décrite par Barbier de Montault (Œuvres, VII, p. 412); Pratique de dévotion
à N.-D. (NisarD, Hist. des livres popul., 2e éd., Il, p. 45s.); Ms. Munich
Cgm. 850, fol, 62 ro, 65 ro-66 vo; Ms. Zurich 101, fol. 106 re.
LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE. 237
contaminés mutuellement. D’autre part, leur usage séculaire par
beaucoup d’ignorants explique les déformations, les anachronismes
et les non-sens qui y abondent.
« La plupart des anciennes Heures, remarquait déjà J.-B. Thiers,
au xvr° siècle, sont infectées de ces sortes d’oraisons, et il s’en
trouve même dans les nouvelles qu’on n’a pas eu soin de revoir et
de corriger avant que de les donner au public (1). » L'imprimerie a
vulgarisé en tous lieux ces prières superstitieuses, soit qu'elles
aient trouvé accueil dans les livres de prières, soit qu’elles aient
pallulé sous forme de feuilles volantes grossièrement illustrées. De
plus, comme il n'existait pas de censure ecclésiastique solidement
organisée avant le concile de Trente (2), les prières et dévotions de
bon aloi comme les autres ont été enrichies de privilèges prodigieux
et d’indulgences exorbitantes par les scribes, les libraires et les
colporteurs, soucieux de rendre leur marchandise aussi alléchante
que possible (3).
Si l’on veut savoir jusqu’à quel point on peut spéculer sur la
crédulité populaire, qu’on ouvre l’opuscule qui s’est vendu comme
livre de prières sous le nom d’Enchtridion Leonts papa serenissimo
(x) J-B. Tuiers, De la plus solide. des dévotions, II, p. 712.
(2) Voir H. THURSTON, art. Prayer-Book (Catholic Encycl., p. 352).
(3) « Pape Boniface a donne a tous ceulx qui diront devotement ceste
oraison.. deux mille ans etc. » (Heures normandes du xvie siècle : Ms. 52 de
la John Rylands Library à Manchester. Cfr M. R. JAMES, À descriptive catal.
of the Latin Mss. in the John Rylands Library. Londres, 1921, Ï, p. 113).
€< Dominus Johannes papa XXII concessit dicentibus infrascriptam orationem
([Anima Christi] indulgentiam trium millium dierum criminalium et mille
dierum venalium (sic) in honore Ihesu Christi » (Heures du xve siècle : Ms.
V.z-2 de la Bibl. de Madrid. Cfr |[D. Denys}, À note on the prayer Anima
Christi, dans Laudate, I, 1923, p. 17-18). Sur les chiffres élevés d'années
d'indulgences accordées à cette prière, voir H. WATRIGANT, Quel est l'auteur
de la prière Anima Christi? Enghien, 1913, p. 10. — Oraison Dirupisti Domine
vincula mea enrichie de 6000 ans d’indulgence, d’après le Ms. Roy. 17. A.
xxvii du Br. Mus. (fol. 95), xirre-xive siècle, — Prière enrichie de 32.755 ans
d’indulgence par Boniface IX, d'après les Heures d’York de 1516 (Cfr Reci-
NALD ScoT, Discoverie, p. 188). — Prière d'un Hortulus imprimé à Strasbourg
en 1507 enrichie de 80.000 ans d’indulgence (Cfr STEPH. BæelsseL, Zur Ge-
schichte der Gebetsbücher (Stimmen aus Maria Laach, 7 août 1909, p. 182). —
La prière O Croix suprême, à laquelle le Corps de N.S.J. C. fut cloué « a plus
d’indulgences qu’il n’y a de grains de sable dans la mer et d'étoiles au ciel »
(Trépassement de Notre-Dame, p. 90). — Mgr N. PauLzus nous apprend
qu'aucune des indulgences dont sont soi-disant enrichics les prières particu-
lières antérieurement au xive siècle n’est authentique. Ce n'est que vers 1350,
qu’on à commencé à indulgencier des prières (Geschichte des Ablasses im
Mittelalter von Ursprunge bis zur Mitte des 14. Jahrhunderts Paderborn, H,
1923; P. 233-235).
238 L. GOUGAUD, O0. S. B.
imperatori Carolo magno in munus pretiosum dalum nuperrime
mendis omnibus purgatum, qui fut imprimé pour la première fois en
latin à Rome en 1525, et qui, depuis lors, a été maintes fois réim-
primé et traduit en diverses langues (1). Dès les premières pages de
l'édition de Mayence de 1654, que nous avons déjà eu l’occasion de
citer, laquelle est écrite partie en latin et partie en français — et
dans quel français! — on lit, entre autres extravagances, ces lignes :
« Enchiridion envoyé au Sérénissime Empereur des Français par le
Pape Léon pour le rendre heureux dans tous les événements de la
vie. Voulez-vous savoir, amy lecteur, quelle fut la source d'une si
grande prospérité ? Il l’a avoué lui-même par une lettre de remer-
ciement adressée au Pape Léon, dont l'original se voit encore à
Rome dans la Bibliothèque du Vaticant écrite de sa propre main,
d'un stile fort simple, mais qui exprime bien naïvement la grandeur
de sa reconnaissance à l'égard de ce Souverain Pontife. Il luy marque
dans cette lettre que depuis qu'il a reçu un petit livret intitulé
Enchiridion, rempli d’oraisons particulières et de plusieurs figures
mistérieuses envoyé par sa Sainteté comme un précieux présent, il
n’a point cessé d'être heureux, etc. (2). »
Le nom du pape et le nom du grand empereur n'ont cessé, jusqu’à
nos jours, de couvrir ce fatras de leur prestige. Des foules de simples
ont lu, relu et appris par cœur les prières de l’Enchiridion et de
livrets de mème acabit. Il a été réédité, au xx° siècle, en Espagne (3)
et, sans doute, dans d’autres pays, et la prière dite de Charlemagne,
dont on connaît des versions allemandes, anglaises, flamandes et
françaises du xix° siècle, a encore été considérée, pendant la grande
guerre, comme un porte-bonheur d’une efficacité souveraine (4).
L. Goucaup, 0.5. B.
(x) Sur l’histoire de ce livre, voir Cu. NisaRp, Histoire des livres populaires,
t. Ier, p. 183-184.
(2) Éd. citée, p. 1-3. |
(3) Enchiridion del Papa Leon. Oraciones misteriosas enviadas como raro
presente por el Papa Leon III al Emperador Carlo Magno. Madrid, 1903.
(4) H. THURSTON, art. cité, p. 632; CH. CALIPPE, p. 248.
MÉLANGES.
‘OYE AE ZABBATON...
Au témoignage de S. Denis d'Alexandrie (+ 264-265), l'église de cette
ville terminait le jeûne pascal et célébrait la tête de la Résurrection
le samedi saint à minuit, tandis que la plupart des autres églises
attendaient le chant du coq à l'aurore du dimanche matin (Ad. Basil.
M. P. G. X, 1272 sqq.). Elles en appelaient à Marc XVI, 9 : 'Avacras
dé out reworn cxf5fBarou, qu'elles ne comprenaient donc pas à la façon
d'Eusèébe (Ad. Marin. q. 1. M. P. G. XXII, 937-940) et de S. Jérôme
(Epist. CXX, ad Hedib. q. 3. M. P. L. XXII, 987), lesquels proposent
de joindre mane prima sabbuli à apparuit. La communauté d’Alexan-
drie, au contraire, s'appuyait sur Mt. XX VIII, 1 : le d: cafGfiarur,
Th ÉRUOTACUTN is uiay Gaffaruwv, et plaçait la résurrection du
Seigneur le samedi soir, car tout le monde reconnaît, dit S. Denis, que
la fête de Pâques ne peut commencer qu'après la résurrection : « Apud
omnes enim in confesso est post resurrectionis horam laetitiam festi
esse inchoandam ». Reithmayr, Aberle, Cornely, Knabenbauer et
d'autres en ont conclu que l'église d'Alexandrie, à l'effet de supprimer
la contradiction entre sa pratique liturgique et la finale de Marc,
avait d’abord omis la lecture de celle-ci dans les assemblées pascales
et que cette omission avait ensuite passé dans les lectionnaires et dans
uno certain nombre de manuscrits. Nous croirions plutôt que l'usage
de commencer la fête de la Résurrection à minuit a pu s’introduire à
Alexandrie précisément parce qu’on n'y connaissait pas la finale
deutérocanonique de Marc. Didyme l’Aveugle (+ 398) n’est-il pas le
premier écrivain d'Alexandrie à mentionner cette tinale (De Trinit. II,
13. M. P. G. XXXIX, 688) ? Mais nous n'avons pas à nous occuper ici
de la conclusion de l’évangile de Marc ; nous ne rappelons la coutume
d'Alexandrie que pour noter qu’elle interprétait l'indication chrono-
logique de Mt. XX VIII, 1 dans le sens du samedi soir.
L’évangile apocryphe de Pierre, qui remet au dimanche matin la
visite des femmes au sépulcre, semble bien placer la descente de
l'ange et la résurrection pendant la nuit précédente (v. 35-50). C'était
sans doute aussi l'opinion des anciennes versions syriaques, coptes et
latines qui ont traduit l'expression de Mt. par vespere autem sabbati.
C'était l'opinion d’Eusèbe et de S. Jérôme qui, pour résoudre la diff-
culté soulevée par la comparaison de Mt. XX VIII, 1 avec Mc. XVI, 9,
proposaient de terminer l'évangile de Marc au verset 8, ou bien, si
l'on n’osait pas rejeter la conclusion, de rattacher mane prima sabbati
non à surgens aulem, mais à apparuil. Voici d’ailleurs le témoignage
240 MÉLANGES.
très clair de S. Jérôme qui répond à Hedibia ce qu'Eusèbe écrivait à
Marinus : « Hujus quaestionis duplex solutio est : aut enim non reci-
pimus Marci testimonium, quod in raris fertur evaugeliis, omnibus
Graeciae libris pene hoc capitulum in fine non habentibus, praesertim
cum diversa atque contraria evangelistis ceteris narrare videatur ;
aut hoc respondendum, quod uterque verum dixerit; Matthaeus,
quando Dominus surrexerit vespere sabbati, Marcus autem quando
eum viderit Maria Magdalene, id est mane prima sabbati. Ita enim
distinguendum est : cum autem surrexisset, et parumper spiritu coarc-
tato inferendum prima sabbati mane apparuit Mariae Magdalenae. »
C'est entin l'opinion de plusieurs critiques modernes (Keim, Michiel-
sen, Brandt, Goguel, etc.) qui traduisent de la façon suivante le texte
de Matthieu : « Le soir du sabbat, à l’heure où commence le premier
jour de la semaine », c’est-à-dire vers 6 ou 7 heures du soir, d’après
la manière juive de compter les jours. Si S. Matthieu place la visite
des femmes au tombeau le samedi soir, comme l'ange leur annonce
à cette occasion la résurrection de Jésus (Mt. XX VIII, Ü), il en résulte
que celle-ci, d’après le premier évangile, eut lieu plus tôt encore. « Les
interprètes, dit Loisy (Evangiles synoptiques, 11, p. 718), influencés
par les récits parallèles, prennent généralement ce tableau pour une
scène de jour. Il semble néanmoins avoir été conçu et ne pouvoir
s'expliquer naturellement qu'en scène de nuit. Tout l’ensemble du
récit le suppose tel. D'abord les indications du début : « soir du
sabbat, commencement du dimanche », ne s’entendent bien que des
premières heures de la soirée du samedi, qui, pour les Juifs, appar-
tenaient au jour suivant ; la nuit couvient certainement mieux comme
cadre à l'apparition lumineuse de l'ange ; la démarche des gardes
auprès des prêtres est censée se faire pendant la uuit, et prêtres et
gardes se concertent pour substituer aux miracles nocturnes de la
résurrection et de l’ange le rapt nocturne des disciples... Jésus n’est
resté dans le tombeau que la durée d’un sabbat, ce qui peut n'être
pas exempt de signification symbolique. » Goguel observe de même
que la résurrection du samedi soir a pu être attribuée au dimanche
d'après la manière juive de compter les jours, et il essaie de montrer
que Matthieu a modifié l'indication donnée par Marc parce que
l'épisode qu'il raconte devait naturellement se placer avant celui que
rapporte Marc : « Matthieu qui raconte comment la pierre est ôtée
peut avoir jugé qu'il devait placer cet épisode avant le moment où
Marc racontait que les femmes avaient trouvé la pierre ôtée. Il
résulte de là que nous n'avons aucune raison de nous écarter ici du
sens littéral du texte. » (L'évangile de Marc dans ses rapports avec ceux
de Matthieu et de Luc, p. 293). Au jugement de Holtzmann (Handcom-
mentar, p. 2%), Matthieu a réuni les deux indications chronologiques
de Marc (XVI, 1 et 2) en une formule contradictoire : tard au sabbat,
alors que le jour commençait à luire vers le premier jour de la
semaine. Il y a lieu de se demander si nous sommes encore le soir du
"OLE di az BBxrm». = 941
sabbat ou à la fin de la nuit suivante qui serait encore considérée
comme lui appartenant. Pour Juh. Weiss (Die Schriflen des N.T.,t. I,
1917, p. 387), la formule de Mt. est équivoque et susceptible d’être
mal comprise, mais l’inten{ion de l’évangéliste est bien de reporter au
dimanche matin la visite des femmes, comme dans Marc. Entin Loisy
(o. c. p. 717, n. 3) pense que Matthieu combine l'indication de Mc. XVI,
1, en laissant de côté l’achat des parfums, avec celle de Mc. XVI, 2,
ce qui change la signification de cette dernière. Il serait plus exact de
dire, en restant dans le même ordre d'idées, que la double indication
de Mt. : le soir du sabbat, à l'heure où commençait le premier jour de
la semaine, est seulement parallèle à Mc. XVI, 1 et se rapportait pri-
mitivement, comme dans Marc, à l'achat des aromates. S. Matthieu
ayant omis cette première démarche des femmes, sans doute parce
qu'elle ne cadrait pas très bien avec la mention de la garde posée au
sépulcre, l'indication chronologique s’est trouvée immédiatement
rattachée à leur seconde démarche, à leur visite au tombeau, qui doit
se placer en réalité le matin de la résurrection.
Mais toutes ces hypothèses ne sont-elles pas inutiles, et la traduc-
tion de Matthieu discutée jusqu'ici s’impose-telle ? S. Jérôme (ad
Hedib. q. 4. M. P. L. XXII, 983) pensait que l’évangéliste hébreu,
pour dater la visite des femmes, avait employé un mot signifiant {ard
et non le soir, et que le traducteur grec, induit en erreur par l’ambi-
guité du terme, l’avait rendu par vespere, au lieu de le traduire par
sero. Il croyait donc que ôJ£ avait le sens de vespere. Les lexiques
modernes ne lui donnent pas entièrement raison sur ce point. Ils
estiment plutôt que 5J£, employé comme adverbe, signifie d'abord tard,
et d'une façon dérivée seulement le soir, la fin du jour. Employé
comme préposition avec un génitif, il veut dire après ou seulement
après, comme dans Philostrate : ol£ puorroiwy, oi rouruy (Vie d’Ap-
pollonius, 1V, 18; VI, 10). Ammonius avait déjà clairement noté la
différence entre 04 et iorépay. Ce dernier mot marque le coucher du
soleil, tandis que olë a le même sens que Bpadios, tard, longtemps
aprés le coucher du soleil (cité par Knabenbauer, Ev. Mt. in h. L.).
Aussi la plupart des commentateurs et des critiques traduisent l’ex-
pression de Matthieu, SL: dé caf5fBirwv, tard le jour du sabbat, ou bien
après le sabbat. (Quelques-uns lisent : la semaine étant passée, prenant
cx5Gata dans le sens de semaine comme dans ets uiay oaf5Bxrev).
Elle pourrait ainsi indiquer un moment beaucoup plus tardif que la
formule de Mc. XVI, 1 : Kai dixysvousveu 705 53 farcu. Quant à la
seconde indication de Matthieu : rn erizwoxcuon (suppléer avec Eusèbe
Dpz) ëis pay caffiruy, elle préciserait ce que la première a d'un peu
vague et devrait se traduire : à l’aurore du premier jour de la semaine,
à l'heure où le premier jour de la semaine commençait à poindee. On
déterminerait aiusi ce qu’il faut entendre par la locution après le
sabbal : nous sommes en réalité le dimanche matin.
On objecte à cette traduction qui donne au mot ETITUITHELY le sens de
242 MÉLANGES.
lever de l'aurore, le texte de Luc XXIII, 54 : c'était le jour de la
préparation et le sabbat commençait à luire, où emguaxe désigne le
vendredi soir à l'heure où le sabbat s’illuminait. D'après Schanz, Luc
pensait au lever des étoiles et c'est en ce sens qu’il a pu dire que le
sabbat brillait. Plummer est plutôt d'avis que Luc a oublié le sens
propre du mot, comme s’il nous arrivait de dire que la nuit commen-
çait à poindre. Lagrange estime que la locution de S. Luc, ai oaxffa-
roy Enéqguwoxey, étonnante pour désigner le vendredi soir à l'heure où
12 sabbat juif commençait, doit être strictement limitée au sabbat ; en
soi le mot emgcoxew signifie naturellement l'aurore. S. Luc pouvait
l'employer pour désigner l'ouverture du sabbat à cause des lampes
allumées par les Juifs le vendredi soir, et l’allusion pouvait être com-
prise de ses lecteurs car cette coutume étrange appelait l'attention
(Perse, Sat. V, 176 ss.; Tert. ad nat. I, 13). « Depuis que les Juifs
reviennent en foule à Jérusalem (1919), dit le P. Lagrange (S. Luc,
p. 596), on peut dire que le sabbat brille le vendredi soir ; tous, même
ceux qui n’ont pas de foi religieuse, rivalisant de zèle pour ces illumi-
nations. » Il reste donc que dans S. Matthieu, qui nous parle du temps
d'après le sabbat, le participe érigwaxouon doit s'entendre du dimanche
matin à la pointe du jour, et le premier évangile rejoint ainsi le second
pour l’heure de la visite des saintes femmes au sépulcre.
Goguel croit (0. c. p. 293) que c’est précisément une raison d’har-
monistique qui détermine beaucoup de critiques à s'écarter du sens
littéral de Matthieu. Mais quel est le sens littéral de Matthieu ? Il cite
l'exemple de Blass qui écrit (Grammatik des neulest. Griechisch, 1913,
p. 101) : ol: oaffarovy Mt. 28, 1 signifie d'après ce qui suit et d’après
Mc. 16, 1 : après le sabbat ; et de Zahn (Das Evangelium des Mt. 1903,
p. 707, n. 1) qui considère comme inadmissible que Matthieu contre-
dise sur ce point la tradition unanime en dehors de lui (Mc. 16,2;
Le. 24, l; Jo. 20, 1) et confirmée en outre par la célébration du
dimanche. Mais ce souci n'est-il pas légitime de ne pas opposer les
évangiles lorsqu'il y a un moyen facile et nullement recherché de les.
accorder ?
Nous reconnaissons volontiers que l'expression de Matthieu peut se
traduire : après le sabbat, à l'aurore du vremier jour de la semaine,
qu'elle situe ainsi la visite des femmes au sépulcre au même moment
que Marc, qu'il n'est donc pas prouvé que Matthieu place la résurrec-
tion du Christ le samedi soir. Qu'il nous soit permis cependant de
trouver étrange que Matthieu ait eu besoin de deux indications chro.
nologiques pour dater la démarche des femmes, et qu'il dise : après
le sabbat ou tard au sabbat, pour désigner le dimanche matin. Ne
dirait-on pas que nous sommes encore au samedi soir après la célé-
bration du jour férié ? Il est vrai que 0}: peut aussi signifier longtemps
après, et si l'on nous reporte longtemps après le sabbat, nous pouvons
nous croire tard dans la nuit, aux premières lueurs du jour. Mais
quand CAE signifie longtemps après, il s'agit d'un espace de temps très
NOTE SUR LA DOCTRINE DU CHRIST, NOUVEL ADAM. 243
long, d'une autre période, comme dans Plutarque (Numa, I) of£ Tv
Éxotéuv ypéve, après l'époque des rois. l'expression de Mt. XXVIIT,
1 reste donc étonnante et difficile, et nous n'avons pas voulu démontrer
autre chose. É. ToBac.
NOTE SUR LA DOCTRINE DU CHRIST, NOUVEL ADAM.
Ea lisant dernièrement l'étude de Hans Scheel, Die Theorie von
Christus als dem zweilen Adam bei Schleiermacher (Leipzig, 1913), je fus
frappé de l'importance que prit, presque dès le début de [a Réforme,
dans la dogmatique protestante, la conception paulinienne de l’Écyaros
’Adzu. Elle servit souvent à encadrer toute la théologie : elle s'élargit
en une vaste synthèse embrassant toute l’évolution de l'histoire reli-
gieuse du monde depuis la création jusqu'aux fins dernières, en passant
par la chute et la rédemption ; elle fut même un instrument d'heuristique
et fournit des points de vue nouveaux à la christologie. Sans doute,
elle fut mise en valeur de façons bien différentes ; elle fut entraînée
dans tous les grands courants qui emportérent le protestantisme et
l'orthodoxie luthérienne ne l’interpréta pas de la même manière que le
rationalisme du xviri* siècle ou le subjectivisme du x1x°.
L'ancienne dogmatique protestante, qui admet encore le dogme
trinitaire et celui de la justice originelle, voit surtout dans la compa-
raison des deux Adams le moyen d'exposer la condition du premier
homme dans l’état d'intégrité primitive et la nature divine du Christ.
Elle se développe principalement en similitudes, et s’appuie beaucoup
moins sur la Bible que sur la théologie.
Adam et Christus, dit Gerhard (1582-1637) tum ruræxé@s aut modo
consentaneo invicem conferuntur, tum ævr«berixs aut modo dissen-
taneo, sibi invicem opponuntur Rm. 5, 12, 1 Cor. 15, 21 ss. (Collatio
iostituitur inter Christum et Adamum ante lapsum. Oppositio inter
Christum et Adamum post lapsum). Et tandis qu'il nous renvoie à
Écriture pour l'opposilio, Gerhard développe lui-même la collatio au
moyen de dix considérations : Adam est l’auteur de la vie et le Christ
est le père de la vie éternelle. Le nom d'Adam qui signifie rouge
contient déjà une allusion au sang du Christ. Adam fut formé d'une
terre vierge et le Christ naquit d’une vierge. Adam fut créé à l’image
de Dieu et le Christ est la « substantialis imago Dei». Adam tire son
origine du ciel et de la terre, et le Christ est Dieu et homme. Adam
commandait à toutes les créatures et Le Christ est le Seigneur de toutes
choses. Adam fut le jardinier du paradis terrestre et le Christ est le
gardien du paradis de l'Eglise. Adam, rempli d'une sagesse céleste,
donna aux animaux leurs noms, et le Christ, où habite le plérôme de la
sagesse, nous donne le nom nouveau d'enfant de Dieu. Adam comme le
Christ était pur et innocent. Ève fut tirée d’une côte d'Adam, et l'Eglise
-
244 MÉLANGES.
sortit du côté du Christ avec le sang et l'eau, les deux sacrements du
Testament nouveau.
Ailleurs, Gerhard relève encore une autre similitude : le mystère
de la Ste Trinité révélé d’une façoa obscure dans la création d'Adam,
fut promulgué d’une façon claire dans le baptème du Christ. Adam est
donc le type du Christ, et c'est pour cela que celui ci est appelé
4 Ecyaros Adau dans 1 Cor 15, 16. Mais 1l y en a beaucoup d’autres,
Abel, Noé, l’Arbre de vie, l'Arche du déluge, etc. Ces types, dit
Gerhard, « nihil sunt aliud quaum figuratae ac parabolicae descriptiones
id ipsum latius explicantes, quod appellationes figuratae brevius com-
plectuntur ».
On rencontre des considérations semblables chez d’autres théologiens
du protestantisme comme Quenstedt et Carpow. Voici comment
s'exprime Quenstedt (1617-1688) : « Adamus fuit imago filii Dei sed non
tilii Dei incarnandi aut humanae naturae Christi. Dei filius autem
potest dici ad Adami imaginem factus, quia etiamsi similis, quantum
ad humanam naturam, Adamo qualis in statu integritatis erat, dici
possit, salva excellentia sua, non tamen justitia et sanctitas expressa
in ipso est ab Adamo, quod ad id requiritur, ut quid sit alterius imago. »
Avec le socinien Samuel Crell (1660-1747) et le ratioualisant Teller
(1334-1804), la théorie du Christ nouvel Adam entre dans une voie
nouvelle. D'abord, elle a une allure exégétique franchement marquée.
Ensuite, elle considère Adam et le Christ dans l’histoire du royaume
de Dieu, et le parallèle se développe surtout en contrastes. A l’Adam
de la chute, on oppose l’homme nouveau, le Christ. On ne parle plus
de l’état d'intégrité primitive, et la divinité du Christ est ou bien nice,
ou bien maintenue mais sans aucune relation avec la théorie du second
Adam. En un mot, l'obéissance du Christ répa'era la désobéissance
d'Adam.
Creil publia en 1700 un ouvrage intitulé Cogilationum novarum de
primo el secundo Adam sive de ratione salulis per illumn amissae, per
hunc recuperalae Compendium. Ce titre seul indique la direction nou-
velle que prend la comparaison des deux Adams. Pour Crell, le second
Adam n'est qu'un homme comme le premier : « Hince quemadmodum
primus Adam non pisi homo erat, sic et ille futurus liberator non nisi
homo natura sua esse debebat, qui prout et primus, perfecte oboedire
et non oboedire posset.. qui quidem diabolum vincere posset, sed etiam
a diabolo insidiatore nisi sibi bene caveret, vinci poterat. Si iste homo
unam personam cum summo deo aut tali aliquo ente, quod peccare et
tentari non poterat et quod homo non erat constituisset, ad nos salvan-
dos omnino inhabilis fuisset. »
Teller dépend de Crell, mais le théologien de l'Aufklärung est moins
radical que le socinien, il a gardé plus d'attaches avec l’orthodoxie
protestante. 11 professe encore, dans un sens, la divinité du Christ,
mais ne considère que son humanité dans le rôle du second Adam. La
conception biblique des deux Adams commande tout le système de
NOTÉE SUR LA DOCTRINE DU CHRIST, NOUVEL ADAM. 945
Teller. On peut déjà en juger par l'aspect extérieur de son Lelu'buch
des christlichen Glaubens (1764) dont les cinq chapitres sont uniformé-
ment divisés en deux parties, l’une traitant du premier, l'autre du
second Adam. Le plan en est intéressant, et montre comment on peut
encadrer dans la théorie des deux Adams tous les traités de théologie.
Le premier chapitre traite des deux créations du monde. Le second,
de l'origine, de la dignité, de la chute du premier Adam; de la dignité,
de l’obéissance du second Adam. Le troisième s'occupe de la descen-
dance du premier Adam qui se forme par la génération et de la postérité
du second Adam qui se constitue par la régénération. Le quatrième
chapitre décrit la vie pécheresse des fils du premier Adam et la nouvelle
vie des enfants du second Adam. Enfin le cinquième expose le sort final
de l'humanité issue d'Adam et de la race élue de Jésus-Christ.
Nous avons dit que la pierre angulaire du système de Tellier était le
contraste entre l’obéissance du Christ qui fait des justes et la désobéis-
sance d'Adam qui engendre des pécheurs. Il met en lumière ce contraste
entre les deux chefs de l’humanité dans un parallèle à cinq membres.
1) Les deux furent tentés, Jésus triompha, Adam succomba. 2) Adam fut
tente à son entrée dans le monde, Jésus à son entrée dans la vie publique.
3) Les deux furent tentés par Satan. 4) Les deux furent sollicités
d'abandonner Dieu. 5) Adam blasphéma Dieu par son incrédulité et sa
désobéissance, le Christ honora Dieu par sa foi complète, son obéis-
sance entière, son adoration profonde. — On remarquera que, d’après
Teller, c’est surtout lors de la tentation au désert que le Christ honora
Dieu par son obéissance. C'est alors qu'il choisit délibérément la
direction de sa vie, et la mort sur la croix n’est que le terme de la voie
de fidélité à Dieu où il s’est engagé en repoussant les offres de Satan.
La théorie du second Adam joue également un rôle important dans
la théologie de Schleiermaclier, mais elle s’y présente sous un aspect
bien particulier. Elle ne s’y développe plus ep fonction d'un premief
Adam, mais en est complètement indépendante. Plus de doctrine sur
l'existence d’un premier homme, sur l’état paradisiaque du monde ou
sur la perfection primitive. Plus de péché proprement dit, partant plus
de rédemption au sens rigoureux du mot. La théorie du second Adam
exprime énergiquement tout ce qui est apparu de nouveau dans le
Christ. Le Christ est le second Adam, cela veut dire qu’il est l'homme
parfait, la créature idéale, le porteur d’une vie nouvelle chez qui la
conscience de Dieu s’épanouit d’une façon extraordinaire et illumine
toute sa postérité. Tout homme éprouve en lui-même deux tendances
opposées : la conscience de Dieu par laquelle il se sent dépendant d’un
être infini et la conscience sensible qui nous porte vers les objets ter-
restres. Le but de toute religion est d’assujettir la conscience sensible
à la consience de Dieu, mais seul le christianisme yÿ réussit. La com-
munauté chrétienne a cette impression perpétuelle que l’homme doit
vivre de la vie de l'infiui, qu’à cet égard Jésus fut ua insigne prototype,
RBVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 10
246 MÉLANGES,
un second Adam, qu'en lui la conscience du moi, victorieuse de Îa
chair, était déterminée par la conscience de Dieu et que Jésus, grâce à
ce prodige, fut vraiment le rédempteur. Et Schleiermacher, remontant
de ce fait psychologique à sa cause, conclut que Jésus est l’auteur de la
rédemption, parce qu'il réalise en lui-même la plénitude de la con-
science divine et peut la communiquer aux autres. Au sein de la com-
munion vivante avec le Christ s’efface et s'éteint le sentiment du péché
et du châtiment comme celui de la souffrance. Le croyant, quoi qu'il
vive encore dans un monde de souffrance et de péché, ne se sent ni
malheureux, ni pécheur, parce que les atteintes du péché et de la souf-
france ne peuvent troubler sa communion avec la vie sainte et bien-
heureuse de Jésus-Christ. La théologie de Schleiermacher veut
concilier le vieux dogme et l'esprit de nouveau, mais elle est incompa-
tible avec l’orthodoxie protestante, et en dépit de sa piété, elle se
rapproche plutôt du rationalisme. Le péché n’est plus un désordre du
libre arbitre, mais le sentiment de notre inévitable imperfection ; le
père de l'humanité nouvelle, le second Adam, n'est qu’un produit
naturel de l’évolution humaine, et la vie qu’il transmet à sa postérité
n'est qu'une idée devenue vivante en s’incarnant dans une personne
historique et qui s'incarne encore aujourd’hui dans une société qui l’a
reçue de son fondateur pour la transmettre aux générations futures
(voir sur ce sujet, F. Bonifas, La ductrine de la Rédemption dans
Schleiermacher, Paris, 1865).
Les notes précédentes n'ont d'autre but que de montrer par quelques
exemples la place qu'occupe dans la dogmatique protestante la concep-
tion du second Adam. A-t-elle rempli le même rôle important dans la
théologie catholique ? Nous n’oserions le dire. Après avoir rappelé nos
souvenirs et consulté quelques manuels d'histoire de la théologie
catholique, nous gardons l'impression que cette doctrine est restée
plutôt à l’état sporadique, qu’elle n'a jamais été poussée à l’avant-plan
et n’a pas encore fourni les grandes lignes d’une synthèse théolo-
gique. Trouve-t-on chez les catholiques un traité du genre de celui de
l'eller, où toute l’économie de la religion est commandée par le parallèle
des deux Adams ? Ce n’est pas que cette disposition soit indispensable
ou qu’elle soit de nature à procurer à la thévlogie des enrichissements
véritables ; elle nous paraît avoir surtout une valeur formelle, mais à
ce titre déjà elle mérite d'être prise en considération, car elle est
génératrice d'unité et répand de la lumière dans tout l’éditice.
Sans doute, les exégètes catholiques, en commentant les épitres aux
Romains et aux Corinthiens, ont rencontré le parallèle des deux Adams
avec ses similitudes et ses antithèses, et en expliquant la lettre aux
Ephésiens, ils n'ont pas manqué d'y relever la doctrine du Mystère,
ou du dessein conçu par Dieu d'incorporer les hommes au Christ, ce
qui revient à faire du Cbrist un nouvel Adam ; sans doute encore, les
théologiens et les prédicateurs insistent avec raison sur la beauté pro-
fonde et la grande etlicacité morale de la conception de la vie chrétienne
NOTE SUR LA DOCTRINE DU CHRIST, NOUVEL ADAM. 247
que nous présente S. Paul. L'union intime et réelle du fidèle au Christ,
de l'Eglise à son chef, quel titre de vraie grandeur et quelle source
inépuisable d'énergie sanctifiante ! Mais il nous semble qu'on n’a pas
assez rapproché ces notions, qu'on ne les a pas suffisamment rattachées
au développement d'une seule et même idée maîtresse. C’est parce que
le Christ est le nouvel Adam que son œuvre rédemptrice peut s'étendre
à toute l’humanité; c’est encore parce qu'il est le nouvel Adam qu'il est
devenu en fait le chef de l’Église, la tête de son corps mystique. Après
avoir établi, d'après S. Paul, comment le Christ apparaît dans le monde
en qualité d'Adam, il faudrait montrer comment il se comporte en
Adam dans son œuvrerédemptrice, dans sa mortet dans sa résurrection,
et comment se forme l’humanité nouvelle, prolongement et complément
du second Adam. Nous voudrions aussi qu'on mît en relation plus
étroite qu'on ne paraît l’avoir fait jusqu'ici les multiples titres que
S. Paul décerne à Jésus, celui de messie, de second Adam, d'homme
céleste, de rédempteur, de chef de l'Eglise. Ê. ToBac.
COMPTES RENDUS.
B. J. Kinn, D. D. À History of the Church to À. D. 461. Oxford,
Clarendon Press, 1922. 3 vol. in-8, vis-558, 471 et 458 p. Prix :
58 sh. (chaque volume à part 21 sh.)
Le travail exécuté en France, il y a quelques années, par Mgr Du-
chesne, la synthèse de l’histoire de l'Église au cours des premiers
siècles, en harmonie avec les derniers travaux critiques et historiques,
n'avait pas jusqu'ici d'équivalent dans les pays de langue anglaise.
Le Rev. D' Kidd, recteur de Keble College à Oxford, si bien préparé à
cette tâche par le labeur de toute sa vie d’érudit, s’est proposé de
combler cette lacune. 11 l’a fait dans le présent ouvrage qui fournira
aux esprits studieux un instrument de travail commode et intéressant.
Sa méthode est strictement scientifique : il remonte aux sources,
_ indiquées au bas des pages par des références précises ; il en fait la
critique, lorsqu'il en est besoin, et se sert, pour son exposé, de celles
qui lui semblent sûres. Mais il ne faudrait pas croire que ces trois
volumes se raménent simplement à cet examen critique des documents.
Le D' Kidd a vraiment condensé, d'une manière, d’ailleurs, claire et
très ordonnée, tous les renseignements importants sur les problèmes
historiques des cinq premiers siècles de l'Eglise. Qu'il s'agisse des
événements et de leur répercussion sur la vie de l'Église, du dévelop-
pement de la doctrine, de la littérature ou des institutions chrétiennes,
on peut dire que l'auteur s’est efforcé d'être complet, sans jamais
cesser de faire œuvre d’historien sérieux et consciencieux, sans que,
non plus, la gravité un peu austère du ton nuise à l'intérêt du récit.
C'est que l'intérêt lui-même se dégage des faits bien groupés, bien
enchainés et laissant apercevoir sans effort l’ensemble de la scène his-
torique qu'il s'agit de décrire. Le plan à une certaine analogie avec
celui de Mgr Duchesne, dans son Histoire ancienne de l'Eglise. Les deux
ouvrages sont pourtant tout-à-fait indépendants l’un de l’autre et bien
différents de ton et d’allure.
Le premier volume prend l'Eglise à sa naissance, aux jours de la
Pentecôte et la suit jusqu'au règne de Constantin, en 313. Durant cette
période, l'Eglise s'établit et prend racines ; elle doit aussi se défendre
contre l’État persécuteur et contre les doctrines hétérodoxes qui tentent
de l'envahir. Ces premières luttes politiques et doctrinales sont
racontées avec intelligence ; leur caractère est exposé avec netteté et
précision. C'est, en même temps, l’époque des premières manifestations
de l’activité littéraire du christianisme. Le D' Kidd s’y est intéressé et
il analyse avec une rare compétence les ouvrages de cette période qui
sont parvenus jusqu'à nous. Il faut en dire autant des institutions de
l'Eglise primitive.
B. J. KIDD : À HISTORY OF THE CHURCH TO A. D. 461. 249
Certes, et nous le disons ici pour n'avoir pas à y revenir, il ne nous
est pas possible d'accepter toutes les conclusions de l'historien. Dés le
premier volume, il est obligé d'aborder la question de l'autorité du
siège de Rome et, encore qu'il le fasse avec modération ct respect, il
est à craindre que son sens critique si réel ne se soit laissé infiuencer
sur ce point par sa foi anglicane. Pour lui, il est vrai, la venue de
saint Pierre à Rome est un fait indéniable. L'apôtre y a prêché l'Evan-
gile et y a subi le martyre. Seulement, le rôle de Pierre doit être bien
compris. Il n’est pas venu constituer à Rome un épiscopat ; il y est
venu exercer un apostolat. Et s’il a été l’évêque de Rome, il ne l’a été
que dans la mesure où les fonctions d’un évêque se confondent avec
celles d'un apôtre. Il ne faut pas oublier que Paul, lui aussi, a été
apôtre de Rome, qu’il y est mort et que l’Église de Rome a donc eu
pour fondateurs deux apôtres et les deux principaux. Elle est, d’ailleurs,
la seule Eglise apostolique de l'Occident, elle réside au centre de l'Em-
pire, elle est influente, riche, et peut se montrer facilement charitable,
autant de raisons qui, d’après notre auteur, expliquent, plus que la
primauté de saint Pierre, l'espèce de suprématie, ou plutôt de notoriété,
dont elle jouissait dès la fin du premier siècle. On ne peut nier la pré-
émipence;, mais cette prééminence appartient à l'Eglise, non à
l'évêque. C'est au nom de la communauté que saint Clément écrit aux
Corinthiens, c'est à l'Église et non à l’évêque que saint Ignace s'adresse.
Au 11° siècle seulement l'évêque de Rome bénéficiera personnellement
de cette sorte de suprématie qui est uniquement celle de son Eglise.
Encore faut-il noter que, même à partir du second siècle, lorsque la
primauté de Rome et de son évêque sera reconnue assez généralement,
il ne s'agira ni d’une suprématie réelle, ni surtout d’une juridiction
universelle. En somme, la primauté de saint Pierre n'a pas créé celle
de son Eglise, comme on l’a prétendu si longtemps. Au contraire, c’est
l'excellence particulière de l’Église de Rome qui a fini par rejaillir
jusque sur son chef, et non-seulement sur les papes du n° siècle et des
siècles suivants, mais par un procédé de régression historique curieux,
jusque sur les tout premiers pontifes et jusque sur saint Pierre lui-même.
Il y a peu de chances pour qu'une telle explication rallie beaucoup
de suffrages en dehors de l'anglicanisme. Il eût mieux valu n’y pas
insister et laisser au lecteur le soin d’apprécier à leur juste valeur la
longue série de faits et de renseignements concernant l’histoire de
l'Eglise romaine aux deux premiers siècles. Le D" Kidd les a recueillis
fidélement ; cela suffisait. L'exégèse en est facile, lorsque surtout on
l'illumine de la clarté de quelques passages évangéliques qui ont tout
de même une certaine signitication. Cette exégèse n’a pas besoin d’être
trés tourmentée pour conduite à des conclusions que les catholiques
ont le droit de considérer comme sûres et bien appuyées.
Dans la deuxième partie de son livre (an. 313-408), où les controverses
trinitaires sont au premier plan, nous sommes sur un terrain plus
ferme. C'est avec une parfaite maîtrise que l'auteur conduit ses lecteurs
250 COMPTES RENDUS.
au milieu des intrigues ariennes, des conciles contradictoires et de
toutes sortes de subtiles professions de foi. Toutefois, là encore, on
pourrait trouver que l'historien n’a pas traité avec grande bienveillance
le pape Libère dont il étudie à loisir la défaillance. Sans méconnaître
que les témoignages ne concordent pas, il penche vers la pire solution,
celle que suggèrent les fragments de saint Hilaire. Et pourtant, il ne
faut pas l'oublier, c'est ce même pape Libère, si décrié, qui, une fois
libre, a pris la tête du mouvement contre l’hérésie victorieuse. Et
quand, à la fin du règne de Constance, la majorité des évêques et les
conciles, celui de Rimini surtout, renoncèrent pratiquement à la foi de
Nicée, ce sont ses successeurs qui réussirent, après lui, à grouper les
fidélités éparses ; c'est à eux, en 365, que les Orientaux semi-ariens
adressèrent leur soumission pour être réunis à l'Eglise catholique.
Le troisième volume étudie l’histoire du v* siècle entre l'avènement
de Théodose II (408) et la mort de saint Léon (461). Epoque décisive
pour le développement du dogme. D'un côté, la doctrine de la grâce est
approfondie par saint Augustin dans ses controverses antipélagiennes ;
de l’autre, la christologie trouve ses formules définitives entre l’hérésie
de Nestorius et celle d’Eutychès. Le D' Kidd rend hommage au génie
et à l'influence incomparable de saint Augustin. Mais il se range parmi
ceux qui trouvent extrêmes et erronées les vues de l’illustre docteur
sur la grâce et la prédestination. L'évèque d'Hippone aurait eu une
conception imparfaite de l'équité de Dieu d’une part, de la responsa-
bilité humaine de l'autre (t. III, p. 126). Il aurait soutenu, au moins
dans le dernier stage de la controverse, l’irrésistibilité de la grâce.
Voilà qui est bien catégorique. Mais l’exégèse des textes augustiniens
sur la grâce n’est pas chose si simple et il y a des chances pour qu’elle
occupe longtemps encore les érudits et les théologiens. Aussi aura-t-on
généralement quelque peine à souscrire à de telles conclusions, si peu
nuancées. Après tout, la doctrine de saint Augustin sur la grâce a été,
dans ses grandes lignes, celle de la tradition et celle de l'Eglise. Il a
toujours affirmé la liberté essentielle et la responsabilité de l'homme.
Des expressions outrées qui s'expliquent dans la polémique doivent, en
bonne critique, s'interpréter à la lumière des grands principes sauve-
gardés dans tout son enseignement.
L’exposé des querelles christologiques qui remplissent la première
moitié du v*° siècle ne donne pas lieu aux mêmes difficultés et l’on ne
pouvait étudier avec plus de clarté et d’exactitude que ne l’a fait le
D: Kidd le développement de l’hérésie nestorienne. La grande figure
de saint Cyrille d'Alexandrie s’y trouve un peu maltraitée ; c'est de
tradition dans un certain cercle d'historiens. L'auteur lui rend,
d’ailleurs, justice à plus d'un titre. Il ne dissimule en rien l’importance
du nestorianisme et il reconnaît le grand mérite de saint Cyrille qui a
compris tout ce que contenait cette hérésie et qui a dû la démasquer et,
finalement, l’abattre.
Le pontiticat de saint Léon termine heureusement cette période
J. BOUTET : S. CYPRIEN, ÉVÊQUE DE CARTHAGE ET MARTYR. 51
capitale de l’histoire ecclésiastique. Grand prédicateur, grand théolo-
gien, plus grand encore comme homme de gouvernement, Léon à fait
reconnaître à l'Orient comme à l'Occident l'autorité du Siège Aposto-
lique et a formulé la doctrine de la primauté. Formulé et non pas créé,
pas plus qu'il n'a créé dans son fameux Tome le dogme de l’incarnation.
Primauté, incarnation, il les trouvait dans la révélation et son rôle a
consisté surtout à leur donner une consécration nouvelle et plus solen-
elle. L'auteur s'incline devant la figure « calme, forte et majestueuse »
de ce pontife qui domine tout son siècle.
Une table alphabétique des matières clôt chacun des trois volumes
et en fait un instrument d'études à la fois précieux et très commode. Et
les réserves nécessaires qui sont venues sous notre plume au cours de
cette recension ne doivent pas obscurcir les qualités maîtresses de cet
ouvrage capital. Il est l'œuvre d’un véritable historien, toujours bien
iaformé, sachant analyser les textes avec une critique érudite et avisée-
Le ton demeure toujours plein de calme et de gravité, l'exposition ne
manque oulle part de clarté, ni d'intérêt. Moins alerte, souvent moins
vivante que l'Histoire ancienne de l'Église de Mgr Duchesne, l’œuvre
du D: Kidd est, il faut l’avouer, sur bien des points, plus sérieuse et
plus approfondie. P. G. CHauviN, O.S. B.
J. Bourer. Saint Cyprien, évèque de Carthage et martyr (210-258).
1. (La vie chrétienne à l’école des Saints Pères.) Avignon, Aubanel,
1923. In-8, xu1-279 p.
Le présent ouvrage est le premier volume d’une collection destinée
« à mettre. les chefs-d’œuvre de l’ascétisme chrétien à la portée des
fidèles, chaque jour plus nombreux, qui recherchent pour leur âme une
pourriture puisée aux sources mêmes du christianisme ». Elle s'adresse
au grand public, estimant avec raison que les Pères n’ont pas réservé
leurs homélies ou leurs ouvrages à une élite, mais se sont adressés bien
souvent à la foule. Pour de tels lecteurs « il faut élaguer, il faut choisir
et parfois expliquer » (Avant-propos). On ne peut que louer et encou-
rager pareille initiative qui tend à révéler aux chrétiens de notre
temps les trésors de l'antiquité chrétienne, gardés jusqu'ici trop
jalousement par les érudits ; ils ne peuvent qu'y trouver édification et
profit pour leur éducation religieuse.
Ce dont on a le devoir aussi de louer les éditeurs, c'est qu'ils aient
songé à inaugurer leur nouvelle collection par un choix des ouvrages de
S. Cyprien. Le grand évêque africain, avec son «esprit éminemment
pratique », avec son âme d’évêque, la pleine possession de soi-même
avec laquelle il résout les difficultés nombreuses et délicates dans
lesquelles les circonstances l'ont jeté, — une seule fois il fait excep-
tion, — était tout désigné pour prendre place dans la collection et il
faut féliciter l'abbé Boutet d’avoir songé à lui donner la première place.
252 COMPTES RENDUS.
Nous n'avons encore qu’un volume de son ouvrage; un second suivra
et je crains bien qu'il ne doive se résigner à donner une suite à celui-ci.
Il n'a en effet encore qu’un maigre morceau des richesses de l’œuvre
du maître.
Il commence par nous donner une esquisse de sa vie, puisée aux bons
auteurs et avec l'amplitude suffisante pour fournir à des lecteurs non
familiarisés les lumières nécessaires pour comprendre l’âme, l’œuvre
et la vie du grand évêque. C’est vraiment la bonne partie de son livre.
En nous donnant à la fin de cette vie la chronologie des œuvres princi-
pales, il nous avertit qu'il va les publier dans l'ordre chronologique :
S. Cyprien, homme d'action, n’a pas écrit pour le plaisir d'écrire : il
pe l’a fait qu'au moment où les circonstances l'y forçaient. Ses œuvres
font partie intégrante de sa vie de chrétien et d'évêque. Nous donnons
parfaitement raison à l’auteur de notre ouvrage.
Il ne donne pas le texte intégral de toutes les œuvres qui paraissent
dans sa publication ; pour certaines, il se contente d'extraits, mais
d'extraits assez longs pour fournir une connaissance sérieuse de
l'œuvre. Je regrette qu'il n'ait pas mieux marqué les coupures faites
et relié les passages publiés au moyen d’une courte analyse, comme
aussi qu’il ait délibérément supprimé les divisions adoptées par les
éditions critiques, ce qui rend le rapprochement de sa publication avec
celles-ci quelque peu pénible. Il se justifiera probablement en me
répondant qu’il écrit précisément pour des lecteurs qui n’ont pas à
faire tel rapprochement.
Il fait précéder chaque traité d’une courte notice destinée à donner
les renseignements utiles pour l'intelligence du texte : circonstances de
la composition, but poursuivi, brève analyse, caractère du livre. Je suis
à dessein le plan de la notice d'introduction de la lettre ad Donatum,
qui me semble la mieux réussie; je suis moins content de celle qui
précède le de habitu viryinum, où l’auteur s’est attardé à des dévelop.
pements intéressants sans doute, mais qui ne sont pas nécessaires pour
l'intelligence d'un texte, qu’il ne fxit pas connaître suflisamment pour
lui-même. Les morceaux publiés sont suivis d’appendices : le présent
volume en contient trois, sur le baptème, la confirmation, le mariage
dans saint Cyprien. La table des matières du second volume nous
annonce que les autres sacrements y auront leur place. Ce sont, à en
juger par les appendices du présent volume, des notes destinées à
renseigner sur la théologie sacramentaire de l’évêque de Carthage, sur
les rites suivis dans l’ancienne Église dans l'administration de ces
sacrements. Elles sont bien composées.
Ce premier volume contient des extraits de la lettre à Donat, du traité
sur la Vanité des idoles, la publication complète des Règles de conduite
pour les vierges et entin des passages considérables des trois livres des
Témoignages à Quirinus. Je ne comprends pas bien la place relativement
grande accordée à ce dernier ouvrage, étant donné le but poursuivi par
la collection, pas plus que les extraits de l'ouvrage sur la Vanilé des
A. MOULARD : S. CHRYSOSTOME, LE DÉFENSEUR DU MARIAGE. 203
idoles. L'auteur me semble avoir sacrifié quelque peu au démon de
l’érudition ; il lui fait d’autres sacrifices dans les notes, pourtant assez
sobres, s'attachant, çà et là, à reproduire des extraits quelque peu longs
d'autres Pères sur la matière traitée. J'aimerais mieux qu'on se con-
tentât de dire ce qui est nécessaire pour l'intelligence du texte, cela
seulement mais cela nécessairement. ,
La traduction est élégante, facile et agréable à lire. Je n'irai pas
jusqu'à dire qu'elle rend toutes les nuances du texte original, on ne peut
le lui demander et les lecteurs auxquels elle est destinée, ne penseront
pas à l'exiger; mais elle rend tidèlement la pensée du maître dans son
sens et son esprit.
Eu somme, l’abbé Boutet a bien inauguré la nouvelle collection, par
l'heureux choix du sujet et par la manière dont il a réalisé son entre-
prise d’initier le grand public à l'activité littéraire du grand évêque de
Carthage. J. FLAMION.
A. MouLann. Saint Jean Chrysostome, le défenseur du mariage et
Papôtre de la virginité. Paris, J. Gabalda, 1923. In-8, 322 p.
« Quelle valeur morale et quelle place au sein de la cité chrétienne »
S. Jean Chrysostome accordait.il, d’une part, au mariage et, d'autre
part, au célibat de caractère religieux ? Dans sa pensée, « le mariage
est-il licite, ou non ? désirable, ou non ? la virginité est-elle de
précepte ou de conseil ? est-elle supérieure au mariage ? » Telles sont,
formulées par l’auteur lui-même, les questions à examiner dans ce
livre. Pour y répondre aussi adéquatement que possible, M. Anatole
Moulard, Docteur és-Lettres, s’est astreint à dépouiller l’œuvre entière
de Jean Chrysostome. Il à consciencieusement analysé et fondu ensuite
dans l'unité d’une synthèse les très nombreux passages susceptibles de
lui apporter quelque lumière. Son volume est formé, pour une bonne
part, d'extraits, résumés ou citations textuelles, et il n'a pas eu besoin
d'ajouter à ses analyses beaucoup de commentaires et de discussions.
Cette manière de procéder est déjà une garantie de fidélité dans
l'interprétation du fond doctrinal.
Au sujet du mariage, Jean Chrysostome n'a rien avancé qu'il ne
prétende tirer de l’Ecriture et en particulier de saint Paul, qui était,
on le sait, son docteur préféré. Ses vues en cette matière sont natu-
rellement connexes avec la façon dont il concevait, d’après les mêmes
sources, la situation respective des deux sexes. Or, à ses yeux, la
femme, sortie des mains du Créateur i’égale de l’homme — entendons
égale en honneur et en dignité — est devenue, par la faute originelle,
sa subordonnée ; elle reste cependant, pour lui, une libre et noble
compagne, qu'il faut bien se garder d'asservir ou de rabaisser comme
le paganisme l'avait fait. Le péché, en la mettant au second rang, en
la rendant même souvent dangereuse pour celui qui partage sa
254 COMPTES RENDUS.
déchéance, ne l'a point foncièrement corrompue. Rien, dans les
réflexions et appréciations de S. Jean, qui sente ce que M. Guignebert
a appelé bien injustement « l'horreur de l’Église pour la femme ».
Toutefois l'union actuelle de l’homme et de la femme, en d’autres
termes, le mariage, envisagé dans sa réalité concrète et comme impli-
quant les rapports sexuels, est, lui aussi, une suite de la chute origi-
nelle ; celle-ci l’a rendu nécessaire en engendrant la concupiscence «et
la mort ; avant la chute il n’y avait ni union ni instinct sexuels. Telle
est, du moins, la signification concordante d'un grand nombre d'asser-
tions de Chrysostome, à l'encontre de quelques autres qui y contre-
disent assez clairement. Il y a Là évidemment une exagération de cette
vérité, que la concupiscence désordonnée, la révolte des sens contre
la raison, date de la faute de nos premiers parents. Mais cette inter-
prétation exagérée une fois admise, il s'ensuit que le mariage doit être
considéré avant tout comme un remède à l’infirmité humaine, ce serait
là sa raison d'être principale, sinon unique ; de la procréation des
enfants il est à peine fait, de ci, de là, une légère et rapide mention;
et ici encore il faut bien reconnaître une opinion toute personnelle de
Jean. Néanmoins nous aurions tort de prendre à la lettre et séparé-
ment telle ou telle expression qui semble présenter le mariage comme
une simple tolérance; car ailleurs, très explicitement et très fréquem-
ment, sa légitimité est proclamée et établie par bonnes et solides
preuves. Elle est défendue exprofesso contre l’encratisme manichéen,
procédant du principe que la chair est mauvaise en soi, puis contre
cette forme mitigée d’encratisme, qui vise à se maintenir dans les
bornes de l’orthodoxie et que M. Moulard appelle, on ne voit pas trop
pourquoi, « l’encratisme doctrinal », comme si le premier n'était pas
lui aussi doctrinal, en tant qu'application d’une doctrine hérétique.
A l’une et l’autre tendance Jean Chrysostome oppose que le mariage,
n’étaut ni un mal en soi ni une faute, n'est pas non plus un obstacle
insurmontable au salut ; qu’il y a, en effet, pour se sauver, plusieurs
voies, qui conduisent toutes au même but. Le mariage est une de ces
voies, et, loin d'être nécessairement blämable, il s'impose dans cer-
tains cas. On doit en faire une obligation aux jeunes gens qui n'ont
pas le courage de s'engager dans l'état monastique ; et, de plus, il
importe, au point de vue de leur préservation, que leurs parents les
marient de bonne heure, en tenant compte du reste des conditions
indispensables d’une union chrétienne.
En somme donc et malgré des hésitations et des fluctuations sur des
points de détail, nous retrouvons dans S. Jean Chrysostome la sub-
stance de la doctrine traditionnelle, moins nettement toutefois et
moins conséquemment exposée, moins fortement motivée quant à la
dignité du mariage, que chez S. Ambroise, S. Augustin et d'autres
Pères de la même époque. |
Après avoir défendu le mariage contre les mépris et les accusations
de l'hérésie et d'un ascétisme outrancier, Jean se fait l’avocat et le
À. MOULARD : 8. CHRYSOSTOMB, LE DÉFENSEUR DU MARIAGE. 259
promoteur de la virginité en face de tous ses détracteurs ; et il apporte
même à cette seconde tâche sinon plus de conviction et de zèle, du
moins un enthousiasme plus chaud et plus opiniâtre qu'à la précédente,
Et n'était-il pas naturel que, voué de bonne heure et de toute son âme
à la vie monastique, il mît une belle ardeur, une sorte d’entrain
juvénil à vanter ce qui en est à la fois une règle fondamentale et un
des plus glorieux privilèges ? Pour lui, la virginité, vertu inconnue de
l'Ancienne Loi et du paganisme, propre donc au christianisme, a sa
racine dans la foi évangélique, dans l’enseignement de Jésus et de
saint Paul. Elle n'est en soi obligatoire pour personne, elle est recom-
mandée comme un article de perfection et de conseil ; c’est un idéal
proposé au libre choix de tous ceux que peut tenter l'ascension des
sommets. Ses avantages sont nombreux et considérables, et Jean
prend manifestement plaisir à en dérouler le tableau. Pour les faire
mieux valoir, il y oppose les inconvénients, soit matériels, soit moraux,
de la vie conjugale, et dans le croquis qu’il trace de celle-ci, il est
permis de soupçonner parfois ou d’entrevoir un petit grain de malice,
comme un léger penchant à la satire. Disons même avec M. Moulard
qu’on peut, en plus d’un endroit, relever « quelques exagérations » de
même tendance générale ; c'est ainsi que, s'adressant aux parents, il
leur dépeint sous des couleurs si vives les dangers que court la
jeunesse dans le monde, qu'il semble leur faire un devoir de pousser
tous leurs enfants vers les solitudes érémitiques ou dans les cloîtres.
M. Puech pense que les paroles de l’austère moraliste pourraient
s'entendre d’un séjour temporaire des jeunes gens dans les monastères,
de quelques années de retraite et de réclusion, nécessaires et suffi-
santes pour les former, pour les aguerrir ; mais M. Moulard refuse
à bon droit de se rallier à cette interprétation, trop bénigne pour être
fondée exégétiquement. Ajoutons que ces écarts de langage n’ont été
constatés que dans une œuvre de polémique et de jeunesse, dans le
tract apologétique Adversus oppugnalores vitae monasticre, l’une des
premières productions de Jean. Ce ne fut donc là, conclut M. Moulard,
« qu'une erreur passagère, qu’on ne retrouve dans aucun autre de ses
écrits, pas même dans le rio napbsvixs ». Du reste, quand il vante la
virginité, S. Jean Chrysostome ne restreint nullement la pratique de
cette vertu suivant la signification primitive et propre du mot, il en
étend au contraire le sens de manière à y inclure l'exercice de toutes
les vertus morales et sociales. La vraie virginité, à son gré, est dans
le cœur, et elle ne va pas sans l’amour, un amour agissant, de Dieu et
des hommes. La parabole des dix vierges lui sert à montrer que la
virginité chrétienne et méritoire est inséparable de la charité. Aussi
bien ses difficultés vont de pair avec ses grandeurs. C'est notamment
et tout d’abord une fleur délicate, qui ne naît ni ne s’épanouit que
dans un milieu bien gardé, et qu’il faut protéger contre tout souffle
malsain ; c’est un trésor qui ne s’acquiert ni ne se conserve sans
combats et qu’il n'est jamais permis d'exposer inconsidérément. C’est
256 COMPTES RENDUS.
pourquoi on doit réprouver avec la dernière énergie une coutume trop
répandue, suivant laquelle des clercs et des vierges consacrées, pré-
textant des nécessités domestiques et je ne sais quel mariage spirituel,
habitent ordinairement sous un même toit. Cet abus, maintes fois
condamné par l'Eglise, est dangereux, scandaleux, absolument injus-
titiable ; «il a couvert la virginité de ridicule aux yeux des vrais
chrétiens et des païens. » Ce c’est pas sans raison qu'on a donné à ces
vierges folles le surnom moqueur dle yuvaixes quveigæxror, les « sub-
introduites ». Contre ce « subintroductionnisme » Jean a des pages
d'une éloquence et d'une virulence peu communes, et il revient fré-
quemment sur ce sujet : tant le danger lui apparaissait grand et l’abus
intolérable ! tant il avait à cœur l’honneur de la virginité, du clergé
et du monachisme ! |
Puisque telle était son estime pour la virginité, il est assez naturel
qu'il en ait cherché, pour ainsi dire, et aimé comme un vestige, une
imitation, dans l’état de viduité embrassé et continué en esprit de
mortification et de religion. On ne sera donc pas étonné que, sans
voir, comme Tertullien, dans le texte de la Genèse : Et erunt duo in
carne una, la condamnation de la polygamie, tant successive que simul-
tanée, il déconseille fortement les secondes noces. On pourrait plus
justement s'étonner de ce que, pour détourner les jeunes veuves du
mariage, il invoque, comme motif, non unique, mais prépondérant,
« l'expérience qu’elles ont faite une fois de ses amertumes ». C’est par
un chapitre sur le remariage que M. Moulard clôt son travail.
Cette étude critique éclaire bien un point intéressant de la tradition
patristique. Elle est largement conçue, conduite méthodiquement, et
l'on n’y a rien omis de ce qui peut faire saisir jusque dans ses nuances la
pensée parfois ondoyante de Jean Chrysostome. Non seulement toutes les
affirmations du saint docteur, toutes ses opinions concernant le mariage
et la virginité ont été soigneusement recueillies, pesées attentivement,
soumises surtout à un examen comparatif et conciliateur, souvent
nécessaire autant que difficile; mais M. Moulard s’est appliqué à
replacer cet ensemble doctrinal dans son cadre historique, en le con-
frontant avec les enseignements des autres Pères et écrivains ecclé-
siastiques de la même époque ou des siècles antérieurs. Nous sommes
ainsi mieux à même d'en mesurer la juste portée, d'en apprécier la
haute valeur morale. .
M. Moulard, traitant son sujet de façon objective et sans autre souci
que celui de la vérité, signale franchement, partout où il les rencontre
dans sa discussion détaillée des textes, plusieurs endroits faibles,
quelques assertions hasardées ou sujettes à correction, quelques
autres aussi corrigées par Chrysostome lui-même. Cela étant, je tiens
pour certain qu’il ne faut pas entendre en un sens trop absolu cer-
taines expressions par lesquelles le diligent critique, se résumant,
paraîtrait presque vouloir atténuer des réserves énoncées et bien
justitiées au cours de son étude. Il écrit, par exemple, que « $. Jean
TH. HARAPIN : PRIMATUS R. P. IN CONCILIO CHALCEDONENSI. 257
Chrysostome n'a jamais varié sur la question du mariage et de la
virginité », que « parler d'évolution proprement dite à propos de
S. Jean serait un non-sens ». S’exprimer ainsi n'est-ce pas, par souci
peut-être de précision et de condensation, s’exposer à être mal com-
pris ? Un exégète, un moraliste à charge de qui on a relevé « quelques
contradictions, quelques écarts de pensée et de style » (p. 308), sans
parler de ses « boutades » et de ses « paradoxes » ; qui a soutenu, mais
« non pas toujours », que sans le péché originel l’union sexuelle n’eût
pas existé (p. 6) ; dont on peut dire : « Il y eut une époque où il fut
bien près de considérer la pratique de la virginité dans la vie monas-
tique comme une nécessité de salut... Mais ce ne fut [à qu'une erreur
passagère, qu'on ne retrouve dans aucun autre de ses écrits » (p. 225-
232) ; — ce moraliste, cet exégète a bel et bien varié, ce me semble ;
il à aussi évolué, évolué heureusement, progressé en évoluant.
M. Moulard nous cite en les approuvant ces paroles de Neander :
« Dans le calme et régulier développement de sa doctrine (celle de
Chrysostome), se montrent, depuis les premiers écrits jusqu'aux
derniers, les mêmes idées dominantes et les mêmes sentiments. » A la
bonne heure ! Je fais volontiers mienne, à la suite de M. Moulard,
cette appréciation. Mais un développement doctrinal régulier, qui res.
pectant les mémes idées dominantes et les mêmes sentiments, en fait
sortir de nouvelles conclusions et applications, plus complètes, parfois
aussi plus justes que les précédentes, n'est-ce pas précisément celui qui
répond le mieux à la notion d'évolution ? Après tout, nous ne devons
pas craindre ce nom d'évolution. Mais j'ai tort sans doute, grandement
tort, en présence d’un travail dont les qualités de fond et de méthode
sont si manifestes, de paraître insister sur un détail de terminologie,
sur une question de mots. J. FoRGET
P. Tacopa. HarabiN, O. F. M. Primatus Pontificis Romani in con-
cilio Chalcedonensi et Ecclesiae dissidentes. (Collectanea philoso-
phico-theologica, cura professorum Collegii internationalis S. An-
tonii de Urbe edita. Vol. I.) Quaracchi, Collège S. Bonaventure,
1923. In-8, 150 p.
Les « Églises dissidentes » ici visées sont ces communautés chré-
tiennes soi-disant « orthodoxes », dont la situation, même matérielle,
surtout dans l'empire russe, est aujourd’hui si lamentable. Toutes
refusent obstinément de croire et de se soumettre à l'autorité du pape.
À cette subordination, qui les honorerait comme la vérité reconnue
et le devoir accompli honorent, elles ne rougissent pas de préférer
leur subordination au pouvoir civil ; nous en avons l’aveu ofliciel dans
une lettre adressée par leurs chefs à Pie IX en 1848. Et pourtant la
primauté de Rome est un fait si éclatant, que leurs historiens les plus
sérieux n’ont pas pu ne pas le proclamer. A. P. Lebedev en a formulé
258 | COMPTES RENDUS.
la constatation en termes très explicites : « Toujours et immuable-
ment le Pontife romain a été au-dessus des autres patriarches ; jamais
il n’a eu ni pu avoir d'égal parmi les évêques. » De ce fait et de sa
légitimité on relèverait d'innombrables preuves, si l'on voulait dé-
pouiller le recueil des sept premiers conciles œcuméniques, les seuls
que les « Orthodoxes » admettent. Dans le petit volume que j'ai sous
les yeux, on se restreint à l'étude du principal, du concile tenu à
Chalcédoine en 451, auquel environ 600 évêques assistèrent.
Le KR. P. Harapin traite ce sujet avec ampleur ct une érudition de
bon aloi. Il distingue dans son travail deux parties, l’une « historique»,
et l’autre « démonstrative ». La première, qui constitue une sorte de
longue iotroduction, ne se borne pas à résumer les antécédents du
concile : l'émoi causé par la publication des erreurs d’'Eutychès, les
manœuvres et les tergiversations de l’hérésiarque, les scandaleuses
excentricités et les empiétements du « brigandage » d’Ephèse; elle
nous retrace en outre, session par session, la suite des débats et des
décisions de Chalcédoine.
La seconde partie comprend trois chapitres : d’abord, les textes ou
témoignages qui serviront de base à la démonstration ; puis, les con-
clusions qui en découlent ; enfin, un examen spécial et très attentif
du fameux canon xxvitt. Les témoignages à utiliser, empruntés à la
Collection de Labbe et reproduits in extenso, se divisent et se sub-
divisent assez naturellement d’après leurs dates et la diversité de leur
provenance. L'auteur en aligne un nombre respectable de chaque
catégorie : antérieurement à la célébration du concile, il n’en compte
pas moins de 41, dont 27 tirés des lettres de saint Léon, neuf, des
lettres à lui adressées, et cinq, de lettres échangées entre d'autres
personnages de marque. Les Actes conciliaires en fournissent 22 ; les
temps subséquents, 12. Pris chacun à part, ces textes, on le devine,
sont de valeur fort inégale ; mais leur ensemble est de nature à porter
la conviction, une conviction inébranlable, dans tout esprit non
prévenu. Le KR. P. Harapin en reprend du reste l’analyse détaillée,
pour en déduire successivement les propositions suivantes : 1° le
Pontife romain est le successeur de Pierre, c’est-à-dire l'héritier de
toute l'autorité que Pierre tenait du Christ ; 2 il a juridiction univer-
selle, en tant que tête de l'Église et du corps épiscopal, en tant que
chargé du soin de toute l'Eglise, en tant qu’il gouverne de fait les
évêques, et en tant que, comme juge, il prononce en dernier ressort
dans toute cause portée à son tribunal ; 3° il a autorité sur les conciles ;
4° il est le suprême et infaillible docteur de la foi. Tout cela, je le
répète, peut et doit entrainer la conviction. Néanmoins il est peut-être
permis de se demander si, au point de vue non de la solidité des con-
clusions, mais de leur facilité, pour que la force en saute aux yeux
plus vite et avec moins d'effort, il n’eût pas mieux valu, dans cette
surabondance de textes, en choisir quelques-uns des plus catégoriques,
des plus significatifs, pour y insister et les mettre en pleine lumière
TH. HARAPIN : PRIMATUS R. P. IN CONCILIO CHALCEDONENSI. 59
à l'aide des autres, groupés tout autour. De plus, la marche suivie
devait fatalement conduire et à de fait conduit à d'assez fréquentes
répétitions, d’autant que certains extraits sont propres à établir ou
confirmer également plusieurs aspects, plusieurs prérogatives de la
suprématie pontificale. Inévitables dans le deuxième chapitre, les
redites l’étaient plus encore dans le troisième, consacré tout entier
à une critique approfondie du 28° canon. Ici le R. P. Harapin rappelle
d'abord comment ce canon se rattache historiquement, d’une part, au
6* et au 7° de Nicée, et, d’autre part, au 3° de Constantinople, qu'il
prétend reproduire et confirmer. Il raconte aussi à grands traits sa
genèse laborieuse et sournoise, presque subreptice, ainsi que les oppo-
sitions déclarées qu'il rencontra, après le vote comme avant, et qui le
rendent absolument caduc. L'auteur examine ensuite la portée primi-
tive du 28° canon relativement à la primauté romaine, dans quel
esprit il fut proposé et voté. Il établit très bien que les Chalcédoniens,
uniquement préoccupés de rehausser la splendeur du siège épiscopal
de la cité impériale, n’ont cependant point voulu disputer à Rome la
souveraineté de juridiction : la première partie du canon en cause ne
concerne évidemment que la primauté d'honneur, dans l'ordre de
laquelle elle ne revendique d’ailleurs que le « second » rang, « après »
le Pontife romain ; mais, par une inconséquence à peine concevable,
la deuxième partie, où il est clairement question des droits, des actes
d'autorité que l’évêque de Constantinople exerçait en qualité de
patriarche, se présente comme rattachée à la première et en découlant.
À cet illogisme flagrant viennent s'ajouter des considérants ou trop
vagues ou positivement inexacts, pleins de dangers, par conséquent,
et susceptibles des abus les plus funestes ; nous y lisons, par exemple,
que les privilèges réclamés pour Constantinople — privilèges d'honneur,
Ta npe(ieia ris Tuuñc— sont égaux à ceux de Rome ; que les privilèges
de Rome lui ont été justement attribués (jure tribuerunt, Etxorws ànode-
Owzaot) par les Pères ; qu'elle en a été gratifiée parce qu’elle était la
capitale de l’empire /quod imperaret, duà to (agrevew). Avec de tels
principes ce qui devait se produire s'est produit : les Grecs, l’anti-
pathie et la jalousie séculaires aidant, ont vu dans des formules à
tout le moins équivoques et exagérées comme à plaisir, ce que leurs
auteurs n’y avaient pas voulu mettre; ils y ont vu la primauté romaine
réduite à un droit de préséance, à une prééminence d'honneur et
d'institution ecclésiastique ; logiquement ils auraient pu et dû aller
plus loin, jusqu’à l'affirmation de la substitution pure et simple de la
nouvelle Rome à l’ancienne. Nous voilà ainsi amenés à nous rallier
a cette sévère appréciation du 28° canon, tombée naguère de la plume
d'un spécialiste en choses russes : « Nous sommes, dit le P. Jugie, en
présence d'un mensonge officieux, qui se trahit du reste par un manque
de logique ; car si la prééminence religieuse de Rome lui vient de son
rang de capitale, cette prééminence n’a plus de raison d’être depuis
que la nouvelle Rome est bâtie, et celle-ci doit occuper désormais non
260 COMPTES RENDUS.
le second, mais le premier rang. Les Pères de Chalcédoine n'osérent
aller jusque-là, parce qu'ils croyaient à la primauté de droit divin,
tout en s'exprimant comme s'ils n’y croyaient pas. » Les théologiens
orthodoxes les plus en vue, comme Balsamon et Zonaras, reculent
aussi devant une conséquence trop inconciliable avec tous les
témoignages historiques.
En dépit de quelques longueurs, inhérentes au plan adopté, et de
quelques pages d’une lecture légèrement laborieuse, l'étude du
R. P. Harapin se recommande à la plus sérieuse attention des histo-
riens, aussi bien que des théologiens et des canonistes. Elle est
richement documentée et solidement charpentce. L'auteur, à qui les
langues slaves sont familières à l’égal du grec et du latin, est remonté
constamment aux sources, et toutcs ses citations sont faites d'après
les textes originaux. Son livre pourrait passer pour un commentaire
anticipé de quelques parties de la récente encyclique Ecclesiam Dei.
J. FOoRGET.
F. J. Foakes JACKSON. An introduction lo the history of christianity
À. D. 590-1514. New-York, The Macmillan Company, 1921. {n-8,
ix-390 p.
Sous ce titre un peu équivoque, l’auteur, qui est professeur d'institu-
tions chretiennes à l'Union theological Seminary de New-York, nous
offre en réalité l’histoire de la « chrétienté médiévale ». Comme il le
dit dans la préface (p. vi1), son but est de fournir «une introduction à
l'histoire du moyen âge qui fasse naître le désir d'en savoir plus, et
d'en indiquer les lignes maîtresses dans l'espoir de stimuler des
enquêtes plus approfondies ».
Le livre de M. Jackson fait donc partie de cette littérature de vul.
garisation scientifique, qui est si répandue et qui connaît tant de vogue
dans le monde anglo-saxon. Ce n'est pas une histoire du moyen âge
que nous avons ici, mais un ensemble de chapitres destinés à faire
convaître la « chrétienté » ou, si l’on préfére, la société chrétienne
médiévale. A travers les quatorze chapitres du livre court, comme un
leitmotiv, l'histoire de la papauté, l’institution-type et Le centre de la
chrétienté du moyen âge. C’est autour de cette histoire que l’auteur a
su grouper, avec une incontestable habileté, les renseignements et les
considérations sur l'histoire politique, littéraire, scientifique, artistique
et économique de cette époque. Dans les quatorze chapitres de son
livre, l’auteur traite successivement — nous reproduisons les titres de
son travail — : les piliers de l'Église médiévale (la papauté et le mona-
chisme); l'Église et l'Empire; le haut moyen âge (que les Anglo-Saxons
appellent presque toujours « the dark ages ») ; l’ « Empire ecclésia-
stique » de l'Ouest ; la renaissance et la réorganisation de La papauté:
les croisades ; la science et l’hérésie médiévales : l’Église médiévale
comme institution disciplinaire ; les ordres mendiants, les écoles, les
PF. J. F. JACKSON : HISTORY OF CHRISTIANITY A. D. 590-1314. 26]
universités ; la papauté et la maison des Hohenstaufen ; la papauté et
la monarchie française ; la papauté et l’Angleterre ; une vue d'ensemble
de la société médiévale ; Dante et la décadence de l'esprit médiéval.
Il nous semble que l'auteur a atteint le but qu’il s’est proposé : il a
vigoureusement mis en relief les idées maîtresses de l'époque et son
livre incitera le lecteur ou le public auquel il s'adresse à en savoir plus
long. A ce titre, M. Jackson a produit une œuvre utile.
Ajoutons que cette œuvre est remarquable. Elle l'est, d’abord, par
un effort sincère et considérable de l’auteur de se montrer, en toutes
circonstances, impartial. M. Jackson, qui n'est pas catholique, a voulu
saisir l'essence de la ahrétienté médiévale et nous croyons pouvoir dire
qu'il l’a atteinte. Il a compris le moyen âge et c’est ce qui lui a permis
d'expliquer à un public généralement rempli de préjugés les événe-
ments, les idées et les hommes en les plaçant dans leur milieu et dans
leur atmosphère réelle. Tels passages de son livre sont étonnants de
justesse et pourraient être signés par un catholique : tels chapitres
constituent une apologie ou une réhabilitation de la papauté comme on
en chercherait en vain dans les meilleurs historiens de l'Eglise. À ce
sujet, nous signalons surtout ce que M. Jackson dit des papes du
vu siècle, des rapports de la papauté avec Byzance (p.39 svv.), du
schisme de Photius (p. 67 svv.), du schisme de Michel Cérulaire
(p. 126 svv.), de l’œuvre de Grégoire VII considérée dans son ensemble
(p. 143). L'auteur excelle d’ailleurs à mettre en relief l’œuvre des
grands papes : ce qu'il dit, p. ex., de Grégoire Le Grand et de Nicolas [°°
est remarquable. A l'endroit de l'Eglise et de ses institutions, l’auteur
montre du respect et une compréhension sympathique et son attitude
est marquée à souhait dans des passages comme celui-ci [à propos du
procès du pape Formose] : « Cette pénible histoire ne doit être racontée
que brièvement, car les scandales de l'Eglise ne servent à rien, si ce
n'est à prouver son inhérente vitalité » (p. 78). Parlant de la contro-
verse entre Hildebrand — le futur Grégoire VII — et Bérenger de
Tours, l’auteur remarque : « En ceci, le futur pape nous paraît avoir
montré les meilleures traditions de Rome, c.-à-d. impartialité au milieu
d'une controverse très chaude, et répugnance à traiter avec brutalité
une erreur spéculative » (p. 130). Pour juger la lutte d’'Anselme de
Cantorbéry contre Guillaume II et Henri I°" d'Angleterre, M. Jackson
s'inspire du principe que voici : « Juger les hommes à la lumière
d'événements qui eurent lieu bien des siècles plus tard, ce n'est pas
l'attitude de l'historien, dont c'est le devoir de se placer autant que
possible à la place du personnage qu’il décrit et de se rendre compte
des circonstances de son époque » (p. 305).
De tels principes expliquent que M. Jackson à écrit au sujet de
l’Inquisition des pages remarquables de modération — encore qu'il ne
mette pas assez en évidence que l’inquisiteur est avant tout un confes.
seur, qui doit tendre à ramener l’hérétique à la foi — et qu’il a sur la
REVUE D'HISTOIRE BCCLÉSIASTIQUE, XX: 37
26 COMPTES RENDUS.
lutte de l'Eglise contre l’ « usure » des idées marquées au coin du bon
sens le plus manifeste (p. 348-319).
Avec l'effort d'être impartial va de pair une vision synthétique nette
et souvent tres exacte : les pages consacrées à établir les raisons de
l’iconoclasme byzantin, à décrire les écoles et les universités, à étudier
l’organisation centrale de l'Eglise, à mettre en relief l'influence des
ascètes sur la réforme grégorienne, à donner une vue d'ensemble d° la
société médiévale, sont particulièrement recommandables. Le chapitre
sur l'histoire religieuse de l'Angleterre mérite aussi des éloges.
Le bien que nous venons de dire du travail de M. Jackson nous met
plus à l’aise pour critiquer certaines faiblesses que nous ne pouvons
passer sous silence. Parlant de l'iconoclasme byzantin, l’auteur semble
admettre que l’on adorait réellement les images : aussi se montre-t-il
trop favorable aux empereurs qui se rendirent responsables des excès
de persécution en la matiére. Après un passage des plus suggestifs sur
l’histoire de la papauté au haut moyen âge, on est tout étonné de lire
comme conclusion (p. 84-85) qu'en revendiquant encore aujourd'hui le :
pouvoir temporel, le Saint-Siège met en danger la paix du monde.
Page 292, M. Jackson, qu’on prend cependant rarement en défaut dans
ces questions, nous apprend que, par le jubilé de 1300, Boniface VIII
promit la rémission des péchés, Ici l’auteur est sans doute victime
d’une distraction : il est généralement trop bien informé pour ne pas
savoir qu’il s’agit de la rémission non du péché, mais de la pénitence
imposée pour le péché. Dans le chapitre sur la société médiévale,
M. Jackson s’est laissé entrainer à trop généraliser certains faits
dénotant la corruption du clergé médiéval. Nous n’entendons point nier
que les abus qu’il cite soient matériellement vrais pour tel endroit et
telle époque, mais il ne s'ensuit point qu'on ait le droit de les généra-
liser à la fois dans le temps et dans l’espace. Les faits invoqués à charge
du clergé sont surtout des exemples empruntés à l'Angleterre de la tin
du moyen âge et l’auteur nous semble être ici sous l'influence de Lea,
qu'il n’ignore pas être « unfriendly » cnvers l'Eglise, puisqu'il nous en
avertit lui-même dans sa note bibliographique au ch. XIII. Enfin, nous
regrettons de trouver, page 319, un passage contre le Saint-Sacrement
de l’autel où le protestant n'a pu laisser, par exception, d'employer
certaines expressions qui déparent la sérénité du livre. M. Jackson
semble encore croire à la réalité du cri qu'aurait poussé le légat ponti-
fical au sac de Bézicrs pendant la guerre contre les Albigeois : « Tuez-
les tous, Dieu saura reconnaître les siens ! » Cependant, ni la chronique
de Pierre de Vaux, ni Guillaume de Puylaurens, ni la chanson de la
croisade, ni la chronique de St-Denis, ni Guillaume le Breton, ni Albéric
de Trois-Fontaines, ni Guillaume de Nangis, tous auteurs qui relatent
en détail les événements, ne rapportent ces paroles. Il faut attendre
les Dialogues du crédule Césaire d'Heisterbach pour les voir mention-
nées, et encore avec la réserve dirisse fertur.. On peut, avec Luchaire,
rejeter hardiment cette historiette.
a
J. A. ROBINSON : THE TIMES OF SAINT DUNSTAN. 263
Nous pourrions encore relever l'insuffisance de documentation ou de
pénétration en ce qui concerne les passages sur le couronnement de
Charlemagne, certains aspects de l’œuvre de Grégoire VII, la féodalité
— l’auteur s’en tient trop à la féodalité anglaise pour caractériser le
régime dans son ensemble — le mouvement des Cathares, la psychologie
et les idées de Frédéric II, mais nous dépasserions la mesure de ce
compte rendu.
Malgré ses faiblessos, le livre de M. Jackson, dont nous avons relevé
par ailleurs les incontestables mérites, rendra de grands services au
public auquel il est destiné. Les médiévistes eux-mêmes y trouveront
des vues et des remarques dont ils pourront faire leur protit.
L. VAN DER ESSEN.
J. ArmrrAGe RoBinson. The times of Saint Dunstan. Oxford, Cla-
rendon Press, 1923. 1n-8, 188 p. Prix : 10 s. 6 d.
Le nouveau livre du Doyen de Wells comprend sept études sur
S. Dunstan et les grands personnages de l'histoire d'Angleterre au
x° siècle, le roi Athelstan, S. Ethelwold et S. Oswald, études qui ont
été l’objet des Ford lectures, données à l'Université d'Oxford pendant
le terme de la Saint-Michel en 1922.
Dans son introduction, l’auteur s'attaque au problème de la chrono-
logie de la Chronique anglo-saxonne, qui est, on le sait, la principale
source d’information pour l’histoire du Wessex au xe siècle. Il ressort
de la pénétrante discussion à laquelle il se livre que la plus ancienne
et la meilleure recension de la Chronique se trouve dans le manuscrit
donné au Corpus Christi College de Cambridge par l'Archevèque
Parker, lequel offre une première rédaction, œuvre d'une seule main
qui travailla jusqu’à l’année 891. La Chronique fut ensuite continuée
par divers scribes, probablement à Winchester. La septième main
arrêta son travail en 923. Après cela, le manuscrit fut laissé de côté
pendant une génération. Une huitième main se mit à l’œuvre vers
l'an 955, notant sommairement les événements arrivés depuis l'inter-
ruption. La Chronique fut encore laissée de côté et reprise plusieurs
fois dans la suite, jusqu'à ce qu’un correcteur, qui en vérité ne mérite
guère ce nom, eut, vers 1025, la malencontreuse idée de modifier la
chronologie de 892 à 929, en sorte que, par suite de cette intervention,
tous les événements de cette période se présentent un an en retard
dans le texte. Les éditeurs de la Chronique anglo-saxonne ont donc
eu tort d'accepter comme exactes les dates corrigées au x1° siècle.
A la suite de feu M. Murray L. Beaven, dont il adopte partiellement
les conclusions, le critique s'attache aussi à élucider quelques autres
points obscurs de la chronologie des rois Edouard l’Ancien et Athel-
stan. La conclusion à laquelle il arrive est que le roi Édouard est
mort en 924, qu'Athelstan, son tils, lui à succédé durant cette années .
264 COMPTES RENDUS.
et que ce dernier est mort en 939 et non pas en 940, éomme on le croit
communément.
Très attachante est l’histoire des libéralités faites aux monastères
par Athelstan, qui fut prodigue des manuscrits et des reliques qu’il se
plaisait à collectionner. Trois des manuscrits ici étudiés sont parti-
culièrement dignes de retenir l'attention. L’évangéliaire irlandais de
Maelbrighde Mac Durnan, écrit vers le milieu du 1x° siècle, et actuel-
lement conservé à la bibliothèque de Lambeth à Londres, porte une
inscription dédicatoire qui commence ainsi : « Mæielbrithus Mac
Durnani — islum lexlum per triquadrum — deo digne dogmatizat, etc. »,
dont le D' A. Robinson donne une explication très intéressante
(p. 55-59). Le psautier d’Athelstan (auj. Galba. A. 18) fut écrit au
ix° siècle sur le Continent. Divers textes d'une grande valeur histo-
rique et liturgique y furent insérés au début du siècle suivant (p. 64-
66). Un évangéliaire actuellement conservé au Corpus Christi College
d'Oxford sous le n° 122, œuvre d'une main irlandaise, renferme une
table en forme d’échiquier contenant 324 carrés (voir le fac-similé au
frontispice). C'est un alea Evangelii, jeu obscur et compliqué dont une
description est donnée dans une note additionnelle (p. 171-181).
Le principal intérêt de l’histoire de S. Dunstan (909-988), de S. Ethel-
wold (+ 984) et de S. Oswald (+ 992) est Le zèle dont on voit ces trois
grands prélats animés pour la réforme des monastères et dont la
Regularis concordia demeure le témoignage permanent. L'auteur
appelle de ses vœux une nouvelle édition de cet important monument
de la discipline monastique, dout la rédaction fut exécutée par
S. Ethelwold lui-même ou sous sa direction (voir RHE, 1922, t. XVIII,
p. 591).
P. 148, 1. 22, il faut lire Lorsch, au lieu de Lauresham ; p. 151, note 1,
Barberini, au lieu de Barbarini. L. Goueaun, U. S. B.
A. Ana. Guillaume de Saint-Thierry, sa vie et ses œuvres. (Thèse de
doctorat présentée à la Faculté de théologie de Lyon.) Bourg,
Imprimerie du « Journal de l'Ain », 4925, in-8, 410 p.
Guillaume de Saint-Thierry est une personnalité remarquable à plus
d’un titre. La tendre amitié qui l’unit à saint Bernard suffirait à le tirer
de l'oubli, s’il ne s'imposait déjà à l'attention des historiens par son
œuvre littéraire et certains épisod:s8 de sa vie qui en font un représen-
tant du mouvement religieux de son époque. Après une introduction
bibliographique sur Ses œuvres, les sources de son histoire et les travaux
dont il a été l'objet, M. A. racunte, en s'appuyant à chaque pas sur les
sources, la vie du moine liegeois. D'après lui, Guillaume aurait étudié
à Laon et non à Reims. La conjecture, pour être plausible, ne s'impose
pas. Guillaume se tit bénédictin noir à Saint-Nicaise de Reims, — c’est
M. CHOSSAT : LA SOMME D. SBNTENCES, ŒUVRE DE H. DE MORTAGNE. 269
alors qu’il se lia d'amitié avec Bernard de Clairvaux, — devint abbé
de Saint-Thierry au Mont d'Hor, se signala par la part qu'il prit aux
controverses entre Cluny et Citeaux, dans un sens d'apaisement, et
aux mesures de réforme qui en furent l’épilogue. Après quinze aus
d'abbatiat, il se retira dans la fondation cistercienne de Signy, entrainé,
malgré les avis de son ami, dans le mouvement qui portait vers Cîteaux
l'élite religieuse de son temps. M. A. montre, après plusieurs autres,
que c’est bien réellement Guillaume qui sollicita Bernard de Clairvaux
d'entrer en lutte contre Abélard. Il prouve aussi par des arguments
tirés pour la plupart de la tradition manuscrite que Guillaume est
l’auteur du Traité de la vie solitaire, souvent désigné sous le titre de
Lett'e aux frères du Mont Dieu, que Massuet avait attribué à Guigues le
Chartreux. Pour être complète, la démonstration devrait faire état
également des critères internes. Elle suffit cependant à entraîner la
conviction. D’autres, nous le savons, étaient arrivés à la même conclu-
sion par des voies différentes. L'auteur donne un bref aperçu de la
diffusion et. du succès de cet opuscule et défend avec le P. M. Viller,
contre M. Pourrat, son orthodoxie. Par contre, le secund Trailé contre
Abélard et celui des Relations divines contre Gilbert de la Porrée, attri-
bués fort tardivement à l'abbé de Saint-Thierry, ne sont point son
œuvre. Le dernier ouvrage de Guillaume est une Vie de saint Bernard,
qu'il laissa inachevée. M. A., avec Vacandard, date du 8 septembre 1147
ou 1148 la mort du moine de Signy. Il termine son ouvrage par une
étude sur le caractère du « Bienheureux » — les traditions cisterciennes
lui donnent ce titre — rendue nécessaires par les inexactitudes de celle
que Kütter en avait faite. Excellente monographie qui fait espérer
beaucoup de sa suite naturelle, que M. A. projette sans nul doute, où
il fera l’exposé de la doctrine théologique et ascétique de celui dont il
retrace la fidèle image. P. DEBONGNIE. C. SS. R.
Marc. Cnossar, S. J. La Somme des Sentences, œuvre de Hugues de
Mortagne vers 1155. Avec préface et introduction par J. de
Ghellinck, S. J. (Spicilegium sacrum Lovaniense. Études et docu-
ments. Fasc. 5.) Louvain, « Spicilegium sacrum Lovaniense »,
Bareaux, rue de Namur, 40, 19923. In-8, vi-212 p.
Le livre du P. Chossat, est il besoin de le dire, ne s'adresse pas à
n'importe qui. Mais tous les futurs historiens et théologiens l’étudie-
raient avec grand protit et les spécialistes mêmes goûteront en sa
compagnie quelques bons moments de jouissance intellectuelle.
C'est en effet une question passionnante et fort complexe que la
paternité de la Somme des Sentences, attribuée à Hugues de St-Victor
par beaucoup d’érudits. Et le nom de l’auteur anglais, Conan Doyle,
cité au cours de l'ouvrage, rappelle à propos les recherches ardues de
260 COMPTES RENDUS.
quelque policier. Avec une connaissance impeccable des sources théolo-
giques du x1n1° 8., avec une critique éveillée et pénétrante, l’auteur
traite à nouveau et largement le problème. Son exposé refait pour le
lecteur tout son travail ; il passe par ses doutes, ses tâtonnements, ses
angoisses ; il rend les joies de ses découvertes. Le style alerte, spirituel,
sans jamais cesser d’être grave, contribue encore à nous attacher au
P. Chossat et à nous changer un peu des dissertations touffues, inter-
mipables et ennuyeuses, qui ne laissent pas même dans l'esprit fatigué
une idée précise.
Il y avait lieu d'interroger tout d’abord les manuscrits de la Somme.
Il nous en est resté une quarantaine. De cet examen ressort une
première conclusion : l’auteur est certainement un Muiîlre Hugues.
Seuls, deux manuscrits relativement récents, complètent le nom
d'Hugues, en l’appelant Hugues de St-Victor ; quant à l'attribution,
récente aussi, et confinée à un seul milieu, de cet ouvrage à un maître
Eudes, elle doit être écartée comme le résultat d'un quiproquo et d’une
méprise.
Voici donc le Père Chossat en quête d’un maître Hugues. Mais les
maîtres Hugues ne manquent pas au xn° siècle. Les emprunts de la
Somme à diverses œuvres théologiques, les matières traitées et la façon
de les traiter permettent de compléter l’état civil du mystérieux auteur.
Maître Hugues a écrit entre 1138 et 1158. Bien plus : comme il réfu‘e
le Porrétanisme dans son plein épanouissement, et le Porrétanisme
qu'attaqua Pierre Lombard, Ja Somme n'est pas antérieure à la fin de
1154. Et c’est dans le milieu laonnaïis qu’on a la plus de chance de le
rencontrer parmi les connaissances et les amis, peut-être même parmi
les disciples de Gautier de Mortagne.
J'ai nommé Pierre Lombard. On considère très généralement ses
Sentences comme posterieures à la Somme. En deux chapitres, le ch. IV
et le ch. V, le P. Chossat accumule les indices qui doivent venger le
Lombard du reproche de plagiat. Mais alors, le maître Hugues n'est pas,
par son originalité, un des princes de la pensée théologique du monde
chrétien. C’est plutôt au Lombard que revient ce titre. Et l’auteur de
la Somme ne mérite que le titre de compilateur intelligent et de bon
écolâtre.
Encore une fois, quel est donc ce maître Hugues ? D'une correspon-
dance entre Geoffroy de Breteuil et Hugues de Mortagne, des années
1173 et 1174, il y a lieu de retenir les données suivantes : Hugues de
Mortagne avait atteint la quarantaine en 1155, date de composition de
la Somme; sur le déclin de sa vie il écrivait la biographie de son com-
patriote, Gautier de Mortagne, qui sans doute avait été à Laon son
maître et son ami; c'était un lettré, un théologien, devenu bénédictin
sur le tard.
Entin voici Le dernier pas qu'une découverte heureuse permit de faire
au P. Chossat. La Bibliotheca Bibliothecarum de Montfaucon, d'une
part, le docteur Trisan, historien de la Normandie, d'autre part,
{
P. DE CORSWAREM : DE LITURGISCHE BOEKEN VAN TONGEREN. 267
mentionnent, indépendamment l’un de l’autre, un manuscrit, le même
manuscrit de la Somme, et un manuscrit du xr1° s., et un manuscrit de
la bibliothèque de St-Martin de Séez où Hugues de Mortagne avait été
prieur. et ce manuscrit porte le nom de Hugues de Mortagne. La
démonstration était achevée. |
Oa peut féliciter le P. Chossat pour cette brillante étude. Ses raisons
paraissent vraiment fort solides.
Une introduction de vingt pages due à la plume du P. de Ghellinck
ne se contente pas, comme trop d’introductions, de résumer le livre
qu'elle annonce. Celle-ci, d’ailleurs, écrite par un spécialiste de la litté-
rature du x11° siècle et qui a pris lui-même position danse le problème
de la Somme, montre la place qu'occupera le nouveau livre dans la
controverse. Elle fait ressortir son originalité, sa portée considérable.
Elle ajoute même une contirmation à la thèse de l’antériorité de Pierre
Lombard (p. 19, note 6).
Mais ainsi que le remarque très justement le P. de Ghellinck, la
démonstration de la paternité de Hugues de Mortagne n’a pas stricte-
ment besoin pour subsister que les Sentences soient antérieures à la
Somme et, avec beaucoup de prudence, l’auteur de l'introduction réserve
l'avenir. Il ne lui paraît pas impossible que « quelque pièce documen-
taire, l’affirmation datée d’un contemporain, le témoignage indubitable
d'une troisième source commune, la révélation indiscrète d’un glos-
sateur canoniste, ou les souvenirs précis d’un chroniqueur » fixent
«irréductiblement en une autre année et dans une relation différente
l'extrait de naissance de la Somme et celui des Sentences du Lombard »
(p. 19).
Si je la comprends bien, cette réserve ne porte que sur un point
secondaire de la thèse du P. Chossat ; elle ne met point une sourdine
aux éloges que j’ai cru devoir lui décerner et qui seront, j'en suis con-
vaincu, ratifiés par des historiens plus compétents.
E. DE MOoREAU, S. J.
P. DE ConswarEs. De liturgische boeken der kollegiale kerk van
Tongeren vôdr het concilie van Trente. (Koninklijke Vlaamsche
Akademie van taal- en letterkunde. Fasc. 4.) Gand, Impr. Erasmus,
1925. In-8, 290 p.
Le nom de la collégiale de Tongres rappelle le souvenir de Raoul
de Rivo, l’un des plus illustres parmi ses doyens, le plus renommé des
liturgistes de son époque. Son œuvre est mieux connue depuis les
belles publications de dom C. Mohlberg, de l'abbaye de Maria Laach.
Je récent ouvrage de M. Paul de Corswarem attire de nouveau
l'attention sur les efforts que tenta jadis le zélé doyen, pour conserver
à son église les anciennes traditions liturgiques. A la tin du x1v* siècle,
on était trop exposé à les oublier. Pour des raisons qu'il est aisé de
208 COMPTES RENDUS.
comprendre, parce qu'elles répondent à l’humaine faiblesse, on avait
accepté un peu partout, avec un empressement à peine déguisé, des
usages nouveaux : le développement exagéré du sanctoral avait entraîné
la suppression à peu près complète de la psalmodie fériale, les leçons
étaient écourtées, les offices notablement abrégés, le tout aux dépens
des vénérables traditions du passé.
Raoul de Rivo résolut de remédier comme il pourrait à cet état de
choses qui le navrait, en luttant énergiquement contre las innovations.
Il voulait surtout conserver à son église de Tongres ce qu’elle possédait
encore des usages anciens et lui rendre ce qu’elle avait perdu. S'il ne
réussit pas complètement dans son œuvre de restauration, il posa du
moins des principes qui devaient être repris de nos jours. C’est ce qui
donne à ses ouvrages liturgiques, si remplis de faits et d'observations
judicieuses, ua vrai regain d'actualité.
Sa bicnfaisante influence se fit sentir en divers centres ecclésia-
stiques, et très particulièrement dans la congrégation de Windesheim.
Mais l'église de Tongres fut l’une des premières à en bénéficier. On
peut s'en rendre compte en parcourant l'inventaire que M. de Cors-
warem a dressé. Ce répertoire comprend quelques documents antérieurs
à Raoul de Rivo, notamment deux évangéliaires des x1° et x11° siècles.
Plus importants sont le Liber Ordinarius et le Collectaire, tous deux de
l’église de Tongres. Ce dernier à des chances de représenter l’œuvre
perdue de l’évêque Etienne (x° siècle), mais souvent remaniée, et mise
au courant de la liturgie du xrv° siècle. L’Ordinaire est sensiblement
de cette même époque. L'un et l’autre sont en relation étroite avec les
travaux de Raoul de Rivo. C’est ce qu'établit l’auteur en deux chapitres
qui font suite à l'inventaire des maauscrits. Il y reconstitue d’après les
documents la liturgie de la messe et l’organisation de l'office à N. D.
de Tongres, au déclin du moyen âge. Beauceup de traits s'y rencon-
traient qui méritaient une bonne note de l’exigente critique du célèbre
doyen. La psalmodie se conservait encore assez fidèle, comme chez les
anciens Ordres monastiques, à l'antique principe romain de la récitation
hebdomadaire du psautier.
Sur le terrain du calendrier l’envahissement des nouveautés se faisait
plus sentir au détriment de l'office férial. Cette question occupe un troi-
sième chapitre bien documenté. Mais il est à regretter que, dans l'étude
des « sources » de ce calendrier de Tongres, l’auteur n'ait pas accordé
l'importance qui convenait aux missels franks du vin‘ siècle. Dés cette
époque reculée, ces recueils liturgiques présentaient un compromis des
deux formes du sanctoral romain, la gélasienne et la grégorienne,
auxquelles ils ajoutaient un certain nombre de fêtes devenues depuis
d'un usage quasi universel dans les pays septentrionaux. C’est grâce à
ces missels que le vieux fonds romain, acclimaté sur le sol frank dès le
milieu du viri® siècle, a servi de base aux calendriers des églises du
Nord, en Germanie comme en Belgique. La publication récente de
l'Ordinaire d’Utrecht a nettement accusé cette dépendance étroite.
A. DANIELS : KEINE LAT. RECHTFERTIGUNGSSCHRIFT D. ECKHART. 209
+
Ainsi s’expliquait aussi, à Tongres et à Liége comme ailleurs, la sur-
vivance des antiques mentions gélasiennes des saints Magnus, Priscus,
Rufus, Vitalis, des saintes Perpétue et Félicité, avec les mémoires très
caractéristiques des Macharius, Emérentienne, Marius et Marthe,
Préject ou Prix, Prime et Félicien, Machabées. Ajoutons que l’adoption
de toutes ces fêtes était antérieure à la diffusion du pur grégorien ; elle
lui survécut, continuant à manifester les tendances romaines qui
s'étaient affirmées en Gaule dès le vire siècle sous le règne de Pépin.
C'est jusqu’à ces influences lointaines que remontent les éléments
essentiels du calendrier de l’église de Tongres. Romain par ses origines,
il s'ouvre largement, à partir du 1x° siècle, à de nombreuses traditions
étrangères. Les églises environnantes lui apportent naturellement leur
contribution particulière. M. de Corswarem mentionne aussi les trans-
lations de reliques et les dédicaces d'églises, qui ont fait naïtre de
nouvelles solennités. Les fêtes d’un usage à peu près universel, adoptées
aux x1ni° et x1v° siècles, sous l'influence plus ou moins directe des
Ordres récents, sont entin venues allonger la liste déjà considérable.
Cet excès justifiait les critiques de Raoul de Tongres; le retour aux
saines traditions, qu'’appelait de ses vœux le zélé liturgiste, est désor-
mais, grâce à Dieu, une cause détinitivement gagnée.
P. DE PUNIET.
P. Auc. Daniecs, O. S. B. Eine lateinische Rechtfertigungsschrift
des Meister Eckhart. (Beiträge zur Geschichte der Philosophie des
Mittelalters, hrsg. v. Cl. Baeumker.T. XXII, fasc. 5.) Munster,
Aschendorff, 1923. In-8, x1x-68 p.
Le 27 mars 1329, le pape Jean XXII condamna vingt-huit propo-
sitions tirées de divers écrits de maître Eckhart. Ainsi se termina le
procès mené au sujet de l’orthodoxie du fameux mystique dominicain.
Plusieurs pièces de ce procès avaient déjà été portées à notre con-
paissance par le P. Denifle fArchiv für Litteratur- und Kirchengeschichte
des M-A, I, 616-640). Il restait à publier un document des plus impor-
tants, l’apologie de sa doctrine, présentée à ses juges par maître
Eckhart lui-même, en septembre de l’année 1326. Le ms. qui en con-
servait le texte avait été retrouvé, il y a environ cinquante années,
par L. Keller, à la bibliothèque municipale de Soest. Le fascicule
susmentionné des Beilr'äge nous met en possession de ce texte.
En tête du volume figure, en réduction, le fac-similé de la premiére
page du ms. de Soest. Le Directeur des Beiträge, M. CI. Baeumker,
a tenu à présenter au public le travail de son ami. Ce faisant, il con-
sacre au savant défunt un souvenir ému, souligne l'importance de cet
écrit d'Eckhart, et trace, dans une brève notice, l’histoire de cette
édition. Viennent ensuite la préface et l'introduction de l’éditeur. Dans
l'introduction, le P, Daniels attire l'attention sur le style et un point
270 COMPTES RENDUS.
de doctrine jugé fondamental dans l’œuvre mystique d’Eckhart, et
termine par la description du ms. dans son état actuel. Il paraît avoir
appartenu jadis à la bibliothèque des Dominicains de Soest. Le reste
du volume renferme le texte de l'apologie.
Du moins, à s'en remettre tout simplement aux éditeurs, on est
amené à penser que l’on n'a devant les yeux qu'un seul document :
l'apologie d'Eckhart, et une seule apologie. À y regarder d'un peu
plus près, on se persuade aisément que le texte qu’ils publient se
compose de trois pièces bien distinctes l’une de l’autre, la première
allant de la page 1 à 21, la deuxième de la page 21 à 34, la troisième
de la page 34 à C6. La première tinit évidemment à la page 21, celle ci
donnant la dernière des quatre séries de propositions incriminées, que
le maître déclare (p. 2) vouloir expliquer et défendre. Cette première
pièce est la justification d’'Eckhart devant la commission instituée par
l'archevêque de Cologne, et chargée de l'examen de 49 propositions
prétendues hétérodoxes. La deuxième pièce est ua document où sont
relatées, dans une forme plus ample, les mêmes 49 propositions. L'en-
tête de la seconde section indique, avec plus de précision que dans
la première pièce, la source à laquelle les propositions de cette section
ont été prises :
(1) p.8, (ID p. 26,
Sequitur secundo videre de hiis Isti sunt articuli extracti de res-
que reprehendunt indocti ex dictis ponsione magistri Ekardi ad arli-
meis in quadam responsione ad culos sibi inposilos de libro qui
articulos michi inposilos… incipit : Benedictus deus el pater,
quem librum ipse composuil.
Il s'ensuit que la 1° et la 2° série de propositions ont été extraites
du même traité : Benedictus Deus et pater.. Ce deuxième document
n'est pas une justification, c’est une simple énumération de proposi-
tions ; il ne renferme aucun élément d’apologie. De plus, l'auteur y
parle d’'Eckhart à la troisième personne ; Eckhart n'en est donc pas
l’auteur, tandis que dans la première pièce c'est Eckhart lui-même qui
parle. Le troisième document constitue comme le premier un mémoire
justiticatif, et reuferme la défense d’une liste /rotulus) de 59 sentences,
extraites des œuvres et mises à charge d’'Eckhart. Il a été composé par
. Eckhart et est manifestement postérieur au premier, du témoignage
même de son auteur : Articuli qui sequuntur continentur in quodam
rotulo michi exhibilo postquam responderam articulis iam supra posi-
Lis (p. 34) .… Primus articulus in hoc secundo rotulo (p. 3%) … Il aurait
été opportun de réserver une place dans l'introduction, 1° pour
. marquer la division du texte ; > pour indiquer la caractéristique des
trois documents ; 3 pour signaler les circonstances dans lesquels ils
ont vu le jour ; 4° pour fixer l'ordre chronologique dans lequel ces
documents se suivent. Il faut regretter que l’un ou l’autre des éditeurs
ne l’ait pas fait.
L'édition du texte a été préparée avec le plus grand soin. Deux
G. J. HOOGEWERFF : DE ONTWIKKELING DER ITAL. RENAISSANCE. . 271
étages de notes renferment respectivement l’apparat critique et la
référence des sources et des citations. Les références à saint Thomas
d'Aquin présentent un intérêt tout spécial.
L'importance de cette publication pour la solution des problèmes
qui se rattachent au nom d’Eckhart, ne peut échapper à personne.
C’est la première pièce et la plus fondamentale pour l'histoire du
procès d'Eckhart. Au surplus, la solution d'autres questions, telles que
la détermination des écrits authentiques du maître, la critique textuelle
de certains passages de ses œuvres, surtout l'interprétation de points
de doctrine obscurs et difficiles, trouveront dans ces documents un
très ferme appui. La critique historique ne peut manquer d'exploiter
cette source d'informations riches et sûres. RM. M ARTIN, O. P.
G. J. Hoocewerrr. De ontwikkeling der italiaansche Renaissance.
Zutphen, W. J. Thieme, s. d. In-8, xx-374 p., 80 pl.
M. Hoogewerff a étudié surtout le Cinquecento, la Renaissance
arrivée à son parfait épanouissement, mais avant de publier sur celle-
ci le résultat de ses recherches, il consacre un volume à l'époque des
origines et du premier développement, la Renaissance du xv° siècle.
En douze chapitres, qui forment ua ensemble, mais qu’on pourrait aussi
grouper sous un petit nombre de rubriques, il a voulu donner un aperçu
du mouvement intellectuel et artistique qui constitue la première
Renaissance italienne. Sans vouloir recourir aux sources d'une manière
directe, il tient un large compte des résultats obtenus par les recherches
les plus récentes et n’a pas peur de se réclamer de ses devanciers,
notamment de l’ouvrage de M. Symonds, History of the Renaissance.
Bien souvent, et c’est fatal, les histoires de l’art s’attachent à l’évolu-
tion des formes, sans faire revivre le milieu intellectuel dans lequel
l'œuvre d'art est éclose. Ici ce milieu est reconstitué pour faire com-
prendre les tendances des artistes et le sens de leurs œuvres.
Les premiers chapitres de l'ouvrage se rapportent à des questions
assez générales, qui ne portent pas toujours à la précision et à la clarté.
L'auteur y recherche d’abord la signification et la tendance de la Re-
naissance. À son avis celle-ci consiste avant tout en une conscience
nouvelle que l'individu a de lui-même, en une recherche, encore
instinctive, à se dégager de contrôle intellectuel. Cet esprit nouveau
pénètre aussi l’art, mais par des innovations de détail plutôt que par
une conception d'ensemble. Entre la Renaissance, l’'Humanisme et
l'Eglise, il existe des oppositions de principe, mais inconscientes et
latentes. Un esprit de conciliation les dissimulera jusqu’à l'époque du
Baroque et de la Réforme. Pétrarque et Boccace sont ici des précur-
seurs, mais le Dante et Giotto appartiennent aux idées du moyen âge,
auxquelles ils prêtent un dernier lustre.
278 COMPTES RENDUS.
Au début l’Hellénisme développe les tendances nouvelles, gràce
surtout à quelques érudits venus d'Orient, dès avant le milieu du
xv° siècle. Chrysoloras, Pléthon, le cardinal Bessarion exercèrent une
influence profonde sur Florence et sur l'Italie du quatt'ocento et mirent
à la mode la philosophie platonicienne, conuue surtout par les commen-
taires des alexandrins. A Florence le développement de l’art va de pair
avec celui des études classiques. L'artiste se laisse pénétrer en partie
par eelles-ci, mais il demeure chrétien, quoique ses œuvres soient moins
profondément religieuses qu’à l’époque précédente, plus imprégnées de
la joie de vivre et de sa propre personnalité.
L'Humanisme arrive à une première efflorescence à Florence sous
Cosme de Médicis. Des érudits comme le Pogge s’enthousiasment pour
les manuscrits ct les auteurs anciens, leurs préoccupations sont
indépendantes de l'Eglise, mais généralement ils restent en bons termes
avec celle-ci. Les cours princières attirent les savants ; là surtout se
développe le mouvement artistique, en même temps que le goût du
savoir. À Florence, Brunellesco retrouve le rythme classique de la
colonne (dès 1420), Michellozo construit à Montepulciano la première
façade d'église en style de la Revaissance. Alberti, un théoricien, le
premier de ces génies universels comme le xvi° siècle les connaîtra,
enseigne la technique de la couleur à l'huile, la perspective, l’art de
construire. À côté d'eux, della Quercia, Ghiberti, Donatello, della
. Robbia sont les grands sculpteurs dont M. Hoogewerff dégage les carac-
téristiques ; Veneziano, Angelico, Uccello et Lippi les principaux
peintres, dépendants tous de Masaccio, le grand novateur, antérieur à
l'époque de Cosme de Médicis.
Il est intéressant de suivre le mouvement intellectuel et artistique
nouveau dans les petites cours italiennes. Les humanistes et les poètes
y sont à l'honneur, tout autant que le seront les musiciens dans les
cours du xvi1° siècle. A Milan, l’'humaniste Filelfo s'attache succes-
sivement aux Visconti et aux Sforza, mais, dans l’entourage de ceux-ci,
l'esprit est plus rude et l’art moins délicat qu'à Florence. A Mantoue,
Victorin de Feltre fonde le premier gymnase, au sens moderne du mot,
et il n’est pas étonnant de retrouver à la cour des Gonzague les plus
archéologues des peintres : Squarcione, le collectionneur, et Man-
tegna. Frédéric de Montefeltre, le mécène d'Urbin, un connaisseur
avisé, avait été l'élève de Victorin à Mantoue. A Rimini, Sigismond
Malatesta est un autre type de ces petits potentats humauistes. A
Ferrare, la Renaissance a surtout un caractère poétique, et la cour des
d'Este peut être appelée avec raison Ja cour des Muses. L'humaniste
Guarino, un émule de Victorin de Feltre, fut le premier italien qui
enseigna le grec ; son élève Lionel d'Este tixa les traditions huma-
aistes de la cour de Ferrare.
En 1469 Laurent le Magnitique obtenait le pouvoir, et une renais-
sance, avant tout bourgeoise et artistique, allait prolonger à Florence
son magnifique épanouissement. Les humanistes de renom, comme
L. PULLAN : RELIGION SIiNCE THE REFORMATION. 973
sous le règne de Cosme, s’y donnent rendez-vous, c'est Marsile Ficin,
leur coryphée, Pic de la Mirandole, son principal disciple, les mem-
bres de l’Académie platonicienne. et des poètes comme Politien.
Laurent lui-même compose des sonnets pleins de fraîcheur, qui res-
pirent le sentiment de la nature.
C'est l’époque de Julien de San Gallo et de ses œuvres, si claires et
si pleines de charme ; après lui son frère Antoine annonce davantage
la Renaissance du xvi* siècle. Il en est de même de Verrocchio, le
sculpteur le plus en renom de l’époque, le digne maître de Léonard de
Vinci, à côté duquel les Rossellino, da Majano, etc. perpétuent des
traditions donatellesques. En peinture Botticelli, reprend avec un
mysticisme sentimental l'art insouciant de Lippi, tandis que d’autres,
comme Ghirlandajo, conçoivent d’une manière plus matérielle l'idéal
de beauté de la Renaissance.
Les humanistes de la cour libertine des d'Arragon à Naples ne
vivaient pas toujours en bonne entente avec l'Église. N’empêche que
le plus anticlérical d’entre eux, Laurent Valla, fut attaché à la Curie
par le pape Nicolas V. Celui-ci, fondateur de la bibliothèque vaticane,
compte parmi les grands papes humanistes, de même que Pie Il, qui
fut le premier à prendre des mesures pour protéger des monuments
antiques, tandis que son successeur, Paul IT, fonda au Capitole le plus
ancien des musées publics. Rome appelait surtout de la Toscane ses
savants et ses artistes. Mino da Fiesole fut le plus populaire de ses
sculpteurs, à l'époque où le décor de la Chapelle sixtine et des appar-
tements Borgia attiraient autour des papes une pléiade de grands
peintres toscans et ombriens.
Dans un dernier chapitre de son savant ouvrage, riche en aperçüs,
l'auteur essaie de montrer le caractère de la Renaissance par rapport
aux mouvements des idées qui la précèdent et qui la suivent. Mais c’est
ici surtout que sou exposé échappe à l'analyse. RA MAERE.
LeiGaTon l'uzLan. Religion since the Reformation. Oxford, Clarendon
Press, 1923. In-8, xvi-291 p. Prix : 12 s. 6 d.
M. Pullan à consacré les Bamplon Lectures de 1922 à faire une
synthèse de l'histoire ecclésiastique depuis la Réforme, dans le but d’en
dégager la signitication religieuse. La première conférence traite du
protestantisme continental à son point de départ, la doctrine de la
grâce, et de la Contre-Réforme dans les différents pays ; la deuxième
expose les vicissitudes religieuses de la Grande-Bretagne de 1550 à
1689 ; puis l’auteur revient aux pays continentaux pour décrire, dans
la troisième et la quatrième conférences, le développement du protes-
tantisme de 1520 à 1700 et celui du catholicisme romain de 1700 à
1851 ; la cinquième étudie la Grande Bretagne et l'Amérique de 1689 à
1815 et la sixième, les « aspects divers du Calvinisme ct du Luthéra-
274 COMPTES RENDUS.
pisme depuis 1700 », tandis que la septième donne un aperçu de l'ortho-
doxie orientale dans son développement interne et dans ses relations
avec les Églises d'Occident durant toute la période envisagée ; enfin la
dernière conférence examine les principaux «aspects de la pensée
chrétienne depuis 1815 » et traite des problèmes les plus actuels.
Il est impossible de résumer cet ouvrage plein de taits précis et
admirablement mis en œuvre, de portraits vivants et nettement indivi-
dualisés. Peu d'érudition apparente, mais la maîtrise d’un savant qui
est familier de longue date avec son sujet. La clarté de l'exposition est
mise en relief par l'excellente table détaillée qui précède le recueil et
les recherches sont facilitées par un bon index alphabétique. On a déjà
mis ces conférences au rang des meilleures de la célèbre série dont
elles font partie. Ce qui est sûr, c’est que les intentions religieuses
exprimées dans le testament du fondateur auront rarement été remplies
avec une aussi sympathique compréhension. M. Pullan sait aimer et
mettre en lumière des personnalités comme saint Philippe de Néri,
saint François de Sales, saint Charles Borromée, saint Ignace de Loyola,
saint François Xavier, sainte Thérèse, Bossuet et tant d’autres, aussi
biea que ses héros favoris, les « Caroline divines » ou les érudits pro-
testants venus à l’anglicanisme, tels Casaubon, Grabe, ou encore Îles
piétistes et leur curieuse colonie américaine d’ermites et de cénobites.
Les idées directrices de l’auteur sont plus faciles à exposer briève-
ment. M. Pullan est un croyant qui prend dans le sens le plus simple-
ment traditionnel les grands dogmes appelés par lui-meme catholiques :
Trioité, Incarnation, Sacrements, Eglise ; celle-ci doit être maintenue
dans l'unité extérieure par les apôtres et leurs successeurs les évêques
(efr p. 101) et elle lui paraît parfaitement réalisée dans l’Anglicanisme,
qui à pour «autorité vivante, l'Eglise de tous les temps, passés et
présents » (p. 250). Il reconnait du reste franchement les fautes et les
persécutions qui ont signalé la Réforme en Angleterre (p. 34, 41), et il
insiste sur la nécessité de sa rénovation intérieure, mais il espère qu’à
cette condition elle sera un jour l'instrument de la réunion des Eglises
chrétiennes (cfr p. 249-250, 255-256). Elle occupe donc la nécessaire
position intermédiaire entre le protestantisme etle catholicisme romain.
Le premier, renonçant dans des proportions diverses à des
éléments importants de la doctrine traditionnelle, a tini, sous
l'influence de la philosophie et de la critique historique, par se trans-
former, dans la théologie libérale, en un vague déisme, où la nature et
le rôle de Jésus sont défigurés. M. Pullan se réjouit naturellement du
retour aux idées traditionnelles dans la critique néo-testamentaire
(p. 240-243). IL est fatigué des critiques qui « fabriquent des images du
Christ qui menacent de devenir aussi nombreuses que les idoles d’un
d'un temple tibétain et si différentes qu'il est difficile de supposer
qu'elles prétendent représenter le même être» (p. 188). Quant au
modernisme, il n'est qu'un compromis peu loyal, «un modus vivendi »,
a-t-on dit, «entre le scepticisme et la superstition » (p. 251).
L. PULLAN : RELIGION SINCE THE REFORMATION. 275
Aussi bien, «la plus pauvre chapelle romaine de l’Angleterre est
plus près de Dieu que le plus beau temple où l’on prêche quelque con-
trefaçon allemande du Christ » (p. 190). Mais M. Pullan trouve dans
l'Eglise romaine de graves corruptions ; il accepterait à peu près le
concile de Trente (p. 12), mais il y discerne les débuts de l’« ultramon-
tanisme », qui a vicié, selon lui, le catholicisme moderne. La relation
entre le pape et l'Église n’y a pas été définie, et l’on y entend la der-
pière protestation autorisée de l'ancienne tendance épiscopalienne
contre la suprématic du premier ; le Jansénisme, le Galiicanisme, le
Fébronianisme seront vaincus tour à tour, et au x1x° siècle, la peur du
scepticisme amènera le triomphe de la crédulité dans la définition de
l'infaillibilité pontificale (cfr p. 11-12, 31 sv., 243 sv., 257). En même
temps la morale est compromise par le laxisme et la dévotion par le culte
excessif de la Vierge, déclarée immaculée, et à qui M. Pullan reconnaît
d’ailleurs le droit à une vénération spéciale (p. 126-127).
Il est inutile de reprendre la discussion sur la valeur logique de la posi-
tion anglo-catholique. Mais nous devons relever quelques défauts de la
synthèse de M. Pullan. La question agitée au concile de Trente n'avait
rien de commun avec le système épiscopalien ou la négation de la
primauté papale, telle qu'elle à été définie dans la suite. L'histoire du
mouvement janséniste ct gallican est trop simplifiée, et il en est de
même du Fébronianisme, qui est une déformation de la notion
d'Église indépendante au protit de l'État et non un retour à l'anti-
quité. La primauté et l’infaillibilité du pape étaient si bien impliquées
dans la foi catholique que leur affirmation et leur définition n’ont jamais
provoqué de schisme important ; cela est vrai pour les évêques déposés
par Pie VII, et ceci restreint la valeur des protestations dont l’auteur
fait état (p. 123), et pour le concile du Vatican, dont M. Pullan fait un
tableau bien noir (p. 243 s.). Il n’est certainement pas exact de dire que
c'est par pure stratégie que plusieurs adversaires de la définition se
déclarèrent seulement anti-opportunistes (p. 245) et c'est faire peu
d'honneur aux membres de la minorité que d'exprimer sur leur soumis-
sion des regrets comme ceux de la p. 246 ; le sens de la définition a été
précisé par l'accord des théologiens plus qu’on ne le suppose p. 245.
Des travaux comme ceux du P. Lagrange, du P. Prat, de M. Tobac et
d'autres ne permettent pas de déclarer que saint Paul est négligé dans
le catholicisme (p. 248); l'autorité légitime de saint Alphonse de
Liguori n’a nullement détruit celle de saint Augustin, et son influence
pe s'est exercée ni dans le sens du laxisme, ni en faveur d’une sorte de
superstition mariale ; les erreurs historiques de son temps qui se sont
glissées dans certains de seb ouvrages ne suppriment pas ses autres
qualités (cfr p. 125-128). Par contre, la question d’'Honorius (p. 126)
et celle des ordinations anglicanes (p. 45) sont moins simples que les
afirmations péremptoires de l’auteur ne le feraient croire.
En terminant, nous aimons à signaler la conviction avec laquelle
l'auteur affirme que la foi à la divinité du Christ et à sa résurrection,
276 COMPTES RENDUS.
base de l’Église chrétienne, est « le fondement de l'asile de la liberté,
de l’espérance et de la joie, et non une prison pour des esclaves, et
qu'il est faux de dire que la tidélité à ces vérités est une marque d’obscu-
rantisme et de stagnation » (p. 255). Sur ces vérités, nous sommes
heureux d’être d'accord avec lui. R. KreMER, C. SS. R.
R. P. Joseru THeRMes, S. J. Le bienheureux Robert Bellarmin
(1542-1621), (Collection : Les Saints.) Paris, Gabalda, 1925. In-8.
Fr. 3,50.
« Dans les jours difficiles que l'Église traverse, en beaucoup de pays
de l’ancien et du nouveau monde, l'exemple d’un homme, à l’intelli.
gence lucide, au courage indomptable, au cœur évangélique, est un
secours providentiel.. En butte aux attaques multiples de l'impiété
contemporaine, la vérité à besoin d'écrivains capables de la défendre
avec éclat. Quel beau modèle que ce saint docteur, dévisageant les
erreurs de son époque; achetant au prix d'un travail sans repos un
savoir lumineux ; demandant au ciel de l’éclairer encore plus ; toujours
prêt sur l'heure, à venger la foi, l'Église et le Pape, avec une compé-
tence, un oubli de soi, un respect des âmes, un amour de Dieu incom-
parables ! » Telles sont les raisons qui ont amené le KR. P. Thermes, au
lendemain de la béatification de Robert Bellarmin, à condenser, dans
un récit très court, l'essentiel de la vie du nouveau bienhcureux.
Né en 1512, à Montepulciano, dans l’ancien duché de Toscane,
Bellarmin était, par sa mère Cinthia, neveu du pape Marcel II. Après
une assez vive opposition, son père le laissa entrer chez les jésuites, en
1560. « J'ai donné à mon bien aimé tils ma bénédiction de père,
écrivait-il au P. Lay nez, et j'ai offert à Dieu ce que ma famille possédait
de meilleur. C’est justice, puisque sa vocation vient de Dieu comme
je m'en suis convaincu » (p. 16). Le P. Bellarmin est envoyé par
François de Borgia au collège de Louvain, où il séjourne de 1569 à 1576
et où il se fait distinguer par de remarquables prédications aux
étudiants. Il est ensuite professeur au Collège romain (1576-1592), dont
il devient le père spirituel, puis le recteur et enfin provincial de la
province de Naples. Théologien du pape, il fut élevé au cardinalat en
1599, par Clément VIII, qui motiva son choix par ces élogieuses
paroles : « Hunc eleyimus, quia Ecclesia Dei non habet parem in doctrina
el est nepos optimi et sanctissimi pontificis. » Bellarmin occupa les
fonctions d'archevêque de Capoue de 1602 à 1604. Rentré à Rome, en
16%, il y mourut en 1621.
L'œuvre littéraire du cardinal Bellarmin est fort variée. Laissons de
côté les travaux de moindre importance, tels les traités ascétiques, les
sermons, le traité sur Les indulgences et le jubilé (1599) qui, dans la
pensée du bienheureux, devait faire partie des Controverses, une étude
sur l’Exemption des clercs, une Réfutation d'un libelle sur le culte des
H. FOUQUERAŸ : HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS EN FRANCE. 277
saints (1596), ua petit et un grand catéchismes, rédigés à la demande
du cardinal Tarugi et de Clément VIII], et traduits en plus de soixante
langues, qui sufliraient déjà à lui marquer une place dans l’histoire de
la littérature ecclésiastique. Mais le cardinal Bellarmin se classe hors
pair par son magistral ouvrage des Controverses (Disputationes de con-
U'oversiis chr'istianae fidei adversus hujus lemporis hereticos) qui en fait
le plus grand controversiste de l'Église catholique, a dit l'historien
Ranke. « Toutes les Controverses du cardinal sont construites sur le
même plan. Après un exposé général des erreurs principales qu'il s'agit
de réfuter, il énonce en quelques propositions claires la doctrine catho-
lique sur la matière, et spécialement les textes de définitions portées
par l'Eglise. Puis, chacune de ces propositions est démontrée par des
arguments tirés de l'Ecriture Sainte, des décisions des conciles et des
papes, de l'enseignement des Pères, de la pratique de l'Eglise ; presque
toujours l’auteur ajoute quelques arguments de raison, destinés à
montrer, soit le bien-fondé des doctrines catholiques et leur correspon-
dance avec ce qu'il y a de meilleur en l’homme, soit au contraire les
conséquences néfastes des doctrines hétérodoxes » (R. P. DE LA SER-
VIÈRB, La théologie de Bellarmin, p. 728).
L'ouvrage des Controverses s'apparente aux idées émises par l'espagnol
Melchior Cano dans son remarquable traité d’ailleurs inachevé, De
locis theologicis dans lequel il se recommande, vivement, de la méthode
positive en théologie, par le retour à l’érudition patristique et à l'emploi
d’une langue littéraire. Cano lui-même était disciple de François de
Vittoria. Bellarmin peut être cité, avec eux, comme un des premiers
représentants de la théologie positive.
Le travail du R. P. Thermes se présente, sans aucune préoccupation
d’érudition, comme la simple narration de la vie religieuse et de
l'activité littéraire du bienheureux Bellarmin. Chacun, cependant,
trouvera profit à lire cette courte biographie du plus brillant apologiste
de la primauté pontificale, qui joignit à un immense savoir, fruit d’un
travail ardu et d'une rare faculté d'assimilation, la pratique des plus
éminentes vertus. A, PASTURE
R. P. Henri Fouqueray, S. J, Histoire de la Compagnie de Jésus en
France des origines à la suppression (1528-1762). Tome I :
Epoque de progrès (1605-1625). Paris, 1922. In-8, xin-648 p.
Nous avons, jadis, présenté aux lecteurs de la Revue (RHE, 1912,
t. XIII, p. 782 svv.; 1914, t. XV, p. 367 svv.) les deux premiers tomes
du magistral travail que le KR. P. Fouqueray a entrepris de réaliser :
faire l’histoire de la Compaguie de Jésus, en France. La complexité de
l'œuvre (il s'agit, en effet, de mettre en lumière le développement de
la Compagnie en France, et les aspects multiples de son activité
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 18
978 COMPTES RÉNDUS.
pendant deux siècles et demi) a obligé l’auteur à sectionner soh œuvrè
en périoiles bien délimitées, pour empêcher l’'enchevétrement des ques-
tions traitées qui fut résulté de l'adoption du groupement logique des
faits. C'est, d’ailleurs, la tradition suivie par les historiens de la
Compagnie, tels Blandini et Sacchettini ({ntrod., t. I, p. vin). Nous
n'avons pas l'intention de chercher chicane au R. P. sur les inconvé-
nients du groupement chronologique ou de discuter les avantages que
présenterait l’histoire de la Compagnie, exposée par questions logique-
ment délimitées. L'essentiel est de dire tout et le mieux possible.
Nou3 estimons que l’on doit rendre hommage à l'effort remarquable que
le R. P. a fourni pour rendre, en quelque sorte, sensible l’histoire de la
Compagnie de Jésus, en France, pendant dix-neuf années, de 1604 à
1673. Les deux premiers tomes avaient exposé la période des origines
et des premières luttes (1528-1575) ainsi que l'histoire de la Compagnie
pendant la Ligue et le bannissement de la Compagnie (1575-1604). Le
tome III embrasse donc l’histoire de la Compagnie depuis son rétablis.
sement par Henri IV (1604) jusqu'au ministère de Richelieu (1623). Il
est subdivisé en trois parties : Sous la protection d'Henri IV (1604-1610)
— Sous la proteclion de Marie de Médicis (1610-1618) — Sous la protection
de Louis XIII jusqu'au ministère de Richelieu (1617-1623).
Les cadres de l'histoire de la Compagnie en France sont ainsi adaptés
à ceux de l’histoire politique générale de la France. Le KR. P. juge
cette adaptation nécessaire, car Henri IV, comme ses successeurs,
ont toujours protégé la Compagnie parce qu’ils ont pensé qu'elle était
la « milice la plus propre à instruire les âmes sans violenter les
consciences » (p. v).
Sous la sauvegarde de cette protection royale de dix-neuf années, la
Compagnie a pu progresser. « Quarante-cinqg maisons s’établissent,
deux nouvelles Provinces se forment, une Assistance de France est
devenue nécessaire, les missions du Canada et de Constantinople,
vigoureusement entreprises, donnent déjà de belles espérances. » La
Compagnie a progressé en tenant tête à ses ennemis naturels, réformés,
universitaires, parlementaires et gallicans. Il ne peut pas être ques-
tion, dans cette recension, de mentionoer les détails des fondations
ou des restaurations de collèzes ou de maisons professes pendant cette
période, les travaux apostoliques à l’intérieur de la France, les missions
au Canada et à Constantinople, les controverses avec les réformés,
particulièrement avec Pierre Dumoulin et Duplessis-Mornay.
Nous voudrions, cependant, attirer l'attention des lecteurs de [a
Revue sur quelques questions spéciales concernant les jésuites confes-
seurs du roi, la politique extérieure de Henri IV et le tyrannicide.
Les fonctions de confesseur du roi furent occupées, successivement,
par le P. Coton (-1617), par le P. Arnoux (1617-1621) et par le P. de
Séguiran (1621). Les confesseurs, directeurs spirituels de la conscience
du roi, personnages officiels, avaient pied non seulement pour inter-
venir dans les affaires intérieures de l'Église de France, pour leg
e ‘
H. FOUQUERAŸ : HISTOIRE DE LA COMPAGNIE bE JÉSUS EN FRANCE. 20
nominations aux évêchés, aux abbayes et aux bénétices, mais aussi pour
être les conseillers moraux de la royauté dans les questions de politique
extérieure. Le plus célèbre des trois confesseurs fut certainement le
P. Coton. Figure remarquable de jésuite, le P. Coton a usé de la haute
considération dont il jouissait auprès du roi pour servir, de son mieux,
la cause de l'Église et celle de la Compagnie. 11 fut, pendant plusieurs
années, le prédicateur attitré de la cour, à laquelle il exposa, chaque
dimanche, sans faiblesse, les grandes vérités de la foi et les principes
sacrés de la morale chrétienne. L'influence qu'il avait acquise lui
suscita, naturellement, des envieux et même des ennemis : c’est la
Compagnie tout entière que la polémique cherchait à atteindre, en
attaquant le P. Coton. Tout était matiere pour des libelles à rédiger !
Contentons-nous de signaler le pamphlet d’un anonyme, intitulé :
L'anticolon ou réfutalion de la lettre déclumatoire du P. Coton, livre où
il esl prouvé que les jésuiles sont coupables el autheurs du parricide
erécrable commis en la personne du roi trés chrestien Henri IV, d'heureuse
mémoire. « À propos d’un fait, le crime de Ravaillac et autour d'un
homme, le P. Coton, tous les vieux griefs sont groupés. que la doctrine
des jésuites approuve la rébellion et le régicide. [on] met à leur charge
tous les forfaits commis en Europe depuis un demi-siècle... le meurtre
d'Henri IV... » (p. 250).
L'histoire n’asscoit jamais son jugement définitif sur un homme ou
sur une époque en se basant sur la littérature pamphlétaire : celle-ci
suflit à marquer l’acuité des passions soulevées contre des personnes ou
des institutions. On manquerait, certes, de bon sens en acceptant les
afirmations des libelles du temps d'Henri IV comme l'expression exacte
de l’activité et de la physionomie des jésuites, en particulier du
P. Coton. Nous ne pouvons que louer la Compagnie de Jésus de la
reconnaissance affectueuse qu'elle a vouée au roi Henri IV qui fut, pour
elle, un Père plutôt qu'un Protecteur. Cependant, ce n’est pas, croyons-
pous, une raison suffisante pour trouver légitimes ou pour excuser
toutes les démarches diplomatiques du Béarnais. Pour notre part, bien
que nous ne suspections nullement la bonne foi et la rectitude des
intentions du P. Coton, nous ne ferions pas grand fond sur les corres-
pondances du confesseur du roi, en cette matière, car ce que le rusé
Béarnais dit au P. Coton ne correspond pas nécessairement, tant s’en
faut, aux instructions qu'il donne à ses ambassadeurs. N'est ce pas
le même Henri IV, qui continue à soutenir les calvinistes hollandais
contre Philippe If et Philippe III, après avoir conclu avec l'Espagne ia
paix de Vervins : il appelait cette politique « faire la guerre en
renard » (1).
Coincé, en quelque sorte, entre les possessions des 1labsbourgs
(x) Voir sur la politique tortueuse d'Henri IV, J. NouaizLac, Villeroy,
secrétaire d’État et ministre de Charles IX, Henri III et Henri IV (1543-1618)}
P. 442 sv. et passim, Paris, 1909.
280 COMPTES RENDUES.
d'Espagne qui détiennent, au sud, l'Espagne et, au nord-est, les Pays:
Bas et celles des Habsbourgs d'Autriche qui sont empereurs d’Alle-
magne, le royaume de France est sérieusement menacé à l’est et au
nord-est principalement où sa frontière manque de défenses naturelles.
Aussi François I°" inaugure la politique dite d'équilibre, déjà formulée
par Machiavel et les théoriciens italiens de la politique. Ce système
politique d'équilibre comporte l‘alliance avec les Turcs (d’où sont nées
les Capitulations, détiaitivement abrogées, récemment, au traité de
Lausanne) ainsi qu'avec les protestants d'Allemagne et des Pays-Bas :
ceux-ci créent des difficultés aux Habsbourgs, à l’intérieur de leurs
Etats, ceux-là menacent, à revers, par les Balkans, l'Autriche, le point
le plus vulnérable des possessions des Habsbourgs d'Autriche. Henri IV
continue avec dextérité, souplesse et habileté la politique de Fran-
çois Ier, politique que l’on appellerait en langage moderne nationale,
parce qu'elle s'inspire, uniquement, des intérêts matériels d'une nation
ou des préoccupations dynastiqucs d'une maison régnante. C'est, en
fait, le divorce de la politique et de la morale. Ce divorce apparut bien
évident dans le conflit de Paul V avec la Seigneurerie de Venise : on vit
l'ambassadeur de la France, la fille aînée de la catholicité, seul,
continuer à assister aux services religieux célébrés malgré l’interdit
dont le pape avait frappé la Seigneurerie. Or, l'ambassadeur agissait
d'après les instructions reçues d'Henri IV : nous croyons hien que ce
n’était pas pour la satisfaction future de servir d’honnête courtier
entre les puissances en conflit que le Béarnais avait dicté cette attitude
à son représentant, mais pour conserver les sympathies de la Seigneu-
rerie, en prévision d’un conflit avec les Habsbourgs.
C'est une raison du même ordre qui le guide lorsqu'il appuie, avec
Ja Ligue évangélique, les candidatures de l'électeur de Brandebourg et
le comte palatin de Neubourg, contre la Sainte Ligue, formée par
Maximilien d'Autriche et appuyée par Philippe III, dans la question
de succession des duchés de Clèves et de Juliers. La fugue du prince
de Condé pour détendre l4 princesse, sa femme, contre les entreprises
amoureuses du roi et le refus des archiducs de livrer les princes, qui
avaient cherché refuge à la cour de Bruxelles, apparaissaient à
Henri IV comme d’élégants prétextes à une intervention armée, d’ail-
leurs minutieusement préparée, dans les affaires de Clèves et de Juliers
et par là, à la création de difticultés aux Habsbourgs d'Autriche comme
à ceux d’Espagne. Le poignard de Ravaillac mit tin à la vie et aux
projets belliqueux du roi. Les louables efforts tentés par le P. Coton
pour éviter le conflit ne pouvaient rien, ni contre les projets d’inter-
vention du roi ni contre les méthodes politiques de la royauté française
qui favorisait, à l'intérieur de la France, la restauration religieuse
tandis qu'elle faisait alliance, à l'extérieur, avec les deux grands
ennemis de la papauté, à l'époque moderne, le protestantisme et
l'empire turc.
L'assassinat du roi rappela l’attention, en France, sur le livre du
H. FOUQUERAY : HISTOIRE DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS EN FRANCE. 281
P. Mariana : De Rege et Regis institulione, paru à Tolède en 1599. Les
ennemis des jésuites, parlementaires et calvinistes, principalement,
voulurent rechercher, dans l’acte de Ravaillac, l'influence des doctrines
que l’on attribuait aux jésuites, particulièrement au P. Mariana et à
quelques prédicateurs, sur la question du tyrannicide. Ce n’est pas le
lieu pour exposer les origines de cette fameuse doctrine du tyrannicide.
Déjà agitée par les scolastiques, condamnée par la faculté de théologie
de Paris, en 1413, et par le concile de Constance, en 1415, elle a été
mise en œuvre dans les nombreuses principautés qui constituaient, aux
xv° et xvi° siècles, la mosaïque politique de la péninsule italienne,
comme elle a été préchée avec force par les réformateurs, tels Luther,
Knox, Calvin. N'oublions pas qu’en France même, à l'époque des
guerres de religion, l'assassinat politique est une méthode que calvi-
nistes et catholiques pratiquaient, avec une égale désinvolture, pour
se débarrasser de leurs adversaires.
On serait donc mal avisé de faire du tyrannicide un enseignement
d'école propre aux jésuites, à moins de conditionner son jugement par
des préjugés. Il importe peu que le P. Mariana, dans la première
édition de son ouvrage, ait presque fait l'apologie du criminel attentat
de Jacques Clément contre Henri III, en écrivant « sic Clemens periil,
aelernum Galliae decus, ut plerisque visum est » : son opinion sur la
question du tyraanicide n'eugageait que lui-même. La Compagnie
repoussa toute solidarité avec Les théories émises par le P. Mariana, en
condamnant son livre, le 6 juillet 1610, par le ministère du général
Aquaviva.
[Il nous est difficile de nous rallier à l'appréciation que le R. P. donne
du nonce Guido Bentivoglio qui succéda, en France, au nonce Ubaldini,
en 1615, après avoir été le titulaire de la nonciature de Bruxelles,
depuis 1607. Peut-on dire, vraiment, qu’il cachait « un génie médiocre,
sous un extérieur séduisant... semblant ne point voir les difficutés, soit
qu’il voulut les ignorer, soit qu’il fut incapable de découvrir les ressorts
cachés de l'intrigue » (p. 416).
Nous croyons, pour notre part, que la publication des correspon-
dances de Bentivogiio, qui reposent aux archives et à la bibliothèque
vaticanes, révéleraient l’un des plus habiles diplomates dont le Saint-
Siège ait disposé au début du xvii* siècle pour promouvoir, en France
ainsi qu'aux Pays-Bas, la restauration catholique basée sur les décrets
du concile de Trente ainsi que pour assurer la concorde entre les
princes chrétiens, en vue d’une nouvelle croisade contre les Turcs,
campés dans les Balkans aux portes mêmes de Vienne. Le P. Rapin,
qui dut, sans doute, consulter les archives secrètes du Vatican pour
écrire ses Mémoires, est beaucoup plus flatteur que le R. P. : Il écrit
que Bentivoglio « était le plus civil et le plus poly du Sacré Collège »
(édit. Aubineau, t. IIT, p. 444). L'on vit, au conclave réuni pour donner
un successeur à Urbain VIII (1643), les cardinaux français et espagnols
appuyer la candidature de Bentivoglio. Il n’est pas douteux que la tiare
282 COMPTES RENDUS.
p’eut orné le chef de Bentivoglio, si un accès de fièvre n'eut enlevé le
cardinal avant que les opérations du conclave ne fussent terminées.
Le travail du R. P. est solidement appuyé sur des documents d'une
richesse extraordinaire, puisés dans les archives de la Compagnie et
dans les dépôts publics, grâce à de longues et patientes recherches pour
lesquelles le R. P. fut, sans doute, aidé par la collaboration désinté-
ressée de confrères.
L'intérêt du travail déborde son objet : car, en même temps qu'une
histoire de la Compagnie de Jésus, c'est une importante contribution à
l'étude de la restauration religieuse, en France, où la lettre des décrets
disciplinaires du concile de Trente ne fut jamais officiellement reçue,
bien que l'esprit des réformes eut pénétré la vie religieuse par les
statuts synodaux et par les décisions des assemblées du clergé de
France. Quiconque s'intéresse à l’âge d’or de la réorganisation catho-
lique, pendant les règnes d'Henri 1V et de Louis XIII, ne peut se
dispenser de lire l'ouvrage du R. P. Fouqueray, qui brosse, en couleurs
vives, le tableau de l’activité des jésuites, ouvriers d'élite de cette
restauration religieuse.
Formons un double souhait : le premier, de voir le R. P. achever
rapidement le travail qu'il à généreusement entrepris ; le second,
d'apprendre qu'il condense en même temps, dans un volume destiné au
grand public, les différents aspects de l'activité de la Compagnie de
Jésus, pendant les deux siècles de son existence en France : nous
croyons que ce serait la meilleure façon de couper court, pour de bon,
aux préjugés que les écrits d’historiens à tendances ont largement
répandus. A. PASTURE.
Dow H. LecrERCQ. Histoire de la Régence pendant la minorité de
Louis XV, Paris, Champion, 1921. 3 vol. in-8, Lxxxv-526, 531 et
509 p. Fr. 60 les 3 vol.
Faisant diversion à ses travaux si réputés sur l’histoire des conciles
et des martyrs et à ses études d'archéologie chrétienne, dom H. Leclercq
a abordé l'époque moderne en nous exposant l’histoire intérieure et
extérieure de la France pendant une des périodes Îles plus intéressantes
de ses annales. Hâtons-nous de proclamer qu'il a prouvé brillamment
combien un historien de sa valeur se meut aisément au milieu des
règles de l’heuristique, qu’il s'agisse de raconter la passion édifiante
des martyrs ou de retracer d'une plume alerte et spirituelle les fredaines
du Régent et de son comparse Dubois. Qu'on ne s’imagine pas cepen-
dant que dom Leclercq, versant dans le travers de plusieurs auteurs
qui se sont occupés de la Régence, n'a envisagé que la « petite histoire »
de cette période; bien au contraire, de cette époque qui n'offre rien de
grandiose, qui n'enregistre aucun événement de première importance
et qni ue met en relief aucun génie politique transcendant, l’auteur a
H. LECLERCQ : HISTOIRE DE LA RÉGENCE. 283
tiré par sa puissance de synthèse, basée sur un travail d'analyse con-
sciencieux et éclairé, une conclusion d'une portée considérable : l’his-
toire de la Régence forme le premier chapitre d’une histoire de la
Révolution française.
L'abondante documentation satisfaira les plus exigeants. Pièces
d'archives, puisées dans les divers fonds du ministère des Affaires
étrangères à Paris, dans les dépôts d’Alcala et de Simancas, de Plai-
sance et de Naples, du Public Record Office de Londres, d’Orenfoord
Castle, mémoires des contemporains, surtout ceux de Torcy, à la Biblio-
thèque nationale de Paris, et ceux de Cellamare, au British Museum,
correspondances et documents de tout genre, pamphlets, écrits saty-
riques, etc., travaux des auteurs modernes, tout est mis en œuvre,
critiqué et utilisé avec autant de sagacité que de clarté. Si les difficultés
d'ordre matériel auxquelles se heurtent les historiens en ces tristes
temps d'après guerre ont empêché la transcription en note de citations
et d'extraits, l’auteur est parvenu à y remédier grâce au réel talent
avec lequel il réussit, sans alourdir son récit, ni embrouiller son exposé,
à insérer dans son texte même les expressions pittoresques et les
passages caractéristiques des sources utilisées. Il a pu donner ainsi à
son travail une allure extrêmement vivante et il excelle à faire, en
quelques lignes, parler le document. |
Le style personnel de l’auteur mérite également nos louanges. Sans
aucune prétention littéraire, il est parvenu à s'assimiler la belle langue,
si classique, des débuts du xvix1° siècle, tout en évitant les redondances
et les périodes trop longues. Il sait, lorsqu'il le faut, être descriptif
et les portraits, notamment ceux de Dubois et d’Alberoni, que sa
pénétration psychologique lui permet de buriner en traits décisifs,
seront désormais tixés pour l'histoire. A tout moment une anecdote ou
un trait de mœurs, relaté sans fausse pudeur, vient animer le récit
et repose le lecteuf tout en facilitant son jugement. Mais la principale
qualité de l’auteur reste son admirable clarté : au milieu des négocia-
tions diplomatiques les plus compliquées, des controverses religieuses
les plus confuses, des problèmes économiques les plus ardus, il parvient
à présenter chaque fait sous son jour véritable, à sa vraie place et
permet ainsi la formation d'une vuc d'ensemble et d’un jugement éclairé.
L'introduction constitue à elle seule une puissante synthèse de philo-
sophie de l’histoire. Dom Leclercq nous permet, avec une documen-
tation autrement solide que celle mise en œuvre tout récemment par
un romancier de talent égaré dans le domaine des disciplines histo-
riques, d'apprécier les conséquences du règne de Louis XIV. II montre
comment le triomphe du despotisme royal ne parvint pas à détruire
l'esprit de liberté qui trouve dans Fénelon, Boisguilbert, Vauban et
même Saint-Simon, des défenseurs convaincus et il nous fait voir, par
le témoignage même des serviteurs les plus intéressés du régime, celui
des intendants et des contrôleurs généraux, source à laquelle M. Louis
Bertrand eût bien fait de puiser avant d'écrire son panégyrique de
281 COMPTES RENDUS.
Louis XIV, combien l’absolutisme avait plongé la France dans des
‘abîmes de misère.
La situation ne s'améliora à aucun point de vue sous le gouverne-
ment du Régent et dom Leclercq nous montre d’une façon irréfutable,
en passant en revue tous les facteurs politiques, moraux et économiques,
comment le duc d'Orléans laissa la France « ruinée à ne savoir où s’en
prendre ». Cependant cette période, que l’on ne se représente trop
souvent que comme corrompue et charmante à la fois, fut féconde dans
ses conséquences : elle marque le réveil de la vie politique ; par la
tentative de polysynodie elle inaugure le gouvernement collectif et
l'avènement des capacités, comme par le système de Law elle inaugure
le crédit public et le papier-monnaie. La politique extérieure est aussi
pleine d'innovations : une alliance rapproche la France de l'Angleterre
et le traité d'Amsterdam va, à la suite du voyage de Pierre le Grand
à Paris, voyage que dom Leclercq nous raconte avec une abondance
de détails du plus haut pittoresque, unir pour la premiere fois la
France et la Russie.
Les chapitres relatifs à l’histoire ecclésiastique s'imposent surtout à
notre attention.
La mort de Louis XIV provoqua un grand changement dans la
politique religieuse en France. Le Régent avait voulu payer le concours
des Jansénistes qui l'avaient soutenu contre le duc du Maine, appuyé
par les Ultramontains. Le cardinal de Noailles avait été rappelé d’exil
et avait été nommé président du « Conseil de conscience ». Ce revire-
ment du pouvoir éclairait l’opinion à un moment où les péripéties de la
réception et de la publication de la bulle Unigenilus avaient « trans-
formé une discussion théologique de tout repos en une polémique
confessionnelle sans pitié ». Les Jésuites devaient être les victimes de
cette réaction janséniste, l’opiaion se déchaînait contre eux, néanmoins
l'assemblée du clergé condamnait encore les ouvräges hétérodoxes et
les Jésuites ne dissimulaient pas leur hostilité à l'égard du Régent. Le
sermon prononcé, le 20 cctobre 1715, dans la cathédrale de Rouen,
par le Père de la Motte, déchaïna la persécution et quelques semaines
plus tard la Faculté de théologie de Paris se rétractait au sujet de la
réception de la bulle Unigenitus, et ses docteurs déclaraient, à une
écrasante majorité, que « ce qu’ils avaient fait en cela n’était que pour
obéir au feu Roi ».
Cette décision devait provoquer les plus graves dissentiments au sein
de l’épiscopat. « Chaque parti nuisait au parti opposé avec un acharne-
ment que la bonne foi excuse, peut-être, à défaut de la justice et de la
charité. » Les tentatives du Régent pour imposer le silence par une
lettre de cachet, tout comme l'envoi de négociateurs à Rome, ne rame-
pérent pas le calme. Mandements épiscopaux et pamphlets, que les
deux partis se jetaient à la tôte, concouraient à enflammer les esprits.
L'attitude du pape Clément XT et les malalresses du nonce Bentivoglio
ne facilitaient pas les négociations ; tinalement le Régent, que ces
H. LECLERCQ : HISTOIRE DE LA RÉGENCE. 285
querelles théologiques excédaient, chargea le cardinal de la Trémouille .
d'obtenir du Pape une interprétation de La Bulle. L'accueil fait par
Clément XI aux insinuations du Régent fut peu encourageant ; il saisit
cependant de la question une congrégation cardinalice. Les idées d'ac-
commodement planaient dans l’air, mais sur terre régnaient toujours
les mêmes passions. La combattivité des Jésuites ne se calmait pas et le
cardinal de Noailles n'hésita pas à prendre contre eux des mesures
spirituelles eu leur retirant, le 18 août 1716, les pouvoirs pour la
confession et la prédication et en leur interdisant même de faire le
catéchisme. Plusieurs évêques suivirent cet exemple. Ce coup fut si
sensible, dit dom Leclercq, qu'il décida vingt-cinq évêques à remettre
au Régent une déclaration authentique disant qu’ils n'avaient pas reçu
la Bulle « purement et simplement » mais « relativement à l’Instruction
puslorule ». Cette acceptation relative causa un certain désarroi dans le
Sacré-Collège et éloigna encore la solution si impatiemment attendue;
seule la lassitude générale de l'opinion permettait d'espérer l’apaise-
ment, lorsque les intempérances de langage du P. de la Ferté, dans le
sermon prêché devant le jeune roi le jour de la Toussaint, remirent tout
en question et provoquèrent de nouvelles rigueurs contre les Jésuites.
Les négociations continuaient cependant à Paris, en dépit des brefs
du Pape, qui, à l’instigation du nonce, allait jusqu’à suspendre les
privilèges de la Sorbonne, augmentant ainsi les dissensions au sein de
l’épiscopat. On ne savait ce qui en sortirait et le cardinal de Noailles
lui-même paraissait sur le point de s’incliner, lorsque, le 4 janvier 1717,
les évêques de Mirepoix, de Senez, de Montpellier et de Boulogne
prirent l'engagement d'appeler comme d'abus au futur concile général
de la constitution Unigenilus et de tout ce qui s’en était suivi, soit de la
part du Pape, soit de la part des évèques de France qui l'avaient
acceptée. Cet acte, qui devait engager les destinées religieuses de la
France pour une. longue suite d'années, fut, le 1°" mars, porté par les
appelants à la connaissance de la Sorbonne, qui y adhéra à la quasi
unanimité. Bien que le cardinal de Rohan, chef du parti constitution-
paire, eût obtenu du Régent des mesures de rigueur contre le syndic
Ravechet et contre les évêques appelants. presque tous les curés de
Paris et du diocèse, plusieurs communautés religieuses, de nombreux
prélats, diverses universités, et, en secret, le cardinal de Noailles
lui même, adhérèrent à l'appel. Toutefois, nonobstant le dit appel,
Noailles se prétait complaisamment à toutes les propositions d’accom-
modement et adressait au Pape une lettre d’allure ambiguë, extrême-
ment habile, « épiscopale en diable », disait Le maréchal d'Huxelles.
Cette lettre mettait Clément XI dans un réel embarras; aussi la reçut-il
de fort méchante humeur et son entrevue avec le cardinal de la Tré-
mouille, chargé de la lui remettre, fut-elle plutôt orageuse.
C'est alors qu'entre en scène le P. Lafitau, âme damnée de Dubois,
ancien jésuite, mais encore très attaché à la Compagnie. « C'était,
écrit dom Leclercq, un de ces courtiers qu’on emploie en les mépri-
286 | COMPTES RENDUS.
sant et qu'on désavoue tout en les récompensant. » Ses intrigues,
qui devaient aller jusqu’à insinuer au Pape que des concessions lui
vaudraient de la part du gouvernement français « une marque solide
de reconnaissance et une somme qui ne serait pas indigne de considé-
ration », devaient encore embrouiller les négociations et, pour comble,
l'appel secrètement interjeté par Noailles, quelques mois plus tôt,
était fortuitement révélé au public. Non seulement le clergé tout
entier, mais aussi le « menu fretin des sacristies..… toute la gent rapace
et sordide qui vit des rognures du sanctuaire » prenait parti pour les
appelants ou pour les constitutionnaires. La mode et l'engouement s'en
mélaient et l’on voyait les laïques arborer à l'épée des nœuds de
rubans, blanc, rouge et jaune, à la Régence, noir et rouge, à la Consti-
tulion, dégaîner dans le lieu saint et défendre ou attaquer la Bulle l'épée
à la main. En même temps, mémoires et libelles se multipliaient, de
plus en plus violents, et le duc de Saint-Simon poussait le Régent à ne
pas céder devant la Cour de Rome pour éviter de voir la France
asservie au Saint-Siège, comme l'étaient l'Espagne, le Portugal et les
Etats italiens.
Pour triompher des adversaires de la Bulle, le nonce Bentivoglio,
« prélat licencieux, marqué du doigt par les honnêtes gens », suggéra
au Pape de ne point délivrer de bulles d'institution canonique aux
évêques nommés aux sièges vacants avant que ces prélats n’eussent
signé une espèce de formulaire ou d'engagement à recevoir la Constilu-
lion, mais l’attitude énergique prise par le Régent obligea Rome à céder
et à expédier les bulles sans condition. Si cette capitulation, due « à
cette condescendance italienne qu’on nomme, en France, la peur »,
réjouit les appelants, par contre la disgrâce du chancelier Daguesseau,
hostile aux Jésuites, remplit d'aise les constilutionnaires et leur joie
grandit encore lorsqu'un décret de l'Inquisition, daté du 9 février,
condamna l'appel des quatre évêques, celui de Noailles et tous les
appels émis en France par les Facultés. Le Régent ayant retourné ce
décret à Rome, sans même l'ouvrir, et tous les parlements l'ayant,
chacun dans son ressort, déclaré nul par voie d'arrêt, Clément XI,
après six mois de « chicanes, si mesquines que l’histoire n’y rencontre
rien qui vaille d’être retenu », publia, le 8 septembre, une lettre à tous
les tidèles exigeant de chacun, sous peine d’excommunication, une
obéissance entière et sans réserve. Cette lettre Pastoralis officit eut
pour résultat de décider le cardinal de Noailles à publier officiellement
son appel au Pape mieux informé ou au concile général et le chapitre
métropolitain de Paris donna solennellement son adhésion à l'appel, qui
fut affiché dans toutes les églises de la capitale.
La situation de l'Église de France restait done plus trouble que
jamais; rien ne le prouve mieux que le fait que l’épouvantable peste de
Marseille, dont l'auteur nous fait un récit du plus vif intérêt, ne parvint
même pas à mettre fin aux luttes religieuses. L'évêque de Belzunce, si
héroïquement dévoué à ses ouailles et si charituble, surexcitait l’émo-
H. LECLERCQ : HISTOIRE DE LA RÉGENCE. 287
tion populaire au profit du parti constitutionnaire et dénonçait au
Régent les appelants de son diocèse, au moment même où, dans sa
ville épiscopale, mille personnes mouraient par jour.
Cependant le Régent, stimulé par Dubois, qui dans sa course au
chapeau ne voulait pas se brouiller avec le Pape, se tournait du côté
des constilulionnaires, malgré que le parlement de Paris, bientôt suivi
par ceux de province, eût rendu un arrêt nettement hostile à la Cour
de Rome accusée de vouloir imposer son infaillibilité.
Pour faire cesser les violences mesquines, les tracasseries et les
niches dont usaient les deux partis et pour arrêter les pamphlets qu'ils
se jctaient réciproquement à la tête, le Régent recourut à son expédient
favori. Une déclaration royale du 5 juin 1719 imposa aux disputes
théologiques un silence d’une année, promettant d'arriver pendant ce
laps de temps à un accommodement. Cette tactique prudente ne donna
pas encore le résultat attendu : l'évêque de Soissons, Languet, un des
plus fougueux parmi les Constitutionnaires, déclara publiquement que
« le silence prescrit dans les causes qui intéressaient la foi, n'avait
jamais été utile qu'aux ennemis de la foi » et adressa au Régent une
lettre si violente que le Parlement la tit lacérer et brûler par le bour-
reau ; l'archevêque de Reims, Mailly, à qui son zèle venait de valoir le
chapeau, malgré l’opposition du Régent, aurait partagé la disgrâce de
son suffragant, s’il n’avait pas habilement exploité les visées de Dubois
de plus en plus acharné à la poursuite du cardinalat.
Sur ces entrefaites Noailles avait, avec l'évêque de Clermont, Mas-
sillon, et le P. de la Tour, supérieur général de l’Oratoire, rédigé un
Corps de doctrine contenant des explications sur les propositions
condamnées. Ce document devait être soumis à la discussion des
cardinaux et des évêques constitutionnaires pour tenter d'aboutir à un
accommodement. Bien que ni appelants, ni constilutionnaires ne fussent
satisfaits de cette soumission de Noailles, soumission que l’on réduisait
plaisamment à cette formule : « Nous acceptons avec respect l'erreur
relativement à la vérité, dont nous ne nous soucions guère », on voulut
trouver dans ce Corps de doctrine la fin des polémiques religieuses.
Dubois, qui voyait dans la paix de l'Eglise le gage de la pourpre si
impatiemment attendue, voulut profiter des circonstances pour imposer
l'enregistrement pur et simple de la bulle Unigenitus. Après avoir exilé
le Parlement à Pontoise, il lui fit prescrire, par lettres patentes du
4 août 172%), d'enregistrer la Bulle et de casser tous les appels interjetés
à son sujet; puis, comme le Parlement refusait de se soumettre, le
Régent fit un coup d'éclat en faisant enregistrer par le Grand Conseil,
nullement compétent en la matière, une déclaration du Roi rendant
obligatoire l'observation de La constitution Unigenilus et de l’Instruction
pastorale, défendant d'en appeler et interdisant « de s'attaquer par les
vocables de schismatique, janséniste, novateur, hérétique ».
Pas plus que les précédents, cet expédient ne donna les résultats
attendus : la juridiction du Grand Conseil fut récusée par l'opinion
288 COMPTES RENDUS.
publique. Dubois, que rien ne rebutait du moment qu'il s'agissait
d'obtenir le chapeau, décida le Régent de contraindre l'archevêque de
Paris à publier un mandement par lequel il accepterait la constitution
Unigenilus, en y joignant des explications, et voulut, en même temps,
briser la résistance du Parlement. Celui-ci fut exilé à Blois par lettre
de cachet, tandis que le cardinal de Noailles publiait le mandement
demandé.
C'était la fin de la résistance, le Parlement, rappelé à Pontoise,
finissait, le 3 décembre 1720, malgré une dernière tentative faite par
l’abbé Pucelle en faveur des appelants, par donner l'enregistrement à
la Constitution.
Ainsi paraissait se terminer l'opposition à la bulle Unigenilus. Certes,
comme l'écrit dom Leclercq : «le second jansénisme, sorti de la con-
dampation du livre des Réflexions morales fut bien loin d'égaler celui
auquel donna naissance la condamnation de l'Augustinus ; les lutteurs
n'étaient plus des athlètes de la taille et de la vigueur d’Arnauld, les
hommes avaient dégénéré, les idées étaient rapetissées, l’opiniâtreté
sans talent tenait lieu de la conviction sans faiblesse ». Il n’en était pas
moins intéressant d'exposer cet épisode, assez mal connu, de l’histoire
religieuse de la France; il caractérise toute une époque.
Signalons encore, au point de vue de l’histoire ecclésiastique, les
chapitres, palpitants d'intérêt, où dom Leclercq expose les manœuvres
peu édifiantes de l’infâme Dubois pour obtenir le chapeau, entin arraché
à la faiblesse d'Innocent XIII. De même, le chapitre LIX, intitulé :
les opinions et les sectes religieuses, s'impose particulièrement à
l'attention. L'auteur y montre que la foi catholique n’était pas si
ébranlée que pourraient le faire croire certains textes contemporains;
« ce qui vacille ce n’est pas la foi chrétienne, c’est le respect et l’atta-
chement à l'égard de l'Eglise et du clergé ». Cela n’a rien d'étonnant
lorsque l’on voit la façon dont le Régent distribue évêchés et bénéfices :
« Tout à la grâce et rien au mérite », dit-il lui-même en plaisantant.
Heureusement le clergé paroissial reste en grande majorité pieux et
charitable; les ordres religieux, dans l’ensemble, observent leurs règles
et, même parmi les laïques, à côté de la société frivole et pervertie, qui,
en s’agitant et menant grand bruit, donne une idée fausse de son temps,
on rencontre à la Cour et même au Palais-Royal des âmes pures et
courageuses attachées à la pratique des vertus chrétiennes. De même,
dans la bourgeoisie et parmi les artisans et le peuple, la foi se transmet
à travers la conception janséniste et l’ardeur même de la lutte entre
Jansénistes et Ultramontains montre le rôle important que continue
à jouer le facteur religieux dans la vie publique.
Dom Leclercq expose également avec beaucoup d’impartialité la
situation des sectes et des sociétés secrètes, des protestants, des con
dormanis ; il montre les débuts de la franc-maçonnerie ; il explique
comment, dans les tendances politiques des Jansénistes, se révèlent
les premières manifestations d’un esprit républicain. Mais, impuissant
B. VAN DER SCHELDEN : LA FRANC-MACONNERIE BELGE. 289
à devenir un véritable parti, le Jansénisme se vouait à n'être qu'une
secte, ne visant qu'à éterniser des querelles ou à envenimer des con-
flits, dont trop souvent des morts ou des mourants sont l’objet. Le
chapitre se termine par quelques renseignements sur les Juifs et
sur les superatitions, parmi lesquelles figurent les diableries et les
évocaions.
Peut-être certains esprits timorés s'offusqueront-ils de la franchise
avec laquelle dom Leclercq s'exprime à l'égard de divers hauts digni.
taires ecclésiastiques et expose leurs turpitudes ou leur faiblesse. A
notre avis, cette objectivité impose à tous les conclusions de son livre
et constitue une qualité dont on ne pourrait trop louer l'auteur. Sans
craindre de nous tromper, nous pouvons dire que la Régence, période
décisive pour les destinées de la France, a trouvé son historien définitif
et c'est de grand cœur que le monde savant tout entier à applaudi à la
haute distinction scientitique attribuée à dom Leclercq pour son:
magnifique ouvrage auquel fut décerné le prix Thiers.
CH. TERLINDEN.
BERTRAND VAN DER SCHELDEN, O. M. Cap. La Franc-maçonnerie belge
sous le régime autrichien (1721-1794). Étude historique et critique.
(Recueil des travaux publiés par les membres des Conférences
d'histoire et de philologie. 2° sér., [*° fase.) Louvain, Uystpruyst,
1923. In-8, x1v-446 p. F. 22.
C’est un ouvrage considérable et remarquable que nous présentons
aux lecteurs de la Revue d'histoire ecclésiastique. Le sujet n’est pas
neuf. En 1911, il fut traité avec sagacité et après des recherches con-
sciencieuses par P. Duchaine /La Franc-maçonnerie belgeau XVIIT° siècle.
Cfr RHE. 1912, t. XIII, p. 153). Le P. van der Schelden a profité de
cette étude, il a soin de nous en avertir, mais il a élargi et complété le
sujet ; il a disposé de sources que M. Duchaine ne connaissait pas. Il a
traité le sujet avec une très grande objectivité, omettant les apprécia-
tions personnelles, pour ne laisser parler que les documents. Pareille
méthode d'exposition n'est pas sans inconvénients : elle demande au
lecteur une attention plus grande, un travail continuel de vérification,
une véritable étude ; elle se justifie cependant, dans une matière où
l’on est naturellement porté à la défiance vis-à-vis de l'écrivain, à
quelque opinion qu'il appartienne. |
Dans la première partie, consacrée à l’histoire de l’établissement des
loges dans les Pays-Bas autrichiens (l’auteur ne parle qu’incidemment
du Pays de Liége), le KR. P. se montre bien au courant de l’histoire
générale de la Franc-maçonnerie. Il a recueilli avec grand soin et
beaucoup de critique les données assez rares sur les premières loges
érigées en Belgique. Leur établissement date des dernières années du
390 COMPTES RENDUS.
règne de Charles VI; l'institution se développe pendant celui de Marie-
Thérèse, sous l'influence directe ou indirecte de la Grande Loge
anglaise. C’est elle qui établit le premier Grand Maître provincial des
loges des Pays-Bas autrichiens, le marquis de Gages, que presque
toutes les loges reconnurent. 11 y eut cependant des loges irrégulières
ou batardes. L'exposé de cette évolution est par endroits assez com-
pliqué : cela tient en grande partie à l’insuftisance des sources de
l'époque. Par contre, la question des loges d'adoption ou de femmes
est parfaitement exposée.
La deuxième partie concerne la vie interne des loges. « Les loges,
composées d’un nombre plus ou moins élevé de maçons de divers
grades, — d'ordinaire membres de la noblesse de robe ou d'épée, de
l'aristocratie et de la grande bourgeoisie, — se réunissaient de temps
en temps, avec une régularité plus ou moins soutenue. On y procédait
à des initiations ; on y donnait des instructions et on y prononçait des
discours. Ces travaux étant clôturés, les frères entraient souvent en
loge ouverte, quelquefois en compagnie de sœurs, pour se réunir en
des « agapes fraternelles », danser au son d’un concert mélodieux et
chanter la gloire de la Maçonnerie» (p. 79). C’est ainsi que l’auteur
résume lui même, exactement, la matière de cette seconde partie. Elle
est pleine de renseignements intéressants. Les loges des Pays-Bas
autrichiens ne semblent pas avoir multiplié les grades de chevalerie.
Leur doctrine présente ce caractère vague et imprécis que l’on ren-
contre dans les « Old Charges » de la loge de Londres et encore dans
les statuts et déclarations de principes de nos loges actuelles. « Que les
Maçons en aient été conscients ou inconscients, la Maçonnerie prêcha
au xvri° siècle, au point de vue social et politique : l’ordre social pri-
mitif tel qu'il était, avant qu'il fut troublé « par l'intérêt, la force,
l'orgueil et les autres passions », ou — pour employer une expression
maçonnique plus imagée — par «certains Assyriens ambitieux, qui
détruisirent la liberté, l'égalité et la fraternité » (p. 155). Tout en se
défendant de s’occuper de religion, la Franc-maçonnerie avait un
système complet religieux ; tout en excluant la politique, elle eut sur
les idées unc influence considérable. La bienfaisance ne semble pas
avoir absorbé une grande part de ses ressources; par contre les
banquets étaient fort onéreux.
La vie externe des loges : leurs rapports avec le gouvernement
autrichien sous le règne de Marie-Thérèse et de Joseph IT et avec les
autorites ecclésiastiques, forme l’objet de la troisième partie.
Il n’y eut point, en 1733, d’édit de Charles VI contre la Franc-ma.
çonnerie. Marie-Thérèse avait pris position contre elle : en 1743, elle
prit quelques mesures contre les Maçons de Vienne et conçut l’idce de
publier un édit contre la Franc Maçonnerie, mais il est fort douteux
qu’elle ait exécuté son plan. « Ce que l’on peut aftirmer avec certitude,
c’est que l’impératrice donna ordre, en 1774, sur les explications du
recteur de l'université de Louvain, de défendre aux étudiants de
B. VAN DER SCHELDEN : LA FRANC-MACONNERIE BELGE. 20]
s'affilier aux loges et que, tout étonnée d'apprendre qu'il y avait des
Maçons à Bruxelles sans qu’elle en fut avertie, elle proscrivit, instruite
par le cardinal de Frankenberg, les assemblées maçonniques. Cependant
cette dernière prescription resta sans suite » (p. 193). Ces deux
événements obligèrent cependant les Francs-maçons à une grande
réserve. Joseph II n’interdit pas la Franc-maçonnerie, il la règlementa
par so rescrit de 1785. On lira avec grand intérêt l'exposé de la
manière dont ce rescrit fut exécuté dans les Pays-Bas par le Conseil
privé, dans l'édit du 9 janvier 1786, comment celui-ci interpréta, en
faveur de la Franc-maçonnerie, le rescrit impérial, et comment il dut
céder devant la déclaration formelle de l’empereur : un édit du 15 mai
suivant n’autorisa plus les loges que dans la ville de Bruxelles. L'édit
de 1789, dont parlent certains auteurs, n’a certainement pas été publié
dans les Pays-Bas autrichiens.
Les derniers chapitres de l’ouvrage méritent une lecture spéciale-
ment attentive. Malgré les condamnations prononcées par Clément XII
en 1738 et par Benoît XIV en 1751, beaucoup de catholiques, parmi
eux le marquis de Gages, et plusieurs ecclésiastiques firent partie des
loges ; celles-ci d’ailleurs faisaient célébrer des services religicux,
recommandaient les défunts aux prières des membres, prévenaient
les Maçons de l’heure à laquelle ils pourraient assister à la messe du
dimanche, avant la réunion maçonnique. Il est incontestable que les
bulles pontiticales n'’eurent pas grand écho en Belgique, soit qu’on
les ait ignorées, ou mis en doute leur existence, soit qu’on les ait
interprétées de telle manière que les Maçons catholiques ne se
croyaient pas atteints par elles. Il y eut des ignorants, ne connaissant
pas le véritable but de la Franc-maçonnerie, séduits par le mystère,
imbus d’idées philosophiques, à la foi vacillante, frappés des abus des
gouvernements, anticlericaux avant la lettre, contiants dans le carac-
tère religieux de certaines manifestations de la Maçonnerie. Au
xvili® siècle, «ce siècle paradoxal, des incrédules observaient les
pratiques religieuses et des croyants étaient adeptes de la philosophie
incrédule ». Il y eut donc aussi parmi les catholiques des Francs-
maçons clairvoyants. Le rationalisme était loin d’être inconnu dans
la principauté de Liége et dans les anciens Pays-Bas.
Un appendice contient de nombreux documents sur la Maçoonerie :
tableaux des membres, constitutions et statuts, procès-verbaux des
réunions, documents officiels, correspondances tirées des Archives du
Vatican, qui prouvent manifestement que jamais Benoît XIV n'a fait
partie de la Franc-maçonnerie, comme on l'en a accusé.
L'ouvrage est illustré de plusieurs reproductions de documents
maçonniques. La typographie fait honneur à l’imprimerie des Trois
Rois. A. VAN Hove,
592 COMPTES RENDUS.
The Life of Cornelia Connelly, Foundress of the Society of the Holy
child Jesus (1809-1879), by a member of the Society, with a Pre-
face by cardinal Gasquet. Londres, Longmans, Green et C°,
1922. In-8, x11-488 p. Prix : 21 sh.
M. Monauau. Life and Letters of Janet Erskine Stuart, Superior
General of the Society of the Sacred Heart (1857-1914). With an
introduction by cardinal Bourne. Londres, Longmans, Green
et C°, 1922. In-8, xu-524 p. Prix : 24 sh.
Ï. En nous donnant en un volume distingué et d’un intérêt soutenu
la vie de la Rév. Mère Cornelia Connelly, sa biographe nous fait réel-
lement assister à la naissance et au développement d'une congrégation
récente et déjà très importante, la société de l’Enfant Jésus. Ses débuts
remontent à la période qui coïncide avec ce qu'on est convenu d'appeler
l'Oxford movement. Les conversions se multipliaient en Angleterre,
l'Eglise catholique y prenait un essor nouveau et rien, pourtant, n’y
était organisé pour l'éducation catholique des jeunes filles. Mgr Wise-
man, qui cherchait depuis longtemps le moyen de combler cette lacune,
connut alors à Rome Madame Cornelia Connelly et ce fut elle qui
devint entre ses mains l'instrument providentiel d’une œuvre d’éduca-
tion catholique florissante et féconde.
D'origine américaine, appartenant à une famille distinguée de Phila-
delphie, elle avait été mariée à un ministre épiscopalien, Pierce
Connelly. Convertis tous deux en 1835, ils s'étaient peu après, sous
l'influence du mari, séparés pour se donner l’un et l’autre à Dieu com-
plètement. C’est ainsi que Cornelia, après avoir prononcé un vœu
solennel de chasteté, se trouvait à Rome chez les Dames du Sacré-
Cœur, lorsque Grégoire X VI lui contia la mission de grouper des âmes
de bonne volonté pour se consacrer, sous sa direction, à l'éducation
des jeunes Anglaises. Elle obéit simplement et la petite congrégation
prit naissance à Derby, en 1846. Enfantement douloureux ; car la vie
de la fondatrice ne fut plus qu’une longue série d'épreuves matérielles
et morales. Son mari, devenu prêtre, apostasie, lui suscite toutes
sortes de difficultés et finit par entraîner dans sa chute ses trois jeunes
enfants. Dans sa société, au milieu de malentendus douloureux, il lui
faut soutenir une lutte incessante non seulement pour le maintien des
régles et de l'esprit du nouvel Institut, mais pour son existence même.
Toutes ces épreuves et ces contradictions furent supportées avec la
sérénité d’une âme intimement unie à Dieu et qui puisait dans la prière
coutinue le moyen de se montrer douce et joyeuse avec ses filles,
invincible dans sa confiance en Dieu, capable de mener de front la for-
mation morale des religieuses et l'organisation de l'œuvre d'éducation
où elle fit preuve d’une réelle maitrise. La congrégation, après s'être
solidement établie en Angleterre, essaima en France et jusqu'en
Amérique. Lorsque la fondatrice mourut en 1879, elle laissait la société
de l'Enfant Jésus en pleine prospérité.
MGR LAVEILLE : THÉRÈSE DURNERIN: 293
Il. La R. M. Janet Erskine Stuart fut aussi une éducatrice très
remarquable, une de ces âmes fortes et éclairées que Dieu destine à en
attirer beaucoup d’autres dans leur sillage. Issue d’une famille très
distinguée, elle avait reçu, par les soins de son père, chanoine de
l'Eglise anglicane, une éducation très soignée et très solide. Entrainée
un instant loin de la foi par l'excès même de sa curiosité intellectuelle,
elle ne put cependant s’attarder dans le doute. Convertie bientôt au
catholicisme, elle y trouva la pleine lumière et la paix détinitive de
l'âme. Dès lors, aucun sacrifice ne lui parut trop grand pour demeurer
en possession de la vérité et pour s’avancer jusqu’à la perfection la plus
vraie. Novice du Sacré-Cœur en 1882, sa ferveur et sa prudence atti.
rérent tout de suite l’attention des supérieures : aussitôt après ses
grands vœux, elle fut nommée maîtresse des novices. Supérieure de la
maison de Rochampton en 1894 et vicaire de la province d'Angleterre,
elle devenait supérieure générale du Sacré-Cœur en 1911. On peut dire
que toute sa vie se passa à former des âmes religieuses fortes et
heureuses. Ses grands dons d'intelligence et de cœur lui valurent un réel
empire sur toutes les âmes de sa congrégation ; mais surtout, cette
influence lui vint de sa charité vraiment universelle, pleine de délica-
tesse et de tact, encore que réservée dans sa manifestation, parfois
presque timide.
L'auteur de la présente biographie y a fait entrer à la manière
anglaise, beaucoup de lettres ou de fragments de lettres. Le récit s’en
trouve un peu alourdi et il faut un certain effort pour dégager les
traits de cette physionomie, par ailleurs si sympathique. Mais peut.
être ne convient-il pas de s’en plaindre ; car, après tout, ce sont ces
documents qui nous permettent de faire connaissance avec l’âme de la
révérende Mère générale. Et il y a protit à demeurer pendant ces
500 pages en contact avec cet esprit large et cultivé, avec ce cœur
droit et bon que fut la Mère Janet E. Stuart.
P. G. CHauvin, 0. S. B.
MGn Laveize. Thérèse Durnerin fondatrice de la Sociélé des Amis
des Pauvres (1848-1905). Paris, Téqui, 1922. In-8, xiv-460 p.
La plume élégante et facile de Mgr Laveille nous avait déjà donné
une bonne demi-douzaine de biographies, consacrées à des fondateurs
ou fondatrices, directeurs ou directrices d'associations ou d'œuvres
charitables. Toutes ont obtenu auprès du public un succès peu ordi-
paire. Aucune ne surpasse en intérêt celle qui vient de paraître sous
le titre que nous transcrivons ci-dessus ; disons mieux : on trouverait
malaisément dans les annales de la piété et de la bienfaisance sociale
une autre vie qui provoque à ce point l'admiration et l’émulation,
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 19
204 COMPTES RENDUS.
tout en piquant au vif, par un certain côté d'originalité et de mystère,
la légitime curiosité d’un lecteur qui veut aller au fond des choses.
Thérèse Durnerin naquit et vécut à Paris. Elle y vit le jour en
1848. Elle appartenait à une famille aisée et profondément chrétienne,
dont les relations amicales avec des hommes tels qu'Auguste Nicolas,
Frédéric Ozanam et l’abbé Ozanam, contribuèrent à sa formation.
C'est dans ce milieu qu'elle puisa les principes et les habitudes d’une
religion éclairée, forte et altruiste. Elle n'avait pas encore accompli
ga vingtième année lorsque des deuils répétés, en la plongeant dans
la tristesse, vinrent miner sa constitution, jusque-là vigoureuse à
souhait. Peu de temps après, en 1870 et 1871, les angoisses et les pri-
vations du Siège et de La Commune portèrent à son organisme un coup
dont elle ne se remit jamais entièrement. Atteinte désormais d’une
anémie, très prononcée et jointe à des oppressions de poitrine, elle ne
congaîtra pius les joies d’une santé normale et, pour cette raison,
elle désirera vainement pouvoir embrasser la vie religieuse dans
l'Ordre du Carmel. Réduite à ne se mouvoir que péniblement, elle se
verra même pendant près de dix ans (1881-1890) condamnée à une
réclusion complète. Mais ces circonstances, qui ne feront qu'aviver sa
piété et affermir en elle l’esprit d'abandon, ne l’empêcheront point de
donner libre cours à son zèle. Elle s'offre à Dieu en victime expiatoire,
et Dieu, qui semble la prendre au mot, ajoute aux souffrances cor-
porelles des épreuves intérieures, acceptées généreusement, supportées
avec une vaillance et une constance qui ne se démentiront pas un
instant. |
Cependant, éprise, pour elle-même et pour autrui, de la communion
fréquente, voire quotidienne, et de la dévotion au Cœur eucharistique
de Jésus, elle se fait la propagatrice, l’apôtre de ces deux pratiques
et, détail digne de remarque, pour l’une comme pour l’autre, elle
devance de quelques années les directions du Saint-Siège. Sans quitter
sa chambre d’infirme, elle sait intéresser à ses desseins des personnes
pieuses ; par une correspondance avisée et insinuante de tous les jours,
elle se suscite des collaborateurs et des collaboratrices, et grâce à leur
concours, des centaines de mille de petites feuilles imprimées vont
porter au loin et jusque dans les pays de missions le culte du Cœur
eucharistique. Dès lors, reprenant une idée mise en avant au
xviie siècle par le bienheureux Grignon de Montfort, Thérèse rêve
et essaie d'associer à son entreprise des prêtres, qui trouveraient là
un puissant moyen de sanctification personnelle. Bientôt, elle se met
à composer et publie une série de tracts où des vues justes et pratiques,
des réflexions d'une tine psychologie et des sentiments de haute spiri-
tualité sont exprimés en un style clair, animé, souvent pittoresque
autant que persuasif.
Ce n'est pas tout, ou, plutôt, ce n'était 1à qu'un commencement. Elle
avait remarqué qu à Paris un grand nombre d'ouvriers et de pauvres
vivaient dans l'ignorance la plus complète de la religion, échappant
MGR LAVEILLE $ THÉRÈSE DURNERIN. 505 :
tout à fait à l’action du clergé paroissial ; elle décide de leur venir en
aide en les catéchisant. Cette nouvelle forme d’apostolat débute par
des visites à domicile, qu’elle fera personnellement, quoi qu'il lui en
coûte de désagréments et d'efforts, et qu’elle continuera jusqu'à la fin
de sa vie, tantôt seule, tantôt appuyée au bras de sa servante ou d'une
compagne dévouée. Pour remplir son ministère de miséricorde, elle
pe craint pas d'affronter les quartiers les plus sales et les plus mal
famés, elle grimpe jusqu’à un 6° ou un 7° étage ; et, à force d'aménité
et de charitables industries, elle parvient presque toujours à se faire
bien accueillir de gens qui se doutent à peine qu'ils ont une âme. Ici
encore elle se crée sans tarder des imitateurs et des aides. En même
temps elle étend le champ de son action, en tâächant de l'exercer sur
des groupes d’hommes. Les initiatives les plus audacieuses, les plus
risquées en apparence, ne l'effraient point. Elle se glisse d'abord dans
un patrouage de garçons adultes, parmi lesquels beaucoup n'avaient
pas fait leur première communion ; ensuite elle sollicite et obtient
l'autorisation de pénétrer à la Grande-Roquette pour y instruire les
prisonniers. Après cela, c’est dans le préau des Filles de la Charité de
Saint-Vincent de Paul, rue du Roule, à des loqueteux accourus de tous
les coins de Paris pour une distribution de soupe, qu'elle vient faire
un peu de catéchisme ; et les heureux résultats ne se font pas attendre
longtemps : ce sont des baptêmes d'enfants de 8 à 12 ans, des pre-
mières communions bien préparées, des unions régularisées. Forcée
plus tard par les circonstances d'abandonner son local de la rue du
Roule, Thérèse en découvre un autre à l’église de Saint-Julien-le-
Pauvre, puis an second à la chapelle de Sainte-Rosalie, un troisième
dans la crypte et les dépendances de Montmartre, d’autres encore dans
l'enceinte ou à côté de divers sanctuaires parisiens. Mais pour diriger
ces réunions, pour évangéliser des auditoires qui se chiffraient main-
tenant par centaines (il y en eut à Montmartre jusqu’à 1800), il ne
suflisait plus de la bonne volonté de quelques personnes sans lien
mutuel et recrutées un peu au hasard des eirconstances ; il fallait un
groupement stable, une sorte de corporation, sur la coopération ordi-
naire de laquelle on pût compter, à laquelle il fût possible d'imprimer
upe direction bien combinée et durable. C'est alors que Thérèse se
décida à réaliser une idée qu'elle caressait depuis longtemps, à fonder
la Société des Amis des Pauvres.
Qu'implique cet humble nom dans la pensée de la Fondatrice ? Ce
sera, dit-elle, une association « d’âmes vraiment religieuses sous un
vétement laïc », association se dévouant à l’évangélisation des
pauvres les plus délaissés, sans vœux d'ailleurs, sans aucun oflice
à réciter, sans aucun insigne particulier. Elle comprendra trois caté-
gories et comme trois étages. Il y a d’abord le groupe fondamental, le
plus intime, celui des Frères servants et des Sœurs servantes de Jésus,
dont la devise doit être : « Jamais assez ! Jamais assez de sacrifices !
Jamais assez d’immolations ! » Ceux-ci s'engagent à une coopération
L ]
A2
e. COMPTES RENDUS,
régulière, chacun suivant ses moyens personnels et les possibilités de
sa situation sociale. Viennent ensuite « les messieurs, dames, prêtres,
qui apportent » aux premiers « un secours plus ou moins prolongé » ;
c'est le second groupe. Le troisième embrasse, sous les noms de
Frères auxiliaires servants de Jésus et de Sœurs auxiliaires servantes
de Jésus, tous ceux qui s'intéressent à l’œuvre commune, mais qui,
« pour quelque cause sérieuse d’impuissance, ne peuvent pas travailler
activement » avec les autres, « soit qu'ils appartiennent à quelque
congrégation, soit que la distance rende impossible » leur concours
matériel. Ainsi inaugurée, dans des intentions si pures, avec les
sentiments d’une générosité et d’une confiance héroïques, cette œuvre
présentait pourtant une lacune évidente : c'était une sorte de société
religieuse constituée sans intervention de l'autorité ecclésiastique.
M''e Durnerin n'avait pas songé à ce côté de la question ni aux diffi-
cultés qui pourraient en résulter. Toutefois, lorsque l'archevêque
voulut, pour régulariser la situation, donner comme directeur à la
société un prêtre de son diocèse, elle fit si bien qu’on renonça à cette
mesure, dans laquelle elle voyait un déshonneur et un danger pour
son organisation naissante. Dans le récit d’une audience que le car-
dinal Richard lui accorda à ce propos, on ne sait ce qu'il faut admirer
le plus, de l'assurance et du sang-froid tenace d’une femme qui défend
ses hardies initiatives moins encore par leurs brillants résultats que
par un appel à des inspirations et injonctions divines, ou de la bonté
d’un prince de l'Église, qui finit par se rendre à des raisons si peu
canoniques. C’est qu’il y avait dans le ton, dans l'attitude, à la fois
modeste et pleine d’aisance, et dans les paroles de Thérèse une force
de persuasion, j'allais dire une puissance de séduction, dont les mer-
veilleux effets se faisaient sentir ailleurs encore qu’au sein de ses
réunions populaires ou en plein carrefour d'une cité de chiffonniers.
A partir de ce moment, la Société des Amis des Pauvres connut
encore beaucoup de traverses, mais elle n’en poursuivit pas moins sa
marche ascendante et le développement de son double apostolat par
les visites à domicile et par les réunions hebdomadaires ou semi-heb-
domadaires. Thérèse, en dépit d’une santé de plus en plus misérable,
était toujours sur la brèche pour parer aux difficultés, soutenir ou
remonter les courages, rechercher et indiquer les moyens de sortir
d'une impasse. Non contente d’assister aux rendez-vous des pauvres et
d'y prendre la parole, de présider chez elle les réunions périodiques
des membres actifs, elle trouvait encore le temps et la force de grimper
aux mansardes pour faire des recrues ou relancer des clients tièdes et
peu assidus. Elle était si pàle, si faible et si oppressée, que souvent,
à la voir étendue sur sa chaise longue, on l’eût crue près de mourir ;
mais dés qu'il s'agissait de sortir pour catéchiser ou de recevoir des
coopérateurs pour délibérer avec eux et leur donner une direction,
elle se redressait comme par enchantement. Sa sœur Noémie, qui
vivait avec elle et ne s’en séparait guère, a pu écrire qu'une telle
MGR LAVEILLE : THÉRÈSE DURNERIN. 297
existence semblait tenir du miracle. Dans ses dernières années,
lorsqu'elle ne quittait plus son fauteuil ou son lit que pour se trainer
auprès des grabats sans consolation, elle eut la grande joie de voir les
fruits de son labeur se multiplier rapidement. Dès 1901, l'œuvre avait
procuré 435 mariages, 56 baptêmes d'adultes, 123 baptêmes d'enfants,
QÙ premières communions, 33 confirmations. En 1902, résultats presque
identiques : 124 baptêmes, 5 abjurations, 84 premières communions,
15 confirmations, 426 mariages ; en 1903, légère augmentation au
chapitre des mariages ; entin, en 1904, à la veille du grand repos de
l'infatigable ouvrière, 130 baptêmes, 7 abjurations, 107 premières
communions, 29 confirmations et 424 mariages. Avec un pareil bilan,
Thérèse etait assurée de ne point paraître les mains vides au tribunal
du Souverain Juge. C'est le 7 avril 1905 qu'elle y fut appelée. Elle
avait vraiment soutenu le bon combat jusqu'au bout. Peu de mois
encore avant sa mort, on avait pu voir cette femme de 55 ou 56 ans,
à la démarche chancelante, presque sans souffle et sans voix, souvent
brisée par uue toux opiniâtre, s’acheminer malgré tout vers le taudis
où agonisait le paiïen inconscient qu'elle voulait gagner à Dieu. Le
2 avril 19%, quand elle n'avait plus que cinq jours à vivre, elle réunit
chez elle Le premier groupe de sa Société et voulut présider elle-même
la réunion, et il ne fallut rien moins qu'une violente crise de suffo-
cations pour abréger ce suprême entretien. |
Le livre que je viens de résumer est de ceux qui ne se lisent pas
sans émotion, qu’on ne ferme pas sans en garder une profonde et
durable impression. Une biographie comme celle de Thèrèse Durnerin
montre ce que peut une volonté énergique dans une âme possédée de
l'amour de Dieu, même lorsque cette âme habite un corps débile et
souffrant ; elle montre également qu'une solide piété, impliquant
l'esprit de sacrifice, est la source la plus féconde d’un dévouement
sans bornes au soulagement des misères humaines.
En attirant discrètement notre attention sur ce côté instructif et
exemplaire de la vie qu'il nous raconte, Mgr Laveille ne dissimule pas
quelques faits, quelques incidents qui semblent appeler des éclaircisse-
ments ultérieurs et légitimer de notre part des réserves, au moins provi-
soires. Ainsi, Thérèse croyait sans doute trop facilement aux manifesta-
tions surnaturelles, comme le prouvent ses sympathies pour plusieurs
personnes stigmatisées ou soi-disant telles, et en particulier une sorte
d'engouement pour les « apparitions » de Tilly. Et si, dans sa propre
conduite et dans ses initiatives de prosélytisme et de charité, elle
pensa et voulut toujours faire la volonté de Dieu, obéir donc à des
inspirations divines, ne conçut-elle pas trop souvent celles-ci comme
résultant de communications personnelles extraordinaires ? Surtout,
ne lui est-il pas arrivé d'y insister avec une ténacité excessive dans
ses démêlés passagers avec les autorités paroissiales et diocésaines ?
Il y a aussi telle ou telle de ses idées sur la formation du clergé, voire
sur une réforme partielle de l’enseignement dans les séminaires, qui
298 COMPTES RENDUS.
aurait besoin d'être passée au crible de la critique. D'autre part,
d’après les témoignages les plus dignes de foi, Thérèse Durnerin émit
sur l'avenir, à différentes reprises, des vues d’une étonnante perspica-
cité ; elle a annoncé plusieurs événements qui se sont réalisés ou qui
sont manifestement en voie de réalisation. Mgr Laveille, diligent et
consciencieux biographe, signale ces points et quelques autres sem-
blables, en se défendant prudemment de tout jugement détinitif.
Faisons comme lui : attendons que le temps et les circonstances
dissipent ces restes d’ombres, ces légers nuages qui voilent encore
partiellement à nos yeux l’édifiante et radieuse figure de Thérèse
Durnerin. Un jour viendra, qui n’est peut-être pas loin, où non seule-
ment la théologie ascétique et mystique, mais aussi la psychologie et
l'étude des expériences religieuses trouveront profit à reprendre en
détail l'examen de ces intéressantes questions.
Ajoutons, pour terminer, que l’œuvre fondée par la femme forte
dont nous avons laissé entrevoir la physionomie a, heureusement et
à l'encontre de toutes les appréhensions raisonnables, survécu à celle
qui en était l'âme. Elle a même progressé, à Paris et dans sa banlieue,
jusqu'en 1914 ; et après un ralentissement trop concevable de 1914 à
1919, elle a repris vigueur, au point de s'implanter et d'être bien
vivante, bien agissante dans d'autres grandes villes, telles que Bou-
logne-sur-Mer et Lyon. La Belgique aussi a commencé à bénéticier de
son activité; plusieurs centres d'enseignement religieux ont été formés
à Bruxelles dès 1910, avec la haute approbation du cardinal Mercier ; et
dans sou mandement de carême de 1920, l’éminent prélat recommande
positivement à ses diocésains de s'enrôler dans la vaillante milice qui
a nom Soctélé des Amis des Pauvres. J. FoRGET
CHRONIQUE (1).
Allemagne. — Albert Ehrhard est trop avantageusement connu de nos
lecteurs pour qu’il soit nécessaire de louer ici ses talents et ses mérites scien-
tifiques. On se rappelle qu’il débuta dans l’histoire de l’ancienne littérature
chrétienne par un coup de maître, en restituant à Théodoret de Cyr deux
écrits attribués jusqu’alors à saint Cyrille d'Alexandrie. Il a fourni ensuite
une longue et féconde carrière de chercheur, de publiciste et de professeur.
A l’occasion de son soixantième anniversaire (14 mars 1922), ses élèves,
amis et admirateurs lui ont rendu hommage, en lui offrant une riche gerbe
de contributions scientifiques moissonnée dans les domaines qu’il a surtout
explorés et fécondés de ses labeurs. Le Festgabe, recueil de vingt-quatre
mémoires réunis en un volume et publiés par les soins du Dr M. A. Koeniger,
professeur à l’université de Bonn, a paru sous le titre de Beîträge zur Ge-
schichie des christlichen Altertums und der by-zantinischen Literatur (Bonn et
Leipzig, Schroeder, 1922. In-8, vrt-501 p.). Dès sa publication, la RHE s’est
empressée d’en détailler le contenu sous les diverses rubriques de sa section
bibliographique ; c'était le moyen Îe plus prompt et le plus sûr de signaler à
l'attention de chaque spécialiste celles de ces études qui l’intéressaient par-
ticulièrement. Toutefois, nous croyons qu’il n’est pas inutile de revenir à une
rapide considération du recueil dans son ensemble et de faire voir, par quel-
ques exemples, la variété et la valeur des services qu’il est de nature à rendre
aux sciences ecclésiastiques.
Bien que déjà très large, le titre ne paraît pas encore assez compréhensif
pour le contenu de l’ouvrage, qui le déborde. Mais cette constatation ne se
fait pas à première vue, car la présentation des mémoires ne semble pas des
plus heureuses. On se demande pour quelle raison le classement a été fait
selon l’ordre alphabétique des noms des auteurs. Ce principe est absolument
accidentel et tout extrinsèque ; il cause des voisinages disparates, quelque
peu déconcertants, et qui ne vont pas sans nyire à l'impression générale de
richesse que le volume aurait pu donner davantage. La correction typogra-
phique n’est pas impeccable ; la citation annoncée à la fin de la p. 191 a même
été complètement omise. Si l’on s’astreint à faire un classement plus logique,
suivant les dates ou les matières des sujets traités, on remarque qu'ils
s’échelonnent sur tous les siècles qui vont des origines chrétiennes au concile
de Trente et qu’il n’est pour ainsi dire aucune branche des sciences ecclésias-
tiques à laquelle ils n’apportent pas une contribution historique de valeur.
Car toutes les études ici réunies ont leurs mérites incontestables et, s’il en est
plusieurs qui sont signées de noms qui font autorité, toutes témoignent d'une
réelle compétence et d’un grand soin. Dans l'impossibilité pratique de
(1) Le Comité de Rédaction sera reconnaissant aux Sociétés savantes, aux
Auteurs et aux Libraires qui voudront bien lui adresser (rue de Namur, 40,
LOUVAIN) les nouvelles, les articles et les ouvrages qui peuvent être annoncés
utilement soit dans la CHRONIQUE, soit dans la BIBLIOGRAPHIE de la REVUE
D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.
800 CHRONIQUE.
signaler tout ici, nous nous contenterons de quelques mentions spéciales,
dont on excusera la brièveté. H, J. Vocezs (p. 434-450) fait preuve d’une
grande érudition en traitant des divisions du texte dans les anciens manus-
crits latins des Evangiles; ses constatations et ses remarques aideront
utilement à découvrir l’origine commune de certains témoins entre lesquels
on ne soupçonnait pas une si étroite parenté. On trouve dans le mémoire de
S. EURINGER (p. 141-179) une réponse aussi convaincante qu'objective à une
thèse récente et retentissante au sujet dela forme dans laquelle saint Éphrem
lisait et employait le fameux passage de Matth., XVI, 16 et suiv. sur la pri-
mauté promise au prince des Apôtres. À. BAUMSTARK (p. 53-72) retrouve
dans certains passages de textes liturgiques des échos du temps des persécu-
tions; son étude, très documentée et des plus intéressantes, fournira sans doute
des indications précieuses pour l'orientation de recherches ultérieures. Il
faut en dire autant du magistral essai présenté par J. P. KirscH (p. 253-272)
pour la reconstitution du calendrier romain du début du ve siècle qui a servl
de source au martyrologe hiéronymien. Deux axiomes célèbres et d’une
grande importance doctrinale sont étudiés avec tout le soin et toute la
rigueur de méthode désirables, l’un : Causa finita est, par K. ADAM (p. 1-23),
l’autre : Prima sedes a nemine iudicatur, par A. M. KOENIGER (p. 273-300).
Nous voulons encore noter le travail, si riche en renseignements nouveaux,
de M. GRABMANN (p. 180-199) sur les versions latines des œuvres du pseudo-
Aréopagite, et surtout l’exposé si attrayant que fait S. MERKLE de l’activité
déployée à Rome, pendant le concile de Trente, par un érudit, Sirleto, pour
fournir à son maître, le cardinal Cervini, une documentation patristique
abondante sur bien des questions à l’ordre du jour de la grande assemblée.
Comme l’auteur le remarque très justement, la correspondance échangée
entre Cervini et Sirleto devrait être entièrement publiée, car elle est de
toute première importance pour l’histoire de la plupart des discussions et
décisions du concile.
Nous pourrions multiplier ces exemples. Ceux que nous avons relevés
rapidement suffiront à faire deviner la valeur des autres études, que nous
nous voyons obligés de passer sous silence. Redisons que toutes sont utiles
et méritoires et souhaitons qu'elles échappent au risque de passer inaperçues
que courent toujours quelque peu les monographies qui sont comme noyées
dans la masse d’un volume de Mélanges. J. LeBon.
— En publiant en 1895 la troisième édition de son Bibel-Atlas, le Dr von
Riess annonçait l’apparition prochaine d’un texte latin. L'Atlas scripturae
sacrae parut en 1896. La deuxième édition latine, confiée après la mort de
l’auteur aux soins du professeur de Fribourg, Charles Rückert, vit le jour
en 1906 ; Rückert mourut lui-même, en 1907, et c'est ainsi que M. L. Heidet
fut chargé de la troisième édition latine qui vient de paraitre (Atlas scrip-
turae sacrae. Decem tabulae geographicae cum indice locorum scripturae sacrae
vulgatae editionis, scriptorum ecclesiasticorum et ethnicorum auctore Dr Ri-
cardo de Riess. Ed. 32 recognita et emendata labore et studio L. HE1ipet.
Fribourg-en-Br., Herder, 1924. In-4, x0 cartes et viri-39 p. Prix : 20 fr. suisses).
Il était nécessaire de rappeler ces souvenirs pour comprendre les modifica-
tions subies par l'œuvre de von Riess. Nous avons pu comparer la troisième
édition latine de Heidet à la troisième édition allemande de von Riess. C'est
ALLEMAGNE. 301
toujours le même Atlas, les mêmes cartes, claires, complètes, intéressantes,
le même index topographique soigné. On ne regrettera pas que l’auteur n'ait
pas voulu mentionner les routes récentes et les voies ferrées que les Anglais
viennent de tracer en Palestine. Ce n'est pas précisément cela que recher-
chent les consulteurs d’un atlas biblique. Mais on regrettera vivement que
M. Heidet ait cru devoir persévérer dans l'erreur de Rückert touchant la
localisation du mont Sion et de l’ancienne cité de David. Von Riess avait
été conduit par son étude des données scripturaires à les situer sur la colline
orientale, et la petite dissertation consacrée au mot Sion à la page 34 de son
index géographique nous paraît encore convaincante. Rückert qui avait
publié en 1898, l’année même de la mort de von Riess, une étude sur cette
question (Lage des Berges Sion), a cru devoir modifier pour la seconde édition
latine (1906), dans la carte virr et dans l'index, la topographie du Sion, et le
placer sur la colline occidentale. M. Heïdet maintient ce point de vue, et il
tient à le souligner dans sa préface en rassemblant ses raisons : « Itidem, in
colle Jerusalem occidentali arcem Sion civitatemque David, quo eam retulit
decessor noster, et nos veteri constantique traditioni a Josepho, Talmudis,
cunctisque Patribus prolatae cedentes consignatam servavimus. Quod con-
testantur aliqui, huic traditioni Scripturam contradicere, quiliberolimpidoque
animo attente consideraverit, nec in hoc loco nec in alteris traditionem
Scripturamque repugnare probabit atque Sion, a monte Templi absolute
distinctum (cfr Mich. 3, 12), monti Jebusaei juxta cujus latus, ad austrum, a
Raphaim valle ad fontem Rogel, transit Geennom seu Ennom vallis, insidisse
(Jos. 15,8; 18, x6; cfr I Chr. 11, 4-7). » Vraiment, ceux qui dans cette question
opposent l’Ecriture à une soi-disant tradition ont-ils l'âme troublée et l’esprit
emprisonné ? On se convaincra du contraire en lisant la Revue biblique ou la
Jérusalem antique du P. Vincent, que nous n'avons vues citées nulle part par
M, Heidet.
Le premier volume des recherches de J. GRILL sur l’origine du
quatrième évangile a paru en 1902 (Untersuchungen über die Entstchung des
vierten Evangeliums. Tubingue, Mohr. x11-408 p.); le second fut publié en
1923 (VI1-443 p.). On voulut sans doute que l'aîné eût atteint sa majorité
avant de lui donner un jeune frère à diriger et à protéger. Si la première
partic représentait déjà une tentative énergique d'application de la méthode
religionniste au quatrième évangile, que dire de la seconde, si ce n’est qu’elle
est encore d'humeur plus entreprenante et de sens moins rassis ? Le premier
volume était presque tout entier consacré au Prologue de S. Jean, qu’il
analysait, dont il dégageait les concepts fondamentaux, ceux de verbe, de
vie, de lumière qui traversent d’ailleurs aussi tout l'évangile. 1] étudiait
longuement l'origine et la préhistoire de ces concepts ainsi que leur relation
avec certaines notions connexes comme celles de gloire et de vérité. Le
second volume expose, à la lumière de l'idée du Logos, la méthode d'’évan-
gélisation de Jésus telle que la conçoit le quatrième évangile. Il montre
ensuite comment presque tous les traits qui composent la majestueuse figure
du Christ johannique, le messager de joie, le distributeur d’eau vive, la vigne
personnifiée, l’hôte bienfaisant, l'époux, le berger, le médecin, le sauveur, etc.,
sont empruntés au culte de Dionysos et autres mystères voisins. Le qua-
trième évangile n'est qu’un essai constant de typologie hellénisante. Il a
subi profondément l'influence des mystères, en particulier dans la doctrine
302 CHRONIQUE.
de la cène et du baptême ; il édifie sur des bases chancelantes au point de
vue historique. À en juger par la place qu'il occupe dans l'évolution du
christianisme primitif, il faut en placer la composition très bas dans le cours
du second siècle.
On sait que Grill a voulu engager dans une nouvelle voie les recherches
touchant l’origine du quatrième évangile. On essayait autrefois d’en déter-
miner l’époque, l’auteur, le milieu, le caractère, par la critique interne et
surtout par l’histoire littéraire, en particulier par l'analyse des témoignages
patristiques. Désormais, il faudra plutôt s'appliquer à creuser les idées fon-
damentales de l’œuvre, à en déterminer les motifs dominants, à en établir
la connexion intime et la relation non seulement avec la religion de l’Ancien
Testament, mais aussi avec le monde religieux du paganisme classique et
oriental. Il faudra voir comment et dans quel but l'écrivain a intégré dans
la conception chrétienne des thèmes religieux étrangers. On arrivera ainsi,
au jugement de Grill, à rendre plus fidèlement la note caractéristique de
l’'évangile spirituel et à le situer plus exactement dans la transformation
progressive du christianisme.
La méthode est bonne et elle n'est pas neuve. Il est évident qu'il faut
compléter l’étude de l’évangile, considéré en lui-même et dans la tradition,
par l'étude du milieu historico-religieux où il a vu le jour, et ce milieu ne
sera pas seulement celui de la théologie judéo-alexandrine mais aussi celui
du paganisme classique et oriental. Mais nous doutons fort que cette
méthode, judicieusement appliquée, nous conduise à voir avec Grill, dans le
quatrième évangile, la première Renaissance, qui par l’incorporation d’élé-
ments exotiques aurait vivifié la religion chrétienne et l'aurait dotée de ses
forces les plus hautes et les plus efficaces. Au second volume des recherches
de Grill on reprochera, comme au premier, son obscurité, son allure philo-
sophique et son manque de critique.
Le chapitre VI de S. Jean a connu les mêmes vicissitudes que Îles
narrations synoptique et paulinienne de l'institution de la Sainte Eucha-
ristie. Depuis que la Réforme a partagé les esprits touchant le sens des
paroles de la cène, on s’est divisé également quant à l'interprétation du récit
de la promesse, et il faudrait raconter toute l’histoire des controverses
relatives aux origines de l’Eucharistie pour rappeler les destinées exégétiques
du discours sur le pain de vie. On en a nié la portée eucharistique, on en a
combattu l'historicité, et celle-ci a pâti en outre de toutes les attaques dirigées
contre la valeur documentaire du quatrième évangile. L'interprétation
réaliste du chapitre VI apporte, sans aucun doute, un argument très fort à la
doctrine ecclésiastique de la cène, mais à son défaut, elle subsisterait tout
entière, s'appuyant sur le roc inébranlable des récits de l'institution : ce n’est
donc pas un « articulus stantis vel cadentis Ecclesiae ». Sans doute encore,
l’historicité du discours entendu dans le sens eucharistique met dans une vive
lumière la continuité de la pensée du Christ, annonçant d’abord, réalisant
ensuite le grand mystère d'amour, mais s’il était prouvé que ces magnifiques
développements ne représentent que les méditations de l’évangéliste, nous
serions en droit d'y trouver tout au moins une splendide confirmation de la
doctrine eucharistique traditionnelle, dans le genre de celle que nous four-
nissent les écrits de S. Ignace, de S. Justin, de Pline...
C'est à défendre l'historicité et le sens véritable du discours de promesse
ALLEMAGNE. 9303
que le Dr Puiztps vient de consacrer sa dissertation inaugurale à la Faculté
de théologie catholique de Bonn (Die Verheissung der heiligen Eucharistie
nach Johannes. Eine exegetische Studie. Paderborn, Schôningh, 1922. In-8,
Vi11-208 p.). Il recherche les antécédents historiques du discours sur le pain
de vie, et montre que l’idée d'un festin messianique n’était pas étrangère
aux Cspérances du judaïsme contemporain de Jésus. Ce discours a donc sa
place dans la carrière messianique de Jésus et le silence des synoptiques n'est
pas un obstacle insurmontable à son historicité. Il a sa place organique aussi
dans le quatrième évangile, lequel d'ailleurs est l'œuvre d’un témoin, de
l’apôtre Jean. L'Eucharistie n’est pas née dans les communautés pauliniennes
sous l'influence des mystères paiens, et le discours de Jean est tout autre
chose que l’écho des controverses eucharistiques de l’âge postapostolique.
L'auteur défend avec raison l’unité du discours et son exégèse réaliste : le
don messianique est d'abord annoncé, puis on expose les conditions néces-
saires pour y avoir accès, enfin l’Eucharistie y est clairement promise et
expliquée.
On sait que la grande question discutée aujourd’hui entre exégètes
catholiques est celle de savoir à quel moment précis, dans le discours du
Sauveur, commence l'allusion directe à l’Eucharistie. Franzelin, Knaben-
bauer, Beelen, Fillion, Calmes, Batiffol et beaucoup d’autres font commencer
le discours eucharistique au verset 48 ou au verset 51b. Il fut un temps où les
commentateurs catholiques étaient presque les seuls à reconnaître l’Eucha-
ristie dans le chapitre VI de S. Jean. Aujourd’hui, plusieurs critiques libéraux
et non des moindres, comme Holtzmann et Loisy, retrouvent au moins indi-
rectement l’Eucharistie, non seulement dans la section 51-58, mais encore
dans la section 26-40 et 41-50 de ce même chapitre. Il est vrai qu'ils se
libèrent d’une autre façon en niant le caractère historique du discours. On
constate une fois de plus ce phénomène à première vue étrange qu'on
rencontre à propos de presque tous les textes importants : tandis que les
protestants croyants rejettent l'interprétation catholique et maintiennent plus
ou moins l’historicité du texte, les critiques radicaux, abandonnant celle-ci,
reviennent à l'exégèse catholique,
Nous croyons aussi qu’il est plus logique et plus simple d'entendre tout le
discours de J’Eucharistie, obscurément indiquée dans les versets 27-35 et
clairement dans 51-59. Déjà au v. 27, la nourriture qui demeure pour la vie
éternelle, celle que le Fils de l’homme donnera, c’est l'Eucharistie. Aux
versets 32-35, le véritable pain du ciel, celui que le Père donne, celui qui
descend du ciel et procure la vie au monde, c’est la personne du Christ,
nourriture déjà présente, bien que non encore accessible. C'est ainsi que le
Christ peut dire que le pain est donné et sera donné. Celui qui mange ce pain
qu'est la personne du Christ n'aura plus faim, et celui qui prend ce breuvage
qu'est la personne du Christ n'aura plus soif. C'est dans l’Eucharistie que
cette manducation s'opère, et cette manducation, pour être fructueuse, exige
ha foi. Donc cette section 27-35 peut très bien s'entendre de l'Eucharistie où
l'on s'approprie, moyennant la foi, la source de vie qu'est la personne du
Christ. Dans le discours à la Samaritaine aussi, le Christ se présentait comme
une ‘eau vive où la foi se désaltère, mais sans allusion à l’Eucharistie. Le
Christ ayant affirmé au v. 35 que pour se nourrir de lui il faut la foi que les
Juifs n’ont pas, on s'explique assez facilement la digression sur la foi des
V. 36-47. Au v. 48, le discours revient à l’idée exprimée au v. 35 : le pain qui
304 CHRONIQUE.
donne la vie, c'est le Christ, et l’on explique ensuite plus clairement que le
pain qui nourrit pour la vie éternelle, c’est la chair du Christ, et que le
breuvage qui désaltère pour toujours, c’est son sang.
Cette interprétation réaliste n’est pas corrigée par les versets 62-63 (et à ce
propos, nous regrettons que le Dr Philips n'ait pas eu recours pour leur
explication à l’exégèse si pénétrante de Bossuet dans ses méditations sur
l'Évangile). Elle se recommande d'ailleurs de très bons arguments : malgré
certaines voix discordantes, elle peut revendiquer pour elle la tradition, les
assertions si claires des versets 51b-59 (surtout la quadruple répétition du verbe
T GYELY dans 54-58, qui ne se dit que de la manducation réelle), la présence
au chapitre VI de S. Jean de toute la terminologie eucharistique : EUYapioTEiy,
11, 23 (Le. XXII, 19: I Cor. XI, 24), dOdvau dpTOy, aryeiv, TIVE, UTEP,
51 (Mc. XIV, 24; Le. XXII, 19, 20; I Cor. XI, 24), CIPCA Cap. (Cfr W. BAUER,
Johannes, p. 71. Tubingue, Mohr, 1912.) On peut faire remarquer encore que
les adversaires de Jésus entendent ses paroles d'une manducation réelle, et
que le Sauveur, loin de rectifier leur erreur, la renforce encore. Le quatrième
évanpgile fut écrit à une époque et dans un milieu où la cène était certaine-
ment pratiquée. Les lecteurs de l’évangile devaient nécessairement com-
prendre le chapitre VI de l’Eucharistie. Loin de les prémunir contre cette
confusion, l’auteur l’a voulue. Il entendait donc bien parler de l'Eucharistie.
Enfin, on s’expliquerait difficilement l’omission de l’Eucharistie dans le
quatrième évangile, si l’auteur n'avait cru avoir parlé suffisamment de ce
grand sujet au chap. VI.
Dans l'introduction (p. 5-20), le Dr Philips donne un aperçu de l’histoire
de l’exégèse du chapitre VI. Il est regrettable qu'il n'ait rien dit de la
position du problème au concile de Trente. Il n’était pas précisément alors
ce qu'il est aujourd’hui, Tandis qu'à l’heure actuelle les commentateurs
catholiques se rallient à l'exégèse réaliste et en discutent seulement
l'étendue, à la veille du concile de Trente des théologiens assez nombreux
se refusaient à voir dans ce chapitre une allusion directe au sacrement.
Pour eux, il y avait unité parfaite tout le long du discours de Notre Seigneur ;
c'était sa personne avec sa mission rédemptrice qu’il présentait comme objet
de foi aux foules si elles voulaient obtenir le salut. Manger sa chair et boire
son sang n'était qu’une autre façon plus énergique d'exprimer ce que Jésus
avait dit d’abord : Je suis le pain de vie; qui vient à moi n’aura plus faim ct
qui croit en moi n'aura plus soif, C'était là l’opinion de la manducation spiri-
tuelle ou opinion spiritualiste. C'était aussi la doctrine des calvinistes qui
entendaient le discours de S. Jean de la manducation métaphorique par la foi,
tandis que les Hussites restaient fidèles à la manducation réelle et en con-
cluaient à la nécessité de la communion sous les deux espèces. Toutefois la
majorité des exégètes et des théologiens catholiques suivaient l'opinion
réaliste comme aujourd'hui. Au concile les deux théories furent représentées.
Une première fois, lors de la session XIIIe, les Pères s’occupèrent acciden-
tellement de ce chapitre et de son interprétation; la question fut traitée ex
professo plus tard à l’occasion des Hussites. Le P. Cavallera a écrit des pages
pleines d'intérêt sur les discussions que suscita cette controverse au sein du
concile et sur la véritable signification de la solution adoptée et formulée au
chapitre Ier des décrets de la XXIe session, célébrée le 15 juillet 1562 (RHE,
1909, t. X, p. 687-709). Après le concile de Trente, Jansenius de Gand resta
fidèle à l'interprétation spiritualiste, mais sous l'influence des disputes avec
ALLEMAGNE. 3%
les protestants, cette opinion ne tarda pas à tomber, chez les catholiques,
dans un profond discrédit. Après avoir joui d’une certaine vogue sous le
patronage justifié ou non de S. Augustin, de S. Thomas et de Cajetan, elle
fut bicntôt presque unanimement rejetée comme unc thèse chère aux héré-
tiques. On alla plus loin, et beaucoup d'auteurs réalistes invoquèrent pour la
combattre la décision du concile de Trente; c’est chose courante dans les
manuels de théologie et dans les commentaires. Si l’on ne va pas jusqu’à dire
que l'opinion spiritualiste a été condamnée à Trente, on affirme du moins
que le concile, sans vouloir trancher la question, a nettement indiqué qu'i]
admettait l’opinion réaliste (Salmeron, Fillion, Knabenbauer, Crampon, etc.).
Cette affirmation est exactement le contraire de la vérité, dit Cavallera (£.c.,
p. 709), et le concile de Trente a laissé sur ce sujet toute liberté aux catho-
liques.
Notons en finissant que l'interprétation du chap. VI de S. Jean a fait
récemment encore l’objet d’un article du P. Mueller dans Gregorianum (1922,
t. IL, p. 161-177) : Promissio Eucharistiae. Revelaturne Eucharistia Joan. VI,
27-47 ipsis verbis an typis ?
La dissertation du Dr Philips est sérieuse et bien documentée. Puissce-t-elle,
comme il le désire, remettre dans la main de tous les amis des recherches
eucharistiques le fil d’or de la tradition qui les guidera dans le labyrinthe
des hypothèses et des opinions. É. Topac.
— Les Sityungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften de
Berlin contiennent une série de lectures faites au cours de l’année 1923
intéressant nos études. AD. voN HARNACK, Das « Wir » in den Johanneischen
Schriften (p. 96-113). On admettait jusqu’à présent que, dans les écrits johan-
niques, l'expression nous se rapporte soit à un cercle de fidèles ou de témoins
de l’activité de S. Jean, soit à un groupe d'élèves ou des prêtres d’origine
asiatique ou palestinienne. L’auteur croit que cette interprétation n'est pas
fondée ; nous est un pluriel de majesté (Autorität) et ne peut signifier que
l’ensemble des chrétiens, Subsidiairement, M. Harnack estime que le passage
relatif à l’auteur du 4e évangile : 0 xœt ypabas Tara (Jean XXI, 24) doit
être une glose très ancienne. — AD. von HARNACK, Der apokryphe Brief des
Apostels Paulus an die Laodicenses, eine Marcionitische Fälschung aus der
2. Hälfte des 2. Jahrhunderts (p. 235-245). Dans des mss du N. T. anglais,
latins, tchèques et allemands figure, sous le nom de S. Paul, une lettre
adressée aux Laodicéens. Depuis Érasme elle était considérée par la critique
comme une espèce de fiction littéraire puisée dans les œuvres pauliniennes.
M. Harnacx montre que la lettre est, en réalité, une composition d’origine
marcionite et par conséquent anti-chrétienne. — AD. von Harnacx, Die
älteste uns im Wortlaut bekannte dogmatische Erklärung eines rômischen
Bischofs (Zephyrin bei Hippolyt. Refut. IX, 11). Commentaire de la formule
christologique, employée par le pape Zéphyrin (201-207) et rapportée par
Hippolyte. — Ép. SYTHAMER, Die verlorenen Register Karls I. von Anjou
(p. 1-29). L'auteur examine le profit à tirer des extraits faits au xvrie siècle
par Carlo de Lellis des actes, perdus depuis lors, de la chancellerie d'Anjou
provenant des Archives de l’État à Naples. Ces extraits non datés, il les a
classés par groupes chronologiques et par matières. Il parvient ainsi à les
enchässer, en quelque sorte, dans les registres conservés, notamment dans les
reg. n°8 1267 S, 1268 À, O, 1269, À, B, C, S, 1271 A, D'et1272. H. NELIS,
_ 306 CHRONIQUE.
— Dans la Theologische Literaturzeitung (1924, t. XLIX, col. 47-48).
G. KRüGER reproduit, en y ajoutant quelques notes critiques, un fragment
de cinquante et une lignes de l’Apologie d’'Aristide. C’est le texte fourni par
le papyrus 2486 du British Museum, et qui a été publié récemment, dans le
Journal of Theological Studies (1923, vol. XXV, p. 73-77) par H. J. M. Milne.
Cette découverte a ajouté un nouveau fragment au texte grec jusqu'ici connu
_ de cet ancien écrit.
— Dans un article fort remarqué, publié dans le Journal of theol. Stud.
(1922, t. XXII, p. 263-270), Mgr BATIFFOL a cru retrouver dans le canon 58 du
synode d’Elvire un témoin de la primauté romaine. L'interprétation qu'a
donnée de ce canon Mgr Batiffol, a été contestée par A. JuELICHER (Die Synode
von Elvira als Zeuge für den rümischen Primat, dans Zeitschr. f. Kirchenge-
schichte, 1923, nouv. sér., t. V, p. 41-49). L. v. SvBEL (Zur Sy node von Elvira,
tbid., p. 243-247) voit dans le canon 36 du même synode une nouvelle preuve
contre la thèse de Mgr Batiffol.
— Une page de l’histoire des missions est étudiée par K. SCHUENEMANN :
Die Deutschen in Ungarn bis gum 12. Jahrhundert (Ungarische Bibliothek. Für
das ungarische Institut an der Universität Berlin, hrsg. v. R. Gragger.
Sér. I, fasc. 8. Berlin et Leipzig, 1923). L'auteur donne d’abord une étude
critique sur le rôle joué par les Allemands, et notamment par des prêtres et
des petits cultivateurs bavarois, dans la christianisation et la colonisation de
la Pannonie, occupée par une population slave peu dense, qui avait chassé
les Avares à l’époque carolingienne. Plus tard, lorsque les Hongrois s'y furent
établis définitivement, leurs princes firent appel à des maîtres et des colons
d’origine allemande. Dans ce pays se rencontraient les missionnaires alle-
mands et ceux de l'Église orientale-roumaine, si bien qu’à la cour du duc
Geisa, dont le paganisme n'avait pas encore complètement disparu, plusieurs
religions se disputaient la prédominance. Cette situation prit fin lorsque le
fils de Geisa, Étienne, se rattacha à l’ Église occidentale.
La publication de M. H. PRuTz : Zur Geschichte der Jungfrau von
Orleans : Krünungs;ug nach Reims (Sitzungsber. der bayr. Ak. der Wiss.
1923, 5. Abh.) met en lumière le rôle très actif que joua Jeanne d’Arc dans
les événements politiques qui suivirent la victoire des armées françaises près
d'Orléans. Elle montre les succès de son intervention jusqu’au sacre du roi
à Reims. L'auteur n’a pas utilisé de nouvelles sources. GR.
— La nouvelle édition de B. BreTHoLz, Die Chronik der Bühmen des
Cosmas von Prag (MGH, SS., nova ser. in-8 T. Il. Berlin, Weidmann, 1923.
XCVI11-296 p.) remplacera avantageusement celle que R. Kôpke fit paraître
en 1851 dans la même collection in-4, t. IX. En effet, Bretholz a pu utiliser des
mss inconnus à Kôpke, qui lui ont permis d'apporter au texte certaines
corrections. En fait, il se base sur 15 mss complets et 2 mss fragmentaires.
Ses notes fort intéressantes font preuve d'une connaissance étendue de
l’histoire de Bohême. | P. Vorx.
— L'article du P. A. STrurM : Eïne Klosterreform zur Zeit des dreissig-
jährigen Krieges (Benediktinische Monatsschrift, 1923, fasc. 11-12, p. 379-394)
fait connaître la réforme introduite par l'abbé Veit Hoeser (1614-1634) dans
ALLEMAGRÉ. 307
le monastère d'Oberaltaich. Cet abbé, célèbre par les grandes constructions
qu'il fit exécuter à son abbaye, a laissé une sorte d’autobiographie (Afono-
masticon), dans laquelle il raconte avec humour les difficultés qu'il eut à
surmonter pour ramener ses moines à la discipline et à la vie d’études et de
prières. C'est d’après ce Monomasticon, conservé à Munich, Cod. Monac. lat.
1325, que le P. A. Sturm a retracé l’œuvre réformatrice de Veit. GR.
— Malgré les difficultés actuelles, P. KEHR a pu heureusement continuer
sa belle publication des Regesta pontificum romanorum. Le nouveau tome de
l'Italia pontificia, paru en 1923, a été rapidement suivi de A. BRACKMANN,
Germania pontificia, t. Il, 1re partie : Provincia Maguntinensis, pars I (Berlin,
1923). Ce dernier volume concerne les diocèses d’Eichstädt et d’Augsbourg
ainsi que le territoire de l'Allemagne actuelle qui appartenait autrefois au
diocèse de Constance. Il intéresse aussi des abbayes célèbres, comme celles
de Reichenau et de St-Blaise dans la Forêt-Noire. Des 361 diplômes pontif-
caux qu'il signale, 107 ne sont pas mentionnés par Jaffé. La plupart de ceux-
ci (86), il est vrai, ne sont connus que par des allusions d’historiens ou
d'autres chartes. Quant aux quinze autres, ils ont été intégralement conservés
(pour deux on possède même l'original); huit d'entre eux étaient jusqu’à
présent inconnus. Sans aucun doute, Brackmann nous en fournira le texte
dans le volume annoncé : Studien und Vorarbeiten zur Germania pontificia. À
côté des diplômes des papes, Brackmann donne aussi ceux des légats ponti-
ficaux. Il en mentionne 44, dont 14 nous sont parvenus intégralement. Enfin il
communique 31 lettres adressées par diverses personnes aux papes.
Comme tous les volumes de la collection de Kehr; celui-ci indique, pour
chaque charte, l’histoire de sa transmission, une bibliographie abondante,
des renseignements sur le destinataire, Au point de vue critique, les Regesta
pont. rom. dépassent de loin ce que nous possédions jusqu’à présent sur ce
sujet ; ils nous donnent pour les diplômes pontificaux ce que nous avions
déjà depuis longtemps pour les diplômes royaux.
— Plusieurs intellectuels russes ont publié dans un recueil fRossiia i
Latinstvo [La Russie et le « Latinisme »]. Berlin, 1923. 219 p.) ce qu'ils pensent
de l'Eglise catholique romaine ou, comme ils l’appellent, du « Latinisme ».
Le directeur, PIERRE SAviTckYy, conteste, dans la préface, le titre de « Katho-
liki » à l'Église de Rome. D'une façon générale, les opinions exprimées
dans ce volume ne sont guère favorables à l'Église latine. A. PALMIERI.
— L'excellent dictionnaire théologique (Kirchliches Handlexicon) de
M. BUucHBERGER a été réimprimé en 1923, par la firme Herder et Cie de
Fribourg-en-Br. Dans cette nouvelle édition, le texte n'a subi aucun chan-
gement.
— Les Sitqungsber. d, preuss. Akad. d. Wissensch., 1923, p. 249-257,
contiennent, sur l'état actuel des MGH, une communication de P, KEHR
(Bericht über die Herausgabe der Mon. Germ. hist.) à laquelle nous empruntons
quelques renseignements qui complètent la notice de RHE, 1924, t. XX,
p. 132. D'après Kehr, les difficultés financières avaient, un moment, menacé
l'existence même des MGH. Elles ont été heureusement surmontées grâce à
308 CHRÔNIQUE.
l'énergie avec laquelle la direction centrale a comprimé les dépenses, grâce
aussi À l’intervention intelligente du ministère des sciences. Dans sa réunion
du 25 octobre 1923, la direction centrale a fixé un nouveau programme qui
s'inspire du besoin de limiter les efforts à la publication de ces travaux dont la
préparation est moins longue et par conséquent moins coûteuse. Elle oriente
ainsi les MGH dans une nouvelle phase de leur histoire en restrecignant le
programme et en réduisant le nombre des collaborateurs.
Dans la section Scriptores, dont Bresslau a abandonné la direction, le
Ier fascicule du t. XXX, in-folio, II. Hälfte, contenant les annales de Salz-
bourg et de S. Emmerean, est prêt à l'impression. Pour le t. XXXII,
H. ReiNke-BLocx prépare le Ligurinus. Dans la nouvelle collection in-8
vient de paraître, comme t. II, Cosmae Pragensis Chronica, éd. B. BRETHOLZ.
Seront publiés prochainement : Chronica Johannis Vitodurani, éd. R. BRUN ;
Chronica Mathiae de Nuwenburg, éd. A. HorueisTER et Nicolaus de Butrinto,
éd. H. BressLAU. L'impression d’autres textes est remise à plus tard.
Le dernier fascicule du t. IV des Deutsche Chroniken contiendra la bio-
graphie de S. Louis, comte de Thuringe, composé par K ôüditz. Elle sera éditée
par NAUMANN.
La maladie de E. Seckel, directeur de la sectinn Leges, a retardé les
travaux de cette section. Cependant, la Lex Baiwariorum, éd. E. v. ScHWIND,
est en grande partie imprimée et paraîtra sous peu. L'examen critique du
Benedictus Levita touche à sa fin. Comme supplément du t. Il des Concilia,
H. BASTGEN publiera le texte du Caroli M. capitulare de imaginibus, qui for-
mera un fascicule à part. Les Indices complémentaires seront donnés sous
peu. Les tomes VI et VIII des Constitutiones sont terminés; ils seront
imprimés le plus tôt possible.
Pour les Diplomata saec. XII, on a achevé la préparation des diplômes
de Lothaire III jusqu’à son couronnement. Le manque de ressources empêche
provisoirement leur impression.
Dans la section Epistolae, on complètera sous peu les t. VI et VII restés
inachevés jusqu’à présent. On apprendra d'ailleurs avec satisfaction que
désormais on ne laissera plus ainsi pendant de nombreuses années des
volumes inachevés. La 3e partie du t. VI, Hadriani II papae epislolae, éd.
E. PERELS, est en grande partie imprimée; les tables de ce t. VI seront
publiées probablement en 1924. Il manquera encore la suite du t. VII.
Les lettres de Froumund de Tegernsee, éd. STRECKER, paraîtront encore
cette année.
Dans la section Antiquitates, on ne prévoit, pour le moment, aucune publi-
cation.
Enfin, le Neues Archiy paraîtra en fascicules réduits. Sa direction est
confiée au Dr KRAMMER.
— L'Allgemeines Lexikon der bildenden Kïünstler von der Antike bis zur
Gegenwart, publié sous la direction de U. Tuieme et F, BECKER compte,
depuis juin de l’année dernière, un XVIe volume. A la mort du professeur
Thieme (juin 1922), M. H. VoLLMER avait repris la direction de l’entre-
prise, vraiment considérable. L'éditeur M. Seemann comptait faire paraître
régulièrement trois volumes en deux ans, mais il se trouve géné à ce point
par la hausse des prix, qu’à moins de pouvoir compter sr les sacrifices des
souscripteurs, un ouvrage de la plus haute importance pour l’histoire de
ALLEMAGNE. 309
l'art devra rester inachevé et un trésor de matériaux déjà réunis restera sans
emploi et sera définitivement perdu. R. MAERE.
— La classe de philosophie et de philologie de l’académie des sciences de
Bavière avait mis au concours, en 1914, pour le prix Zographos, la question
suivante : Das Unterrichtswesen im byzantinischen Reich vom Zeïitalter Justi-
nians bis zum 15. Jahrhundert. Après prolongation du délai primitivement
fixé, le prix a été attribué au travail du Dr F. DrExL, de Munich.
— À l’Académie des sciences de Bavière, Mgr M. GRABMANN a fait une
communication sur Quellen zur Geschichte des lateinischen Averroismus an der
Pariser Universität in der 2. Hälfte des XIII. Jh. 1] insiste notamment sur la
découverte qu'il a faite, à la Staatsbibliothek de Munich, d’un ms. qui rapporte
des questions de Siger de Brabant relatives à une grande partie des œuvres
d’Aristote. Il donne en outre des renseignements sur deux traités inédits et
inconnus de Boèce de Dacien, qui soutenait également l’averroisme.
P. Voix.
— À la fin de 1924, le Literarisches Zentralblait für Deutschland comptera
soixante-quinze années d'existence. Fondé en 1850 par Fr. Zarncke, il a
compté parmi ses collaborateurs de grands noms (les frères Grimm, O. Jahn
et Mommsen) et est actuellement le périodique mensuel le mieux informé
-de toutes les manifestations de la vie intellectuelle d'expression allemande.
Il doit ce caractère de précision, d'actualité et d’universalité dans l’infor-
mation à son contact perpétuel avec les libraires allemands et surtout avec
les groupements professionnels de Leipzig. À partir de cette année les cadres
du Zentralblatt sont légèrement modifiés, la partie critique du journal cédant
le pas devant la partie consacrée exclusivement à l'information. Dorénavant,
chaque numéro comprendra trois parties : r) le relcvé, classé par ordre de
matières et sous la signature d’un auteur compétent, des nouveaux livres et
articles de revues allemandes ; 2) des Besprechungen, ou comptes rendus
critiques sur quelques publications marquantes tant de l’Allemagne que de
l'étranger ; 3) des extraits de comptes rendus critiques parus dans des revues
allemandes et étrangères. La partie historique est placée sous la direction
du Dr Fr. von Klocke et du Dr J. Hohlfeld, la partie théologique et religieuse
sous celle du Dr Hans Leute et Alb. Paust. Le Zentralblatt paraît tous Îles
mois à Leipzig (Avenarius, 5/7 Rosstrasse) sous la direction d'Ed. Zarncke
et W. Freis. Prix : 7,50 GM. par trimestre.
Les divers groupements affiliés de la Deutsche Büchereï ont tenu à Leip-
zig, le 14 janvier dernier, une réunion importante, Menacée un moment dans
son existence, l'association peut envisager actuellement l'avenir sans crainte.
Il a été décidé de n'épargner aucun sacrifice pour donner un vigoureux essor
à la librairie allemande et lui procurer la vitalité d'avant-guerre, H. N.
— Nominations. — Le Dr F. KeLLER, de Heubach, a été nommé professeur
de théologie morale à l’université de Fribourg, en remplacement de K. I.
Mayer, qui prend sa retraite.
Le Dr J. SICKENBERGER, professeur d’exégèse à l’université de Breslau, 4
REVUE D'HISTOIRB BCCLÉSIASTIQUE, XX. 2Q :
310 CHRONIQUE.
été chargé de la succession de Mgr ©. Bardenhewer, le célèbre patrologue
de Munich. -
Le Dr FR. PrISTER, professeur à Tubingue, a été nommé professeur de
philologie classique à l’université de Wurzbourg en remplacement du
Dr Drerup, depuis 1923 professeur à Nimègue. Le Dr Pfister s’est déjà
distingué par ses études sur l’histoire comparéc des religions.
Le Dr G. AnricH, protesseur d'histoire ecclésiastique à la faculté de
théologie protestante à Bonn, a accepté la succession de Scheels, à l’univer-
sité de Tubingue.
Le Prof. FINKE a été nommé Docteur hon. causa de la faculté de théologie
catholique de Fribourg-en-Brisgau. Les nombreux travaux qu'il a déjà publiés
sur l’histoire ecclésiastique, lui ont valu cette distinction, qui s'accorde
plutôt rarement aux laïcs. P. Vox.
— Le Dr Hans LiBTzMANN, professeur d'histoire ecclésiastique à l’univer-
sité d’Iéna, est nommé à celle de Berlin pour le même cours.
Le Dr HAENEL, administrateur du Musée historique de Dresde, est nommé
directeur du Grünen Gewôlbes de ce musée.
Le Dr L. Bocss est nommé directeur de la bibliothèque provinciale à
Darmstadt.
L'Académie de Prusse a élu correspondant le Prof. G. G. CHRISMANN, de
Greifswald, ainsi que le Dr Pauz WERNLE, de Bâle.
L'Académie de Prusse (sect. phil. et hist.) a élu correspondant étranger,
M. MARTIN P. NiLsson, à Lund, H. N.
— Décès. — Le Dr G. EssEeR, professeur ordinaire de théologie dogmatique
catholique à l’université de Bonn, âgé 63 ans.
Le Geh. Rat. M. RITTER, âgé de 84 ans, professeur ordinaire d'histoire du
moyen âge et de l’époque moderne à la même université.
Dr FR. CRAMER, âgé de 63 ans, professeur des antiquités nationales à
l’université de Munster en Westphalie.
Le Dr WiLx. SCHWARTZ, âgé de 69 ans, professeur d'histoire à la même
université et chanoine de la cathédrale de cette ville.
Dr P. Narorr, protesseur à la faculté de théologie, à Marbourg. H. N.
— Le Dr G. HoserG, mort à Fribourg-en-Br. Disciple de Kaulen, il devint,
comme celui-ci, un exégète réputé. Il donna une nouvelle édition du Lehrbuch
der biblischen Einleitungswissenschaften de Kaulen, publia, avec Pfeilschifter,
les Freiburger theologischen Studien et dirigea, de 1894 à 1904, le Literarische
Rundschau für das katholische Deutschland.
Le Prof. PREISIGKE de Heidelberg, membre de l’académie de cette ville,
bien connu par ses recherches papyrologiques dont l’histoire ecclésiastique,
en particulier celle des ordres monastiques, a tiré grand profit.
Le Prof. À. ENDRES, mort à Ratisbonne. Philosophe distingué, il a aussi
publié des études méritantes sur l’histoire religieuse.
Le Dr v. GRAUERT, professeur à l’université de Munich, membre de l'aca-
démie de Bavière, président de la Gôrresgeselischaft. Il a été un des savants
les plus influents de l’Allemagne catholique. Il a pris une part très active
dans la fondation et l'organisation de l'Institut historique de la Gôrresgesell-
schaft à Rome. Ses recherches ont surtout porté sur la papauté et les relations
entre l'Église et l'État.
Le Prof. J. Marx, pendant plus de trente ans professeur d'histoire ecclé-
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 311
Siastique et de droit canon au séminaire de Trèves. Son Lehrbuch der
Kirchengeschichte a été traduit en italien et en espagnol. Il publia aussi des
articles d’histoire locale et un ouvrage intitulé : Nicolaus v. Cues und seine
Stiftung in Cues und Deventer. | P. Vox.
Angteterre-Écosse-Irlande. — Le Dr RENDELL HARRIS fait connaître
un traité sur la Perfection de l'état de disciple qu’il considère comme une
œuvre perdue de Tatien. Le traité aurait été composé dans le dernier quart
du second siècle, quelques années après le Diatessaron (T'atian : Perfection
according to the Saviour dans le Bulletin of the J. Rylands Library, 1924,
t. VII, p. 15-51.)
Étude importante de M. W. M. Cazper, M. A. lecteur d'épigraphie
chrétienne à l’université de Manchester, sur Philadelphia and Montanism
(Bulletin of the J. Rylands Library, 1923, t. VII, p. 309-354). Elle est illustrée
de trois planches photographiques donnant le texte d’épitaphes en langue
grecque.
Les incorrigibles tenants de l’apostolicité de l'Église de Grande-
Bretagne feront un accueil enthousiaste à l’opuscule du Rev. L. S. Lewis,
M. A., St Joseph of Arimathea at Glastonbury or the apostolic Church of
Britain (Londres, Mowbray, 1923. 43 p., 7 ill. Prix : x s.); mais les critiques,
que l’auteur prend à partie dans sa préface, seront moins disposés à accepter
ses conclusions.
Dans un petit volume bien ordonné intitulé The Christian Church in the
Epistles of St Jerome (Londres, SPCK, 1923. viti-117 p.), le Rev. L. Huoes,
M. À., D. D., a classé les résultats du dépouillement systématique qu'il a
fait de la correspondance de S. Jérôme sous les chefs suivants : 10 Clergé;
2° Écriture-Sainte ; 3° Vie ascétique et monastique ; 4° Rome et son siège;
s° Le développement de l'Église ; 60 Hérésies et schismes; 7° Doctrine et
politique religieuses, Mais on constate de regrettables lacunes dans la
bibliographie placée en tête du volume.
M. M. L. W. LaisTNner, M. A., lecteur d'histoire ancienne à l’université
de Londres, publie d’après le Cod. Vat. Reg. 215 (fol. 112r-122v) et le Ms.
Royal 15. A. xvi du British Museum (fol. 74 et suiv.) des notes prises au
cours professé par Martin de Laon, au 1xe siècle, dont il y aura à tenir
compte pour apprécier l’importance de l'étude du grec en Occident durant
le haut moyen âge : Notes on Greek from the lectures of a ninth Century
Monastery teacher (Bulletin of the J. Rylands Library, 1923,t. VII, p. 421-
456).
M. Huax GRAHAM, professeur à Winona (Minnesota), qui vient de
publier The early Irish monastic schools (Dublin, Talbot press, 1923. x1r1-
206 p. Prix : 5s.) n’a pas méconnu l'importance du sujet qu'il abordait et
dont le sous-titre de son livre fait ressortir tout l'intérêt : À study of Ireland's
contribution to early medieval culture. Le cadre de l'ouvrage est bon et les
divisions en sont en général judicieuses ; malheureusement la méthode de
l’auteur présente de graves défauts. Les douze pages de la bibliographie
312 CHRONIQUE,
comprennent l'énumération des sources et une longie liste de ce que
l’auteur appelle ses « secondary authorities ». Il entend par là les travaux
consultés. Les a-t-il tous consultés ? En tout cas, il paraît s'être rarement
reporté aux sources elles-mêmes, et la plupart des travaux sur lesquels il
s'appuie sont des ouvrages de seconde main et de vulgarisation populaire
(John Healy, J. M. Flood, D. Columba Edmonds, Roessler, Willis Bund, etc.).
Que dire de l’utilisation des sources ? L'Histoire ecclésiastique de Bède est
toujours citée d’après une traduction anglaise. La référence suivante donnée
à la p. 196 : « Colgan, Trias thaumaturga and Acta sarctorum in Migne, Pat.
lat., 53, 80, 87, 88 >» montre que le Prof. G. n'a jamais manié les deux
recueils de John Colgan, qui n'ont point été incorporés à la Patrologie de
Migne. Presque tout ce qui s’est publié, comme textes ou comme travaux,
sur ce riche sujet depuis une vingtaine d'années est considéré par l’auteur
comme non avenu. D'un grand nombre d'ouvrages qu'il cite il a été publié
de nouvelles éditions meilleures qu'il ignore, par exemple Whitley Stokes
(p. 127), T. K. Abbot (lisez : Abbott) (p. 198), R. L. Poole (p. 203), G. T.
Stokes (p. 204). Sur une foule de points il ignore pareillement l’état actuel
des recherches. C'est ainsi qu’à propos des Oghams il aurait dû prendre
connaissance de l'étude de K. Meyer, Ueber die Anordnung des Ogamalpha-
bets (Sitzungsb. der Preus. Akad. der Wissenschaften, Philos.-hist. KI., XXVII,
1917). Le témoignage de l’œuvre composite connue sous le nom de Cosmo-
graphie d’Aethicus ne saurait être invoqué sur l’état de la culture irlandaise
avant le Christianisme, comme l’a démontré récemment M. G. Dottin (Le
philosophe Aethicus et les Celtes, dans la Revue des études anciennes, 1923,
XXV, p. 144-150). Les 35 premières pages de la dissertation de L, Schiapa-
relli intitulée Note paleografiche (Archivio storico italiano, 1916) auraient
projeté des clartés sur diverses questions. Les idées cosmographiques de
Virgile de Salzbourg ne sont pas si faciles à découvrir que le pense le
Prot. G. (voir les travaux récents indiqués dans Gaelic pioneers of Christia-
nity, p. 21-22). Puisqu’il s’occupe (p. 173 s.) du De mensura orbis terrae de
Dicuil, pourquoi passe-t-il sous silence le traité de comput du même écrivain,
publié pour la première fois par M. Mario Esposito en 1907 ? Sur Dicuil, il
aurait dû en outre renvoyer à l’excellent travail du mème M. Esposito, An
Irish teacher at the Carolingian court (Studies, 1914, III, p. 651-676). Les
dittérents personnages qui portèrent le nom de Dungal à l'époque carolin-
gienne (voir Gaelic pioneers, p. 46-47) sont amalgamés en un seul. Les
fautes d'impression tourmillent dans les noms propres ainsi que dans les
passages cités des langues latine ou étrangères. Pour toutes ces raisons,
The early Irish monastic schools est un livre qui causera une vive déception
aux esprits qui savent apprécier la valeur d’une bonne méthode.
Le Dr Sr Jonx D. Seymour étudie les signes annonciateurs du jour du
jugement dans le poème irlandais connu sous le nom de Saltair na Rann :
T'he signs of Doomsday in the Saltair na Rann (Proceedings of the Royal
Irish Academy, 1923, XXXVI, n° 10, p. 154-163).
M. L. T. SazzMan vient d'éditer The chartulary of the priory of St Peter
at Sele (Cambridge, Hetfer, 1923. xxvH1-118 p.). Le prieuré bénédictin de
Sele, situé dans le Sussex, au nord de Shorcham, sur la rive gauche de la
rivière Adur, fut fondé par William de Braose, à qui Guillaume le Conqué-
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 313
rant avait donné des terres dans le Sussex occidental. Ce cartulaire, qui est
actuellement la propriété de Magdalen College à Oxford, aurait été com-
pilé par William de Coleville, qui fut prieur du monastère de 1254 à 1267.
Miss MARGARET KR. ToNYBEE montre que les quatre Vics soi-disant
perdues de S. Louis de Toulouse (+ 1297), et dont plusieurs auteurs ont
amèrement déploré la perte, n’ont en réalité jamais existé. On a pris pour
des biographes du saint quatre personnages qui ont simplement été appelés
comme témoins au procès de canonisation : « Lost lives » of St Louis of
Toulouse (English historical review, 1923, XXX VIII, p. 560-563).
De 1378 à 1409 la France adhéra aux papes d'Avignon tandis que l'Angle-
terre demeurait dans l’obédience du pape de Rome. Avec la compétence
qu’on lui connait dans les questions clunisiennes, Miss Rose GRAHAM étudie
les complications produites par le schisme dans le gouvernement des
pricurés clunisiens d'Angleterre. Son étude, intitulée The papal schism of
1378 and the English province of the order of Cluny (English historical review,
1923, XXX VII, p. 481-495) est une contribution de première importance à
l’histoire extérieure de la congrégation de Cluny.
Dans le Bulletin of the John Rylands Library (1923, t. VII, p. 526-544),
M. ROBERT FAWTIER a inventorié les Beaumont charters, qui firent partie de
la collection de l'abbé de la Rue, érudit normand, passèrent ensuite en la
possession de la famille Beaumont de Carlton Towers ( Ce Yorks), et furent
finalement acquises par la bibliothèque de Manchester (22 octobre 1920).
Ces documents seront à consulter pour l'histoire de la Normandie monastique
au xiie siècle et aux siècles suivants.
On trouvera dans le fascicule suivant du même Bulletin (1924, t. VIII,
P. 6-7) une liste des principales acquisitions (manuscrits et imprimés) de la
même bibliothèque et la continuation de l'inventaire des chartes par
M. RoserT FawrTier. La portion des archives Médicis, acquise le 26 mai
1919 (Jbid., p. 282-297), mérite particulièrement d'être signalée aux historiens.
Miss GERALDINE E. HonGson, Litt. D., qui avait déjà donné The form
of perfect living de Richard Rolle de Hampole (1910), Early English instruc-
tions and devotions (1913), English mystics (1922), vient de rendre en anglais
moderne une série de petits traités du mystique anglais Richard Rolle
(f 1349), lequel a été fort étudié récemment en Angleterre. Ce nouveau
recueil, Some minor works of Richard Rolle (Londres, Watkins, 1923. 226 p.
Prix : 5 s) comprend les œuvres suivantes : 19 Louange du nom de Jésus ;
29 Sur le nom de Jésus ; 3° Lettre sur le salut par l'amour du nom de Jésus ;
4° Sur la contrition imparfaîte ; 59 Ego dormio et cor meum vigilat ; 6° De
la vie d’une femme entrée en réclusion par amour pour le Christ ; 79 Un grand
clerc ; 8° Le commandement de l'amour de Dieu ; 9° Les dons du Saint-Esprit ;
100 Le miroir de Saint Edmond ; 11° Sur la prière ; 120 Méditation sur la
Passion et sur les trois flèches du Jugement ; 13° La connaissance de la Passion
d'après Saïnt Bonaventure. Le volume s'ouvre par une brillante introduction
de 46 pages. Page x2, 1. 23, lire « Cistercian » au lieu de « Cluniac ».
314 CHRONIQUE.
Dans The religious life of Henry VI (Londres, Bell, 1923. vir-141 p.
Prix : 58.), le Card. GAsQuEeT décrit, d'après des témoignages contempo-
rains, la vie vertueuse du roi Henry VI (1422-1471). Nouveau Saint Louis, le
monarque anglais, extrêmement édifiant dans sa vie privée, ami de la
retraite et de la prière, portant souvent le cilice, fut favorisé de visions et
de révélations surnaturelles. Après sa mort on l’invoqua d'une manière
privée et même publiquement, et de nombreux miracles furent attribués
à son intercession par des gens qui prièrent à son tombeau. Les premières
démarches en vue de la canonisation du pieux roi furent entreprises dès
avant la fin du xve siècle. Le chapitre VII (p. x19-134) renferme l’analyse
des pièces qui prouvent qu’un culte lui a été rendu en Angleterre. L'auteur
s'appuie principalement sur le témoignage de John Blackman, qui fut le
secrétaire privé de Henry VI. Le roi fut le fondateur du collège d’Eton et
du King’s College de Cambridge.
Il a paru dernièrement en Angleterre et en Irlande beaucoup d'histoires
générales ou particulières de ce dernier pays. La plupart de ces ouvrages
sont de qualité inférieure. Ou bien ce sont des manuels destinés aux écoles,
ou bien des livres faits de pièces et de morceaux pour le grand public. Tel
n'est pas, tant s’en faut, l’History of Mediaeval Ireland que vient de publier
le Prof. Ebmuno Curris, M. A. (Londres, Macmillan, 1923, vi-436 p. Prix :
215.). Ce livre très travaillé méritera l'attention de tous ceux qui auront
à explorer l'histoire de l’île de 1110 à 1513. Peut-être certains regrettront-ils
cependant que l’auteur, préoccupé de montrer la suite continue et l’enchaîi-
nement des événements, ne se soit pas donné le loisir de présenter de temps
en temps des vues synthétiques qui eussent reposé le lecteur et donné à son
livre un aspect moins sévère. L’index n’est pas absolument complet. On
trouve à la fin du volume trois cartes de l'Irlande (vers 1160, 1330 et 1500).
Le Dr H. M. BB. Rein, professeur de théologie à l’université de Glasgow,
retrace le curriculum vitae de dix-sept de ses prédécesseurs, depuis David
Dickson (1589-1662) jusqu’à William Hastie (1842-1903) dans The Divinity
professors in the University of Glasgow (Glasgow, Maclehose, Jackson et Cie:
1923. 368 p.). L'ouvrage est orné de neuf portraits.
La Revue a signalé les résultats des investigations de L. Richen sur les
particularités géographiques, météorologiques et ethniques des données
fournies par les visions d'Anne-Catherine Emmerich sur la Palestine (voir
RHE, 1924, t. XX, p. 131). De son côté, le P. H. THURSTON, S. J. critique
les conclusions, selon lui trop favorables, auxquelles aboutit M. G. Dirheimer
dans son livre récent sur Anne-Catherine Emmerich et Clément Brentano.
Paris, 1923 (voir Ephemerides theologicae Lovanienses, 1924, t. Ier, p. 135). Le
R. P. montre qu’un bon nombre des renseignements topographiques donnés
par la visionnaire de Dülmen sont inexacts ou contradictoires, et il ajoute
que le fâcheux penchant de Catherine à la mégalomanie n’est pas de nature
à produire une impression favorable sur un esprit critique : The authenticity
of the Emmerich visions (Month, janvier 1924, p. 22-52). Cet article a provoqué
une fougueuse réponse du P. EbwiN J. ANWEILER, O. F. M., qui reproche à
l’auteur d’avoir ignoré l'existence de l'ouvrage récent du P. W. HUEMPFER,
Clemens Brentanos Glaubwürdigkeit in seinen Emmerich-Aufzeichnungen
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 315
(Wurzbourg, 1923). Le P. T. avait précédemment étudié le problème soulevé
par les révélations de C. Emmerich dans le Month (sept., oct., nov. et
déc. 1921).
Le recueil publié par feu Sir GeorGe W. PROTHERO, Select analytical
list of books concerning the Great War (Londres, H. M. Stationery Office,
1923. X-431 p. Prix : 15 s.) comprend une «ection consacrée à la religion
(p. 324-336), qui se subdivise ainsi : 1° Prières et dévotions ; 2° Sermons et
allocutions ; 3° Autres ouvrages.
Le Dr George B. Smith, professeur & St Edmund’s College, vient
d’éditer un ouvrage posthume du Dr AbrIAN FoRTESCUE, T'he Uniate Eastern
Churches. The Byzantine rite in Italy, Sicily, Syria and Egypt (Londres,
Burns, Oates et Washbourne, 1923. Xx1-244 p. Prix : 7 s. 6 d.), qui nous est
livré tel que l'auteur l’a laissé en manuscrit. Une note de la page x nous
fait savoir que le ch. II sur les établissement de rite byzantin existant
actuellement en Italie et les pages sur l’état actuel de l'Église Melkite furent
rédigés vers 1917. Cela explique pourquoi l’ouvrage n’est pas tout à fait au
point. Il est dit que les Italo-Grecs n’ont pas d’évêques ordinaires ayant
juridiction diocésaine (p. 176-178). S'il eût pu revoir lui-même ces pages,
l'auteur eût, sans aucun doute, mentionné la création du siège grec de
Lungro en Calabre (13 février 1919), dont le premier évêque est Mgr Jean
Mele (voir Annuaire pontifical catholique, 1923, p. 268). Le livre débute par
44 pages d'introduction sur les Églises uniates en général. où sont traités les
sujets suivants : signification du mot « uniate »; diverses Églises uniates ;
questions relatives au patriarcat, au rite, à la langue; préjugés contre les
Uniates ; le Saint-Siège et les Uniates. Les trois chapitres sont consacrés
respectivement aux Italo-Grecs dans le passé, aux mêmes dans le présent et
aux Melkites. Nous avons ici une bonne étude d'ensemble sur les groupements
uniates des pays de l'Orient et de l'Occident que baigne la Méditerrannée.
Les colonies religieuses byzantines de Livourne, de Cargese en Corse et de
Sidi-Meruan en Algérie (Dep. de Constantine) n’ont pas été oubliées,
Le livre de M. Francis C. EEBLESs, Prayer book revision and Christian
reunion, some essentials discussed in the light of liturgical facts and principles
(Cambridge, University press, 1923. vI-134 p. Prix : 3 s. 6 d.) a été écrit pour
rappeler les principes anglicans à ceux des membres de l'Église établie, dont
le nombre va croissant, qui se montrent trop enclins à introduire les usages
liturgiques romains dans le Communion service. Dans un appendice (p. 126-
132), l’auteur donne un aperçu des divers rites encore en usage actuellement
dans la communion romaine. Ce petit livre atteste des connaissances litur-
giques approfondies et raisonnées. L. Gouaaup, O.S. B.
— Ce n’est pas une publication banale que celle d’un dictionnaire biogra-
phique des rationalistes modernes. M. JosepH Mc CABE l'a entreprise (A bio-
grafical Dictionary of modern rationalists. Londres, Watts et Cie. 1920. XXX11 p.
et 934 col. Prix : 45 s.). Il est vrai qu'il a eu des prédécesseurs dans Wheeler,
Biographical Dictionary of Freethinkers, 1889, dans Benn, History of English
Rationalism in the Nineteenth Century, 1906, dans Robertson, Short History
of Freethought, 1915. Il a pu se servir également des répertoires biographiques
810 CHRONIQUE.
plus généraux et des ouvrages du type Who's Who? dans les différentes
Jangues. Le présent dictionnaire contient entre 1900 et 2000 notices, et cette
liste aurait pu s’allonger considérablement. On y voit figurer très peu de
critiques rationalistes allemands ; Harnack, Holtzmann, Jülicher, Wrede,
J. Weiss et bien d’autres n’y sont pas mentionnés. Par contre, les écrivains
et les hommes politiques français sont largement représentés; on y trouve
presque tous les Présidents de la République. La notice sur le curriculum
vitae relève toujours avec amour les grades académiques et les décorations ;
d'autre part les ouvrages principaux ne sont pas toujours cités ; c’est le cas,
par exemple, pour Loisy. On fait commencer le rationalisme moderne avec
Giordano Bruno, mort en 1600, et on l'entend dans un sens très large, comme
la révolte de la civilisation contre les Églises. On sait que le mot rationalisme
a servi de dénomination à des systèmes sensiblement différents ; le rationa-
lisme de Spinoza n'est pas celui de Descartes, qui n’est pas nommé dans
Mc Cabe, et il y a de la marge entre Descartes ct Kant. On est quelque peu
surpris malgré tout de voir figurer Boileau, Buffon, Molière et Henri Fabre
dans un dictionnaire des rationalistes. Pour d’autres raisons, on s'étonne
aussi d’y rencontrer Henriette Renan. Mais l’auteur a eu principalement en
vue la propagande anticléricale. N’a-t-il pas lui-même sauté à pieds joints au-
dessus de la triple barrière de ses engagements monastiques, ecclésiastiques
et chrétiens ? Une magnifique performance ! Mc Cabe se fâche quand il entend
parler de la conversion de Littré. Il devrait cependant aussi, dans une nou-
velle édition de son Dictionnaire, discuter celle d’E. Faguet, d'E. Lavisse,
d'A. Sorel, de J. Lemaitre. Il devrait aussi, toujours dans le même but d'être
complet, parcourir le bel ouvrage d'Eymieu : La part des croyants dans les
progrès de la science au xixe siècle (2 vol. Paris, Perrin) et le répertoire
alphabétique de Duplessy, Documentation catholique, 12 et 19 janvier 1924,
P. 119-128 ; 171-190. E. Tosac.
— Le VII: centenaire de l’arrivée des Franciscains en Angleterre sera
solennellement célébré, le 10 septembre prochain, à Canterbury. M. Paul
Sabatier fera le discours de circonstance qui sera suivi d’une conférence his-
torique, probablement donnée par le Prof. Little.
— En mars 1920, l'Hon. Mrs Tatton Willoughby d’York léguait à la nation
l'abbaye de Whitby (Yorkshire) rendu célèbre par le synode qui s’y tint en
664, lequel s’occupa de la question de la Pâque et des autres divergences
entre les chrétientés celtiques de l'Église Anglo-Saxonne. Aussitôt, le gou-
vernement anglais entreprit des travaux pour préserver et consolider les
ruines de l'abbaye, qui avaient essuyé, le 16 décembre 1914, le bombarde-
ment d'une flotille allemande. Des fouilles furent en même temps commen-
cécs, qui ont amené la découverte de restes de maçonnerie appartenant à
l'époque normande et même à l’époque saxonne ainsi que l’exhumation de
différents objets, dont quelques-uns très anciens. Sur ces découvertes et sur
la progression des fouilles, on consultera avec profit une toute récente bro-
chure de M. PETER Hoop, qui contient de nombreuses planches photo-
graphiques : Whitby Abbey including descriptions and illustrations of recent
excavations (Middlesbrough, Hood, 1924. 56 p. et 44 illustr. Prix : 15.6 d.).
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. | 317
Dans la première livraison du Cambridge historical journal (voir RHE,
1923, t. XIX, p. 616), parue à l’automne de 19233, M. C. W. PREVITÉ-ORTON,
M. AÀ., bibliothécaire de St John's College à Cambridge, nous renseigne sur
le Recent work in Italian medieval history (t. Ier, p. xo-22). On nous fait savoir
que l’histoire ecclésiastique tiendra une plus grande place dans la prochaine
livraison, qui paraîtra en octobre 1924.
Avec sa livraison de janvier 1924, la Review of the Churches inaugure
une nouvelle série. Ce périodique destiné à promouvoir la coopération des
confessions dissidentes avec l’Église Anglicane s'occupe principalement des
questions morales et sociales du temps présent dans leurs rapports avec la
religion et de sujets d'intérêt purement religieux. L'histoire n’y tient pas
une grande place. Citons cependant, dans la livraison de janvier, l’article
du Rev. H. B. WorkMaAN, The lesson of Monasticism (p. 87-94). Cette publi-
cation trimestriell: dirigée par Sir HENRY S. Lun est éditée par Ernest
Benn, 8, Bouverie Street, Londres E. C. 4. Prix du numéro : 35.
Le second fascicule du Bulletin of the Institute of historical research (voir
RE, 1924, t. XX, p. 139) a reproduit la lecture faite par M. J. P. Gizson à
l'Anglo-american historical conference, le 6 juillet 1923 sur The homes and
migrations of historical manuscripts (1923, I, p. 37-44).
Les amis de l’université de Louvain liront avec plaisir que la John
Rylands Library de Manchester, qui s’est occupée, depuis la fin des hostilités,
de centraliser les dons de livres destinés à reconstituer la bibliothèque de
l’université a, jusqu’à cette date, expédié à Louvain le chiffre imposant de
43,694 volumes. La même bibliothèque de Manchester vient de lancer un
nouvel appel en faveur de la bibliothèque de l’université de Tokio.
Les frais d’impression sont actuellement si élevés en Angleterre que
l'activité de la Henry Bradshaw Society se trouve en partie paralysée.
Cependant, à la réunion annuelle du comité (14 novembre 1923), il a été
annoncé que le 61e volume, qui doit contenir l'introduction au Missel de
Bobbio et des notes sur ce livre liturgique du Rev. H. A. Wizson, de Dom
À. WiLmarT, O.S.B., et du Dr E. A. Low, paraîtra prochainement. Seront
publiés ultérieurement un volume d’rish litanies préparé par le Rev.
CH. PLuMMER, The Martyrology of Tallaght, qui sera édité par le Rev.
H. J. LawLor et le Dr KR. I. Besr et le troisième volume de l’Ordinaire
d'Exeter.
Décès. — Le 2 janvier 1924, à Lew Trenchard (Devonshire), le Rév.
SABINE BARING-GouLp, presque nonagénaire. Il était né à Excter le 28 jan-
vier 1834. Ecrivain prolifique en divers domaines : sciences ecclésiastiques,
poésie religieuse, folk-lore, mythologie, topographie, roman, etc., sa facilité
prodigieuse de plume fut son grand défaut. La liste de ses œuvres occupe
douze pages au catalogue in-folio des imprimés du British Museum. Rappe-
lons les principales : Post-mediaeyal preachers : some account of the most
celebrated preachers of the 15th, r6th and r7th centuries (1865), Origin and
development of religious belief (1869-70), Our inheritance : the Eucharistic
service in the first three centuries (1888), The Church in Germany (1891), Curious
318 CHRONIQUE.
myths of the Middle Ages (dern. édit. 1897), À study of St. Paul, his character
and opinions (1897), The lives of Saints (16 vol., 1897-98), Lives of British Saints
(en collaboration avec J. Fisher, 4 vol., 1907-13), The Church revival : thoughts
thereon and reminiscences (1914). Il avait commencé, en 1923, la publication de
ses souvenirs : Early reminiscences, 1834-1864 (Londres, John Lane).
Le 9 janvier 1924, le Rév. Henry Wace, D. D., doyen de Canterbury, né à |
Londres le 10 décembre 1836. Il fut le porte-étendard de l’orthodoxie évan-
gélique dans les rangs de l'Eglise Anglicane. Il fut nommé en 1875 professeur
d'histoire ecclésiastique au King’s College de Londres. En 1903, à la mort du
Dr Farrar, M. Balfour le nomma doyen de Canterbury. Il a publié, en colla-
boration avec Sir William Smith, le Dictionary of Christian biography,, lite-
rature, sects and doctrines en 4 vol. (1877-87), The Gospel and its witnesses
(x883), Principles of the Reformation : pratical and historical (1910), New Tes-
tament archaeology (1922).
Le 9 janvier 1924, le Dr FREDERICK CORNWALLIS CONYBEARE, âgé de 67 ans,
éditeur de textes patristiques arméniens. Il était fellow de la British Aca-
demy, membre de l'Académie arménienne de Venise, docteur honoris causa
de Giessen et de St Andrews et fellow honoraire de University College à
Oxford. Il avait épousé la fille de Max Müller. Il a publié : Specimen lectionum
armenicarum or a review of the fragments of Philo Judaeus as newly edited by
J. R. Harris (x891), Roman Catholicism as a factor in European politics (1901),
Rituale Armenorum (1905), Afyth, magic and morals : a study of Christian
Origins (1909), History of New Testament criticism (1910), The historical
Christ (1914). On lui doit aussi les catalogues des manuscrits arméniens de la
Bodléienne (1918) et du British Museum (1913). L. Goucaup, O.S. B.
Belgique. — Semaine d'ethnologie religieuse. Compte rendu analytique de la
IIIe Session tenue à Tilbourg (6-14 sept. 1922). Enghien, 7, rue des Augustins,
1923. In-8, 494 p. Fr. 25. La plupart de ces conférences, émanant de spécialistes,
ont la valeur de travaux originaux. On ne trouvera citées ici que celles ayant
un rapport avec l’histoire ecclésiastique. Ces études substantielles, où la
doctrine, toujours claire et toujours présentée sous une forme facile, a été
condensée par des maîtres, sont à lire, à méditer : elles constituent des
guides précieux qu’il faudra toujours consulter. Les résumer me paraît aussi
malaisé que vain. Le livre comprend une partie générale (13 conf.), et une
partie spéciale, divisée en deux sections : la première concerne le sacrifice,
la seconde, l'initiation tribale et les sociétés secrètes chez les non-civilisés,
les mystères des peuples antiques. — La longue série des études s'ouvre par
une conférence du P. W. Scamipr. L'éminent ethnologue signale les progrès
réalisés dans l'ethnologie par l’abandon progressif du subjectivisme, de
l'évolutionisme aprioristique, et un ralliement marqué à la méthode histo-
rico-culturelle dont il a été un des auteurs. {1 détermine ensuite les tâches
nouvelles qui s'imposent aux travailleurs. Sa parole autorisée pousse résolu-
ment à l’action positive ; il réclame des matériaux plus abondants et sûrs,
obtenus par des enquêtes conduites avec toute la rigueur scientifique, et,
dans la mesure du possible, portant sur des objets précis dont les progrès de
la science montrent l’urgence. Le conférencier, on le sent, voit grand; il est
l'homme des grandes initiatives. Il va même jusqu’à proposer que, pour des
BELGIQUE. 919
recherches particulièrement importantes, l’on détache un missionnaire
spécialement formé à l'enquête ethnologique. Ce n'est pas une utopie. La
congrégation du V. D. a délégué un missionnaire, ethnologue formé, le
P. Koppers, chez un petit peuple de l'Amérique du Sud en train de dis-
paraître. Les résultats de son enquête sont rapportés par le P. Koppers
lui-même dans la conf. 22e, une des plus intéressantes. Qui oserait douter,
après les avoir lus, que cette initiative doive trouver des imitateurs. Au reste,
le Souverain Pontife, dans la double audience qu'il a accordée au P. Schmidt
(p. 476), semble pousser dans cette voie. — Dans les treize conférences con-
tenues dans la partie générale, je crois devoir signaler ici les trois conférences
du P. PINaRD. Dans la première, il expose la méthode historico-culturelle et
ses procédés. Il y adhère franchement : comment d’ailleurs un esprit droit et
loyal pourrait-il s’y refuser ? Mais son adhésion ne l'empêche pas de marquer
les limites de sa compétence. Il a d’ailleurs raison d’ajouter (p. 80) qu’ sune
distinction s’impose : d’abord entre la méthode et ses applications actuelles.
ensuite entre ses principes essentiels et les perfectionnements de détail, que ses
initiateurs sont unanimes à déclarer... désirables ». La méthode philologique
(plus exactement linguistique), traitée p. 98-111, a toujours des représentants.
C'est la plus délicate à manier. Le conférencier le fait bien voir. Malgré les
sages restrictions qu'il met p. 195, j'hésite beaucoup devant l'identification
proposée de langue et de civilisation. Les services modestes que cette méthode
peut rendre ne sont pas exagérés. La conférence finit, sans que le lecteur en
soit surpris, par ce conseil dont on appréciera et la sagesse et la franchise :
«Et maintenant, Messieurs, n’y touchez pas. » Puis viennent d’excellents
conseils positifs. La 3e conférence sur la méthode de la psychologie religieuse
mérite surtout d'être signalée aux lecteurs de cette Revue. Peut-être l'intérêt
que j’y ai pris vient-il de ce que le sujet m'est moins familier; mais ces
quatorze pages me paraissent remplies d’aperçus d’une élévation et d’une
justesse captivantes. On doit mettre à côté de ces conférences du P. Pinard
les deux solides études de M. le chan. Bros, le savant français bien connu,
sur la méthode sociologique, inaugurée par Durkheim et continuée par ses
disciples. La 1xe conférence contient l’exposé fait par le R. P. GEMELLI,
recteur de la jeune université catholique de Milan, des recherches person-
nelles qu’en collaboration avec le Dr A. Canesi il a faites sur la psychologie
de la prière. La première partie de sa conférence, malheureusement écourtée,
propose et discute les interprétations présentées jusqu'ici. — Parmi les ques-
tions spéciales étudiées par la Semaine figure d’abord le sacrifice. Dans une
conférence admirable d'introduction, le P. ScxMipT expose l’histoire du
problème. Outre les théories de Hubert et Mauss, de Wundt, l'ouvrage
récent de Loisy est signalé et jugé comme il le mérite (p. 231). Le conféren-
cier expose ensuite le sacrifice tel qu'il apparaît dans les deux plus anciens
cycles culturels reconnus par la méthode historique. À cause de l'intérêt
supérieur du sujet, je signale la conception de l’essence du sacrifice défendue
p. 236. Puis vient l'exposé du sacrifice expiatoire. Ces pages substantielles
sont à recommander à l'attention de tous ceux qu’attirera ce grave sujet.
Excepté une conférence allemande du professeur G. WunperLe de Wurz-
bourg, les conférences réunies dans cette première section concernent les
peuples incultes; elles sont rigoureusement ethnogranhiques. La 2e section
spéciale comprend douze conférences sur l'initiation tribale et les sociétés
320 CHRONIQUE.
secrètes, sur les mystères des peuples antiques. Les cinq dernières seules
rentrent dans le cadre de cette revue : elles concernent les mystères d’Osiris,
par le prof. IuNKER (en allemand), les mystères de Mithra, par M. Van CRon-
BRUGGHE, professeur à l’université de Louvain, les mystères d’Eleusis, par
M. DE Cazuwe. La conférence de M. Van Crombrugghe notamment m'a
vivement intéressé par la discussion bien conduite des prétendues influences
exercées par le mithriacisme sur le christianisme, p. 438 à 440. Cette seconde
section se clôt par une conférence d’un caractère plus général d’un des maîtres
de la Semaine, le P. L. DE GRANDMAISON. Le titre seul « Les mystères païens et
le mystère chrétien » indique la gravité du sujet, et le nom de l’auteur est une
garantie de la fermeté, de la loyauté courtoise, avec laquelle la discussion est
conduite. Une remarque : Je ne vois cité nulle part par les conférenciers
l'ouvrage de K. H. E. De Jong (Das antike Mysterienwesen in religionsge-
schichtlicher, ethnologischer u. psychologischer Beleuchtung. Leyde, Bril, 1909.
362 p.) ni utilisé dans la conférence 31 le Sacramentum de M. Em. De Backer,
qui pourtant contient une interprétation aussi originale que solide du pas-
sage classique d'Apuléc au livre XI des Métam)rphoses, p. 190 à 226. Quatre
index rédigés avec soin facilitent l’utilisation du livre. A la demande expresse
du Souverain Pontife, la Semaine tiendra sa quatrième session à Milan en
1925. E. Remy.
— Dans le Bulletin de la société d'art et d'histoire du diocèse de Liège
(1923, t. XXI. Extrait. Liége, H. Vaillant-Carmanne, 1923. 72 p.), M. l’abbé
H. QuoipgacH a publié un article intitulé : Les premiéres origines du chris-
tianisme dans le pays de Liège. Naïssance et développement de la légende.
C'est, principalement, une étude de critique littéraire des sources qui nous
parlent des premiers évêques du diocèse. D'après l’auteur « l’étude des
premières origines chrétiennes et légendaires d'un pays comporte deux
littératures, dont l’une est une déformation plus ou moins inconsciente des
faits primitifs, tandis que l’autre prend l'allure du roman et ne présente que
des récits entièrement fabuleux. » Dans cette seconde catégorie, M. Quoid-
bach range les « légendes hagiographiques dont les caractères distinctifs se
rapprochent de très près de l'épopée », et il veut retrouver ce genre plus ou
moins épique dans les déformations postérieures de la légende des premiers
évêques de Tongres ou du moins des saints que leurs Vitae mettent en rapport
avec Tongres : Euchère, Valère, Materne, et de l’évêque Scrvais.
Dans la première partie de son travail, M. Quoidbach étudie le développe-
ment de la légende des premiers évêques de Tongres, d’après ce qu'en dit
Hériger et d’après les listes épiscopales de Tongres et de Trèves. L'auteur
semble ignorer que ce sujet avait déjà été traité en partie par M. l’abbé
J:. Paquay, dans un travail présenté en 1920 à Louvain pour l'obtention du
titre de docteur en sciences morales et historiques : L'organisation chrétienne
en Tongrie (Tongres, Collée, 1920). Aussi a-t-il refait à nouveaux frais l'étude
des anciennes listes épiscopales et des écrits d’Hériger, pour arriver à des
conclusions qui nous paraissent moins solides que celles déjà présentées par
M. Paquay. Les listes épiscopales de Tongres-Trèves transmises par Hériger
sont considérées par M. Quoidbach comme «une consignation écrite d'une
tradition orale, déjà modifiée par l'interprétation populaire, qui reproduit
tant bien que mal les noms des diptyques disparus à Tongres au cours des
terribles dévastations > des Normands. Hériger n'aurait donc pas copié les
BELGIQUE: 31
diptyques, mais aurait reproduit une tradition orale reproduisant, déjà avec
des déformations, des diptyques disparus. Aussi, M. Quoidbach n’attache-t-il
aucune valeur à ces listes épiscopales transmises par Hériger.
A cette explication laborieuse, nous préférons l’hypothèse plus simple et
beaucoup plus rationnelle, plus conforme aussi à tout ce que nous savons de
la première organisation chrétienne dans les Germanies, mise en avant par
M. Paquay. D'après celui-ci, le diocèse primitif de Trèves englobait primitive-
ment non seulement la civitas Treyirorum et la Belgique première, mais
toute la Germanie inférieure, c'est-à-dire les cités de Cologne et de Tongres.
Celles-ci doivent être considérées comme des filiales de l’église trévirienne.
Dès lors, la liste réputée épiscopale de Trèves, à laquelle on a ajouté celle
de Tongres, pour l’allonger et la faire remonter aux temps apostoliques,
résulte simplement de la juxtaposition des diptyques des différentes églises
ayant appartenu à la suffragance du diocèse primitif. Les noms qui y figurent
proviennent tous de diptyques et sources liturgiques des églises du diocèse
primitif de Trèves. Ainsi, M. Paquay a identifié la première série de noms
après Euchère, Valère et Materne avec des évêques des églises de Toul et de
Metz en Belgique première ; la seconde série de noms jusqu’à Florentin est
empruntée à des diptyques tréviriens ct colonais ; les trois derniers noms de
la liste tongroise sont ceux des contemporains de saint Servais, tous digni-
taires ecclésiastiques et saints personnages appartenant aux différentes
églises du diocèse primitif de Trèves dont les catalogues ont été juxtaposés.
De la sorte, l’objection tirée du défaut d'ordre chronologique dans ces listes
est définitivement écartée. C'est Hériger lui-même qui a fait le travail de
juxtaposition,
Il y a, cependant, dans la première partie du travail de M. Quoidbach,
quelque chose à retenir. C’est l'hypothèse d’après laquelle saint Servais
n'aurait pas été réellement attaché au siège épiscopal de Tongres, mais
aurait été une espèce de chorévêque occidental, envoyé par Cologne et
chargé de porter la bonne parole à toutes les populations au pays de Tongres,
c’est-à-dire les Z'ungri. De la sorte on ne lui aurait pas fixé de siège épiscopal
bien déterminé et il a pu mourir à Maestricht, ville de son diocèse, aussi bien
qu'il eût pu mourir à Tongres. C'est cette situation imprécise qui aurait
déterminé Monulphe à se fixer définitivement à Macstricht, pour mettre fin à
cette instabilité où se trouvaient ses prédécesseurs,
Cette hypothèse, qui explique bien des détails jusqu'ici obscurs, nous sourit
beaucoup : nous la croyons très sérieuse.
Dans la seconde partie de son étude, M. Quoidbach veut montrer que la
légende des premiers évêques de Tongres s’est transformée, dès le xtre siècle,
en une sorte d'hagiographie épique, parallèle aux chansons de gestes. « Sans
avoir l’envergure de l’épopée profane, dit l’auteur, une partie importante de
la littérature hagiographique a pourtant été marquée profondément de l’em-
preinte du genre épique. » C’est surtout la version du Troyugenarum (vie de
S. Servais) du prêtre Joconde (xre siècle) qui paraît à M. Quoidbach « une
des plus remarquables compilations écrites des narrations épiques et peut-être
des cantilènes et romances pieuses de l’époque ».
Formulée ainsi, la thèse ne nous paraît pas admissible. Mais nous n’enten-
dons point nier qu'il y ait, dans cette littérature, un certain souffle épique ou
des détails épiques. Cela suffit-il pour parler de «l'empreinte du genre
329 CHRONIQUE.
épique » et pour penser « qu’il existe un certain parallélisme entre les épopées
profanes et les Vitae » ? Nous ne le croyons pas. Ces Vitae tardives sont avant
tout des compositions livresques, œuvres de compilateurs à l'imagination
féconde et très au courant des thèmes hagiographiques.
Il n’en reste pas moins que l’on trouvera dans cette partie de l'étude de
M. Quoidbach des remarques intéressantes et des comparaisons dont on peut
faire profit. |
Nous devons signaler à l’auteur que le passage de Lucain où il est parlé de
« bardi, id est leodienses » et qui a servi de point de départ à des considéra-
tions sur Liége, « éternel foyer de poésie épique », provient tout simplement
d’une mauvaise lecture de copiste. C’est ce que, récemment, M. Vander
Linden a montré : il faut sacrifier ces « bardes liégeois ».
L. VAN DER ESsEN.
— L'étude de M. M. Wizmorre : De l'origine du roman en France. La tra-
dition antique et les éléments chrétiens du roman (Acad. royale de Belgique.
Bruxelles, Lamertin, 1933. In-8, 71 p.) fait partie d’un ouvrage considérable
sur les origines du roman. Elle est consacrée presque exclusivement à la
littérature chrétienne et à la littérature latine du haut moyen âge ; elle met
en lumière des rapprochements à la fois littéraires et psychologiques, con-
duits avec ingéniosité, voire avec subtilité, à l’effet de montrer la continuité
qui existe entre le roman antique et chrétien et les plus anciens monuments
romanesques en langue française du début du xne siècle. Les évangiles
apocryphes, les Acta et passiones, nombre de vies de saints, des écrits comme
Paul et Thécla, contiennent des données romanesques où l'élément profane
joue un rôle considérable et qui fournira à l'imagination d’un narrateur
habile des thèmes féconds de récits d'édification. Oa ne sera sans doute pas
toujours d'accord avec l’auteur sur les dépendances littéraires et psycholo-
giques qu'il prétend établir ; lui-même, d’ailleurs, s'excuse d'avance en disant
qu'il n’a pas eu « l'assurance d’être toujours exact ». H. Neis.
— La vie d’un mouvement aussi étendu que le Luthéranisme ne va pas
sans tiraillements. En face du courant rationaliste extrémiste, minimisant
ou même niant toute intervention positive de la divinité dans l’histoire du
genre humain, il se dressa toujours en Allemagne une tendance conservatrice
visant à restaurer ce qui restait de l'héritage doctrinal, disciplinaire et cultuel
des quinze premiers siècles de christianisme après que Luther l’eut saccagé
sans pitié. Le protestantisme cristallisé dans les confessions de foi, À partir de
1530, fut une réaction conservatrice menéc par Mélanchthon en dépit du .
maitre. Si l'Anabaptisme du xvie siècle mit en œuvre l’individualisme doc-
trinal du libre examen que prêchait d'exemple Luther, le Piétisme du
xvuie siècle fut une vive réaction contre la fui sans les œuvres, cette pierre
angulaire de la morale luthérienne. Hiérarchie et vie liturgique réformées
ont des survivances catholiques nombreuses qui eussent fait frémir les Puri-
tains anglais. Pour endiguer le torrent libéral et moderniste d'aujourd'hui, on
a vu se constituer, au lendemain du 4 centenaire des thèses de Wittemberg
(1517), un groupement de pasteurs courageux qui tout en restant, ou mieux
se disant Luthériens, entendent bien aussi être catholiques. Leur effort, diffi-
cilement connaissable pour nous dans les circonstances actuelles, est assu-
rément très digne d'intérêt. Le KR. P. CnHares, S. J]., a cherché à nous le
BELGIQUE, 323
faire apprécier avec la documentation de fortune dont il disposait. Ce peu de
données positives a imprimé à son ouvrage, assez délayé, un caractère plus
descriptif et littéraire qu’'historique. Son titre, La robe sans couture (Bruges,
Beyaert, 1923), autorise toutes les amplifications. Après la lecture de ces
187 pages, — lecture reposante et agréable, — on comprend que le sous-titre,
Un essai de Luthéranisme catholique. La Haute Église allemande, résume par-
faitement le volume. Pour en savoir plus long il faut attendre : le phénomène
signalé cst avant tout d’ordre psychologique et en pleine évolution. L'auteur
ne cache pas qu’il n’a guère de renseignements précis en suffisance et qu'il n’a
pu entrer en contact personnel avec les auteurs de ce mouvement plein de
promesses. M. Pierre.
— Quel thème iconographique a inspiré aux Van Eyck l’ensemble et les
détails du tableau de l’Agneau ? C’est la question que divers érudits se sont
posée et se sont efforcés de résoudre dans ces derniers temps. M. le chanoine
van den Gheyn interprète le chef-d'œuvre comme un magnifique exposé du
dogme de la Rédemption. M. l'abbé Aerts y voit plutôt la glorification du
Christ. Mais voici qu’un commentateur plus récent, M. Günther, reprend
une idée déjà émise par Springer et développée par Kraus : le célèbre tableau
serait le commentaire du dogme de la Communion des saints et s’inspirerait
de l'office de la Toussaint.
En vérité ces différentes conceptions se compénètrent en quelque sorte,
puisque le Christ est glorifé dans la vie future et que celle-ci est pour
l'humanité le fruit de la rédemption. Il n'y a donc rien d'étonnant qu’en
l'absence de textes explicites, le tableau des Van Eyck ne livre pas si facile-
ment tous ses secrets : l’image ne peut pas suppléer coniplètement à la
parole, lorsqu'il s’agit de subtiles spéculations théologiques.
Il est d’ailleurs un fait qui ferait parfois douter de la parfaite unité de con-
ception du retable : sa hauteur anormale et cette marquante différence
d'échelle entre la partie supérieure et la partie inférieure. Au surplus tous
les éléments du retable peuvent se justifier dans un Jugement dernier dont le
ciel aurait été spécialement développé.
La thèse de la Toussaint est développée par M. R. GUBNTHER avec un grand
appareil d’érudition (Die Bilder des Genter und des Isenheimer Altar. T. I :
Der Genter Altar und die Allerheiligen Liturgie. [Studien über christlichen
Denkmäler, éd. J. Ficker. Fasc. XV.] Leipzig, 1923. 60 p., x fig.) Il poursuit à
travers les âges, et jusque durant l'antiquité chrétienne, la représentation des
divers éléments reproduits dans le tableau de Gand : l’Adoration de l’Agneau,
d'abord par les vingt-quatre vieillards (Apoc., chap. V), plus tard par les
saints du Paradis (chap. VII) ; le Jugement dernier, dont les éléments finissent
par être incorporés dans la liturgie de la Toussaint. Il examine comment la
communion des saints est célébrée dans l'office, les hymnes, la prédication,
les écrits des mystiques et cherche aussi les antécédents de la représentation
des saints ermites, saints pèlerins, soldats du Christ, juges intègres, que les
Van Eyck n’ont pas été les premiers à glorifier plus expressément. Tout ceci
est parfois assez distant du tableau de l’Agneau et la clarté de l'exposé ne va
pas toujours de pair avec la richesse de l’érudition.
Signalons aussi une plaquette de M. L. Azrrs (Voer de Moeier Gods in
Gentsche Altaar. Peer, 1924. In-8, 34 p.) qui tend à démontrer que les Van
Eyck ont voulu représenter la Vierge comme mère de Dieu. Retenons-en que
324 CHRONIQUE.
le texte inscrit autour de son auréole est repris à l'office de la Vierge en usagé
dès le xive siècle à Maastricht et à Liége. Ainsi s'éclaircit peu à peu la ques-
tion des sources des inscriptions eyckiennes.
Inventaires archéologiques. On peut dire presque que dans tous les vieux
pays civilisés la confection d’inventaires scientifiques des monuments et des
objets d'art est à l’ordre du jour. Mais, tandis qu’en Allemagne, en Angle-
terre, dans la ci-devant Autriche-Hongrie, en France, en Hollande, il s’agit
d'une entreprise d'ensemble, intéressant le pays tout entier et conçue d’après
un plan uniforme, en Belgique, où l'esprit particulariste ne donne pas
toujours d’heureux résultats en matière de travaux historiques, la confection
des inventaires a été abandonnée jusqu'à présent à l'initiative des adminis-
trations provinciales. Chaque province, indépendamment de toute interven-
tion du pouvoir central, entreprend ou néglige d’entreprendre la confection
des inventaires, et chaque province, sinon chaque archéologue de province
chargé de l’entreprise, détermine les règles qui présideront à la rédaction,
choisit le format des volumes, les clichés de l'illustration, etc. Il s’en suit un
manque d'unité, parfois une absence de tenue scientifique, regrettable dans
un travail aussi important.
Dans ces dernières années trois provinces seulement avaient commencé
l’impression des inventaires. Celui du Brabant, commencé en 1904, était
déjà mené à terme en 1912. Les volumes sont richement illustrés, mais leurs
très courtes descriptions sont souvent inexactes. Les édifices y sont totale-
ment négligés et beaucoup d'objets intéressants ont échappé à l’inventorisa-
tion. L’inventaire du Brabant est une œuvre collective et anonyme, en
somme le moins bon de nos inventaires.
Celui de la province d'Anvers, dont les sept fascicules parus s’espacent de
1907 À 1914, marque un grand progrès sur le précédent. Il s'occupe aussi des
édifices et ne néglige pas la bibliographie. Les notices relatives aux diverses
communes sont composées en collaboration, mais signées par M. F. Donnet,
secrétaire du comité de rédaction. On aurait préféré un exposé moins narratif
et une énumération plus méthodique. Il y a en regard texte flamand et texte
français, procédé qui augmente les frais d'impression, l’épaisseur des volumes
et qui donne à peu près l'assurance qu’au moins l’une des deux rédactions
sera très défectueuse !
La Flandre Orientale à commencé l'impression de son inventaire en xg9x1.
Il comprend onze fascicules avec la description des monuments et objets d'art
de vingt-sept localités. Les notices sont signées par des auteurs qui varient
d'une localité à l’autre. Par là même, malgré de sérieux mérites, les notices
sont très inégales. Le texte est en deux langues ct, idée bizarre, il est imprimé
sur fiches.
Depuis la guerre deux autres provinces ont commencé l'impression de
leurs inventaires. D'abord, le Limbourg a publié trois fascicules pour le
canton de Tongres et un quatrième pour le canton de Beeringen {(/nventaire
archéologique des objets existants dans les édifices publics. Canton de Tongrés,
éd. Daniëlset Paquay, I, 1916, 66 p.; Il, 1918, 32 p.; IIL 1919, 34 p.;
Oudheidkundig inventaris der Kunstvvorwerpen in kerken en openbare gebouwen ;
Kanton Beeringen, 1922, 82 p.). Ce qui frappe tout d’abord, c’est que, sans
raisons apparentes, les fascicules sont rédigés les uns en français et les autres
BELGIQUE. 325
en flamand. Les descriptions sont courtes et généralement satisfaisantes,
elles concernent les édifices aussi bien que les objets, quoique le titre men-
tionne ceux-ci seulement. Jusqu’à présent l'illustration manque. Les inscrip-
tions funéraîres sont reproduites comme dans un épitaphier.
Pour la province de Hainaut nous possédons aussi le premier volume de
son inventaire (Inventaire des objets d'art et d'antiquité. T. I]. Arrondissement
de Tournai, Cantons d'Antoing, Celles, Leuze, Peruwelz, Antoing ; éd.
E. J. Soil de Moriamé. Charleroi, 1923. In-8, 219 p. et fig.). Le volume
paru est copieusement illustré. La description est très sobre pour les édifices;
elle est concise pour les objets. Ceux-ci portent chacun un numéro d'ordre
et en outre des dispositions typographiques permettent de les retrouver très
aisément.
Tout compté, nos inventaires provinciaux sont loin d'être sans mérites,
mais le manque d'unité est un de leurs grands défauts. Ajoutons que le plus
souvent les édifices sont trop sommairement décrits, les plans terriers, les
rélevés architecturaux manquent complètement, parfois la terminologie
laisse à désirer.
La Commission royale des Monuments a l'intention d’entreprendre une
publication d'ensemble. Déjà le programme de rédaction et d'illustration a
été élaboré en détail. C’est seulement en exécutant avec fidélité ce pro-
gramme que l’on arrivera en Belgique à posséder des inventaires des monu-
ments et objets d’art aussi parfaits que ceux de certains pays avoisinants.
Les historiens et les archéologues belges possèdent dans le Dictionnaire
de géographie historique des communes belges, par A. JOURDAIN et L. VAN
STALLE (Bruxelles, 1896), un utile instrument de travail. Sans doute cet
ouvrage”n'’est pas exempt de défauts mais, avec ses cartes géographiques et
ses 400 vignettes de monuments par l’habile dessinateur Louis Titz, il rendait
et rend encore, tel qu'il est, de grands services. Toutelois, publié depuis
environ trente ans, il cesse peu à peu d'être à jour, même pour certains
points pour lesquels il était très satisfaisant au début. Ceci donne à l’entre-
prise de M. Euc. De SEYN, qui a commencé la publication d’un Dictionnaire
historique et géographique des communes belges, une incontestable utilité.
L'ouvrage sera complet en 25 fascicules environ, soit en deux volumes, grand
in-8, de 1000 pages chacun (prix du fascicule 6,50 fr.). Les communes des
districts récupérés d'Eupen et de Malmédy figureront en appendice dans
l'ouvrage. Le prospectus annonce qu'une importante bibliographie des
principales sources consultées sera comprise dans la préface.
Déjà deux fascicules ont paru (p. 1-128, Aalbcke-Boortmeerbeek ; Bruxelles,
A. Bieleveld, 1924). Ils font bien augurer de la publication. Signalons, parmi
d’autres renseignements fournis, des graphies anciennes des noms de la com-
mune, des renseignements sur la toponymie, le chiffre de la population à
diverses époques, etc. — Les lieux-dits, mentionnés par Jourdain et Van
Stalle, ne sont pas donnés et il n’y a pas non plus de notes bibliographiques
pour chaque commune en particulier. — L'’illustration est riche et nette à la
fois : elle donne les armoiries des localités, un grand nombre de monuments.
parmi lesquels les églises de village ne sont pas oubliées, des vues et plans
anciens, des sites pittoresques, des statues et du mobilier ancien. Le proc
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 21
326 CHRONIQUE.
v
pectus promet aussi des cartes géographiques et historiques. Ces dernières
seraient particulièrement utiles.
M. FL, PrIMS consacre une étude richement documentée au’ passé de la
paroisse St-George à Anvers (1304-1923). L'auteur insère de nombreux textes
dans son exposé, mais à la fin de chacune des cinq périodes de l’histoire de
la paroisse, il donne une vue d'ensemble très suggestive. Des résumés publiés
en manchettes et des tables alphabétiques très détaillées faciliteront les
recherches et aideront à retrouver les renseignements très variés, publiés
dans le volume (Geschiedenis der Sint-Joriskerk te Antwerpen. Anvers, 1924.
In-8, 518 p., illustr.). R. Mare.
— La Commission pour la publication des œuvres des grands écrivains du
pays, annexée à la classe des lettres de l’Académie royale de Belgique, vient
de changer son titre et d'élargir le cadre de ses publications. Elle s’appellera
désormais : Commission des anciens auteurs belges ; elle n’éditera plus des
œuvres en langue française que « pour autant qu’elles constituent des monu-
ments littéraires ou des productions relevant du domaine de la philologie
romane » ; d'autre part, la Commission s’occupera des écrits de « nos pen-
seurs, érudits, philosophes, jurisconsultes, philologues et lettrés. » Seront
publiés prochainement : Luxemburgensia sive Luxemburgum romanum d'Alex.
Wiltheim (1604-1684) par M. J. WALTzING, puis la Correspondance de Nicolas
Cleynaerts, l’épistolier bien connu du début du xvie siècle, par M. A.
RozrscH. Notons encore que M. Bidez et M. de Wulf préparent l'édition des
œuvres du dominicain flamand du xrite siècle, Guillaume de Moerbeke.
M. P. Thomas a été nommé en 1923 président de la nouvelle commission,
et M. A. Rocrsch, secrétaire. H. N.
— La Terre Wallonne, revue mensuelle fondée en 1920. publie régulière-
ment une chronique d'histoire fort intéressante, rédigée par notre collabo-
rateur M. l'abbé Fr. Baix, et où sont recensées toutes les publications rela-
tives au passé des provinces wallonnes de Belgique.
États-Unis d'Amérique. — Dans son livre : Origin and evolution of
religion (New Haven, Yale university press, 1923. 370 p. D. 3), M. Hopxixs
E. WasHBurN, qui est un maître dans l’histoire des religions de l'Inde, a
voulu exposer sommairement la discussion et la solution de problèmes
aussi complexes que ceux du rite, du sacrifice, du sacerdoce, de la mytho-
logie, de la morale et du culte. Son livre est bourré, — trop bourré, — de
renseignements d’ailleurs très précieux. Le point de vue est strictement
évolutionniste : l'homme étant parti « d’un stade infra-sauvage », on cherche,
par la préhistoire, l’histoire et l’ethnologie, à définir la forme et la loi de son
développement. Malgré le radicalisme de cette méthode, l'ouvrage marque
un immense progrès non seulement sur les fantaisies de J. M. Robertson ou de
S. Reinach, mais sur Tylor, Frazer, Durkheim ou Lévy-Bruhl. Les explica-
tions simplistes sont très proprement rejetées, p. ex. : le prélogique chez les
sauvages (p. 11), l’origine religieuse de tous les usages sociaux (p. 191) ou de
l’ascétisme (p. 158), la réduction du sacrifice à un seul type primitif (p. x71),
l’origine érotique de la religion (p. 105) ou son explication par la crainte
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUÉ. 327
(p. 93), la croix dérivée du svastika ou du triskélion (p. 45), l'influence de la
Trimourti hindouiste ou de la Triade bouddhiste sur la Trinité chrétienne
(p. 334 sv.). Les conclusions sont en général modérées et largement compré-
hensives. La documentation est excellente. Une erreur assez grosse sur
S. Thomas d'Aquin, qui n’aurait connu qu’une morale « surnaturelle »
(p. 267) ; une équivoque au sujet de l’idolâtrie, qui est l’adoration de l’objet
matériel (p. 21) et qui ne l’est pourtant jamais (p. 13); quelques affirmations
très contestables sur l’origine de la Trinité chrétienne, et l'absence, — déso-
lante, — d’une bibliographie : ce sont des défauts qu’une seconde édition
pourra supprimer. P. CHARLES, S. J.
— Dans la Harvard theological review, 1923, t. IV, p. 396 svv., le Dr KirsoPP
LakE communique une note intéressante sur le codex Par. 469, qui contient
probablement le texte original de la Demonstratio evangelica d'Eusèbe. Au
xvirie siècle, Fabricius avait encore consulté ce ms et en avait même com-
piété le texte, — il est mutilé au commencement et à la fin, — par des copies,
notamment par le codex Bononianus 3644 et le codex Maurocordati. Or,
depuis cette époque, on ne possédait plus aucun renseignement sur ce codex.
C’est au monastère de Vatopédi, au Mont Athos, qu’on vient maintenant de
le retrouver. Le Dr Lake reprend ce détail au catalogue des mss grecs de
Vatopédi, qu’un moine de ce monastère, Sophrone Eustratiades, ex-arche-
véque de Leontopolis, va publier bientôt dans la collection des Harvard
theological studies.
The catholic historical review (1924, t. II) donne, d’après le Census of
fifteenth century books owned in America publié en 1919 par la Public library
de New-York, quelques renseignements sur le nombre des incunables que
possèdent actuellement les bibliothèques des États-Unis et du Canada. La
liste complète comprend 13.548 exemplaires et 6.516 titres. Elle renferme
38 ouvrages dont la provenance reste jusqu’à présent inconnue. Parmi les
doubles, elle signale 80 exemplaires du Liber Chronicorum, imprimé par
Hartmann Schedel à Gutenberg en 1493, 16 ex. des Opuscula Sancti Hiero-
rymi, de l’édition d'Augsbourg de 1473, 12 ex. de la bible latine, parue à Bâle
le 27 octobre 1495. Les principales collections sont celles de Henry Waiters
de Baltimore (1257 ex.), de la Free Library de Philadelphie (525 ex.), de la
Public Library de New-York (344 ex.) de l’Union theological seminary
(336 ex.) et de la Harvard university library (257 ex.). Une partie de ces
incunables ont appartenu autrefois aux bibliothèques privées de Sixte V, de
Pie VI et de Léon XII.
Signalons quelques ouvrages parus récemment touchant l'histoire des
missions catholiques : x) India and its missions (New-York, Macmillan, 1923.
221 p.). Dans ce volume, les capucins de Cumberland Md. retracent l’histoire
ecclésiastique de l’Inde et le récit des efforts des Franciscains et Dominicains
pour convertir ce pays. 2) La société américaine des missions catholiques
étrangères (The catholic Foreign Mission Society of America), établie à
Maryknoll N. Y., a publié la vie du Père Price, un des missionnaires améri-
cains les plus populaires surtout dans les Etats du Sud : Father Price of Mary-
kno!l (New-York, Macmillan, 1923. xv-92 p.). Avec le Père James Antoine
Walsch, Price a été le fondateur de la Société ci-dessus mentionnée, et
328 CHRONIQUE.
l'organisateur d'une mission catholique américaine en Chine. 3) Le Rev.
EpouarpD J. Mannix s'occupe du mouvement qui se dessine en Amérique en
faveur du catholicisme dans : The American Convert Movement (New-York,
Devin, 1923, 150 p.). Il y insiste tout particulièrement sur les caractéristiques
des conversions américaines. 4) À l’histoire du catholicisme américain se
rapporte aussi l’ouvrage de MauD MonaHax : Life and letters of Janet Erskine
Stuart, Superior general of the society of the Sacred Heart (1851-1914) (New-
York, Longmans, 1923. 517 p.)
Aux États-Unis d'Amérique, les pasteurs et savants anglicans ont en
général résisté au mouvement moderniste. Il n’en a pas été de même en
Angleterre où plusieurs théologiens de l'Église officielle ont appliqué aux
doctrines de la foi chrétienne les principes du latitudinarianism et de la Broad
Church. Sur le récent mouvement doctrinal du modernisme anglican, outre
un excellent article du Dr $S. P. DELANY, directeur de l'American Church
Monthly, dans le mème revue : Modernism and the Creeds (Février, x924,
p. 439-447), nous avons des ouvrages qui nous renscignent parfaitement.
Citons avant tout le volume du Rev. Wizrrep L. KNox : The catholic move-
ment in the Church of England (Londres, Allan, 1923). L'auteur y retrace
d’abord les origines de l’idée catholique au moyen âge et l’influence exercée
par la Réforme sur l'Église d'Angleterre. À son avis, le catholicisme a sur-
vécu dans son Église, mais il a été obscurci au xvirie siècle, puis a été ressus-
cité par le mouvement d'Oxford. La partie la plus importante du volume est
celle où l’auteur précise l'attitude de l'Église anglicane en face des autres
Églises chrétiennes, la mesure dans laquelle l'idéc catholique a été conservée
dans l’anglicanisme moderne, et les buts que se propose l’anglo-catholicisme.
Il dévoile et critique le modernisme qui détruit les fondements historiques
du christianisme et relègue celui-ci dans la sphère de la mythologie. Au
moment où les conversations de Malines ont soulevé des polémiques dans le
monde entier, il est utile de connaître par ce livre la pensée théologique
anglicane et ses courants opposés.
C'est aussi à l'étude du modernisme que s'attache l'ouvrage du Dr Gaivs
GLENSIN ATKINS : Modern religious cults und movements (New-York, Revell,
1923. 359 p.), où est examinée l'influence dissolvante exercée par certaine
science et critique moderne au sein du catholicisme et des Églises protes-
tantes conservatrices. Le Dr Atkins cst d’avis que c'est le protestantisme qui
aeule plus à souffrir de cette poussée du rationalisme, et que « la doctrine
de l'évolution et de l’hypercritique biblique a affaibli le fondement de l'arche
protestante ». La dissolution du protestantisme forme la masse où germent
des aberrations religieuses comme la Christian Science et la théosophie.
Le même sujet, l'anglo-catholicisme, est aussi traité dans un petit
ouvrage du Rev. F. WoopLocx, S. J. : Constantinople, Canterbury and Rome
(Londres, Longmans, 1923. 88 p.). L'auteur s’y attache à réfuter la théorie
de l'Église exposée par l’évéque Gore, mais discute aussi les points fonda-
mentaux et les lacunes de l’anglo-catholicisme. Le petit volume a un carac-
tère de vulgarisation, et offre des inexactitudes qui ont été relevées par le
Dr CHARLES À. BECKERMAN, O. S A., dans The Catholic Historical Review
(1924, t. LL, p. 619-620).
Décès. — Le 27 septembre 1923 est mort, à Dobbs Ferry, le Rev. Dr Jonn
Tazuor Suit, fondateur de J'he catholic review. L'histoire de l'Église lui
FRANCE, 329
doit trois volumes sur ke développement du catholicisme dans ie diocèse de
New-York, des études sur les séminaires américains et un grand nombre
d'articles de revues.
Le 19 novembre 1923 est mort, à Villanova, le P. Tomas C. MIDDLETON,
0. S. AÀ., n6 à Chestnut Hill Pa., le 30 mars 1843. Premier président de
l'American catholic historical society (1884-3890), il était un des historiens
les plus versés dans la connaissance de son Ordre. On a de lui une histoire
des Augustins en Amérique et un grand nombre de brochures et d'articles
touchant l'Église catholique-aux États-Unis. A. PALMIER.
France. — Les « Amitiés Spirituelles » (protestantes) ont leurs conférences,
leur organe mensuel, leur bibliothèque. Dans celle-ci ont paru, à côté des tra-
vaux mystiques de Sédir : Le sermon sur la Montagne, Essai sur le Cantique
des Cantiques, La guerre de 1914 selon le point de vue mystique, Les sept
jardins mystiques, L'énergie ascétique, Quelques amis de Dieu, Les forces
mystiques et la conduite de la vie, quelques études plus positives et plus
sér'euses dues à la plume d'Emile Besson, comme la traduction de la
Didachè avec commentaire et notes explicatives, et Les Logia agrapha,
Paroles du Christ qui ne se trouvent pas dans les Évangiles Canoniques
(Bihorel-lez-Rouen, Legrand, 1923. In-8, 188 p. Prix : 7 fr.). C’est la première
fois que sont réunies en volume à l'intention du grand public de langue
française les paroles extra-canoniques attribuées à Jésus. L'œuvre ne
manque ni d'utilité, ni d'intérêt. Nous regrettons qu’elle s'ouvre par une
préface grandiloquente de Sédir, qui ne lui convient nullement, et qui rend
de nouveau un son étrange de vague et faux mysticisme. Qu'on en juge :
« Ces discours du Christ perdus dans les légendes orales (?) ou écrites du
christianisme primitif n’apportent rien À la foule que les textes canoniques
ne lui aient déjà offert ; scule une phalange de disciples spécialisés dans la
tension contemplative apercevrait dans ces Agrapha des lueurs soudaines et
rapides, de ces grands éclairs qui, dans l’insondable nuit de la foi, illuminent
les paysages invisibles et découvrent au voyageur étendu sur le bord du
chemin l’immensité décourageante des espaces encore à parcourir. De tels
spectacles ne sont faits que pour les « soldats », pour ceux d’entre lcs chré-
tiens qui ne connaissent plus la peur ni la fatigue, qu'aucun échec ne peut
plus rebuter, aux cœurs desquels l’appât d'aucune récompense n’'ajoute
d’énergie. » Cette phraséologie n’est pas celle de M. Besson, et ce jugement
sur les agrapha n'est pas non plus le sien. Il adopte plutôt, dans sa con-
clusion (p. 141), l'appréciation de M. Mangenot : Ils n’ont en somme qu’une
valeur secondaire ; ils « n’apportent aucun élément nouveau à l’histoire de
Jésus et ils ajoutent peu à la doctrine du Maître ». Nos quatre Evangi'es
renferment tout ce que nous avons besoin de connaître et depuis deux
mille ans l’humanité n’a pas exploré la millième partie des richesses qu'ils
contiennent. Et quelle cst cette fameuse tradition dont parle Sédir (p. 12),
transmise de bouche à oreille depuis S. Jean et qui e affirme que le texte
primitif des Évangiles était beaucoup plus complet et que assez vite, on en
a fait disparaître tout ce qui concernait les devoirs spéciaux des gouvernants
<t des puissants » ? Mais revenons aux agrapha. M. Besson nous en donne,
ea bonne traduction française, toute une série qu’il répartit sous les rubriques
suivantes : agrapha conservés dans le canon du N.T.; provenant de manu-
scrits du N. T.; conservés dans les évangiles et les actes apocryphes, dans
330 CHRONIQUE.
le Talmud, dans les écrits des Pères. Deux annexes intéressantes parlent du
Christ dans le Talmud et dans la tradition musulmane. L'introduction, après
une bonne bibliographie relative aux agrapha, rappelle quelques considéra-
tions très générales sur le gnosticisme, la formation du canon et les évan-
giles apocryphes. Il y aurait ici beaucoup de choses à mettre au point. La
distinction entre l’évangile des Nazaréens et l’évangile selon les Hébreux
ne nous paraît pas fondée. L'interprétation des agrapha est souvent obscure,
dit-on, parce qu’ils nous sont transmis la plupart du temps par les Pères
d’une façon toute isolée, sans contexte. Nous voulons bien ; mais si l’exégèse
des paroles canoniques est moins difficile, est-ce toujours parce que celles-ci
se trouvent dans le cadre où elles ont été prononcées ? L'auteur nous dit
très clairement aussi ce qu’il a voulu faire. Son travail ne s'adresse pas aux
professionnels de la critique et de l’exégèse. Il a voulu recueillir, à l'inten-
tion de tous ceux qu'’intéressent les questions évangéliques, les paroles
attribuées au Seigneur que nous ont conservées certains manuscrits des
Évangiles ou certaines citations des Pères. Il a laissé de côté, avec raison,
les simples variantes des paroles évangéliques, les citations faites de
mémoire ct attribuées par erreur au Christ, les paraphrases homilétiques des
paroles de Jésus, les parallèles aux textes canoniques résumés ou développés,
certaines leçons intéressantes qui manquent dans les mss les plus autorisés,
mais que les lecteurs pourront trouver dans les éditions courantes du
Nouveau Testament. Malgré ces éliminations, M. Besson conserve encore
comme historiques 68 paroles attribuées au Christ, sans parler des frag-
ments conservés dans les manuscrits d'Oxyrhynchos qu’il rapporte, mais
sur l'authenticité desquels il ne se prononce pas. Nous lui savons gré d’avoir
rassemblé tous ces agrapha, mais nous serions beaucoup plus réservé sur
la question d’historicité. Il nous paraît certain que beaucoup de ces logia
ne sont que des déformations de paroles canoniques. Fabricius n’en conser-
vait que 16 qu'il pensait avoir été réellement prononcés par le Christ; Ropes
ct Harnack, 14; Jacquier, 13. Quel est d’ailleurs le critère d'historicité ? Il a
fallu se rendre compte, dit M. Besson, de la véracité de l’auteur qui fait la
citation, de la valeur de l’écrit où elle se trouve, des modifications que subit
la parole citée lorsqu'elle est reproduite par plusieurs auteurs, de la parenté
de forme et de fond entre ces agrapha et les paroles des évangiles cano-
niques (p. 29). La méthode paraît bonne, mais nous craignons qu'on n'y ait
pas toujours été fidèle, et qu’on ne lui ait préféré assez souvent la méthode
subjective du protestantisme. M. Besson n'avoue-t-il pas (p. 30) que le seul
critérium qui permette de décider est l’impression toute personnelle que
laisse dans l'esprit la méditation de l'Évangile ? En partant de ce principe, on
ne s'étonnera pas trop de rencontrer parmi les agrapha historiques (p. 134)
l'antienne du Magnificat des secondes vépres du commun des apôtres : Estote
fortes in bello et pugnate cum antiquo serpente et accipietis regnum aeter-
num. Cette parole est d’ailleurs attribuée au Seigneur dans les Old english
Homilies du xrie ou du Xirie siècle et dans le Play of the Sacrament, miracle
datant de la seconde moitié du xve siècle. É. Togac.
— À vraidire, le livre de M. J. Born, L'apologétique par le Christ (Avignon,
Aubanel, 1923. In-16, XXxI-419 p.) ne se rapporte pas directement aux études
historiques qui font l’objet de cette Revue. Mais nous tenons à le signaler,
en raison du point de vue où son auteur s’est placé et de la manière même
FRANCE, 831
avec laquelle il a traité son sujet. Il entend « présenter une apologétique par
la personne du Christ et. marquer la place réelle de cette divine per-
sonne dans la démonstration chrétienne ». Par là, bien que son exposé ne
diffère pas sensiblement de ce qu’on lit dans les œuvres du genre, il révèle
un souci profond de rattacher plus intimement l’apologétique chrétienne à
ses sources. Tout le long de son ouvrage, l'auteur se préoccupe de ce qui a
été écrit sur la matière : il a dépouillé une littérature abondante et assez bien
choisie; sa façon de citer ses auteurs prête encore çà et là à la critique. Mais
on ne peut lui contester le vif désir de donner une base scientifique sérieuse
à sa démonstration. On a le sentiment qu'il veut renouveler la manière de
traiter le sujet. C’est un exemple à côté de tant d’autres de l'influence prise
par les études historiques sur ceux-là mêmes que leurs préoccupations et
leurs travaux semblaient mettre en dehors de cette emprise. Je ne veux pas
dire que l’effort tenté par l'écrivain ait plein succès, Obligé de tenir ses infor-
mations de seconde main, il ne se rend pas toujours un compte exact de la
portée des opinions qu’il relève; il ne voit pas toujours le point précis où
porte la discussion ; il ne saisit pas le nœud des difficultés rencontrées sur son
chemin. Il lui arrive de passer à côté des questions ardues et de se rendre la
victoire trop facile. Quoi qu’il en soit, nous rendons volontiers hommage à
ses intentions, à ses efforts et aux résultats mêmes de son entreprise.
J. FLAMION.
— La Bibliothèque du XVe siècle (t. XXXIX) vient de s'enrichir d’un beau
volume qui intéresse de près les historiens de la littérature ecclésiastique et
des mœurs chrétiennes (Sermons choisis de Michel Menot, 1508-1518. Nouv.
édit. précédée d’une introduction par M. Josepx NÈveE. Paris, Champion,
1924. LXXVI-534 p.). L'étude et l’édition sont dignes de la renommée de
l’éloquent Cordelier. Les trois Carêmes de Tours et de Paris n'ont pas été
reproduits en entier dans ce volume; très judicieusement, l'éditeur a fait un
choix et nous donne environ la moitié de l’œuvre de Menot. Mais au lieu de
s’en tenir, comme jadis Nicéron, d’Artigny, etc., aux extraits grotesques ou
macaroniques, — sur lesquels on a trop longtemps jugé Menot, comme le
regrettait G. Paris, — M. Nève a eu soin de puiser dans l’ensemble tout ce
qui pouvait nous permettre de juger objectivement les qualités et les défauts
de l’exubérant orateur, soit 38 sermons complets, 17 premières ou deuxièmes
parties de sermons et une cinquantaine d’extraits. Une fort substantielle
introduction passe en revue la biographie du grand Cordelier, sa place dans
l’histoire littéraire, son genre oratoire, ses connaissances, la transmission de
ses sermons, l'établissement du texte dans cette nouvelle édition d’après les
imprimés de 1526, etc. ; il faut y signaler spécialement l’instructif chapitre,
succinct mais judicieux, sur la langue employée dans la prédication. La liste
des proverbes mentionnés par Menot, bon nombre de notes et une table
alphabétique fort développée seront accueillies avec plaisir par le philologue,
l'historien ou le théologien. L'on ne peut que remercier l'éditeur de nous
avoir donné dans cet érudit volume le fruit de ses loisirs forcés des sombres
journées de 1915-1918. J. DE GHELLINCK, S. J.
— La grande impulsion donnée à l’œuvre des Missions étrangères par les
souverains pontifes Benoît XV et Pie XI ramène l'attention sur les premiers
missionnaires, pionniers de la civilisation chrétienne, qui, à la suite des
833 CHRONIQUE.
conguistadores, pénétrèrent dans le Nouveau Monde pour y planter le drapeau
de la foi et de la morale chrétiennes. La Compagnie de Jésus ne tarda pas
d'envoyer des missionnaires qui occupèrent une place d'honneur, dans
l’évangélisation de l'Amérique du Sud, à côté des religieux des anciens
ordres de S. Dominique et de S. François. GABRIEL Lepos (Saint Pierre
Claver (1585-1654). Collection, Les Saints. Paris, 1923) vient d'écrire une
biographie attachante d’un de ces religieux, le P. Claver. Celui-ci n’a pas fait
de grandes choses, aux yeux des hommes, mais il a eu la vertu héroïque de
consacrer sa vie de prêtre et de religieux à l’apostolat des nègres dans la ville
de Carthagène des Indes, grand port d’escale des bâteaux négriers qui y
déversaient leurs cargaisons de noirs à destination de toutes les colonies
espagnoles d'Amérique. Il faut lire cette biographie du P. Claver, documentée
fortement par les pièces originales des procès de béatification et de canonisa-
tion, si l’on veut se faire une idée exacte des conditions matérielles et morales
dans lesquelles vivaient les nègres que la traite arrachait du sol de l’Afrique
ainsi que des difficultés de toute nature qui entouraient l’œuvre de leur évan-
gélisation. A. PASTURE.
— Depuis 1914 est installé au Musée Métropolitain de New-York la galerie
léguée par M. Benjamin Altman (1840-1913), propriétaire d’un négoce de
nouveautés à New-York. « C’est la donation la plus fastueuse qu’ait reçue de
mémoire d'homme vivant aucun muséc. » Elle comprend cinquante tableaux
anciens, dont près de quarante pièces capitales, dûs à des maîtres de toutes
les écoles, des sculptures italiennes et françaises, des émaux peints, des vases
précieux, des cristaux, des tapisseries notamment des tapis persans, des por-
celaines de Chine, bref, un ensemble de chefs-d'œuvre tel, que leur réunion
durant les vingt dernières années de la vie du collectionneur tient du prodige.
Une étude de M. Fr. Moon (La Galerie Altman au Metropolitan Museum de
New-York. Gazette des Beaux-Arts, 1923, 5me pér., t. VIII, p. 179-198 ; 297-312;
367-377 et fig.) fait connaître les peintures, les sculptures et les chefs-d’œuvre
d'art industriel de la collection.
Après la publication de son magistral ouvrage sur l’art lombard (voir
RHE, 1921, t. XVII, p. 973 et suiv.), M. A. KINGSLEY PORTER, servi par une
documentation prodigieuse et de vastes connaissances, a continué ses
travaux sur l’art roman, et vient de publier un ouvrage plus important
encore, ne comprenant pas moins de dix volumes (Romanesque Sculpture on
the pilgrimage roads. Boston, Marshall Jones, 1923. 10 vol. in-8. T. I, Texte,
xXxV11-385 p. ; t. Il, Bourgogne, pl. 1-150; t. III, Toscane, Apulie, pl. 151-261;
t. IV, Aquitaine, pl. 262-512; t. V, Catalogne, Arragon, pl. 512-636; t. VI,
Castille, Asturies, Galice, pl. 637-895 ; t. VII, Ouest de la France, pl. 896-
1138; t. VIII, Auvergne et Dauphiné, pl. 1139-1277 ; t. IX, Provence, pl. 1278-
1410 ;t. X, Ile-de-France, pl. 1411-1527). Si l’on ajoute à ces 1527 planches
les 244 planches publiées précédemment sur l’art lombard, on peut dire que
le savant archéologue américain a fourni sur l’art roman un corpus d'une
richesse inégalée. Pour ce qui concerne la vaste synthèse qu'il tente dans le
volume dec texte, elle adapte à l’ensemble de la sculpture romane la théorie
que l’auteur avait déjà appliquée à la sculpture lombarde, tout en insistant
davantage sur un principe, admis aussi dans une certaine mesure par
M. Mâle, que les chemins des pèlerins sont en quelque sorte des fleuves de
FRANCE. 333
l’art plastique (voir RHE, 1923, t. XIX, p. 420). Toutefois les conclusions de
M. Porter sont souvent à l'extrême opposé de celles des archéologues fran-
çais. D’après lui, grâce à des influences orientales, la sculpture romane se
développe d’abord dans certains centres au début du xre siècle : en Catalogne,
en Lombardie, en Apulie, etc. Elle arrive à un plein développement dans
les monastères bénédictins à la fin du xre siècle, à Silos, à Cluny, etc. Le
sanctuaire de. Saint-Jacques de Compostelle (1078-1124) serait antérieur aux
autres sanctuaires célèbres de la route de S. Jacques : Saint-Sernin de
Toulouse, Sainte-Foy de Conques, Saint-Martial de Limoges. Les maîtres de
Compostelle et de Silos auraient créé « l’école des pèlerinages » et auraient
influencé les sculptures de Souillac, de Moissac, de Conques, et par Conques
celles de l'Auvergne, dont l'école régionale cesserait d’avoir sa raison d’être-
Des théories si nouvelles, soulevant des questions si nombreuses et si
complexes, ne peuvent manquer de susciter d’ardentes discussions. Déjà
M. L. BRÉHIER relève quelques postulats, admis par M. Porter dans son
raisonnement, et sujets à d’expresses réserves (Revue de l’art ancien et
moderne, t. XLV, p. 132). De son côté, M. Pauz DEcHAMPS, qui avait déjà
combattu certaines idées de M. Porter sur la sculpture lombarde, défend la
thèse française sur la priorité de la sculpture du Languedoc et de Moissac et
des églises françaises du type de Saint-Jacques de Compostelle. Son exposé
sur la chronologie des monuments et des œuvres d’art en cause est d’un
grand intérêt et entraînera beaucoup de convictions (Notes sur la sculpture
romane en Languedoc et dans le nord de l'Espagne dans Bulletin monumental,
1923, t. LXXXII, p. 305-351).
Le VIe tome du Répertoire des peintures du moyen âge et de la Renais-
sance (1280-1580) vient de paraître (Paris, Leroux, 1923). Il contient 600 gra-
vures exécutées d’après les habiles dessins de M. ParinE WEBER. Les sujets
mythologiques y occupent une place plus importante que dans les tomes
précédents. Sur les 405 pages une vingtaine sont réservées aux additions et
aux corrections et quatre-vingts aux tables générales de l'ouvrage. L'auteur,
M. S. ReiINAcH, espère publier une édition revue du Répertoire. Il souhaite
qu'un autre reprenne son œuvre, dont le mérite est hautement apprécié,
pour le xvire siècle. L'ouvrage entier ne reproduit pas moins de 6224 pein-
tures (voir RHE, 1922, t. XVIII, p. 618).
L’'importante monographie de la manufacture des gobelins par M.
M. FENAILLE est maintenant terminée. (État général des tapisseries de la
Manufacture des Gobelins, depuis les origines jusqu'à nos jours, 1600-1900.
Paris, Hachette, 1903-1923. 5 vol. texte et un vol. in-fol. de 287 pl.). L’un
après l’autre avaient paru les volumes IT à V, consacrés respectivement à la
manufacture des gobelins (fondée en 1662), durant le xvire, la première et
la seconde partie du xvirre ct le xixe siècle. Le dernier volume à paraître
a été le premier de l’ouvrage, et constitue en quelque sorte une préface
à l'histoire de la grande manufacture française. Celle-ci est déjà ébauchée
sous François Ier à Fontainebleau, puis à Paris, où divers ateliers se
succèdent et où, en 1601, Henri IV attire et installe deux ouvriers flamands :
François van der Plancken et Marc Coomans. C'est sur ces divers ateliers
et leurs produits que le volume qui vient de paraître fournit des renseigne-
ments précis et très complets,
334 CHRONIQUE.
Parmi les « suites » exécutées pour les églises signalons la Vie de la Vierge
d'après les dessins de Philippe de Champaigne. Commandée pour Notre-
Dame de Paris, elle appartient aujourd'hui à la cathédrale de Strasbourg.
Congrès archéologique de France. LXXXIV® session tenue à Limoges en
rg2r par la Société française d'archéologie (Paris, 1923. In-8, 526 et LxIv p.
planches et figures). Ce nouveau volume vient s'ajouter à une série déjà
longue, où l’on pourra trouver bientôt des descriptions et des notices som-
maires sur la plupart des monuments et des œuvres d’art de la France. En
1921, Limoges (Haute-Vienne) et Brive (Corrèze) avaient été choisies par les
membres de la Société française d'archéologie comme centres d’excursions.
Les monuments et objets d’art sont décrits par MM. KR. Fage (cathédrale de
Limoges, S. Yrieix, Le Dorat, S. Junien), Deshoulières (Limoges, La Sou-
terraine, etc.), M. et Mme Banchereau (Moutier d’Ahun, Obasine), et par
d'autres auteurs. Le volume comprend aussi des notices, dans lesquelles feu
M. E. Lefèvre-Pontalis décrit avec sa compétence reconnue les églises de
Bénévent l’Abbaye, de Beaulieu et de Carennac. Une étude sur l'orfèvrerie
émaillée de Limoges est due à M. A. Demartial (p. 430-443). La fin du
volume rend un dernier hommage à M. E. Lefèvre-Pontalis (p. 501-520 et
portrait). KR. M.
— Académie des inscriptions et belles-lettres. — Le 18 janvier, M. Drexc lit
une note de M. BRÉHIER, relative à la cathédrale de Clermont et à une
statue d'or de la Vierge du xe siècle.
Le rer février, une lettre de M. ViRoLLBAUD annonce l'envoi de reproduc-
tions de fresques de l’église d'Abou-Gosh, en Syrie (xtre siècle). — M. TAFRALI
décrit le caractère des fresques qui couvrent les murs extérieurs et intérieurs
des églises de Bukovine, construites à l’époque des princes moldaves aux
xve et xvic siècles. Il mentionne spécialement les scènes de la vie de saint
Jean le Nouveau, patron de la Bukovine, mort martyr au xive siècle, et
l'illustration de l'hymne composé au vire siècle en reconnaissance de la
protection accordée par la Vierge à Byzance, lors du siège de la ville par les
Arabes. Les fresques de Bukovine appartiennent à l’art byzantin. Elles sont
surtout remarquables par la beauté du coloris et par la science du dessin.
Le 7 mars, M. OmonrT parle du don fait à la bibliothèque nationale par
M. Julien Chappé du cartulaire de l’abbaye bénédictine de Saint-Sauveur de
Villeloin, au diocèse de Tours, de la fin du xurre siècle, qui contient 156
chartes, datées de 1085 à 1291
M. DiIeLx étudie certaines peintures de l'église d'Abou-Gosch, près de
Jérusalem, qui présentent un curieux mélange de thèmes byzantins et de
traditions latines et montrent l'influence que les artistes orientaux exercèrent
sur les Latins.
Le 14 mars, M. Homoze donne connaissance d’un mémoire de M. Per-
drizet, relatif à la Petite Thèse de Callot, qui est une eau-forte figurant le
triomphe de la Vierge. La gravure sert de frontispice à une thèse soutenue à
Rome, en 1625, par le cordelier Étienne Didelot, originaire de Nancy, sur la
Vierge Maric.
Académie des sciences morales et politiques. — Le 8 mars, M. FAGNIEZ lit
un chapitre d’un ouvrage sur la femme et la société française dans la pre-
mière moitié du xvrie siècle. Il montre comment la charité privée voulut
alors assister les pauvres en les faisant travailler et en essayant de les mora-
FRANCE. 335
liser. En l’espèce elle agissait sous l'inspiration de la religion. A propos de
l’œuvre de la femme, M. Fagniez caractérise de façon heureuse les fondations
nouvelles qui sont la gloire de saint Vincent de Paul.
Société nationale des antiquaires de France. — Le 13 février, M. Des-
HOULIÈRES annonce qu'on a retrouvé l’église consacrée en 1064, à Souvignv,
au cours de nouvelles fouilles.
M. Mayeux présente des fragments du portail construit À Saint-Pierre-de-
Lagny (Seine-et-Marne), par l'abbé Hugues II (1162-1171), moine de l'abbaye
de Tiron. Hugues ayant appartenu à ce groupe d'artistes qui contribuèrent à
la construction de portails romans du type chartrain, on s’explique aisément
que les restes de ceux de Lagny soient apparentés avec le portail de Saint-
Ayoul de Provins, du type chartrain.
Le 20 février, Mcr BaTirroz montre que l'opinion suivant laquelle le mot
papa n'aurait été employé qu’à partir du début du vire siècle avec le sens
d'évêque de Rome est contraire à un texte du concile de Tolède de 400.
M. MARQUET DB VASSELOT signale un petit lion en cristal de roche, entré
nouvellement au musée du Louvre, et semblable à celui qui fut transformé
en reliquaire, au xive siècle, et qui existe dans le trésor de l’église Sainte-
Ursule à Cologne.
Le 12 mars, M. Mayeux étudie le porche de l'église Sainte-Radegonde de
Serandon (Corrèze), qui date du xrie siècle et qui a des rapports assez curieux
avec celui de Lagraulière (Corrèze) et d’Ydes (Cantal) Il parle ensuite du
chœur à chevet plat de l’église d'Albussac (Corrèze), du xire siècle, remar-
quable par les arcatures À arc en mitre qui alternent avec des arcs en plein
cintre.
M. LAUER expose son opinion relativement à la date et à l’origine de la
tapisserie de Ba yeux.
Mar BaTIFroL appelle l'attention sur certaines détails du chœur de Notre-
Dame de Paris d’après le cérémonial de Sonnet (xvire siècle).
L'Académie d'éducation et d'entr'aide sociales a réparti le legs donné par
M. et Mme Bruwnert entre les Instituts catholiques de Lille et de Paris.
Voici comment ont été instituées les chaires à Paris : une chaire de doctrine,
faits fondamentaux et institutions où M. l’abbé Verpier et le R. P. DAUSET
traitent de l’activité économique et des cas de conscience qu’elle pose ; et le
R. P. DesBuquois de l’action de l’Église sur la société : une chaire d’écono-
mie sociale (titulaire : M. F. LEPELLRTIER); une chaire de droit naturel
(titulaire : M. BERNARD RoLAND-GossELIN); une chaire de sociologie (titu-
laire : M. l'abbé LazLeMENT); une chaire de législation française dans ses
rapports avec l'Eglise et avec les œuvres (titulaire : M. HÉBRARD).
G. MoLLarT.
— Les travaux de restauration de la cathédrale de Reims, dont le sol était
défoncé, permettent à M. Deneux, le consciencieux architecte de l’édifice,
de faire quelques fouilles qui sont l’occasion de découvertes intéressantes.
M. DesHouLi1ÈRESs en donne un aperçu sommaire dans le Bulletin monumental
(1923, t. LXXXIT, p. 400-408). On a notamment pu mettre à nu les restes des
édifices antérieurs à la cathédrale actuelle : la basilique avec crypte con-
struite par saint Nicaise et la cathédrale des archevêques Ebbon, Hincmar
et Adalbéron, des 1xe-xe siècles.
Quelques fragments sculptés sont venus à jour : notamment certains
336 CHRONIQUE.
restes du jûbé commencé en 1417, et vingt-et-un chapiteaux du xrire siècle:
Des tombeaux d’évêques, appartenant en majeure partie au xrie siècle, ont
livré d'’intéressants objets : anneaux, calices, patènes, etc. On sait que l’un
de ces tombeaux renfermait le corps de saint Albert de Louvain, évêque de
Liége (+ 1192), que l'on croyait au couvent des carmélites à Bruxelles depuis
la translation de 1612. — Nous avons signalé antérieurement (RHE, 1922,
t. XVIII, p. 189) la découverte de sculptures dans les fouilles de l'église
Saint-Remi. R. M.
— Sous le patronage de plusieurs cardinaux et évêques français a été
fondé, à Paris, un Office central de librairie et de bibliographie (76 bis, rue des
Saints Pères, VIIe arrondissement), qui a pour but de répandre la connais-
sance du livre catholique. L'office a ouvert un magasin de vente où sont
exposés les ouvrages qui méritent d'être recommandés, non pas sans ordon-
nancement, mais classés par matières. En outre, il publie les Fiches du
Mois (un an : France : 6 fr.; Étranger : 8 fr.), qui font connaître en quelques
lignes les livres nouveaux, en disent les bienfaits, les dangers, les imper-
fections, en toute franchise. Enfin, des Bibliographies analytiques paraîtront
en volumes de 128 pages (2 fr.) On y trouvera des répertoires critiques de la
librairie française concernant les diverses branches des connaissances
humaines. G. MoLLar.
— La faculté de théologie catholique de Strasbourg décernera un prix de
mille francs à l’auteur du meilleur travail sur le sujet suivant : L'attitude de
S. Bernard à l'égard de la dialectique. Les mss devront être adressés, avant le
1er avril 1925, au doyen de la faculté.
— Le premier numéro de la nouvelle Revue d'histoire franciscaine, dirigée
par M. HENRt LEMAITRE, bibliothécaire honoraire de la Bibliothèque natio-
nale (Paris, A. Picard, 1924. In-8, 122 p.) (Cfr RHE. 1924, t. XX, p. 165),
donne la meilleure idée de la façon dont le comité entend réaliser son œuvre,
tant par le caractère sérieux des articles de fond que par la nature approfondie
des recensions critiques. Le moyen âge y occupe naturellement la part pr inci-
pale. Les noms des collaborateurs : P. Sabatier, Ét. Gilson, Cam. Enlart et
U. d’Alençon disent suffisamment la valeur des articles. A noter l’article de
P. SABATIER : Le privilège de la pauvreté (p. 1-64) et le compte rendu
d'Ét. Gilson relatif à Duns Scot. H. N.
— Le tableau des cours de l’université de Strasbourg annonce que M. Paul
Sabatier donnera, dès la rentrée de novembre prochain, un cours public sur
« Saint François et la rénovation religieuse. »
— Nominations, — M. MEeTzGEr a été nommé archiviste du Bas-Rhin.
M. FourNIER, archiviste de la Haute-Loire, a été nommé archiviste du
Puy-de-Dôme, en remplacement de M. RoucHon, admis à la retraite. :
M. FERDINAND Lo, professeur à la Sorbonne, a été élu membre de l’aca-
démie des inscriptions et belles-lettres.
M. Pro RAJNA, professeur à l'université de Florence, a été élu associé
étranger de la même académie.
M. GaLLAND a été nommé professeur de langue et littérature anglaises
à la faculté des lettres de Grenoble.
M. HATZrELD a été nommé professeur de langue et littérature grecques
à la faculté des lettres de Bordeaux.
GRECE. 337
M. BÉNÉDITE, conservateur des antiquités égyptiennes au musée du
Louvre. a été élu membre ordinaire de l’académie des inscriptions et belles-
lettres, et le général GourAuUD, membre libre,
M.CamiLLe JULLIAN a été élu membre de l’Académie française. G. M.
— Dans sa séance du 19 décembre 1923, le Conseil de la Société française
d'archéologie a nommé directeur de la société M. MARCEL AUBERT, en rem-
placement de M. E. Lefèvre-Pontalis. R. M.
— Décès. — M. ERNEST MÉRIMÉE, directeur de la section toulousaine de
l'institut français de Madrid.
M. R&NÉ BASsseT, correspondant de l'académie des inscriptions et belles-
lettres, doyen de la faculté des lettres d'Alger.
M. SaAMUEL CHABERT, doyen de la faculté des lettres de Grenoble.
Mor Beer, président de la société archéologique de la Drôme, auteur
de divers livres : Histoire de Tain (Paris, 1900); Vie du cardinal Le Camus
(Paris, 1902) ; Origines de l'Église de France (Paris, 1892). G. M.
Grèce. — Jusqu'à présent, nous ne possédions pas encore une histoire
scientifique de la littérature néohellénique. En effet, ni la remarquable
bibliographie hellénique en neuf volumes d'Ém. Legrand, ni les nombreux
recueils biographiques comme ceux de Sathas, N. Politis, A. P. Vretos,
À. Dimitrakopoulos, N. Katramis, A. Moustoxides, ne nous présentent les
caractéristiques et l’évolution interne des lettres helléniques à l’époque
moderne. D'autre part, l’histoire de la littérature néohellénique offre un
vif intérêt tant au point de vue religieux qu’au point de vue national. Elle
montre comment, de la chute de Constantinople à la fin du xvirre siècle,
toute l’activité littéraire a été concentrée dans les monastères et autour du
patriarcat de Constantinople. Elle prouve aussi que le clergé grec a non
seulement sauvé la nationalité et la foi chrétienne de son peuple, mais qu’il
a aussi préparé sa renaissance intellectuelle. L'histoire de la littérature
néohellénique que M. Ezras P. VouTIÉRIDES se propose de publier, comblera
donc une véritable lacune. Son premier volume constitue en quelque sorte
une introduction (‘Ioropix ms veoshAmuxñs Âvyor:yvias «no T@y éco
Too IE’ aiwvec DEYPL TOY VEOTATOY YOOVOY LET ELTayW YA TEpi TÉs
Bravrus Aoyoteyvias. I. Athènes, Zikaki, 1924. 112 p.) : successivement
il y expose le plan de son entreprise, étudie la continuation de la tradition
classique dans la littérature byzantine, relève les particularités linguistiques
et littéraires de la poésie grecque des xvie-xvrie siècles. Remarquons que
l’auteur divise l’histoire de la littérature néohellénique en trois périodes : la
première qui va de 1453 à 1800 ; la deuxième qui comprend les années de
1800 à 1880 ; la troisième qui commence à cette dernière date et va presque
jusqu'à nos jours.
Dans sa brochure [lsci yaperos T@v motvoy r@v xArptxy (Athènes,
1923. 26 p.), À. ALIVIZATOS, professeur à l'université d'Athènes, combat la
théorie qui attribue au pouvoir civil le droit de restituer dans ses tonctions
sacerdotales un prêtre excommunié ou suspendu par le pouvoir ecclésiastique.
Il s'appuie sur les canons des conciles œcuméniques et sur les décisions
récentes de l'Église grecque. À. PALMIERI,
338 | CHRONIQUE.
Hongrie. — La plaquette d'A. PATAKY, La Jérusalem biblique à la lumière
des fouilles [A bibliai Jeruzsälem az âsatäsok megvilâgitäsäban|. Ile partie *
Histoire des fouilles aux xixe-xxe siècles (Budapest, Édit. de l'Acad. Saint-
Étienne, 1924. 47 p.) a pour but de faire connaître les progrès de l’archéologie
biblique et de faciliter l’intelligence de l’Écriture sainte.
Dans l'ouvrage intitulé : L'année de la nativité du Christ et l'ère chrétienne
[Krisztus születésének éve és a keresztény idôszämitäs] (Budapest, Édit. de
la Soc. Saint-Étienne, 1922. 243 p.) Mgr ÉT. SzÉKkELY, professeur d'exégèse du
N. T. à l’université de Budapest, cherche d’abord à fixer la date de la nais-
sance de Notre-Seigneur. Dans ce but, il examine successivement les indica-
tions chronologiques fournies soit par L Évangile soit par les sources profanes,
archéologiques ou littéraires (p. 8-160). Voici ses conclusions : Hérode ayant
été roi de Palestine de 714 au printemps 750 « ab Urbe condita », le Christ est
né pendant l’hiver 749. Les documents mentionnent trois recensements .
le règne d'Auguste : en 726, en 746 et en 767 (monument d’Ancyre). Le
recensement dont parle l'Évangile, est donc celui qui commença en 746.
Dans la seconde partie de son ouvrage, Mgr Székely traite des différentes
ères chrétiennes et des calendriers.
Les mouvements communistes qui s'étaient produits en Hongrie en 1919.
avaient suggéré à M. l’abbé Epaar ARTNER l'idée d'exposer Le communisme
de l'ancienne Église [Az ôsegyhaz kommunizmusa] (Budapest, 1923, 236 p.).
Limitant son enquête aux deux premiers siècles de notre ère, il décrit les
nouvelles tendances sociales, introduites par le christianisme, On sait que les
premiers chrétiens de Jérusalem, appliquant à la lettre certains conseils
évangéliques, avaient mis leurs biens en commun. Plus tard, des hérétiques
voulurent imposer le communisme à l’Église : mais leurs tentatives n’ont
guère eu de succès.
M. L. BaBurA, directeur du séminaire central de Budapest, a composé
une Vie de S. Augustin [Szent Agostin életo| (Budapest, Soc. Saint- Étienne,
1924. 150 p.). C'est un travail à but ascétique.
G. BaLanvi, L'histoire de la vie monastique [A szerzetcsség torténete].
Budapest, Soc. Saint-Étienne, 1923. 280 p. Sans s'attacher à un ordre religieux
particulier, l’auteur brosse à larges traits l’histoire de la vie monastique
chrétienne. Il rejette la théorie d'après laquelle les premiers ermites et
cénobites chrétiens auraient imité des ascètes juifs ou paiens et ne se seraient
pas uniquement inspirés des conseils évangéliques. Il fait connaître les grands
fondateurs du monachisme en Orient et en Occident et insiste sur les carac-
téristiques que présente chacun d'eux. Il montre le rôle prépondérant joué
par les moines dans l’expansion et la défense du christianisme et leur apport
considérable à la civilisation.
L'histoire des croisades [A keresztes hadjäratok tôrténete] (Budapest,
Soc. Saint-Étienne, 1924. 153 P.) par ANTOINE ALDAsY est destinée au grand
public. Elle présente, d’après l’ordre chronologique, un récit attachant et
impartial de ces grandes expéditions chrétiennes en Orient.
La dynastie des Anjou a donné à la Hongrie deux grands rois : Charles-
Robert (1308-1342), qui restaura l'ordre intérieur en Hongrie, et son fils
Louis Ier le Grand (1342-1382), qui étendit considérablement les frontières de
HONGRIE. 339
$on pays et le protégea victorieusement contre les premières attaques des
Turcs. Sur le règne des Anjou en Hongrie et particulièrement sur celui de
ces deux rois, M. Ér. MiskoLczy a publié un ouvrage fort remarquable : La
Hongrie sous la dynastie des Anjou [Magyarorszäg az Anjouk koräban|.
Budapest, Soc. Saint-Étienne, 1923.
La personne et le pontificat de S. Célestin V ont été et sont encore très
discutés, Dans son ouvrage intitulé : L'élection du pape Célestin V [V.Coelestin
pépa vâlasztäsa| (Budapest, Soc. Saint-Étienne, 1922, 87 p.), M. FR. PATEK
retrace la situation troublée de l’Église à la fin du xrrie siècle et les circon-
stances politiques qui amenèrent l'élection de ce pape. Étude méthodique-
ment conduite et approfondie, qui constitue pour les lecteurs hongrois une
nouveauté.
LeR. P. C. Bôze, O. P , La bienheureuse Marguerite de Hongrie [Arpäd-
hâzi boldog Margit] (Budapest, Couvent des Frères Prêcheurs, 1923. 192 p.).
La bienheureuse Marguerite, fille du roi Béla IV, est très honorée du peuple
hongrois. Morte à l’âge de 28 ans au couvent des dominicaines, elle a laissé
une grande réputation de sainteté. Dans l'ouvrage cité, le P. Bôle a recueilli
tout ce que les sources nous apprennent sur la vie et les vertus de la bien-
heureuse.
Une histoire complète des franciscains en Hongrie nous est donnée par
Mgr Jean KaRacsonvi, L'histoire de l'ordre de S. François en Hongrie
jusqu'en 1711 [Szent Ferenc rendjcnék tôrténete Magyarorszägon 1711-ig].
T. IL. (Budapest, Académie des sciences, 1923. 562 p.). L'auteur y détruit la
légende d’après laquelle S. François aurait personnellement visité la Hongrie.
Les premiers franciscains n’y arrivèrent qu’en 1229 et ils établirent, en 1233,
une custodie à Esztergom. En 1238, ils se séparèrent de leurs confrères
d'Allemagne et fondèrent une province indépendante (Provincia Mariana).
Les progrès réalisés aux x1r1e-xrve siècles (en 1316, ils comptaient 43 maisons)
n'eurent guère longue durée : les difficultés intérieures d’abord, résolues
en partie au concile d’Eger en 1454, ensuite les dévastations de la Hongrie
par les Turcs, enfin de nouvelles luttes intestines terminées en 1689, empê-
chèrent l’ordre de prendre de l'essor et ruinèrent même en partie l’œuvre
des devanciers. En dehors de la provincia Mariana s’était constituée, dès
1339, une provincia Salvatoris qui s’étendait à la Bosnie et aux pays voisins.
Les religieux de cette province se sont distingués dans la lutte contre les
bogomils et les schismatiques de Bulgarie et de Roumanie. Ils se déclarèrent
pius tard de l’observance et s’établirent, comme tels, en Hongrie. Au
XvIt siècle, ils comptaient 70 maisons et 1500 membres. Les troubles politiques
de cette époque les réduisirent considérablement : à la fin du siècle, la
province ne possédait plus que 5 maisons et 30 religieux. Au xvrre siècle, la
prospérité revint quelque peu : en 1690, le nombre des couvents s'éleva à 21.
Evu. BôLzcskEy, La vie de S. Jean Capistran [Capistranéi szent Jänos
élete]. T. I. Székesfehérvär, 1923. 614 p. S. Capistran appartient particuliè-
rement à l’histoire de la Hongrie. En effet, il a joué un rôle considérable à
l'époque des guerres du grand Jean Hunyadi contre les Turcs. L'ouvrage de
M. Bôlcskey sera donc bienvenu chez nous. Le premier volume raconte la
jeunesse du saint, ses luttes en faveur de l’observance, ses missions en Italie,
en Autriche, en Allemagne et en Pologne, enfin ses travaux de réforme,
340 CHRONIQUE.
Le R. P. L. Tomcsanyi, S. J., reprend dans son ouvrage : La maison de
Lorette [A loretoi szent h4z] (Budapest, 1923. 121 p.) la thèse, qu'il a déjà
développée plusieurs fois, de l’historicité de la translation de la maison de
Lorette. À. PATAKY.
— La revue historique Sz4zadok. À magyar tôrténelmi térsulat küziünye
(Revue de la Société historique hongroise), renferme un important article
sur : La douloureuse chronique de Hongrie, de l'historien hongrois du
xvue siècle, JEAN SzALARDI : Szélardi Jänos es Siralmas krônikäja par le
Dr D. HorAATH (Budapest, t. LVII, 1923, p. 94-122). Szalardi (1601-1666),
d’abord archiviste à Carisbourg, puis sous-secrétaire des princes Georges
Râkéczi Ir et II, composa cette œuvre destinée à ses contemporains ; mais
elle ne fut publiée qu'en 1853 par S. Kemény. Cette chronique présente ce
double intérêt qu'elle est le premier document littéraire écrit en langue
hongroise et qu’elle reflète d’une façon saisissante les abus de la société
hongroise au xvire siècle. Peut-être l’auteur, âme profondément religieuse
et ardemment patriotique, assombrit-il trop les couleurs du tableau. Il
s'attaque surtout à l’orgueil, à l’ivrognerie, aux discordes nationales. Le
point de vue religieux prédomine dans ses descriptions. H. N.
— À. PiGLER, L'église Saint-Ignace à Gyür et ses fresques [A gyôri szent
Ignäâc templom és mennyezetképei| Budapest, 1923. 83 p. 16 pl. Cette église,
appartenant actuellement aux bénédictins, fut construite en style baroque par
les PP. Jésuites en 1641. Elle est ornée de fresques exécutées par Troger, en
imitation de celles de Bernini ; la fresque représentant l’Annonciation est
particulièrement remarquable.
En 1623, le cardinal Pierre Päzmäny, primat de Hongrie, fonda à Vienne
un séminaire hongrois qui porte encore aujourd’hui le nom de Pazmaneum.
A l’occasion du troisième centenaire de cette fondation, Mgr G. FRAKNôI
vient d’en publier l’histoire (La fondation de l'institut P4zmäny à Vienne | A
bécsi P4zmäny-intezet megalapitäsa]. Budapest, 1923. 67 p.). Il y fait con-
naitre le but de cet institut ct les soins que lui prodigua P4zmäny. Les lettres
que celui-ci adressa au recteur du Pazmaneum, de 1624 à 1636, sont repro-
duites cn annexe. À. PATAKY.
— Le bulletin de la revue bibliographique hongroise (Magyar Kôünyus-
zemle), édité à Budapest par le Musée national hongrois, contient, pour
l'année 1923 (t. XXX) une série d'articles intéressant nos études (chaque
volume donne à la fin des résumés étendus en français ou en allemand (p. r*-
28*). Nous en signalons quelques-uns des plus marquants : Dr J Vécx, La
bibliothèque épiscopale à Siümeg (p. 22-26). Cette bibliothèque fut construite
en 1752 par Martin Biré, évêque de Veszprem ; elle était remarquable par
ses armoires richement ornées et garnies de mss. orientaux et de précieuses
reliures italiennes des xve et xve siècles. — Dr P. Guzyas, Le sort du livre
en Hongrie des temps les plus reculés jusqu'à nos jours (p. 27-94; 176-199),
article important pour la paléographie hongroise (influence des abbayes
bénédictines), la bibliographie (bibliothèques de monastères et de cathédrales)
et l'histoire littéraire. — Dr J. Hozus, L'éducation professionelle des biblio-
thécaires et archivistes (p. 95-110). Cette éducation doit être historique, com-
plétée par des études juridiques. — Dr C. p'Isoz, Un gloria en notation
musicale bilingue à la bibliothèque du Musée Nat. hongrois (p. 161-169), gloria
t'ALIÉ. 341
d'un missel du xne siècle, avec des neumes allemands et notation alpha
bétique. Présente de frappantes ressemblances avec celui d'Einsiedeln. —
Dr EuuA BARTONIEK, À propos d'un ms. de la bibliothèque Széchényt [à
Budapest] (p. 200-204). Il s’agit du ms. Cod. lat. Med. aevi 317, du xve siècle,
ou du pontifical qui servait à l’archevêque d'Esztergom lors du sacre des
rois de Hongrie au moyen âge.
Ea 1921, les nombreux intellectuels italiens habitant la Hongrie se sont
groupés, à Budapest, sous le nom : Società ungherese-italiana Mattia Corvino
di Scienge, lettere, arti e relazioni sociali. La société, qui comprend environ
deux cents membres, a pour but de resserrer les liens moraux, scientifiques
et sociaux entre la Hongrie et l’Italie. Elle donne des conférences, des repré-
sentations dramatiques, favorise les études supérieures au moyen d'échanges
d'étudiants; elle publie une revue semestrielle sous le nom : Corvina. Rivista
di scienze, lettere et arti della Società Ungherese-italiana Mattia Corvino,
diretta dal pres. ALBERTO BERZEvIczY (Budapest, Franklin. Prix : 3000 cr. ou
61.). L'histoire religieuse est souvent représentée par d’utiles contributions
scientifiques ou de vulgarisation. Signalons seulement : Z. MESZLÉNYE,
Lettere inedite dell’ agente romano del card. Primate Batthyäny (t. II, 1922,
p. 72-85); Ar. FEsT, Î primi rapporti della nazione ungherese coll Italia
(t. II, x922, p. 19-49). Les articles historiques et archéologiques sont, d'autre
part, relativement nombreux.
La bibliothèque Széchnényi du Musée national hongrois à Budapest a
acquis en 1923 l’importante collection de l’évêque réformé Aron Szilédy,
provenant de la bibliothèque communale de Kecskemet. Elle comprend,
outre une bibliothèque de 11.000 volumes persans, arabes, turcs et hongrois,
de nature littéraire et historique, une précieuse correspondance scientifique
et 23 mss oricntaux.
Décés. — M. LapisLas FEJERPATAKY, né à Éperjes le 27 août 1857, mort
à Budapest, le 6 mars 1923. Directeur général du Musée hongrois, en cette
ville, depuis 1915 professeur de diplomatique, il se signala par quelques études
concernant cette branche et par une action vigoureuse dans la direction
du Musée. H. Nezis.
Italie. — Dans les comptes rendus de l'Académie dei Lincei, classe des
sciences morales, historiques et philologiques, 1923, p. 157 et sv., signalons
une étude de L. CANTARELLI, Gallione proconsole di Acaïa e S. Paolo. L'auteur
examine l’inscription de Delphes et donne une courte biographie de Gallion. Il
arriva en Achaie en qualité de proconsul extra sortem après le célèbre édit de
Claude contre les juifs, vers la fin d'avril 52, tandis que S. Paul y était depuis
le mois d'octobre 50. Gallion avait à peine pris possession de sa charge que
les juifs amenèrent à son tribunal l’apôtre, lui cherchant querelle, mais sans
succès. En effet, Gallion n'interroge pas S. Paul, il ne le laisse pas même
parler, et déclarant qu'il ne veut pas étre juge de questions qui regardent les
juifs exclusivement, il les chasse tous du tribunal. Cette attitude s'explique à
cause du tempérament doux de Gallion ; il prévoyait qu’un jugement aurait
pour effet de soulever un tumulte comme cela se vérifia à Rome trois années
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 34
349 CHRONIQUE.
auparavant. Gallion mourut misérablement, tandis que S. Paul partait en
automne 52 pour la Syrie avec Aquila et Priscille dont il se sépara à Ephèse.
La Scuola cattolica de Milan publie, en 1923, une étude de E. PASTERIS,
Un grande vescovo e scrittore del secolo X : Attone di Vercelli. Vita e opere.
Atton fut évêque de Vercelli en 924 et mourut avant 964; il vécut pendant
une des périodes les plus troublées de l’histoire d'Italie. Il était de famille
riche et puissante, originaire de Lombardie, apparentée avec le roi Didier
(qu’il croit erronément duc d’istrie); il fit partie du clergé milanais comme
gcolasticus. Devenu évêque, Atton fut en relations assez suivies avec le roi
Hughues, puis avec les deux rois Lothaire et Bérenger II, De tempérament
assez différent de ses deux contemporains les évêques Rathier de Vérone et
Luitprand de Crémone, il prit soin d’enrichir son église de livres utiles, de
promulguer des canons réformateurs, de publier des sermons et des lettres
fort importantes parce qu’elles rappellent des usages, des superstitions, des
vices de l’époque. L'auteur s'occupe d’une manière plus spéciale du curieux
écrit, le Polypticum, dont il admet l'authenticité, mais sur la composition
duquel il ne peut rien donner de certain ; et enfin du Libellus de pressuris
ecclesiasticis, l'écrit le plus connu et plus important du grand évêque parce
qu’il concerne les vicissitudes politico-religieuses de cette io L'article
est une excellente contribution à l’histoire du xe siècle.
La collection J libri della fede (Libreria editrice fiorentina), qui débuta
par la publication des Fioretti de S. François, les deux règles et le chant au
soleil, par Giovanni Papini, en cst arrivée déjà à son Xe volume. Signalons
les deux derniers volumes parus : Le IXe, Fioretti spirituali (visioni e divine
consolazioni) de S. Françoise Romaine, d’après l'édition publiée par dom
M. ScarpPini, moine olivétain. C'est la première fois que l’on a une édition
courante et complète des visions de la sainte; celle des Bollandistes a sub;
des amputations inopportunes. Le Xe volume nous donne la Vie de S. Benoit,
écrite par S. Grégoire d'après une traduction italienne du xive siècle,
attribuée à Domenico Cavalca, dominicain. Elle est suivie de la règle de
S Benoit, d’après une autre version ancienne, imprimée déjà en. 1855.
G. pe Luca, le jeune et avisé érudit qui a préparé la publication de ce volume,
a choisi ce texte de la règle parce que, dit-il, il désirait donner un texte
ancien (p. 206). En ce cas, il eùt été préférable, me semble-t-il, de donner une
nouvelle version faite sur le texte critique latin. Puisque le but de ces publi-
cations est de faire connaître à un public instruit les anciens libri della fede,
pourquoi ne pas les donner sous une forme qui se rapproche le plus possible
du texte original et qui les rende facilement et agréablement lisibles ?
Le volume contient enfin un ensemble de témoignages sur S. Benoît qui
vont de Marc de Cassino et Paul Diacre à S. Bernard ct à deux « laudi»
florentines. D. P. LuGano a consacré à ces deux publications un article dans
Rivista storica benedettina : Anime romane : San Benedetto e S. Francesca
(1923, p. 264 SVv.). P. PascHnt.
— L'université catholique de Milan a célébré le sixième centenaire de la
canonisation de saint Thomas d'Aquin par la publication d'un imposant
volume de « Mélanges » auquel ont collaboré des savants de divers pays:
S. Tommaso d’Aquino. Milan, Società editrice « Vita et Pensiero », 1923. In-8,
317 p.. La personnalité du Docteur Angélique y est présentée sous ses traits
trALIÉ: 349
les plus caractéristiques ét suivant certaines grandes lignes de son enseigne-
ment : philosophie, théologie, apologétique. Quelques traits spéciaux ont reçu
du relief : R. ScHuLTes, ©. P., La dottrina di S. T. d'Ag. sull” evoluzione
della rivelazione e sull' evoluzione dei dommi; M. De Munnyncx, O. P.,
L'esthétique de S. Thomas d'Ag.; P. CHioccHETTI, O. F. M., La pedagogia di
S.T.; A. BERNAREGGI, La filosofia del diritto internazionale in S. Tommaso.
De la partie historique il faut citer : D. LaNNA, II rapporto tra filosofia e
storia in Tommaso d'Aquino ; M. GRABMANN, Indagint e scoperte intorno alla
cronologia delle Quaestiones disputatae e Quodlibeta di S. Tommaso d'Aquino ;
G. BusnezLi, S. I., S. Tommaso e l'eclettismo di Dante. La variété des sujets
traités, leur valeur intrinsèque, la forme élégante de présentation, assureront
à ces « Mélanges » le meilleur accueil dans les centres thomistes.
R. M. MARTIN, O0. P.
— Dans la brève étude de P. LuGano sur L'istitutione delle oblate di Tor de’
Specchi secondo i documenti (Rev. stor. bened., 1923, p. 272-308), il est question
de la célèbre communauté des oblates bénédictines, dirigées par les moines
olivétains de S. Maria Nuova au Forum, instituée par S. Françoise Romaine
en 1425 et établie par elle près de la Torre de’ Specchi, au pied du Capitole,
en 1433. L'auteur nous donne simplement les documents relatifs à la fondation
et à la première organisation de la communauté; documents en partie
inconnus ou connus dans une version italienne. C’est un ensemble très inté-
ressant et enrichi de notes importantes.
Nous attendons toujours une biographie critique et complète de S. Fran-
çoise Romaine qui puisse remplacer celles qui sont en circulation (celle des
Bollandistes a besoin également de corrections). Dans l'entretemps dom Lu-
GANoO nous donne une seconde édition (Turin-Rome, 1924), avec ajoutes et
illustrations, de la vie écrite en anglais par G. Fullerton et traduite en
italien en 1891.
Dans l’Athenaeum de Pavie, 1923, nouv. sér., t. I, p. 20 svv., A. MICHETTI-
CasreLLo, sous le titre : Di un nuovo documento a proposito del Santo Ufizio
in Venezia (1552), publie une lettre des cardinaux inquisiteurs de Rome à
Mgr Ludovico Beccadelli, nonce à Venise, dans laquelle ils insistent pour
demander à la République de remettre entre leurs mains trois suspects
d'hérésie : Fra Marino Sotto, mineur conventuel, qui avait été inquisiteur
dans la Vénétie et l’Istrie et était suspecté d’avoir favorisé les hérétiques et
spécialement Pier Paolo Vergerio, évêque apostat de Capodistria; Giulio
Trissino, fils de Giangiorgio le célèbre littérateur, archiprêtre de la cathédrale
de Vicence, et enfin un prêtre Aloisio de Vicence, dont nous ne savons rien.
ll ne semble pas qu'ils furent livrés au St-Office ; mais fra Marino subit un
long procès à Venise, et fut remis en liberté en novembre 1561; Trissino
mourut dans les prisons du St-Office à Venise, le 7 février 1577. Dans la
seconde partie de leur lettre, les inquisiteurs chargent le nonce d’assurer la
République de leur impartialité et de la rapidité de la procédure en même
temps qu’ils se déclarent uniquement préoccupés des intérêts de la foi et du
salut des inculpés.
Vincenzo Pactrici, Ippolito secondo d'Este, cardinale di Ferrara. Tivol;,
Società storia ed arte, 1922. 44 ill. Le cardinal, fils puiné d’Aphonse d'Este et
de Lucrèce Borgia, n'avait pas encore trouvé de biographe pour mettre eg
844 CHRONIQUE.
lumière ses aventures. Né à Ferrare, le 25 août 1509, archevêque de Milan
à moins de 10 ans, hôte de François Ier en mars 1536, il fut toujours un par-
tisan de la politique française en Italie. Créé cardinal et réservé in petto le
20 décembre 1538, publié le 5 mars 1530, il reçut le chapeau avec le titre
diaconal de S. Marie in Aquiro le 27 octobre. Il retourna bientôt en France
où il resta jusqu'après la mort de François Ier. Il fit à nouveau un court
séjour en France sous le pontificat de Pie IV, au commencement des guerres
de religion. Homme de son temps, lc cardinal fut avant tout un prince séculier
plutôt qu'homme d'Église. Très riche, il n'avait jamais assez d’argent pour
suffire à ses dépenses somptuaires : il aspira à la papauté ; mécène éclairé, il
protégca de nombreux artistes qui ornèrent sa villa du mont Quirinal et
créèrent la splendide villa d’Este de Tivoli. Le cardinal vécut assez pour
assister au mouvement de la contre-réforme. Il s’y trouvait dépaysé, bien
qu’à la fin de sa vie il se conduisit plus dignement que pendant sa joyeuse
jeunesse. Ses dernières années furent assombries par la conduite de son
neveu, le cardinal Louis d’Este ; il mourut à Rome le 2 décembre 1572.
Une liste de littérateurs et d'artistes au service du cardinal et des documents
inédits sont joints en appendice.
Un petit volume de P. S. LEICHT mérite d'être signalé : Breve storia del
Friuli. Udine, 1923. Le Frioul, l’extrème province d'Italie septentrionale
vers l’est, a constitué la partie la plus importante du patriarcat d’Aquilée
et en a subi toutes les vicissitudes. Leicht expose toute cette page d'histoire
et mct en lumière les origines, les développements, la splendeur et la déca-
dence de la principauté ecclésiastique à laquelle les donations impériales
confièrent ce territoire. La république de Venise mit fin à l'existence de cette
principauté qui eut grande influence au moyen âge. Ce petit volume rendra
de grands services à ceux qui désirent se familiariser avec l'histoire des
Églises d'Italie.
P. Orazio M. PREMOLI, Storia dei Barnabiti nel seicento. Rome, 1922.
In-8, 495 p. Ce volume est la suite de l'histoire de l’ordre barnabite, commen-
cée par le méme auteur en 1913. Au début du xvrre siècle, l'ordre s'organise
en trois provinces, mais reste toutelois limité à l'Italie. En 1608 deux religieux
commencent des missions dans le Béarnais pour convertir les calvinistes,
puis, sur l'invitation de $S. François de Sales, les Barnabites s'établissent à
Annecy. L'ordre prend un développement toujours plus grand en Italie et en
France : en 1625 il établit une maison à Vienne, en 1627, à Prague, et, en
1631, après de nombreuses difhcultés, à Paris. Toutes ces maisons deviennent
des centres de plus large diffusion, d'autant plus que les barnabites unissent
au ministère des âmes l'instruction et l'éducation de la jeunesse. Le tout est
exposé avec précision et exactitude, qui ne sont nullement entachées par le
respect filial du religieux pour les mérites de son ordre et de ses confrères.
L'auteur a dû s'occuper également de la question du P. Lacombe et de ses
relations avec Madame Guyon; les défauts et imprudences du P. Lacombe
ne sont pas cachés, mais il mitige le jugement très sévère du P. Dudon et
montre que le P. Lacombe fut plus malheureux que coupable (p. 422). Cfr
également Scuola cattolica, 1923, t. II, oct., p. 802 svv.
L'article de A. C.. JeMoLo, Il giansenismo italiano, dans la Rivista
storica italiana, 1923, p. 268 svv., est d'autant plus important qu’il détruit les
ITALIE. 315
nombreuses et graves erreurs de ceux qui ont abordé l'étude de cette question
avec des idées préconçues. Le jansénisme ne pénétra en Italie que vers la fin
du xvire siècle, par l’intermédiaire de savants étrangers, et n’atteignit au
début qu’une part minime du clergé. Il eut une plus grande diffusion dans les
dernières années du xvrire siècle ; toutefois, même alors, le peuple et l’aristo-
cratie continuèrent à l’ignorer complètement ; il avait alors comme centres
l'université de Pavie et la cour du grand duc de Toscane, Pierre Léopold.
Ces jansénistes italiens ne se préoccupaient pas de répandre les doctrines
Jansénistes sur la grâce, mais les théories régalistes et ils s’occupaient de
réformes ecclésiastiques et de polémiques contre les jésuites. La Révolution
les dispersa, et ils ne purent reprendre crédit. Toutefois ils eurent une
influence lointaine et ceci nous amène à la partic la plus importante de l'ar-
ticle. Les luttes antivaticanes du Risorgimento italien remirent en honneur les
personnalités qui s'étaient affirmées dans l’opposition au Pape et parmi elles
plusieurs de celles qui sortaient des rangs des jansénistes. La figure de Scipion
de’ Ricci acquit de cette façon un certain relief. En 1882 parut le livre de
À. DE GUBERNATIS, Eustachio Degola, il clero costituzionale e la conversione
della famiglia Manzoni, dans lequel il souhaitait la constitution démocratique
de l’Église, dont le peuple aurait nommé les pasteurs, ceux-ci leurs évêques
et ces derniers, sans l’intervention d'un organisme aristocratique comme
celui des cardinaux, auraient choisi le Pape. En 1885, F. ScapurTo publiait
Stato e Chiesa sotto Leopoldo I, granduca di Toscana, et en 1891, VENTUR1, Le
controverse del granduca Leopoldo I di Toscana e del vescovo S. de Ricci, qui
intéressaient plus directement les relations entre l’ Église et l'État en Toscane
que l’histoire du jansénisme. En 1907 paraissait le livre de E. RoTrA : 1!
giansenismo in Lombardia e il prodromi del Risorgimento italiano. Il retrouvait
les jansénistes à l’origine de l'idéologie libérale italienne, en en faisant un
parti politique qui aurait préparé le Risorgimento de l'Italie. Comme l’observe
à juste titre Jemolo, cette dernière étude est un des exemples les plus frap-
pants de la déformation qu’un auteur peut donner de bonne foi à un courant
d'idées en ne contrôlant pas son enthousiasme. Jemolo regrette également un
travail qu'il écrivit lui-même en 1915 : Sfato e Chiesa negli scrittori politici
ilaliani del seicento et del settecento, parce qu’il y fit œuvre plutôt de juriste
que d’historien. Ropozin1 publia également deux travaux dans le même esprit
que Rota, de même que A. Parisi : I riflessi del giansenismo nella letteratura
italiana (Catane, 1919) et F. LANDOGNA : Giuseppe Mazzini et il pensiero
giansenistico (Bologne, 1921) Ce dernier cherche à établir que la pensée
religieuse politique du jansénisme eut une forte influence sur Mazzini.
Jemolo, après cet examen bibliographique, aborde le fond de la question et
arrive aux conclusions suivantes : « Certains survivants du jansénisme prirent
rang parmi les promoteurs du libéralisme italien... Mais le jansénisme consi-
déré comme force d'action et d'influence resta en Italie un mouvement
essentiellement théologique, qui rarement manifesta des préoccupations
nationales ct jamais en faveur de l’unité politique italienne ; il lutta souvent
pour réformer la constitution de l'Église, mais n’aspira pas à l'avènement de
réformes démocratiques dans la nation ». Jemolo cherche à donner, dans un
autre ordre de faits, quelques mérites au jansénisme italien, mais en réalité
il n’en eut aucun.
P. Lucano, L'Istituto delle suore ospitaliere di Roma nel primo cente-
nario della fondazione, (1821-1921). Casa centrale. Ospedale di S, Giovanni,
846 CHRONIQUE.
(Rome, 1923. 200 p.). Ce travail met en relief une phase importante de l’his-
toire de la bienfaisance à Rome. L'expérience avait démontré clairement
que, dans les grandes institutions hospitalières, on assurait difficilement
l'assistance des malades avec un personnel payé ; d'autre part, à Rome on
n'avait pas encore introduit les sœurs comme en France. La princesse
Thérèse Orsini, femme du prince Ludovic Doria Pamphili-Landi, dame très
charitable, qui avait fondé, dans les environs de S. Maria de Monti, une
petite maison pour dames se chargeant de visiter les malades à domicile,
voulut leur imposer également la surveillance et l’assistance de l'hôpital
pour femmes de S. Giovanni in Laterano. C’est ainsi que dans les environs
de cet hôpital se constitua, en mai 1821, la communauté des sœurs de la
Miséricorde qui reçurent leurs règles et constitutions apostoliques de Léon XII
en 1827, et s'organisèrent en véritable ordre religieux en février 1834. En
1826 d’aucuns songèrent à introduire dans les hôpitaux féminins de Rome
les sœurs de la charité de S. Vincent ; la sœur A. Thouret, supérieure générale
des sœurs de la charité, écrivit de Naples à Mgr Sala pour mettre ses reli-
gieuses à sa disposition pour les hôpitaux de Rome. Mais l'offre ne fut pas
acceptée. En 1834 l'hôpital de S. Gallicano dans le Transtévère fut égale-
ment confié aux sœurs hospitalières ; elles y établirent leur noviciat; peu
après elles se chargèrent également de celui de S. Giacomo in Augusta.
Elles s’établirent même hors de Rome, à Alatri en 1857, à Zagarolo en
1871, etc. Lugano donne également des renseignements sur la vie interne de
l'institution et sur ses règles. Ce livre est fort intéressant en ce qu’il nous
renseigne sur un passé qui est d’hier et qui semble déjà si lointain, tant les
organisations hospitalières ont pris de développement dans la Ville éternelle.
J. P. Kimscu, E. GôLLer et E. Davip ont repris la publication de la
Rômische Quartalschrift fur christliche Altertumskunde und für Kirchen-
geschichte, fondée et dirigée autrefois par A. De Waal. Un fascicule de 128 p.
a paru pour les années 1916-1922. Après un hommage à la mémoire de
Mgr De Waal, Kirsch dans un article d'ensemble (p. 5-29) : Das neuentdeckte
Denkmal der Apostel Petrus und Paulus an der Appischen Strasse in Rom,
examine des fouilles faites à S. Sébastien sur la via Appia et conclut : « les
fouilles n’ont mis à jour aucun monument sépulcral des apôtres ou ayant
servi pour y déposer leurs cadavres. La seule mémoire certaine des apôtres
Pierre et Paul en cet endroit est la friclia avec ses dépendances. On re peut
donner comme origine de la vénération des apôtres en ce lieu une trans-
lation de leurs corps après leur mort ou de leurs reliques à une époque
postérieure ; les difficultés que cette hypothèse rencontre sont trop grandes.
Les fouilles n’ont au reste rien donné pour éclaircir l’origine et le caractère
de cette memoria des apôtres. Wilpert, Lanciani, Delehaye et Franchi de
Cavalieri également, ne sont pas partisans de l’hypothèse d’une translation
des corps des deux apôtres ». — E. GôLLer, Die neuen Bestände der Camera
Apostolica im päpstlichen Geheimarchiv (p. 38-53) signale l’accroissement des
Archives Vaticanes durant la guerre, à la suite du transfert de tout un groupe
de volumes du fonds de la Camera Apostolica qui se trouvaient à l’Archivio di
Stato. G. en donne une liste indiquant sommairement le contenu et signalant
quelques pièces plus intéressantes pour l’Allemagne. — ST. ExsEs, Bericht
der Trienter Konzilskommission zur Residenz der Bischäfe (p. 54-78). Après
ITALIE. 347
avoir résumé les vicissitudes de la question pendant le concile, E. publie un
document des Archives Vaticanes, rédigé avant le 16 juillet 1562 par les prélats
qui avaient été chargés, le 14 avril, d'examiner la question et d’en référer aux
cardinaux légats. Il porte le titre : Impedimenta contra residentiam episcoporum
quibus missa fuit pravisio et responsio per S. D. N. Pium IV. Les empêche-
ments provenaient, d’après le document, de l'insuffisance de ressources des
sièges, des laics, des frères et moines, du clergé, de la curie romaine. Suivent
les propositions pour rétablir la discipline et les privilèges que l’on demandait
pour favoriser la résidence des ordinaires. — Kirsch, dans le même fascicule
(p. 93-125), donne un précieux ensemble de notcs relatives à l'archéologie
chrétienne et une bibliographie systématique des ouvrages parus sur le même
sujet depuis 1914.
Le périodique Studi Medievali, que le regretté F. Novati publia de 1904
à 1913, n'eut pas, malgré son importance, toute la notoriété qu’il méritait.
Il vient de renaître, en 1923, sous le titre Nuovi studi medievali. Son direc-
teur Vincenzo CREScINi, s’est assuré la collaboration de Ermini, Fedcle,
Leicht, Levi, Suttina et Ussani. Dans le premier volume notons l'étude de
N. Tayassta ET V. Ussant : Epica e storia in alcuni capitoli di Agnello Raven-
nate. L'auteur du Liber Pontificalis de Ravenne donne matière à de nom-
breuses discussions même après les belles études de Mgr Testi-Rasponi et
de Lanzoni. Les deux auteurs examinent les chapitres 135 et suivants où
Agnello raconte les terribles vicissitudes de la lutte de Ravenne contre la
domination grecque, après la restauration de Justinien II, au moment où
la cité, ayant déjà conquis son autonomie par un diplôme de Constant II,
se trouvait en lutte avec Rome et était combattue par les Lombards. Le récit
de Agnello, coloré de poésie et de réminiscences virgiliennes, a une cadence
métrique, ce qui permet aux deux érudits de conclure que le récit dépend
d’un texte épique plus ancien écrit en vers. Au reste, Agnello et Paul Diacre
avaient emprunté à un récit en vers l’histoire du meurtre du roi Alboin par
Rosemonde.
Le Didaskaleion, studi di létteratura e storia cristiana antica, qui se
pPubliait à Turin et avait cessé de paraître depuis 1917, a reparu en 1933.
(Nouvelle série). Notons une étude de L. GATTI, La passio SS. Perpetuae et
Felicitatis, p. 31 sv., où l’auteur conclut à l'originalité du texte latin par
rapport au texte grec ; celui-ci est une traduction faite par un auteur diffé-
rent de celui qui écrivit le texte original latin; l'original, en effet, écrit
entièrement en latin, a été rédigé par divers auteurs, tandis que la traduc-
tion grecque est due à une même personne. — G. RÉvay, de l'université”
de Budapest, sous le titre étrange : Pistorum praecipuus (ibid. fasc. 2),
examine un passage de l'Octavius de Minucius Feli.r dans lequel Cecilius
termine sa péroraison antichrétienne par ces mots : « ecquid ad haec, ait,
audet Octavius homo Plautinae prosapiac ut pistorum praecipuus ita postremus
Philosophorum ». Il l'interprète dans ce sens : « Octavius, cet homme appar-
tenant à une certaine secte de cyniques, autant il est estimé parmi ses corré-
ligionnaires, autant doit-il être considéré comme le dernier des philosophes »,
Interprétation ingénieuse, mais qui ne semble pas pouvoir se substituer
à celle admise jusqu'à ce jour et que Révay veut écarter.
548 CHRONIQUE.
La revue I! nuovo bullettino di archeologia cristiana a cessé de paraître
avec le tome de 1922, paru en 1923. Elle avait succédé, sous la direction de
E. Stevenson, puis de O. Marucchi, à la revuc Z! bulletino di archeologia
cristiana, fondée en 1863 par G. B. de Rossi. La commission pontificale
d'archéologie sacrée qui seule, depuis soixante-dix ans, a la direction des
fouilles dans les catacombes romaines, la conservation des monuments et
objets funéraires, et un droit de surveillance sur les monuments sacrés de la
ville, commence en 1924 la publication d’une Rivista di archeologia cristiana,
imprimée par la firme Bestetti et Tumminelli de Milan-Rome. Un beau
numéro programme vient de paraître. La revue aura quatre fascicules annuels
avec illustrations et planches et renfermera deux parties : le compte rendu
officiel des actes de la commission et des travaux qu’elle entreprend ; des
études-notices qui directement ou indirectement ont rapport à l’archéologie
sacrée. Le numéro programme donne un aperçu des initiatives prises, tout
particulièrement durant les cinq dernières années, par la commission
d’archéologie sacrée. Le prix annuel est de L, 50 pour l'Italie, de 75 pour
l'étranger. Adresse : Via della Pigna, 13, à Rome (x7). P:P.
— Le monumental ouvrage de M. A. VENTURI, Storia dell’ arte italiana,
comprend aujourd’hui onze tomes considérables, tous illustrés richement.
Les six premiers volumes sont épuisés, — le premier parut d’ailleurs dès
1901, — et leur prix est inabordable. Le septième, comprenant environ
4000 pages et divisé en quatre tomes, a pour objet la peinture italienne du
xve siècle. Le premier tome du volume VIIIe a paru récemment (Milan,
Hoepli, 1923. In-8, xr1-930 p. 713 fig.) Il se rapporte à l'architecture du
xve siècle et plus spécialement à l'architecture florentine (Brunellesco,
Alberti, lcurs prédécesseurs et leurs continuateurs), à Lucien Laurana, aux
architectes de Sienne. Comme dans les tomes précédents l'illustration est
riche et variée. On est frappé par la part importante attribuée à la sculpture
décorative. Sous ce rapport il y aura là un complément précieux pour le
volume VI de l'ouvrage, consacré à la sculpture du quattrocento. On ne
trouve dans le tome nouveau, pas plus que dans les précédents, aucun plan
terrier, ni aucun autre relevé géométral. C'est une lacune lorsqu'il s’agit
d'histoire de l'architecture. Au surplus l'extraordinaire richesse en ren-
seignements, généralement sûrs, rendra cette partie de l'ouvrage indispen-
sable à celui qui veut étudier l’architecture italienne de la première
Renaissance. R. M.
— Le Corpus nummorum italicorum, le magnifique catalogue des monnaies
médiévales et modernes frappées en Italie, s’est enrichi dernièrement d’un
nouveau volume, le t. VI (1922), qui comprend les monnaies des ateliers moins
importants de la Vénétie et de la Dalmatie-Albanie. Le volume intéresse éga-
lement l’histoire ecclésiastique ; nous y rencontrons le catalogue des monnaies
d’Aquilée. Le patriarche fut, en effet, seigneur du Frioul et reçut le droit de
frapper monnaie de Conrad II, le Salique, en 1028. Les derniers exemplaires
sont ceux du patriarche Ludovic de Teck (+ 1437), parce que la Vénétie
s'empara du Frioul en 1420 et y introduisit sa propre monnaie. Suit la liste
des monnaies frappées par les évêques de Trente, à partir de l'évêque
Albert (1156-1177), jusqu’à Pierre Vigile des comtes de Tun (+ 1796) ; par les
évêques de Trieste, depuis Henri (1200-1203), jusqu'à Rodolphe (1303): la
PAYS-BAS. 349
seule période durant laquelle ces évêques eurent un pouvoir seigneurial. En
Albanie et en Dalmatie il n'y eut pas d'évêques qui frappèrent monnaie.
Cette collection, publiée sous le patronage du roi d'Italie, est enrichie
d'excellentes illustrations reproduisant les divers types de monnaie, généra-
lement d'après les originaux eux-mêmes. |
Le professeur A. Venturi a été l’objet d'une manifestation le 15 novembre
dernier ; elle se tint dans la salle appelée du Mappamondo, au palais de
Venise. Elle avait pour objet de donner au maître incontesté de l’histoire de
l'art en Italie un témoignage d'’admiration à l'occasion de son 25me anniver-
saire d'enseignement universitaire, à Rome. Avant lui il n'y avait dans
aucune université d'Italie une chaire d'histoire de l’art ; à Rome il forma un
groupe de disciples qui répandirent les idées et l’enseignement du maître
dans toute l’Italfe. Lorsqu'il commença son enseignement à Rome il entreprit
également la publication de la revue l’Arte dont il est encore le directeur
autorisé. Une fondation Venturi, en faveur de l’histoire de l’art, a été consti”
tuée à l'occasion de cette manifestation. P. PASCHINI.
— Le Bessarione ne survivra pas à la mort de son fondateur, le cardinal
N. Marini, décédé le 27 juillet 1923. Depuis 1896, cette revue universellement
appréciée a publié 163 fascicules, formant 39 volumes, remplis d'études
intéressantes sur les églises orientales. On regrettera que disparaisse, surtout
en ce moment, un tel organe scientifique fondé dans un but tout à la fois si
noble et si important : « per facilitare l'unione delle Chiese dissidenti ». Le
dernier numéro paie un légitime tribut d'hommages à la mémoire du cardinal
Marini, dont il retrace la biographie et la bibliographie. ,
— Depuis 1922 paraît à Fiume une revue mensuelle intitulée : La rivista
fumana, Delta (Fiume, via G. Carducci 11. Prix : 15 Lires), sous la direction
de MM. A. Marpicati, Br. Neriet Ant. Widwar. Elle est surtout littéraire,
mais en 1933, elle a édité un fascicolo spirituale consacré aux auteurs mystiques
par P. Zoufrognini et Aug. Hermet. M. G. Manacorda a traité de Ruusbroec
l'admirable. H. N.
— Depuis 1923, le Pontificio Istituto orientale publie, sous le titre Orientalia
christiana, des études ct des textes, en fascicules plus ou moins importants et
à des intervalles irréguliers. La collection formera chaque année au moins
un volume de 320 p. et contiendra aussi des recensions et des notes biblio-
graphiques sur les publications relatives à l’Orient.
— Décès. — Le 28 février est mort à Rome le baron RoDOLPHE KANZLER,
fils du dernier général-commandant des milices pontificales. Il s'occupait
activement de l'étude des antiquités chrétiennes de Rome et de la musique
grégorienne.
Pays-Bas. — Récemment, les périodiques et les journaux (N. Rott. Cour.
1923), ont vivement attaqué M. O. Oppermann, professeur de sciences auxi-
liaires et d'histoire du moyen âge à l’université d’Utrecht. L'assaut a été
#
990 CHRONIQUE.
mené par le professeur Huizinga qui reproche à M. Oppermann d'avoir
introduit dans le pays (M. Oppermann est d’origine allemande) l'hypercri-
tique et d’avoir « empoisonné », par les travaux de ses élèves, Brandt, ten
Haeff, Enklaar et Berkelbach van der Sprenkel, les recherches d'histoire
médiévale. Hâtons-nous de dire que ces critiques sont injustifiées dans leur
ensemble et qu'elles n'empêcheront pas M. Oppermann de continuer son
œuvre d'épuration.
. En réalité la controverse, qui a pris des proportions démesurées, porte sur
le degré de confiance qu’il faut accorder aux Annales Egmundani, M. OPPER-
MANN réduit ce crédit à sa juste valeur dans ses : Untersuchungen zur Nord-
Niederländischen Geschichte (Utrecht, 1920-1921), si précieux pour l’histoire
religieuse des Pays-Bas aux xre-xrie siècles. La critique diplomatique est
également intéressée à ces études si fouillées, à preuve le récent travail de
M. OPPERMANN : Over de verhouding der Annales Rodenses tot de vervalschte
oorkonden uit Kloosterrade dans le Ned. Archievenblad, 1923-1924, t. XXXI,
p. 97-99. Quant aux études de M. Enklaar et Berkelbach, elles ont trait à
l’histoire externe du diocèse d’Utrecht du xrrre et du xve siècle ; elles n’ont
pas donné lieu à des critiques aussi passionnées.
Le Geschiedkundige atlas van Nederland, publié sous la direction du
professeur P. BLox, s’est enrichi de nouvelles cartes avec commentaire, qui
intéressent au premier chef nos études : De kerkelijke indeeling omstreeks
1550, tevens kloosterkaart. III. De bisdommen Munster, Keulen en Luik, door
Dr J. van Ver ; Het bisdom Doornik en de kloosters van Windesheim en de
huizen van de Broeders en Zusters des gemeenen levens, door Dr A. BEEKMAN
(La Haye, M. Nyhoff, 1923. Cartes et un vol. in-8, vir1-118 p.). Les cartes des
diocèses, divisés en doyennés, se distinguent par la clarté de leur exécution
et l'exactitude des tracés topographiques. Le commentaire contient, par
ordre de doyennés et de localités, tous les renseignements connus sur chaque
église : patron, origine de la paroisse, nombre de chapelles, collateurs, mai-
sons religieuscs, etc. Ces renseignements sont tous puisés, peut-être d’une
façon trop exclusive, dans des sources imprimées. Les cartes ne donnent en
détail que les doyennés des Pays-Bas actuels; quant au commentaire, il
manque de table générale. H. N.
— La Commission pour la publication des inventaires de monuments d'art
et d'histoire des Pays-Bas publie des volumes provisoires, qui font place
dans la suite à des inventaires définitifs, illustrés de nombreux dessins et
photographies. Déjà des volumes provisoires ont paru pour les provinces
d'Utrecht, Drenthe, Hollande méridionale, Gueldre, Hollande septentrionale
(moins Amsterdam) et Zélande. Récemment s'est ajouté à la série le volume
pour Overijssel (Voorloopige Lijst der nederlandsche monumenten van Geschie-
denis en Kunst. La Haye, 1923. In-8, viri-227 p.). Il est l’œuvre de M. F. A.
HorFEr, assisté de MM. Wazrer TE RIeLE et E. J. HaszinGuuis, secrétaire
de la Commission. On y trouve notamment la description des importants -
monuments de Deventer, Kampen, Zwolle, etc. KR. M.
— Le style baroque, fort déprécié depuis le clacissisme du xvirie siècle et
le romantisme du xixe, est remis en honneur depuis trente-cinq ans ; « il est
PAYS-BAS. 9351
” découvert à nouveau comme l'ont été Shakespeare et Bach. » Dans un
discours prononcé au congrès philologique de Leyde (1922), M. G. Brou
(Barok en Romantiek. Groningue, Woilters, 1923. In-8, 82 p., x pl.) donne une
esquisse rapide et sûre des travaux consacrés à la réhabilitation du style
baroque et une bibliographie très utile pour l'étude de la question. Le paral-
lèle qu’il établit entre le romantisme et le baroque est particulièrement
suggestif.
Deux ouvrages allemands, différents de tendances et de méthode, se
sont efforcés de leur côté, dans une large synthèse, de faire comprendre et
de faire valoir le grand art de la Contre-Réforme catholique (W. WeisBAcu,
Der Barock als Kunst der Gegenreformation. Berlin, P. Casirer, 1921. In-8,
232 p., 99 fig. ; W. HAUSENSTEIN, Vom Geist des Barock. 3me édit. Munich,
R. Piper, 1921. 134 p., 74 fig.) Ils se rencontrent dans leurs conclusions
lorsqu'ils envisagent le style baroque comme l'expression artistique de la
Contre-Réforme catholique : aussi riche en productions, aussi épris de
mouvement, que celle-ci est féconde et fièvreusement active. Comme la
Contre-Rétorme, par l’action de saint Ignace, de sainte Thérèse, de la mys-
tique espagnole, fait appel aux sens pour entraîner vers la vie spirituelle,
ainsi l’art baroque cherche l'illusion du tangible, le réalisme dans les scènes
de martyre, l'intensité de l’expression psychologique, allant parfois jusqu’à
l'érotisme. A. SruB8e, C. SS. R.
— M. D. Brerens-DE HaaAN étudie le mobilier en bois et notamment le
mobilier religieux de l’époque gothique et de la Renaissance, dans les Pays-
Bas du Nord {Het houtsnijwerk in Nederland, tijdens de Gotiek en de Renaïs-
sance. Avec préface du Dr J.Kalf. La Haye, M. Nihoff, 1921. In-4, 166 p.
et 210 fig. sur 155 pl.). Il s'efforce de montrer comment le gothique et la
renaissance s'adaptent à la menuiserie et à son décor, tout en leur conservant
un caractère spécifiquement hollandais ; il fait ressortir la raison d’être des
formes et de la construction, l’évolution de l’ornement, sa tendance à exprimer
la mentalité d'une époque. La construction des meubles d'art et leur icono-
graphie sont décrites avec une grande exactitude et une connaissance parfaite
de la terminologie néerlandaise. L'auteur base son exposé sur des mono-
graphies et des textes d'archives, sur des reproductions fournies par la pein-
ture et la miniature, mais avant tout sur sa connaissance personnelle très
étendue du mobilier qu’il décrit.
Son ouvrage prendra rang dans la même série que les ouvrages de Galland,
de Pit, de Sluyterman et de Vogelsang. Il en est le complément, car tandis
que ceux-<i étudient, soit les meubles appartenant à un musée, soit ceux
d'époques plus récentes, ou encore le meuble en rapport avec l’intérieur
hollandais, M. Bierens-De Haan étudie pour lui-même le mobilier artistique
de style gothique et de la renaissance. Il le recucille dans le pays entier et le
rend accessible à tous. FL. VAN DER MUEREN.
— La revue De Beiaard (fasc. de Déc. 1923. Bois-le-Duc, Teulings) con-
sacre à saint Thomas d'Aquin, à l’occasion du sixième centenaire de sa cano-
nisation, une série d’études illustrées par des reproductions de gravures et
de tableaux relatifs à la vie et à la gloire du saint. Plusieurs de ces travaux
intéressent l’histoire des doctrines. Citons : Sint Thomas en de mystiek
3952 CHRONIQUE.
(p. 415-427), par le P. J. van WeLy; Thomas’ kenleer (p. 427-454), par le
Dr B. Luycxx, O. P. Dans l'étude intitulée Thomas van Aqguino en Siger van
Brabant (p. 455-478), le Dr F. SasseN, de Rolduc, expose ce qu’il croit être la
note juste sur S. Thomas et Siger comme commentateurs d’Aristote. Cer-
taines de ses conclusions nous paraissent discutables. Dans un dernier article,
De Triomf van Sint Thomas (p. 479-492), le P. MozKkENBoOER, O. P., commente
les tableaux et gravures reproduits au cours du fascicule. La série de ces
« Trionf », glorifiant en Thomas d'Aquin le Saint et le Docteur, s'ouvre par
une fresque de l’ancienne église des Dominicains, à Maestricht ; elle fut peinte
en 1337, quatorze ans après la canonisation de $S. Thomas (18 juillet 1323)-
Cette étude constitue un beau chapitre d’iconographie chrétienne et thomiste.
Tout ce fascicule fait honneur à la province dominicaine de Hollande, à
laquelle appartiennent la plupart des auteurs cités. KR. M. Marrin, O. P.
Pologne. — Le deuxième congrès de la Ligue des institutions théologiques
tenu à Lublin en 1923, avait décidé de publier la traduction des principaux
ouvrages des Pères de Église. La collection Pisma Ojcéw Kosciola [œuvres
des Pères de l'Église] a commencé par les écrits des Pères apostoliques,
traduits et annotés par A. Laisiecki (Pisma Ojcow Apostolskich. Poznan, 1924.
468 p.). Sont sous presse les ouvrages de Minucius Felix, d'Eusèbe, de S. Jé”
rôme. Parmi les collaborateurs, signalons A. Ztaniawski, WI. Chotkowski et
G. Borowski.
Le 16 mai 1657, à Janow, le jésuite André Bobola subit le martyre de la
part des schismatiques russses. Il a été béatifié le 30 octobre 1853. La
Pologne travaille activement à obtenir sa canonisation. Avec saint Josaphat
Kuntsévich, il serait un second patron de l'union des Églises. Une vie du
bicnheureux, qui répond en même temps aux exigences de la critique histo-
rique et de la piété des fidèles, a été publiée par le P. M. CzErMiINsKi, S. J. :
BI, Andrgej Zobola : jego 3 ycie, menczenstwo à kult (Cracovie, 1922. 266-2 p.)
Les Roczntki [annuaires] Katolickie. T. II : 1923 (Poznan 1924. 629 p.)
que publie l'abbé Nic. Creszynski, contiennent une chronique religieuse
fort étendue, où sont passés en revue les principaux événements de l’annéc
écoulée. Les chapitres consacrés à l'Église catholique en Russie (p. 321-360)
et en Pologne (p. 421-622) présentent un intérèt spécial non seulement
parce que l’auteur s’y appuie sur des sources de première main, mais aussi
parce qu'il y donne de nombreux renseignements sur la vie religieuse et
intellectuelle de ces pays, qu'on ne trouve pas ailleurs. Ainsi, touchant la
Russie, il fait connaître les conditions actuelles imposées au clergé russe
orthodoxe par le régime bolchéviste, les espérances de |” apostolat catholique
et les chances de réunion des différentes Églises. Concernant la Pologne, il
traite, mais avec un pessimisme injustifié, de l'Église ruthène-uniate de
Galicie ; il nous révèle l’existence d'une revue bimensuelle Polska odrodzona
[La Pologne régénérée], publiée par l'Église nationale de Pologne. Quelques
erreurs peu importantes qui s'étaient glissées dans cette chronique polonaise,
ont été relevées dans le Przeglad Katolicki (p. 106-107) du 17 février 1924.
ROUMANIE, 358
L'université de Lublin, la cinquième université érigée en Pologne, a été
fondée en 1918 par un ancien élève de Louvain, le Dr Inzr Rapziozzwsxi,
directeur du séminaire catholique de Wloclawek. En 1919, elle a érigé une
faculté de théologie catholique, à laquelle la Congrégation des études a
reconnu le droit de conférer les grades de bachelier, de licencié et de docteur.
Voici les titulaires des chaires de cette faculté : doyen : le Dr P. KREMER ;
dogmatique : les Drs C. LacrAmPe et Z. OGarEk; morale : J. WoRonNIEcKki
et WL. KoRNILLOWIcCz ; sciences bibliques : G. FERMENT et X. KRuszYNSKkI;
patrologie et histoire : J. Cziy et les Drs R. Konecxi et J. Uminsxr. Ce
dernier vient de publier un ouvrage intitulé : Le danger tartare vers le milieu
du XIIT° siècle et Innocent IV (Léopol, 1923). A. PALMIERI.
Roumanie. — L'église princière d'Argès présente le plus vif intérêt tant
pour l'histoire ecclésiastique de Roumanie que pour l’histoire de l’art
byzantin. Le commencement de sa construction date du règne du voëvode
Bassarab-le-Grand qui, au lendemain de sa célèbre victoire sur Charles-
Robert, roi de Hongrie, transforma sa résidence-forteresse en une véritable
ville. Elle ne fut terminée que sous le règne du petit-fils de Bassarab, Radu
Vodà, dont le nom est resté attaché, dans les chroniques roumaines, à la
fondation de l’église. Sous le prince Nicolas Alexandre, fils de Bassarab, la
Valachie avait déjà été érigée en métropole, dépendante du patriarcat de Con-
stantinople (1359). À cette occasion, on avait élevé, à côté de l’église, la
résidence du métropolite. L'église elle-même a été construite en style
byzantin, probablement par des architectes serbes.
Au x1xe siècle, elle a subi plusieurs travaux de restauration partielle. Enfin,
grâce à l'initiative de la commission des monuments historiques, elle a été
complètement restaurée de x91x1 à 1920. Des fouilles faites dans le sous-sol,
au cours de ces derniers travaux, ont mis à jour quatorze tombeaux princiers.
Les peintures à fresques qui ressemblent aux mosaïques de l’église byzantine
de Khora, mosquée de Kahrié-Djami, ont été admirablement restaurées sous
la direction de l’Institut archéologique russe de Constantinople. Les inscrip-
tions qu’on y a retrouvées sont la plupart en grec. La commission des
monuments historiques vient de consacrer à la description de ce monument
national un superbe volume, richement illustré, qui comprend les t. X-XVI
(1917-1923) de son Buletinu Comisiunii Monumentelor istorice (Bucarest, 1923.
In{ol. 286 p. 305 grav. dont plusieurs en couleurs). Au point de vue de
l’histoire ecclésiastique, l’étude de ViIRGILIU DRAGHICEANU est, sans aucun
doute, la plus importante. Elle fait connaître les relations qu'ont entretenues
les voëévodes roumains avec le Saint-Siège, le patriarcat de Constantinople,
l'ordre militaire de Saint-Jean, les missionnaires dominicains et franciscains.
Ces derniers possédaient, à Campulung, une église et un monastère. D’autres
écrivains de première valeur, Cerchez, Onciul, Ghika-Budesti, Moissil,
Rainer, Panaitescu, Mihail, Bratulescu, Cancel, Jorga, s’attachent à faire
connaître l'architecture, la peinture et les inscriptions du monument.
La Bonne Presse catholique roumaine vient de publier : Calendarul Presa
Bun pe anul 1924 (Jassy, 1924. 66 p.) Nous le mentionnons ici parce qu'il
contient des renseignements utiles sur la vie et l’organisation de l’Église
Catholique dans l’Europe Orientale, particulièrement en Roumanie.
A. PALMIERL
354 CHRONIQUE.
Suisse. — Les trois derniers fascicules parus du Dictionnaire historique et
biographique de la Suisse vont de Cantone à Decroux. Parmi les articles ayant
trait plus spécialement à l'histoire ecclésiastique, on peut mentionner Catho-
lique-chrétienne (Église), où l’on trouvera des renscignements sur les ori-
gines, le développement et l’état actuel des groupes vieux-catholiques en
Suisse ; Christianisme (Établissement du) qui place au 1ve siècle l’organisation
de l'Église dans les régions helvétiques ; Confréries, etc.
M. ErNesT DaucourT vient de publier un volume sur Les troubles
de 1836 dans le Jura bernois (Porrentruy, 1923. 335 p.). Quelques cantons,
Lucerne, Berne, Bâle-ville, Soleure, Saint-Gall, Argovie, Thurgovie,
dans une conférence tenue à Baden (1834), avaient pris des décisions qui
empiétaient, en matière religieuse, sur les droits de l'Église. Quelques
régions catholiques, entre autres le Jura Bernois, protestèrent contre leur
application. De là, en ce dernier pays, des pétitions, des manifestations qui
provoquèrent, de la part de Berne, une occupation militaire et des actes de
violence contre quelques prêtres. M. Daucourt a inséré dans son récit de
nombreux documents qui permettront de se faire une idée plus précise des
faits.
La Faculté nationale de théologie de Neuchâtel a célébré le 21 novem-
bre dernier le cinquantième anniversaire de sa fondation, en même temps
que le cinquantième anniversaire du professorat de M. Henri Du Bois,
doyen et professeur de dogmatique, le quarantième de M. Ernest Morel
(Exégèse du N. T.) et le vingt-cinquième de M. Emile Dumont (Encyclo-
pédie des sciences théologiques). Plusieurs universités suisses étaient repré-
sentées à cette fête,
A cette occasion, M. ADRIEN NAVviLLB, ancien professeur aux universités
de Genève et de Neuchâtel, a reçu le titre de docteur en théologie honoris
causa de l’université de Neuchâtel.
La faculté de théologie de Fribourg-en-Brisgau a décerné, le 19 décem-
bre 1923, à Mgr ScHMID von GRÜNECK, évêque de Caire, le titre de docteur
honoris causa.
Dom Ienace Sraus, O. S. B., docteur en philosophie de l’université de
Fribourg (Suisse), a été élu, le r9 décembre 1923, abbé d’Einsiedeln, en rem-
placement du Rme P, Thomas Bossart. Il est l’auteur d'un Manuel d'histoire,
en langue allemande, à l'usage des collèges.
Déces. — Le 13 novembre 1923, est décédé M. RayMonD DE Boccarp,
directeur du musée artistique et historique de Fribourg. Il entrait dans sa
80e annéc. |
À Genève, le 19 janvier, est mort M. Francis CHAPONNIÈRE, né le
6 avril 1842. Il avait été privat-docent à la faculté de théologie de Genève
(1870-1879), et, pendant quarante ans (1880-1920), rédacteur en chef de la
Semaine religieuse où 1l polémiquait en faveur de la Réforme. On lui doit :
La question des confessions de foi au sein du Protestantisme contemporain
(2 vol., 1887), Pasteurs et laïques de l'Église de Genève au XIX* siècle (1889),
et une vingtaine d'articles de l'Encyclopédie des sciences religieuses.
YoticosLAVIÉ. | 85
Le 28 janvier est décédé M. F. F. LerrsCHUH, professeur d'histoire de
l'art à l’université de Fribourg. Il a publié divers travaux sur cette matière,
notamment : Studien und Quellen zur deutschen Kunstgeschichte des XV.
XVI. Jahrhunderts, 1912. A. M. Jacquix, O. P.
Ukraine. — Léopol, la métropole de l'Église ruthène-uniate, reste
toujours le foyer le plus intense de la littérature ukrainienne. Elle est le
siège de la société scientifique, dite de Shchevchenko, nom du poète national
de l'Ukraine. Cette société fait paraître les Zapiski, dont la publication, inter-
rompue pendant la guerre, a été reprise dès 1920. Les trois volumes qui ont
paru successivement en 1920, 1921 et 1922, contiennent quelques travaux qui
se rapportent directement à l’histoire religieuse. Ainsi, J. Horpynsky1 : La
tragicomédie Vladimir et Théophanes Prokopowicz (1920, t. CXXX, p. 19-71 ;
1921, t. CXXXI, p. 65-122 ; 1922, t. CXXXII, p. 65-134) donne, sous un titre
quelque peu trompeur, une étude remarquable et fort originale sur le rôle
politique et l’activité littéraire du savant métropolite Prokopowicz, qui
inspira à Pierre le Grand sa réforme synodale du clergé russe. L'auteur y fait
revivre tout le mouvement religieux qui se dessina dans la petite Russie au
xvirte siècle. Il insiste en particulier sur l’intervention de l'académie théolo-
logique de Kiev, qui s'efforça de répandre ses idées par le théâtre. —
M. Vosnyak (1920, t. CXXX, p. 107-119) donne une esquisse historique sur
l'imprimerie du monastère basilien de Pochaev, qui publia, au xvirre siècle,
un grand nombre de livres liturgiques. — A, ANDROKHOVICH, Lvivski Studium
ruthenum (1921, t. CXXXI, p. 123-195 ; 1922, t. CXXXII, p. 65-134) retrace
l'histoire du séminaire ecclésiastique de Léopol, qui est la plus célèbre des
écoles théologiques monastiques de l'Église ruthène-uniate, Sa fondation
remonte à 1773-1779. Il a été construit grâce au métropolite Léon Sceptycki
eta compté parmi ses professeurs des théologiens de valeur, dont Paul
Leontowyc (1825-1890), qui est réputé comme un des écrivains les plus féconds
du clergé ruthène. M. Androkhovich donne la biographie de ces professeurs.
-+ B. GÉRASIMCHUK (1923, t. CXXXIII) résume la carrière littéraire de
Michel Grouchewski, l'historien du peuple et de la littérature ukrainiennes.
La société Shchevchenko a publié aussi deux chroniques de ses travaux
pour les années 1914-1920 (n°s 60-64) où l’on peut relever des notices nécro-
logiques de deux historiens ukraniens bien connus : Ivan Franko et Ivan
Lewiki,
Bohoslovia, l’intéressante revue de la société théologique ruthène de
Léopol, fondée par le métropolite André Sceptycki, a consacré sa dernière
livraison de 1923 au troisième centenaire de S. Josaphat Kuntsévich, martyr
de l'union en 1623. Nous y relevons, comme regardant l'histoire ecclésiastique,
la biographie de S. Josaphat par J. SCHRYVERS ; une étude sur son style (qui
a subi l'influence polonaise) par le Dr YA. Gorpinsky ; enfin un travail de
P. HouINe sur la vie de Joseph Velamine Rutskeji, appelé l’Athanase de
l'Église ruthène uniate, qui s’appliqua surtout à relever le niveau intellectuel
de son clergé, A. PALMIERI.
Yougoslavie. — Dans la Narodna Starina de Zagreb (1923, p. 244-254),
Gjuro Szao montre l’évolution de l'orfèvrerie religieuse (calices, ostensoirsg
356 __ CHRONIQUE.
et encensoirs) dans l’art croate. Il relève notamment l'influence exercée sur
les artistes yougoslaves par l’art italien et allemand.
L'ouvrage intitulé : Dante : raccolta di studi a cura de ALoyzi] RES
(Gorizia, Paternolli, 1923. 190 p.) a paru également, en slovène, à Lubliana,
chez Kleinmayer et Bamberg. Il contient treize travaux composés par les
meilleurs écrivains italiens et silovènes sur l’œuvre poétique de Dante et sur
son importance mondiale. Mentionnons, parmi eux, l’étude synthétique du
Prof. A. Usenicnik sur la philosophie de Dante, et le beau travail biblio-
graphique du Prof. J. DeBevec, énumérant les versions de la Divine Comédie
en tchèque, polonais, russe, bulgare, serbe, croate cet slovène.
M. Deggvec publie également, dans la revue de Lubliana Dom in Sviet,
une nouvelle version slovène de la Divine Comédie, qui est remarquable par
sa fidélité autant que par son élégance. À. PALMIERI.
tiODICAL ROOM
ERAL LIBRARY
UV. OF MIEH.
Publication trimestrielle
YINGT-CINQUIÈME ANNÉÉ. — T. XX, F. 9-4. JUILLET-OCTOBRE 1924
nee
UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN
nest
REVUE
D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE
fondée en 1900 par
A. CAUCHIE et P. LADEUZE
et publiée sous la direction de
A. DE MEYER, R. KOERPERICH, J. LEBON
CH. TERLINDEN, É. TOBAC et L. VAN DER ESSEN
SOMMAIRE :
J. Lebon. La position de saint Cyrille de Jérusalem dans les os
provoquées par l’arianisme (suite et fin) à SR 357
Augustin Fliche. Le pontificat de Victor II (1086-1087). . . 387
P. Richard. La monarchie pontificale jusqu'au concile de Trente. 413
Mélanges : E. de Moreau, S. J. Le transfert de la résidence des
évèques de Tongres à Maestricht . . 457
P. Debongnie, C. SS. R. Le chroniqueur de S.-Séverin. 485
Comptes rendus (Vorr la table complète au verso). . . . . 477
GhroRIQue: 5 42 le se ed à are A de de à ag À
577
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . 153*
Compte chéèques-postaux n° 39,421
LOUVAIN
BUREAUX DE LA REVUE
AO, RUE DE NAMUR, 40
Tous droits de reproduction ct ile traduction réservés.
Louvain. — Imprimerie PIERRE SMEESTERS, rue Ste-Barbe, 18,
1924
Voir AVIS IMPORTANT au verso.
AVIS IMPORTANT.
À partir de 1925, le prix annuel de la REVUE D'HIS-
TOTRE ECCLESIASTIQUE est de 60 francs pour les pays à
change élevé et de 45 francs pour les pays à change bas,
payables au début de l’année. — Prix de la collection com-
plète des 86 volumes parus depuis 1900 jusqu’en 1924 inclu-
sivement, 520 francs, le port en sus. É
L'abonnement court indéfiniment. |
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COMITE DE RÉDACTION, rue de Namur, 40, Louvain (Bel-
gique).
Dépôt et agence d'abonnement en France, chez M. A. Pi-
card, éditeur, 82, rue Bonaparte, Paris (VI°).
COMPTES RENDUS
M. À. Martinez. Archivo general de Simaneas, (J, LEFÈVRE.). ; 477
C. R. Borland. A descriptive calolosue of the western mediaeval manus-
cripts in Edinburgh University Library. (J, DE GHELLINCK.) . . 479
. D. Nielsen. Der dreieinise Gott in religionshistorischer Beleuchtung. T. nn:
Die drei sottlichen Personen, (E. GRÉGOIRE.) : ; 483
M. W. Healy Cadman. he last journey of Jesus: to détient
(J. CoPrENxs.). ; . 480
F. J. F. Jackson et K. Lake. The jé inniners ‘of habits: Abe The
Acts of the Apostles, T. Il: Prolecomena Il : Criticisim."(J. AUBOURG.) 488
A. M. Jacquin. Portrails chrétiens. L'Eglise primitive. (J. FLAMION.) : 501
E. G. Sihler. From Ausust 10 Augustine. (J. FLAMION.) : d02
W. Samday et C. H. Turner. Noyum Texlamentum nent rene
Episcopi Lusdunensis. (J. DE GHELLINEK.) _. . ; : 504
Th. Ruther. Die Lehre von der Erbsünde bei Clemens von eu ien.
(3. FLAMION.) . : ; ; 5 ; : . : ; 507
F. Ramorino. Tertulliano. (J. GE 19 : ‘ #09
P. Vitton. | concetti giuridiei nelle opere de Tertulliano. (P. PASCIINL.) 511
F. Loofs. laulus von Samosala. (G. BARDY.) ; ; ‘ : 12
P. Batiffol. Le Sièue apostolique (4:9- 451). (I. LÉANtOX) , ï ë à 916
U. Moricca. San Girolamo. (4. FORGET.) . : ‘ ; 518
J. B. Aufhauser. Christentum und A in finse um Fern-
asien, (A. DE MEYER.) : : : . ; : ; 520
Ali Tabari. he Bouok of Religion and Empire, (J. FORGE, l ; 522
G. Hanotaux. llistoire de ia Nation Francaise. T. NH : Histoire 7.
Lettres. 1er vol. : Des origines à Ronsard, par J. Bédier, A. Jcan-
rov et F. Picavet. T AU : Histoire des Lettres. 2 vo]. : De Ron- :
sard à nos jours, par r . StrOWSkKIi. (G. DOUTREPONT.) ; ; . 023
Voir la suite à la troisième page de la couverture.
La position de saint Cyrille de Jérusalem
dans les luttes provoquées par l’arianisme.
(Suite et fin.)
Saint Cyrille est encore avec les orthodoxes pour confesser la
divinité du Fils et lui attribuer le nom de Dieu. Sans doute, cette
apellation de 6:56: se rencontre parfois, appliquée au Fils, sous la
plume de certains autres Antinicéens, mais elle est alors très équi-
voque et elle est bien loin d'exprimer toujours la divinité parfaite et
véritable ; Arius lui-même, malgré sa doctrine très nette du Fils
créature, ne l’a pas absolument omise ni rejetée (4). Elle est extré-
mement fréquente dans les Catéchèses, et l’on ne peut douter qu’elle
y soit entendue dans le sens propre et plein, sans fraude ni restric-
tion quelconque. Il n’y a pas lieu de nous attarder à l’établir; il
suffit de rappeler quelques indications : Cyrille, que nous avons
déjà vu condamner les formules ariennes, qui font tirer le Verbe
du néant, distingue et sépare nettement et totalement le Fils des
créatures (2) ; il insiste sur la dignité de Dieu véritable (Ge:
zhrGy6:) qu'il possède en raison de sa génération (3); il tire de
(1) Voir dans S. ATHANASE, Orat. contra Arian. I, 6 (PG, XXVI, 24, A) :
Arius ExpHIQUE que le Fils 45 Fr au De6s, mais, ajoute-t-il, « pro Y2piTOS,
OOTEL at où GRÂO TAVTES, CUTU) AAÙ AUTOS ÀEYETAL OYOUATE UOVOY es: ».
Dans sa lettre à Eusèbe de Nicomédie, il dit aussi que le Fils est tions
PER ULOVG/EVr,s (dans S. ÉPIPHANE, Panarion, haeres. LXIX, 6; PG, XLII,
212, B).
(2) Le Fils est absolument séparé des créatures quant à divers points : par
exemple, quant au rapport avec Dieu comme Père : XI, x9 (R, I, 312; M,
713, B-C), où la conclusion est : « 9:93 Toivyuy amnuves egruy 6 Vis roù Vecd » :
quant au rapport de servitude à l'égard de Dieu : VII, 5 (R, I, 232; M, 629, B):
€ TX qUuTavræ Div, Oodha ar) * ets À auroù poves Vins, #ai Ev TO
Xyuo avrod [lveoux, euros Touroy rävrov * rai Tà chunavra dcdda,
dx rod évès Vioù iv ayim Hveluare dcvÂetar To decrirn » ; de même
quant à la connaissance du Père : VI, 6 (KR, I, 160-162 ; M, 545- -548) : sans
doute, les anges voient Dieu, mais « où 2a0uw53 EoTiy 6 les, a ÀX «x6goy
2 XUT OL XWPGOGLY » ; seuls, le Fils et l'Esprit peuvent fhérauw W5 Y PA
ÉLETE za 0 dei, et la raison donnée montre que cette perfection de
science est fondée sur la perfection de divinité : « ere9r xat TS DEoTNnT0s
EGTL Ts RATES guy ré Mluevuare ro 2m nouvoyos à Vins 6 à provoys VS. »
(3) Voir, par exemple, XI, 8-9 (R, I, 300; M, 700, C) : le Père n’a pas
engendré le Fils avec les imperfections qui affectent la génération de;
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 23
358 j. LEBON.
l'Écriture des preuves expresses et formelles de cette divinité (4).
Toutefois, une difficulté surgit ici. La divinité véritable du Fils
comporte évidemment son égalité parfaite avec le Père ; elle est
incompatible avec toute subordination réelle du Fils à qui que ce
soit, fût-ce même au Père. Or, on pourrait croire, en lisant certains
textes des Catéchèses, que notre Docteur n’écarte pas complètement
une telle subordination et que, par conséquent, il n’a pas voulu
exclure toute infériorité du Fils, ou qu'il n’est pas parvenu à se
dégager totalement d’une conception qui cadre mal avec la divinité
réelle et parfaite du Fils, qu’il proclame et confesse ailleurs. Cette
question appelle un examen détaillé et attentif.
Tout d’abord, il faut mettre la difficulté en pleine lumière. Elle
est très sensible dans la manière dont saint Cyrille se représente et
expose les diverses fonctions du rôle tenu par le Fils à l’égard des
créatures. Les principales prérogatives dont il jouit et qu’il exerce
sont celles de démiurge, de seigneur, de roi et de juge. Or, en tout
cela, le Fils semble bien agir par la volonté du Père, attendre son
ordre et son signe, être conslilué tel par le Père et, par conséquent,
lui obéir, lui être soumis, dépendre de lui.
Dans la création, le Fils intervient tout d'abord comme druwoupycs
ou rorrs. Il n’est pas inutile de remarquer encore que cette doctrine
n’est pas, pour Cyrille, dégagée de certains principes préalablement
admis touchant la nature de Dieu et celle des créatures, mais tout
hommes par les hommes, « a i 3 avrôs oùder uôvos, Ô JET as AUTO
po TAYTEY Toy œioveoy Deny &nfivoy. O:5: yap x/rlvos &v 6 Ilarrp,
OpLOLOY EXUTÉ) € goa Toy Yioy, Genv anbivcv » ; XI, 14 (R, I, 308; M » 708, B):
« ILarrp yap Vicv EJÉVNGE Geoy 4 Arbre, Épruavour À TOC XYOLEUOLEVOY *
6 d: Euuavoun ef nuwv à es épunvetera ». Il y a, à la base de ces
déclarations, le principe de l’homogénéité absolue et nécessaire entre l’en-
gendrant et l’engendré dans toute génération non métaphorique mais pro-
prement dite. — Saint ATHANASE, Orat. contra Arian. I, 6 (PG, XXVL, 21, D)
dit d'Arius : « eimeiy 0£ nav éTOAunoey, Ore oud: heñc œArluvos Ectiv Ô
AGyos ».
(x) XE, 25-17 (R, LE, 308-310 ; M, 709-712). Cyrille demande explicitement :
« Kai DEÂes yvvar Or 6:05 Eater, © Ex Ilarpis yevvmbets nai Uareco
évayÜpwrioac ; » et il allègue, pour prouver son affirmation de la divinité
du Verbe incarné divers passages scripturaires : BARUCH, III, 36-38; Psalm.
XLIV, 6; Hebr., I, 8; Isar., XLV, 14-15, tirant de chaque témoignage la con-
clusion formelle, qu’il résume ensuite : « Dans roivuy œrbives à Vis, Éyav
EY EQUTG) TOY Ilzri0x ». Souvent encore la considération de l’incarnation
et de la réd:mption amène saint Cyrille à se prononcer nettement sur la
divinité proprement dite de Celui qui s'est incarné ; voir, par exemple, XII,
1,15; XL, 33 (R, IE, 2, 20, 94; M, 728, A ; 741, B ; 813, À).
“4
| | |
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 359
simplement la reconnaissance d’un fait enseigné par la foi chrétienne,
d’après les Écritures. Le symbole lui impose de croire « eis Éva xvpuov
sci Xouoréy….. de où Ta ravra éyévero » ; tout son exposé est à base
scripturaire, ne porte nulle trace d’argumentation philosophique, et
n'est qu’un commentaire de la formule di aœuroù (1). Nous n’en
relevons que ce qui nous intéresse spécialement ici. Le Père se sert
du Fils pour créer toute chose (rävra de aurov &yévero, roù Ilarpos dr
Yioo :pyabouéw). Un exemple, tout inadéquat qu’il soit (A:7£00w w:
aghsyes Rapa aTEyay Tps agheysis), fera mieux comprendre le rôle de
l'un et de l’autre : un roi, voulant construire une ville, passe à son
fils corégnant le plan, le modèle de la ville, et celui-ci réalise ensuite
la conception paternelle. Cyrille fait lui-même l'application de la
comparaison ; ainsi, dit-il, le Père ayant voulu créer toutes les choses
CA [ares BouAriévres 7x rivra raragzvica), a donné au Fils le
plan, l’esquisse des œuvres à réaliser (arc; aùro napéyoy Toy
HATATAEUXSCUEYOY TT,Y verrou), et le Fils a tout produit sur le signe
(manifestant la volunté) du Père (rm roù Ilarpos vebuart 6 Vios ra
ravra EOrmucupyroey), sur l'ordre et la parole du Père (o: pv roi
[arpès Eyrshhouivou rai héyoyros, Toù 02 Vic veupare Ilarpos rà ravra
Orpuouc:/covrns). Ce double élément de causalité a sa raison d'être : le
voux du Pére lui garde la puissance souveraine et primordiale
(va TO pêy vEdux Thoû TD azpi Try avbevrwery ebouriay), et l’interven-
tion active du Fils lui assure la puissance sur des œuvres qui sont
les siennes (xai 6 V'igs dé nai Éyn sSouatay r@v idiwy Onuoupynui Tu).
C’est de la méme façon que le Fils est l’auteur non seulement des
choses visibles, mais aussi des choses invisibles (où mévoy de r@y
CUVOUEYOY, QAÂX Kai TOY Ur Gavouivoy vevuare Ilarois nonrés Ecru
ô Xeuoris) ; il est de mème, sur le signe et par la volonté du Père,
l'auteur des siècles (4 Trocs aimvas aurous ëinrs, Xai TOUTOY VEUUATL
roÙ Ilarpos éoTe nomrrs ‘Incoùs à Xpuoro:) (2).
Ea raison de son activité de démiurge, le Fils est xvpcos, seigneur
(1) XI, 21 et suiv. (R, Î, 316 et suiv. ; M, 717 et suiv.).
(2) Cfr encore X, 5 (R, I, 266; M, 668, À) : « Errcirct Derruaxtt [laxrcs; ‘
Tayra »; X, 10 (R, I, 302; M, 7or, B): « ÂGycs voéy ro Ilazpés To
Écurua, za Onuuouo:/Gy To Aya T@ ExEVOU vevuart » ; XI, 11 (RL,
304; M,704, A):e Ovpavss Touto (la génération du Fils) cù dnyisET at :
veuartyap Ilarpss no ro Apuoroi aa 6 coparos w$ xaT yo ECTELE UN ».
Le fait que la création soit rapportée au Christ est sans importance, car
saint Cyrille emploic indifféremment les noms de Verbe, Fils, Monogène,
Christ, Jésus-Christ; la raison de ce mélange des noms est l’identité de
sujet, auquel la pensée va toujours : « ‘rocis Xeuorss son Vice "y >»
(LU, 14; R, I, 82 ; M, 444, B).
R-
360 J. LEBONe
Le
de toute la création; cette seigneurie est véritable et universelle ;
l'affirmation en est contenue dans le symbole de foi et dans l'Écri-
ture (1). Le Fils est présenté comme Seigneur dans des conditions
exactement semblables à celles dans lesquelles il a été présenté
comme démiurge ; il est d'abord auteur, puis seigneur ; il a d’abord
fait toute chose par la volonté du Père, puis il exerce la seigneurie
sur toutes les choses faites par lui (rpnror TONTNS, ET zuptos. Here
éroinoe Dehruaxrt Ilarpos à navra, era xupusvse Toy UT" aÜroù yevouévwv) ;
mais il exerce cette seigneurie wevuxr Ilxrcés, comme l’activité
créatrice (r% &rbex xüpros dv * eme0n veduare [larpos xupuevst Tv
oùxeiow Oruoupyruxrov) ; il l’a reçue du Père, en fils docile, sans se
l’attribuer par la violence QUE de ro Ï Lazoos unes, où 2prigas TO
XUPUEUEY, GA ÂX ap’ auTorccacérTou hafuv), Le Fils n’a pas ravi cette
dignité, et le Père la lui a transmise sans jalousie (cûre yap à Yiss
funagey, oùre [larg echéos 7%: uerxdiaew:). C’est le Fils lui-même
qui proclame, pour ceci comme Pour tout le reste, qu'il est tributaire
du Père (abrés écre héyov * révra por rapeddbr, dre rcù Ilarpés pou).
Si on les prend tels quels et si on veut les interpréter en eux-
mêmes, abstraction faite du contexte et de l’ensemble de la pensée
de saint Cyrille, ces textes ne laissent pas de suggérer une certaine
subordination du Fils au Père, On a la même impression lorqu’on
lit que le Père a voulu que le Fils régnût sur ses œuvres et que, si le
Verbe est revètu de puissance et règne sur tout, c'est parce que le
Père a tout donné au Fils (2) ; de même encure, que le Père juge
par le Fils, et que c’est sur le signe du Père que le Fils exerce le
jugement (5).
A ces prétendus indices de subordination, on a voulu en ajouter
d’autres, pour prouver que saint Cyrille, comme d’autres Nicéens
soumis à l'influence de la théologie d’Origène, n’a pas pu éviter
complètement toute subordination du l'ils au Père dans la concilia-
(1) Ce titre de xucuos est expliqué et justifié dans la Catéchèse X (5-10: R,
I, 266 et suiv.; M, 665 et suiv.), que porte sur ces mots du symbole : « xx
els Eva XULUOY “roc Auorey » ; les textes scripturaires sont Luc, Il, 10 et
Act., X, 36, etc.
(2) XI, 23 (R, I, 318; M, 720, C) : « Éacussuery roy dr adroi rincrruévoy
roy Viéy rfcvhiln, ares adr® rapégoy Toy 2aragreurtouivor Ty
vorrruy » ; XI, 10 (R, I, 302; M, 701, C): « Ayez 5 EÉCUTIAGTIAUS Xai
CPAS TON RATE * TaYTA 20 To Vin R0%0E Dress 6 [xrxs. »
(3) XV, 25 (R, I, 190 ; M, g05) B):« Xpirrè: 770€ ETTt G #0 voy. QUE
120. 0 TaT 10 kf VE CALE 2413 TV 20. Guy niGay 00e To) ut, Cux
arxii. roy EXUTUY TA ESUGÈx;, 2% dix rod vid ADI. NEUuxTt
FOÏNUY TATLOS HOVE D Lics. »
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 361
tion de l'unité rigoureuse de l'être divin avec l'existence person-
nelle, hypostatique du Fils (1). Ainsi, on a fait remarquer que, pour
Cyrille, le Père seul est &y£wnro: et qu’il est le principe du Fils
(x0yr vios &yvovo:) ; que le Fils, sans doute, est Dieu, mais Dieu
engendré, une sorte de second, non pas seulement en Dieu, mais
après Dieu (2) ; que la génération divine est conçue comme un acte
une fois posé et non comme un acte permanent et éternel, ce qui
accentue encore la distinction (3) ; que le Père est assigné comme
le Dieu du Fils ; et enfin, qu’il est explicitement déclaré que le Fils
est soumis au Père et lui obéit (4).
>
*
y *
On conviendra que l’exposé que nous venons d'en faire n’a nul-
lement tenté d’atténuer l’objection, mais l’a mise en pleine lumière
et lui a laissé toute sa force apparente. Avant de l’examiner dans
ses détails, nous croyons nécessaire de proposer quelques considé-
rations d'ordre général. La difficulté ici notée n’est pas propre à la
théologie de saint Cyrille de Jérusalem ; elle affecte également la
doctrine de beaucoup d'écrivains de cette époque. Elle a son expli-
cation historique, et elle recevra sa solution théologique lorsqu’on
aura eu l’occasion et Le temps d'approfondir la question au sujet de
laquelle elle se pose, de dégager nettement les notions qui y inter-
viennent et de faire les distinctions opportunes ou nécessaires.
La teinte subordinatienne que portent, à nos yeux, les textes de
beaucoup d'auteurs anciens s'explique, disons-nous, historiquement.
Elle provient, fondamentalement, de ce que l’on peut appeler le
caractère extrêmement scripturaire de la théologie primitive. Cer-
(1) T. FORSTER, L. c., p. 382; J. Gumuerus, L. c., p. 22-23; R. SEEBERG,
L c., p 95. |
(2) Cette assertion s'appuie sur X,6(R,1,268; M, 668, B),où onlit d'après M:
< 5 vhs où uvoy Decd noirux, GI xx Toù xvoiou muy ‘Tnccd
Xeusrod, yros nat ar où cod a rico >. Outre que l’on exagère la portée
des mots « Suros xat œuroù Ueoù œ/mluyoù », qui n’expriment que la divinité
du Christ aussi réelle que celle du Père, il faut remarquer (avec R) que ces
mots doivent être rejetés comme une glose, qui est même encore plus
étendue dans certains manuscrits.
(3) Nous ne reviendrons pas à ce point, qui a été examiné supra, p. 207
et suiv.
(4) XL 18 (R, I, 312; M, 713 B):«< Ues: Ô JET a, Gen: xat Ô QUE ;
62: UE roy ravroy, Gin dE EXUTOÙ TOV TaT 2px ETU/LRGIMENOS » : XV, 30
(R, I, 198 ; M, 972, C) : 1 « ... Ô VIS: UROTACGUMEYOS Tr TAT rpt ses DST ap
Gerar 9: Sy Gr TÜre XET a retla pets rm Rarpi, (ail yap Ta aveoraà
zUrG Mot RayrorE), AÂÂ OTL AA TÜTE URAHGUEL... »,
362 J. LEBON.
taines paroles des Écritures causèrent, dans la suite encore, de
grands embarras aux théologiens en raison de leur apparence
subordinatienne, À cette époque, beaucoup les acceptaient en toute
simplicité et confiance ; on les répétait, on les paraphrasait, on
affirmait sans hésitation ni crainte les données de fait qu’on y
trouvait énoncées, sans trop se préoccuper de ce qu’elles pourraient
devenir grâce aux spéculations de la théologie savante, soit ortho-
doxe, soit hérétique. Pourquoi en aurait-on été troublé ? Les mêmes
Écritures, où l’on rencontrait ces affirmations, ne présentaient-elles
pas malgré cela le Christ comme Dieu? Même l'apparition de
Fhérésic arienne ne pouvait pas détruire du coup et chez tous ces
habitudes et cette tranquille assurance. On les retrouve dans les
instructions familières de saint Cyrille, dont l’enseignement est si
complétement scripturaire. C’est ainsi, en particulier, que dans la
plupart des passages qui nous sont ici objectés, on n’a nulle peine
à découvrir le texte de l’Écriture auquel l’auteur se réfère, souvent
d’ailleurs explicitement. Donnons quelques exemples : le Père est
dit le « Dieu du Fils » (x1, 48) : c'est Jon., xx, 47 : « Ascendo ad...
Déum meum et Deum vestrum » ; le Fils est soumis au Père (xv, 50) :
c’est I Cor., xv, 28 : « Cum subiccla fuerint ill omnia, tunc et
ipse Filius subieclus erit ei, qui subiecit sibi omnia... » ; le Père
commande et le Fils crée (xt, 23) : c’est Psalm. cxiv, 8 : « Tpse
mandaril, el creata sunt » ; le Fils obéit au Père (xv, 30) : c'est
Jou., vus, 29 : « Quae placita sunt ei facio semper » ; il reçoit du Père
le pouvoir de juger (xv, 2) : c’est Jou., v, 22 : « (Pater) omne
tudictum dedit Folio » ; il tient du Père la seigneurie, la royauté
(x, 9) : c'est MarrH., x1, 27 : « Omnia mihi tradila sunt a Patre
meo » ; il dépend du Pére dans toute son action (x1, 25) : c’est Jon.,
v, 149 : « Von potest Filius a se facere quidquam, nisi quod vidrrit
Patrem facientem », ete. On pourrait allonger la série; c'en est
assez pour faire voir que toutes ces affirmations ne sont, en quelque
sorte, que des emprunts directs aux Écritures; on compr:nd
qu’elles soient produites et répétées en toute sécurité.
D'autre part, des deux solutions radicales apportées, en dehors
de l’orthodoxie, au problème de la conciliation de l'unité rigoureuse
de Dieu avec la divinité du l’ère, du Fils et du Saint-Esprit, nous
voulons dire, de la théorie monarchienne, sous ses diverses formes,
et de la théorie subordinatienne, la seconde, sans doute, avait été
rejetée par l’Église tout comme la première ; toutefois, elle avait
bénéficié des luttes ardentes menées contre le sabellianisme, contre
lequel, au début du 1v° siècle, beaucoup étaient plus en garde que
contre le subordinatianisme. En définissant la consubstantialité du
er
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 363
Père et du Fils, le concile de Nicée condamna le subordinatianisme
dans l’hérésie d’Arius. Mais les accusations de sabellianisme ne
manquèrent pas de se produire, nombreuses et obstinées, contre
l'éucousres nicéen et contre ses partisans ; elles furent encore encou-
ragées par les imprudences de Marcel d’Ancyre, que les Nicéens
défendirent longtemps, et par les erreurs de Photin de Sirmium, en
qui les Eusébiens orientaux voulaient toujours reconnaître un
disciple de Marcel. Saint Cyrille de Jérusalem lutte encore surtout
contre Sabellias, qu’il croit devoir dénoncer par son nom (1), tandis
qu'il ne prononce pas celui d’Arius lorsqu'il réprouve et rejette ses
formules (2).
Ces deux caractères de l’ancienne théologie du 1v° siècle aident
à expliquer l’apparence subordinatienne de certaines de ses manières
de parler. L’habitude de considérer surtout le sabellianisme comme
l'ennemi détournait en quelque sorte l’attention de ce qui, dans ces
formules, aurait pu paraître aller trop loin en sens contraire ou
demander des éclaircissements ; et l’on en était d'autant moins
choqué que souvent ces énoncés, pris matériellement, pouvaient
tout simplement se réclamer de l’autorité des Écritures.
Ce n’est là cependant qu'une explication partielle, à laquelle nous
ne pouvons pas nous borner sans risquer de laisser planer le
soupçon de subordinatianisme sur la pensée de saint Cyrille, ou
mème de le faire retomber en quelque sorte sur l’Écriture. Il n’est
d’ailleurs ni impossible, ni malaisé, croyons-nous, de donner au
problème une solution complète et de tout point satisfaisante.
Certains textes scripturaires, qui paraissent établir une sorte de
subordination du Fils au Père, n’ont pas proprement rapport à
notre question, parce qu'ils parlent du Christ, ou Verbe incarné,
selon son humanité. Cette exégèse ne peut guère servir à l'interpré-
tation des passages notés chez saint Cyrille. Outre que les noms de
Fils, Monogène, Seigneur, Christ, Jésus s'y entremélent sans
distinction formelle de sens, il ne s’agit pas de recourir à l’explica-
tion par l’incarnation lorsque, par exemple, la dépendance à l’égard
du Père est proposée pour le Fils démiurge, et tout autant pour le
Fils Seigneur et Roi, puisque cette seigneurie et celte royauté sont
données comme antérieures à l’incarnation (3).
(1) Par exemple XVI, 4 ; XVII, 34 (R, IL, 208 et 294; M, 921, À et 1009, A).
(2) Cfr XI, 14, 17 (R, 1, 308 et 310; M, 708, B et 712, B).
(3) Cfr X, 6 (R, I, 266; M, 668, À) : «xx Oiacts yrovx, O7 av Te [Taroi
ai TO TK: ivayhpuwnraens ioTe Xeugres xupucs ; » XI, 20 (R, I, 314; M,
717, A), Notre Seigneur Jésus-Christ est appelé ziwy0: (5xarhsis.
364 J. LEBON.
Pour résoudre la difficulté, la théologie fait appel à une distinction
qu'il est important de rappeler ici et dont l'examen des textes de
saint Cyrille va nous montrer une application historique. Entre le
Père et le Fils, on peut considérer les rapports essentiels, comme
de chose à chose, s’il est permis de s'exprimer ainsi, ou de suh-
stance à substance, et les rapports personnels, comine de personne
à personne. Dans l’ordre essentiel, il est impossible, évidemment,
d'admettre une subordination quelconque du Fils au Père, puisqu’il
n’y a même aucune distinction réelle entre la substance du Père et
la substance du Fils, à cause de l’unité numérique de la substance
divine. Saint Cyrille est aussi rigoureusement monothéiste qu’on
peut le concevoir; qu’il n’attribue pas seulement au Fils une
divinité improprement dite, réduite ct atténuéc, imparfaite de
quelque facon que ce soit, c’est ce que nous avons déja dit et prouvé.
Comment cette position est-elle conciliable avec l'attitude qu'il a
prise et longtemps gardée envers l'évscioic; nicéen, c’est ce que
nous examincrons dans la suite. Mais ce que nous voulons faire
remarquer ici, c’est que rien, parmi toutes les apparences subordi-
naliennes que l'on a voulu relever dans ses paroles, n'établit que,
pour Cyrille, le Fils est en quelque facon subordonné au Père dans
sa substance ou en tant que substance : tout, au contraire, y est
d'ordre personnel et est très souvent ramené, explicitement ou
implicitement, par l’auteur à l’ordre personnel.
Or, si on le considère dans cet ordre, le rapport entre le Père et
le Fils est très réellement exprimé par les noms que la révélation
et la foi leur donnent : le Père est vraiment et toujours père du Fils,
et le! Fils est vraiment et loujours fils du Père. Étant tel, le Fils
tient tout, et son être même, du Père. Ce rapport est fondamental,
réel el éternel ; il doit être reconnu, théoriquement et pratiquement,
comme il l'est dans le fait, par le Fils lui-même, C'est le rapport
d’un être réel à son principe réel ; mais le rapport d’un être à son
principe n’est pas nécessairement et dans tous les cas un rapport
de supériorité essentielle dans Pun ct d’infériorité essenticlle dans
l’autre, ni donc le fondement d’une véritable et essentielle subor-
dination du second au premier. En cela, tout dépend de la manière
dont l’un est le principe de l’autre ct dont ce dernier a l’autre pour
principe. Nous savons qu'en Dieu, quant aux deux premières
personnes, celte manière est la génération, active dans le Père et
passive dans le Fils. La génération divine est absolument soustraite
à toutes les imperfections de la génération humaine ; néanmoins, la
relation dont elle est le fondement, apparait aisément à notre esprit
comme impliquant une sorte de subordination du Fils au Père,
$. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 365
*
parce que, entre hommes, un fait semblable donne lieu à une
subordination réelle, puisqu'il crée des dépendances et des devoirs
réels chez les fils à l’égard de leurs pères. En Dieu, l'identité
substantielle, la consubstantialité des personnes, empêche la réalité
d’ane telle subordination, mais l’apparence n’en peut pas complè-
tement disparaitre du langage humain, même appliqué aux choses
divines. Il faut la réflexion sur la consubstantialité, admise
formellement ou implicitement et équivalemment, pour empêcher
que l’imperfection du langage ne dégénère en une erreur de concept.
L’infériorité et la subordination, dont l'apparence demeure dans le
langage direct, seront donc exclues de ia réalité indirectement et par
voie de négation. S'il n’y a pas infériorité réelle pour le Fils à tenir
son être du Père, vu la manière dont il le tient, il n'y aura pas
davantage infériorité réelle pour lui à tenir du même Père, consé-
quemment à cet être, toutes ses prérogatives et toutes ses activités.
En confessant que le Fils tient ses prérogatives et activités du Père,
on ne le proclame pas plus, ni plus nécessairement, inférieur et
subordonné au Père qu'en confessant qu’il tient son être de lui;
tout dépend de la manière dont on comprend et explique cette
communication. Le Fils lui-même, en affirmant que « tout lui a été
donné par le Père », ne se reconnaît pas nécessairement comme
inférieur et subordonné en réalité au Père ; ici encore, tout dépend
de la manière dont il est fils, nous dirions volontiers : de « quel
fils il est ». C’est donc le rapport substantiel entre l’être mème du
Père et celui du Fils qu’il faut examiner pour arriver à reconnaitre
si, oui ou non, saint Cyrille admet une réelle infériorité et subor-
dination du Fils. Nous y viendrons dans le point suivant de notre
étude, où nous ferons voir que, s’il omet le terme Svozvats:, notre
Docteur tient vraiment la doctrine orthodoxe et exclut toute subor-
dination réelle en professant l'égalité parfaite du Père et du Fils
dans la possession commune de l’unique substance divine. Ce
rapport substanticl n’est pas touché dans les textes incriminés ;
nous allons montrer qu’ils ne considèrent le Père et le Fils que dans
la sphère des rapports d'ordre personnel et que souvent encore,
Cyrille y prend soin d’écarter toute subordination réelle.
Le Père seul est 37evr70:, le Fils est zwei; ou povoyevr: et a le
Père comme principe (3:77). Mais l’agennesie ici considérée et
réservée exclusivement au Père est, chez lui, une propriété de la
personne et non de la nature. Avoir un principe, ètre engendré, ce
366 J. LEBON.
sont, chez le Fils, des propriétés de la personne et non de la nature
ou substance, qui est numériquement la même que la nature ou
substance du Père. Jamais saint Cyrille ne dira que le Père est le
principe de la nature ou substance du Fils (ÿcyn 7%5 ovaix; ou 7%:
œugsns r2ù uios), ni que le Fils est une nature ou substance engendrée
(ouoix où œquots yewvnlisioz) ; il dit que le Père est le principe du Fils
(évyn 702 vioi äyrvos) et que le Fils est Dieu engendré (5:5: yewvr5:':) ;
c’est parce qu'il est le Fils, et donc dans l’ordre des rapports
personnels, que l’on peut parler et que l’on parle de lui comme
ayant un principe, comme élant U:55 ysvyrbs'e, etc. Même lorsque
Cyrille, rappelant le texte : « Ascendo ad... Deum meum et Deum
vestrum », dit que le Fils assigne le Père comme son Dieu, il ramène
ce rapport à l’ordre personnel, sans l’expliquer davantage parce que
l'autorité de l’Écriture lui paraît une garantie suffisante, mais en
maintenant expressément malgré cela que le Fils est vrai Dieu. La
seconde partie du texte lui semble exactement, dans le sens comme
dans la forme, parallèle à la première : « Ascendo ad Patrem meum
et Patrem vestrum », où l’on ne doutera pas que ce soit le rapport
personnel du Fils au Père qui soit visé (1). La soumission, l’obéis-
sance du Fils au Père est d’autant plus clairement soustraite à l'ordre
de nature et ramenée à l’ordre des rapports personnels résultant de la
génération, que saint Cyrille en fait une soumission absolument libre
et volontaire de la part du Fils. Réfutant une interprétation abusive
et erronée de 1 Cor., XV, 28, Cyrille admet parfaitement le fait de
la soumission, qui y est affirmé (orsrzxyrasrau) ; loin de restreindre
cette soumission au temps qui suivra la consommation des choses,
il l’étend, avec l’Écriture, sous forme d’obéissance, à toute la durée
du Fils (oby ôre rôre Spyirar Retanyely To Haro! " 2ei 20 TX ALETTA
avr noi ravrote). Mais il s'empresse d'ajouter que cette obéissance
ne répond pas chez lui à une soumission forcée et imposée, comme
chez un ètre inférieur, un esclave, mais est une obéissance de libre
choix, une obéissance spontanée et amoureuse, l’obéissance d’un fils
(axi sors Drarcus, oùx svayradtry dnorayny Éyoy, 241 aUTOR COX CET 0y
sons Dear * cù ao Jodd5: EG rev, Wa van VIT ah, QhIX viis ET, vx
naioe axi gu007007'x ru0%) (2). Pour le Fils donc ce que nous
appel ons, avec l’Ecrilure, se soumettre, obéir, e’est simplement,
au sentiment de saint Cyrille, se conduire en fils, agir en fils à
l'égard du Père ; c’est une attitude dictée par un rapport d'ordre
(1) XL, 18-19 (R, I, 312; M, 713, B-C). Remarquer l'explication : « nps
Toy bedy pou, xai Dev dury …. eucd, m3 Vic yrraiou al uovsyevons… »
(2) XV, 30 (R, LE, 198 ; M, 912-913).
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 367
personnel, nullement imposée par un rapport de nature ou de
substance (1).
Enfin, avons-nous vu, l'exercice des prérogatives ou fonctions de
démiurge, de seigneur, de roi, de juge et, en général, toute l’activité,
du Fils sont conditionnés par le signe, la volonté (:2uz, Hénux) du
Père. Mais agir ainsi vvuxrt rxrpss, c'est tout simplement, pour le
Fils, agir comme fils, c'est-à-dire conformément au rapport per-
sonnel qu’il a avec le Père, en tenant pratiquement compte de ce
que l’un est le Père et l’autre le Fils. Cyrille dit : rxrps: Bouarbiyroc
TX TAYTA HATATAEVATAL, Th TOÙ RAT RO Veouart à Yio: Ta Ravra EOnpuoUg-
"32; et pourquoi mentionner ce wiux +os rxrp5s ? Afin que l’on
marque bien que le Père garde la puissance primordiale, reste la
source et le principe de fa puissance, comme il est la source et le
principe de l'être du Fils : tx +0 uzy veux Trio 7 [azpi rry avbevt-
#19 EouT'xy, c'est-à-dire, en fin de compte, pour que le Père reste le
Père et que le Fils crée comme il convient au Fils de créer (2). Cette
sorte de restriction à l’indépendance et à l'égalité du Fils (uuxrt
_Ilzzcé:) s'explique de mème dans tous les cas où nous Ja trouvons
employée ; jamais elle n’a pour but d'exprimer une dépendance, une
subordination essentielle. Ainsi encore, par exemple, pour la préro-
gative de Seigneur, dont l'exercice est aussi, comme nous l’avons
entendu, réglé par le :5ux du Père : sur le texte « Dixit Dominus
Domino meo : sede a dextris meis », Cyrille remarque que Dieu parle
ainsi non à un scrviteur, mais à celui qui est, sans doute, le Seigneur
de toutes choses, mais en même temps son Fils, a qui il a tout soumis
(aus zuoïm rar Diet, cù doute 22)à sv0tn uey Ty ravrwy, Yim dE
arcd, © navTa Vréra£ey) ; Car le Fils monogène est, en même temps
que Seigneur universel, Fils docile (zugess sote Toy mavroy à movoyeyns
Vis Vis: 05 rod Rart0s evnafr:), car il n’a pas ravi celle seigneurie,
mais il la tient du Père qui la lui a donnée de plein gré (c5y 307272;
TO AUAEVEY, 24AX Ta0” avr waupiteu Aafimy) (3). L'expression vevpart
rats rvueve Signilie que le Fils exerce la scigneurie comme il la
possède, c’est-à-dire, en Fils docile, en ui: eur cris ; il en va de mème,
comme on pourrait le montrer, pour tous ses autres actes.
(1) De même encore, si le Christ déclare qu’il a observé les préceptes du
Père (Jou., XV, 10), ou qu’il ne peut rien faire de lui-méme (Jon., V, 19),
saint Cyrille ne trouve en cela qu'une marque de déférence, un honneur que
le Fils donne à son Père ; il ne songe nullement à expliquer ces paroles par
une infériorité de natu-e, une subordination réelle. Voir VII, 5 ct XI, 33
(R, EL, 214 et 318 ; M, 612, À et 720-721).
(2) XI, 22 (R, I, 318 ; M, 720, A).
G) X, 9(R, L 272; M, 672-673).
368 | J. LEBON.
Il faut conclure cette longue discussion et en résumer brièvement
les résultats. En certains endroits, les manières de parler employées
par saint Cyrille sembleraient indiquer qu’il place le Fils dans un
rapport de dépendance, de subordination, et donc d'infériorité in-
compatible avec l’orthodoxie parfaite, à l’égard du Père. Que les
apparences subordinatiennes d'un tel langage ne l’aient pas choqué,
cela s’explique par le contact étroit et continuel que son enseigne-
ment garde avec l’Écriture, où se rencontrent des paroles semblables,
et par la tendance de son époque et de son milieu à se mettre sur-
tout en garde contre le sabellianisme et à voir en lui le principal
et presque l’unique ennemi. Notre Docteur reconnaît et confesse
certainement que le Fils est Dieu proprement dit, véritable et par-
fait, mais il confesse aussi sincèrement et certainement qu'il est et
reste toujours Fils, tirant son origine du Père par une génération
qui, pour étre ineffable et à l’abri de toutes les imperfections de la
nature humaine, n’en est pas moins réelle. Il ne perd jamais de
vue cette origine, en considérant le Fils, ni le rapport d'ordre per-
sonnel dans lequel cette origine le constitue avec le Père. Les for-
mules incriminées renfermeraient sans doute un subordinatianisme
réel si elles prétendaient atteindre et énoncer le rapport substantiel.
Mais il n’en est rien ; comme nous croyons l'avoir montré, elles ne
dépassent pas la sphère des rapports personnels, n'étant que des
conclusions ou des applications de la doctrine recue sur l’origine
du Fils et ayant dans cette doctrine la mesure exacte de leur portée.
Elles sont d’ailleurs, pour le redire encore, scripturaires dans la
plupart des cas, et souvent accompagnées d'explications ou de
restrictions qui en écartent tout danger.
Si le Fils est « du Père », il tient tout du Père ; cela se traduit
par : « le Père lui à tout donné », avec le correctif : « mais non pas
comme à quelqu'un qui ne l’avait pas ». Si le Fils est « du Père »,
son activité, en dernière analyse, est aussi « du Père », et il l’exerce
comme il convient à un fils; on l’exprime en disant qu’il crée,
donine, règne, juge, etc, parce que le Père l’a voulu et selon la
volonté, l'indication du Père. Si le Fils est « du Père » et agit « du
Père », il reconnaît pratiquement cette origine de son être et de
son action ; on dit alors, — l’analogie humaine aidant, — quil est
soumis, qu’il se soumet au Père, qu’il honore le Père, que le Père
ordonne et le Fils obéit, tout en ajoutant à l’occasion : « non pas
comme un serviteur, mais comme un fils et un tel fils; non pas
par nécessité ou devoir strict, mais librement, spontanément et par
amour ».
Ces explications sont loyalement et littéralement tirées des textes
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 369
mèmes de saint Cyrille (1). Ces formules n’ont du subordinatianisme
que l'apparence, qui s'explique par les causes que nous avons
(1) Malgré notre souci constant de tirer des paroles mêmes de saint
Cvrille la solution de la difficulté ici examinée, on trouvera peut-être la distinc-
tion entre l’ordre des rapports essentiels et l’ordre des rapports personnels
trop subtile et trop moderne ou « scolastique » pour pouvoir être appliquée
légitimement à l'explication de textes si anciens et si simples; peut-être
sera-t-on tenté de dire que notre interprétation est plus systématique qu’his-
torique. Nous répondrons tout d’abord que saint Cyrille ne manque pas de
science proprement théologique et que celle-ci se trahit dans ses Catéchèses,
quelque simples et familières qu’elles soient. Nous ajouterons que notre
distinctions n’est « scolastique » ou moderne que dans sa formule ; par son
contenu, au contraire, elle est très ancienne et même contemporaine de
notre auteur. Nous la rencontrons, en effet, équivalemment sous la plume
de saint Hilaire de Poitiers, dans un cas qui offre avec celui que nous avons
examiné ici la plus parfaite ressemblance. On nous pardonnera de nous
arréter quelque peu à mettre cet exemple en lumière. On sait que les
évêques eusébiens réunis en synode à Sirmium, en 351, avaient émis une
proicssion de foi suivie de nombreux anathématismes ; la pièce nous a été
conservée en grec par plusieurs anciens auteurs (Cfr G. L. HAHN, Bibliothek
der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche. 3° édit., p. 196-199, Breslau,
1897). Saint HILAIRE, dans son Liber de Syÿnodis seu de fide Orientalium (PL,
X, 479-546), écrit au plus tard au commencement de 359, l’a traduite en latin
et commentée dans un esprit de visible bienveillance, inspiré par le désir de
faire l'union de tous les adversaires de l’arianisme proprement dit. C’est
l'anathématisme 18 {chez saint Hilaire c'est le 17°) qui nous intéresse ici,
avec l'explication qu’en donne l’évêque de Poitiers. Les membres du synode
ne s'étaient pas contentés d'y porter l’anathème contre le dithéisme qui
aurait voulu s'appuyer sur l'attribution du nom de xuguos et au Père et au
Fils dans le texte de Gen., XIX, 4, touché dans l'anathématisme précédent
(HauN, L c., p. 198 : sÙ res ausocy xvpuoy Toy [laripa xœi rôv Visy xocuon…
Duo heu Dsous, avsliux Égru) ; ils avaient ajouté une explication qui
pouvait paraître nettement subordinatienne, et qui, par ses formules et ses
réminiscences scripturaires, correspond exactement à ce que nous avons
entendu de la bouche de saint Cyrille. Ils déclaraient ne pas mettre le Fils
sur le même rang que le Père, mais le soumettre au Père (sù 30 auvr3a-
Sous) viôy 7m Trarpi, x À} Ünoreraypivey Tn Tati); et en effet, pour-
suivaient-ils, s’il est descendu sur Sodome, ce n’est pas dyeu (iruir: ra
RATEOS, et s’il a fait pleuvoir du feu sur cette ville coupable, ce n'est pas
19" Eavroù, mais Tacx kupiou, C'est-à-dire aUevrOuvTes TOU TaThis,
et s’il est assis à la droite du Père, ce n'est pas 39° éxuroù, mais parce que
le Père lui a dit de le faire: 34° axovs iyovros rod [arcés * xzbou EX
HATAP] LOU. I] serait difficile, on en conviendra, de trouver un parallélisme
plus frappant avec les déclarations de saint Cyrille, Qu’on écoute maintenant
saint Hilaire expliquer (PL, X, 518-51y) comment la doctrine ici exprimée
par les évêques du synode de Sirmium n’est pas hétérodoxe. L'apparence de
subordinatianisme ne lui échappe pas ; il ÿ a danger de comprendre l’expli-
cation des évêques comme comportant une diversité de divinité dans le Père
etle Fils; mais Hilaire se rassure par le contexte : « Et superiora et con-
370 j. LEBON.
signalées. D'ailleurs ce n’est pas d'elles, — car elles ne sont pas
ad rem dans cette question, — qu’on peut s’aider pour déterminer si,
oui ou non, saint Cyrille admet une infériorité et subordination
réelle et quant à l'être même, du Fils à l'égard du Père : un tel
rapport entre eux est exclu par ce qu'il enseigne touchant l'origine
sequentia suspicionem, si qua esse in his dictis videbitur, penitus excludunt,
ne diversitas dissimilium deitatum in Domiro et Domino praedicetur ».
Il doit cependant expliquer comment les évêques ont pu dire : où ouvr&o-
GOpEy vioy To RaTpi. Il approuve cette parole, tout d’abord, en ce sens
qu'elle exclut la dualité de dieux : « Et in eo non comparatur, quia duos
deos dici impium sit ». Il n’en serait pas de même si l’on voulait par là nier
que le Fils soit Dieu : « non autem idcirco non comparatur vel exaequatur
Filius Patri, ne Deus ipse non esse credatur »; car le Fils étant de même
essence et nature que celui qui l’a engendré (indifferentis essentiae, indifferen-
tis nalurae), a également droit au nom de Dieu, et l’on peut ainsi d’une
certaine façon duos deos connominare. Mais voici de nouvelles raisons,
toute scripturaires, pour justifier le « où auyrasaoue » du synode : « Et
vel in eo quidem maxime non comparatur nec coaequatur Filius Patri ; dum
subditus per obedientiae obsequelam est, dum « pluit Dominus a Domino »
ne a se ipse secundum Photinum aut Sabellium pluerit, ut « Dominus a
Domino »; dum ad dexteram Dei tum consedit, cum sibi ut consideret
dictum sit; dum mittitur, dum accipit, dum in omnibus voluntati eius qui
se misit, obsequitur. » Hilaire, on le voit, ne craint pas de renchérir encore
sur la documentation scripturaire de l’anathématisme. Mais immédiatement
il remet toutes choses au point, et cela en des termes qui bannissent la
soumission et subordination du Fils au Père de la sphère des rapports de
nature pour la confiner dans la sphère des rapports personnels : « Sed
pietatis subiectio non est essentiae diminutio, nec religionis officium degene-
rem efficit naturam. » Cette piété, qui inspire la soumission (ptetaltis subiec-
tio), ce respect qui impose l’obéissance (religionis officium), marquent de
leur empreinte les rapports personnels du Fils avec le Père, sans affecter sa
nature. Hilaire poursuit, dans une langue et un style dont on sait les diffi-
cultés; et du nom même de Dieu, donné au Fils, il tire et sa soumission
personnelle et son égalité de nature vis-à-vis du Père : « … et subiectio Filii
doceatur et dignitas ; dum et ipsi illi nomini Filius nuncupandus subicitur,
quod cum Dei Patris sit, tamen sibi ex natura sit nomen. » Le Fils a ce nom
de Dieu, mais ce nom est celui du Père, dont il est aussi le Fils : « habens
nomen, sed eius cuius et Filius est » ; la filiation ct la possession de son nom
sont deux chefs de soumission du Fils au Père : « fit Patri et obsequio subiec-
tus et nomine » ; mais, remarque immédiatement Hilaire, s’il y a soumission
en vertu de la possession du nom, il y a là aussi un témoignage de l'égalité
de nature : «ita tamen, ut subiectio nominis, proprietatem naturalis atque
indifferentis testetur essentiae ». Sans employer notre terminologie formelle,
saint Hilaire, croyons-nous, distingue comme nous l'avons fait à propos des
paroles de saint Cyrille de Jérusalem; l'autorité d'un contemporain, très
versé dans la théologie orientale, nous confirme dans la solution que nous
avons proposée et que nous croyons d’ailleurs puisée dans les textes eux-
mêmes.
8. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 371
et la divinité du Fils, et cette exclusion est clairement confirmée par
la trés réelle unité numérique de nature ou substance que, sans les
appeler éuooucia avec le concile de Nicée, l’évêque de Jérusalem
confesse dans le Père et le Fils.
*
CE
Car s’il n'en a pas la formule officielle (oucsuouss ro rarnt), saint
Cyrille tient, dès l’époque des Catéchèses, toute la réalité et toute
la vérité du contenu doctrinal de la définition nicéenne ; et cette
affirmation, que nous tenons à souligner, nous met à l’aise pour
éprouver critiquement la solidité des preuves sur lesquelles on peut
l'appuyer et nous préservera du danger d’être mal compris si nous
croyons devoir laisser tomber ou rejeter comme insuffisants certains
arguments parfois allégués.
Nous commencerons par cette dernière tâche, dont l’accowplis-
sement dégagera la voie vers ce qui nous paraît établir avec clarté
et certitude l’orthodoxie complète de la pensée de notre auteur.
Résumant les témoignages et les considérations qu'il a fait valoir en
ce sens, Mader écrit (1) : « Le Christ n’est pas une créature, mais bien
le Fils de Dieu par nature et non par adoption, engendré du Père
de toute éternité et en dehors des temps d'une manière incompré-
hensible et parfaite. Il est vrai Dieu, à qui rien ne manque quant à
l'excellence de la divinité, semblable au Père en tout et possédant
en lai tous les caractères de la divinité. » Après ce que nous avons
dit nous-mêmes dans les pages précédentes, il est à peine besoin de
remarquer que nous souscrivons entièrement à ces paroles. Mais
nous ne pouvons plus faire de mème quant à l'affirmation qui suit
immédiatement ces lignes : « Par la, la doctrine nicéenne de l'ho-
moousie du Fils avec le Père est, sans aucun doute, clairement
exprimée » ; celle-ci, en effet, appelle quelques remarques et ne se
justifie pas pleinement.
Selon l’auteur cité, saint Cyrille montrerait clairement et sans
aucun doute possible qu'il admet la consubstantialité au sens nicéen,
en enseignant la divinité réelle et proprement dite du Fils et sa par-
faite similitude avec le Père. Nous ne sommes pas tout à fait de cet
avis. A l’époque où les Catéchèses nous placent, l’arianisme brutal,
qui fait du Fils une créature et affirme une hétérogénéité absolue
(6) Op. cit., p. 81. — Le P. Le BAcHELET (L, c., col. 2547) s'arrête moins
à montrer comment l’idée que consacrait le terme éucouatns est certai-
nement contenue dans la doctrine cyrilienne qu’à chercher les raisons plau-
sibles de l’omission totale de ce terme.
372 j. LEBON.
entre sa nature et celle du Père, semble à peu près abandonné, et il
ne ressuscitera que plus tard ; les représentants des tendances
arianisantes sont sur la voie qui mène à la consubstantialité, à
l’orthodoxie nicéenne, mais sans y atteindre encore. À ce moment,
un Acace de Césarée peut bien admettre la génération proprement
dite du Fils, et un Eusèbe d’Émèése, semble-t-il, sa divinité véritable ;
néanmoins ils s'arrêtent en chemin, sans dépasser l’homogénéité ou
unité spécilique et la ressemblance parfaite entre le Père et le Fils.
Nous pouvons trouver leur logique en défaut, mais nous ne sommes
pas autorisés à la remplacer ou à la devancer par la nôtre, lorsque
nous retracons l’histoire de leur pensée. Il est vrai que l’unité
rigoureuse de Dieu et la divinité véritable du Père et du Fils ne se
concilient que dans la doctrine nicéenne de la consubstantialité ;
mais pour les théologiens qui sont du parti opposé au Synode et à
l’'ouovaus de sa définition, nous ne pouvons ni présumer, ni affirmer
sans preuves manifestes, qu'ils aient fait ou tenté par ce moyen la
conciliation entre deux doctrines qu’ils tenaient certainement. Il
faut ici reconnaître simplement que nous ignorons comment ils se
tiraient d'affaire, düt-il rester pour nous une énigme ou certaines
obscurités dans l'exposé qu’ils ont fait de leurs idées et dans ces
idées elles-mêmes.
L'argument tiré, dans le cas de saint Cyrille, de la similitude
parfaite du Fils avec le Père parait plus spécieux et il faut l’examiner
de plus près. Il est indubitable que notre Docteur tient l’homogénéité
absolue, ou l’unité spécifique, du Père et du Fils. Ce point est déja
établi implicitement par plusieurs des constatations que les textes
précédemment allégués nous ont perinis de faire : la divinité véri-
table du Fils, sa génération naturelle, avec le principe supposé de
l’'homogénéité nécessaire de l'engendrant et de l’engendré, sont des
doctrines qui impliquent que le Père et le Fils sont de même nature
divine. I] ne manque d'ailleurs pas d’affirmations explicites à ce
sujet ; comme nous allons l'entendre, Cyrille n'hésite pas à dire et à
répéter que le Fils est, à l'égard du Père, Guuos, y näoty Guutos, cutios
xxTa nayrx, etc. Avant de citer les textes et d'étudier la valeur qu’y
prennent ces expressions, considérons-les un instant en elles-mêmes.
Ce qu’elles nous disent ainsi, il faut le reconnaitre, c’est simplement
la ressemblance, la similitude (cuac:), similitude en tout, absolue et
parfaite si l'on veut (y näou, 274 mivra), mais cependant similitude,
dont le plus haut point est l'unité spéct/ique et nullement l'unité
numérique, qui appartient à un autre ordre que celui de ressem-
blance. C'est ce qui permet à saint Cyrille d’en user dans d’autres
cas, où il ne peut évidemment pas être question d'unité numérique,
$. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 373
d'identité. Il dira, par exemple, pour marquer l'homogénéité, Punité
spécifique, de l'humanité du Christ avec la nôtre, que le Seigneur a
pris +0 ouory nu (1). Il dira de même, après avoir marqué l’incom-
préhensibilité divine, qu’il doit suffire à la piélé de savoir que nous
avons un Dieu, Gs6y Evx, Dior Gyrx, aei Ovrx * Ououoy ei éxuTe) Évra.
L'affirmation de l'unité numérique de Dieu et, si l’on peut ainsi dire,
de sa parfaite identité avec lui-même, se trouve dans la première
de ces expressions, et dans la formule que fournit le contexte : st;
@y 221 à avr: Quiconque voudrait trouver la mème pensée dans
l'éuscs ei Eaurm se tromperait manifestement ; Cyrille lui-même
explique ces mots en remarquant que, malgré la diversité des noms
et titres qu'il reçoit, Dieu n’est pas di3g2005 xai aioiss, qu'il n’est
pas supérieur quant à une perfection et inférieur quant à une autre,
mais £y räcty duos avros Ezvr@ (2). L'expression signifie donc bien
que Dieu est en toutes choses semblable à lui-même, c’est-à-dire,
également parfait; elle relève non pas l’unité numérique, mais
l’absolue homogénéité de l'être divin.
Le terme ôuoucs recevrait-il du contexte, dans les passages où ïül
caractérise le rapport substantiel du Fils au Père, un sens différent
de celui qu’il a par lui-même et en arriverait-il ainsi à marquer
entre eux l'unité numérique de nature comme l’éuocvcto: nicéen (3)?
Il ne semble pas qu'il en soit ainsi. Catéch. IV, 7, Cyrille {4) com-
mence l’exposé du deuxième dogme par ces mots : « Crois aussi au
Fils de Dieu, l’unique et seul, notre Seigneur Jésus-Christ, engendré
Dieu de Dieu, engendré vie de vic, engendré lumière de lumière,
Toy Opucy ATX Tavra T'n Yyeyoayte. » La traduction qui s'impose
pour ces derniers nots est : « semblable en tout à ce lui qui l’a engen-
dré ». Que le Fils soit Dieu de Dieu, vie de vie, lumière de lumière,
cela explique en partie pourquoi il est semblable (ouc:) au Père ;
l'expression x272 rivra résume toutes les raisons de similitude ;
qu'il soit tout cela en vertu de la génération, cela ne conduit encore
proprement qu’à l’unité spécifique de nature, et nullement à la con-
substantialité nicéenne que rien n'indique, même sous-jacente, ici.
Catéch. XI, 4, l’auteur revendique pour le Fils une filiation véritable
(x) XI, 15 (R, IL, 20; M, 741, B) : Cyrille dit deux fois : « avi) (Be rÔ
GUGACY RUDY. >
(2) VI, 7 (R, L 162-164 ; M, 548-549).
(3) T, FôRSTER, L. c., p. 382, apporte aussi la formule Cases: 4275 Ravræ
pour établir que, si Cyrille n’a pas employé le terme éussusrs:, il en a
gar ‘é tout le contenu doctrinal « in unzweideutigen Wendungen ».
(4) R, I, 96; M, 461, B.
REVUS D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 24
374 J. LEBON.
et naturelle, toute différente de notre filiation adoptive. Il n’est pas,
comme nous, devenu par génération ce qu’il n'était pas : cros dE
cüx hi ru @v, SAdo re syeuvrbr, mais c’est dès le principe et comme
Fils qu'il a été engendré : 2414 Yics £6 apyñs yen. Cyrille ajoute :
Vis Ev näouw Ououc: rm yeyemmairt (4). Rien dans ce qui précède, rien
dans l’idée ici exprimée n’exige l’interprétation de ce dernier membre
dans le sens de la consubstantialité proprement dite. Le Fils peut
ètre conçu comme fils véritable, naturel, sans avoir une substance
numériquement une avec le Père, pourvu qu'il soit de la même
nature et que sa filiation résulte d’une génération proprement dite.
Le dernier membre introduit donc une idée nouvelle: l'accent est
sur :> rot Ct l’on appuie sur la perfection, la totalité de similitude,
de ressemblance, qui est ensuite expliquée par l'addition : «engendré
vie de vie, lumière de lumière, etc. », comme dans le cas précédent
et sans portée ultérieure. — Mème constatation en Catéch. XI, 9.
Saint Cyrille, qui a expliqué que la génération divine se distingue
de la génération humaine, en est revenu, avec l'expression U:5y
œrnvéy, à l’article du symbole qu'il expose. Il poursuit : 6e: 30
ares @y à Marre, Oustoy saut 2Evvx Toy V'iov, ec z4rluvéy (2). Qui
pourrait soutenir que la pensée de l’auteur n’est pas rendue complè-
tement par la traduction suivante : « Étant Dieu véritable, le Père a
engendré le Fils semblable à lui, Dieu véritable » ? Qu'est-ce à dire,
sinon que le Fils est ôuci: au Père parce que comme le Père, il est
Dieu véritable? C’est l'unité spécifique de nature qui est exprimée
par là, et rien n'implique nécessairement, dans ces paroles, l’unité
numérique de substance, — Enfin, Catéch. XI, 18, la citation du
texte de Jon., x1v, 19 : 5 sœooxxms Toy Yiôy, £mpazs Toy [larica four-
nissait au saint Docteur, discutant à la fois contre les Ariens et les
Sabelliens, une bonne occasion de l'expliquer clairement en affirmant
cette unité numérique de substance entre les personnes divines (3).
Mais, au lieu de cela, nous ne trouvons que l'affirmation : éuss: 7
ey RAT 6 Vis To ysyewmxott, avec le développement habituel :
engendré vie de vie, lumière de lumière, etc. ; comme nous l'avons
dit et répélé déjà, ce n’est que la similitude parfaite qui est ainsi
affirmée et décrite. I est vrai que Cyrille ajoute ici une phrase dont
on a voulu également profiter pour lui attribuer la profession claire
et manifeste de l’unité numérique de substance. Ne dit-il pas, en
effet : xxi 27a0S laure is Desrnros oi YALAXTRIES EUTIV Ev 7 Vic, en
G)R, I, 294; M, 696, A:B,
(2) R, I, 300; M, 700, C.
(3) R, IL, 312; M, 712-713.
8, CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 375
y ajoutant encore que « celui qui a été jugé digne de voir la divinité
du Fils vient à la jouissance de celui qui l’a engendré » (1)? Mais
ces paroles ne prouvent pas plus que les précédentes. Ce que saint
Cyrille entend par ci yacaxrñp:s Tf: Desrnros n’est pas douteux : ce
sont les marques de la divinité, les perfections divines. Elles sont,
dit-il, dans le Fils, et comment y sont-elles ? Elles sont en lui
2r2044)x4Tu, Sans aucune différence, évidemment au regard de ces
mêmes perfeclions, xæpxzrñp:s Ts Desrnro:, telles qu'elles se ren-
contrent dans le Père, le y:7sr205, à qui le Fils vient d'être dit
Guuos ey raotv. Mais arx02/Axxro: De veul pas dire « non distinct »,
mais bicn « non différent » ; l'absence de différence est dans l’ordre
d'espèce, non dans l’ordre de nombre, ct cette phrase n’affirme rien
de plus que l’éuocs sv nou 7m ysyemmects qui précède (2). Quant à
(1) Zbid. — Cfr J. Mapen, l. C , p. 79; T. FGRSTER, L. c., p. 382.
_ (2) Que cette formule : « ARACRAIXATOL This eSTnros où yxpaxTpis aicuv
e To V'ié », ici employée par saint Cyrille, n’exprime pas clairement et par
elle-même la consubstantialité du Père et du Fils, mais seulement leur simi-
litude parfaite, c’est ce qu’on doit conclure de l’emploi qu’en a fait ACACE DE
CÉSARÉE, à la même époque. Le sophiste arien Astérius avait écrit, dans son
Syntagmation, que le Père a engendré le Fils « ... oÙUgias Te xxt (ours
PAT CMPETENE xai 0GEns arx0% ax oy eixOya » ; Marcel d'Ancyre, dans son
livre, avait attaqué cette formule d’Astérius, prétendant qu’elle signifiait que
le Fils n’est ni substance, ni volonté, ni gloire, ni puissance lui-même; Marcel
fut, à son tour, réfuté par Acace dans un écrit dont saint ÉPIPHANE a sauvé
des fragments (Panarion, haeres. LXXII, 6-10; PG, XLII, 389-396). En
s’efforçant d'expliquer et de justifier la formule d’Astérius, Acace en vient
à parler absolument comme le fait saint Cyrille. Il dit, en effet (/. c., 9; PG,
XLIL, 393-395) : < oùGias où, nai Ouyauews, xx [(Snudr:, nai Ocins
arab hlaxToy LEyov "Âdrémos aixivx Toy Y'ioy roù [xrpss, nivrws cio-
VE TOUS TATEUROUS XALAATI LAS sysivau Àsyet Ti Vi, xat Ta Emivoouueva
r6ù [arpès rerunwobxu, n dedcobxr ré Vin... ». Et cependant, Acace
de Césarée, bien qu'affirmant l’existence des e caractères » du Père dans le
Fils, est loin de confesser par là l’unité numérique de substance ; il s’entient
à la similitude parfaite en ramenant tout à l'ëmitation absolue du Père dans
le Fils. C’est ainsi que le Fils, image vivante de la substance, de la volonté,
de la puissance et de la gloire, est aussi substance, volonté, puissance et
gloire ({bid., 9; PG, XLII, 396, A): « cÜTwS oÙG'as oùTiay Eixcya Àsyousy
dx péunau Suciorarny Éwñs re xai ivenyelas* cÜre dE rai (fou): Gouhnv
Exôva … ka OuvauEuws kai ÔSEns, duvauuy xai ÜG£ay ». Etaprès avoir cité,
en confirmation, JoH., V, 26 et 21, Acace insiste encore uniquement sur la
ressemblance, la similitude en concluant : « 70 V2) OTTREO-OÙT UE, EL X9=
A
hs ÉOTL [UUNTEWS, Rat QUNGOTEGS GAUSEs Exuaxyeicy » (Ibid., 396, B). On
ne peut pas affirmer que la formule signifie plus sous la plume de Cyrille que
sous celle d’Acace sans en apporter des preuves, que l’on n’a pas produites
jusqu’à présent et qui, croyons-nous, n'existent pas.
376 | J. LEBON.
ce qui suit encore, c’est tout simplement la paraphrase du texte
évangélique allégué. Sans doute, s’il y a unité numérique de subs-
tance divine, qui voit la divinité du Fils « vient à la jouissance de
l’engendrant », c’est-à-dire, voit la divinité du Père; mais si le Père
et le Fils sont absolument semblables, si les perfections divines sont
parfaitement les mêmes dans chacun d’eux, on comprend aussi que
quiconque voit l’un, voie aussi l’autre, sans que la consubstantialité
soit par là nécessairement supposée, ni surtout clairement expri-
mée (1).
Il faut donc reconnaitre loyalement que, sous la plume de saint
Cyrille de Jérusalem, les expressions ôuccs, Guouos Ev Täcty, ôuruos
xara m2vTx ne Sont ni formellement, ni équivalemment synonymes
de l’éucoucu: nicéen. Tant dans le contexte que par elles-mêmes,
elles ne marquent entre le Père et le Fils que la simulitude parfaite,
l’unité spécifique, et non pas l’unité numérique de substance. Mais
nous ajouterons qu'il faut tout aussi loyalement reconnaitre que ces
formules, et l’idée qu’elles traduisent, n’excluent nullement la con-
substantialité proprement dite. Partout où elles se rencontrent, elles
sont employées, comme s'exprime l’École, positite, non pas exclusive.
Jamais saint Cyrille ne déclare, ni même n'insinue, que le Fils est
seulement ôu155, quoique £v rie où xar> ravrz, au l'ère. Dans tous
les endroits notés, il affirme leur sünilitude parfaite, sans nier qu'il
y ait mieux ct plus, — à moins que ce « plus » ne soit conçu comme
la confusion, la « filio-paternité » (zuvxaugr, visnaroo'a, quyahoun
Tñs vioratop'ax:) des Sabelliens. Aussi, nonobstant le sens auquel
nous avons cru devoir ramener sincèrement l’éuo:;, sommes-nous
autorisés à chercher et pouvons-nous espérer trouver chez saint
Cyrille, comme nous le disions plus haut, toute la réalité et toute la
- vérité du contenu doctrinal de la définition nicéenne. Mais où cela
va-t-il se rencontrer ?
L
» +
Dans cette mème Catéchése X1, saint Cyrille veut établir et ensei-
gner la divinité proprement dite du Fils. Les adversaires qu'il y
(x) J. MaDer (I. c, p. 78) fait encore état d’un détail du texte de saint
Cyrille dans le même passage : « xai lyx eiTO) GUVTOUWTELOY, UNTE YODt-
ÉUEY, UrTe Suyalcugry Ecyaconehx » 5 11 semble comprendre l'expression
Bite yoL'wuEy comme rejetant la distinction numérique de substance et
athrmant ainsi la consubstantialité. Mais on voit clairement par la phrase
absolument parallèle qui suit, à quelles doctrines Cyrille veut s'opposer :
xx vire 2267009 note Toù 1lartcs sirrs Toy V'ioy' pére xaTadEEn Tous
Déyovrazs Tôy Ilaripx norë piy raripa, morë dé viiy stvou. » Le Fils qui
8, CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 377
combat directement sont les Ariens, bien que les circonstances le
mettent aussi perpétuellement en garde contre les Sabelliens. Au
n. 16, comm» troisième témoignage scripturaire de cette divinité,
il allègue Is. xLv, 44-13, en appliquant les mots où yap ei... à Gers
T0 Isoxï curxp, au Christ, dont la divinité est ainsi clairement
attestée (1). Mais te texte renferme aussi les paroles : xot y oot
ronge £oyrat, 67e y go 6 025: so7e, que Cyrille se croit obligé d’expli-
quer. 11 le fait en les rapprochant de Jon., xvur, 21 et xav, 14, d’ou
il tire le double enseignement de l'unité et de la distinction person-
nelle entre le Père et le Fils. Insistant sur le texte : £y5 xxi 0 [x7n0
& icuzy, il poursuit par une description des plus intéressantes de
raisons ou modes d’unité qui existent entre le Père et le Fils, de
manières dont le Père et le Fils sont et apparaissent £». Quatre fois
consécutivement il emploie la formule #, dx r6..., en la faisant
suivre de l'énoncé d’une raison, d'un fondement, d’une preuve
d'unité. Voici le passage, car il vaut mieux le présenter dans un
texte suivi que l’éparpiller en extraits (2).
TEv, 9x 70 xarà ny Os6rnrx àfoux * Enaôn 0eos Deby s-yEnmaes. “Es,
dix rô xxra Ty Basueay* où y30 dd)my Baouste Ilazrp, So ds Vis,
4 4 AP 4 s , : eo , ssss + , « Ù
kaTà Toy 'AGeoahoy avratomy 7 marp!" 2) @y Pardi à [arro,
rorwy (Baousver xai 6 Yi6s. “Ev, dx 70 pnisulay eva diagor'av »
dLITTA GUY * GÙ 730 Shha Mouliuxra [larpos, &)hz dE Yivo. “Ev, du To
un styat dx Xuugroo OnuucupyruxTa, «ai XÀx Îarpés * uix Jap
TAYT GY drutsUD y Ia, T0 [laps du 709 Y'ioù rErotrxiros.
Quelques remarques préliminaires sont nécessaires avant l'examen
détaillé de chacune des quatre sections de ce texte. La proposition
de l’unité se fait entièrement de façon positive, nullement de façon
restrictive ; on peut encore reconnaître par là que l’exposé en est
fait contre l’arianisme et non contre le sabellianisme soit réel, soit
soupconné dans la doctrine nicéenne de la consubstantialité. En
outre, rien ne dit nine suggère que l’auteur a donné ici toutes les
raisons, tous les fondements qu’il admettait pour l’unité du Père et
du Fils ; son énumération n’est pas nécessairement exhaustive. Il
avait ses motifs pour parler comme il l’a fait : peut-être a-t-il cherché
un certain effet oratoire par la quadruple répétition de la même
n'est pas Aéro: Toù [zsoi:, c'est celui qui est Guru: Ev row Tù
YEYEMAITL, comme Cyrille vient de le dire; ce n'est pas nécessairement
Celui qui possède une substance numériquement une avec celle du Père.
(1) R, I, 308 ; M, 709, B.
(2) R, I, 310 M, 709-712.
378 J. LEBON.
formule ; évitant l’osocuoto:, pour des raisons qu'on connaît, et la
terminologie scientifique et philosophique, il a donné des deserip-
tions plus frappantes et plus à la portée de son auditoire ; enfin,
s’il repousse énergiquement l’arianisme en répétant et en justiliant
l'affirmation de l’unité, une certaine réserve, qui apparaît dans Ja
manière de proposer celte doctrine et ses preuves, s'explique par la
crainte instinctive du sabellianisme, contre lequel il est toujours en
garde.
Notons encore que saint Cyrille ne dit pas ici que, pour les
raisons qu'il assigne, le Fils est ouoc: au Père, mais bien qu'il est
ëy avec lui. Ce terme & signifie « une chose, un objet » et situe
l'unité dans l'ordre réel et substanticl. Voudra-t-on épiloguer et
contester la valeur que nous lui attribuons, en disant, par exemple,
que saint Cyrille se contente d'employer une expression scripturaire
sans en scruter et en admettre le sens total ? Nous répondrons qu'il
est impossible que l'attention de l’auteur n'ait pas été frappée par
ce £y, qu'il répète à quatre reprises et que, s’il n’en admettait pas
le sens premier et plein, il n'aurait pas omis de noter une restric-
tion, par exemple en l’expliquant par ôucos, ce qui eût été de son
intérêt dans son opposition au sabellianisme. Contre cette erreur, il
se contente d’exclure l'unité personnelle du Père et du Fils ; quant
à l'unité réelle et substantielle, il ne pouvait pas, vu les circon-
stances, l’exprimer formellement par lévcsucuw:, mais il y a insisté
par la répétition de ce terme © et par des descriptions qui, croyons-
nous, serrent du plus près possible l’éuccecuos nicéen et en atteignent,
en réalité, tout le contenu doctrinal. C’est ce que nous allons essayer
de montrer en examinant soigneusement chacune des parties ‘de
notre texte et en nous aidant, à lPoccasion, des explications données
ailleurs par saint Cyrille.
1° Le premier fondement assigné à cette unité réelle, c'est 75 +272
Try Meirnca 2£imux. Cet 3Ëoux var ziy feirnrx, C'est évidemment
ce que saint Cyrille appelle ailleurs +5 +7: Ye55rros 22'oux (|) ; c'est
la prérogative, le rang de la divinité, le rang divin, qui n'appartient
qu'à celui qui est vrai Dieu, ce que le Fils est en réalité, puisque la
génération divine n’est ni imparfaite, ni trompeuse : iradr He: Div
siyrsey. Et cette périphrase désigne tout simplement la divinité (x
besrrs), en en relevant peut-être l'excellence et la gloire (2). Lorsqu'il
(x) Cfr X. 6,7; XI, 2 (R, I, 268, 270, 292; M, 668, B, 669, B, 692, B).
(2) Exactement comme 76 T£: ui95rT0: CHOPE et ro TNS KUBUSTNT OS
actœoux (X, 5: R, 1, 266; M, 665, B) et +0 LE se AOE CHOE
(XI, 1: R, 1, 290; M, 692, A) signifient x v07rE:, % HU ns EGHUr,
Ces périphrases sont dans le style de notre auteur.
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’ARIANISME. 379
justifie son affirmation par le recours à la génération divine, Cyrille
n'entend pas dire simplement que le Fils est d'essence divine, mais
bien qu'il est vraiment Dieu, qu'il est, quant à sa réalité, substance
divine ; c’est cette réalité divine, et non pas une prérogative, une
dignité extérieure, qui est marquée par 7% xx7à Tv Uiôrnra lo ua ;
et cette réalité est donnée comme la raison, le fondement, la cause
(23), entre le Père et le Fils, non pas d'unité personnelle (et:), non
pas davantage de similitude ou ressemblance (ou-u0:), mais d'unité
numérique de substance. Car, que le Fils soit « une chose : y » avec
le Père par la divinité, qu'est-ce à dire sinon que chacun d'eux est
également cette réalité ? Cyrille n’admet qu'une seule divinité, qui
n’est certes pas une forme abstraite, pour le Père et le Fils, puisque
par cette divinité ils ne sont qu'une réalité, une chose, £y. On remar-
quera la place assignée à cette explication de l’unité; elle vient en
tout premier lieu et doit donc avoir été considérée par l’auteur
comme fondamentale, capitale, adéquate. Celles qui suivent pour-
raient être moins importantes et seulement complémentaires; elles
ne inodifieront pas la doctrine ici posée ou indiquée ; voyons si elles
confirment ce qui vient d'être dit. |
2 La formule dix +0 za73 Try (Baous'xy sous-entend le terme
2:œux et renferme une nouvelle périphrase qui, comme la précé-
dente, équivaut réellement au terme simple. La Gxo1:x chez le
Père et le Fils n’est pas une pure fonction ou un honneur externe ;
c'est la réalité qui fait que chacun d’eux règne (aoueve), et cette
réalité fait aussi que le Père et le Fils sont une « chose : £y ». Est-
elle une, en eux, numériquement ou spécifiquement? Pour le recon-
naitre, raisonnons avec Cyrille. I dit : où 732 #10 Broueua arr,
49 92 Yiss. Ces paroles, évidemment, ne signifient pas que le Père
ne règne pas sur des sujets d’une espèce et le Fils sur des sujets
d'une autre espèce, mais bien que les sujets du Père sont numé-
riquement les mêmes que les sujets du Fils; la suite du texte,
d'ailleurs, déclare explicitement cette unité numérique de sujets :
a @y Baruede à [azho, roro Barusis 6 Yiô:. Dès lors, le raison-
nement procède comme suit : sujets numériquement les mêmes,
royauté numériquement une, possédée à la fois par le Père et le
Fils qui, de ce chef, sont une « chose : >». C'est donc encore à
l'unité numérique que l’auteur aboutit par cette voie (1).
(1) Pour saint Cyrille, l'unité numérique de sujets comporte nécessaire-
ment l’unité numérique de roi ou de seigneur. C’est ce qui apparaît claire-
ment par la manière dont il raisonne contre ceux qui ont osé « diviser
l'unique Dieu » et dire que autre est l'auteur et maître des âmes, autre celui
des corps (IV, 4: R, I, 92-94; M, 460, A) : « nr: 20 duo #UL' 609 Ets Y'VET a
880 J. LEBON.
3° À première vue, la troisième raison ne semblerait établir entre
le Père et le Fils qu’une unité morale, une conformité parfaite de
volonté par la négation de toute discordance, de tout dissentiment
entre eux : deux 7 undeuéxy elvar duxgeovixy duxoraow. Le sens fût-il
tel, nous ne devrions pas craindre de le reconnaître, car ce parfait
accord existe réellement entre les personnes divines et, d'autre part,
l’unité numérique de substance est déjà suffisamment garantie par
ailleurs dans la doctrine de notre auteur. Mais il semble bien qu'ici,
pour Cyrille, l'absence de dixgwr'x ct de zoz201: n'est que le signe
d’une unité plus réelle, plus fondamentale, dont l'expression propre
se trouve dans la raison alléguée ensuite : où 720 &/)x fisuhruarz
Iazpè:, Xh)x d: Yio : les vouloirs du Père ne sont pas autres que
ceux du Fils. Ici encore, à propos des conseils divins, comme plus
haut à propos des sujets et plus bas à propos des œuvres, la dis-
tinction #/14-%)/2 n’est pas entendue dans l'ordre spécifique, inais
dans l'ordre numérique (1), et de nouveau le raisonnement est le
suivant : unité numérique des vouluirs ou conseils du Père et du
Fils, signifiée par l'exclusion absolue et nécessaire de tout désac-
cord; possession commune de ces conseils identiques par le Père et
le Fils qui sont, de ce chef et pour autant, une réalité (£>), source
de ces fcuinuxta (2).
4 Enfin, une quatrième raison d'unité est encore apportée. Pro-
posée dans une forme négative, elle gagne en clarté à être traduite
dans l'énoncé positif correspondant. La distinction 3)/2-%222 se fait,
dos: Sms, Toù run'ou }: ASE Ep 7 fouz * GudEtz Juyarat Jui
XUpIOLE doususey ; Ets où iore Ds5: U9YGE, 0 HA Luyo XAL TO)LITU)Y
Taurris. » Évidemment, ils ’agit de l'unité de Dieu et non de l'unité de per-
sonne en Dieu.
(1) Un passage très clair montre bien que la distinction #}/4-#À/>
est prise par Cyrille dans le sens numérique. 11 s'agit des Æuux72 du Père et
du Fils. Catéch. XV, 25 (R, IT, 190; M, 905, B), après avoir fait remarqu.r
que c'est par le Fils que le Père juge. et donc .que le Fils juge VEUURTI
MHarcs:, il ajoute : « 0 730 ha ITU: At Da vid Ta VEVUXTA, 2/46
Ey xt T0 œuTs. » Ces derniers mots énoncent bien l'unité numérique ‘de ces
vouloirs.
(2) L'argument eût été proposé d’une façon plus claire ct plus heureuse si
Cyrille avait dit directement : « *Ev, dx 75 uv eva ha Couviruara
TEA TU05, jh 92 Yico. » Mais la re employ ée était, sans doute, davan-
tage ‘à la portéc de l'auditoire, et mieux en parallèle avec les propositions
précédentes. Il est, en tout cas, certain que saint Cyrille ne veut pas simple-
ment noter ct affirmer, entre le Père ct le Fils, une pure unité morale, de
conformité de volonté. Pour arriver à l’unité numérique de substance, il nous
suffit de nous servir des éléments qu'il fournit lui-même, et de mettre en
forme l'argument qu'il présente d’une manière moins rigoureuse.
8. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 381
ici encore, dans l’ordre numérique, comme dans le cas précédent,
Le Père et le Fils sont £y, une réalité, une chose, car les créatures
du Père sont par identité les créatures du Fils. C’est là encore le
signe plutôt que la raison de cette unité. La vraie raison est ajoutée
tout aussitôt : « unique, en effet, est la production de toutes choses :
pa yap % rävrwr Jrpusvo'x ». Et pourquoi cette production est-elle
unique (u'1)? Parce que la force productrice est unique, La formule
employée : roù [xrp5: d13 roù Yioù nerurxsro:, le dit assez clairement
si l’on a soin de se rappeler ce qui a été dit plus haut de formules
semblables, en apparence subordinatiennes. La puissance créatrice
appartient également au Pére et au Fils ; mais comme, chez le Fils,
elle est, ainsi que la nature, « du Père », on dit que le Père crée
par le Fils. L'unité numérique de la puissance créatrice et de son
exercice repose évidemment sur l'unité numérique de substance, de
réalité divine, et tel est certainement le fond de la pensée, de la
doctrine de saint Cyrille.
Ainsi donc ces formules manifestent bien plus que l'unité spéci-
fique ou homogénéité du Père et du Fils. Attentivement scrutées et
loyalement interprétées, au moyen de leur contexte et d’autres expli-
cations de notre Docteur, elles nous montrent, dans sa pensée, tout
ce que renferme essentiellement l’éuosurus nicéen, à savoir, l’unité
numérique de réalité, de substance divine dans ces deux personnes.
Il nous a paru intéressant et utile de nous arrêter spécialement
à ce passage parce qu’il est généralement moins remarqué et que
son exégèse est de nature à mettre mieux en Jumière certains traits
caractéristiques de la théologie de l'évêque de Jérusalem. Ce n'est
pas à dire qu’il soit le seul auquel nous attachions de l'importance
et auquel nous reconnaissions une valeur probante dans la question
de la consubstantialité. 1 en est d’autres (1), parmi lesquels nous
nous contenterons d’en faire valoir encore brièvement un.
Dans la Catéch. VI, Cyrille s'arrête longuement à exposer et à
prouver l'impossibilité, pour n'importe quelle créature, de connaître
Dieu totalement et parfailement (2). Cette connaissance parfaite,
(1) La doctrine de la consubstantialité est encore sous-jacente, par
exemple, quand Cvrille soutient l’unité et l’indivisibilité de l’adoration à
rendre au Père et au Fils (7 peniiT 00 ñ repee XI, 17: R, I, 310;
M, 712, By. Si Cyrille dit, en cet endroit : & Et: Pare de vos Yiod
FOOT KUYE Ge) »,il n'ya, dans ce x V'iso, que l'expression, en formule
cyrillienne, du rapport personnel du Fils au Père.
(2) Sa thèse est, comme il la fait formuler par un objectant (VI,5:RkR, I,
160; M, 545, A): € 2raTiinnres n UrcatTaots À Üsix », et cette expres-
sion, à clle seule, prouve déjà que, pour lui, la substance divine est numé-
riquement une.
382 J. LEBON.
compréhensive, cette vision totale est réservée au Fils et au Saint-
Esprit (1). Pour appuyer cette doctrine, on trouve d’abord un argu-
ment très simple, tout à fait à la portée de l’auditoire, et qui
consiste en deux citations scripturaires, 1 Cor., x1, 40 et MATTH.,
x, 27. Mais ensuite, après avoir répété son affirmation, Cyrille
en donne la raison théologique et intime, en disant : « car le Fils
monogène est, avec le Saint-Esprit, participant de la divinité pater-
nelle : énsdn ai ns Desrnrôs Ecre Tüs marfuixñs où Ta mreuuatt To
ay novmvos © Yiss à poysyeyrc. n On remarquera que l’auteur ne
parle pas ici de similitude, même parfaite, il ne dit pas ôucros, Gus
y TAG Où xara révra. Il s’agit, pour le Fils et le Saint-Esprit, de
participalion, de possession en commun (xvw%5;) de la divinité qui
est celle du Père. De là suit une totalité, une perfection de connais-
sance qui prouve que, dans la pensée de Cyrille, cette participation
est une possession totale et parfaite. Il n’est pas plus question de la
possession de quelque chose de la divinité, d'une partie de la divinité,
d’ailleurs simple et indivisible, que d’une imitation ou ressem-
blance ; il s’agit de la possession en commun de l'unique divinité,
de cette ür2a-zo: » 0:'x, dont Cyrille a noté plus haut l’incompré-
hensibilité pour toute créature, et qu’il désigne ici par l'expression
ñ Deorns % narpuzk parce que, pour lui, 6 Des: c’est le Père, principe
et source de la divinité dans le Fils et dans le Saint-Esprit.
Ce passage est décisif et établit, sans aucun doute possible, que
saint Cyrille pense comme les Nicéens au sujet de la consubstan-
tialité des personnes divines, encore qu’il n’en parle pas comme
eux. Il nous dispensera de refaire, pour la doctrine qui concerne le
Saint-Esprit, le travail que nous avons fait pour celle qui concerne
le Fils (2). Mais puisque, bien qu'à tort, le soupçon de macédonia-
nisme a été noté contre Cyrille par l’histoire (3), on nous permettra
de terminer par une simple remarque. S'il est de son temps en ne
donnant jamais formellement au Saint-Esprit le nom de 0:::, OÜes:
22x85, comme il le donne au Fils (4), Cyrille le devance d'une
(1) fbid., 6 1R, L, 162; M, 548, A): « uovay dE (Aire duvxrat ds VAE
Zua To Yi, 70 Iedus 76 uv. » Cyrille ne parle que du Fils et du Saint-
Esprit parce que le Père est, pour lui, 6 Deos et que c'est dans le Père qu'il
considère la divinité.
(2) On peut voir à ce sujet le travail de T. SCHERMANN : Die Gottheit des
heiligen Geïstes nach den griechischen Vätern des vierten Jahrhunderts (Strass-
burger thcologische Studien, t. IV, fasc. 4-5), Fribourg e.-B., 1901, où Cyrille
de Jérusalem vient en tête de la série des Pères dont la doctrine est étudiée
(p. 17-47).
(3) Cfr supra, p. 182.
(4) L'expression la plus formelle se rencontre Catéch. XVI, 3 (R, Il, 206;
8. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L’'ARIANISME. 383
façon remarquable par l'attention qu’il consacre, dès l’époque des
Catéchèses, à la théologie de la troisième personne (1), par la fermeté
avec laquelle il reconnaît la divinité proprement dite du Saint-
Esprit (2) et étend jusqu’à lui, comme nous venons de l'entendre, la
consubstantialité que le synode de Nicée n'avait encore définie que
pour le Père et le Fils, et par la pénétration qui le conduit à l’en-
seignement équivalent de la procession ab utroque du Saint-Esprit (3).
*
4 +
Il est temps de conclure. Si nous avons donné raison à Rufin
affirmant que Cyrille avait varié dans la communion ecclésiastique,
‘
M, 920, B), où Cyrille appelle le Saint- Esprit Oeisy Te xxi avEBt{VagTov.
Sur la portée de la désignation u:y{77r Ovyauu:, employée au même endroit,
voir T. SCHERMANN, L. C., p. 36, n. 4. — L'omission, pour le Saint-Esprit, de
l'appellation de Geo:, alors qu'elle est donnée au Fils, n’a rien d'étonnant
vu l’état de la doctrine à cette époque, et vu également le fait que Cyrille en
arrivait à ce titre pour le Fils principalement à cause de l’origine de celui-ci
par voie de génération naturelle, raison qui ne pouvait être apportée dans le
cas de la troisième personne.
(1) En particulier dans les Catéchèses XVI et XVII, que T. SCHERMANN
(L c., p. 20) a justement appelées « kostbare Edelsteine des christlichen
Altertums in der standisen Lchre der Kirche über die Gottheit des Heiligen
Geistes ». Car Cyrille n’a rien d'un novateur, et le caractère même de ses
Catéchèses prouve que la doctrine qu'il y expose était traditionnelle dans
l Église.
(2) On pourrait en donner des preuves convaincantes, par exemple : le
Saint-Esprit est placé absolument au dessus et en dehors du monde des créa-
tures (XVI, 23: R, II, 237; M, 952, A); il est, comme le Fils, totalement
soustrait à la servitude dans laquelle tous les autres êtres se trouvent à
l'égard du Père (VII, 5: R, I, 232; M, 629, B); avec le Fils, il est seul
à posséder une connaissance compréhensive du Père comme participant,
avec le Fils, à sa divinité (VI,6: R, 1,162; M, 548, A); il est omniscient et
tout-puissant (XVI, 25 : KR, Il. 238 ; M, 953, B), éternel et immense comme le
Pèreet le Fils (nævrore xzci ai Yin ouurancs, XVIL, 5 : R, IT, 256;
M, 973, B). Et c’est certes un ‘phénomène remarquable que Cyrille, qui est
encore à ce moment dans le parti antinicéen, professe si décidément cette
doctrine, tandis que Eusèbe de Césaréc fait clairement du Saint-Esprit une
créature, qe Acace de Césaréc est du même avis et que Eusèbe d’ Émèse,
autant que nous sachions jusqu’à présent, reste à peu près muct sur ce point.
(3) XVI, 24 (R, I, 236 ; M, 952, B) Cyrille dit : « xat [larrp pv CLIATEE)
Ti, vai Vic: uera0:0 ‘0WO ty z}0 Iusvuxze ». Le premier membre est
immédiatement justifié pair le texte de MATTH.. XI, 27 ct le second par Jon.,
XVI, 14. Or, nous savons que Cyrille ia par la relation d’origine le
fait que le Filsa tout reçu du Père; le parallélisme veut donc que nous
admettions qu'il s’est expliqué également par une relation d’origine le fait
que le Saint-Esprit « reçoit » du Fils. Il n’est évidemment pas question de
384 ; : J. LEBON.
lui concèderons-nous de même que l’évêque de Jérusalem a varié
dans sa foi? Le lecteur peut répondre à cette question, car nous
croyons lui avoir fourni toutes les données nécessaires pour porter
son jugement en connaissance de cause. Toutefois, nous voudrions
encore l'y aider en lui présentant la gradation des doctrines en
cours, vers le milieu du 1v° siècle, touchant les rapports du Père et
du Fils ; grâce à ce tableau, la situation respective de saint Cyrille
et du concile de Nicée, en matière doctrinale, s’éclaire et se précise
singulièrement. Voici les divers degrés que l’on rencontre :
4° Le Père et le Fils sont différents en nature, non seulement
numériquement, mais aussi spécifiquement, C’est la position arienne,
rapporter ainsi l'origine du Saint-Esprit au seul Fils (Cfr J. Maper, d. c., p.86;
T. SCHERMANN, L. c., p. 45). Le Saint-Esprit a également à l'égard du Pèrc et
du Fils une relation d’origine, et c'est par là qu’il faut résoudre la difficulté
qui provient de l’apparence subordinatienne de certains textes de Cyrille con-
cernant la troisième personne, exactement comme nous l'avons fait plus haut
dans le même cas concernant la deuxième personne (supra, p. 364 et suiv.).
Car Cyrille sembl: aussi subordonner l’action du Saint-Esprit au signe, à la
volonté, au consentement du Père et du Fils : « yeuuare Deod xai :y OVéuxTt
Xouoroë…. ; Pouiroe [Maroo: xat Vioo... ; cuuguy'x Iarpos xœt Vico... »
(Cfr XVI, 125 XVII, 215 XVII, 29: R, Il, 218, 276, 284; M, 933, B; 993, A :
1000, C). Ici encore, le subordinatian'sme n'est qu’apparent : le Père est la
source, l’origine ; de lui, nous le savons, le Fils procède, tient tout ce qu'il
est, et c'est pour cela que l’on dit que le Fils agit par la volonté du Père; le
Saint-Esprit, dit-on aussi, agit par la volonté du Père et du Fils, et la
raison en doit être semblablement une relation d'origine à l’égard des deux.
Cette relation cst traduite par des formules, d’ailleurs bibliques, comme :
« Ô [are de Y'io2 div ay Myevuxrt Ta mavra xapits: To » (XVL, 24 : :
R, II, 236; M, 953, À, ou ibid. : « 91 [ITarro DEV d'J67u Yi, xx Yio:
no 37°" 1) [vus », où il ne faut pas chercher, pour le Saint-
Esprit, une relation seulement médiate d’ origine à l” égard du Père), ou encore:
# Uiy oùv Évrus Loon ax 2hrims Ioruw à Mario, 6 1 Yioë roi; 4taow y
go Mrecuzre rs inosav'ou: 7ry220v doses » (XVIII, 29 : R, IL, 332 ;
M, 1049, B). — C'est donc dans un parallélisme étroit que saint Cyrille
expose la doctrine touchant le Fils et la doctrine touchant le Saint-Esprit.
Un seul point est développé dans la première sans l’être dans la seconde, et
c'est le mode d’origine; cela tient au silence de la grande source de la
théologie de notre Docteur, la Sainte Écriture, touchant le mode de proces-
sion du Saint-Esprit. Il est bon de relire sa déclaration explicite, en tête de
la Catéchèse XVI, où il commence à traiter spécialement de la troisième
personne : « Azyi50e rotyuy 2 NY TEN 2 ou Ilivuaxros uovx Ta
Jeyorupiox. Ei dE 7 ur PÉVOTTA Ur, ROUE ON DUEY. AUTO 76
lusouz 70 x Lo EAXÂNTE TS 102933, xu70 AAÛ ED EXUTOD EÏGNKEY 0x
Hs
Badhre F ÔTX EYOOOOMEY. A 572600 où à cionze. "Ocx yap oùx Elorzey,
fUEis oÙ TOUMUEY » (XVI,2:R, Il 206; M. 920, A). Nul ne peut HN
du silence imposé par une règle done: telle prudence.
S. CYRILLE DE JÉRUSALEM ET L'ARIANISME. 385
le Fils n'étant pas Dieu véritable, mais un Dieu improprement dit,
un homme déifié. Le concile rejette cette doctrine en proclamant Le
le Fils est 6:05 zArcvos &x Ueoù x maven et ex Ti: ouoias Tod narpi:, e
en condammant les formules ariennes #v notes Ôre oùx nv et £Ë oùx
ërwy. L’attitude de saint Cyrille n’est pas moins nettement opposée
à l’arianisme brutal ; il rejette, lui aussi, ces formules y ôre oùx rv
et:z ro ur, üyrs ; il proclame que le Fils est 6:03 œArivos, Oc06 ex
lv ; il n’emploie pas l’expression philosophique, non scripturaire,
peut-être suspecte, à ses yeux, de sabellianisme, £4 7%: ouciaxs, mais
il en a tout le contenu dans l’enseignement de la génération véri-
table et naturelle. Pour lui non plus le Fils n’est pas une créature,
et c'est encore contre l’arianisme qu'il avertit de ne pas séparer
(gogtree v, duupety) le Fils du Père, de ne pas l’arracher de la sphère
divine pour le placer dans le monde des êtres créés. Ainsi donc,
Cyrille et les Nicéens sont d’accord en ce point.
2° Le l'ère et le Fils sont, en nature, semblables, en tout sem-
blables, parfaitement semblables, étant l’un et l’autre vrai Dieu ;
il y a, entre eux, unité spécifique de nature, homogénéité absolue.
L'est la position doctrinale vers laquelle le parti antinicéen évolue
de plus en plus à l’époque ici considérée. Or, l'ôpuuss xar> Travra
n'est employé par saint Cyrille que dans le sens positif, pour
affirmer la similitude absolue du Père et du Fils, ou dans la polé-
mique contre l’hétérogénéité soutenue par les Ariens stricts, et les
Nicéens, qui ne se font pas faute de l’employer positivement, qui
l'incluent éminemment dans leur éôposctos, ne le condamneront
jamais que dans le sens exclusif qui l’opposerait à une unité ulté-
rieure, l’unité numérique de substance. Ici encore, nous pouvons
noter l’accord réel : ni Cyrille, ni les Nicéens n’excluent la doctrine,
que chacun d’eux propose; il n'y a pas opposition doctrinale.
3° Le Père et le Fils sont consubstantiels ; leur nature ou subs-
lance divine est numériquement une, tandis que leurs personnes
sont réellement distinctes. Ainsi l’enteudent les Nicéens. Cyrille
n'emploie pas le terme GGOUTLO;, et son silence équivaut, nous le
voulons bien, à une condamnation ; mais la raison en est, non dans
la négation de l’unité numérique de substance divine, qui est, comme
nous l'avons vu, au fond de sa pensée et à Ja basc de sa théologie,
mais dans le sens sabellien qu’il est invinciblement poussé à donner
au mot proposé par le Synode, dans la crainte d’une confusion des
personnes que les Nicéens repoussent aussi énergiquement que lui.
De leur côté, ceux-ci considèrent l’omission ou le rejet de l'éucscotos
comme impliquant, chez tous leurs adversaires sans distinction, la
théorie arienne du Fils tiré du néant, créature, ce que certains
386 J. LEBON.
membres du parti antinicéen, comme saint Cyrille, sont loin d'ad-
mettre et condamnent mème explicitement. Il y a malentendu quant
au sens d’une formule, mais, quant à la doctrine, il y a de nouveau
accord réel, avec une simple nuance ou différence de degré dans la
clarté et la netteté de sa proposition.
4° Enfin, le Père et le Fils ne font réellement qu’un à tous égards ;
la distinction personnelle entre eux n’est qu'apparente, imaginaire
et ils se confondent en un visrzrwp. C’est le sabellianisme, que les
Nicéens et Cyrille sont unanimes à rejeter.
Renvoyons cette fois à Rufin et à ceux qui, trompés par les appa-
rences, ont cru comme lui aux variations doctrinales de l’évêque de
Jérusalem, leur jugement comme tout à fait erroné. C’est le Cyrille
de 348 que nous avons interrogé et entendu; c’est de lui que nous
pouvons dire, avec un historien déjà cité et peu suspect de tendance
partiale à justifier les Pères, qu’il ne lui manque que le terme
éuoousioz et qu’il est, en réalité, orthodoxe (1).
| J. LEBON.
(1) Cette étude était achevée et déjà mise à l'impression, lorsque nous
avons pu nous procurer les travaux de P. HAEUSER : Des heiligen Cyrillus,
Bischofs von Jerusalem, Katechesen (Munich et Kempten, 1922), et de B. Nre-
DERBERGER, Die Logoslehre des hl. Cyrill von Jerusalem (Paderborn, 1923).
Nous nous contentons de les signaler ici, pour compléter notre bibliographie;
nous ne pensons pas qu’ils rendent inutiles les pages que nous avons écrites
en nous plaçant au point de vue tout spécial que notre titre annonce ; nous
croyons de même avoir suffisamment justifié notre avis. lorsqu'il diffère de
celui de ces auteurs, pour n'avoir plus à y revenir.
Le pontificat de Victor III (1086-1087).
I.
Le pape Grégoire VIE est mort à Salerne le 25 mai 1085 après
avoir nommé, à la demande des cardinaux groupés autour de son
lit de mort, ses successeurs possibles. « Élisez, avait-il dit, celui de
ces trois personnages que vous pourrez avoir, l’évêque de Lucques,
l'évêque d’Ostie ou l’archevèque de Lyon. » Un an plus tard, le
24 mai 1086, après une longue vacance, l’abbé du Mont-Cassin,
Didier, fut élu sous le nom de Victor III. Les cardinaux n'avaient
pas tenu compte de la volonté du pontife défunt (4).
Didier était peu qualifié pour continuer l’œuvre gigantesque
entreprise par Grégoire VII. Pendant le précédent pontificat, il
avait vécu à l'écart, préoccupé avant tout d'agrandir et d’embellir
le monastère dont il était abbé, de maintenir à tout prix la paix
dans l'Italie méridionale, ce qui l'avait entraîné parfois à de
fâächeuses compromissions que le pape avait formellement désap-
prouvées,
Né en 1027, Didier appartenait à une famille princière de Béné-
vent. Après la mort de son père, survenue en 1047, il se retire à
l'ermitage de La Cava, entre Salerne et Sorente, revient ensuite
dans sa ville natale et, tandis qu'il est moine à l’abbaye de Sainte-
Sophie à Bénévent, noue des relations avec le pape Léon IX, le car-
dinal Humbert de Moyenmoutier, l’abbé du Mont-Cassin, Frédéric
de Lorraine, avec lequel il se lie d'amitié. En 1055, lors d'une ren-
contre en Toscane avec Victor 11, successeur de Léon IX, il obtient
l'autorisation de quitter son monastère ; il gagne aussitôt le Mont-
Cassin dont il devient abbé le 19 avril 1058, après l'élévation à la
papauté de Frédéric de Lorraine sous le nom d’Étienne IX. Le
6 mars 4059 Nicolas II, successeur d’Étienne IX, lui confère la
pourpre cardinalice et lui attribue l’église du Transtévère. Didier
devient ainsi un des personnages importants de l’Église romaine (2).
(1) Sur les derniers moments de Grégoire VII et les événements de 1085-
1086, cfr notre article sur L'élection d’Urbain II (Moyen âge, 1916, 2e sér.,
t. XIX).
(2) Ces détails biographiques sont empruntés à LÉoN D’'OsTie, Chronica
monasterii Casinensis, |]. III, c. x et suiv. (MGH, SS, t. VII, p. 698 et suiv..).
On consultera aussi HrrscH, Desiderius von Monte Cassino als Papst Victor III
(Furschungen zur deutschen Geschichte, t. VII, 1887, p. 6 et suiv.).
388 AUGUSTIN FLICHE.
Il n’aspire pas pour cela aux grands rôles. Les grands problèmes
qui se posaient pour l’Église au milieu du x:° siècle semblent le
laisser indifférent. Il se passionne moins pour la réforme religieuse
que pour le gouvernement de son abbaye. I] n’a qu’un but : il veut
rendre au monastère que saint Benoît avait fondé sur les crêtes
nues et désolées de l’Apennin sa splendeur passée ; continuant
l’œuvre ébauchée par son prédécesseur Richer, il édifie une biblio-
thèque, une salle capitulaire, surtout une basilique grandiose,
qu'il décore richement et dont, le 6 octobre 1074, Alexandre IL
vient faire la dédicace solennelle, escorté de dix archevêques, de
quarante-quatre évêques, du prince de Capoue, Richard, qu’accom-
pagnaient son fils Jourdain et son frère Rainulf, de Gisulf, prince
de Salerne, et de nombreux seigneurs laïques (1). Cette imposante
cérémonie fut pour Didier une véritable apothéose. Dès lors l’abbé
n'eut d'autre souci que de compléter son œuvre en acccumulant au
Mont-Cassin statues, mosaïques, fresques, miniatures, et, plus
encore, de mettre ces richesses à l’abri des pillards et des envahis-
seurs. |
Le monastère avait de dangereux voisins, les Normands, installés
en maîtres dans l’Italie méridionale, où ils formaient au milieu du
xI< siècle trois principautés : au nord celle de Capoue, que gouver-
naient les comtes d’Aversa, Richard, puis Jourdain, puis plus au
sud l’état de Robert Guiscard, duc de Pouille et de Calabre, bientôt
maitre de Salerne et d’une partie de la Sicile, que côtoyaient les
possessions de Roger, frère de Guiscard, qui régnait sur le reste de
la Sicile. (2) Tous ces princes avaient une fâcheuse réputation qu'ils
méritaient pleinement. « J’ai vu, écrivait le pape Léon IX, ce peuple
indiscipliné, avec une rage incroyable et une impiété qui dépasse
celle des païens, ravager en divers endroits les églises de Dieu,
persécuter les chrétiens, parfois même les faire mourir dans des
tourments horribles et inconnus jusqu’à eux. [ls n’épargnent ni les
enfants, ni les vieillards, ni les femmes, ne distinguent pas le sacré
du profane et pillent les églises des saints qu’ils brülent et rasent
jusqu'au sol. » (3) Didier n’ignorait rien de tout cela et il agit en
conséquence.
(x) Léon D'OsTie, Chronica monasterii Casinensis, 1. II, c. 29-30 (MGH,
SS, t. VIL, p. 719-722). Cfr Hirscu, article cité, p. 20-59.
(2) Sur les états normands de l'Italie méridionale, cfr F. CHALANDON,
Histoire de la domination normande en Italie et dans les Deux-Siciles, t. I,
Paris, 1907.
(3) JAFFÉ-WATTENBACH, Regesta pontificum Romanorum, n° 4333 : PL,
t. CXLIL, p. 778.
LE PONTIFICAT DE VICTOR Ill. 389
Il s’efforça tout d’abord d’acquérir les châteaux qui avoisinaient
le Mont-Cassin et réussit à constituer à l'abbaye un rempart
efficace (1), mais surtout il s’appiiqua à prévenir la guerre dans
l'Italie méridionale en usant de toute sa diplomatie pour apaiser les
rivalités sans cesse renaissantes entre les princes normands, plus
encore pour réconcilier ceux-ci avec le Saint-Siège dont ils avaient
été, sous le pontificat de Léon IX, les redoutables et victorieux
adversaires (2).
Dès 10359, lorsque le décret sur l'élection pontificale eut brouillé
la papauté et la Germanie jusque-là alliées, Didier suggère à
Nicolas 11 de chercher un appui du côté des Normands; c’est lui qui
négocie le rapprochement entre l’Église romaine et Robert Guiscard,
scellé en août 1059 au concile de Melfi (5). L’entente ne fut, il est
vrai, que très éphémère ; la politique d'Alexandre 11, de nouveau à
la remorque de l’Allemagne, et les velléités conquérantes de Robert
Guiscard amenèrent bientôt un refroidissement très marqué. Au
début du pontiticat de Grégoire VII, en mars 1074, Robert Guiscard
est excommunié pour ses incursions dans la région des Abbruzzes,
qui appartenait au Saint-Siège (4). C’est pour Didier un échec
grave et le bon abbé, inquiet des conséquences que pourrait avoir
pour le Mont-Cassin l’anathème pontifical, s’employa à le réparer
de son mieux. La chose n’alla pas sans difficulté. C’est seulement
à la fin de 1080, après la proclamation par l'assemblée de Brixen
de l’antipape Clément Ill, que la politique de Didier fut enfin
couronnée de succès et que Grégoire VII, cédant aux sollicitations
de l’abbé du Mont-Cassin, tenta de conjurer la menace allemande
sur Rome en s’alliant à Robert Guiscard, de nouveau vassal du
Saint-Siège (5).
Cette fois encore la papauté ne retira de son entente avec les
Normands que de médiocres résultats. Henri IV put descendre en
ltalie et ravager la campagne romaine à plusieurs reprises de 1081
a 1083, sans être inquiété par Robert Guiscard, soucieux surtout de
(1) LÉON D'OsTIE, Chronica monasterii Casinensis, 1. IL, c. 16 (MGH,SS,
t. VI, p. 708-709).
(2) LÉON D’OSTIE, Chronica monasterii Casinensis, 1. IT, c. 84 (MGH, SS,
t. VIL, p. 685-686) ; GUILLAUME DE PouILLE, Gesta Roberti Wiscardi, 1. II,
v. 66 et suiv. (/bid.,t. IX, p. 255). Cfr CHALANDON, op. cit., t. I, p. 136-137.
(3) Cfr notre article sur Hildebrand (Moyen âge, 1919, t. XX{, p. 160-161).
(4) Gregorii VII Reg 'strum, 1.1, ep. 86 (Monumenta Gregoriana, p. 108),
(s) Greg. VIT Reg., 1. VILLE ep. x a, b, c (Monum. Gregor., p. 426-428) ;
PIERRE DiaAcRE, Chronica monasterii Casinensis, |. II, c. 45-46 (MGH, SS,
t. VU, P- 734-730).
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX, 25
390 AUGUSTIN FLICHE.
satisfaire ses ambitions orientales (1). Quant à Jourdain de Capoue,
qui s'était cru obligé lui aussi de faire amende honorable envers le
Saint Siège, il abandonna en 1082 la cause pontificale et se rangea du
côté du roi de Germanie (2). Didier fut très affecté par cette défec-
tion. Jourdain, en 1079, avait dévasté les terres du Mont-Cassin (3).
N’allait-il pas recommencer ses inquiétantes incursions ? 11 fallait
prévenir à tout prix cette catastrophe et Didier ne vit d’autre moyen
de la conjurer que de prendre lui-même l'initiative d’une médiation
aux fins de rétablir la paix entre Grégoire VII et Henri IV, et du
même coup entre le prince de Capoue et l'abbé du Mont-Cassin. Le
roi de Germanie se chargea d’ailleurs de mettre un terme à ses
angoisses en le mandant auprès de lui. Didier se rendit à cet appel
et, en avril 4089, il osa promettre au prince deux fois excommunié
qu’il le ferait couronner empereur par le pape légitime (4). 11 fallait
pourtant obtenir l’assentiment de Grégoire VII et de ce côté Didier
fut sèchement éconduit. Non seulement le pape ne lui sut aucun gré
de son initiative, mais, si l’on en croit Hugues de Lyon, il le frappa
d’excommunication (5). Heureusement pour l'abbé, Robert Guiscard
châtia Jourdain, qui revint à la cause pontificale, et l'incident se
trouva clos (6). Il n’en est pas moins vrai que Didier avait gravement
failli à son devoir et que, par souci des intérêts matériels du Mont-
Cassin, il s’était laissé ébranler dans sa fidélité à l'Église romaine,
Cette attitude peu reluisante ne semblait pas l'imposer au choix des
cardinaux pour succéder à Grégoire VII.
Mais les cardinaux eux-mêmes ne surent pas résister à la pression
normande ni aux impérieuses sollicitations du prince de Capoue,
véritable auteur de l'élection de Didier du Mont-Cassin au siège
apostolique. Le 24 mai 1086, gräce à son ami Jourdain, Didier devint
le pape Victor IE (7). On ne pouvait faire un plus mauvais choix.
Ce bibliophile, cet architecte, cet amateur d'art n’était pas capable —
son passé le prouvait amplement — de continuer l'œuvre réforma-
(1) PrerRE Diacre, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 49 et suiv.
(MGEH,SS, t. VII, p. 738 et suiv.)
(2) PIERRE Diacre, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 50 (MGH,SS,
t. VI, p. 739).
(3) Greg. VII Reg , 1. VI, ep. 37 (Monum. Gregor, p. 376).
(4) PIERRE DiacrE, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 50 (MGH,SS,
t. VIL, p. 740).
(5) Cfr la lettre de Hugues de Lyon citée par Hugues de Flavigny (MGH,
SS, t. VIII, p. 467).
(6) PtrRRE DiackE, Chronica monasterii Casinensis, loc. cit,
(7) Nous avons retracé l’histoire de l'élection dans notre article déjà cité
sur L'élection d’Urbain IT.
LE PONTIFICAT DE VICTOR Ill. 391
trice de Grégoire VII, de poursuivre avec l'énergie nécessaire la
lutte contre l’antipape imposé et soutenu par le roi de Germanie, de
faire face en somme à une situation particulièrement critique, dont
il importe, avant de retracer l’histoire du pontificat, de dégager les
traits essentiels.
IL.
Les dernières années du pontificat de Grégoire VII ont été dures
pour l'Église : le schisme impérial a triomphé en Italie et en Alle-
magne. Pourtant la situation n’est pas désespérée : il s’est même
produit pendant la longue vacance du siège apostolique quelques
événements favorables et il semble que la barque de Pierre, si elle
est conduite par un pilote habile, puisse échapper encore au naufrage
qui menace de l’engloutir.
Rome, depuis le départ de Grégoire VII (mars 1084) est en proie
à l'anarchie. L’antipape Clément H£, après son triomphe momentané,
n'a pu s’y maiptenir et a dù regagner Ravenne (1), mais son parti
est encore très puissant ; les défections se sont multipliées dans le
haut clergé (2) et, pendant la première semaine du carême, il s’est
tenu à Ravenne un concile schismatique auquel ont assisté plusieurs
dignitaires de l'Église romaine tels que Robert, cardinal au titre de
Saint-Marc, et Anastase, cardinal au titre de Sainte-Anastasie (3).
Naturellement les partisans de l’antipape et de l’empereur ont
cherché à exploiter cette situation favorable et, comme toujours, ils
ont eu recours tout d’abord aux armes de la polémique qui, pendant
les dernières années du pontificat de Grégoire VII, avaient été un si
puissant levier. Quelques mois après la mort du grand pontife,
Guy, évêque de Ferrare, a écrit, à la demande de Clément IIf, son
De scismate Hildebrandi, dont le but manifeste était de rallier à
Clément II les indécis, les incertains, en leur prouvant qu’Hilde-
brand étant un « schismatique » dont la déposition s’imposait,
Guibert de Ravenne, proclamé sous le nom de Clément Ill, pouvait
seul être honoré comme le pape légitime. Il n’y a pas lieu d'examiner
ici le caractère sophistique des arguments développés dans ce
(1) BerNozp DE CONXSTANCE, a. 1085 : « Sed Guibertus heresiarcha multum
de obitu ejus (Gregorii VI) laetabatur, licet parum prosperitatis suae parti
in eo lucraretur. Nam omnes catholici post mortem domni apostolici non
minus quam antea eidem heresiarchae restiterunt, ipsumque de Roma
Ravennam repcdare compulcrunt » (MGH, SS, t. V, p. 444).
(2) Cfr BeNoN, Gesta Romanae ecclesiae, 1. 1, c. 1 (MGH, Libelli de lite,
t. Il, p. 369).
(3) Leurs noms sont donnés par une bulle de Clément III en date du
27 février 1086 (JAFFÉ-WATTENBACH, n° 5322).
392 __ AUGUSTIN FLICHE,
traité (1). 11 suffira de noter la modération apparente dont fait preuve
Guy de Ferrare. Les cris de haine et de colère dont l’écho retentissait
à travers les œuvres polémiques des années précédentes ont com-
plètement cessé ; le nouveau défenseur de Henri IV et de Clément HI
tend à ses adversaires une main perfide, afin de ne pas les effarou-
cher, mais, si la tactique s’est modifiée, la thèse n’a pas changé :
Victor HIT, dont le nom est prononcé à la fin du livre, n’est qu'un
usurpateur ; seul Clément [I a droit aux hommages des évêques et
des fidèles de la chrétienté.
Il est difficile de mesurer exactement l'influence qu’a pu exercer
le De scismate Hildebrandi. En tous cas, que Guy de Ferrare ait ou
non entrainé la conviction, il est certain que le pouvoir de la papauté
est très ébranlé dans l'Italie entière. Du moins le nouveau pape
dispose-t-il au sud et au nord de deux alliances, celle des états
normands et celle de la comtesse Mathilde.
Trois princes normands se partagent — on l’a déjà dit — la
domination de l'Italie méridionale : Jourdain de Capoue, Roger de
Sicile, frère de Robert Guiscard, et enfin le jeune fils de Robert
(mort en Orient le 47 juillet 1085), Roger, duc de Pouille, né du
second mariage de Guiscard avec Sykelgaite, qui a dû abandonner
à un fils du premier lit, Bohémond, les villes d’Oria, Otrante et
Tarente avec la région située entre Conversano et Brindisi (2). Cette
cession a été précédée d’une guerre civile, au cours de laquelle
Roger de Sicile est intervenu en faveur de Bohémond et, tandis que
l'oncle et le neveu étaient aux prises, Jourdain de Capoue en a profité
pour accaparer la fonction de protecteur de la papauté, assumée jadis
par Robert Guiscard (5). En mai 4086 la paix semble rétablie dans
l’italie normande, mais elle est à la merci du moindre incident.
Roger, fils de Guiscard, ne pardonne pas à son oncle son interven-
tion et il est jaloux du rôle qu'a joué Jourdain en 1085. Ces divisions
et ces rancunes affaiblissent du même coup la situation de la papauté,
qui ne peut sérieusement compter sur personne et qui risque d’être
sacrifiée aux plus inesquines ambitions.
Au nord, au contraire, Victor Il peut attendre un concours loyal
et fidèle de la comtesse Mathilde, dont la situation a été affermie,
semble-til, par la victoire que ses troupes ont remportée, le
(1) Nous ne pouvons que renvoyer à notre étude sur Guy de Ferrare parue
dans le Bulletin italien, juillet-décembre 1916, où ont été examinées toutes les
questions relatives à ce polémiste.
(2) Cfr CHALANDON, op. cit., t. I, p. 285 et suiv. où l’on trouvera tous les
textes.
(3) Nous avons indiqué son rôle lors de l'élection de Victor IITI dans notre
article déjà cité sur L'élection d'Urbain II.
©
LE PONTIFICAT DE VICTOR III. . 393
2 juillet 1084, à Sorbaria sur celles d'Henri IV au moment où le roi
regagnait l'Allemagne (1). Partout dans cette région le parti grégo-
rien enregistre. des progrès. Si la mort d’Anselme de Lucques,
vicaire pontifical en Lombardie, survenue en mars 1086 (2), a été
pour lui un grand malheur, en revanche, plusieurs évêques schisma-
tiques ont également disparu au cours de l’année 1085 : ce sont
Thedald de Milan, un des plus fermes soutiens de Henri IV, Eberhard
de Parme et Gandulf de Reggio qui avaient combattu à Sorbaria (3).
De là dans le parti impérial une certaine désagrégation, d’autant
plus dangereuse pour lui que les églises de Modène, Reggio et
Pistoie avaient à leur tête des pasteurs catholiques (4).
En résumé, la situation de la papauté en Italie, tout en restant
assez précaire, est en voie d'amélioration. L'élection de Victor III a
pu se faire à Rome sous la protection des armes normandes (5).
L'avenir paraît en 1086 moins sombre qu’en 1084, au moment où
Grégoire VII s’enfuyait à Salerne, universellement abandonné.
Il en est de mème en Allemagne. Une crise terrible s’y est
déchainée pendant la dernière année du pontificat de Grégoire VII.
Victorieux de l'opposition de la Saxe, Henri IV avait invité les
évèques de ce pays à venir exposer leurs arguments en une confé-
rence avec les prélats impérialistes. À ce colloque, qui eut lieu à
Gerstungen, l’orateur des Grégoriens, le vieil archevêque de Salz-
bourg, Gebhard, eut manifestement le dessous dans une discussion
avec Wécil, archevèque de Mayence, au sujet d’une fausse décrétale.
L'effet produit fut déplorable ct il en résulta plusieurs défections
parmi les partisans du Saint-Siège (6). Henri IV put réduire la Saxe
et la Bavière sans difficulté (7); un peu auparavant il avait réussi à
chasser de son siège l’évêque de Metz, Hermann, qu'il remplaça par
un de ses partisans, Galon, abbé de Saint-Arnoul (8). L'Allemagne,
(1) BERNoLD DE CoNSTANCE, a. 1084 (MGH, SS, t. V, p. 441) ; Donizon,
Vita Mathildis, 1. IT, c. 3 (Zbid., t. XII, p. 387).
(2) Vita Anselmi Lucensis, c. XLII (MGH, SS, t. XIT, p. 25).
(3) BERNOLD DE CoNSTANCE ; Don1zoN, loc. cit.
(4) BERNoLD DE CoNsrANcCE. a. 1085 (MGH, SS, t. V, p. 443).
(5) PIERRE DrACRE, Chronica monasterii Casinensis, |. IL, c. 66 (MGH,SS,
t VII p. 748).
(6, Cfr Liber de unitate ecclesiae conservanda, 1, II, c. 18 (Libelli de lite,
t. II, p. 234); EKKEHARD D'AURA, Chronicon universale, a. 1085 (MGH,SS,
t. VI, p. 206); BERNOLD DE CoNSTANCE, a. 1085 ({bid.,t. V, p. 442); ANNA-
LISTE SAXON, a. 1085 (Jbid., t. VI, p. 722).
(7) ANNALISTE SAXON, loc, cit. ; Liber de unitate ecclesiae conservanda, |. II,
c. 28 (Libelli de lite,t. II, p. 249-250).
(8) HuGues DE FLaAviGny, 1. II (MGH, SS, t. VIII, p. 471); SIGEBERT DE
GEMBLOUX, à. 1085 (JZbid., t. VI, p. 365).
394 AUGUSTIN FLICHE.
au moment de la mort de Grégoire VII, paraissait entièrement
détachée de l’Église romaine.
Le roi ne réussit pas à exploiter son succès. A Metz, Galon,
presque aussitôt après son usurpation, fut saisi de remords ; il
alla se jeter, contrit et repentant, dans les bras d'Hermann qu'il
avait supplanté et qui lui pardonna de grand cœur (1). C'était un
rude coup pour les impérialistes- Si les Grégoriens avaient été
mieux dirigés, il leur aurait été possible, sans doute, de reprendre la
position perdue, mais l’évèque Hermann, dont le tempérament était
plutôt mou, n'osa pas aller de l'avant. Henri IV profita de son
inertie pour installer à Metz ua autre pasteur de son parti, Brun (2).
Il est vrai que ce choix n'était pas heureux : Brun était connu pour
la légèreté de ses mœurs et la dureté de son caractère. Son gouver-
nement mécontenta tout le monde, y compris les partisans du roi
qui ont porté sur lui les jugements les plus sévères (3). Aussi la
libération de la Lorraine apparaît-elle comme assez proche ; elle se
produira au début du pontificat d’Urbain IL.
En Saxe le triomphe de Henri IV est encore plus éphémère. Le
prince avait réussi à se débarrasser des évêques qui lui étaient
hostiles et à leur substituer des prélats dévoués à sa cause. Après
avoir réduit l’épiscopat, il voulut briser la domination de certains
seigneurs laïques dont il se méfiait, et procéda tout d’abord à des
remaniements territoriaux qui suscitèrent une violente opposition (4).
Il se forma une conjuration dont l’âme fut le comte Egbert (5), et
Henri IV, qui avait licencié son armée, dut battre en retraite (6).
(1) HuGues DE FLAvIGNY, loc. cit.; Rodulf gesta abbatum Trudonensium,
1. IIL c. 15 (MGH, SS, t. X, p. 246).
(2) HuoGues DE FLavicny, 1. IT (MGH,SS, t. VIIL, p 471); Rodulfi gesta
abbatum Trudonensium, loc. cit.
(3) Le liber de unitate ecclesiae conservanda, |. II, c. 30 (MGH, Libelli de lite,
t. IE, p. 256) lui reproche de n'avoir pas été élu régulièrement et d’étre ven:
«ut furtum faceret, mactarct et perderet.. non cpiscopus, sed tyrannus »
(4) C'est du moins la raison donnée par les Annales Ratisbonenses major s
(MGEH,SS, t. XIII, p. 49) que l’on peut considérer comme la plus impartiale
parmi les sources relatives à cet événement. Bernold de Constance, a. 1085,
accuse en termes vagues Henri IV de s’être conduit en tyran : « pristinam
tirannidem in illos exercere non desiit ; unde et ipsi versa vice eum fugave-
runt » (MGH,SS, t. V, p. 444), tandis que la version impériale, représentée
surtout par le liber de unitate ecclesiae conservanda, 1. II, c. 28 (MGH, Libelli
de lite, t. IH, p. 250) et par les Annales Augustani, a. 1085 (MGH,SS, t. III,
p. 136), flétrit la mauvaise foi des Saxons qui auraient conspiré sans motif
dès que le roi eut licencié son armée.
(5) SIGEBERT DE GEMBLOUX, a. 1085 (MGH, SS, t. VI, p. 365) ; EKKEHARD
D'AURA, a. 1085 (Jbid.,t. VI, p. 206).
(6) Annales Ratisbonenses majores, a. 1085 (MGH, SS, t, XII, p. 49 ; BER-
LE PONTIFICAT DE VICTOR III. 395
Cette fuite rapide laissait le champ libre à ses adversaires : les
évêques qu’il avait bannis purent rentrer dans leurs diocèses ; une
nouvelle offensive du roi échoua piteusement (1). Une fois de plus
la Saxe échappait à la domination henricienne ; le Saint-Siège
pouvail trouver en elle un point d'appui, si du moins parmi l’épis-
copat surgissait un véritable chef religieux, capable de remplacer
Gebhard de Salzbourg et Hartwig de Magdebourg déjà vieux et un
peu usés.
Or ce chef se révéla au sud de l'Allemagne en la personne du
nouvel évêque de Constance, Gebhard, que le légat Eudes d’Ostie
avail ordonné en 1084. Moine de Hirschau, Gebhard est animé du
plus pur esprit de réforme qu'il a propagé dans les abbayes
de la Forét Noire avant d'en imprégner l’Église séculière, Dès son
avénement il cherche à donner plus de cohésion au parti grégo-
rien en convoquant à Constance un synode qui, avec de nombreux
abbés, réunit les ducs Welf de Bavière et Berthold de Rheinfelden,
les comtes Burchard de Nellenbourg, Cunon de Welfingen et de
nombreux chevaliers (2). Déjà Gebhard s'impose par la sûreté de
sa doctrine et par sa débordante activité : c’est lui qui désormais
dirigera en Allemagne le parti grégorien et lui infuscra une sève
nouvelle.
En résumé, au moment de l’avènement de Victor III, l'Allemagne
se partage en deux camps qui se délimitent même géographique-
ment : l'Allemagne de l'est est pour l'Église romaine, celle de
l’ouest pour Henri IV. C’est en effet dans la région rhénane que se
recrutent tous les partisans de l’empereur parmi le haut épiscopat :
les trois grands archevèchés rhénans de Mayence, Cologne, Trèves
ont pour titulaires Wécil qui à Gerstungen s’est signalé à la fois
par sa science et par son inébranlable fidélité à la cause impériale,
Sigwin et Egilbert. A Brème-Hambourg, Liémar reste le conseiller
le plus influent de Henri IV. Les suffragants suivent le sillage des
métropolitains ; dans quelques diocèses pourtant deux compétiteurs
se disputent le siège épiscopal.
NOLD DE CONSTANCE, a. 1085 (/bid.,t. V. p. 444); Annales Augustani, a. 1085
(Z5id., t. IIL, p. 136).
(1) En 1086 en effet Henri IV, après avoir séjourné successivement en
Franconie, en Bavière et dans la région rhénane, revient vers la Thuringe
et, en février, essaic de pénétrer en Saxe, mais il ne peut y parvenir et bat
en retraite vers la Bavière. Sur cette expédition, cfr, outre les sources
déjà indiquées, MEYER von KNoxaAU, Jahrbücher des deutschen Reïchs unter
Heinrich IV und Heinrich V, t. AV, p. 56 et suiv. et 113 et suiv., dont les
conclusions parai:sent indiscutables.
(2) Lupwia MüLLer, Regesta episcoporum Constantiensium, nos 531-532, p. 69.
396 AUGUSTIN FLICHE.
Les forces des deux partis sont difficiles à évaluer avec précision.
Pendant le pontificat de Grégoire VIl elles se sont à peu près équi-
librées et si un instant, au début de 1085, la balance a paru pencher
du côté des impérialistes, il n’est pas douteux que pendant la
vacance du siège pontifical les Grégoriens ont récupéré en grande
partie le terrain perdu (1). L'avenir est à celui qui fera preuve
d'initiative, de décision et aussi de science canonique. En tous cas
les chances d’une réconciliation entre le sacerdoce et l'empire sont
minimes : Henri IV est moins disposé que jamais à abandonner son
antipape qui ne peut espérer rallier à lui les partisans de la réforme,
fidèles à la mémoire de Grégoire VII.
Enfin, si en Italie et en Allemagne, la situation est encore incer-
taine, il semble que Victor Ill et l'Église romaine puissent compter
sur la neutralité bienveillante de la France ct de l'Angleterre.
En France, les rapports entre la papauté et le roi ont été souvent
tendus. Philippe Le, type accompli du prince simoniaque, aperçoit
dans le trafic des évêchés une ressource importante pour ses
finances obérées. Aussi a-til fait mauvais accueil aux décrets réfor-
mateurs ; de 4077 à 1080 il a tenu téte non sans violence au légat
de Grégoire VIT en Gaule, Hugues de Dic (2). l'ourtant depuis 1080
il y a tendance à l’apaisement, Après Je concile de Brixen qui a
consommé le schisme impérial, Grégoire VII à pensé qu’il était de
bonne politique de tempérer en France l'application de la réforme
et, soucieux de se ménager une alliance, il a prodigué les avances.
« Nous avons souvent appris par les ambassadeurs de Votre
Majesté, écrit-il au roi le 27 décembre 1080, que vous recherchiez
la faveur et l'amitié du Saint-Siège. Sachez que cette nouvelle nous
a causé une très grande joie et que, si vous conservez ces disposi-
tions, vous aurez toute notre faveur » (5). Depuis lors, bien que
Philippe I‘ ait souvent continué à régler les affaires ecclésiastiques
de sa propre autorité, les relations entre la France et le Saint-Siège
ont revêtu un caractère plus amical : Philippe 1° n’a pas songé un
instant à reconnaitre l’antipape Clément I et il semble que de son
(x) Les historiens allemands ont exagéré à notre avis la détresse des Gré-
goricns en 1086. Les faits qui ont été rappelés dans les pages précédentes
prouvent que Floto commet une erreur manifeste quand il soutient (Kaiser
Heinrich 1V und sein Zeitalter, t. II, p. 315) que la mort de Grégoire VII a
complètement désagrégé son parti. MEYER von KNONAU, op. cit., t. IV,
P. 35 n. 98. prétend lui aussi que cette désagrégation, commencée dès le début
de 1085, n’a fait que s'accentucr par la suite,
(2) Cfr AUGUSTIN FLICHE, Le règne de Philippe I*", roi de France, p. 408 et
suiv.
(3) Greg. VII Reg., 1. VII, ep. 20 (Monum, Gregor., p. 451).
LE PONTIFICAT DE VICTOR III. 397
côté la papauté ait adouci dans le royaume capétien la législation
sur l'investiture laïque, lout en continuant à pourchasser le nico-
laisme et la simonie.
En Angleterre, Guillaume le Conquérant a su gagner toutes les
sympathies du Saint-Siège. Grégoire VII l’a félicité de ne pas vendre
les églises, de faire régner autour de lui la paix et la justice, de
contraindre les clercs mariés à quitter leurs femmes et les laïques
à renoncer aux dimes qu'ils détenaient encore (1). Comme le roi n’a
jamais vendu les évèchés et qu’il a cherché sincèrement à réformer
les mœurs de son clergé, le pape ne semble pas avoir promulgué
dans le royaume anglo-normand le décret sur l'investiture laïque,
afin de ne pas froisser un souverain très absolu dans son gouverne-
ment (2). Guillaume reste attaché au Saint-Siège et, si de trop graves
soucis intérieurs ou extérieurs l'empèchent de le secourir efficacc-
ment, sa défection n’est pas à redouter et son appui moral est assuré.
Telle est la situation de la papauté à l’avènement de Victor HI.
Elle est sans doute critique, instable, mais d’un ensemble de cir-
constances défavorables émergent pourtant quelques chances de
salut. 11 s’agit seulement de les exploiter. Victor II n’en parait
guère capable. Il manque de décision et d'autorité. Élu sous la
pression des princes normands, il va être combattu par les Grégo-
riens purs qui n'almettent pas l’intrusion dans l’Église d’une
puissance laïque. A la crise extérieure, dont on vient d'exposer les
grandes lignes, va s'ajouter aussitôt après son avènement une crise
intérieure, beaucoup plus grave encore, qui constitue le fait essen-
tiel de son pontificat.
UT.
L'histoire des événements qui ont suivi l’élection de Victor III est
assez difficile à retracer, tellement sont opposées les deux versions
qui y ont trait, celle de Pierre Diacre dans la chronique du Mont-
Cassin (5) et celle de Hugues de Die dans deux lettres à la comtesse
Mathilde conservées par le chroniqueur Hugues de Flavigny (4).
Voici d’abord la version de Pierre Diacre. « Quatre jours après
son élection, Didier quitta Rome, gagna Ardée où il séjourna trois
jours, puis Terracine. Là il déposa la croix, la clamyde et les autres
insignes du pontificat, sans que personne püt le décider à les
(1) Greg. VII Reg., 1. VIII, cp. 28 (\/onum. Gregor., p. 478-479).
(2) Cfr AucusTin FLICHE, Saint Grégoire VIT, p. 84.
(3) PIERRE Diacre, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 67-68 (MGH,
SS, t. VIT, p. 749-750).
(# Huaues De FLAvIGNY, 1. IT (MGH, SS, t. VIII, p. 467-468).
398 AUGUSTIN FLICHE.
reprendre; il déclarait en effet qu’il préférait terminer sa vie sous
l’habit monastique plutôt que de se courber sous le joug d’un fardeau
aussi Jourd. On insista auprès de lui, on multiplia chaque jour les
supplications et Ls larmes, on lui fit voir le grand péril couru par
l'Église, la perte qui en résulterait pour beau-oup d'âmes, la colère
de Dieu qu'il attirerait manifestement en ne songeant pas à elles.
Rien n'y fit: il retourna au Mont-Cassin. Pendant toute une année
il persista dans sa résolution et ne se laissa fléchir par aucun argu-
ment, par aucune exhortation, par aucune prière. Les cardinaux et
les évèques qui l’entouraient ne se laissèrent pourtant pas aller à
l'inertie ; ils commencèrent à supplier le prince Jourdain de hâter
le plus possible les préparatifs d’un voyage à Rome aux fins de
consacrer leur élu. Jourdain vint au monastère avec une armée,
mais cédant tout à la fois aux instances de l’élu lui-même et à la
crainte de l'été, il décida de ne pas persévérer dans son projet ct
s'en retourna. L'année suivante, au milieu du carème, un concile
d'évèques se réunit à Capouc sous la présidence de l’élu en question,
entouré d’évêques et de cardinaux romains, du consul des Romains,
Cenci, d’autres membres de la noblesse romaine, du prince Jourdain,
du duc Roger qu’accompagnaient presque tous ses optimales. » Le
chroniqueur raconte ensuite comment on supplia de nouveau Didier
de revètir les insignes du pontificat et d'accepter la dignité aposto-
lique, mais pendant longtemps on se heurta à son persévérant refus.
« Eufin, comme le duc et le prince avec les évêques et tous les
catholiques qui étaient là s'étaient jetés en larmes à ses pieds, il
céda non sans peine et, prenant la croix et la pourpre, confirma son
élection, le 21 mars, jour des Rameaux, Après quoi il retourna au
Mont-Cassin, y célébra la fête de Pâques, puis, accompagné des
princes de Capoue et de Salerne, il gagna Rome (4). »
La version de Hugues de Die, dans une lettre qu’il écrivit à la
comtesse Mathilde à la fin de l’année 1087 (2), diffère très sensible-
ment de celle de Pierre Diacre. Hugues raconte comment, après
(1) PIERRE DiaACREe, Chronica monasterii Casinensis, loc. cit.
(2) Sur la date de cette lettre, cfr LEHMANN (Richard), Ueber den die
Excommunication des Er;bischofs Hugo von Lvon durch Papst Victor III
betreffenden Brief des Ersteren an der Gräfin Mathilde (Forschungen zur
deutschen Geschichte, t. VIII, p. 641-648). Nous adoptons pleinement les con-
clusions de cet article, contrairement à HirscH, article cité, p. 102, qui
voudrait reporter la lettre au début du pontificat d’'Urbain If. Le texte
prouve en effect qu’au moment où Huyues écrivait, la papauté était vacante,
et que Hugues était arrivé en Italie l’année précédente (août 1086). De plus
la formule de l’excommunication prononcée par Victor III contre Hugues de
Die est identique à celle que donne la chronique du Mont-Cassin.
LE PONTIFICAT DE VICTOR III. 399
avoir réglé différentes affaires ecclésiastiques qui le retenaient en
Gaule, il se mit en route au printemps de 1086, gagna Rome où
l'élection du nouveau pape venait d’avoir lieu, puis le Mont-Cassin
où il rencontra enfin Didier. Il traduit avec émotion l’étonnement
qu'a suscité chez lui l'élection de Victor Ill, car il a appris de la
bouche même du pape, qui ne s’en cachait pas, les actions abomi-
nables dont Didier s'est rendu coupable : Didier n'’a-t-il pas promis
a Henri {V de l’aider à ohtenir la couronne impériale, lui conseillant
d'attaquer les terres de Saint-Pierre, ce qui lui a valu l’excommuni-
cation pontificale ? N'a-t-il pas gratifié de beatus le cardinal Atton de
Milan excommunié par Grégoire VII et mort dans l’impénitence ?
N'a-t-il pas protesté contre les décrets de son « seigneur pape Gré-
goire » non seulement en paroles, mais par ses actes ? N’a-t-il pas
déclaré enfin que son élection ne s'était pas faite selon Dieu, mais
qu’elle avait été tumultueuse, qu’il n’y avait jamais adhéré et n'y
adhérerait jamais ? Or c’est aux fins d’élire un pape que, comme
vicaire apostolique, il a convoqué à Capoune un concile auquel
Hugucs fut prié d'assister par l'intermédiaire de l'évêque d'Ostie,
du prince de Salerne et de Cenci qui transmirent l'invitation.
Richard, abbé de Saint-Victor de Marseille, fut également convoqué,
ainsi que le duc Roger Guiscard, « naïvement gagné par certaines
ruses du prince Jourdain ».
La fin de la lettre est consacrée au concile de Capoue. Hugues de
Die et Richard de Marseille, en arrivant dans cette ville, apprennent
que Didier vent se faire forcer la main et reprendre la tiare. Hugues
s’entretient de cette nouvelle avec Eudes d’Ostie et le moine Guimond,
futur évêque d’Aversa. Tous trois conviennent de ne pas se préter à
la manœuvre combinée entre Didier, ses partisans et le prince de
Capoue et de refuser leur assentiment jusqu’au moment où auraient
été canoniquement examinées toutes les questions relatives à Didier
et à son passé. Or Didier refuse de se prêter à l’examen canonique
réclamé par ses adversaires ; il déclare qu'il n’est pas venu à Capoue
pour cela, que d’ailleurs il ne reconnaitra jamais son élection, puis
il se retire après avoir donné tout pouvoir de lui élire un remplaçant,
mais non sans que Guimond lui eût reproché d’être taxé d’infamie
parce qu'il avait été canoniquement excommunié par Grégoire VII
et qu'il était resté un an sans faire pénitence. Dès lors l'assemblée
est dissoute, mais le duc Roger retient Didier ainsi que l’évêque
d’Ostie et d’autres cardinaux-évêques pour obtenir d'eux que son
ami Alfano füt consacré comme archevêque de Salerne. Eudes
objecte qu'Alfano s’est livré à des manœuvres coupables pour obtenir
l'évêché qu’il convoitait et s’oppose à sa nomination, Le duc se
400 AUGUSTIN FLICHE.
retire fort en colère. C’est alors que Didier, comprenant qu’il ne
pouvait devenir pape sans l'appui de Roger, fait rappeler celui-ci
au milieu de la nuit et lui promet de consacrer Alfano le lendemain,
jour des Ramneaux. Le dimanche 21 mars, sans en avoir rien dit à
Hugues de Lyon ni à Eudes d'Ostie, mais d'accord avec le duc Roger
et avec le prince Jourdain, Didier revêt la chappe pontificale.
Eudes d'Ostie, craignant, au dire de Hugues, d'être dépossédé de
son siège s’il ne consacrait le nouveau pape, fait ia paix avec Didier
et lui témoigne le respect qui est dù à un pontife romain ({).
En présence de ces deux versions qui présentent de notables
divergences, les historiens modernes se sont préoccupés surtout de
juger le rôle de Hugues de Die : les uns lui ont reproché d’avoir agi
par ambition et par dépit, les autres d’avoir tenté de supplanter le
parti modéré représenté par Victor Il, tandis que certains d’ertre
eux célcbrent sa bonne foi et lui savent gré de ses efforts pour briser
un pape qui ne représentait pas la pure tradition grégorienne (2).
Au fond ce débat n’a pas grande portée et il importerait tout au
moins, avant de l’entreprendre, d'établir la vérité historique sur le
concile de Capoue en critiquant les deux textes en présence au lieu
de les combiner tant bien que mal, comme on l’a trop fait jusqu'ici.
La version de Pierre Diacre appelle de graves réserves. Il faut
tenir compte tout d’abord de la partialité de ce chroniqueur dont le
patriotisme exige que les abbés du Mont-Cassin soient à l'abri de
tout soupcon. Nous avons montré ailleurs comment il avait accrédité
un récit inexact de la mort de Grégoire VII pour expliquer l’avène-
ment de Victor 111 imposé à l'Église par les princes normands (3).
On ne peut donc l’aborder qu'avec défiance et cette défiance ne fait
que s’accroitre si l’on examine spécialement le passage qui nous
retient ici.
Pierre Diacre prétend qu’au cours de son entrevue avec l’arche-
vèque de Lyon au Mont-Cassin Victor II[ a manifesté sa volonté de
ne pas accepter la tiare et qu'il a renouvelé à Hugues sa légation en
(x) HuGuEs DE FLAVIGNY, loc. cit.
(2) Le rôle de Hugues de Die a été très sévèrement jugé par MARTENS,
Die Besetz;ung des papstlichen Stuhles, p. 248 et suiv., qui reproche à l’ar-
chevêque d’avoir calomnié Victor IIE, tout en admettant qu’il ait pu lui
demander des cxplications sur ses rapports avec Henri IV, comme le
raconte le légat dans sa lettre. HiRSCH, article cité, p. 95-96, pense que Hugues
a agi par ambition tout en voulant sincèrement défendre les idées de Gré-
goire VII. LuEHE, Hugo von Die und Lyon, p. 88 et suiv., prend au contraire
la défense de l'archevéque de Lyon qu'il croit de très bonne foi.
(3) Voir notre article sur L'élection d'Urbain II où nous avons prouvé qu’on
ne pouvait accorder aucune foi au témoignage de Pierre Diacre.
LE PONTIFICAT DE VICTOR lil. | 4ôl
Gaule. La contradiction est flagrante : si Victor IIT refuse la papauté,
il n’a pu faire acte de pape, ce qui eût été implicitement reconnaître
son élection; donc il n’a pas conféré à Hugues les fonctions dont il
était déjà chargé sous Grégoire VII, c'est-à-dire la mission de repré-
senter le pontife romain dans l’un des royaumes de la chrétienté. 1]
apparait que Pierre Diacre a voulu prouver que Victor Ilf n'avait
aucune antipathie préconçue à l’égard de celui qui allait se dresser
en face de lui, sans s’apercevoir qu’il trahissait son pieux mensonge
en juxtaposant deux faits incompatibles.
Quant à l’histoire du concile de Capoue, elle est dans la chronique
du Mont-Cassin d’une remarquable imprécision. Quelles raisons ont
décidé Didier à convoquer cette assemblée? Pierre Diacre omet de
les indiquer : il se borne à constater que le pape a enfin reconnu la
validité de sa propre élection, après avoir opposé, en arrivant à
Capoue, un refus énergique. Pourquoi cette volte-face ? Sous quelles
influences, sous quelles pressions s’est-elle opérée ? Même mutisme,
ce qui laisse supposer qu’elle a pu être déterminée par des motifs
assez délicats à avouer et qui pourraient bien être ceux auxquels il est
fait allusion dans la lettre de Hugues de Lyon à la comtesse Mathilde.
D'autre part on relève chez Pierre liacre quelques erreurs mani-
festes qui achèvent de ruiner l'autorité de son témoignage : il fait
assister à l'élection de Didier Richard, abbé de Saint-Victor de
Marseille, qui ne faisait pas partie du clergé de Rome (1); il raconte
qu'après le concile de Capoue le roi de Germanie, Henri IV, est venu
ravager la campagne romaine et introniser l’antipape Clément {fl
sur le siège apostolique (2), ce qui est manifestement faux et décèle
l'intention habituelle d’exalter Victor IH, « tenu par tous en grande
vénération », de faire valoir la parfaite orthodoxie de ce pontife,
« aussi éminent par le savoir que par la religion », de prouver que
les rapports du Saint-Siège avec Henri IV ont gardé la même allure
que sous Grégoire VII.
Pour ces diverses raisons le témoignage de Pierre Diacre est
inacceptable. En est-il de mème pour celui de Hugues de Lyon ?
Sans doute Hugues est un personnage impulsif, fougueux, dur
pour ses adversaires, mais, quelle que soit l'opinion que l’on ait de
lui, il est impossible de ne pas rendre hommage à la loyauté de son
caractère et à la droiture de ses sentiments. Si, au cours de sa léga- :
(x) Pierre DracRe, Chronica monasterii Casinensis, 1. UI, p. 72 : « Et
Richardus quidem electionem nostram Romae cum episcopis et cardinalibus
fecerat. » (MGH, SS, t. VII, p. 752).
(2) Pierre Diacre, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 30 (MGH,SS,
t. VIL, p. 751). Il y a là une simple réédition des événements de 1084.
402 AUGUSTIN FLICHE.
tion en Gaule il s'est parfois cru obligé de lutter contre l'indulgence
de Grégoire VII toujours prêt à pardonner et à accueillir les pro-
messes de repentir, on ne voit pas que, pour charger des prélats ou
des clercs coupables, il ait jamais produit contre eux des allégations
inexactes ou mensongères. Bref, son honnèteté est à l'abri de tout
soupçon et, comme on ne voit pas en outre quel intérêt il aurait eu
après la mort de Victor II à accréditer une fausse version du concile
de Capoue, il faut convenir que de fortes présomptions d'ordre
général militent en sa faveur. De plus, l’examen critique de la lettre
elle-même achève de décider pour lui (1).”
Tout d’abord la lettre de Hugues de Lyon est le seul texte qui
contienne une explication plausible de l’attitude étrange de Victor HI
au lendemain de son élection, en faisant allusion à des scrupules
de conscience. D’autre part le revirement du pape au concile de
Capoue, que rien ne permet de comprendre dans le récit de Pierre
Diacre, se justifie pleinement ici par l'intervention des princes
normands, en particulier du jeune Roger Guiscard qui triomphe des
dernières résistances. Or Roger a été jusque là l’adversaire de
Victor If, parce que Victor II a été le candidat de son rival
Jourdain de Capoue, très décidé à utiliser à son profit la puissance
morale de la papauté. D'autre part Roger est préoccupé de faire
élire comme archevèque de Salerne un de ses amis. De là son rôle.
qui a décidé de l'élection et qui est fort bien retracé par Hugues.
Roger arrive à Capoue avec des dispositions plutôt peu sympa-
thiques à Didier, mais il suffit qu’on lui fasse entrevoir pour Salerne
une solution favorable à ses désirs pour qu'il se rallie ; c’est cette
brusque conversion qui décide Didier à céder aux instances de
Jourdain et à reprendre les insignes de la papauté.
En résumé, si l'on retranche de la lettre de Hugues de Lyon les
jnsinuations qu’il lance contre Didier auquel avec son pessimisme
habituel l’ancien légat de Grégoire VIT attribue à tort de noires
intentions, la version qu’elle donne du concile de Capoue peut
être adoptée dans ses grandes lignes : Didier, cédant aux instances
de Jourdain de Capoue, a convoqué le synode avec l'intention de
se faire décharger par lui du fardeau de la papauté ; à peine arrivé
il a dû faire face à une attaque violente du moine Guimond et il a
battu en retraite (tout en étant peut-être ébranlé dans ses dispo-
sitions par l’âpreté de ses adversaires). Mais Jourdain de Capoue
l'a obligé à revenir sur son refus en lui ralliant un redoutable
(1) L'authenticité de la lettre est certaine, car Hugues de Flavigny, comme
nous l'avons également prouvé dans l'article plusieurs fois cité, transcrit
toujours avec fidélité les textes originaux qu'il incorpore à sa chronique.
LE PONTIFICAT DE VICTOR Ill. 403
adversaire, Roger Guiscard, qui, moyennant la promesse de l’ar-
chevéché de Salerne pour son ami Alfano, a joint ses instances à
celles de Jourdain. De plus, il est fort possible que tous ceux qui
n'avaient aucun parti pris aient été indignés par le discours de
Guimond et qu’ils soient résolument passés du côté de Didier après
être restés jusque là dans l’expectative, Ainsi s’expliquerait l'adhé-
sion d’'Eudes d’Ostie (le futur Urbain Il), que Hugues impute à la
crainte, ce qui est inadmissible. En tous cas Eudes, considérant que
les formes canoniques avaint été respectées dans l'élection du 24 mai
1086, a jugé qu'après l'acceptation de Didier, il ne pouvait faire
‘ autrement que de le consacrer et c’est là l’épilogue du concile de
Capoue.
C'est le dimanche des Rameaux (21 mai 1087) que l'assemblée
s’est dissoute. Victor [LT va célébrer la fête de Pâques (28 mai) au
Mont-Cassin, puis il se rend à Rome, escorté par les princes de
Capoue et de Salerne, passe le Tibre près d'Ustie et campe devant
Saint-Pierre, que tenaient toujours les partisans de Clément HI.
L'armée normande s'empare de la basilique. Le 9 mai, en présence
d’une nombreuse foule, le nouveau pape est enfin consacré par
Eudes de Châtillon, cardinal-évêèque d’Ostie, assisté des cardinaux-
évèques de Tusculum, Porto et Albano, de nombreux évêques et
abbés (1). La crise qui a déchiré l’Église au début du pontificat de
(1) Nous avons reproduit la version de la chronique du Mont-Cassin, la
scule qui soit détaillée, mais qu’il n’y a aucune raison de suspecter ici, car
elle n’est pas contredite par les autres chroniques. En général celles-ci
enregistrent simplement le fait de la consécration à Saint-Pierre sans aucun
commentaire. BERNOLD DE CONSTANCE, a. 1087 : « Consecratus est autem
exeunte maio mense apud sanctum Petrum a cardinalibus episcopis Ottone
Ostiense et Petro Albanense cum reliquis cardinalibus. » (MGH,SS, t. V,
P. 446). — Annales Cavenses : « Desiderius abbas in papam Victorem ordi-
natur 7 idus maias » (/bid., t. V, p. 190). — La chronique du Mont-Cassin
relate que, tandis qu’il campait devant Saint-Pierre, Victor III a été malade.
Cet incident a été dramatisé par ses ennemis qui y virent un jugement de
Dieu : HuGues DE FLAvIGNY, 1. II : e Hic igitur consecratus ab Ostiensi
episcopo, cum missas apud sanctum Petrum dicerct, infra actionem judicio
Dei percussus ut, et, quamvis tarde cognoscens se errasse, se ipse deposuit,
et accitis fratribus de Monte-Cassino qui secum aderant, praecepit se illo
deferri et in capitulo non ut papam, sed ut abbatem sepeliri. » (MGH,SS,
t. VIIL, p. 468). Cette légende accréditée par Hugues de Flavigny, ami de
l’archevêque de Lyon, a été souvent reprise au xtie siècle, et enrichie de
détails nouveaux : Annales Augustani, a. 1087 : « Ipse (Desiderius) vero in
immoderata perdurans ambitione, multa dando et plura pollicendo, collecta
clam gravi multitudine, absente Wigberto, in ipsa sacratissima vigilia
pentecostes, ex insidiis occulto aditu Romam invasit, sancti Petri domum
expugnavit, irrupit, statimque violentia quadam ipsa die se inthronisari
A04 AUGUSTIN FLICHE.
Victor III est conjurée, mais le péril extérieur persiste ; Hugues de
Lyon, fidèle à la discipline catholique, se tait dans une retraite
pleine de dignité, mais Clément II se dresse en face de Victor HI,
successeur de Grégoire VII et, bien que la tentative de ralliement
conduite par Guy de Ferrare ait échoué, ne se montre nullement
disposé à abandonner la lutte. |
IV.
Huit jours après sa consécration, Victor II quitte Rome et
retourne au Mont-Cassin (1). Pierre Diacre n'indique pas les causes
de cette retraite ; sans doute faut-il l’imputer à la fois au mauvais
état de santé du pape et à l'instabilité de sa situation à Rome (2).
En effet, si Clément 111 a été obligé de céder momentanément Saint-
Pierre, il n’en tenait pas moins une bonne partie de la ville (5) et
il eût fallu bien des luttes pour permettre à Victor III de s'installer
dans sa capitale. Plutôt que de les entreprendre, le pape préféra
regagner les cimes de l’Apennin et gouverner l'Église universelle
du fond de son palais du Mont-Cassin.
Il y serait sans doute resté jusqu’à sa mort si la pieuse comtesse
Mathilde ne l’avait troublé dans sa quiétude. Elle était venue à
fecit atque consecrari. Sed miser ille atque maledictus, dum missarum sol-
lemnia celebraret, inter ipsa sacramenta nondum perfecta, fetore turpissimo
effusis intestinis labitur atque extra ecclesiam semivivus deportatur. »
(MGEH, SS, t. IL, p. 132). — Annales Brunwillarenses,| a. 1083 : « In ascensu
Domini Victor, abbas Casinensis, annitentibus Romanis, sedem apostolicam
invadit, expulso Clemente ; set inter agendam missam dissenteria pervasus,
missis imperfectis, Casinum rediit et obiit; Clemens sedem recepit. » (1bid.,
t. XVI, p. 725). — OrDERIC VITAL, Historia ecclesiastica, 1. VII, c. 7 :
« Victor papa, postquam apicem pontificatus ascendit, primam missam in die
sancto pentecoste solemniter cantare cepit, sed occulto Dei nutu gravem
morbum subito incurrit, Nam, diaria cogente, ter latrinam de missa ductus
est et sic in papatu vix una tantum missa perfunctus.. repente infirmatus est;
in aegritudine tamen a pentecostes usque ad augustum languens defunctus
est. » (éd. LePRÉVOST, t. IIL, p. 306). — GUILLAUME DE MALMESBURY, Gesta
regum Anglorum, 1. III, c. 266 : « Victor .… ad primam missam, incertum quo
discrimine, cecidit exanimatus, calice, si dignum est credere, veneno inter-
fectus. » (éd. Srusss, t. IL, p. 326).
(1x) PIERRE Diacre, Chronica monasterii Casinensis, 1, IL, c. 68 (MGEH,SS,
t. VIL p. 750).
(2) C’est ce qui résulte des textes cités À l’avant-dernière note, en par-
. ticulier des Annales Augustani.
(3) Le 8 juin Clément III délivre encore à Rome méme une bulle par
laquelle il prend certains dispositions pour les soins à donner aux étrangers
ct aux malades (J. W., no 5326).
LETPONTIFICAT DE VICTOR ii. 405
Romé pôur saluer le nouveau pape, mais, arrivée quelques jours
après son départ, elle se rendit au Mont-Cassin, supplia Victor III
de retourner dans la capitale du monde chrétien et finit par
triompher des objections de santé qu’il lui opposa. Le 11 juin,
Victor IUT célèbre de nouveau la messe à Saint-Pierre, puis, avec
l'aide de Mathilde, entre dans Rome par le Transtévère. Bientôt
il est maître du château Saiïint-Ange et de toute la rive droite du
Tibre. Le 28 juin, attaqué par l’antipape qui tenait à célébrer la
messe à Saint-Pierre le lendemain, jour des saints Apôtres, il est
obligé de battre en retraite et de s’enfermer dans le château Saint-
Ange. Le 29, la situation est indécise autour de Saint-Pierre et
c'est seulement le 30 que Clément III peut y pontifier; mais son
triomphe est de courte durée : le 1% juillet, Victor III reprend
possession de la basilique Toutefois ces luttes l'ont fatigué : vers la
fin de juillet (1), il reprend une fois de plus la route qui conduit au
Mont-Cassin où il séjourne quelque temps avant d'aller tenir un
concile à Bénévent (2).
Cette assemblée, composée presque exclusivement des évêques de
Pouille et de Calabre, se réunit le 29 août 4087 (5). C'est l'événement
essentiel du pontificat : Victor Ill y a formulé un programme de
gouvernement de l’Église que la mort ne lui a pas laissé le temps
d'exécuter. Dans le discours que lui prête Pierre Diacre et qui,
malgré certains termes sujets à caution, semble refléter assez fidèle-
ment la pensée pontificale, il rappelle les maux dont l’Église a
souffert du fait de Guibert « précurseur de l’Antéchrist et porte-
étendard de Satan » et, pour conclure, renouvelle l’anathème fulminé
contre lui par son prédécesseur, le prive de toute charge, de tout
honneur, de toute fonction dans l’Église (4). En un mot Victor III
(x) Victor III était encore à Rome le 14 Juillet, date à laquelle il accorde
un privilège d'immunité à l’abbaye de Montier-en-Der (J. W., no 5344).
(2) La chronique du Mont-Cassin, 1. IL, c. 65, est la seule source relative
à ces événements (MGA, SS, t. VII, p. 750) et il ne semble pas qu'il y ait
lieu ici de suspecter la véracité de son récit, car sa chronologie est d'accord
avec celle des bulles pontificales. C’est à la suite de ce chapitre que Pierre
Diacre rapporte une prétendue expédition de Henri IV dans la campagne
romaine dont l'impossibilité a été démontrée plus haut.
(3) Les Annales Beneventani disent que le concile s'est tenu au mois
d'août : Beneventum venit (Victor papa) mense Augusto, sinodum cele-
bravit. » (MGH,SS, t. IIL, p. 182). La date du 29 est donnée par la bulle
J. W., n°5347. En allant à Bénévent, Victor III a dû s'arrêter à Capoue,
à moins qu’il n’ait traversé cette ville après avoir quitté Rome pour le
Mont-Cassin (J. W., n° 5345).
(4) PIERRE DiaACRe, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 72: « … Idcirco
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE) XXe 20
406 AUGUSTIN FLICHE.
annonce qu'il va continuer la politique et l'œuvre de Grégoire VII,
qu’il repousse tout compromis avec l’antipape et par suite avec
l’empereur. |
Il ne pouvait agir autrement. Non seulement par ce goste il
prouvait son attachement aux directions grégoriennes et essayaïit de
faire oublier un fâcheux passé, mais il n’ignorait pas qu'en Alle-
magne les choses avaient mal tourné pour Henri IV. Depuis son
élection la guerre civile avait continué avec des alternatives diverses.
Après la Saxe, la Bavière s'était révoltée au mois de juin. La lutte
s'était concentrée autour de Wurzbourg, où les Grégoriens avaient
décidé de faire rentrer l’évêque légitime, Adalbéron, chassé en 1077.
Un complot, dont l'âme fut, semble-t-il, l'archevêque de Magdebourg,
Hartwig, s’élait formé. Adalbéron, après la bataille de Bleichfeld
(4 août 1086), avait réussi à pénétrer un moment dans sa ville
épiscopale, mais il n’y resta pas longtemps. Henri IV réussit à
reprendre Wurzbourg et à y installkr à nouveau le compétiteur
d’Adalbéron, Méginhard (1). Malgré ces succès, le parti impérial,
épuisé par une lutte aussi longue et aussi ardue, désirait la paix et,
pour y parvenir, le roi convoqua pour le 28 février à Oppenheim une
auctoritate Dei et bcatorum apostolorum Petri et Pauli et omnium sancto-
rum, omni sacerdotali officio, honore privamus et, a liminibus illum ecclesiae
separantes, anathematis vinculo innodamus. » (MGH, SS, t. VIL, p. 752). La
version allemande, représentée par Bceraold de Constance, est pleinement
d'accord avec la version du Mont-Cassin. Elle mentionne également le
renouvellement au début du pontificat de la sentence qui frappait Henri IV,
sans spécifier sa promulgation au concile de Bénévent : « Statim post elec-
tionem suam, missis usquequaque literis, se juxta decreta sanctorum patrum
declaravit incessurum fJudicium quoque sui antecessoris piae memoriae
Gregorii papae super Heinricum et omnes ejus fautores confirmavit. » (MGH,
SS, t. V, p. 446).
(x) Sur tous ces événements cfr MEYER vox KNonauU, op. cit., t. IV, p. 124
et suiv. — Une certaine obscurité plane sur toute cette affaire de Wurzbourg
par suite des contradictions qui existent entre la version grégorienne, repré-
sentée surtout par Bernoid de Constance, et la version impériale que l'on
trouve dans le Liber de unitate ecclesiae conservanda, 1. II, c. 1x6, 29, 30 et les
Annales Augustani. La défaite de Henri IV à Bleichfcld n’est pas douteuse et
elle est avouée par ses partisans qui, comme toujours en pareil cas, l’attri-
buent à la trahison. On voit moins bien pourquoi les Grégoriens n'ont pu
poursuivre leurs avantages. Meyer von Knonau pense que le silence de
Bernold sur les événements de la fin de l’année est un indice que l’on n'était
pas très satisfait dans son entourage et il suppose non sans quelque raison
qu'il dut y avoir des dissentiments dans 1e parti saxon sur la conduite à
tenir, les uns voulant continuer la guerre, les autres étant au contraire
disposés à la paix. Henri IV aurait essayé d’exploiter cette division en
prenant l'initiative de négociations, ce qui paraît très vraisemblable,
LE PONTIFICAT DE VICTOR I. 407
assemblée qui ne parvint pas à se réunir (1). Après avoir solennelle-
ment couronné son fils à Aix-la-Chapelle en mai (2), il entreprit de
nouvelles démarches et pria les princes du parti adverse de venir
conférer avec lui à Spire le 1°" août, c’est-à-dire un mois à peine
avant le concile de Bénévent.
L'assemblée de Spire, comme on pouvait s’y attendre, ne fit
qu'accentuer les divergences qui existaient déjà. Suivant Bernold
de Constance on y lut un décret de Victor If confirmant toutes les
décisions de Grégoire VII qui visaient Henri IV et ses partisans (3).
Malgré l'invitation des princes qui lui promettaient de l'aider de tout
leur pouvoir, sil voulait faire pénitence, Henri IV ne voulut pas
reconnaitre la validité de la sentence qui le frappait. Dans ces con-
ditions l'entente était impossible et l’on se sépara sans avoir abouti
a rien (4),
Au fond la rupture était avantageuse pour les Grégoriens : Henri IV
ne peut quitter une Allemagne divisée et en partie hostile pour aller
secourir son antipape, dont la situation à Rome reste fragile.
(1) BERNOLD DE CoNSTANCE, à. 1086 et 1087 (MGH, SS, t. V, p. 445-440) ;
Annales Augustani, a. 1087 (Jbid., t. ITL, p. 132).
(2) STumPr, nos 2886 et 2886 a. — Annales Weissemburgenses, a. 1097 :
< Cuonradus factus est rex 3 kal. julii Aquisgrani (MG, SS, t. IIL p. 72). —
Annales Patherbrunnenses, a. 1087 : « Chuonradus, filius imperatoris, a Sige-
wino, Coloniensi archiepiscopo, consecratur in regem Aquisgrani (éd. SCHEF-
FER-BOICHORST, p. 100).
(3) BERNOLD DE CoONSTANCE, a. 1087 : « In praedicto colloquio literae
domni papae recitatae sunt, in quibus et suam promotionem principibus regni
denunciavit, et judicium sui antecessoris pilae memoriae Gregorii papae
super Heinricum et fautores ejus apertissime confirmavit. » (MGH, SS, t. V,
P. 446). — Il est À remarquer que les partisans de Henri IV ont tous con-
sidéré Victor III comme un ennemi, au même titre que Grégoire VII, ce
qui ne laisse aucune doute sur l'attitude que lui prêtent Bernold de Con-
stance et Pierre Diacre. Le Liber de unitate qui reflète assez bien la pensée
de l'entourage de Henri IV s'exprime en ces termes (1. II, c. 17) : « Ille
Cassinensis abbas Sergius, qui post decessionem imperatoris ex Italia sub-
introductus est et per studia partium HildeSranti ordinatus, cujus scilicet
honoris coronam non diu impunitus tenuit. » (Libelli de lite, t. II, p. 232).
(4) BERNOLD DE CONSTANCE, a. 1087 : « Principes quoque regni Teutoni-
corum, fideles, inquam, sancti Petri, generale colloquium cum Heinrico et
fautoribus ejus in kalcndis Augusti prope Nemetensem civitatem habuerunt,
eique adjutorium suum ad obtinendum regnum, si de excommunicatione
exire vellet, fideliter promiscrunt. Ille autem, in solita sua obstinatione
persistens nec se excommunicatum profiteri dignatus est, licet hoc sibi a
nobis in faciem instanter probarctur. Unde et nostri nullam pacem vel con-
cordiam cum eo habere statucrunt. » (MGH, SS, t. V, p. 446). — Annales
Augustani, a. 1087 : « Spirense co:cilium ma'c inchoatum, pejus terminatur.»
(Zbid., t. 1IL, p. 132).
408 AUGUSTIN FLICHE.
Victor Il! n’en est que plus fort pour maintenir, au concile de
Bénévent, les sentences de Grégoire VII et, du même coup, il affermit
son autorité sur l'Église (1).
Les autres décrets grégoriens furent, selon Pierre Diacre, renou-
velés par l’asscmblée. « Nous avons décidé, aurait dit le pape, que
celui qui a reçu un évêché ou une abbaye de la main d'une personne
laïque ne peut être compté parmi les évêques ni les abbés et qu'il
ne lui sera accordé aucune audience en tant qu’évêque ou abbé. De
plus nous lui interdisons la faveur du bicnheureux Pierre et l'entrée
de l’Église jusqu’à ce qu'il ait abandonné le siège dont il s’est emparé
tant par ambition que par désobéissance. {l en sera de même pour les
dignités ecclésiastiques d'ordre inférieur. Enfin, si un empereur,
roi, duc, marquis, comte ou autre pouvoir séculier a l’audace de
conférer l'investiture d’un évêché ou d’une autre charge, qu'il se
considère comme lié par la même sentence (2). » Ce sont à peu de
chose de près les termes du décret de 1075.
En même temps qu’il condamne à nouveau l'investiture laïque,
Victor 111 maintient les mesures disciplinaires édictées par son pré-
décesseur et décide notamment que tout fidèle qui assiste à la messe
d’un prêtre simoniaque ou prie avec lui est excommunié, {Il va plus
loin encore : il déclare nulles les ordinations simoniaques, ce que
Grégoire VII n'avait jamais osé affirmer malgré les sollicitations
des réformateurs lorrains. « C’est une erreur, dit-il, de croire que
de tels pasteurs sont prêtres. » 11 ajoute que, si l’on ne peut
recevoir pénitence et communion des mains d’un prêtre catholique,
« il vaut mieux rester sans communion visible et communier invi-
siblement avec le Seigneur... car les catholiques, bien qu'ils ne
puissent communier par amour de l’hérésie visiblement et corpo-
rellement, peuvent communier invisiblement s'ils sont unis au
Cbrist de corps et d'esprit (3). »
(1) Von Sy8ez, Geschichte des ersten Kreuzzuges, p. 209, et SIMoN, Ur--
bani II papae vila, p. 29, pensent que Victor LI a voulu conclure la paix
avec Henri IV. La condamnation solennelle de l'antipape au concile de
Bénévent exclut cette hypothèse qui ne repose sur aucun texte. HIRsCH,
article cité, p. x00-101, prétend que Victor III n'a pas observé à l'égard des
pouvoirs temporels la même attitude que Grégoire VII ; nous ne voyons pas
à quel fait il peut penser. Il est fort possible que Victor III, s’il avait vécu,
eût montré plus de modération, mais son pontificat a été trop court pour lui
permettre de donner une indication quelconque sur ses intentisns.
(2) P1ERRE DiaAcRE, Chronica monasterii Casinensis, 1. IIl, c. 72 (MGH,SS,
t. VIL p. 752).
(3) PIERRE DiacrE, loc. cit., « Quos quidem sacerdotes esse saltim credere
omnino errare est. Penitentia vero et communio a nullo nisi a catholico
LE PONTIFICAT DE VICTOR I. . 409
La chronique du Mont-Cassin est seule à rapporter ces propos
qui paraissent assez extraordinaires dans la bouche de Victor II. Il
est peu vraisemblable a priori que Didier, Italien de naissance, ait
fait sienne une thèse que rejetaient les théologiens italiens pour
adopter celle des Lorrains. Aussi est-on en droit de se demander
si Pierre Diacre ne lui a pas prêté cette intransigeance doctrinale
pour l’excuser en quelque sorte de la rigueur qu’il a témoignée
envers ceux des Grégoriens qui l’avaient combaltu auparavant,
Cest en effet au concile de Bénévent qu'il aurait excommunié
Hugues de Lyon et Richard de Marseille sans avoir esquissé le
moindre geste de réconciliation, ce qui n'est pas l'indice d’un
grand caractère (1). Mais faut-il conclure pour cela que le récit de
Pierre Diacre est forgé de toutes pièces, que le renouvellement des
décrets de 1074 et 1075 est une pure invention de sa part, que le
simple fait que Victor III ait condamné Hugues de Lyon indique
une réaction antigrégorienne ? Il est difficile de se prononcer, car,
en ce qui concerne l’histoire du concile de Bénévent, il est impos-
sible de contrôler la chronique du Mont-Cassin, qui en est la
source unique. |
Or l’examen du contexte fait surgir de graves présomptions
contre sa véracité. Les chapitres qui précèdent sont consacrés l'un
à une pseudo-expédition de Henri IV en Italie, destinée à mettre en
relief l’orthodoxie de Didier, l’autre à un vaste projet de croisade.
« Le pape Victor bouillait d'un immense désir de confondre et de
briser l'infidélité des Sarrasins qui séjournaient en Afrique. Aussi,
après avoir tenu conseil avec les évêques et les cardinaux, il ras-
sembla parmi les peuples de l'Italie une armée de chrétiens et,
leur confiant l'étendard du bienheureux apôtre Pierre, il leur donna
l’absolution de leurs péchés et les dirigea contre les Sarrasins
suscipiatis : si vero nullus sacerdos affuerit, rectius est sine communione
mancre visibili et invisibiliter a Domino communicari quam ab heretico
communicari et a Deo separari... Sacram enim communionem Christi. quam-
vis visibiliter et corporaliter catholici propter imminentes hereticos habere
non possint, tamen dum mente et corpore Christi conjuncti sunt, sacram
Christi communionem invisibiliter habent » (MGH, SS, t. VIL p. 752).
(1) PIERRE DitACcRE, Chronica monasterii Casinensis, 1. III, c. 72 (c'est
Victor IE qui parle) : « Qua propter omnium sibi fratrum videntes unanimi-
tatem pertinacius in eo scandalorum scelere reluctari, ab eorum et nostra
continuo sunt communione sejuncti. Unde vobis apostolica auctoritate
praecipimus ut ab eis abstinere curetis nec illis omnino communicetis quia
Romanae ecclesiae communione sua sponte sejuncti sunt, quoniam, ut
beatus scribit Ambrosius, qui se a Romana ecclesia segregat, vere ut haere-
ticus aestimandus » (MGH, SS, t. VIL, p. 752).
A10 AUGUSTIN FLICHE.
d'Afrique. Sous la conduite du Christ, ils s’en allèrent assiéger une
ville d'Afrique, qu'ils prirent avec l’aide de Dieu, après avoir tué
cent mille combattants dans l’armée des Sarrasins (1). » Continua-
teur de Grégoire VIT, Victor HE est aussi le précurseur d'Urbain IT;
il aurait songé à la lutte contre l’islam et, comme il était difficile
de lui attribuer la délivrance de Jérusalem, Pierre Diacre s’est con-
tenté de célébrer une croisade africaine dont il aurait été l’initiateur.
Il y a là une singulière déformation d’un fait historique que l’on
peut reconstituer à l’aide d’une chronique de Pise rédigée au milieu
du xu° siècle. On apprend par ce texte que les Pisans et les Génois
ont fait en 4088 une expédition en Afrique et y ont pris deux villes
aux Sarrasins (2), mais il n’est pas dit que Victor Ill ait eu la
pensée première de celte expédition et cela pour la bonne raison
qu'il était mort. L’historien de la Sicile, Geoffroy Malaterra et le
chroniqueur allemand Bernold de Constance rapportent également
cette expédition des Pisans en Afrique, mais gardent le même
silence au sujet de Victor HI (3). De plus, il ne s’agit que d’une
guerre économique et non d'une croisade. Îl ne saurait donc y avoir
le moindre doute : Pierre Diacre, témoin du succès de la croisade
sous Urbain Il, a voulu que le pape du Mont-Cassin eût sa part du
triomphe de son successeur et il a transformé une petite razzia
opérée par les Pisans en une guerre sainte inspirée par Victor IS.
L'histoire du concile de Bénévent apparait dans la chronique
du Mont-Cassiu encadrée d’une série de légendes qui enlévert toute
autorité au témoignage de Pierre Diacre. Ne serait-elle pas, au moins
en partie, forgéce de toutes pièces ?
Des décrets réformateurs qui, d'aprés le chroniqueur du Mont-
Cassin, auraient été publiés au concile de Bénévent, on ne trouve
trace nulle part ailleurs. Les bulles pontificales, quoique empreintes
de l'esprit grégorien, ne sont pas assez nombreuses pour qu'on en
puisse tirer argument. Dans une lettre contemporaine du concile,
Victor IT supplie l'archevêque de Cagliari, Jacques, et les autres
(1) PIERRE DIACRE, Chronica monasterii Casinensis, 1. II, c. 71 (MGH,SS,
t. VII, p. 751).
(2) Chronicon Pisanum ; a. 1088 : « Fecerunt Pisani et Januenses stolum
in Africa et ceperunt duas munitissimas civitates, Dalmatiam et Sibiliam in
die S. Sixti... Ex quibus civitatibus, Saracenis fere omnibus interfectis, maxi-
mam praedam auri et argenti, palliorum et ornamentorum abstraxerunt. De
qua praeda thesauros Pisanae ecclesiac et diversis ornamentis mirabiliter
amplificaverunt et ecclesiam B. Sixti in curte vetcri aedificaverunt. » (MURA-
TORI, Rerum Italicarum Scriptores, t VI, p. 109).
(3) GEOFFROY MALATERRA, Historia Sicula, 1. IV, c. 3 (MURATORI, t. V,
p- 590-591) ; BERNOLD DE CoxsSTANCE, a. 1058 (MGHE, SS, t. V, p. 447).
LE PONTIFICAT DE VICTOR III. 411
évêques de Sardaigne de réformer leurs églises dont il a constaté la
situation désastreuse ; il a même songé un moment à sévir contre
l'archevêque qui, comme primat de Sardaigne, avait fait preuve de
négligence et l’exhorte en termes pressants à se montrer plus zélé
dans l’avenir (1). Toutefois il ne faut pas attacher une importance
excessive à ces formules émanées de la chancellerie pontificale et
non pas du pape en personne.
On ne saurait dire cependant que Victor III ait rompu avec les
tendances grégoriennes. En réalité le malheureux pontife n’a pas eu
le temps de laisser son empreinte dans l’œuvre de la réforme :
pendant un an il a boudé et pendant les quatre mois qui s’écoulent
entre le jour de sa consécration (9 mai 1087) et celui de sa mort
(16 septembre) (2) il a été constamment malade. Aussi serait-il injuste
de porter sur lui un jugement quelconque. Suivant certains historiens
il aurait rompu avec les directions de son prédécesseur : tandis que
Grégoire VIS avait lutté pour imposer au monde la domination du
Saint-Siège, il aurait reculé d’un pas et se serait modestement con-
tenté de condamner l'investiture laïque (3). Pour d’autres, au
contraire, il aurait clairement affirmé sa volonté de continuer l’œuvre
de Grégoire VII, tout en apportant un tempérament différent et en
usant de la diplomatie plutôt que des armes spirituelles ou tempo-
relles (4). À notre avis ces affirmations opposées attribuent beaucoup
trop d'importance au pontificat de Victor HI. L'ancien abbé du
Mont-Cassin, avant tout esthète et bibliophile, ne semble pas avoir
eu d’idées très personnelles sur le gouvernement de l’Église : sous
le pontificat de Grégoire VIT il a un moment essayé de rapprocher le
pape et l’empereur, mais il n’a songé en la circonstance qu’aux
intérêts de son monastère, sans même se douter de la gravité de son
initiative. Une fois ce danger passé, il est revenu à Grégoire VII et
ne lui a jamais fait défection. Élu sous la pression des princes
normands, il a vu se dresser contre lui les purs Grégoriens, ce qui
(1) JAFFÉ WATTENBACH, n° 5347.
(2) PIERRE DrACrE, Chronica monasterii Casinensis, |. II, c 73 : « Feliciter
migravit ad Dominum 16 Kalendas octobris, anno dominicae incarnationis
1087 ». (MGH, SS. t. VII, p. 753). -—- BERNOLD DE CONSTANCE, a. 1087 : « Vic-
tor papa, jam pluribus annis infirmus et in eodem infirmitate ordinatus, post
quartum mensem sui pontificatus diem clausit extremum. » (/bid.t. V, p. 447).
(3) Telle est notammerit l’opinion de Hauck, Kirchengeschichte Deutsch-
lands, t. III, p. 852-853. Elle ne repose sur rien à notre avis : Victor III
n'ayant pas négocié avec Henri IV, on ne peut pas dire qu'il ait renoncé au
programme grégorien et l’on ne saurait faire état d’un geste isolé, antérieur
à son arrivée au pontificat.
(4) Cfr Hirscu, article cité, p. 97-98.
412 AUGUSTIN FLICHE.
ne l’a pas empèéché de rester Grégorien lui-même : il l’a prouvé à
son dernier jour en désignant pour lui succéder l’un des héritiers
de la pensée de Grégoire VII, le Français Eudes de Châtillon, car-
dinal-évêque d’Ostie (1).
En résumé Victor 111 reste un personnage plutôt effacé, qui fait
pâle figure entre Grégoire VII et Urbain fl. Son avènement a failli
être fatal à l’Église, en déchainant une crise intérieure très grave
que fort heureusement ses ennemis n’ont pas su ni pu exploiter.
Grâce aux difficultés avec lesquelles ils étaient aux prises, grâce
aussi à l’esprit de discipline dont ont fait preuve les vrais Grégoriens,
tels que Hugues de Lyon et Eudes d’Ostie, non seulement tout
danger a été conjuré, maïs l'unité de l'Église s’est magnifiquement
affirmée et l’œuvre grégorienne est restée intacte malgré l’insuffi-
sance du pontife auquel était confié le soin de la maintenir et de la
perpétuer.
Montpellier, AUGUSTIN FLICRE.
(1) J. W., nos 5348 et 5349; PIERRE DIACRE, Chronica monasterii Casinensis,
L II, c. 73 (MGEH, SS, t. VI, p. 753).
La monarchie pontificale jusqu'au concile de Trente
1
UNE NOUVELLE MÉTHODE HISTORIQUE
A PROPOS DE LA MONARCHIE PONTIFICALE
L'Histoire des conciles de Hefele-Hergenrüther, en allemand,
jouissait d’une réputation justement méritée, et sa traduction fran-
çaise que dom H. Leclercq, O.S. B., a récemment terminée, n’a pas
manqué d'accroître encore, par ses savantes notes, cette réputation
d’un instrument de travail de première valeur. L'éditeur s’est donc
facilement laissé convaincre de poursuivre l’œuvre, qui s’arrétait aux
deux premières années du pontificat de Paul Ill. Mais le concile de
Trente, dont elle raconte les préparatifs lointains dans ses derniers
chapitres, marque une date capitale, ouvre une période nouvelle
pour l’histoire de l’Église : il a définitivement établi en celle-ci, au
profit de la papauté, un régime de centralisation, qui se développera
dans la suite, achevant la monarchie que les pontifes avaient orga-
nisée à travers les siècles. Le concile a d’ailleurs, par suite de son
importance, fait l’objet de tant de recherches et de travaux que les
découvertes ultérieures ne modifieront guère ce que l’on sait de sa
physionomie comme de son œuvre et de sa portée. |
Des nombreuses histoires qu'on en a écrites depuis Paolo Sarpi,
il y a plus de trois siècles ; des amples collections de documents
qu'on a rassemblées, à la suite de Le Plat, qui n’a fait qu’ébaucher ce
que la Goerresgesellschaft réalise magistralement, l'Histoire des con-
ciles doit tirer le récit définitif des travaux de l’assemblée. Pas n'est
besoin de documents inédits ni d’aperçus originaux, si le plan du
livre s'adapte à la méthode nouvelle que réclament la nature du sujet
et les exigences actuelles de l’histoire. De tout temps la discipline,
les enseignements et la vie même de l'Église ont démontré l’impos-
Sibilité de séparer le concile de la monarchie pontificale avec
laquelle et pour laquelle il travaille, toujours sous sa direction. Ce
sont précisément pour nous le motif et aussi le moyen de conforiner
le cadre de l'Histoire des conciles à celte méthode nouvelle. Sans
abandonner la combinaison qu’elle a suivie jusqu'ici de l’histoire
narrative et de l’histoire doctrinale, elle devra faire prédominer
celle-ci et grouper les faits par une sorte de synthèse démonstrative,
414 P. RICHARD.
qui mette en relief la vraie nature de l'Église. Tout se concentre
désormais dans l'unité de celle-ci, autour de l’autorité pontificale, la
vie comme le progrès au sens le plus général : le travail du concile
se subordonne à cette autorité, qui centralise peu à peu sous sa
direction le gouvernement de la chrétienté, les circonstances l’ame-
nant à réaliser l'unité que requiert le plan fixé par son divin fonda-
teur, Et d'autres éléments concourent à transformer la méthode
historique dans le même sen:, de manière à rassembler dans un tout
organique la poussière des faits dont l’histoire narrative s'était
contentée jusqu'ici.
Cette dernière, en multipliant les détails dans tous les ordres, a
créé l’érudition, qui morcelle l’histoire en autant de branches qu'elle
embrasse de matières secondaires ou accessoires. Pour nous en tenir
aux annales ecclésiastiques, patrologie, théologie positive, liturgie,
droit canon, etc., ont trouvé des assembleurs de matériaux, qui
prétendent se faire leurs historiens en les isolant du cadre général.
Mais il ne semble pas qu'ils aient réussi jusqu'ici à tirer de la masse
des matériaux qu'ils ont accumulés l’étude d'ensemble, dans laquelle
nous retrouverons la forme définitive avec les vicissitudes de l’insti-
tution ou de la matière qui a été l’objet de leurs recherches. Ce
serait cependant un moyen de faire avancer la méthode de synthèse
qui s'impose désormais aux travaux historiques. Il suffirait, en effet,
de replacer ces études dans leur cadre, l’organisation générale de
l'Église, dont elles éclaireraient les progrès et la nature, de manière
à établir comment cet organisme s’est développé à travers les âges,
au double point de vue de la doctrine et de la discipline, pour
aboutir à son état actuel de monarchie absolue, tempérée par des
traditions précises qui se sont enracinées pendant des siècles.
Au fond la vieille méthode qui, depuis les premiers essais de
l'histoire, raconte simplement la propagation et les vicissitudes du
christianisme, a donné tous ses résultats d'instruction et d'édifica-
tion. Les nécessités présentes se tournent de plus en plus vers
l’'apologétique, et montrent qu'il faut autre chose aux fidèles qui
ont besoin d'établir solidement leur foi sur la raison et par la dis-
cussion, Comme aux indifférents et aux rationalistes qui cherchent
loyalement la certitude dans un criterium inébranlable, auprès d’une
autorité infaillible. Plus que jamais s'impose, au milieu de cir-
constances nouvelles, la formule profondément vraie que Léon XHI
a dictée aux érudits chrétiens : l’Église n’a besoin que de la vérité.
Le tableau de sa vie et de son organisation, de l'unité suivant laquelle
elle a développé celle-ci, apporte un témoignage de plus à la démons-
tration de son origine divine.
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU’AU CONC. DE TRENTE. 415
Cette nouvelle méthode historique dont nous voulons présenter
un exemple plutôt que la théorie, exige un autre élément de trans-
formation et de progrès; un esprit nouveau et presque une réédnca-
tion de l'historien. Celui-ci a besoin du moins de sacrifier certaines
préoccupations qui compromettent son impartialité, surtout des
préjugés invétérés, qui rapetissent l’histoire à n’être plus qu’œuvre
d'école, de parti ou de religion, je veux dire la religion de la liberté
ou de l'humanité en marche vers le progrès indéfini. Sans doute
l'historien ne peut faire table rase de sa manière de comprendre,
par suite d'apprécier les hommes et les faits : s’il doit imposer
silence à ses sentiments et impressions, pour ne pas les étaler dans
son récit, il est par contre impossible qu'il n’en recoive pas une
vision plus claire et plus exacte de certains événements, une com-
prébension plus large du rôle de certains personnages. Il n’en est
pas moins vrai que la formation générale qui lui est donnée depuis
un siècle, et qui transmet les mêmes préjugés de génération en géné-
ration, le rend à peu près incapable de dépeindre avec exactitude
plus d’une époque, plus d’un fait ou personnage important dans les
annales de l'Église.
C'est ainsi que l'historien ecclésiastique lui-même ne s’est pas
encore débarrassé de la tendance rationaliste, fruit d’un esprit
universitaire importé d'Allemagne, il y a trois quarts de siècle, ct
qu'elle se trahit dans les sujets qui lui sont le plus étrangers. Deux
exemples illustreront cet excès d’une manière suffisante et suggére-
ront peut-être les moyens d'y remédier. On insiste beaucoup sur les
abus qui se glissèrent dans l'Église et le clergé du xmi au xv° siè-
cles; le traducteur de l’Histoire des conciles revient lui-même, à
travers les notes de son tome VIT, sur l'avidité de la cour romaine,
sur les moyens parfois peu honnètes dont elle usait pour extorquer
de l'argent à la chrétienté, sur l'attache aux biens temporels et à la
politique mondaine, qui de là se répandait dans le reste de l’Église,
sur les conséquences fâcheuses que ces abus produisirent à la longue
dans la société chrétienne. Mais c’est à peine si on note, à la dérobée
pour ainsi dire, et quelques historiens au plus, le progrès qui fut la
rançou de ces abus : l’organisation administrative qui s’élaborait
dans l'Église romaine, au profit de la monarchie pontificale.
L'autre exemple à moins de portée sans doute pour la méthode de
synthèse qui désormais régira l’histoire, mais il montre non moins
clairement au milieu de quelles idées discutables évolue l'historien
ralionaliste. Les égards que l’on à de tout temps gardés dans son
école envers les.prétendus réformateurs du xvi* siècle en ont imposé
aux écrivains catholiques eux-mêmes, qui les ont pris au sérieux,
416 P. RICHARD. -
jusqu’à conserver l'appellation de Réforme au mouvement révolu-
tionnaire par lequel ils ont inauguré tout un système de négation et
de bouleversement universel. Également révoltés contre les deux
autorités qu'ils aspiraient à dominer, mème quand ils se laissaient
dominer par elles, ces émancipateurs de la liberté et de l’esprit mo-
derne ont surtout préparé la ruine de tout ordre politique et social.
Sérieusement peut-on appeler réforme le régime de violences et de
destruction auquel ils aboutissaient ; quand leurs partisans abolis-
saient le culte catholique dans les pays où ils étaient les plus forts,
et obligeaient par la violence les populations à entendre le prèche
de leurs pasteurs ; quand au sortir de ce prêche, où l’on avait repré-
senté les images et les reliques des Saints, la Vierge et l’Eucharistie
comme des objets d’idolàtrie, l»s auditeurs se mettaient à détruire
les statues et autres monuments dont la piété des fidèles avait orné
les rues et les places, à saccager, incendier des églises, maltraiter
moines et prêtres ? Des historiens de nos jours, à l'étranger, ont
d'ailleurs réduit à des proportions plus exactes les intentions et le
rôle qu’on a longtemps prêtés à Luther, à Henri VIH et à leurs
complices.
Au reste, c'est par les applications et à l’aide des matériaux
abondants qu'a révélés l’érudition, que se développera la nouvelle
méthode ; il sera plus décisif d’en multiplier les modèles que d’en
fixer une théorie rigoureuse. D'ailleurs, méthode et esprit nouveau
devront rester étroitement unis, et la première corrigera plus d’une
défaillance de l'historien, redressera les vues contestables, les juge-
ments erronés. Pour nous en tenir à l'Histoire des conciles, son
programme se précise avec l'assemblée tridentine. Elle se concen-
trera désormais sur les rapports de la souveraineté pontificale avec
le reste de l’Église enseignante, l’épiscopat dispersé ou réuni en
conciles soit généraux, soit particuliers. Après dix siècles et plus de
progrès, celle-ci est parvenue à une organisation encore incomplète,
mais capable d'exercer une action plus directe sur la chrétienté.
Cette action sera favorisée par les relations plus aisées et rapides
que créera le progrès général de la civilisation, en même temps que
ce dernier rendra plus facile la consultation de l’Église enseignante
dispersée, consultation qui gardera toute son utilité pour le maintien
de la discipline et des traditions.
L'épiscopat, en union avec le pape et sous sa direction, conserve
et interprète le dépôt des vérités dogmatiques et des règles de morale
et de discipline que son fondateur lui a confiées par l'entremise des
apôtres. La souveraineté pontificale doit donc rester en contact avec
lui, et ce contact ne manquera pas d'avoir sa répercussion sur la
LA MONARCHIE-PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 417
politique pontificale, dont la fonction première est de faire appliquer
le programme élaboré en commun. Le dogme de l’Immaculée Con-
ception par exemple a été proclamé avec le concours de plusieurs
centaines d’évêques. Nous verrons ainsi la monarchie étendre ses
prérogatives avec le consentement de l’Église enseignante, et lorsque
elles auront défini toutes deux, au concile du Vatican, que la papauté
détient personnellement l'infaillibilité qui réside dans l’ensemble de
l'Église, l’épiscopat n’en continuera pas moins son rôle de conseiller.
C’est en ce sens que la monarchie assumera seule le gouvernement de
la chrétienté, qu’elle devra par suite concentrer sur elle les travaux
et l’attention des historiens. Sans se confondre avec une histoire
générale de l’Église, l’Histoire des conciles aura pour objet premier
de montrer l’action en commun de la monarchie pontificale et de
l’épiscopat, telle que nous venons de l'indiquer.
Elle devra en second lieu étudier comment les deux autorités ont
précisé leur organisation avec leur situation mutuelle aux conciles
de Trente et du Vatican, ct dans les siècles qui les séparent, et cela
par les progrès que l’usage et l'expérience apportent à toute insti-
tution humaine, même quand elle vient de Dieu. La monarchie en
particulier atteindra son plein développement, le degré de perfection
dans lequel nous la voyons aujourd’hui,
Avant. d'aborder l'étude de ces divers faits à travers l’histoire
ecclésiastique moderne, nous avons à établir avec précision ce
qu'était cette monarchie au xvi siècle, et comment elle s'était formée
au cours des temps antérieurs. La souveraineté que Jésus-Christ a
conférée dans son Eglise à son vicaire sur terre embrasse, comme
toute souveraineté, deux fonctions, gouverner et administrer :
prendre toutes les mesures indispensables à la vie et à la marche
normale de la société à laquelle cette souveraineté est préposée,
assurer ensuite la mise en pratique de ces mesures. Mais cette société
étant avant tout d’ordre spirituel, la monarchie du Christ atteint
directement les âmes, intelligence et volonté, indirectement les
corps, en tant qu'ils servent d'instruments aux manifestations des
premières. C’est par l’intermédiaire de son corps que l’âme reçoit
les sacrements qui entretiennent en elle la vie de la gräce, qu'elle
pratique le décalogue, qu’elle fait des actes extérieurs de religion,
toutes choses qui se concentrent dans le culte, dont la liturgie règle
les manifestations.
Croire et pratiquer la religion, sont les deux premiers devoirs
auxquels l’homme est tenu de se donner tout entier, en observant
les règles générales que l’Église lui a tracées, d’après les principes
de la tradition. La monarchie pontificale a pour fonction propre de
418 P. RICHARD.
le diriger en ce sens, de contrôler la manière dont il remplit ce
double devoir en établissant le dogme, la morale et Ja discipline :
c'est gouverner. Administrer c’est dresser les règlements de détail
nécessaires, les faire exécuter, résoudre les difficultés, dissiper les
ignorances, prévenir les abus, réprimer les manquements. À ces
fonctions primordiales s’en adjoignent plusieurs autres qui leur sont
subordonnées. Ainsi, d’après la constitution de l’Église, chequ
évèque gouverne son diocèse en toute souveraineté et suivant une
marche analogue, mais le pape garde toujours un droit de contrôle
et de surveillance. De plus, chaque fidèle peut s'adresser directement
au pasteur suprême pour ses embarras et nécessités personnelles, en
passant par dessus la tête de l’ordinaire. Le vicaire de Jésus-Christ
est en effet, de par la volonté de son mandant, le pasteur de tous les
évèques et de tous les fidèles, en même temps le pasteur immédiat
de chaque fidèle. Premier représentant du Christ, qui est mort pour
chaque âme en particulier, il se doit à toutes et à chacune prise à part.
Plus délicats et plus difficiles sont les devoirs qu’il exerce envers
les pouvoirs civils qui commandent aux corps, et ne pénètrent dans
le domaine de l’âme que pour garantir le bon ordre dont a besoin le
progrès sous tous les rapports des sociétés humaines. La monarchie
papale intervient auprès d’eux pour garantir, comme protectrice des
Églises nationales, l'indépendance des évêques, le libre et plein
exercice de leur ministère. C’est pour cela qu’elle conclut avec eux
des concordats, dont les règlements ont pour but d'organiser d’abord
la police dans les manifestations extérieures du culte et de la disci-
pline ; d'assurer ensuite la bonne tenue et la gestion des locaux de ce
culte, des revenus et propriétés qui sont nécessaires à son entretien,
ainsi qu’à celui de ses ministres : le pape en exerce le souverain
domaine comme représentant du Christ, les évêques n’en ont que la
garde et l’usufruit sous sa responsabilité et sa surveillance.
Gouvernement et administration centrale fonctionnent au moyen
de ministères et bureaux, les congrégations romaines qui en sont les
instruments. Au dessus plane le conseil suprême de la papauté, le
Sacré Collège, qui fournit leurs chefs à ces divers organes, en même
temps qu’il garde et interprète les traditions sur lesquelles reposent
les principes et les règles qui dirigent la monarchie.
Et celle-ci, parce qu’elle s'étend à toute la terre, a besoin d’un
centre, d’une résidence fixe où elle soit indépendante et souveraine.
Elle est en perpétuelle relation d’affaires avec les autorités tempo-
relles de tous pays, au dessus d'elles, puisqu'elle dirige la con-
science, partie supérieure de l’âme humaine. Elle ne doit donc
dépendre d’aucune de ces puissances, et, comme on l’a dit souvent,
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 419
le pape ne doit être ni Italien, ni Français, ni Allemand, ni d'Europe,
ni d'Amérique : il doit être universel. Il ne peut avoir de supérieur
sur le territoire de sa résidence, si exigu qu'il soit; il ne peut être
soumis, sous quelque forme que ce soit, à n'importe quel pouvoir,
fat-il le plus libéral de tous. Îl ne peut même tenir son indépen-
dance de ce pouvoir, mais de l’accord et sous la sauvegarde des
chrétiens de tous pays. La loi ttalienne des garanties sera toujours
insuffisante, parce qu’elle fait partie de la constitution du royaume
d'Italie, qu’elle suppose le pape italien, habitant en terre italienne ;
elle ne le reconnaît pas comme souverain sur les quelques palais
que l'Italie a bien voulu lui laisser ; elle ne l’en reconnaît même pas
comme le propriétaire, elle ne lui en accorde que lusufruit. Et
pourtant tout ce que ces palais renferment vient de la chrétienté, a
été payé pendant des siècles par l’argent de la chrétienté. Le terri-
loire qui assure l'indépendance du pape doit être catholique en fait
comme en droit, il ne peut appartenir qu’à la chrétienté universelle.
La souveraineté temporelle est une partie essentielle de la monarchie
pontificale, elle a été voulue par Dieu et non pas simplement con-
sacrée par une existence de près de seize cents ans : elle s’est
développée avec cette monarchie comme sa condition nécessaire, elle
a été proclamée indispensable à l’Église de Jésus-Christ par l'histoire
et le droit canon.
Il
ORIGINES DE LA MONARCHIE PONTIFICALE
La notion générale de monarchie romaine que nous venons
d'analyser s’est établie et précisée à travers des siècles de péripéties.
Elle a commencé à prendre sa forme définitive au treizième, après
avoir passé par une longue période de tätonnements et de transfor-
Walions, pendant laquelle l’autorité pontificale, reconnue et acceptée
sans conteste par les autorités locales, ne s’était exercée que rare-
ment, aux grandes occasions et pour des affaires capitales, s'était
affirmée plus qu'elle n’avait imposé ses directions. C’était le temps
où l’Église enseignante ne cessait de travailler sous la conduite des
papes, définissait le dogme, fixait la morale et la discipline dans de
nombreux conciles, généraux ou particuliers, dont le pouvoir central
dirigeait parfois les travaux, contrôlait et ratifiait toujours les
décisions les plus importantes. Ainsi se formaient, selon les besoins
du temps, la doctrine et l’enscignement de l'Eglise, le successeur
de saint Pierre ne cessant d'intervenir pour sanctionner les résultats
de ces travaux.
À travers les rares documents que nous possédons, l’action de la
420 P. RICHARD.
papauté se dessine dès les premiers siècles, avec une ébauche d'or-
ganes administratifs, chargés de la faire sentir dans les chrétientés
locales, à mesure qu’elles viennent à la vie : les scrènia, offices ou
bureaux de service de l’Église romaine, calqués sur ceux du gouver-
nement impérial, entretenaient une correspondance suivie avec ces
communautés dispersées jusqu'aux extrémités du monde romain et
au delà. Ainsi l’attestent le conflit de la Pâque au n° siècle, celui des
lapsi au ie. H est naturel de supposer que ces services achevérent
de s'organiser pendant la période de paix qui permit de réparer
les ruines entassées durant l'ère des persécutions. Leur activité
s’amplifia du moins notablement au 1v° siècle contre l’arianisme et
autres hérésies qui pullulaient de l'Orient à l'Occident, avec les con-
ciles qui se succédaient presque sans interruption dans les deux
parties de l'empire. Leur correspondance remplit, à partir du siècle
suivant, les patrologies comme celle de Migne, et les Regesta pontt-
ficum romanorum de Jaffé. Les deux cents lettres environ de saint
Léon le Grand, précieuses pour leur portée théologique, abordent
aussi tous les sujets avec des correspondants variés, en dehors des
évêques et des collectivités conciliaires.
De même caractère, mais plus importantes sont les Epistolae de
saint Grégoire le Grand, qui forment un volume entier, le tome
LXXXIIe de la Patrologie de Migne. Le pontife y apparaît dans des
rôles multiples, docteur et législateur, homme de gouvernement,
administrateur, juge et financier. Il est mème directeur de conscience
pour dresser à la vie publique les âmes des chefs barbares, nouvel-
lement convertis et novices dans la pratique des affaires politiques.
La monarchie pontificale inaugure son pouvoir indirect sur ces
affaires, en surveillant l’apprentissage des dynasties et des nations
qui vont remplacer Fempire romain : elle prépare ainsi l’organisa-
tion de l’Europe chrétienne, à l’aide du savoir politique et de cette
école de gouvernement dont elle a hérité de l’ancienne Rome.
Les souverains ariens d’Espagne, naguère revenus de l'erreur,
les chefs lombards encore païens aux trois quarts, Brunehaut et les
princes mérovingiens, l'empereur Maurice lui-même, recherchent
les conseils de Grégoire et les écoutent docilement, bien qu'ils ne les
comprennent et ne les observent pas toujours assez. Le pasteur ne
cesse de revenir à la charge avec une patience qui ne se lasse pas.
Le chef apparait aussi comme un des créateurs de la monarchie
pontificale, surtout comme le lointain organisateur des États de
l'Église et du pouvoir temporel : sa correspondance révèle fréquem-
ment le soin avec lequel il établit l'administration des Patrimonia
sancts Petri, domaines dispersés à travers l’italie, que ses prédéces-
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 421
seurs avaient acquis par dons, fondations, achats, etc. (1). La pro-
tection que les papes exerçaient depuis le départ de Constantin, à
litre de defensor civitatis, sur Rome et peut-être d’autres cités
italiennes, se transformait alors en une sorte de souveraineté, pour
la première du moins et ses voisines. Que le titre aît été concédé ou
non par les empereurs, il a contribué aussi à fonder le gouvernement
des papes dans le duché de Rome, qui commença avant la donation
de Pépin.
Saint Grégoire avait à coup sûr hérité de ses prédécesseurs ces
diverses attributions, mais il sut les consolider et les développer
par un emploi méthodique. Il perfectionna aussi les services des
nolari, des scriniaru, expélditeurs et gardiens des lettres et instruc-
tions papales : ainsi son pontificat marque un progrès important de
la monarchie romaine, en ce sens que l’on constate mieux l’action
que l’Église de Rome exerce sur la chrétienté, action personnelle
surtout, renforçant celle que la discipline et la tradition conféraient
au successeur de Pierre.
Sous les papes qui suivirent, du vu au x° siècle, ces institutions
se développent ; nous sommes du moins plus renseignés sur l'Église
romaine, gräce à l’étude de Mgr Duchesne, Les premiers temps de
l'Etat pontifical (2). L'administration se complique de celle du pou-
voir temporel, qui finalement absorbe les pouvoirs des ducs-patrices
de Rome, gouverneurs impériaux qui n'ont plus d’appui du côté de
Byzance. Il reste dès lors à peine quelque distinction entre cette
nouvelle organisation et celle de l’Église elle-même, qui se sécularise
partiellement. A côté des vingt-cinq cardinaux prêtres curés de Rome
et des sept cardinaux diacres, conseillers et auxiliaires du pape au
temporel comme au spirituel, apparaissent les trois services secon-
daires ou bureaux du palais du Latran, le palais, la chancellerie et
les finances. Les principaux officiers, chefs de ces services, qui
changent parfois de nom, superisla, primicerius, secundicerius,
bibliothecarius, arcarius, etc., forment le collège des sept juges
palatins, dont l’importance se développe de bonne heure dans le
ressort de la justice et la police.
La subordination n’est pas encore nettement établie entre ces
_ (x) MourRET, Histoire générale de l’Église, t. IL, p. 91-97. Un certain
nombre de ces domaines sont énumérés dans plusieurs notices du Liber
pontificalis, antérieures à Grégoire le Grand : voir le tome I de l'édition
Duchesne.
(2) Paris, 1904, seconde édition. Les détails que nous donnons plus loin
sont empruntés au chap. VI, p. 98-103.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 2/
422 : P. RICHARD,
dignités. Les personnages les plus influents varient selon les cir-
constances, selon leur intelligence, leur savoir-faire, l’habileté avec
laquelle ils arrivent à dominer le pape, qui leur doit parfois sa
fortune, sa promotion. Les plus célèbres furent le primicier Chris-
tophe, qui dirigea la politique française à Rome au temps de Pépin
le Bref ; Étienne IE, qu’il avait d’abord mené, le livra au roi lom-
bard Didier (770). Au siècle suivant, le bibliothécaire Anastase,
cardinal du titre de Saint-Marcel, antipape en 855, eut de l'influence
sous Nicolas 1°" (858-867), dont, en qualité de secrétaire, il rédigea et
expédia les actes, non sans leur donner son cachet personnel. Au
x siècle, lorsque la papauté fut plus ou muins dominée par la
noblesse romaine, ses tyrans portaient parfois des titres ou des
fonctions palatines, comme le vestiarius Théophylacte qui s’éleva de
l'emploi de trésorier du palais aux grandes dignités de magister
militum, sénateur et consul de Rome (1).
Les mêmes officiers qui aidaient le pape à gouverner l'Église de
Rome et ses Etats temporels devaient intervenir pareillement dans
les rapports avec la chrétienté, ce qui constituait le rôle propre de
la monarchie pontificale à ses débuts. Les Regesta Romanorum pon-
tificum de Jaffé nous en fournissent la preuve à diverses reprises.
Pendant la vacance qui suivit la mort du pape Séverin en 640, son
successeur Jean IV parait sous la dénomination d'electus Romanae
Écclesiae, entouré d’un certain nombre de dignitaires, parini lesquels
figure un Joannes consiliarius ejusdem Sanctae Sedis (2). Le primi-
cier des notaires qui, avec l’archiprètre et l’archidiacre, gouvernait
l'Église romaine pendant la vacance du siège (3), n'avait pas seule-
ment la haute main sur la chancellerie : prédécesseur du chancelier
qui apparaît avec Jean XIX en 1024, il était déjà un des personnages
les plus influents dans la gestion des affaires générales de la chré-
tienté.
Il intervient fréquemment avec le bibliothccarius Sanctae Sedis et
beaucoup plus souvent que les autres vofficicrs mentionnés par
Duchesne, dans l'expédition des actes pontificaux, qui consistait à
les dater, à les munir du sceau de la chancellerie et des signatures
authentiques. Jaffe ne manque pas de signaler cette fonction avec les
officiers qui la remplissaient en tète de chaque pontificat, Tandis que
la rédaction des actes est toujours faite par les notarit ou scriniarti,
l'expédition est réservée à des officiers plus relevés qui n’appar-
(1) Zbid., p. 310.
(a) JAFFÉ, nv 2040, Une énumération analogue apparait sous Léon III
(395-816). On pourrait apporter d'autres exemples.
(3) DUCHESKE, 1bid., p. 101.
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONCe DE TRENTE. 423
tiennent pas toujours à la chancellerie, et il y a tout lieu de croire
qu'ils avaient un rôle dans la préparation de ces actes, c’est-à-dire
l'examen et le règlement des affaires auxquelles ils avaient trait.
À partir du x1° siècle, les officiers portent le titre de cardinaux, le
chancelier notamment qui prend décidément le dessus. Sous Victor I,
le preinier des papes réformateurs (1055), le cardinal chancelier est
le célèbre Hildebrand ; sous Étienne IX et Nicolas [IL c'est le cardinal
Humbert, évêque de Selva Candida, un autre ouvrier de la réforme.
Sous Alexandre II et Grégoire VII apparaît saint Pierre Damien. Un
siècle après, Hadrien IV à pour principal instrument le cardinal
Roland qui lui succèdera sous le nom d'Alexandre I1l, Le chancelier,
devenu ainsi un des premiers personnages du conseil des papes, se
fait souvent suppléer, pour les formalités de chancellerie, par un
évèque ou quelque autre grand personnage. Un chanoine de Saint-
Jean de Latran, du nom de Moyse, exerce même les fonctions de vice-
gérant de la chancellerie, sous plusieurs pontificats, d'Urbain 111 à
Célestin 1H (1185-1198), pour disparaître avant l’exaltation d’Inno-
cent III, maïs la fonction semble avoir été maintenue.
Dans cette organisation gouvernementale que nous voyous se
dessiner, le Sacré Collège se détache aussi peu à peu, avant même
que le décret de Nicolas IF ait établi son droit d'élection. Les papes
du x1° siècle, Léon IX le premier, appellent les cardinaux prîtres,
puis les diacres à confirmer comme témoins les acte importants
expédiés en chancellerie. Ils ont donc au préalable délibéré sur les
décisions dont ils endossent ainsi la responsabilité. Jaffe les men-
tionne sous leur titre cardinalice, et la liste qu’il donne en tête de
chaque pontificat devient nombreuse à partir d'Alexandre IE (1061-
1073). Les trois ordres sont nettement distingués avec Pascal II
(1099-14 148) ; les cardinaux évêques en tête occupent à peu près le
rang qu'ils ont toujours tenu. Ce sont les anciens suffragants de
Rome (1), qui varient depuis le vi° siècle, excepté celui d'Ostie. Ils
sont appelés à consacrer le pape et, en 687, ils figurent au nombre
de trois au sacre de Léon If, Ostie en tète, On a même soin d’ajouter
que celui d’Albano fait défaut parce que le siège cest vacant (2).
C'était à eux en première ligne que le décret de Latran réservait
la désignation du pape (avril 1059). Les autres cardinaux étaient
ensuite consultés. Ce qui renforça l'importance du Sacré Collège
ce fut surtout le concours que Grégoire VII et ses successeurs trou-
vérent chez lui pour leur politique de réforme et l'organisation de
la république chrétienne. Le premier inaugura le système des léga-
(1) DUCHESNE, tbid., p. 102-103 et note,
(2) Jarré, t. I, p. 240.
424 ë P. RICHARD.
tivns, par lesquelles il se rendait pour ainsi dire présent dans les
diverses parties de la chrétienté. lour celà il devait envoyer un
autre lui-même, c’est-à-dire un persunnage de son entourage, de
son intimité, connaissant ses idées, et capable d’en assurer la réali-
sation. Les cardinaux les plus en vue étaient tout désignés pour
cela, et lorsque le pape confiait des missions de confiance à des per-
sonnages de condition inférieure, le cardinalat ne tardait pas à
récompenser les succès obtenus dans une ou plusieurs de ces entre-
prises.
L'institution nouvelle, plus solennelle de ces ambassades aposto-
liques qu'on appela légation, assura le succès de la grande réforine
du xi° siècle, en dirigeant et disciplinant les forces diverses, moines,
ordres religieux, masses populaires, que la papauté lançait à l’assaut
contre le clergé prévaricateur à tous les degrés. Elle méritait donc
d’être conservée et les papes du xu° siècle, sans l'employer aussi
souvent, en firent cependant un de leurs moyens de politique et
d'administration dans le gouvernement de la république chrétienne
qu'ils s’efforçaient d'organiser. Des pontiles plus actifs, comme
Innocent 111, Grégoire IX, Innocent IV suivront l'exemple de Gré-
goire VII et feront des légations l'instrument principal de leur
autorité dans l’Église universelle (1).
D'ailleurs cette activité donna un grand développement aux trois
services poñtilicaux que nous avons meuntionnés, surtout à la
chancellerie. Néanmoins, comme au x° siècle, l'âge de plomb de la
chrétienté, selon l’expression de Baronius, ces services subirent
des arrêts, mème des dommages pendaut les périodes les plus
troublées de la lutte du sacerdoce et de l'empire ; et le désarroi, le
désordre qui résultèrent de ces temps de bouleversement firent
toucher du doigt la nécessité d'établir le pouvoir papal sur un
organisme fort et centralisé. Et cette nécessité fut encore mise en
évidence par les empiétements des princes séculiers, que l'exemple
des empereurs d’Allemagne incitait à s'étendre aux dépens de
l'autorité spirituelle. Les croisades mirent en relief les divergences
entre les races chrétiennes : l'ambition de ces princes les fit dégé-
nèrer en Opposilions toujours plus vives, puis en conflits, et ainsi
s'évanouit lentement le rève de république chrétienne que les papes
s'efforcaient de réaliser. Au x1u° siècle, l'âge d’or de la civilisation
chrétienne et médiévale, toutes les dynasties régnantes, Capétiens,
Plantagencets, maison d'Aragon, surtout les ambilicux princes
angevins, rivalisent d'activité pour accroitre leurs attributions avec
(1) Voir notammen! les savants tfavaux d'A. Luchaire sur Innocent III,
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 425
leurs territoires. Le souci du péril de l'Islam passe à l'arrière-plan,
les royautés féodales s'acheminent vers la monarchie absolue et sur
les races transformées en nations va s'exercer le droit divin des
rois, qui compte parmi ses premières prérogatives l’ingérence dans
le domaine de l’Église et l’asservissement du clergé.
Pour se garantir de ces attaques, la papauté n’aura qu’à emprun-
ter la tactique de ses adversaires : elle travaille donc à se fortifier,
à développer ses institutions avec un persévérant esprit de suite,
au milieu des difficultés qu’elle rencontre aussi dans l'Église, même
dans son entourage ; luttes complexes venant de tous côtés, et d'où
résulta pour elle, en ce même xni° siècle, une nouvelle crise d'affai-
blissement. Les papes étaient pris entre les assauts furieux de
l'Empire, que représentait le féroce Frédéric Il, et les excès de la
démagogie romaine, qui s’entendait avec les hobereaux turbulents
de la campagne avoisinante, pour résister au maître commnn. Les
pontifes n’ont plus de résidence sûre, ils errent vagabonds à :
travers la péninsule et les pays voisins : Innocent IV, le plus
remarquable d’entre eux, séjourne dix ans à Lyon, sous la protec-
tion de saint Louis. Les citadelles de l’Apennin, Anagni, Orvieto,
Viterbe, Pérouse, etc., véritables nids d'’aigle faciles à garantir d’un
coup de main, leur assurent seules un peu de sécurité, et servent
tour à tour de refuge aux gouvernants de la catholicité. Les bureaux
d'où partent les missives qui instruisent, éclairent et réglementent
l’Europe et l'Asie, qui réveillent le zèle des cités lombardes et tos-
canes, qui calment les emportements de l’ambitieuse maison d’An-
jou, qui organisent les derniers essais de croisade, ces bureaux ne
sont plus installés au palais du Latran ; ils s’abritent derrière les
corps de garde d'une condotta, troupe de mercenaires enrûlés aux
frais du Père des fidèles ; celui-ci n’a échappé aux griffes des Hohen-
staufen que pour se voir menacé par les podesta sans scrupule des
cités italiennes, ou sur le point de devenir l’homme lige de cadets
capétiens, à peine moins avides et plus scrupuleux.
D'ailleurs l'Italie, où chaque province, chaque cité, chaque famille
se divisait en deux partis irréconciliables, guelfes et gibelins, nobles
et peuple s’entr’exilent et s’entretuent tour à tour, l'Italie devenait à
peu près inhabitable, Tous les papes en faisaient l’expérience l’un
aprés l'autre, les Italiens aussi bien que les Français. Après
Boniface VIII, qui, bien que le plus illustre enfant de la péninsule,
avait été indignement maltraité par ses compatriotes au service des
ennemis d’outre-monts, il fallut chercher autre part un abri où l’on
pôt asseoir la solide organisation que réclamait l’Église. La sécurité
dont la cour romaine avait joui à Lyon, le prestige sans tache de
426 P. RICHARD.
saint Louis, l'influence des Capétiens, ses ancètres, qui depuis deux
siècles s’efforçaient de combattre la tyrannie teutonique, tout cela
avait contribué à créer en celte cour et au Sacré Collège un parti
francais, qui contrebalançait l’action des Italiens. Avec l'appui des
Angevins, il avait élevé au pontificat plusieurs de ses membres, le
Champenois Urbain IV (1261-1264), le Languedocien Clément IV
(1265-1268), le célèbre Pierre de Tarentaise, qui, sous le nom
d’Innocent V (1276), compléta par de sages mesures les règlements
du second concile de Lyon ; enfin le Tourangeau Martin IV (1281-
4285), qui assista impuissant au drame des Vépres siciliennes.
Cette défaite des princes angevins assura pour vingt ans le triomphe
du parti italien. Toutefois à la suite des luttes interminables qui
éclataient entre les deux partis, à chaque vacance du Saint-Siège
(témoin le conclave de trois années qui suivit la mort de Clément IV),
Clément V envisagea comine une nécessité le transfert de la curie en
dehors de la péninsule (1505). L'installation à Avignon, imposée par
les calculs ambitieux de Philippe le Bel, rencontra une vive résis-
tance de la part des cardinaux ultramontains, surtout pour des
raisons d'intérêt. Le pontife tint bon, créa des cardinaux francais,
ce qui affaiblissait l'influence des anciens, et menaça de gouverner
l'Église sans eux. Au reste, le Sacré Collège, qui devenait le gardien
et l'interprète des traditions sur lesquelles se règle le gouvernement
pontifical, en même temps que le conseiller du pape et l’auxiliaire
indispensable de ce gouvernement, le Sacré Collège ne pouvait que
ratifier le choix de la nouvelle résider ce : il y allait de la sécurité et
du bon ordre dont il avait besoin pour s'organiser lui-même. Nous
allons voir ces deux puissances, la papauté et son conseil, travailler
concurremment, parfois en opposition, à renforcer, en les centra-
lisant davantage, les pouvoirs qu'ils se partageaient inégalement.
L'œuvre de formation, après avoir subi les vicissitudes de plusieurs
siècles, va se préciser pendant un séjour de soixante-dix ans derrière
les murs d'Avignon, pour achever, au retour du pape à Rome, la
première ébauche d'un organisme monarchique.
Cette ébauche apparaît dans les liegesta romanorum pontificum,
collection de copies officielles, authentiquées par les divers officiers
curiaux alors en fonction, de bulles et autres actes adwinistratifs
émanés de la chancellerie, Commencée précisément pendant le séjour
à Avignon, elle a échappé en très grande partie aux injures du temps
et des révolutions modernes et se conserve aux Archives du Vatican
sous trois formes, dont deux au moins datent de cette époque, les
Regesta Avenionensia et les Regesta Vaticana. En l'état où ils ont
Survécu, ces recueils présentent une documentation capitale pour
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC DE TRENTE. 427
l'histoire de la papauté à partir du xiv° siècle, comme pour les
débuts et la marche des rouages qui compliqueront dans la suite
l'administration curiale. Derrière l’abri sûr que formait le Comtat
Venaissin, sous la protection des Valois, dont les territoires et ceux
de leurs vassaux de Provence et de Dauphiné entouraient Avignon
d'une vraie ceinture de défenses naturelles, avec les exemples, les
avantages et les ressources que leur empruntaient les papes, ceux-ci
ont rapidement organisé une puissance politico-religieuse et créé
une société brillante et une civilisation qui ont rivalisé avec celles
des Valois, restées en pleine guerre de Cent ans, un modèle, à la
fois objet d'envie et d’émulation pour l'Europe.
Ces splendeurs coûtaient beaucoup d'argent, et c’est la chrélienté
qui payait. Pour couvrir leurs dépenses, qui avec le temps se firent
excessives, les papes d'Avignon fondèrent la fiscalité pontificale,
vaste système financier et administratif, enveloppant les pays chré-
tiens et qui devint le solide point d'appui de l’organisation qui était
en train de s’élaborcer. En généralisant l'usage des annates et d’autres
charges financières qu'ils imposaient aux bénéfices, les pontifes
concentrèrent entre les mains de la Chambre apostolique les affaires
de finances ; en même temps que la multiplication des procès en
cour de Rome leur fournissait l’occasion de développer, avec le
fonctionnement des tribunaux de la curie, la hiérarchie judiciaire de
l'Église et la discipline elle-même, Ainsi ont grandi les premiers
ministères curiaux, qui se transformèrent plus tard en congrégations
romaines.
L'ancienne chancellerie, agrandie et complétée, restait plus que
jamais le bureau principal. Les services s'y multipliaient, en même
temps que les affaires toujours plus complexes qu’on y expédiait. Et
à ces services correspondaient des collèges nouveaux de scribes et
autres employés qui se partageaient la besogne des anciens scriniarti,
notaires et secrétaires. Les protonotari prirent le pas sur ces
officiers, puis se formèrent successivement les scriplores, registra-
tores, elc., selon qu'il s'agissait de rédiger les actes ou de les
enregistrer, de les inscrire dans les recueils officiels, les Regesta,
destinés à faire foi en justice comme pour l’administration. Les plus
en vue furent les abréviateurs du Parc majeur, qui prirent une
grande importance (1). Benoît XII les organisa en collège et les
chargea de préparer le travail des autres. Les secrétaires apostoliques,
probablement les derniers venus en date, devaient parvenir à une
(x) Article dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastique,
t. I, col, 195, et dans celui de Droit canonique, t. I, 1924.
428 P. RICHARD.
fortune exceptionnelle ; de leur collège sortira lentement au xv° et
au xvre siècles la Secrétairerie d’État, qui deviendra le ministère des
brefs (1). |
D’autres services s’étaient déjà détachés de la Chancellerie ; par
exemple la Daterie. Nous en avons signalé deux, la rédaction et
l'expédition des actes pontificaux. Celle-ci se marquait par la date
et les autres détails d’authenticité, la signature et l’apposition des
sceaux. La distinction commence dans Jaffé avec Hadrien 1°"(772-795).
À une époque qu’il est difficile de déterminer, il se produisit une
transformation : le bureau de la Daterie fut chargé de recevoir les
suppliques ou requêtes diverses, de les apostiller avant de Îles
soumettre au pape, toujours avec les formalités de dates. La trans-
formation était réalisée au moins au temps de Boniface VIII: sous
lui eut lieu la séparation de la Daterie et de la Chancellerie, d’après
l'historien de la première, le Flamand Théodore Ameyden qui
travailla longtemps dans les bureaux de cette congrégation, vers
1600 (2). Il mentionne un dataire du nom de Xystus sous
Honorius 11 (1215-1227). Il est certain toutefois que la chancellerie
garda son office d’expédier les bulles par la date, comme on le voit
dans Jaffe et son continuateur Potthast. La Daterie n’en fut détachée
sans doute que pour diminuer son travail, qui devenait excessif avec
la multiplicité toujours plus grande des suppliques auxquelles elle
avait à répondre. Benoît XII (1234-1242) compléta cette transfor-
mation dans sa réforme de la chancellerie. Certains bénéficiers
arrivaient à se faire pourvoir en falsifiant leurs suppliques ou
demandes de mise en possession, c’est-à-dire les éléments d’anthen-
ticité de ces requêtes. I fit tenir des registres authentiques de ces
suppliques une fois accordées, et la collection se trauve encore aux
Archives du Vatican. La nouvelle Datcrie en eut la garde et fut
chargée de prévenir les fraudes en surveillant l'expédition des
requêtes ou suppliques bénéficiales.
Elle devint un service important et occupa toujours au moins
le troisième rang parmi les congrégations et tribunaux romains (5).
Les fonctions de signature entrainérent de bonne heure une
procédure de contentieux, qui a peut-être donné naissance à un
(1) P. RicHarD, Origines et développements de la Secrétairerie d'État apos-
tolique, dans Revue d'histoire ecclésiastique, t. XI, 1910.
(2) Moroxt, Diqionario di erudizione storico-ecclesiastica, t. XIX, p. 111,
113-117, etc. L'ouvrage d'Amcyden a pour titre: De officio et jurisdictione
datarii, Venise, 1654. La première édition de 1534 fut mise à l’Index en 1653.
Voir le long article de MoRonNti, ibid., p. 109-159.
(3) Zbid., p. 123, à la fin,
LA MONARCHIE 1'ONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 429
tribunal spécial, celui de la Signature. Alexandre VI le divisa en
Signature de justice et Signature de grâce (1492) (1). Mais la
Chancellerie occupa toujours le premier rang dans l’administration
pontificale ; elle servait d’ailleurs d'intermédiaire avec un autre
service d'importance, chargé de percevoir les fonds ou droits de
chancellerie que tout salliciteur devait verser pour l'obtention des
bulles et autres actes.
Ce troisième ministère, la Chambre apostolique, est organisé aussi
et fonctionne sous les papes d'Avignon. Elle avait dû se séparer de
bonne heure de la Chancellerie, pour prendre l'administration du
domaine du patrimoine de saint Pierre, qu’elle a toujours gardée :
elle fut peut-être établie dans les temps où il se trouva groupé sans
discontinuité autour de Rome. La fiscalité pontificale, qui ne cessait
d'amplifier ses attributions, entra dans ses bureaux au xiv® siècle, et
son organisation devint surtout financière, d’ailleurs non moins
étendue que celle de la chancellerie, avec tout un personnel d’auxi-
liaires, assistanti di camera, computistes (comptables, teneurs de
livres, caissiers), sous la surveillance d’un commis principal, l'audi-
teur de la Chambre, qui devint un des principaux offiviers de la
eurie, Le chef de ce personnel, le cardinal camerlingue, acquit rapi-
dement et par la force des choses la situation d'un ministre des
finances, des travaux publics, des beaux arts, ete., et fut, avec le
cardinal chancelier, le principal conseiller du pape, à une époque où
les intérêts politiques primaient tout, réagissaient sur les affaires
spirituelles et le gouvernement de l'Église.
Ce qui montre encore mieux l'importance qu'avait prise la Chambre,
c'est qu'elle avait à peu près partout des agents, les collecteurs apos-
loliques. chargés de percevoir les redevances que la papauté avait
imposées aux bénéfices et pour l’obtention des autres faveurs qu’elle
arcordait, sans parler des taxes judiciaires. Ces agents absorbèrent
peu à peu les opérations financières de la curie à travers la chrétienté,
y compris les décimes et indulgences, comme celle de la croisade,
qui reprit de l’importance après la chute de Constantinople. Leur
rôle se généralisa, devint politique et diplomatique, s’étendit à toutes
les affaires que la papauté avait à discuter avec les princes chrétiens.
Les collectoreries préparèrent ainsi les voies aux nonciatures à
demeure (2).
Un quatrième ministère apparait encore au temps des papes
(1) Zbid,, t. LXUI, p. 223.
(2) P. RicHARD, Origines des nonciatures permanentes avant Léon X, dans
Revue d'histoire ecclésiastique, t. VII, 1906. La représentation pontificale au
XVe siècle,
430 P. RICHARD.
d'Avignon, à côté et presque sur le même pied que la chancellerie,
pour croitre toujours d'importance, je veux dire la Sacrée Péni-
tencerie apostolique. D’après son récent historien, le professeur
E. Gôüller (14), sa juridiction englobait les faveurs et grâces d'ordre
spirituel se rattachant au sacrement de pénitence, absolutions, indul-
gences, dispenses, mème de mariage, mais au for extérieur seule-
ment. Sous la direction du cardinal grand pénitencier fonctionnait
une autre hiérarchie d'officiers curiaux, parini lesquels figuraient
les pénitenciers et les expéditeurs de dispenses d’irrégularités, em-
pêchements, etc., moyennant componende ; en somme de tout acte
administratif qui ne passait pas par la chancellerie à cause de son
caractère intime, qui réclamait réserve et discrétion et interdisait la
publicité. Eugène IV réorganisa les bureaux et fit de la Pénitenceric
l'instrument des réfor:nes que la curie s’efforça dés lors d'introduire
dans l’Église universelle. Elle garda néanmoins l'expédition de
nombreuses affaires, même pour les aliénations de domaines ecclé-
siastiques. Moroni (2) les énumère suffisamment. Enfin Pie V trans-
forma complètement la Pénitencerie et la relégua au for interne.
TL
LA MONARCHIE PONTIFICALE ET LE NÉPOTISME
Ces quatre administrations, Chancellerie, Chambre apostolique,
Pénitencerie, Daterie s’installèrent à Rome en 1420, lorsque Martin V
y ramena définitivement la cour pontificale ; elles ne pouvaient que
s'y perfectionner par le fonctionnement dans la période de stabilité
que le xv* siécle fut pour la monarchie pontificale. Et n’était-ce pas
une garantie de plus de durée pour elle, ce fait que leurs emplois
élaient devenus des offices inamovibles. qui s’achetaient et se possé-
daient en toute propriété, se transmettaient par vente ou héritage,
pourvu que fussent observées les formalités de chancellerie ? L’expé-
dition des affaires ne pouvait que gagner au savoir et à l'expérience
que les officiers acquéraient par leur formation, puis par une longue
pratique. Et ainsi naissaient des traditions nouvelles, qui complé-
taient et précisaient celles de la discipline plus ancienne. D'ailleurs
si l’hérédité ne s’élablit pas entièrement dans ces offices (cette même
discipline s’v opposait, encore plus que la volonté du maître), comme
pour la noblesse de robe en France, ces officiers créèrent avec le
(1) Die päpstliche Pônitentiarie von ihren Ursprung bis zu ihrer Umgestal-
tung unter Pius V. Fribourg-en-Brisgau, 1907-1911.
(2) Dizionario di eruditione storiço-ecclesiastiça, t, LII, p. 77, col. a.
LA MONARCHIE PONTIF, JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 431
temps, dans le cours du xv° et xvie siècles, une classe sociale,
ecclésiastique et internationale, celles des curiaux, dont beaucoup,
étant mariés, fondèrent des familles : de préférence toutefois ils
s'appelaient entre parents, oncles, neveux et cousins, de toutes les
parties de la chrétienté pour s'installer à Rome, où ils se poussaient
mutuellement sans perdre contact avec le pays natal : ils y avaient
leurs bénéfices et y faisaient des affaires. Ils transformérent ainsi
lentement la population romaine : Français, Espagnols et Portugais,
Allemands, Scandinaves, Flamands, Savoyards en vinrent à sub-
merger la race primitive dans leur masse. Cela dura ainsi jusqu’à la
Révolution française ; les Italiens accaparèrent ensuite les places
que désertaient les gens d’outre-monts. Maïs, à l’époque qui nous
occupe, la cour papale était vraiment ce qu’elle doit être, un composé
de tous les peuples, de toutes les races chrétiennes, et Rome la cité
universelle où les fidèles se trouvent chez eux, de quelque pays
qu'ils viennent.
Toutefois en tendant à former une caste semi-aristocratique, les
curiaux aggravaient la crise que le Grand schisme d'Occident apporta
a la monarchie pontificale en voie de formation. Ils contribuèrent
largement, en donnant la première importance aux affaires tem-
porelles, à renforcer le caractère séculier et mondain de la curie.
Sous la conduite des cardinaux leurs chefs, qui aspiraïent à l'indé-
pendance dans l'exercice de leurs fonctions, ils soutinrent l’oppo-
sition que le Sacré Collège faisait parfois au pontife. Intéressés à
diminuer l'autorité papale, ceux-là comme celui-ci prétéèrent plus
ou moins, selon les circonstances, leur concours à la réaction com-
plexe, qui, de toutes les parties, de tous les éléments de la chré-
tienté, relig'eux, sociaux et politiques, se dressa contre cette autorité,
au signal du mème Grand schisme ; cette réaction, tour à tour
monarchique, aristocratique, parlementaire et presbytérienne, com-
promit l'unité de l’Église, sa hiérarchie et sa discipline avec
le prestige de la monarchie romaine.
Les sonserains sécnliers qui s’en firent les instigateurs ne man-
quérent pas d'en tirer les plus grands profits. Dès que le conflit du
suhisme, qu'ils s'étaient efforcés d’apaiser autant que personne, fut
terminé, ils cherchèrent à fixer des limites à cette monarchie, en
réglant par des concordats précis les taxes qu’elle percevait sur
leurs sujets, et la juridiction contentieuse qu’elle exerçait en appel
ou dans les procès de première instance. Et sous leurs auspices,
bien mieux par leur impulsion, les Églises de leurs états tentèrent
de sorgauiser en Églises nationales, en sociétés autonomes qui
pouvaient avec le temps substituer à l'Épouse une et indivisible du
432 P. RICHARD.
Christ une sorte de confédération dont son vicaire n'aurait été que
le président d'honneur, un personnage purement représentatif.
Le signal de la réaction était venu du concile de Constance, celui
précisément qui mit fin an schisme : après avoir déposé trois papes
et coopéré à l'élection d'un quatrième, il ne se borna pas à proclamer
sa supériorité sur le chef de l’Église au cas où les pouvoirs de ce
dernier seraient contestés ; il se gronpa en nations, francaise, alle-
mande, anglaise, italienne. espagnole, et inaugura dans l’Église
enseigninte un mode de délibération et de règlement qui imposait
aux évêques, seuls juges des questions de foi et de discipline, le
contrepoids du clergé secondaire, chanoines, gros bénéficiers et
docteurs d’universités. C'était substituer à l’épiscopat les volontés
du nombre et de la majorité, ouvrir les voies à une sorte de suf-
frage universel qu'on appellera le presbytérianismèe.
Le concile fut en effet dominé par une oligarchie cléricale, qui
prétendait réglementer l'Église, réformer les décisions qui partaient
de la chaire de saint Pierre et limiter les pouvoirs de celui qui y
présidait, en établissant à la tête de la chrétienté un régime par-
lementaire. Ainsi l’assemblée déclara ne pas se dissoudre, mais
s'’ajourner à cinq ans, et sous prétexte d'assurer la réforme des
abus qui avaient provoqué le schisme, instituer des conciles géné-
raux périodiques, à qui reviendrait par la suite des faits un con-
trôle permanent des actes pontificaux, la surveillance de la curie,
finalement le partage des pouvoirs, en commençant par le légis-
latif. L'élu du concile Martin V s’efforça d’esquiver la manœuvre,
qui n’échoua que grâce aux maladresses et aux excès du conciliabule
schismatique de Bâle.
Le conflit de plus de dix ans que celui-ci engagea avec Eugène IV,
et qui alla jusqu’à créer un antipape, rouvrait pour la monarchie
pontificale une période de grandes difficultés qui devaient embar-
rasser son progrès et la contraindre à rester sur la défensive,
jusqu'à ce que la révolte de Luther vint encore compliquer sa
situation, Les princes, en faisant renouveler leurs concordats, mul-
tiplient leurs exigences, et Charles VIT dresse sa Pragmatique
Sanction, simple machine de guerre des Valois, dont useront, à
leur exemple, tous les systèmes politico-religieux, qui s’efforceront
d'exploiter cette monarchie, de l'affaiblir ou de l’asservir à leur
profit.
C'est que les abus qui ont servi de prétexte à cette levée de
boucliers s’aggravent sans que l’autorité suprême y remédie sérieu-
sement, et dans l'Église on réc'ame toujours plus vivement la
réforme tn capile et in membris. Absorbée par le souci de défendre
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 433
ses droits et ses prérogatives, la cour romaine multiplie les
sentences canoniques, les excommunications pour de futiles objets
parfois ; et ses adversaires y répondent par l'appel du pape au
concile général, autre arme émoussée dont l’usage se répandit
pendant le xv° siècle, chez tous ceux, princes vu simples particuliers,
qui prétendaient avoir à se plaindre de Rome. Luther érigea la
pratique en système dans le camp des révoltés contre l'Eglise.
Malgré la condamnation solennelle que Pie Il en porta à l’assemblée
de Mantoue (1462), la manœuvre dura des siècles, et l'Université
de Paris s’en servit pour soutenir publiquement et faire soutenir
dans les facultés de théologie gallicanes la doctrine de la supériorité
du concile sur le pape, doctrine à laquelle les débats du grand
schisme avaient donné une certaine activité dans la vie publique et
religieuse du siècle. Elle s’opposa à la doctrine ultramontaine, pour
la politique comme pour la théologie, ct l'autorité pontificale se
vit mise en question, mème dans certains cercles de l'Église
enseignante ; l’absurde combinaison qui opposuit les deux autorités,
dont l’une n'existait pas sans l’autre, ne tendait qu’à les ruiner
toutes les deux, à introduire l’anarchie dans la chrétienté.
Un danger plus pressant, parce que tout à fait intérieur, s’ajouta,
dans le cours du siècle, à ceux qui accablaient la papauté : il Jui
venait de son principal auxiliaire, de son conscil lui-même, le Sacré
Collège. Après avoir provoqué le grand schisme par ses divisions, il
avait travaillé à y porter remède ct n'avait réussi qu’à le multiplier
en créaut un troisième pape. Reconstitué par Martin V, il se vit
menacé dans ses privilèges par la réaction conciliaire, qui prétendait
asservir le pape, tout d’abord en réservant son élection à l’Église
enseignante. Il s’abandonna ensuite, comme toute la curie romaine,
aux préoccupations et aux entraînements des affaires temporelles,
voulut jouer un rôle politique et gouverner l'Église à côté de son
chef, modilier même sa constitution. À chaque vacance, il arrête des
statuls en vue de limiter les droits de l’elu, sous forme de pacte que
les candidats jurent d'observer s'ils parviennent au pouvoir (1). lis
ont pour but d'assurer à la haute assemblée une part prépondérante
dans le gouvernement. Le pape ne prendra aucune décision sans
consulter son conseil, il réduira le nombre de ses membres à
vingt-quatre, ce qui fortifiait l'autorité, le prestige et la richesse de
chacun. Les cardinaux aspiraient ainsi, ce semble, à se transformer
en une assemblée délibérative, de simple corps consultatif qu'iis
avaient été jusque là. Paul 11, Sixte 1V, Innocent VIII furent l'objet
(1x) PasTor, Histoire des papes, édition française, t. II à V, passim,
434 P. RICHARD.
de tentatives de ce genre, mais ils les annulèrent aussitôt qu'ils
eurent consolidé leur pouvoir, comme contraires au droit divin,
attentatoires à la dignité et aux pouvoirs du vicaire de Jésus-Christ.
Les souverains, l'Église enseignante, le Sacré Collège, les nations,
lout se coalisait contre la monarchie pontificale et celle-ci était moins
préoccupée de prendre l'initiative de la réforme que de concentrer
ses forces, de s'organiser, pour tenir tête à tous ses ennemis. La
fiscalité papale se développait, étendait sa juridiction, multipliait
ses taxes parce que les pontifes multipliaient leurs dépenses.
Devenus princes séculiers de la Renaissance, ils s'érigeaient en
Mécènes, ouvraient aux humanistes un champ de travail dans la
Bibliothèque Vaticane, dont ceux-ci se faisaient de leur côté les
pourvoyeurs et les intendants ; appelaient les artistes à fouiller les
ruiues de Rome, où ils recueillaient des matériaux avec les modèles
et les leçons pour les constructions nouvelles, d'utilité ou d'agré-
ment, églises, palais, châteaux forts, etc., que les pontifes, les
cardinaux et les personnages notables leur commandaient à l’envi.
Le grand progrès de la monarchie pendant le xv° siècle fut en
réalité l’organisation du pouvoir temporel, qui devait encore com-
pliquer les dépenses, et par suite les abus. Ce n’est pas que l'admi-
nistration spirituelle n’ait aussi progressé : les pouvoirs de la
Pénitencerie, perfectionnée par Eugène IV, furent amplifiés : on la
chargeait de réaliser la réforme réclamée par tous, mais qui resta à
peu près lettre morte. La camera secreta des papes d'Avignon et le
collège des secrétaires apostoliques virent accroitre leurs attributions
de la correspondance avec les princes, qui prenait une place notable
dans Îcs préoccupations des pontifes, Alexandre VI en détacha (1500)
un service nouveau, la Secrétaireric des brefs, avec un cardinal à sa
tête, dont les actes, moins solennels que les bulles, s’adressaient à
des princes ou particuliers, personnes ou collectivités, sur des
sujets de tout genre et de loute importance : affaires politiques,
grâces et faveurs privées, recommandations ou requêtes aux person-
nages dont le pape recherchait le concours et l'appui (1).
Des soucis nouveaux absorbaient lattention des pontifes en ces
temps où la politique temporelle s’abaissait partout : eux-mêmes se
partageaient entre le ciel et la terre, devenaient, en mème temps que
princes séculiers, princes italiens, La demi-suzeraineté que leurs
prédécesseurs avaient acquise sur une partie de l'Italie s'était pré-
cisée en une Souveraineté complète, nous l'avons vu, avant mème
que les donations de Pépin et de Charlemagne en eussent confirmé
(1) Moroxi, #bid., t. VI, p. 118-121.
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 435
l'existence. Le Patrimoine de saint Pierre s’étendit dès lors au
centre de la péninsule, d’une mer à l’autre, des bouches du Pô au
Garigliano. La féodalité en avait morcelé les territoires, à la faveur
des longues luttes entre le Sacerdoce et l’Empire, puis de l'exil
d'Avignon, et il s’y répétait, avec des violences et des troubles
analogues, ce qui se passait dans le reste de l'Italie et en Allemagne.
La turbulente noblesse du pays, les Colonna, les Orsini, les Savelli,
après d’autres familles qui avaient disparu, luttaient continuelle-
ment entre elles, vraies lignées de hobereaux pillards embusqués
derrière leurs forteresses, sur les crétes de l’Apennin; comme avec
les vassaux ecclésiastiques non moins agités, tels que l’abbé de Farfa,
et avec les cités qui se gouvernaient elles-mèmes, Viterbe, Orvieto,
Frosinone, Velletri, etc. Sur ses sept collines, Rome, enfiévrée par .
ses grands souvenirs qui renaissaient, ne se montrait pas moins tur-
bulente, sous l'impulsion de son sénateur, élu par la bourgeoisie.
bepuis des siècles, aucuae région n’était plus difficile à gouverner ;
les papes du xiu° siècle y avaient renoncé, ceux du xv° se mirent
résolument à l'œuvre, décidés qu'ils étaient à ne plus s'éloigner du
pays.
Ils éprouvaient aussi des embarras sérieux de la part de leurs
voisins. Les grands vassaux du patrimoine, les rois de Naples, les
dues de Ferrare, de Parme et de Plaisance n’acceptaient qu'à contre-
cœur les charges, assez légères cependant, de la suzeraineté romaine.
Les premiers, de la famille d'Aragon, n'oubliaient pas que, depuis le
xiu* siècle, les faveurs pontificales allaient de préférence à leurs
rivaux les princes angevins, et les papes du xv°, bien que plus
attachés à leur cause, n’eurent pas, à maintes reprises, de plus
grands adversaires. Les seconds tenaient les bouches du Po, et
recouraient, pour étayer leurs désobéissances, à l'appui de l'ambi-
tieuse Venise, toujours préoccupée de s’agrandir aux dépens de ses
voisins. La situation de Parme et Plaisance n’était pas moins
redoutable : à cheval sur les deux rives du Pô, s'étendant jusqu'à
l'Apeannin, ces territvires faisaient partie de la Lombardie plutôt que
de l'Eglise, et provoquèrent de perpétuels conflits avec les maitres
qui se succédèrent à Milan, Visconti, Sforza, Valois, Habsbourgs.
Son organisation toute féodale compliquait l'administration du
domaine temporel, par la complexité des situations qui en résultait
et des combinaisons qu’elle imposait. Elle relevait à la fois de la
Chancellerie, de la Chambre apostolique et du Sacré Collège. La
première servait d’intermédiaire pour transmettre aux gouverneurs
les ordres du souverain. Ces derniers, les vice-légats et autres délé-
gués apostoliques dépendaient encore des cardinaux-légats, qui, sans
436 P. RICHARD.
les choisir, les dirigeaient de Rome, soucieux de rendre un compte
avantageux de la gestion dont ils étaient responsables. Le pape
nommait les uns et les autres, et les légats retenaient leurs fouc-
tions longtemps, jusqu'à leur mort, à moins d’une résignation ou
cession quelconque, même par vente. [l était rare qu'ils s’établissent
dans le pays, n’y faisaient que de courtes apparitions, de loin en
loin, et voyaient dans leur charge une source de revenus, qui inté-
ressail le Sacré Collège comme les autres grandes dignités de la
curie. Un cardinal romain, qui n'était pas assez en vue pour briguer
un des quatre ou cinq ministères, préférait les revenus de ces
légations à ceux plus aléatoires des bénéfices dispersés à travers la
chrétienté dont ses collègues étaient pourvus.
A la Chambre apostolique était dévolue la perception des impôts,
autre source de complications. Les papes en établirent successive-
ment plusieurs, sur les marchandises, les grains, les vins, la
boucherie, etc., en outre de la gabelle (monopole du sel), des mines
d’alun de Tolfa. Les Romains supportaient avec impatience toute
charge nouvelle, parce que, selon l’usage du temps, la Chambre en
confiait la perception, sous forme de fermage, à des particuliers ou
à des sociétés financières, et ces entreprises, malgré la surveillance
à laquelle elle les soumettait, aggravaient les charges de surtaxes et
procédés que ne justifiaient pas toujours les nécessités de la per-
ception.
Toutes les branches de l’administration pontificale furent englo-
bées dans la grande institution qui s'établit aussi au xv° siècle, et
sur laquelle la papauté échafauda le système de gouveruement qui
dans la suite s’éteudit à toute l’Église : je veux dire le népotisme. Il
ne faut pas voir dans les faveurs prodiguées aux parents du pape
simplement un abus de plus, qui est venu renforcer la prétendue
décadence de l’Église romaine : elles faisaient partie d’un programme
que consacrérent avec le temps la tradition: et le consentement
déclaré du Sacré Collège, interprète de cette tradition, programme
qui contribua (il est difficile de le contester) à faire progresser la
monarchie pontificale. La coutume du népotisme existait déja
à la cour à Avignon, où les neveux firent des fortunes brillantes, les
laïcs comme les clercs. Pendant que les premiers montaient dans la
hiérarchie nobiliaire, au sommet cela va sans dire, les seconds rece-
vaient les premiers emplois du Sacré Collège et de la curie, et l’un
d'eux, Pierre Roger, neveu de Clément VI, devint même le Pape
Grégoire XI (1570-1378),
À Rome cette coutume se transforma en une création durable et le
népotisme fut une des assises, le fondement pour ainsi dire de la
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC, DE TRENTE. 437
papauté devenue puissance séculière, Elle ne reniait aucune des
prérogatives qu'elle avait exercées au moyen âge dans la vie tempo-
relle et spirituelle de la chrétienté ; cependant ces prérogatives
étaient contestées partout, leur exercice contrecarré de toute ma-
nière. On constate même qu’à chaque changement de pontificat,
le nouvel élu se trouvait à peu près isolé, en face d’une coalition
tacite, parfois plus ou moins formelle, d'intérêts et d’adversaires,
dans laquelle le Sacré Collège lui-même tenait une place. ll est donc
tout naturel que le premier souci du nouveau pape füt de se créer
des appuis, des alliés sûrs et solides, dans sa parenté, son entourage
du passé, en concentrant sur eux les ressources dont il pouvait dis-
poser immédiatement ; au Sacré Collège, par exemple, où il ne
manquait pas de créer de nouveaux cardinaux, comme dans la curie
et les Etats pontificaux.
Les neveux laïes étaient principalement des chefs militaires com-
mandant la garde du pape et de la curie : en temps de danger ou de
conflit, ils recevaient de leur oncle une condotta (d’où le nom de
condotliert), licence d'enrôler aux frais du trésor pontilical et de
dresser des compagnies de soldats mercenaires pour la défense du
Patrimoine. Troupes de police et de défense avant tout, elles
servaient à surveiller les vassaux, à les maintenir dans l’obéissance,
C'est ainsi que procèda César Borgia, le type du genre, contre les
familles févdales et seigneurs qui se taillaient des souverainetés
dans les Romagnes. Il est vrai qu'il s’y installa en inaître et que
Jules 11 eut de la peine à lui faire lacher prise. La tentation était
trop forte pour ces parvenus de se créer une principauté plus ou
moins indépendante dans une portion du domaine qu'ils avaient à
garder.
Les papes favorisaient plus ou moins ces ambitions, et c'est la
l'aspect diffieile à justifier de leur politique. 11 semble qu’elle ait
teodu à s'appuyer sur une organisation militaire et territoriale plus
soumise, plus sûre que les vassaux du Patrimoine et qui aurait
protégé celui-ci contre les attaques des voisins. Depuis Sixte IV,
chaque neveu n’eut d’ailleurs guère d'autre aspiration que de prendre
place parmi les maitres de l'Italie; ce pape inféoda le duché d'Urbin
aux della Rovere ses parents, et Léon X les en dépouilla pour en
investir son cousin Giuliano, auquel succéda Lorenzo, un autre
cousin : de la vinrent les malheurs de Clément VII, dont le ponti-
ficat ne fut qu'une série de calamités, Paul I réussit mieux avec
Parme et Plaisance, où il installa la dynastie des Farnèse : on ne
voit pas cependant que ses successeurs en aient tiré grand profit
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 28
.
433 P. RICHARD.
pour la tranquillité de leurs États. La tactique des neveux n’en fu]
pas découragée, et encore au xvir siècle, Urbain VIII fut sollicité
à plusieurs reprises d’implanter les Barberini dans la principauté
de Castro. |
Le titre de gonfaloniers de l'Église romaine que les neveux
reçurent d'ordinaire, avec l’étendard du pape qu’ils déployaient en
tête des cortèges solennels, n’avait pas seulement une portée mili-
taire : il assurait au principal d’entre eux une part du gouverne-
ment. Défenseur des droits et de l'honneur de la papauté, il la
conseillait dans ses délibérations en même temps qu’il la représen-
tait. Il figurait donc aux grands conseils, où l’on réglait les affaires
de politique générale, les relations avec la chrétienté, aussi bien que
les difficultés soulevées par l’administration du patrimoine.
Dans ces conseils toutefois, le rôle principal était réservé aux
cardinaux neveux, les laïcs restant d'épée, parce que nobles ou sur
le cheinin de la noblesse. Les premiers accaparèrent peu à peu toute
l'influence ; ils se rendirent nécessaires, les papes ayant besoin,
pour éclairer comme pour réaliser leurs décisions, d’auxiliaires qui
leur fussent bien connus, intimement liés et dévoués. La fortune
brillante, à laquelle ils les élevaient, leur était d’ailleurs une
garantie de leur fidélité et de leur application. Un de ces cardinaux
devint un vrai dignitaire, un des rouages indispensables de la
monarchie pontificale, et l'institution entra si bien dans les traditions
de l'Église rumaine, que le Sacré Collège insistait auprès du pape
jusqu'à lui forcer la main, lorsqu'il tardait ou hésitait par scrupule,
comme saint Pie V, à revêtir de la pourpre un de ses parents.
Ce qu’on a nominé la politique de famille des papes commença à
proprement parler avec Sixte IV (1471-1484), mais les cardinaux
neveux avaient déja pris position, au moins sous Calixte II (1455-
4458), avec le fameux Rodrigue Borgia. Leurs attributions ne
furent d’abord pas précisées nettement, mais ils recevaient une des
grandes charges de la curie, c’est-à-dire la direction d'un des quatre
bureaux qui se partageaient les affaires et ils loccupaient leur vie
durant, la fonction devenant leur propriété. Le neveu de Calixte I,
Rodrigue Borgia garda vingt-cinq ans le poste de c:merlingue,
jusqu’à ce qu'il fut élu pape sous le nom d'Alexandre VI ; celui de
Sixte IV, Giuliano della Rovere n'eut pas moins longtemps celle de
grand pénitentier, puis s’appela Jules IL, Au xvir° siècle nous voyons
lui de Paul ff, Alessandro Farnèse, pourvu lui aussi de la chan-
cellerie, l'exercer jusqu'a sa mort, en 1589, pendant cinquante-
quatre ans et sous huit pontificats.
Ce fut enccre la chancellerie que Léon X confia à son cousin
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 439
Giuliv de Medici, le futur Clément VII. Sous des papes diplomates
comme l’étaient ces Florentins, le cardinal neveu reçut la gestion
des affaires de la chrétienté, des rapports avec les princes, au
simple titre de secrétaire d’État ; il n’était qu’un instrument entre
les mains du maître. Paul 11f, transformant la mesure en habitude,
fonda la tradition. Au temps où nous sommes arrivés, le role du
cardinal neveu se bornait à soutenir la politique de famille au con-
sistoire et au Sacré Collège. L’attitude que celui-ci avait adoptée, de
vouloir limiter les pouvoirs du vicaire de Jésus-Christ, contrôler leur
exercice, dictait celle du chef de l’Église. Elle consistait à choisir
les membres de son conseil suprême parmi ses créatures et ses
auxiliaires, c’est-a-dire les serviteurs le plus en évidence, les
grands officiers de la curie que leur mérite élevait au sommet de la
hiérarchie. Les neveux exerçaient une action prépondérante sur
ces choix, et pour peu que le pontificat se prolongeût, le cardinal
se trouvait à la tête d’un fort parti, composé des intimes de la
famille, des porporali dévoués à sa politique. Ce parti, avec le
temps, devenait facilement la majorité, et le neveu s'en servait
pour désigner le successeur de son oncle. Ce successeur se trouvait
par suite plus ou moins mis en tutelle, et s’appliquait à s’en affran-
chir en adoptant une nouvelle politique, dont ses neveux cet sa
parenté se faisaient les instruments, et dont l’un des principaux
points élait de renouveler le Sacré Collège pour s’y faire des parti-
sans. Une famille succédait à une famille, et c’est cette alternance
de programmes qui a fondé la tradition romaine, d’après laquelle un
pontificat ne continue pas la politique du précédent, mais inaugure
un système différent qui, s’adaptant à d’autres circonstances, marque
un progrès de plus dans une série séculaire. C’est ainsi que la vie
de l’Église du Christ est faite à la fois de progrès et de traditions.
Le népotisme a donc contribué au développement de la monarchie
pontificale. Surtout il a établi la Secrétairerie d’État, qui s'organisa
au xvi° siècle avec les cardinaux neveux et devint plus tard de
rouage essentiel de l’administration pontilicale, au temporel comme
au spirituel, ainsi que du gouvernement de l'Église universelle. Le
népotisme n'a disparu d’ailleurs complètement qu'au xvunt siècle,
après Clément XI, lorsque ce rouage était achevé avec la monarchie
elle-même.
Dans cette histoire commune, où népotisme et pouvoir temporel
ont subi les mêmes vicissitudes pendant près de quatre cents ans,
le premier n’est pas seulement responsable du caractère mondain,
des fautes et des abus qu’on reproche au second, parce qu'ils écla-
tèrent à l’époque où fleurissait la politique de famille ; on doit aussi
4 10 P. RICHARD.
tenir compte à celle-ci de l’action bienfaisante que la papauté
exerça au point de vue temporel sur l'Italie et la chrétienté. Cette
action ne consista pas seulement à maintenir dans la première un
certain équilibre entre les potentats qui se la partageaient, ce qui
n’était pas toujours facile, quand ces potentats s'appelaient Fer-
rante d'Aragon, Ludovic le More, les Médicis, toujours prêts à
provoquer l'intervention de l'étranger. L'Italie avait à ses portes un
ennemi beaucoup plus redoutable et pressant, qui ne lui ménageait
pas ses attaques, parce qu'elle était le cœur de la chrétienté. Après
s'être emparé de Constantinople, le Turc avait réussi non sans peine
* à dombpter les Albanais, privés en 1467 de leur héros national par
la mort de Scanderbeg ; il fit alors la conquête de la Bosnie et ne
fut plus séparé de l'Adriatique et des États pontificaux que par la
mince bande de territuire de la côte dalmate, où dominait la ver-
satile Venise. La conquête de la Grèce et de la Morée avait été
achevée aussi, et la redoutable puissance militaire qui se faisait
l'instrument du prosélytisme et de la haine de l'Islam, pesait main-
tenant sur l'Italie de toute la longueur de la péninsule des Balkans,
du Danube aux extrémités du Péloponèse. Et son chef s'appelait
Mahomet Il, prince entreprenant s’il en fut, à l’Orientale, qui avait
concentré cette même haine dans sa personne. Son audace se révéla
par l'expédition d’Otrante en 1480, dans laquelle les janissaires
prirent pied en ltalie méridionale, annonçant ainsi que l'invasion
turque allait se dérouler sur ces parages.
L'expédition ne fut qu'un incident de quelques mois, et la mort
de Mahomet l'année suivante atténua le danger, maïs bientôt la
politique du Crois-ant se précisa. Le Grand Seigneur conquit la
Syrie et l'Égypte au début du xvi° siècle, mit la Mecque sous sa
suzcrainelé et, en s’arrogeant les fonctions de calife, lieutenant du
prophète, chef religieux de Flslam, il se posait en face de la chré-
tienté comme l’égal, l'adversaire et le destructeur de lautorité
papale. 11 lançait ses pirates sur toutes les côtes de la Méditerranée et
ils installaient leurs nids de pillards le long des États barbaresques,
jusqu'à Alger et Mostaganem ; dés lors le Croissant encerclait de ses
deux pointes lltalie et l'Europe chrétienne, de Buda sur le Danube
aux côtes d'Afrique, en face de Carthagene. Et mème sur l’Atlan-
tique les pirates de Salé et autres ports marocains donnaient la
réplique à leurs compères de la Méditerranée, La conquête turque,
c'était le retour de l'Europe à la barba ie asiatique, au régime de
la soldatesque de Babylone et de lAssyrie. Et quels défenseurs
l'Europe avait-elle contre ce danger? Ce n'étaient pas les marchands
de Venise, uniquement préoccupés de sauver leurs comptoirs de
+
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 441
Morée et de l’Archipel, que le Grand Seigneur épargnait encore, et
leurs marchandises entassées à Péra, Smyrne, Alexandrie, etc. ; ce
n'était pas la maison d’Aragon menacée non moins directement
daas ses États de Naples; Philippe II lui-même se plongera dans
ses combinaisons égoïstes, au point de ne se soucier de Fitalie que
pour l’asservir. Les Habsbourgs, serrés de près dans Vienne leur
capitale, se laissaient absorber par les conflits perpétuels qui
faisaient de l'Allemagne un vrai chaos.
La monarchie pontificale, cette institution tant décriée, garda seule
avec une longue persévérance le souci des communs intérêts. Elle
soutint les races chrétiennes des Balkans dans leur lutte contre le
tyran ; elle soutint les Hunyade père et fils, qui portèrent en Hon-
grie de rudes coups à sa force militaire ; elle soutint les Habsbourgs
qui recueillirent la tâche avec la succession de ces héros. Elle ne
cessa d’exhorter de la manière la plus pressante les princes italiens
et les puissances chréliennes à régler leurs conflits à l'amiable, à
faire taire leurs rivalités pour dresser une digue commune contre
le flot envahisseur, et si elle y réussit peu, elle ne se découragea
jamais. Et ainsi s'expliquent deux faits importants de son histoire,
qui se sont renouvelés pendant plusieurs siècles et que les historiens
ont traités légèrement, parce qu'ils les ont peu compris et trop
méconnus : la nultiplicité des ambassades solennelles, légations de
cardinaux la plupart du temps, que les papes envoyaient presque
chaque année pour assurer ou rétablir la paix entre les princes ; les
croisades qu'ils faisaient précher non moins souvent et par les
mémes occasions ; démarches dans lesquelles on n’a vu qu’un
moyen de battre monnaie au détriment du clergé et des fidèles, une
sorte d'impôt extraordinaire qui alimentait Ja caisse des princes,
en même temps que la fiscalité pontificale.
Légations ct croisades se succédaient, s'accompagnant et se pré
parant les unes les autres, et il en fut ainsi pendant tout le
xv* siècle : on n’y attachait plus d'importance dans la chrétienté,
mais si les papes ne se décourageaient pas, malgré les perpétuels
insuccés, c'était avec la conscience de remplir le rôle de médiateurs
et de parificateurs, qui était un des devoirs de leur charge et qui
Icur avait réussi au moyen âge, encore après le magnifique élan
qui, à leur appel, avait jeté l'Europe sur l'Orient asservi par les
sectateurs de Mahomet.
La monarchie pontificale n'avait donc pas oublié ses devoirs, ni
renié l'héritage des temps antérieurs, mais les progrès qu'elle avait
poursuivis avaient quelque peu altéré son caractère et son rôle :
elle avait fait à l’esprit moderne de la Renaissance des concessions
442 P. RICHARD.
qui choquaient l'idéal religieux et moral dé la chrétienté. Elle se
trouvait ainsi aux prises avec une opposition multiple qu'avait ren-
forcée son attitude de réserve à l'égard des réformes que l'on
réclamait de toute part, et dont elle semblait ne pas se préoccuper.
Obligée de compter avec de nombreux adversaires, elle faisait mine
d’atténuer la manière forte qu’elle avait employée au moyen âge, de
remplacer les excommunications et les autres peines canoniques par
une diplomatie de ménagements, de lenteurs, de détours qui, loin
de désarmer l'opposition, aggravait les hostilités contre elle et la
faisait soupçonner de manquer de franchise. La politique de famille
et les papes aux préoccupations terrestres inaugurèrent ainsi Îles
procédés et les formules qui plus tard assurèrent le succès, la répu-
tation et établirent la règle suprême de la diplomatie pontificale ;
mais au xv° siècle celte manière de faire jetait le discrédit sur la
papauté, achevait d’affaiblir son prestige ; vint le moment où la
révolution protestante menaça de la submerger, et avec elle l'Église
catholique. |
IV
LA COALITION CONTRE ROME
Cette révolution avait ses racines dans la situation que nous
venons d'analyser, c’est-à-dire dans les abus et Iles fautes qui
l'avaient créée, Elle ne fera d’ailleurs que pousser à l’extrême la
tactique des adversaires de la papauté, avec leurs procédés de lutte :
révolte des Églises nationales, des synodes et conventicules, des
assemblées délibérantes. La coalition que nous avons mentionnée
se modifiera dans sa composition, elle se fera violente, odieuse,
souvent de mauvaise foi. La monarchie papale, en butte à des
assauts incessants, qui enlèveront plus de la moitié de l'Europe à
son autorité, restera presque stationnaire plus d’un demi-siècle,
avec la crainte de voir soiubrer l’organisation qu’elle ébaucha depuis
le moyen âge. Elle n'en travaillera pas moins, comme par le passé,
à consolider son autorité, avec l'unité de l’Église enseignante dans
une sorte de referendum que lui accordera le concile général ; elle y
réussira non sans difficultés, et du concile qu'elle dirigera habile-
ment elle sortira plus forte et mieux constituée.
L'adversaire le plus redoutable de la papauté sera désormais le
pouvoir civil, d'autant plus redoutable qu’elle s'est abaissée à le
combattre par ses propres armes. Il a d'ailleurs réussi à grouper
autour de lui les éléments d'opposition. Dans leur travail de centra-
lisation qui approche toujours plus de l’absolutisine, les souverains.
prétendent accaparer les affaires religieuses avec les temporelles. Ils
LA MONARCHIE PONTIF, JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 413
règlent à leur profit le conflit éternel des qué-tions mixtes, dominent
le clergé et l’Église de leurs États, s'appliquent à les organiser en
une Église nationale, dont ils seront plus ou moins les maîtres, en
réduisant la juridiction papale à n’être qu'une suprématie d'honneur,
fondée sur la prérogative de docteur enseignant.
Les événements du xv° siècle que nous avons relatés plus haut
avaient fait naître, puis encouragé et facilité cette politique : par
exemple la division conciliaire en nations et les concordats qui
limitaient la juridiction pontificale. Ceux de Vienne et des Princes,
signés en 4447, 1448 , par Eugène IV et Nicolas V, avec la maison
d'Autriche et les princes allemands, mettaient le concordat germa-
nique de 1418 sous la sauvegarde de l’empereur et des mêmes
princes : ainsi les élections aux dignités supérieures, évéchés,
abbayes, canonicats, que garantissent tous ces accords, se feront la
plupart du temps selon le bon plaisir des puissants (1).
Nous savons que la fameuse Pragmatique Sanction, que Charles VII
promulgua dans l'assemblée ecclésiastique de Bourges (1438), n’eut
jamais d’autre but dans la pensée des rois de France que d'obtenir
la nomination aux mêmes bénéfices, ce à quoi ils parvinrent par le
concordat de 1516 ; le pape céda pour éviter un plus grand mal, et
l'Église gallicane resta définitivement sous la dépendance de tous
les pouvoirs politiques de France.
Les souverains d'Angleterre, isolés dans leur île, n'étaient pas
moins entreprenants. Henri VIT Tudor, et surtout Henri VII, pour
tirer Îcur royauté de la condition précaire à laquelle l'avait réduite
la guerre des Deux-Roses, entreprirent de domestiquer le clergé
anglais, qui était mondain, riche et puissant. L'Église d'Angleterre
s'élait donné, à la suite de la conquëte normande, et grâce aux
domaines étendus qu'elle y avait acquis, une organisation que
saint Anselme et saint Thomas Becket fortifièrent en la fondant sur
la primauté de Cantorbéry (2). Les rois s’efforcérent de la dominer
au moyen de la Convocation, assemblée générale qui se réunissait
sous la présidence du primat pour régler les affaires religieuses du
royaume. Au temps du Grand schisme, les Lancastre lui firent jouer
un rôle actif dans les conflits entre les obédiences, et la nation
aiglaise s’affirma avec éclat au concile de Constance. Cette Église
nationale se dressa dès lors en face de Rome, afficha son indé-
(1) HereLEe-LECLERCQ, Histoire des conciles, t. VII, p. 1131-1137; le texte
du concordat germanique, p. 536-548. Dictionnaire de théologie, t. II, article
Conco“dat, surtout les col. 732-733.
(2) Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques. art. Angleterre,
3° partie, t. III, col. 179-194.
A 14 P. RICHARD.
pendance, parfois son opposition, Les Tudors accentuërent la
politique de leurs prédé esseurs, s’emparérent de l'élection du
primat et, avec leur créature Wolsey, se rendirent maîtres de la
Convocation. Ils se bornèrent d'abord à lui demander des subsides
dans leurs nécessités, à lui soumettre des questions de politique
temporelle. La tentation leur vint de s'en servir dans leurs débats
avec le pape, et c'est ainsi que Henri VIE, abusant du titre de
Défenseur de la foi que Léon X lui avait décerné, fit reconnaitre par
elle sa prérogative de chef suprème de l’Église d'Angleterre, en
4550, avant même de rompre complètement avec Rome (1).
En Espagne les rois qui, depuis huit siècles, étaient, grâce à la
croisade contre les Maures, chefs religieux presque autant que poli-
tiques, la distance qui séparait les deux ordres, le spirituel et le
temporel, était encore plus facile à franchir. En organisant l'Inqui-
sition, Ferdinand le Catholique en fit un tribunal non moins civil
qu'ecclésiastique ; il ne poursuivit plus simplement les Juifs et
Maranes, relaps, traitres à leur roi aussi bien qu’au Christ; les
souverains Jui soumirent tous les procès importants, plus ou moins
politiques, dans lesquels ils étaient intéressés : il suffisait qu'ils
eussent une teinte de religion. L'Église d’État, comme l'appelle l’his-
torien Pastor, devint ainsi un des rouages essentiels de la monarchie
espagnole, machine étrange dont Philippe I fit un usage qui a laissé
de tristes souvenirs encore plus que des effets fâcheux dans l’his-
toire. Il faut lire chez le mème bistorien, t. VIIT et IX de l'édition
allemande, le récit des tracasseries de tout genre dont les officiers
royaux poursuivaient les évêques des divers pays de Ja monarchie,
jusqu'à en faire des fonctionnaires, sans cesse surveillés et tenus
en lisière, Les luttes que saint Charles Borromée soutint contre les
gouverneurs de Milan dans ses labeurs de réforme ne sout qu’un
épisode, le plus significatif, d'une série d’attentats qui se répétaient
à Naples et ailleurs comme en Espagne. Les autorités séculières se
souciaient assez peu de la réforme des mœurs, pourvu qu’elles
fissent triompher les théories des légistes sur l'omnipoterce de
l'Etat; clles trouvaient une orcille complaisante chez les conseillers
du prince, encore plus iutéressés qu'eux à ce triomphe.
Les annales d'Espagne comme celles d'Angleterre donnent la
démonstration plus que suffisante de ce que les Églises nationales
devenaient entre les mains de leurs souverains. Le régime des con-
cordats garautissait jusqu’à un certain point leur indépendance,
quand elles savaient contrebalancer les deux pouvoirs l’un par
(1) Zbid , col. 198.
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU’AU CONC. DE TRENTE. 445
l’autre, et l'Église gallicane employa plus d’une fois cette tactique
avec succès. Une autre tentative pour limiter la toute puissance
papale échoua, parce qu’elle aboutissail à la création de patriarches
nationaux, qui n'auraient pas manqué de se soustraire à cette
autorité, comme l'avaient fait les patriarches orientaux, avec l'appui
des empereurs byzantins, puis des califes et autres potentats musul-
mans. Cette tentative prit pour point de départ l'institution des legati
nali, légats nés, que le trop grand éloignement de la cour romaine
rendait nécessaires aux extrémités de la chrétienté, où l’action de
Rome ne s'exerçail parfois qu'avec trop de lenteur. C'est ainsi que
les archevèques de St-Andrew.en Écosse, d’Upsal en Suède, de
Gnesen en Pologne, pour ne citer que les plus connus, exerçaient,
depuis le moven âge, par une délégation renouvelée à chaque chan-
gement de titulaire, les pouvoirs du vicaire de Jésus-Christ dans ces
royaumes. Les souverains de la fin du xv° siècle sollicitèrent des
légations analogues, auxquelles seraient attribuées les nominations
aux bénéfices et les procès ecclésiastiques. Mais quelques expé-
riences, faites au centre de la chrétienté, suffirent à mettre en
évidence le danger qui résultait pour l'unité de l’Église de cette
innovation. Le cardinal Wolsey, pendant dix-buit ans que dura sa
légation, habitua si bien les Anglais à vivre en dehors du pape que,
trois ou quatre ans après sa mort, il leur parut naturel de passer sous
la suprématie religieuse du roi. Georges d’Amboise, légat en France
pendant huit années (1502 1510). usa et abusa de ses pouvoirs en
faveur de son souverain, et rendit facile la conclusion du concordat
de 4516. François [®°, non content des avantages que lui procurait ce
concordat, fit rétablir la légation en faveur de son chancelier, le
cardinal Duprat, qui la géra jusqu'à sa mort (1330-1535). C'était
l’époque où l’Église gallicane avait à surveiller de près 'es erreurs
luthériennes qui se glissaient dans le royaume par plusieurs portes,
et le roi s’arrogeait le droit de résoudre les controverses théolo-
giques ; il convoquait mème de sa propre autorité les docteurs pro-
testants, Mélanchthion en tête, à une conférence avec les catholiques,
dans laquelle on déciderait d’un commun accord, pour jusqu’à la
pacification générale et au concile, des articles de foi et de ceux qui
seraient laissés à la liberté de chacun.
Ces abus et inenées arrétérent l'essor des légats nationaux : les
papes se refusèérent à en créer d'autres dans la suite, même en
faveur de candidats tout puissants à Rome et à Paris, qui se présen-
taïent avec des recommandations difficiles à écarter, comme le car-
dinal Charles de Lorraine. Ils durent se contenter de la légation
d'Avignon, qui n'apportait que les honneurs et les émoluments. Et
446 P. RICHARD.
encore la curie donnait-elle la préférence au prétendant le moins
dangereux, le cardinal Charles de Bourbon.
Les empiétements du pouvoir temporel n’épargnaient rien d’ail-
leurs. 11 a-caparait non seulement les affaires mixtes appartenant au
monde spirituel comme au temporel, mais tout ce qui, dans le
domaine religieux, touchait au sien. Les registres de paroisse, dans
lesquels le clergé conservait le témoignage authentique des grands
actes de la vie chrétienne, étaient confisqués par une ordonnance
de François 1°", qui les transmuait en état civil, Les notaires, qui
enregistraient dans les testaments les dernières volontés des fidèles,
n'étaient plus institués uniquement.par le pape, avec obligation de
prèter serment à leur Ordinaire : l’empereur et les autres souverains,
qui en créaient aussi depuis plusieurs siècles, les faisaient passer
peu à peu sous leur juridiction exclusive. Au reste toute question de
testaments, de fondations pieuses, d’actes administratifs concernant
le temporel ecclésiastique, soulevait de continuels conflits entre
les deux justices, royale et papale, et la première ne manquait
aucune occasion de réduire à néant l’action de l’autre : en particulier
elle s’appliquait à rendre impossibles les appels en cour de Rome,
puis à soutenir les hauts dignilaires récalcitrants, comme Îles
évêques, qui devaient, mais ne voulaient pas être jugés en cette
cour. Mème pour les questions purement de foi et de discipline, les
tribunaux romains étaient souvent paralysés par l'ingérence de
l'Inquisition espagnole ou du Parlement de Paris, lequel, en bon
défenseur des libertés gallicanes, se faisait parfois plus intolérant
que l'instrument des rois catholiques. Le procès d'hérésie de l’ar-
chevèque de Tolède, Bartolome Carranza, fut retenu plusieurs années
en Espagne, malgré les efforts du pape Pie V pour l’amener à Rome,
devant son tribunal légitime. En France il y avait mieux encore.
Sous Pie 1V, le Saint-Oflice introduisit le procès du cardinal de
Châtillon et de huit évêques, qui scandalisaient les catholiques par
les extravagances hérétiques qu'ils affichaient dans leur conduite.
Ni ce pape ni ses successeurs ne purent obtenir de Catherine de
Médicis, le plus beau fruit du népotisme romain, que le procès fût
instruit en France par des enquêteurs apostoliques et transmis à qui
de droit. La reine ne consentit même pas à leur interdire le port
des insignes ecclésiastiques, sous prétexte que leurs services étaient
indispensables à son autorité. Ils finirent par y renoncer d’eux-
mêmes, comme s'ils s’en dégoulaient.
H n’y a donc pas lieu de s'étonner, après ce que nous venons de
dire, que les princes allemands, habitués à tout se permettre, aient
réglementé les questions de foi, et qu’ils aient trouvé des théologiens
LA MO..ARCHIE PONTIF. JUSQU’AU CONC. DE TRENTE. 447
pour approuver l’usurpation jusqu’à ses dernières conséquences.
Les périls qui menaçaient la papauté au xvi° siècle venaient surtout
de ces Églises d’État, remplaçant les Eglises nationales d’un siècle
auparavant, et des souverains qui, lous plus ou moins, travaillaient
à les organiser comme des circonscriptions de leur domaine. Peu
leur importait de détruire l'unité de l’Église ; ils visaient à battre en
brèche l’édifice de la monarchie pontificale qui lui servait de fonde-
ment. La politique mondaine de Rome avait eu au moins cet avantage
d'instruire les papes sur la complexité du péril et les aida à le
conjurer ; ils s'étaient assez familiarisés avec la Renaissance, si
différente du moyen âge, pour en pénétrer les secrets, et ils con-
naissaient tous les embarras de la vie politique. Ils n'étaient donc
que mieux préparés à se défendre contre lant d’adversaires coalisés
pendant la période de transition que sera pour eux la première
moitié du xvi° siècle. Nous allons les y suivre dans le récit de leur
lutte, qui servira de préambule à l’histoire du concile de Trente.
V
LA PAPAUTÉ ET LE PARTI RÉFORMISTE
Cette politique séculière qu'on a reprochée à la monarchie romaine
n'était en réalité que la continuation de celle du moyen âge ; comme
alors les pontifes ne cessaicnt d’interposer leur médiation pour
maintenir la paix entre les princes chrétiens. Ils ne pouvaient perdre
de vue leur rôle de chefs de la chrétienté, responsables de son bien,
de ses intérêts moraux, et en premier lieu de sa tranquillité. Princes
italiens, ils remplissaient des devoirs et des charges de même nature,
mais ici le rôle se rapetissait parfois aux intrigues, aux compétitions
etaux rivalités locales, de familles ou d'individus. Chaque pape mérila
plus ou moins les critiques que l’on adressait aux princes de leur
temps, et le népotisme y ajouta ses excès à partir de Sixte IV, Avec
Léon X cependant la papauté s’améliora, et l’on reprocha surtout au
prince son amour du luxe, des fêtes, de la chasse, ses dépenses
pour les artistes et les lettres, ses constructions, etc. Mais aussi,
sous les deux papes Médicis, lui et Clément VII, la papauté s'embar-
ras sa plus que jamais dans la diplomatie des affaires temporelles.
Leur attitude n'était pas en contradiction avec une certaine dignité
de vie, et les pontifes romains de cette époque s'efforcèrent, comme
uujours, d'adapter leur rôle traditionnel aux nécessités de circon-
slance, jusqu'a ce que l’un d'eux prit nettement en main la cause de
la réforme... dont les temps approchaient.
Cette cause en effet avait des partisans dans le clergé et dans la
448 ‘ P. RICHARD.
masse des fidèles, parmi les hommes qui, plus Cclairés et plus con-
sciencieux, d’ailleurs dévoués à l’Église, se rendaient compte de la
nécessité d’une réforme tn capaile et in membris. [1 s'était ainsi
foriné à travers la chrétienté un parti avec lequel il fallait compter,
surtout depuis qu'il avait pénétré à Rome et jusque dans l’entourage
du pape. L'Oratoire du Divino amore qui comptait des curiaux parmi
ses membres (4) ne resta pas sans influence sur la conduite de
Léon X ; ce pape et son cousin le cardinal Giulio, qui participaient
aux œuvres de charité de la confrérie, en reçurent plus d’une fois
des inspirations sérieuses. Le cardinal, d venu Clément VII, s’aban-
donna davantage encore à cette influence.
Ce n'étaient donc plus seulement les adversaires et les ennemis de
la papauté qui réclamaient la réforme, comme au siècle précédent.
Aussi commencait-elle à se rendre compte qu’elle devait s’amcnder
elle-même, avant d’amender la chrétienté, si elle ne voulait pas qu’on
lui imposät la réforme à son préjudice, avec amoindrissement de son
autorité, de son prestige. L'appel au concile qu'on lui avait souvent
jeté à la face, et pour les motifs les plus futiles, soulevait maintenant
d'ailleurs des complications sérieuses. Sans doute, venant de Luther,
il ne semblait guère plus dangereux à première vue qu'il ne l’avait
été dans la bouche de Savonarole, et on ne s’en émut pas assez
autour de Léon X. Mais il se présenta bientôt des circonstances qui
forcèrent d'en tenir compte. Luther était poussé en avant par une
foule de gens qui ameutaient la nation allemande, et soutenu par
des princes qui ne cessaient de réclamer, quand ils se furent
déclarés protestants, un saint et libre concile, ce qui signifiait dans
leur bouche, indépendant du pape, au besoin contre lui. Leur
prétention était contraire à la discipline, puisqu'un concile n’est
pas légitime sans le pape : tous deux étant nécessaires pour repré-
senter l'Église enseignante ; or, le pape ne peut prendre part au
concile qu'à condition de le présider. Néanmoins quand la réclama-
lion était appuyée par l’empereur Charles-Quint, Léon X devait la
prendre en considération, d'autant plus que ce prince se faisait le
porte parole de la partie saine de la chrétienté, pour réclamer les
assises solennelles qui seules pouvaient régénérer l’Église.
Mais ces assises venaient de se tenir ; le cinquième concile de
Latran, que Jules I avait opposé au conciliabule de Pise, précisé-
ment parce que les souverains l’avaient exigé, et mème Louis XH
avait pris les devants en conv:quant ce dernier, Léon X continua
les délibérations et promulgua divers décrets de réforme sur la
(1) PASTOR, Histoire des papes, 6 lition française, t. X, chap. XI.
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 449
curie (1), qui s'étendaient aussi à l’Église en général ; tels que sur
les droits et devoirs des évêques, la publication des livres, la limi-
tation des privilèges des religieux dans l'exercice des fonctions
pastorales, etc. Le concile venait de prendre fin, et ces décrets
n'avaient pas encore pu être appliqués, lorsque Luther souleva le
conflit des indulgences. On objectait avec raison que, sans con-
voquer d’autres assemblées, il suffisait, pour satisfaire les plus
exigeants, de chercher dans les précédentes comme dans la dernière
(et on les y trouvait en nombre suffisant) les remèdes aux maux et
aux abus, comme à la corruption du clergé ; le tout était de les
appliquer avec persévérance. Les adversaires de la papauté, il est
vrai, ne se contentaient pas de ce programme pratique ; ils espé-
. raient (les plus modérés du moins, les souverains) réduire à son
minimuin l'intervention de la monarchie pontificale et diriger eux-
mèmes l’œuvre de réforme, pour accroitre leur pouvoir à ses
dépens. Un conflit diplomatique surgit donc entre elle et les
monarchies temporelles, et celles-ci, appuyées sur une coalition des
adversaires de la papauté, poursuivront la convocation d’un concile,
ce qui retardera en réalité la réforme par des pourparlers intermi-
nables.
A la mort de Léon X, la situation de Rome restait difficile par
ses complications ; ce pontife avait dû se liguer avec Charles-Quint
pour échapper aux exigences de François I‘ (1521). Ses successeurs
furent amenés à s'enfermer dans la neutralité, en tenant la balance
égale entre les deux potentats, et leur situation s'en trouva peu
a peu allégée. La tâche était ardue, et toutefois, ils ne surent
pas s’y tenir toujours ; Adrien VI, né sujet de Charles-Quint, se
laissa entrainer de son côté par les mêmes raisons que son prédé-
cesseur. Il donna cependant des armes contre lui à ce souverain
et surtout à ses alliés, les princes allemands, défenseurs de la
réforme de Luther, par ses aveux imprudents sur les abus, les
scandales des clercs. La diète de Nuremberg ne s’en montra que
plus exigeante dans ses revendications, allant jusqu’à demander une
place pour les laïcs au concile que le pape promettait de tenir, et
l'égalité entre eux et les ecclésiastiques dans les discussions. Il
n’étail pas encore question de votes (1525) (2).
La démarche d’Adrien VI se heurta aussi à la force d'inertie
romaine ; les curiaux invoquaient sans cesse les mêmes prétextes
pour ne pas se réformer ; les oflices dont ils élaient propriétaires
(1) Histoire des conciles, t. VIII, p. 432-441.
(2) Histoire des conciles, t. VIII, p. 860-861,
450 P, RICHARD.
perdraient de leur revenu, de leur valeur, si la réforme diminuait
les relations d’affaires de la chrétienté avec Rome. C'était pour cux
la misère, la ruine, la déconsidération, une crise dont le prestige
de la papauté sortirait compromis. Telle était la grande plainte qui
éclatait parmi eux à chaque tentative d'amélioration ; Léon X l'avait
entendue, et peut-être Clément VIF s’y montra encore plus sensible.
Il commit d’ailleurs la faute de s’abandonner à une diplomatie tor-
tueuse et compliquée, qui le jeta dans les bras de François (*. Le
sac de Rome fut la vengeance de Charles Quint, vengeance terrible
qui bouleversa la ville et la cour de fond en comble, provoqua la
ruine que les curiaux redoutaient et transforma leur mentalité. La
carie fut réveillée bratalement de sa torpeur, et les timides partisans
de la réforme s’enhardirent, 11 n’y eut personne qui ne comprit la
nécessité d'un changement radical ; le parti réformateur en fut
renforcé et put dès lors imposer sa manière de voir.
Par ailleurs la situation en Allemagne tournait aussi à la cata-
strophe : la révolation luthérienne, exploitant la vieille haine contre
Rome, envahissait et bouleversait tout. Ce n'était plus qu’un accapa-
rement de l'Église, du clergé, de la discipline et de la morale, un
asservissement des consciences par l’absolutisme princier. La féoda-
lité allemande, à commencer par le grand-maitre de l'ordre teuton-
nique, puis les souverains du Nord à l'exemple de Gustave Vasa,
s’emparèrent des biens d'Église et, sous prétexte de réforme, sou-
mirent le clergé à toutes leurs exigences, disposèrent des pouvoirs
d'ordre et de juridiction et, avec la connivence des théologiens, se
mirent à légilérer, sans frein, sur le dogme, la liturgie, la vie reli-
gieuse tout entière. L'avarice et l’ambition, poussant jusqu'à leurs
dernières conséquences les tendances aristocratiques du siècle pré-
cédent, transformèrent les ébauches d’Églises nationales en commu-
nions hérétiques, violemment séparées de Rome. Selon un mot déjà
ancien, les princes se faisaient papes sur leur territoire.
Depuis plusieurs années une vaste agitation se répandait donc en
Allemagne et la bouleversait, avec le mot d’ordre de réclamer un
saint, libre et général concile de réforme, où le pape ne fût pas à la
fois juge et partie ; mais pour le réformer il fallait nécessairement
le prendre à partie, le juger. On y joignait la menace d’une
assemblée nationale ou concile de la race allemande, si le premier
ne se tenait pas dans un délai donné. Toutes les diètes de l'empire
aboutissaient à une décision de ce genre, que sanctionnait un article
de leur recès. Beaucoup de princes entretenaient cette agitation,
plus ou moins ouvertement, et la majorité l’acceptait ou la subissait,
au point que quelques-uns des premiers s’enhardissant formérent
LA MONARCHIE PONTIF. JUSQU’AU CONC. DE TRENTE. 451
en 4531 une ligue armée, dite de Smalkade, pour s’entr'aider et se
préserver de toute attaque, entendez contre la confession d’Augs-
bourg qui avait été dressée l’année précédente. En réalité l'attitude
qu'ils avaient observée jusque là à l’égard des catholiques et leurs
protestations contre le décret de Spire (1529), qui interdisait la
propagation du luthéranisme dans les lieux où il n’avait pas encore
pénétré, montrait assez que la ligue était plutôt offensive et avait
pour but d’implaoter l'erreur partout où cela leur serait possible.
Un savait déjà que les novateurs y employaient tous les moyens, au
besoin la force et la violence.
Clément VII et Charles Quint, à qui la gravité de la situation
n'échappait pas, envisagèrent la convocation d'un concile général,
dés l’entrevue de Bologne en 1530, où le règlement définitif des
affaires d'Italie leur laissait les mains libres, et ils ne cessèrent dès
lors de s’en occuper. l’empereur n’y avait pas moins d’intérèt que
le pape : l'erreur menaçait de bouleverser plusieurs de ses nombreux
États; et d’ailleurs le droit public d'alors, comme Ja discipline
ecclésiastique, leur faisait un devoir de coopérer à cette convoca-
tion : l’empereur, pour assurer la liberté des débats, que le pape
dirigerait par lui-même ou par ses représentants.
Charles-Quint prit toujours au sérieux son rôle de protecteur de la
chrétienté et de bras droit du vicaire de Jésus-Christ; mais il voyait
sa lâche compliquée par la mauvaise volonté des princes allemands,
qui de bonne heure gagnèrent l’appui de son rival François |, puis
de Henri VIII d'Angleterre ; celui-ci s'était fait l'ennemi de l'empe-
reur en répudiant sa tante Catherine d'Aragon, et prenait partout
position contre le pape, qui venait de l'excommunier. Le Habsbourg
s'appliqua d’abord à écarter le projet de concile national, qui n’au-
rail fait que favoriser les intrigues des luthériens contre la monarchie
pontificale. Mais il n’en insistait que plus fortement pour la convo-
cation du concile général. Sur ses instances se poursuivirent les
négociations qui aboutirent à la seconde entrevue de Bologne, fin
1552 (1). 11 n’est plus permis de douter, quoique les historiens aient
incliné à soutenir le contraire, que Clément VII n'ait travaillé
sérieusement à cette convocation ; au commencement de 1333, des
instructions générales à ses agents la prévoyaient dans un délai de
six mois, après que ceux-ci auraient fait accepter des princes les
conditions dans lesquelles, selun la discipline générale de l’Église,
elle devait avoir lieu (2). Et l'article 6 de ces instructions passait
(1) Histoire des conciles, t. VIII, p. 100:
(2) Jbid., p. 1164-1165.
452 P. RICHARD.
sous silence la restriction que Clément VII avait apportée d’abord,
du consentement préalable de tous les princes chrétiens.
Le sac de Rome avait créé une situation matérielle si précaire
qu'elle rendait, disait-on, la réforme impossible, parce qu'elle ne
manquerait pas d’appauvrir la curie; néanmoins le parti de la réforme
ne se décourageait pas. Clément VII restait attaché à la politique
séculière par toute sa vie comme par ses origines; on avait donc
besoin d’un nouveau pontife pour inener à bien l’œuvre du concile,
et le parti ne fut pas sans influence, il s’en faut, sur la prompte
conclusion du conclave de 1534; le nouvel élu était disposé à
l'écouter, encore qu’il ne lui appartint pas complétement, il comptait
parmi ses adhéreuts des amis et mème des iutimes. D'ailleurs le
parti se groupait maintenant autour de quelques hommes résolus de
la curie : l’évêque de Vérone Gianmatteo Ghiberti, l'archevêque de
Chieti Gianpietro Caraffa, fondateur de l’ordre des Théatins, celui de
Capoue, Nicolas de Schomberg, l’'humaniste Sadolet, le Génois
Federigo Fregoso, le Vénitien Jérôme Aléandre et d'autres, que les
services qu'ils avaient rendus par leurs missions diplomatiques
signalaient dans l’entourage du pape. lis trouvaient un appui auprès
de plusieurs cardinaux, surtout des religieux, le général des domi-
nicains Thomas de Vio, cardinal Cajetan, Gilles de Viterbe général
des augustins, Cristoforo Numali général des mineurs. Tous ces
homimnes s'étaient mis en vedette par leur savoir, leur pratique des
affaires, comme par le sérieux de leur vie et leur zéle pour la cause
de l'Eglise. Avec eux la discipline et le souci des intérèts spirituels
reprenaient place dans la vie de la curie romaine, sinon dans son
activité, et allaient préparer la révolution qui devait, en corrigeant
les abus, consolider la monarchie pontificale.
Les adversaires du concile faisaient remarquer avec raison que le
rôle de celui-ci se bornait à édicter des réformes, que le plus long,
le plus difficile serait ensuite de les réaliser. Ce dernier rôle revenait
à l'Église enseignante dispersée, aux évèques et au pape. lci entraient
en jeu les rouages de la monarchie, les quatre qui existaient ct
d’autres qui seraient à créer. EL il ne suffisait pas de compléter, de
perfectionner celte administration : la curie et le pape devaient
donner l'exemple de meilleure vie, de mœurs irréprochables, exemple
qui entrainerait sans faute la réforme du clergé et des fidèles. Le
programme différait notablement de celui que prétendaient imposer
les auteurs de la révolution luthérienne, et pourtant ils se rappro-
chaient sur un point : une autorité devait procéder à la réforme,
mais alors que les protestants recouraient à l'autorité civile, il était
plus rationnel de faire intervenir l’autorité spirituelle du pape.
LA MONARCHIE PONTIFe JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 453
N'importe quelle assemblée délibérante, concile général ou autre,
ne pouvait être que l’auxiliaire de cette autorité. Mais, nous l’avons
vu, celle-ci avait besoin d’organes plus précis, plus stables et per-
manents.
Ainsi apparaissait un programme en partie double, qui fut pris
en considération au conclave de 1554, le fit aboutir promptement et
inspira dès lors toute l’activité de la curie romaine. On ne perdit
jamais de vue la tenue du concile, mais en mème temps on travailla
à la réforme de la curie et de l'entourage du pape. Celui-ci se réforma
lui-même, car il ne convenait pas que n'importe quelle autorité
entreprit cette tâche délicate. 11 réforma en même temps les services
de son gouvernement, de manière qu'ils fussent en état de préparer,
avec d’autres à organiser, et faire exécuter les mesures générales
qu'il arréterait de concert avec le futur concile,
Tels furent les divers points qui occupèrent le long pontificat de
Paul 111 (1534-1549), au milieu de difficultés et embarras que le
pape ne sut pas toujours atténuer : le népotisme fut loin de lui
procurer les avantages qu'il en attendait. Ces difficultés, venant des
amis comme des ennemis, et de l’empereur lui-même, qui subor-
donnait les intérêts de la chrétienté à ceux de ses nombreux États,
ces difficultés furent cause que le programme du parti réformateur
se réalisa plus lentement encore qu'il n'avait müri. Paul Ill arrivait
au pontificat avec la claire vue de ses devoirs de réformateur et la
ferme volonté de les remplir : il dut toutefois procéder avec une
grande circonspection. Ce favori d'Alexandre VI, dont la fortune
devait son origine à la Renaissance, s'était rendu compte pendant
les quarantc-un ans qu'il siégea au Sacré Collège, et surtout pendant
les dix qu’il le présida comme doyen, de la révolution religieuse qui
s'opérait et des réformes qu’elle exigeait de l’Église, à commencer
par une adaptation nouvelle de la monarchie pontificale. Lui-mème
avait évolué avec les expériences faites dans cette longue carrière.
La vie mondaine, à laquelle il avait sacrifié sous Alexandre VI et
Jules Il, s'était transformée chez lui en une vie sérieuse ; il se
préoccupa de ses fonctions sacerdotales et épiscopales, à partir du
concile de Latran, qu'il présida comme légat de Léon X et, sous
Clément VII, il se rapprocha du parti réformiste. S'il n'en devint pas
le chef, parce que l’intransigeance des rigoristes comme Gianpietro
Caraffa lui paraissait hors de mise, il prit la tête de la fraction plus
mitigée qui, dans le Sacré Collège et parmi les curiaux, reconnaissait
la nécessité d’une vie vraiment ecclésiastique, s’y adonnait, et prépa-
rait ainsi la correction des désordres de la cour romaine. Candidat
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 29
454 P. RICHARD.
aux conclaves de 1521 et 1523, il fut élu le second jour de celui
de 1554, parce que l'opinion publique, qui se formait en faveur de
réformes, le poussait au pontificat avec une force irrésistible.
Il se mit immédiatement à l'œuvre et, après avoir préparé les voies
par l’action de ses nonces, il lançait en avril 4556 la bulle qui con-
voquait la concile général à Mantoue le 2 juin. Nous n'avons pas à
raconter les longues négociations qui se poursuivirent avec les
princes sur les circonstances de cette convocation, non plus que les
événements qui le retardèrent de plusieurs années. Le pape avait
abordé déjà la réforme de la curie en établissant, le 24 août 14535,
une commission de cinq cardinaux et trois évêques des plus zélés de
Rome, qui commencérent de suite leurs travaux, et promulguërent
des décrets que le vicaire général du pape fit aussitôt appliquer :
sur l'obligation de porter le costume ecclésiastique, de réciter
l'office divin, de remplir ponctuellement les fonctions sacrées inhé-
rentes à la charge de chacun, de résider, d'éviter les fêtes profanes,
surtout les solennités du carnaval, qui provoquait toujours la licence
et le débordement. Le pape interdit celles-ci à ses deux jeunes neveux
nouvellement promus cardinaux. Les réformes se poursuivirent
pendant le pontificat (1).
Avant tout il fallait corriger les abus de l'adininistration curiale,
qni soulevaient tant de plaintes de divers parties de la chrétienté.
La cour romaine, en se sécularisant, accaparait l’argent et les
affaires ; celles-ci s’entassaient dans les bureaux au détriment de
leur bonne et rapide exécution ; celui-là souvent obtenait gain de
cause promptement et sans peine qui savait le mieux payer. Le
conseil suprème de la papauté notamment, le Sacré Collège était
devenu mondain depuis Sixte IV, et se composait en majorité de
grands seigneurs. Dès le 21 mai 1535 le pape s’appliquait à le
rendre plus digne de ses hautes attributions en y introduisant suc-
cessivement les divers partisans de la réforme, à Rome d'abord,
puis en Italie et dans le reste de la chrétienté, A la fin de son pon-
tificat, l’auguste assemblée, qui comptait au début une majorité
indifférente, sinon hostile aux réformes, secondait sans arrière-
pensée les efforts du pontife (2). Tous les personnages de valeur
que nous avons énumérés plus haut y entrèrent successivement et
Paul IE leur adjoignit des hommes qui répondaient pleinement à
ses vues ; il suffit de mentionner le diplomate vénitien Gasparo
Contarini, dont l’action bicnfaisante et l’ascendant se firent sentir
(x) PAsToR, Histoire des papes, éd. allemande, t. V, passim, surtout p. 108
et 109.
(2) Jbid., p. 152-153.
LA MONARCHIE PONTIE. JUSQU'AU CONC. DE TRENTE. 455
dès les premiers jours après sa promotion ; l'Anglais Reginald Pole,
Marcello Cervini qui fut Marcel 11, secrétaire particulier de Paul HI
et mentor du cardinal Alessandro Farnese, dont il fit un membre
prépondérant du Sacré Collège, pour plus de quarante ans ; enfin
Giovanni Morone, un des meilleurs diplomates de la curie au
xvi® siècle, Ces personnages interviendront sans cesse dans les
débats qui prépareront ou accompagneront les travaux du concile,
avec d’autres qui, sans être d’abord aussi décidés pour la réforme,
ne tarderont pas à être entrainés, tels que le cardinal Giovanni del
Monte, de la promotion de 1556, le futur Jules HI; les Français
Jean du Bellay et François de Tournon; le nonce en France Rodolfo
Pio da Carpi ; le Tyrolien Christophe Madruzzo, etc.
Pendant que le pape s’appliquait ainsi à régénérer son conseil
suprême, le parti réformiste déployait une grande activité : en 1337,
Contarini et Pole faisaient approuver par la commission de réforme
deux mémoires qui étaient comme les manifestes de leur tendance;
ils inspirèrent dans la suite tous les efforts d'amélioration et eurent
par là un succès considérable, même par la publicité que leur donna
aussitôt la malveillance des protestants (1). 1ls ont pour titre Con-
sithum delectorum cardinalium et aliorum praelatorum de emendanda
Ecclesia et .…. super Reformatione Romanae Écclesiae (pour le
second).
Le dernier, qui s’occupait spécialement de Rome, fut appliqué de
suite aux services administratifs. Et d'abord à la Daterie, la source
du mal. Un religieux de marque, Dionisio Laurerio, général des
servites, fut appelé à redresser le tableau de ses taxes (compost-
liones), qui datait de Sixte IV. 11 les réduisit notablement en effa-
çant tout ce qui présentait l'apparence d’un marché simoniaque (2).
La nomination du zélé Bartolomeo Giudiccioni à la Signatura di
justizia (1540) vint compléter cette réforme : le nouveau préfet
vérifia avec soin les requêtes qui lui étaient présentées, et sut en
écarter tout ce que ne justifiaient pas le droit et la discipline. Une
réforme analogue atteignit la Pénitencerie et la Chancellerie, la
Chambre apostolique et le tribunal de la Rote ; quatre sous-com-
nissions de cardinaux furent chargées de chacun de ces bureaux,
et réformèrent quantité de détails, sur lesquels les employés com-
mettaient des abus de pouvoir, se procuraient des gains exagérés
ou des avantages illicites. Dans la première Giudiccioni déploya
encore son zèle, quand il fut transféré à la Grande Pénitencerie,
(1) Zbid., p. 177.
(2) Zbid., p. 125.
456 P. RICHARD.
après la mort d’Antonio Pucci, qui avait vivement combattu Îles
mesures nouvelles (1544).
Ces règlements des commissions réformatrices eurent l'appui
entier du pape, qui sut imposer silence aux oppositions et aux
résistances. S'ils ne pénétrèrent paS du premier coup dans la vie
publique et privée du monde curial (il fallut les reprendre plus tard
et plus d’une fois) du moins ils secouèrent la routine, ils rajeunirent
les méthodes et les manières de faire du gouvernement et de l’admi-
nistration. Les curiaux furent rigoureusement astreints à toute
fidélité dans l'exercice de leur charge, selon la justice et l'esprit
évangélique, et tenus de conformer leur conduite à ce même esprit.
Paul III obtint au moins ce résultat de rendre à la monarchie
pontificale son rôle dans la direction des âmes et des consciences.
Elle reprenait son prestige d'édification et son action spirituelle sur
la chrétienté : elle pourra donc travailler à la réforme des abus dans
l’Église universelle, avec le concours du concile général qu'elle a
convoqué. Il ne lui restera plus, après avoir rétabli toute son autorité,
qu’à terminer l'organisation qu’elle avait acquise par le progrès
d'une série de siècles. Elle gouvernera ainsi plus efficacement la
communauté des fidèles de concert avec l’Église enseignante, dis-
persée à travers le monde chrétien, en même temps que celle-ci,
représentée par l'épiscopat, l’aidera à instruire cette communauté
sur les bases de l’Écriture, de la tradition et de la discipline qu’elle
interprète et fait progresser. C'est ainsi que, toutes deux agissant de
concert, l’une en subordination de l’autre, nous verrons l'Histoire
des conciles faire se dérouler l’activité constante de la monarchie
pontificale à travers ces progrès, comme à travers les péripéties qui
conduiront l’Église catholique à l’ordre stable complet dont elle
jouit aujourd’hui, même après l’arrêt du concile du Vatican. Que
le concile soit repris, comme il en est question, il fera des réformes
utiles, excellentes surtout dans la liturgie, sous la direction de la
Papauté, mais ne pourra apporter que des transformations secon-
daires dans son organisme achevé.
P. RICHARD.
MÉLANGES.
LE TRANSFERT DE LA RÉSIDENCE
DES ÉVÉQUES DE TONGRES A MAESTRICHT.
Dans la première moitié du xvr:* siècle, une controverse historique
mettait aux prises plusirurs jésuites belges, dont les travaux sont bien
connus des érudits. En 1612, le Père GizLEs BoucHIsR, Bucherius
(1576-1665), auteur du Belgium romanum, avait inséré à la fin du
premier volume des Gesla pontificum Tungrensium, Traiectensium et
Leodiensium, édités par le Chanoine CHAPEAVILLE, uoe Dispulalio
historica de primis Tungrorum episcopis (1). Ün de ses collègues
défendit, bientôt après, sa maniére de voir, le Père JEAN ROBERTI
(1559-1601), dans son Historia S. Huberti (2), en 1024. Jamais, soute-
naient-ils, l’'évêc'ié de Tongres ne fut transféré à Maestricht ; il n’y
eut que changement de résidence. Mais les évêques de Tongres, résidant,
en général, à Maestricht, à partir du vi* siecle, furent parfois appelés
évêques de Maestricht. L'appellation d'évêque de Tongres se perdit
peu à peu ; elle ne tomba tout à fait en desuétude que vers la fin du
xiI* siècle, alors que depuis S. Hubert (+ 727) les évêques résidaient
à Liége.
Un bollandiste, GopEFRo1D HENSCHENIUS (1600-1681), se chargea de
défendre {es traditions maestrichtoises : plusieurs personnes origi-
paires de cette ville, ou y ayant séjourné, lui avaient, en effet, porté
leurs doléances. En 1653 paraissait sa De episcopatu Traiectensi…
Diatriba, réimprimée sous uo autre titre en 1688 dans le tome VII des
AA. SS. Haii (3). Il faut admettre, déclarait le savant auteur, un
transfert véritable de l'évêché de Tongres à Maestricht, soit sous
S. Servais, à la fin du 1v° siècle, soit sous un de ses successeurs, au vi*-
Si les évêques de Maestricht se voient encore de ci de là, après le
vi* siècle, décerner le titre d’évêques’de Tongres, ce n’est que par la
force d’une vieille habitude. Le Père JEAN FouLLon (1609-1668), un
autre historien de Liége, entra alors dans la lice, sous un nom
d'emprunt, pour défendre la position du P. RoBERTI (4).
(1) Voir notamment à la page 48 de cette dissertation. Liége, 1612.
(2) P. 394 et suiv. (Quaestio VIa). Luxembourg, 1621. Le P. BARTHÉLEMY
FisEN (1571-1649), dans sa Sancta Legia romanae ecclesiae filia, sive Historia
ecclesiae Leodiensis, p. 76. Liége, 1642, résout la question dans le même sens
que le P. RoBerri, mais sans insister beaucoup.
(3) P. xvri-xLvirr. Avec des notes de J. GHESQUIÈRE dans les A4. SS.
Belgit, t. 1, p. 221 ct suiv. (Voir surtout ch. V, p. 245 et suiv.).
(4) Veritatis et ecclesiae Tungrensis breves vindiciae adversus longam et su-
458 MÉLANGES.
On pouvait croire que tout avait été dit dans les deux sens. Et
cependant, en 1737, la querelle recommençait. Elle fut occasionnée,
cette fois encore, par l'écrit d’un liégeois, mais qui n'appartevait pas
à la Compagnie, le Baron GuiLLAUME DE CRASSIER (1602-1751) (1).
D'ailleurs ce savant homme, contredit de nouveau par un bollandiste
le P. PIERRE DoLMmans (1697-1751) (2), trouva aussi comme défen-
seurs des jésuites : le P. JEAN BERTHOLET (1088-1755) (3), l'historien
du Luxembourg, et le P. JEAN DE MARNE (1699-1756) (4), l'historien du
Namurois. Empressons-nous d'ajouter que cette controverse entre
_ confrères resta toujours courtoise. Tout au plus s’accuse-t on parfois
de mutiler quelque peu les textes en les transcrivant ou en les inter-
prétant ; et Henschenius s'élève avec une certaine mauvaise humeur
contre ses collègues qui veulent « episcopos Trajectenses, quasi nulli
umquam fuissent, exsibilare ». (5)
En dépit du nom de ces érudits et de la science qu’ils déployèrent
dans leurs dissertations, on a un peu l'impression en les lisant
d'assister à un tournoi de luxe. Ces chevaliers de la science historique
se battent pour une question assez accessoire et, comme le disait le
P. DE SME0T (6), pour une question de mot. Si les évêques, du vi* au
vue siècle résident régulièrement à Maestricht; s'ils nous appa-
raissent dans les documents conservés comme élus par le c'ergé et le
peuple de Maestricht ; s’ils sont inaugurés à Maestricht ; s'ils ont une
cathédrale à Maestricht et y exercent leurs fonctions épiscopales ; s'ils
s'appellent eux-mêmes et dans des actes officiels évêques de Maestricht,
pourquoi leur refuser ce titre ? Mais, d'autre part, s'il ne s’est pas
perfluam diatribam R. P, Godefridi Henschenii de episcopatu Tongrensi et
Traïectensi. Liége, 1683 (sous le pseudonyme de Nicolas Fizen, chanoine de
Visé). i Ù
(1) Rrevis elucidatio quaestionis iesuiticae, de praetenso episcopatu Traiïec-
tensi ad Mosam. Liége, 1738. Aädditamentum ad brevem elucilationem, etc.
Liége, 1742.
(2) Observationes apologeticae pro episcopatu Traiectensi ad Mosam quem
R. P. Godefridus Henschenius, e Societate Iesu hagiographus piae memoriue,
iam pridem asseruerat, ac perillustris Dominus G. L. Baro de Crassier, celsis-
simi principis episcopi Leodiensis consiliarius, nuper negavit. Anvers, s. a.
(Dans les A4. SS. Belgii, t. Ï, p. 314-352). — Alterae observationes, etc.
Louvain, s. a. (Dans les À 4, SS. Belgii, t. I, p. 352-373).
(3) Histoire ecclésiastique et civile du duché de Luxembourg et comté de
Chiny, t. VI, p. 313 et suiv. (Dissertation III sur le prétendu évêché de
Maestricht). Luxembourg, 1743.
(4) Histoire du comté de Namur. Nouv. édit. par J. N. Paquor, t. II,
p. 534 ct suiv. (2de dissertation où l'on examine s’il y a eu des évêques de
Tongres avant S$. Servais et si, après ce saint, le siége épiscopal des Ton-
grois a été transféré à Maestricht) Bruxelles, 1781.
(5) AA. SS. Belgii, t. I. p. 252.
(6) AA. SS., Novembris t. I, p. 786.
TRANSF. DE LA RÉSID, D. ÉVÉQUES DE TONGRKES A MAESTRICHT. 499
produit de transfert officiel ni, moins encore, autorisé par un concile
ou par un pape ; Si le titre d'érêque de Tongres persiste jusqu'à la fin
du x1° siècle, alors même que celui d'évêque de Maestricht disparaît ;
si les papes en particulier s’en servent plutôt que de tout autre (1);
n'y a-til pas autant de raisons, plus de raisons encore, de conserver
aux évêques de Maestricht le titre d'évèôques de Tongres ? Interrogés
sur ce problème historique, les évêques eux-mêmes n’eussent-ils pas
été fort embarrassés d'y répondre ?
Quoi qu'il en soit, ce n’est pas cette question, un peu théorique, du
transfert d'évêché ou du transfert de résidence, que l’auteur de ces
lignes veut rouvrir. Il en est uue autre, plus concrète, et qui paraît
mal résolue même de nos jours. La plupart des auteurs modernes
admettent, en effet, comme certain, ou au moins comme probable, le
transfert de la résidence épiscopale de Tongres à Maestricht, sous
l'évéque Monulphe, au vi* siècle, et dans Ja seconde moitié de ce siècle,
d'après la chronologie généralement adoptée. D'aucuns, et de toute
p'emière valeur, Hauck et MGR DUCHESNE, vont même, pour ne pas
renoncer à ce transfert de Monulphe, jusqu'a modifier l’ordre de suc-
cession établi dans les listes épiscopales de Tongres, qui nous appa-
raissent pour la première fois à la base de la chronique d'Hériger
(fin du x° siècle). Or, il nous semble que ce transfert sous Monulphe
ne repose absolument sur rien.
Tout l’argument de scs défenseurs se base sur un double texte de
Grégoire de Tours, le premier au livre II, ec. 5, de l'Historia Fran-
corum, l'autre au chapitre 71 de son De Gloria confessorum.
Dans le premier, un certain Aravatius, qu'il ne faut pas distinguer,
comme l’a magistralement démontré Godefroid Kurth (2), de Saint
Servais, S. Servais donc, évêque d'une grande sainteté, apud Tun-
grus oppidum, redoute l’arrivée des Huns (lisez des Vandales). Une
révélation qui lui est faite au tombeau de S. Pierre, lui prédit qu’il ne
verra pas de ses yeux les ravages causés par ces barbares, mais l'aver-
tit de se préparer à la mort. Servais rentre à Tongres, fait ses adieux
au clergé et au peuple, et il se retire seul à Maestricht où il meurt
bientôt après et où il est enterré.
Voici ce texte :
Igitur rumor erat, Chunos in Galliis velle prorumpere. Erat autem tunc
temporis apud Tungrus oppidum Aravatius eximiae sanctitatis episcopus,
qui vigiliis ac ieiuniis vacans, crebro lacrimarum imbre perfusus, Dei mise-
1icordiam praecabatur, ne umquam gentem hanc incredulam sibique semper
indignam in Galliis venire permitterit. Sed sentiens per spiritum, pro delic-
tis populi sibi hoc non fuisse concessum, consilium habuit expetendi urbem
romanam, scilicet ut, adiunctam sibi apostolicae virtutis patrocinia, quae
(1) Pour la preuve de toutes ces affirmations, il suffit de consulter quel-
qu'une des dissertations parues dans le cours de la controverse.
(2) Études franques, t. 1, p. 139 et suiv. Paris, 1919.
460 MÉLANGES.
humiliter ad Dei misericordiam flagitabat, mereretur facilius obtinere.
Accedens ergo ad beati apostoli tumolum, depraecabatur auxilium bonitate
eius, in multa abstinentia, maxime inaedia se consumens, ita ut bidui
triduique sine ullo cibo putuque maneret, nec esset intervallum aliquod in
quo ab oratione cessaret. Cumque ibidem per multorum dierum spatia in
tali adflectione moraretur, fertur hoc a beato apostolo accepisse responsum :
« Quid me, vir sanctissime, inquietas ? Ecce enim ad domini deliberationem
prursus sanccitum est, Chunos in Gallias advenire, easque maxima tem-
pestate debere depopulari. Nunc igitur, sume consilium, accelera velociter,
ordena domum tuam, sepulturam compone, require lentiamina munda ! Ecce
enim migraveris a corpore, nec videbunt oculi tui mala, quae facturi sunt
Chuni in Galliüis, sicut locutus est Dominus Deus noster ». Hoc a sancto
apostolo pontifex responso suscepto, iter accelerat, Galliasque velociter
repetit, veniensque ad urbem Tungrorum, quae erant necessaria sepulturae
secum citius laevat, valedicensque clericis. ac reliquis civibus urbis, denun-
tiat cum fletu et lamentatione, quia non visuri essent ultra faciem illius. At
ille cum heiulato magno et lacrimis prosequentes supplecabant humili praece
dicentes : « Ne derelinquas nos, pater sanctae, ne obliviscaris nostri, pastor
bonae ». Scd cum eum fietibus revocare non possint, accepta benedictione
cum osculis, redierunt. Hic vero ad Treiectinsem urbem accedens, modica
pulsatus febre, recessit a corpore, ablutusque a fidelibus, juxta ipsum agerem
publicum est sepultus. Cujus beatum corpus qualiter post multa temporum
spatia sit translatum, in Libro miraculorum scripsimus (1).
Dans le Gloria confessorum, composé avant l’Historia francorum,
Grégoire de Tours parle encore du même Aravatius ou Servais. Il ne
l'appelle que Tritectensis episcopus. Son tombeau à Maestricht n'était
jamais couvert par la neige, même quand celle-ci atteignait trois ou
quatre picds. À diverses reprises les fidèles bâtirent dessus des ora-
toires de tabulis ligneis levigatisque, mais ces constructions peu résix-
tantes furent emportées par le vent ou croulèrent d’elles-mêmes. Enfin
— et voici la phrase capitale — : « Procedente vero tempore, adveniens
in hace urbe Monulfus episcopus, templum magnum in eius honore
construrit, composuit ornavitque. In quo multo studio et veneralione
translatum corpus maanis nunc virtutibus pollet ».
Transcrivons également ce seconil texte :
Aravatius vero Triiectensis episcopus tempore Chunorum, cum ad inrum-
pendas prorumperent Gallias, fuisse memoratur. Qui et sepultus refertur
juxta ipsum pontem agcris publici, circa cuius sepulchrum quamvis nix
defluisset, numquam tamen marmorem quod super erat positum, humec-
tabat. Et cum loca illa nimii frigoris gelu ligentur, et nix usque in trium ct
quattuor pedum crassitudine terram operiat, tumulum ullatenus non attingit.
Datur enim intelligi verum Israhelitam hunc esse. Nam illis inter muros
aquarum aquae non sunt pernicies, sed salutis ; ct circa hujus iusti tumulum
nix decidens non humoris causa est, sed honoris. Vidcasque in circuitu
(x) Historia Francorwm, I1, 5. MGH, Script. rer. merov., t. I, p. 66 et 67.
Hanovre, 1885.
TRANSF. DE LA RÉSID. D. ÉVÈQUES DE TONGRES À MAESTRICHT. 461
montes niveos elevari, nec tamen attingere terminum monumenti; et non
miramur, si terra operiatur nive, sed miramur quod attingere ausa non est
locum beati sepulchri. Nam plerumque devotio studiumque fidelium oratorio
construebant de tabulis ligneis levigatisque : sed protinus aut rapiebantur
vento aut sponte ruebant. Et credo idcirco ista fieri, donec veniret, qui
dignam aedificaret fabricam in honore antestetis gloriosi. Procedente vero
tempore adveniens in hac urbe Monulfus episcopus, templum magnum in
eius honore construxit, composuit ornavitque. In quo multo studio et venc-
ratione translatum corpus magnis nunc virtutibus pollet. (x)
Grégoire de Tours, écrit Mar DUCHESNE, « a bien l'air de présenter
S. Mooulphe comme le premier évêque qui se soit installé à Maes-
tricht » (2). Et HaucKk : « Denn Gregors Worte : Adveniens in hac urbe
Monulfus episcopus.. nôtigen anzunehmen, dass es vor keinen Bischof
in Maestricht gab » (3).
Voilà précisément ce que nous n’admettons pas.
[. D'abord, Grégoire de Tours, au commencement du chapitre du
Gloria confessorum, appelle S. Servais Episcopus Triiectensis. Or, treize
lignes plus loin, il écrit : Procedente vero tempore, adveniens in hac
urbe : Maestricht, dont le nom n'est cité que dans le titre épiscopal
donné plus haut à Servais... Si l'écrivain attribuait à cet Adveniens in
hac ur be la portée suivante : le premier, Monulphe établit la résidence
épiscopale à Maestricht, il n'aurait pas, treize lignes plus haut,
décerné le titre d'évêque de Maestricht à S. Servais, l’un des prédé-
cesseurs de Monulphe ; car cela reviendrait à dire : Monulphe fut le
premier à résider à Maestricht et cependant ce ne fut pas le premier.
Si on lit avec attention et en les comparant le début des deux passages
qui viennent d’être transcrits, on arrive à cette conclusion : Grégoire
de Tours appelle Servais lui-même indistinctement évéque de Tongres
ou évéque de Maestricht (4).
(1) De Gloria confessorum, 71. MGH, Script. rer. Merov., t. I pars 28, p. 700.
(2) Fastes épiscnpaux de l’ancienne Gaule, t. III, p. 186. Paris, 1915.
(3) Kirchengeschichte Deutschlands, t. I, p. 121, n.2 Leipzig, 1922. Il est
inutile de citer d’autres auteurs. Médusés par la phrase : Procedente vero
tempure accedens in hac urbe Monulfus episcopus, Haucxk et MGR DUCHESNE
proposent même d'introduire dans le catalogue ancien le changement sui-
vant. Au lieu de Falco, Eucharius, Domitianus, Monulphus, occupant respec-
tivement la 18e, la 19e, la 20e et la 21e place, il faudrait mettre Monulphe
avant les trois autres, le premier au lieu de le mettre le dernier. En effect
Domitien qui est cité en 535 comme évêque de Tongres guod et Traïecto ne
peut être antérieur à Monulphe, premier évéque de Macstricht : Procedente
rero tempore, etc... Quant à Falco, destinataire d’une lettre de S. Remi de
Reims (+ 533), que nous avons conservée, on ne voit nullement pour quelle
raison il devrait être changé aussi de place. Nous espérons prouver que tous
ces remaniements sont inutiles.
(4) On ne peut pas dire que, dans le De Gloria confessorum, Grégoire de
l'ours appelle Servais évèque de Maestricht parce qu'il considère Servais
462 MÉLANGES.
II. Au chapitre 83 du même De gloria confessorum, Grégoire de
Tours narre un autre fait qu’il vaut la peine de rapprocher du pre-
mier. Un oratoire avait été bâti sur le tombeau de S. Valère, premier
évêque de Couserans (Ariège). Mais il s’écroula et bientôt les habi-
tants ne surent plus exactement où se trouvait la sépulture. Ils affir-
maient simplement que c'était devant l'autel. Alors : « Adveniens
autem Theodorus episcopus, oratorium ipsum in maiori spalio ampliatum
maynam efjecit basilicam ». Que signifie ici cette phrase ? Théodore
l'un des successeurs de Valère, arrivant dans cette ville comme
évêque, édifia une basilique sur le tombeau de son saint prédécesseur.
C'est aussi le sens naturel de la phrase du chapitre 71 : après un
certain temps, Monulphe arrivant à Maestricht comme éêque, Proce-
dente tempore adveniens in hac urbe Monulfus episcopus, ete. Vouloir
lui faire dire plus, c'est lui faire vivlence. (1)
III. Il reste à produire un troisième argument. Monulphe n'a pas
transféré la résidence parce qu'elle était transférée avant lui. En effet
le prédécesseur immédiat de Monulphe, l'évêque Domitien. mentionré
dans un concile de Clermont de 585 et dans un concile d'Orléans de
549, s’il souscrit en 549 comme évêque de Tongres, signe ainsi en 535 :
. Domilianus in Christ nomine episcopus Tongrorum, quod et Traiecto,
suscripsè (2). Cet argument serait absolument convaincant, s'il était
tout à fait sûr que les mots : Quod et Truiecto, ne sont pas interpolés.
M. l'abbé Paquay les soupçonne de l'être (3). En faveur de l'icterpola-
tion on peut dire, semble-t-il, que, d’abord, un des manuscrits cités
par l'éditeur ne porte jas la mention des sièges et se contente de
donner les noms des évêques ; qu'un autre appelle Domitien évêque
de Cologne ; ensuite que cette forme : Quod et Traiecto, est vraiment
comme ayant transiéré sa résidence à Maestricht. En effet Servais part seul,
sans ‘on clergé, pour Maestricht. Il s’y retire dans la retraite afin de se
préparer à la mort. Mais. du temps de Grégoire, on appelait indifféremment
les successeurs de Servais évêques de Tongres ou de Maestricht.
(1) Voici ce texte : « Valerius bcatus confessor Consorannensium primus
episcopus hoc se revelavit modo. Nam oratorium super se constructum prius
habuit, sed per incuriam ruens, oblivioni datum est, quo in loco quiesceret.
Hoc tantum ab incolis ferebatur, quod fuisset ante sanctum altare sepultus.
Adveniens autem Theodorus episcopus, oratorium ipsum in maiori spatio
ampliatum, magnam effecit basilicam. » (De Gloria confessorum, p. 83, op. cit.,
p. 801.) — G. KURTH. op. cit., p.159, n. x a attiré l’attention sur ce texte mais
sans vouloir trancher la question du changement de résidence. — M, Box-
NET, Le Latin de Grégoire de Tours, Paris, 1890, n’assigne pas de sens spécial
à Adveniens chez l’auteur de l’Historia Francorum.
(2) MGH, Legum sectio III, t. I, Concilia aevi merovingici (édit. FR. Maas-
SEN), p. 70 ct 109. Hanovre, 1893.
(3) Bulletin de la Société scientifique et littéraire du Limbourg. t. XXVII
(1909), p. 49, n. 1 (magistrale étude de M. l'abbé J. PAQuay, intitulée, Les
origines chrétiennes dans le diocèse de Tongres),
TRANSF. DE LA RÉSID. D. ÉVÊÈQUES DE TONGRES À MAESTRICHT. 403
insolite. Mais, d'autre part, ni l’éditeur MaAAssen, ni MGR DUCHESNE,
ni HaucKx n'élèvent de doute sur l’authenticité de cette souscription (1);
quant au caractère inusité de l’incise : Quod et Traiecto, il s'explique-
rait par le fait que les changements de résidence furent rares. Mais il
u'est pas inouï en cas de transfert de résidence, de trouver deux noms
de villes accolés à la fois au nom d’un évêque (2).
(1) Le manuscrit qui ne donne pas le nom des sièges est le plus ancien,
Parisiensis Lat. 12037, du vie et du vrie siècle. Les deux autres : Paris. Lat.
1564 et Paris. Lat. 1451, sont du 1xe siècle. (Voir FRriEDR. MAASSEN, Geschichte
der Quellen und der Literatur des canonischen Rechts, t. 1. Gratz, 1870,
p. 556 ct suiv. (surtout 569), 604 et suiv. (surtout 604), 613 et suiv. Mais
les documents qu'ils contiennent peuvent remonter aux vie siècle (voir le
même ouvrage, p. 61: et 623). Oa ne peut dire a priori que la version qui
donne les sièges est postérieure à celle qui ne les donne pas.
(2) Concilia aevi merovingici, p. 97, ligne 20 : « Clematius in Christi nomine
episcopus civitatis Carpentoratensium et Vindascensium subscripsi s. — On
ne distingue pas toujours assez le cas d'évêques de deux cités du cas d’évéques
ayant une double résidence dans le même cité. A l'époque mérovingienne, on
groupa parfois, quoique rarement, deux civifates, figurant dans la Notice des
Gaules, sous l'autorité d’un seul évêque. Ainsi, Tournai, évéché au vies.,
ne l’est plus au vie, et se trouve réuni à Noyon; de la même façon, Arras,
évêché au vie s. sous S. Vaast, ne l'est plus a la fin de ce siècle, sous
S. Géry, et se trouve réuni avec Cambrai. Boulogne, qui paraît ne jamais
avoir cu d’évêque propre, se trouve réuni, depuis S. Omer, avec Thérouanne.
Ainsi les civitates romaines de la Notitia Galliarum : Tornacersium et Vero-
mandorum ; Atrabatum et Camaracensium ; Bononensium et Morinorum, ont
vu leur sort uni au moins pour quelques siècles. Dans le second cas, le chef-
lieu de l’ancienne cité romaine n'est plus, pour une raison ou une autre, la
résidence épiscopale ; celle-ci se trouve dans une autre ville de la même
cité. Alors, dans les actes officiels au moins, diplômes, souscriptions des con-
ciles, etc., les évêques portent indifféremment deux titres, le plus souvent
séparés, parfois réunis; les évêques de Noyon s'appellent évêques de Noyon,
leur nouvelle résidence, ou de Vermand, l’ancienne capitale, Saint-Quentin,
de la c’vitas Verumandorum. Les évéques de Maestricht et de Liége, s'ap-
pellent évêques de Maestricht ou de Liége, mais aussi évêques de Tongres.
Les évéques d'Avenches, chef-lieu de l'ancienne civitas Helvetorum, s’ap-
pellent évêques de Windisch ou de Lausanne, leurs résidences nouvelles
dans cette cité, mais aussi évêques d’Avenches, capitale de la cité. Les
éveques de Carpentras s'appellent évêques de Carpentras ou de Vénasque,
leur résidence au vre siècle et méme au concile d'Orléans, de 541, l’un de
ces évêques signe : Æpiscopus Carpen'oratensium et Windascensium. Ainsi
encore, les évéques de l’ancienne cité de Coutances (Civitas Constancia)
portent ce nom ou celui de leur nouvelle résidence, Saint-Lo (Brinvera), et,
au concile d'Orléans de 549, les deux réunis. Voilà des conclusions qui
paraissent ressortir de l'étude des souscriptions épiscopales et de l'examen
du troisième volume surtout des Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule de
MGr DUCHESNE, paru en 1915. Ce volume est consacré aux provinces du
Nord ct de l'Est dans lesquelles, par suite des invasions, des villes épis-
464 MÉLANGES.
Mais, dira-t-on, Hériger, dans sa chronique, c. 28, et puis Anselme,
dans le Proemium de sa continuation, affirment aussi le transfert et le
rapportent à Monulphe (1). C’est vrai. Mais Hériger écrit à la fin du
x° siècle. De plus, il paraît bien ne baser son affirmation que sur
l'interprétation du même texte de Grégoire de Tours : Adveniens. Les
vies de Monulphe contenues dans les Gesta Servatii de Joconde et
auxquelles M. VAN DER ESsEN a consacré quelques pages de son magni-
fique ouvrage, sont postérieures à Hériger et, qui plus est, n’attribuent
même pas le transfert de résidence à leur héros (2).
Mais qui donc alors a changé la résidence épiscopale ? Il serait trop
long d'examiner ici cette question. Mais il est bien probable que
Tongres ayant été détruite par les Vandales, les successeurs de
S. Servais n'y résidèrent plus (3).
Nous croyons avoir prouvé au moins que le texte de S. Grégoire de
Tours, De Gloria confessorum, 71, n'a pas le sens qu’ou lui donne
presque unanimement. Il n’y a donc aucune raison de croire que le
transfert de la résidence a élé opéré par l'évéque Monulphe. Que si la
souscription de Domiticen : Qui et Traiecto était hors de FORME, il
serait certain que Monulphe n'a pas transféré le résidence.
E. ne MoREAU, S. J.
copales ont été détruites, et des cités tout entières, colonisées par les Francs
ou les Alamans, sont redevenues païcnnes et ont été incapables de conserver
leur siège épiscopal.
(1) MGH, Scriptores, t. VII, p. 176 ct xgI.
(2) L. Van DER ESSEN, Étude critique et littéraire sur les vies des Saints
mérovingiens de l’ancienne Belgique, p. 162 et suiv. Louvain, Paris, 1907
(Recueil des travaux publiés par les membres des conférences d'histoire et
de philologie de l’université de Louvain, sous la direction de MM. F. Bé-
THUNE, À. CAUCHIE, G. DOUTREPONT, R. MAERE, CH. MoELLER ct F. REMY,
fasc. 17). Voir le GestaS. Servatii (édit. Fr. WiLHELM, p. 76-79. Munich, 1918).
(3) Dans unc étude récente : Les premières origines du christianisme dans
le Pays de Liege (Extrait du Bulletin de la Société d'art et d'histoire du
divcese de Liége, t. XXI. Liége, 1923), M. l'ahbé TH. QuoipBAcH a proposé
une hypothèse nouvelle : S. Scrvais aurait été un chorévéque sans siège fixe.
Cette théorie me paraît totalement inadmissible, comme je le prouverai
à l’occasion.
LE CHRONIQUEUR DE SAINT-SÉVERIN.
: À la veille de la révolution protestante, la France avait été travaillée
par un mouvement de réforme catholique dont l’histoire ne manque
pas d'intérêt. Parmi les auteurs de ces entreprises réformatrices, le
malinois Jean Standonck, privcipal du Collège de Montaigu, à Paris,
et fondateur de la Congrégation de pauvres-clercs du même nom,
occupe une place de prem'er rang. Son zèle ne se boraait pas à l’en-
ceinte de son établissement ; il fut le promoteur d'une réforme monas-
tique chez les chanoines réguliers de France. Grâce à lui, une colonie
fut envoyée par le Chapitre de Windesheim dans l'abbaye de Saint-
Séverin de Châäteau-Landon, au diocèse de Sens. Dirigée par Jean
Mombaer, ou Mauburanus, de Bruxelles, l’œuvre prospéra et la réforme
commencée en 1496 gagna les maisons canoniales de Livry en 1498, de
Cysoing en 1499, de Melun vers 1501, d'autres encore, et consti‘ua [a
« Congrégation nouvellement réformée de France » (1).
La principale source de renseignements sur ces réformes est une
chronique anonyme intitulée : Liber de origine Congregationis Canoni-
corum Regularium reformatorum in regno Franciae unno Christ 1496.
Nombre d'’historiens l'ont utilisée, depuis Jean de Toulouse, l’anna-
liste de Saint-Victor, au xvu° siècle (2), jusqu'à MM. À. Renaudet et
M. Godet, auteurs d’études récentes sur Jean Standonck et la Congré-
gation de Montaigu (3). D'accord pour en reconnaître la valeur, ces
historiens se sont peu souciés, semble-t-il, de percer le voile qui nous
cache l’auteur. Sans doute possible, c'était un chanoine régulier de
Saint-Séverin. Mais lequel ? Les uns avancent que c'était un des
religieux venus des Pays-Bas avec Jean Mombaer; d'après M. M. Godet,
la chronique aurait été composée vers 1520 par un ancien disciple de
Standonck (4). Essayons de pousser plus avant l'étude de ce petit
problème. Peut-être serons-nous assez heureux pour retrouver le nom
igooré du chrouiqueur. Après une rapide analyse de l’œuvre, nous
étudierons successivement la date de sa composition, les données
qu'elle fournit sur sou auteur, enfin nous essaierons de déterminer son
nom et d’esquisser sa vie.
*
$ $
La chronique est encore inédite. Il en existe deux manuscrits prin-
cipaux, du xvii* siècle, l’un à la Bibliothèque Sainte-Geneviève,
(1) Cfr A. RENAUDET, Jean Standonck. Un réformateur catholique avant la
Réforme, dans le Bull. de la Société de l'hist, du Protestantisme français, 1908,
LVITe année, p. 5-81, et son livre Préréforme et humanisme à Paris pendant
les premières guerres d'Italie. Paris, 1916.
(2) Vita Joannis Mauburni. Paris, Bibl. nat., lat. 14366, f. 47-48v.
(3) M. Gover, La Congrégation de Montaigu. Paris, 1912 (Bibl. de l’école
des hautes études). |
(4) Op. cit., p. 4, n. 2.
466 MÉLANGES.
n° 574, l’aut'e, à Paris également, à la Nationale, fonds latin, 15019.
La Bibliothèque Sainte-Geneviève contient une troisième copie, où l’on
a intercalé diverses pièces relatives au même sujet, dans les manus-
crits 018 et 619. Elle dépend du premier, nous pouvons la négliger.
Le manuscrit 574 est le plus fidèle, il reproduit les incorrections de
l'original ; celui de la Nationale, au contraire, saute certains passages
et s'efforce de ramener la phrase inélégante de l’auteur aux règles de
la latinité (1).
Notre chroniqueur entend faire œuvre d'éditication (2). Il entreméle
son récit de considérations pieuses, il consacre des notices biogra-
phiques aux saints personnages dont il a contemplé les vertus. Au reste,
son œuvre est de nature à inspirer confiance. Manifestement l’auteur
a été le témoin de beaucoup des faits qu'il rapporte, et les notices qu'il
consacre aux maisons réformées témoignent de recherches dans leurs
archives.
Lé plan est assez capricieux. Trois livres inégaux divisent l'ouvrage.
On trouve dans le premier, en deux chapitres, l’histoire de Saint.
Séverin depuis 8a fondation jusqu'à la veille de sa réforme par les
chanoines de” Windesheim (fol. 3 v et ss.),et une biographie détaillée,
en trois chapitres, de Jeau Standonck (fol. 8 v et ss.). Le deuxième
livre raconte les débuts de la réforme à Saint-Séverin (fol. 23 ss.) et
donne à ce propos des notices biographiques sur Jean Mombaer, le chef
des réformateurs, sur Renier Koetken, son second, sur deux autres
chanoines venus des Pays-Bas, Jean Van den Wyngaerde et Jacques
Oldenzael, eutin sur Gilbert Fournier, docteur de Paris qui, entré sur
le tard dans l'abbaye, mourut bientôt (fol. 27 v et ss.). Suit le narré
des réformes entreprises à Cysoing (fol. 31 ss.), à Livry (fol. 41 ss.), à
Melun (fol. 45 ss.). Des notices sur de jeunes religieux défunts, Patrice
Fary, ou Ferri, de Melun, et Jean Vermelle, de Saint-Séverin, terminent
ce deuxième livre (fol. 48 v). Le troisième est consacré à l’histoire
de réformes avortées en Normandie vers 1506 et se termine par une
notice, consacrée à un autre jeune religieux du prieuré de Melun
(fol. 54 à tin).
.°. |
Le simple exposé de ce plan irrégulier fait soupçonner que la
chronique n'a pas été composée d'une haleine. Une étude plus attentive
en convainc. Distinguons en conséquence les dates de chaque livre,
voire des chapitres d'un mème livre, en comparant les données du
chroniqueur avec les renseignements puisés à diverses sources.
Le premier livre a été compose, la chose va sans difiiculté, après la
mort de Jean Standonck, survenue le 5 février 1503-41 (3), et avant le
(x) Cfr M. Goper, L. c., Bibl. nat., lat. 15049, f. 94; nous renvoyons régu-
lièrement au ms. 574 de Sainte-Geneviève.
(2) Proœmium, f. 2v-3.
(3) À. RENAUDET, op. cit., p. 78.
LE CHRONIQUEUR DE SAINT-SÉVERIN. 467
second livre qui lui fait suite. Celui-ci n’a pas été rédigé d'un trait. Le
récit des débuts de la réforme à Saint-Séverin, chapitre premier,
précède notablement le chapitre V. En effet, il est dit là que les trois
novices reçus à Saint-Séverin vers la fête de la Pentecôte 1497 y per-
sévérent dans leur vocation (1), et ici on raconte la vie et la mort
récente de Patrice Ferri « le plus jeune des trois premiers rejetons de
potre réforme » qui décéda le premier octobre 1505 (2). Le chapitre VI
et dernier du même livre est postérieur de dix années environ, car il est
consacré à Jean Vermelle, mort en avril ou mai 1515 (3). Il y a de plus
au chapitre ITI un petit passage, qui peut avoir été ajouté après coup,
où l'auteur s'adresse à l'abbé de Cysoing. « Prends courage, Ô abbé, et
ne crains point (les adversaires de la réforme), car le Seigneur est avec
toi si tu tais ce qui dépend de toi (4). » Ces lignes d’exhortation ne
peuvent s'adrester au vieil abbé, Jean Salembien, de qui on vient de
dire, entre autres déjauts, qu'il ne savait pas tenir sa langue (5). Elles
ont dû être écrites en 1523, au plus tôt, quand Jean Salembien eut
résigné la dignité abbatiale en faveur de Mathias de Barda (6).
Le troisième livre raconte deux réformes tentées sans succès, vera
1506, dans les prieurés du Val-des-Infirmes et de Sainte-Honorine de
Graville, en Normandie (7), et se termine par la notice biographique
d'Henri Bratemerius ou Vathenier, qui mourut en 1518 (8).
M. M. Godet et M. A. Renaudet avaient donc raison de placer vers
1520 la rédaction de cette chronique. Commencée en 1504, au lende-
main de la mort de Standonck, elle fut achevée après 1523 ou même
après 1526.
*
* #
Quant à l'auteur, on s'accorde à reconnaître qu’il était chanoine de
Saint-Séverin. Nul doute n’est possible à ce sujet. Tout le récit le
(1) F. 26-v.
(2) F. 48v. « Qui ultime defunctus est. lunior fuit de tribus primis nostrae
relormationis plantulis ». Cfr le Nécrologe de Saint-Séverin, Arch. départ. de
Seine-et-Marne, H 60, f. 22v.
(3) Liber de origine...,f. 53v. Acta capitulorum generalium unionis Fran-
ciae novellae reformationis.., Bibl. S. Genev., 1841, f. 23v. Nous aurons
à citer plusieurs fois ces actes où sont consignés les noms des défunts de
l'année. Le ms. cité est l'original même et porte les signatures des secrétaires,
(4) Liber de origine..., f. 41. « Sed o abba confortetur cor tuum et ne
timeas a facie eorum quia Dominus tecum est si feceris quod in te est ».
(5) Jbid., f. 4ov. « Abbas etiam supra modum puerilis erat, nihil celare
poterat »,
(6) I. DE COUSSEMAKER, Cartulaire de l’abbaye de Cysoing et de ses dépen-
dances, p.778 s. Lille, 1883. — Gallia christ. nova, t. IIL, col. 292. L'année
1526 où mourut Salembien conviendrait mieux encore.
(7) Gall. christ. nova, t. VII, col. 840 s. Liber de origine. f. 54-6ov.
(8) Le Liber de origine... f. 62-64, donne le jour des Rameaux 1517-18. Date
468 MÉLANGES.
prouve, le sommaire même qu'on vient d'en donner suffirait à l'établir.
Contentons-nous de noter ici la dévotion du chroniqueur au patron et
fondateur de l’abbaye. « Ad laudem Dei et Sancti Severini, cuius meritis
adiuvemur. Amen. » Ainsi termine-t-il son prologue (1). Toute la suite
de l’argumentation contribuera à l’établir avec évidence.
D'après le génovéfain Prévost, qui composait au dix-septième siécle
un copieux recueil de notices relatives à son ordre, ce devait être « sans
doute un allemand, car il en veut beaucoup à l'air de ce canton » de
Livry (2); eutendons un des chanoines de Windesheim envoyés en
France pour la réforme. Tel est l'avis des Bollandistes au tome II de
février, et des auteurs du tome VII du Gallia christiana nova (3). Cette
opinion se réfute aisément par la simple énumération des six refor-
mateurs entrés à Saint-Séverin en 1496. C'étaient Jean Mombaer,
Renier Koctken, Jean van den Wyngaerile, Jacques Oldenzael, Martin
de Zwolle et Jean Goch (4). Il ne pourrait en effet s'agir d'autres
Windesémiens venus dans la suite, soit pour la réforme de Saint-Victor,
soit pour toute autre cause. Le chroniqueur nous assure, en racontant
les événements de l’année 1497 à Saint-Séverin, que « les premières
années il fallut user de patience, comme mon expérience et celle des
autres en témoigne » (5). Il y était donc en 1497. Or, des six Windesé-
miens qui s'y trouvaient alors, les quatre premiers étant exclus, puis-
que la chronique raconte leur décès, restent Jean Goch et Martin de
Zwolle. Ecartons-les aussi. Divers documents des années 1502 à 1509
nous les montrent à Saint-Séverin, occupant respectivement les postes
de prieur et de sous-prieur. Dans une phrass assez embarrassée, le
chroniqueur parle des survivants de l'équipe réformatrice, qu'il ne veut
pas louer pour cette raison qu'ils sont encore en vie, sauf à dire « pro
magno praeconio laudis » que l’un est chargé de l'oflice de prieur,
l’autre de sous-prieur à Saint-Séverin (6). L'allusion est assez claire, et
confirmée par les Actes des chapitres généraux, Bibl. s. Gencv., 1841, f. 35v,
qui annoncent en 1518 la mort d’un Henri Vathen.er, procureur de Melun.
L'orthographe du nom diffère un peu, le prénom identique et la charge de
procureur qu'on lui attribue de part et d'autre montrert qu’il s’agit du même
personnage.
(x) F, 3v. — Ailleurs : « Deo inspirante et sancto Severinoillius monasterii
protectore » (f. 6v) et passim.
. (2) Bibl. S. Genev., 1919, f. 12v.
(3) Gall, christ. nova, t. VIL. col. 835 : « canonicus reg. e congregatione
Windeshemensi ». — AA. SS., febr. Il, p. 547, n° 23 : « Ab religioso Windes-
semensi isthuc.. adducto »,
(4) À. RENAUDET, Jean Standonck, p. 44. Il y avait de plus un convers,
Jean Willo, qui n’entre pas en ligne de compte.
(5) Liber de origine..…., f, 27. « Primis annis reformationis Sancti Severini
ut mihi et aliis mater expericntia testis est, patientia neccssaria fuit ».
(6) F. 48v : « De patribus nostris supcresse nihil laudis dicere vel scribere
volo. Hoc tamen sufficiat illis pro magno praeconio laudis, quia unus
LE CHRONIQUEUR DE SAINT-SÉVERIN. 460
il ne l’est pas moins, par suite, que le rédacteur ne peut être de ces
deux survivants dont il relève les titres.
Voici une autre considération de nature à les exclure, c'est que tous
deux songeaient à s'en retourner aux Pays-Bas. Médiocre disposition,
pour un chroniqueur, d’avoir les yeux et le cœur tournés d’un autre
côté. De plus, dès 1502, Martin de Zwolle était malade et son départ
doit se placer un peu après (1). Nous rencontrons Jean Goch pour la
dernière fois en 1509 (2). Il dut retourner, lui aussi, dans son couvent
d'origine, car il n’est fait mention de lui, ni dans les listes des défunts
dressées chaque année au chapitre général de France, ni dans le
pécrologe de Saint-Séverin.
Ruinons entin cette hypothèse en établissant que notre chroniqueur
est, comme M. M. Godet l’a bien vu, « un ancien disciple de Stan-
donck » (3). Les longues pages, bourrées de détails précis sur la vie
et l’œuvre de l’ardent réformateur de Montaigu, montrent qu'il a été
le témoin des faits, sauf dans les dernières années où il brouille les
dates (4). Voici mieux : Standonck est appelé « magister noster », notre
maître (0). Rien d'étonnant ; la plupart des recrues de la réforme
sortaient du collège de Montaigu (6).
C'est de 1à que venaient les trois postulants reçus à Saint-Séverin
vers la Pentecôte de l’année 1497 (7). Qu'on rapproche de ce renseigne-
ment les paroles rapportées ci-dessus et qui se lisent au folio suivant,
où notre chroniqueur fait entendre qu'il fut témoin de la pauvreté et
prioratus, alter supprioratus fungitur officio in Sancto Severino ». Une
lettre de Jean Goch, Bibl. S. Genev., 1149, f, 15V-16, raconte qu'il a donné
l’habit à Gilbert Fournier et rapporte en même temps sa mort, survenue le
19 juin, vers l'an 1504, d'après le Liber de origine, f. 34v, en l’an 1502,
d’après le Nécrologe de Saint-Séverin déjà cité, f. x3v. S'il donnait l’habit,
il était prieur. La même lettre donne à Martin de Zwolle le titre de sous-
prieur. Le 5 mars 1509, Jean Goch, prieur de Saint-Séverin, accepta au nom
de l’abbaye les nouveaux statuts approuvés par le légat Georges d'Amboise.
Cfr F. Boxnarp, Histoire de l'Abbaye royale et de l’ordre des chanoines régu-
liers de Saint-Victor, t. IL, p. 3. Paris, s. a., (1907).
(1) Peu de temps après la mort de Mombaer, soit au début de l’an 1502,
Martin de Zwolle écrivait à son prieur, aux Pays-Bas, une lettre découragée.
La maladie qui le tient et les difficultés de la réforme lui font désirer son
retour au pays. Bibl. S. Genev., 1149, f. 91-92v. Il reçut du prieur-supérieur
de Windesheim l'autorisation de rentrer dans son couvent d’origine. Même
ms. f. 40v-41. Jean Goch exprimait lui aussi le désir de retourner au pays.
Ibid., f. 16.
(2) Acte cité plus haut.
(3) Op. cit., p. 4, n. 2.
(4) Cfr M. Goper, op. cit., 1. c. A cette date le chroniqueur avait quitté le
collège de Montaigu pour Saint-Séverin.
(5) Liber de origine…., f. 32.
(6) A. RENAUDET, Jean Standonck, p. 55, 73.
(7) Liber de origine …, f. 26v. À. RENAUDET, Op. cit., p. 45.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 3°
470 MÉLANGES.
de la misère des débuts et l’on devra conclure qu'il était l’un des trois
premiers rejetons de la réforme. Ici encore le récit des travaux
et des épreuves de ces trois novices trahit un témoin oculaire. « Ils
avaient un rude maître qui les dressait aux exercices de piété, leur
apprenait à vaincre la paresse par des travaux manuels, parfois en
transportant des pierres ou de la terre, parfois en renversant de vieilles
murailles » (1). Et le reste, où il raconte l’irrégularité des repas, les
difficultés qu s'élèvent entre les réformateurs et l'abbé. Quel était ce
maître des novices en 1497 ? Renier Koetken, de qui le chroniqueur
rapporte un propos en ces termes suggestifs : & il avait accoutumé de
nous dire » (2). Ces mots se trouvent à l'endroit qui traite des emplois
-de sous-prieur et de maître des novices confiés à Renier Koetken à
Saint-Séverin en 1496-1497. Il en avait donc reçu sa formation reli-
gieuse, et nous sommes fondés à croire qu’il était des jeunes clercs
recrutés en 1497.
De ces trois jeunes religieux, l’un nous est déjà connu, Patrice
Ferri, mort en 1505, de qui mention a été faite, et qu'il faut exclure.
Sur les deux autres, les renseignements directs font défaut. Il sera
nécessaire d'employer ici un détour pour arriver à déterminer l’auteur
de notre chronique.
Rassemblons les données éparses dans ce manuscrit et voyons à qui
elles s'appliquent, parmi les nouveaux chanoines de Saint-Séverin que
les documents nous permettent de connaître.
Plusieurs ont pensé, on l'a vu, que notre chroniqueur était un
« allemand », c'est-a-dire un Windesémien. Ce qui les y a induits c'est,
peut-on croire, qu’il a tout l'air, à le lire, de n'être pas français. Voici
quelques indices qui ne laissent pas d'être significatifs. On a pu voir
‘qu’il échappe quelquefois à notre acteur de s'exprimer à la première
_personne. Jamais 11 n’en use quand il parle de la France. « In his
gallicanis regivnibus », dit-il (3). 11 cite, avec une nuance de mépris,
leur Pragmatique Sanction (4). Les frères, dit-il ailleurs, étaient mai-
grement nourris, à la manière des français, « more gallorum » (5).
L'église de Saint-Séverin était « horrible à voir, comme beaucoup
d'autres églises en France » (6). Voilà qui indique assez clairement que
(1) Liber de origine, f. 26v : « Erat eis magister satis strenuus deputatus,
qui cos exercitabat devotis exercitiis, labore manuum torporem refugere
edocebat, aliquando in lapidibus et terra deportandis, quandoque in antiquis
maceriis effringendis ».
(2) Liber de origine, f 32: « Dicere nobis solitus erat...» Ce passage est
tiré de la notice biographique de Renier Koetken. Immédiatement après,
notre chronique raconte le voyage dudit Renier à Windesheim en août-
septembre 1497.
(3) Liber de origine, f. 1.
(4) F. 24 : « Et in eorum pragmatica sanctione habetur ».
(5) F. 20v : « Erant iidem fratres frugaliter tractati pro more gallorum ».
(6) F,24v : « Horrori siquidem videntibus erat ecclesia Sancti Severini,
sicut multac aliae ecclesiae in Francia ».
LE CHRONIQUEUR DE SAINT-SÉVERIN. 471
le chroniqueur de Suint-Séverin n’est pas français. Il à soin de fsire
remarquer comment le personnel du monastère réformé a été recruté
de tou'es mains; « les uns venaient, nous dit-il, de Normandie, d’autres
de Bretagne, d’autres de Teutonie, d'autres de France » (1).
On peut mettre en fait que, dans cette énumération, le chroniqueur
n'a pas oublié sa patrie. Excluons la Normandie. Il s'exprime à deux
reprises avec trop peu de bienveillance sur ceux qui auraient été ses
compatriotes, et avec trop de curiosite sur leurs coutumes (2). Restent
la Teutonie, c'est-à-dire les Pays-Bas bourguignons, d'où venaient
lusieurs des jeunes religieux de Chäteau-Landon, et la Grande-Bre-
tagne. L'étude de la chronique ne permet pas de décider en faveur de
l'une ou l’autre de ces origines.
Ce qui nous aidera sans doute encore à reconnaître l’auteur, ce sera
de déterminer les maisons où il a fait séjour. La différence notable
qui se remarque entre les notices des monastères et certaines expres-
sions permettent d'établir qu’il à assisté aux premiers débuts de la
réforme de Saint-Séverin, comme il a été dit, de Cysoing, et qu'il a
résidé à Melun. De chacune de ces maisons et du prieuré de Beaure-
paire, qui dépendait de Cysoing, la chronique raconte l'histoire
complète depuis la fondation et décrit en détail la situation et les
propriétés. À propos de Cysoing, notre chroniqueur se prévaut de ce
que lui ont dit les anciens du monastére (3), il énumèére avec précision
certains usages que Renier Koetken y fit abolir, qu'il n'aurait pu con,
naître que très imparfaitement, s’il n'en avait été le témoin ; car ils
furent en vigueur trop peu de temps pour que la mémoire s'en conservât
dans un monastère que la réforme allait renouveler (4). Les péripéties
tragiques et burlesques de la réforme de Melun, les intrigues, les
escalades, les poursuites dans les combles, tout cela doit être sinon
d’un témoin, tout au moins d’un habitant bien au courant de la disposi-
tion des lieux (5).
Il en est autrement des pages consacrées à Livry. Point de notice
historique. À peine, sur la tin, quelques mots pour en décrire le site (6).
(1) F. 23 : « Adduxit (Deus) filios.. de longinquo, quosdam de Normannia,
quosdam de Britannia, quosdam de Teutonia, quosdam de Francia ».
(2) F. 57v : « Populus cautus secundum naturam regionis qui non facile
admittit extraneos, quia sibi mutuo favent, et mel in ore gestantes retro
pungere solcnt, et haec quia curtissime de reformatione... » Le chroniqueur
se répète peu après, f. 59. Il avait été lui-même employé aux réformes {les
prieurés normands; cfr f. 59v : « ut a curato huius loci mihi narratum est ».
(3) F. 37v : « Audivi ab eis ».
(4) F. 39.
(5) F. 47 ss. Il est question d’une salle dont les fenêtres donnent sur la rue,
d’une porte qui ne s'ouvre que de l'intérieur, d'une autre qui ne s'ouvre que
de l'extérieur, d’une fausse fenétre que l’on enfonce. Plus loin, de stalles
nouvelles montées dans le chœur, etc.
(6) F. 44.
472 MÉLANGES.
Pour appuyer son récit, dont il reconnaît les lacunes, notre chroniqueur
est réduit à rapporter des témoignages (1). Tout donne l'impression
qu'il n’y a fait, au plus, que de rapides haltes. À Saint-Séverin, au
contraire, à Cysoing, à Melun, il a eu le loisir de consulter les archives
et de s'y documenter. Ces déplacements ne doivent pas étonner. Au
début de la réfurme ils étaient fréquents. la chronique en rapporte
maints exemples.
A propos de Cysoing encore, remarquons un petit texte où le chroni-
queur dit que le compagnon du sous-prieur Renier, en cette abbaye,
était un nouveau profès (2). Nous en conclurons légitimement que le
chroniqueur, compagnon du vieux sous-prieur, avait prononcé les
vœux peu avant la mi-juin 14%, date de leur départ de Chäteau-
Landon pour Cysoing.
Signalons aussi les goûts littéraires et les soucis d’érudition de notre
rédacteur. Ces notices historiques dont nous venons de parler en
donnent 14 preuve. L'auteur s'est documenté dans les archives, aux-
quelles il se réfère parfois. Îl cite Platon, Aristote, Horace (3). Voici
des vers, attribués à ua & quidam » qui pourrait bien étre lui-même,
car il est soucieux de ne pus se fuire valoir (4).
l'erminons ce relevé par une dernière remarque. En certains pas-
sages, il apparaît bien que notre chroniqueur avait part au gouver-
nement religieux. À la suite de l'exhortation déjà relevée à l'adresse
de l'abbé de Cysoing on lit des conseils à ceux qui entreprennent des
(1) F. 32: «Ipse, sicut audivi»s. — F. 43 : « Audivi ab ipso abbate ». —
F. 44 : « Plurima alia contigisse non ambigo relatione non indigna quae me
fugciunt ».
(2) Liber de origine, f. 38v. — Il a été fait allusion à la mission dont notre
chroniqueur fut chargé dans les prieurés normands, On n’y revient pas ici
parce que de cette entreprise, qui ne dura guère, il ne reste aucun document
utile à notre enquîte.
(3) F. 52v : « Plato divinus ». — F. 32v, Aristote et Horace. Notre chroni-
queur a pu trouver ces textes dans quelque autre ouvrage, ce sont des
imaximes assez rebattues. Le fait qu'il les leur emprunte plutôt qu’à des
auteurs chrétiens ne laisse pas d’avoir son intérèt. Il cite des textes de
la Pragmatique Sanction, f. 24. Il renvoie à ses sources, f, 6v : « Repperi [in]
de Viribus illustribus domus Sancti Victoris », et il s'appuie sur les Statuts
de Saint-Victor conservés à Saint-Séverin. Ailleurs, f. 35, il écrit : « De isto
sancto Humberto nulla in Cysonio habetur memoria ». Il conclut l’histoire
de cette abbaye d'un ton de triomphe, car il y a donné des preuves à son
avis décisives de l'antiquité des chanoines réguliers, f, 35. On connait la
controverse à ce sujet entre les Chanoincs et les Ermites Augustins ; Mom-
bacr y était intervenu avec son Venatorium sanctorum ordinis canonicorum
regularium resté inédit.
(4) F. 53v et s. Quoiqu'il lui arrive de se trahir par des allusions à la
premiè-e personne, dont on a relevé plusieurs exemples, la règle du chroni-
queur cst de ne pas se mettre en scène. Ainsi, à propos des prieurés nol-
mands où il avait été envoyé, il dit : « aliqui fratres.., alii duo … » F. 58.
LE CHRONIQUEUR DE SAINT SÉVERIN. 473
réformes (1). Pour s'adresser de ce ton à un abbé, il fallait avoir soi.
même quelque titre et un rang officiels.
Notre enquête aboutit aux conclusions suivantes : le chroniqueur,
venu de Montaigu à Saint Séverin, en l’année 1497, n'est pas français
mais ou bien bourguignon, ou bien anglais, ou irlandais. [l a dû
habiter, outre Château-Landon, l’abbaye de Cysoing où il fut le com-
pasnon de Renier Koetken, et le prieuré de Melun. Son œuvre
témoigne de quelque goût littéraire et d'érudition, enfin certains pas-
sages trabissent, ce semble, un supérieur.
Les documents déjà cités nous livrent les noms de plusieurs des
jeuaes religieux de Château-Landon. Une lettre d’un novice de Livry
éoumère les noms d’Anüré. Pierre de la Terremolle, Patrice Ferri,
Barthélemy Dugourt, Jean Vermelle (2). Le document qui les nomme
les exclut également. Cette lettre, non datée, est postérieure de fort
peu au 21 novembre 1499 ou 1500. C'est à ce jour, en effet, que les
jeunes novices destinés à Livry y furent conduits par Mombasr (3). Or,
notre chroniqueur, nous l'avons vu, se trouvait à Cysoing depuis le
mois de juin 1499 et y demeura après le départ de Renier Koctken, qui
rejoignit Mombaer à Livry vers l’Assomption 1500 (4). D’autres raisons
encore les font écarter ; Patrice Ferri et Jean Vermelle, parce que la
chronique raconte leur décès; Pierre de la l'erremolle était entré à
Saint-Séverin avant la réforme et paraît avoir quitté l’abbaye (5);
André est mort avant le chapitre de 1522, trop tôt pour écrire cette
apostrophe au nouvel abbé deCysoing dont il a été question plus haut (6).
(x) F. 4r.
(2) Bibl. S. Genev., 1140, f. 107 : « Fratrem Andraeam, fratrem Petrum,
fratrem Patritium, fratrem Bartholomaeum et Joannem secundum nominis
interpretationem in quo est gratia (Vermelle) Cameracenses scilicet omnes
ibidem habitantes ». Cette liste ne donne que les prénoms; d’autres docu-
ments, spécialement les notices nécrologiques, y ajoutent les noms ou
surnoms. Le jeune auteur de la lettre se trompe sur la patrie de plusieurs de
ceux qu’il appelle « cameracenses »; Jean Vermelle était douaisien, du
diocèse d'Arras, Barthélemy Dugourt de Paris. Cfr Liber de origine, f. 49V;
Nécrologe de Saint-Séverin, Arch. de Seine-et-Marne, H 60, f, 9v et 4v.
(3) Liber de origine, f. 42v. Notre chroniqueur, à son ordinaire, n'indique
pas l’année, mais cette véture eut lieu en la fête de la Présentation qui
suivit de peu l’élévation de Mombaer à la dignité d’abbé de Livry, soit en
1499 ou 1500. Ce n’est pas ici le lieu de discuter la date précise, cette appro-
ximation suffisant à notre sujet.
(4) Liber de origine, f. 39v et 33. Bibl. S. Genev., 1150. f. 6.
(5) Bibl. S. Genev., 1149, f. 67v-68, lettre de Philippe Hodoart, péniten-
cier de Sens, qui le protégzait. Une autre lettre dit à son sujet : e Petrus con-
frater vester vult ire retro .. » Bibl. S. Genev., 1140, f. g8v. Le Nécrologe de
Saint-Séverin ne cite pas son nom, ni les Actes des chapitres généraux.
(6) Les Actes de cette année contiennent l’annonce nécrologique de deux
André. Bibl. S. Genev., 1841, f. 50.
474 MÉLANGES.
Barthélémy Dugourt est cité dans le nécrologe de Saint Séverin avec le
titre de « presbyter parisicnsis » (1).
Tous ceux-là écartés, il reste un nom, celui de Guillaume Gregory,
que citent divers documents. C’est sur lui que convergent tous les
indices relevés au cours de cette étude.
Le nécrologe de Saint-Séverin note qu’il était né outre- Manche
« scotus natione » (2). Plusieurs de ses lettres sont conservées. Dans
l'une d'elles il prie Mombaer, son correspondant, de saluer « ses frères
du collège de Montaigu, Maître Client et les autres » (3). Ces expres-
sions montrent non seulement qu'il était en relations avec ce collège,
mais qu'il avait fait partie de la communauté des pauvres clercs
appelés ici ses frères.
Qu'il ait été des premiers novices reçus à Saint-Sévérin, en 1497,
aucun témoignage explicite ne le prouve. Mais voici qui l'établit. Le
20 mai 1499, Philippe Hodoart, pénitencier de l’archevêché de Sens,
dont dépendait Saint Séverin, envoie des dimissoires pour permettre à
plusieurs clercs de l’abbaye de recevoir les ordres aux Quatre-Temps
de Pentecôte, le samedi suivant, 25 mai. Il ajoute : « le frère Guillaume
Gregory recevra les ordres mineurs en même temps que la tonsure » (4).
Il était donc profès à cette date. Les constitutions de Windesheim,
scrupuleusement observées à Saint-Séverin, interdisaient de promou-
voir les novices aux ordres, fût-ce aux ordres mineurs (5). Profès en
avril ou mai 1499, cela suppose la vêture au jour correspondant de
l’année 1498. Celle-ci était précédée de plusieurs mois, voire d’une
année de cléricature. Jean Busch raconte qu'il resta dix-huit mois dans
(1) Arch. de Seine-et-Marne, H 60, f. 4v.
(2) Ms. cité, f. 1x3v : « Item fratris nostri Gulielmi Gregorii... » En marge :
« Hic fuit Scotus natione, et post nostrae domus reformationem fuit secundus
prior domus nostrae sancti Salvatoris Meldunensis ». Gregorii traduit, ce
semble, le nom anglais assez répandu de Gregory.
(3) Bibl. S. Genev., 1140, f. 95v-96 : « Poteritis me commendare fratribus
meis.. in Collegio Montis Acuti, Magistro Clienti et aliis ».
(4) Bibl. S. Genev., 1149, f. 68 : « Frater Gulielmus Gregorii una cum
tonsura minorces ordines accipiat ». Cette lettre cst datée simplement : « die
lunae, ex Senonis ». Il s'agit du lundi de la Pentecôte, et la lettre vise les
ordinations du samedi suivant, la présentation des ordinands devant se faire
« Veneris proxima », ct Hodoart annonçant son déplacement « in proximo
Sacramenti festo ». L'an est 1499, non pas 1500, puisque à cette date Jcan
Standonck était en exil tandis que la lettre le suppose à Paris, et Guillaume
Gregory était à Cysoing. Cfr A. RENAUDET, Jean Standonck, p. 62 ss. et plus
bas, page suivant”.
(5) « Novitii ante professionem suam non debent ad ordines aliquos nec ad
minores quidem promoveri ». Dans les statuts de Windesheim, pars III,
cap. [. Bibl. royale, Bruxelles, ms. 11224, f. 47 v.; dans ceux de la Congré-
gation réformée de France, ce chapitre est le premier du livre II, Bibl.
S, Gencev., 2963, f. 35 v.
. LE CHRONIQUEUR DE SAINT-SÉVERIN, 479
cette situation (1), — cela nous reporte à l’année 1497. On peut croire
qu'au début de la réforme, après la désagréable expérience des deux
premiers clercs qui les avaient quittés, les supérieurs de Saint-Séverin
ne s'étaient point hâtés de donner l’habit à leurs nouvelles recrues.
Autre indice. Guillaume Gregory fut le compagnon de Renier Koetken
” dans la réforme de Cysoing, à partir de juin 1499. Rendant compte de
sa mission à Jean Mombaer, le sous-prieur décrivait l’activité de son
compagnon. « Il y a ici dix jeunes religieux, écrivait-il; notre frère
Guillaume Gregory est mis à leur tête... Tandis que nous le détestions
à cause de sa conduite, ils le véoérent. On l’a commis au soin du
vestiaire et du réfectoire » etc. (2)
De Cysoing, Guillaume écrivait lui-même des lettres dont plusieurs
ont été conservées. L'une contient des notes sur la fondation de
Cysoing (3), une autre se termine par une épître en vers (4). Les actes
du chapitre général en rapportant sa mort feraient l'éloge de sa science
et de son érudition (5). Ces traits conviennent à l’auteur du Liber de
origine... de qui on à noté les exercices littéraires et les essais
historiques.
Cet auteur paraît aussi, à de certaines remarques, à de certaines
réflexions, avoir occupé des charges de supérieur. À deux reprises, en
1599 et 1510, Guillaume Gregory est désigné par le chapitre général
pour visiter canoniquement l’abbaye de Livry. Le même chapitre de
l’année 1510 l'appelle à faire partie du « chapitre privé » ou conseil
du supérieur général (6). Entin il occupa la charge de prieur du couvent
de Melun (7). |
Notre Guillaume Gregory avait un cousin de même prénom et de
même nom, son condisciple au collège de Montaigu, qui devint carme.
Une lettre datée d'Albi fait part de son élévation à la charge de sous-
prieur. Il y est fait allnsion à un certain Thomas Stewart, « leur com-
(x) JEAN Buscu, Liber de reformatione monasteriorum, L. I, cap. II.
Er. K. GRUBE, p. 395. Halle, 1887.
(2) A. RENAUDET, Jean Standonck, p. 55. Bibl. S. Genev., 1149, f. 26 v. :
« Decem iuvenes inter quos frater noster Gulielmus Gregorii caput est. Et
sicut nos detestabamur eum propter mores, sic illi eum vencerantur, et consti-
tuerunt eum vestiarium et refectorarium ». Le vieux sous-prieur était d’un
zèle assez amer.
(3) Bibl. S. Gencv., 1140, f. 95 v. 96.
(4) Ibid. f. 98.
(s) Bibl. S. Genev., 1841, f. 94 : « Vir sanctitate et scientia literarum
insignis ».
(6) Ibid., f. xx v. et 14.
(7) On a lu plus haut le texte du Nécrologe de Saint-Séverin. Il est con-
firmé par les actes déjà cités aussi des Chapitres généraux, bibl. S, Genev.,
1841, f. 94.
476 MÉLANGES.
patriote (1). Ce nom est assez anglais pour servir de confirmation à ce
qui a été dit plus haut de la nationalité de Guillaume.
Nous n'avons pas d’autres détails sur la vie et l’activité du chroni-
queur de Saint Séverin. Il mourut prieur de Melun en juin 1530 (2).
Si l’on songe que seul de tous les jeunes religieux de Saint-Séverin,
Guillaume Gregory réunit en sa personne les données diverses que la
chronique fournit sur son auteur, — qu’il n’était pas français, que venu
du collège de Montaigu à Saint-Séverin en 1497, il était à Cysoing en
1499, qu'il fut ensuite au prieuré de Melun, et le reste, on sera fondé à
croire qu’en célébrant son activité littéraire le chapitre général visait
non pas tant ses distiques que l’importante chronique où la réforme
était racontée. PIERRE DEBONGNIE, C. SS. R.
(1) Bibl. S. Genev., 1149, f. 114 V.-115.
(2) Cette date s'obtient par la combinaison des Actes des Chapitres
généraux, — c’est au printemps de 1531 que sa mort est annoncée, — et du
Nécrologe de Saint-Séverin qui en fait mémoire au mois de juin. Mss. cités
plus haut.
COMPTES RENDUS.
Don MARIANO ALOCER MARTINEZ. Archivo General de Simancas. Guio
del investigador. Valladolid, 1923.
Sous la forme d'un élégant volume, d'un peu plus de 200 pages,
illustré d'une douzaine de photographies, vient de sortir des presses
de la Maison sociale catholique de Valladolid, un guide des archives
de Simancas. L'auteur, le nouveau conservateur en chef de ce dépôt,
D. Mariano Alocer, explique dans la préface que son travail n'est ni
ua inventaire systématique, ni un exposé historique. Ce qu'il a voulu
faire, c'est donner au chercheur un guide pour ses premières investi-
gations, un moyen de se renseigner sur la question de savoir si le
dépôt de Simancas contient des documents relatifs au sujet qui l’oc-
cupe, et éventuellement dans quelle collection se trouvent ces docu-
ments. |
Dans quelle mesure ce but a-t-il été atteint ?
Le lecteur étranger — et c’est bien à lui que le Guio semble destiné
particulièrement — est bien perplexe devant cette question. Seul un
archiviste de Simancas ou un client habituel du dépôt, qui a pu par
expérience personnelle acquérir une connaissance assez étendue de
l'origine, de la composition, de l’état de classement des diverses col-
lections, serait à même de donner à la question posée ci-dessus une
réponse autorisée. Tout autre se confinera dans une neutralité bien-
veillante. Il le fera d'autant plus facilement que le directeur de
l'Archivo Historico Nacional de Madrid, D. Joaquim Gonzalez, écrit
dans l’avant-propos très élogieux, qui se trouve en tête du volume,
que le guide de D. Mariano est une photographie tidèle et réelle de
cet incomparable dépôt d'archives, le plus ancien et le plus homogène
de tous les dépôts espagnols.
Le Guio comprend deux parties. Le tableau sommaire des viagt-huit
sections dans lesquelles se trouve repartie la masse énorme des
registres et liasses conservées à Simancas et une table onomastique
et systématique, destinée à faciliter les recherches. Cette dernière
partie est, aux yeux de l’auteur, d'importance capitale, car, dit:il, elle
permet de retrouver instantanément les sections et leurs subdivisions.
Les 28 sections sout les suivantes : 1) Patronat royal, 2) Patronat
ecclésiastique, 3) Maisons royales et personnes royales, 4) Chambre de
Castille, 5) Conseil royal de Castille, 6) Secrétairerie d'Etat, 7) Secré-
tairerie de Grâce et de Justice, 8) Secrétairerie de Guerre et de Marine,
9) Secrétairerie de Guerre, 10) Sccrétairerie de Marine, 11) Ancien
conseil des finances, 12) Contadorie de la croix, 13) Contadorie ma-
jeure, 14) Contadorie des soldes militaires, 15) Contadorie des mer-
478 COMPTES RENDUS.
cèdes, 16) Contadories générales, 17) Direction générale des revenus,
18) Direction générale du trésor, 19) Expedientes, 20) Enregistrement,
21) Secrétairerie des finances, 22) Superintendance des tinances, 23)
Grand tribunal des comptes, 24) Secrétairerie provinciale, 25) Rap-
ports d'Italie, 26-28) Appeundices.
Les 25 premières sections semblent bien correspondre chacune à un
fonds d'archives, c'est-à-dire à l’ensemble des documents reçus ou créés
par une administration distincte. Il eut été souhaitable pourtant que
la chose fut indiquée plus explicitement. Si elle est toute évidente
pour la secrétairerie d’État, ou le Conseil royal de Castille, on désire:
rait savoir pourquoi les secrétaireries provinciales de Naples, de
Sicile, de Milan, de Flandre,et de Portugal ne constituent pas autant
de fonds distincts. On se demanile aussi de quelle institution émanent
les Rapoaorts d'Italie.
Aussi regrettable nous paraît l'absence de toute indication histo-
rique sur les diverses institutions dont les archives défilent sous nos
yeux. Qu'est-ce exactement que le Patronat royal ? Quelles étaient les
attributions des diverses contadories ? Comment le lecteur p'ut-il
savoir, que la secrétairerie de Flandre est en réalité la secrétairerie
du Conseil suprême de Flandre et de Bourgogne, établie à Maiürid par
Philippe 11 ? Comment saura-t-il que dans les archives de cette secré-
tairerie, il ne trouvera d'indications que sur les questions de politique
intérieure, nominations, affaires religieuses, économiques — tout ce
que les documents de l’époque appellent negocivs de particulures —,
tandis que ce sont les papiers de la Secrétairerie d'Etat qui l’initieront
à la politique secrète des rois d'Espagne, non seulement dans la Pénin-
sule, mais aussi dans les provinces comme les Pays Bas. Dans l’un et
dans l’autre de ces deux fonds, on trouve une correspondance du roi
avec les gouverneurs des provinces, mais n’eût-il pas été intéressant
de rappeler que la correspondance, contresignée par le secrétaire
d'Etat, était la correspondance secrète, écrite en espagnol signée
Jo el Rey tandis qu'à la secrétairerie de Flandre, le roi signait Philippe
ou Charles et qu'on y faisait usage du français ? Une brève notice
historique indiquant l’origine, les attributions et l'évolution de l'insti-
tution qui à donné naissance au fonds d'archives, nous paraît aussi
indispensable à un guide qu'à un inventaire.
Le Guio ne se borne pas à énumerer les collections, il prétend aussi
éclairer le lecteur sur les différentes séries de documents qui consti-
tuent chacune d'elles.
Ces indications re pouvaient être que fort sommaires ; il semble
assez probable d'ailleurs que l'auteur ne renseigne que les séries les
plus importantes. On regrettera l'absence de tout renseignement sur
l'importance numérique de chaque série. Ce qui sera par contre par-
ticuliérement bien accueilli, c'est l’'énumération de tous les inventaires
manuscrits exécutés par les archivistes de Simancas pour chacune des
collections contiées à leur garde,
C. R. BORLAND : CATAL. OF WESTERN MEDIAEVAL MANUSCRIPTS. 479
L'examen du travail de D. Alocer, considéré dans son ensemble,
suggère les deux observations suivantes : 1) Le dépôt de Simancas est
décidément un dépôt tout particulier, auquel aucun de nos dépôts
_ belges ne saurait être comparé. Il ne comprend, en effet, que des docu-
ments l'intérêt général, qui doivent leur existence à des institutions
politiques, à des rouages de l'administration centrale. Dans nos dépôts
belges, à Bruxelles aussi bien qu'ailleurs, se trouvent de multiples
collections d'intérêt particulier ou local, archives d'institutions reli-
gieuses, greffes scabinaux, protocoles de notaires, ete. À Simancas, il
p'y a que des papiers d'Etat ; 2) Ce dépôt n'est réellement important
que pour l'époque moderne.
Pour les trois cents ans qui vont de l’avènement de Charles-Quint
à la destitution de Charles IV et de Ferdinand VII, les documents de
Simancas sont une mine inépuisable de renseignements pour l’histoire
politique et militaire de la monarchie espagnole, de l’ensemble die ses
possessions italiennes, belges et américaines et de tous les pays qui
ont eu maille à partir avec les rois catholiques, c'est-à-dire l'Europe
entière. Il serait oiseux de répéter, après tant d'autres, que c’est là en
rarticulier que nous, Belges, devons chercher les matériaux permettant
de retracer nos annales des xvi° et xvire siècles. On peut donc dire
que tout ce qui contribue à faire mieux connaître l'antique dépôt de
Simancas, à en faciliter l’accès, à accélérer le travail de nos compa-
triotes qui s’y rendraient, contribue par le fait même au progrès des
études historiques belges. De ce chef l'instrument de travail de D. Alo-
cer, tout imparfait quil soit, sera le bienvenu chez nous.
JoskPrH LEFÈVRE.
CATHERINE R. BorLanp, M. À. À descriptive catalogue of the Western
mediaeval Manuscripts in Edinburgh University Library. Édim-
bourg, University press, 1916. In-8, xxx-399 p.
Les événements des dernières années n’ont pas permis de donner à
ce beau catalogue toute l'attention que méritent le fonds qu'il décrit
et le soin minutieux dont a été entourée son élaboration. L'auteur,
bénéficiaire d’un Carnegie Research Fellowship, a pris comme modèles
les catalogues de Montagu Rhodes James, si hautement appréciés de
tous ceux qui ont travaillé dans les bibliothèques de Cambridge : c’est
dire qu'elle était à bonne école. D’autres noms, comme celui de
M. Liodsay, bien connus de tous les fervents de la philologie latine
médiévale, se rencontrent dans la liste de ceux qui ont aidé l’auteur
de leurs conseils et de leurs informations. Tout cela, de prime abor“,
pous donne l'asurance que l'université d'Édimbourg avait placé en
bonnes mains la confection de son catalogue.
L'examen du volume confirme cette appréciation. La description
matérielle des manuscrits, la collation, l'étude minutieuse du contenu,
480 | COMPTES RENDUS.
l’heureuse disposition des divers caractères typographiques, le relevé
des indices de provenance et des détails de paléographie ou d’orne-
mentation, — car le fonds est riche en volumes à miniatures et lettrines
« tornées au pincel », — tout a été poussé avec un soin extrême. :
L'impression du volume, digne en tous points de ce que nous sommes
habitués à voir sortir de l’University Press, est rehaussée par une
abondante illustration hors texte, qui comprend 24 reproductions.
Le fonis latin de l'University Library est de contenu moins étendu
que choisi et de formation récente. S'il ne se présente pas à nos yeux
nimbé dans l'auréole du passé, comm’ ces vieux fonds d'abbayes qui
ont traversé dix ou douze siècles sans sortir de leur Libruria, il éveille
un intérêt de saveur spéciale par la seule diversité des provenances
dont l’auteur du catalogue a habilement relevé tous les vestiges : nous
avons là sous la forme d'un commentaire vécu tout un chapitre des
Wanderings of manuscripts, dont récemment M' Rhodes James donnait
un si intéressant croquis. Singulière destinée de ces témoins du passé
dont quelques-uns, par un caprice du hasard, échappent à la destruction
et après moult pérégripatious depuis l'Italie (Sienne), la Thuringe
(Erfurt), les îles de l'Atlantique, les Pays-Bas (Louvain) ou la France,
finissent par être abrités dans un dépôt public et arrachent peut-être à
l'oubli des auteurs ou des œuvres disparus dans leur pays d'origine !
Si la grande partie — les deux tiers au moins — des acquisitions est
récente, postérieure à 1825 et surtout à 1846, il faut rappeler cependant
ce trait curieux de la première formation du fonds dans les deux
premiers siécles de son existence : des 31 manuscrits entrés avant
1767, un bon nombre proviennent de dons, ou des cotisations en nature
qu'exigeait Le réglement de 1636 ; aux termes d’un article, les habitants
de la ville qui n'avaient pas passé par le Town's College ne pouvaient
béaéticier de s1 bibliothèque qu'après lui avoir procuré un volume
manuscrit ou imprimé.
Les achats, le legs de [a collection Laing en 1873, — plus de la
moitié de l’ensemble, — et les autres modes d'acquisition, ont eu
comme résultat de mettre sur pied une collection imposante et variée
de 20 manuscrits latins. La partie ecclésiastique ou religieuse y
représente l'apport le plus considérable, caractéristique habituelle des
vieux fonds médiévaux : liturgie et dévotion privée, 43 pièces;
théologie, 48; droit civil et canonique, 27; médecine, 17; histoire, 17;
littérature, philosophie, livres scolaires, 5 ; il faut y joindre quelques
fragments et une douzaine de manuscrits grecs. L’épithète de
médiéval, com ne 1e fait remarquer l’auteur, doit s'entendre au sens
large, un certain nombre de pièces datant seulement du xvi® siècle ;
peu de manuscrits sont antérieurs au x111° siècle.
La collection est surtout remarquable par le beau groupe de ses
livres liturgiques ; signalons un remarquable psautier celtique d'origine
présumée écossaise, et s'il en est réellement aiosi, un des plus anciens
du genre, deux bréviaires de l'usage de Sarum, quelques imposants
C. R. BORLAND : CATAL. OF WESTERN MEDIAEVAL MANUSCRIPTS. 48l
livres de chœur, le magnifique livre anglais d'Horae dit St Katherine
Book of Hours, et quelques fragments, de date plus ancienne.
Du point de vue historique, quelques numéros sont précieux : des
missives de Richard II et d'Henri IV, une chronique écossaise, des
fragments en vers sur Le règne de Philippe-Auguste. Pour l'histoire de
la culture et de l'instruction en Ecosse, l’auteur apporte par l’ensemble
de son catalogue une contribution intéressante ; l'on ne peut que la
louer d’avoir relevé avec un soin jaloux, ou mieux con amore, tout ce
qui pouvait das les manuscrits décrits intéresser l'Écosse de loin ou
de près ; c’est aussi un des aspects instructifs de son introduction.
Les amateurs de la littérature chrétienne et de l’histoire des doctrines
et des croyances verront avec intcrêt la mention d'un nouveau
manuscrit d'Hermas s'ajouter à la liste des témoins médiévaux du
Pasteur ; inconnu à Lightfoot, à von Gebhardt et à Harnack, il se
rattache, semblet-il, à la versio vulgalu et non à la palatine, pour
autant que les courts éncipit et desinit permettent une appréciation.
Cette fois Le texte du Pasteur, du x1v° siècle, ne se présente pas dans
ua manuscrit biblique, mais dans un volume qui contient aussi le
De Trinitate de Richard de Saint-Victor. Ce qui en augmente pour nous
l'intérêt est sa provenance même : il à appartenu jadis aux Augustins
de Saint-Martin de Louvain. D’autres pièces qui mériteraient attention
sont quelques apocryphes bibliques, que l'auteur a très sagement
groupés dans sa table alphabétique, comme quelques lettres du Christ,
un fragment du Liber Adae traduit en anglais (n. 218, 7, p. 310), etc.,
un sermon sur la conception de la Vierge, une pièce sur les neuf glaives
de douleurs de la Vierge, un certain nombre d'ouvrages ascétiques
néerlandais, etc. Plusieurs de ces pièces ne sont pas inédites.
Habituellement, au cours de sa description, l’auteur n'indique pas si
l'œuvre a déjà été publiée. Les recherches souvent considérables
qu'eùt exigées ca travail auraient pu se combiner avec celles que
demandait l'identification de beaucoup de pièces dont nous allons
parler. Parmi les inédits, mentionnons entre autres les nombreux
traites du Chartreux Jean de Indagine, écrivain fort fécond du milieu
du xv° siècle (n. 71, 119, 153, etc.).
L'identilication des anonymes et des pseuilépigraphes dans la partie
théologique n’a pas tuujours été poussée aussi loin que le faisait espérer
le soin minutieux qui à accompagné la description. Il faut reconnaitre
d’ailleurs que c’est là une des tâches les plus ardues dans la confection
des catalogues et sans une longue accoutumance à cette littérature mé-
diévale, disons même, sans une pointe d’audace, il n’est pas possible de
s'aventurer dans ce fouillis avec l'espoir d’en éclairer tous les recoins.
Signalons rapidement quelques-unes des principales omissions : Île
Compendium theologicae verilaus (n. 73, 74, 112; p. 23 et 125-126,
178-179) a diverses attributions dans les manuscrits mêmes, qu’on ne
retrouve pas à la table alphabétique. L'anonymat du n. 72 (p. 123)
n'est pas résolu. Le Liber de Sacramentis, mentionné au n. 76, 2 (p. 128),
482 COMPTES RENDUS.
est en réalité Le livre IV du commentaire de S. Bonaventure sur les
Sentences. A Thomas de Cantimpré revient le Bonum universale de
apibus qui eut tant de célébrité au moyen âge (n. 78, 3; p. 131). Le
De arrha animae faussement attribué par le scribe à S. Augustin
(0. 78, 7; p. 131) est de Hugues de Saint-Victor ; un autre exemplaire,
mais incomplet, s'eu trouve avec nom d'auteur au n. 89, 4 (p. 144).
L'auteur de la Légende dorée (n. 89, 6; p. 144), Jacques de Voragine,
devrait être mentionné ailleurs encore qu'à la table finale. L’Armandus
cité en tête du De dectaratione dificilium... nominum est Armand de
Bellovisu ou de Beauvoir. Le frauciscain Fr. Mayron (n. 112,3; p. 178)
mérite que son œuvre soit mise sous son vrai nom, etc. D'autres pièces
(u. 112, 113 etc.) reviennent à Denys le Chartreux ; un De doctrina
cordis pourrait appartenir au domipicain Gérard de Liége, ete. La
table alphabétique n'est pas toujours complète, ni toujours tidèle à la
conception méthodique qui doit présider à sa coufection. Nous en
avons déjà signalé quelques lacunes miuimes. Denys le Petit, traduc-
teur du De conditione hominis de Grégoire de Nysse (n. 10, 2, p. 158),
est absent de la table, tandis que nous y voyons figurer Robert Grosse-
teste pour sa traduction du Testament des XII Patriarches (n. 67;
p. 117). Albert le Grand n'est pas mentionné pour le Compendium
theologicae veriluus qui porte sou nom (n. 33; p. 124), ni Vincent de
Beauvais pour un extrait de son Speculum historiale \n. 112, 4; p. 178).
L'Hisloria scolastica üe Pierre Comestor, traduite en français par
Guiart des Moulins, aurait dù être signalée au nom de sun auteur aussi
bien qu'à celui de son traducteur (0. 18; p. 24).
Les anonymes sont tous groupés sous une seule rubrique : Anony-
mous. Cela n’est pas à condamner; mais pourquoi ue pas avoir suivi
dans Îcur classement l’ordre alphabétique ? L'auteur les à rangés
d'après le numéro d'ordre des manuscrits, autrement dit, d’après les
pages de sou catalogue, ce qui oblige à tout lire et complique les
recherches. Une autre remarque tombe sur le libellé des éncipit : autre
question qui doit être résolue par une conception méthodique ferme-
ment appliquée. Or, trop souvent nous avons ailaire à un éncipil
amorple ou imprécis, comme uu texte biblique, qui ne permet pour
le sermon ou le traité qu’il introduit, aucune possibilité d’identitica-
tion : tel est le cas, entre autres, du Cordiale (n. 113, 19, p. 182); ou
bien nous n'avons que l’incipit d'une préface, comme pour les Quatluor
libri Sententiarum abbreviati (n. 112, 5; p. 178), ce qui ne nous dit
pas si nous avons sous les yeux l’abrégé de Bandinus, de Gandulphe
ou quelque autre abréviateur. Et s’il est permis d’énoncer une
remarque genérale ou de formuler un désir, en prenant congé de ce
beau volume, fruit d'un consciencieux travail, pourquoi ne pas nous
donner la table des tncipit à la fin de tout catalogue de ce genre ? Ce
serait rendre un service immense à tous ceux qui ont à manier les
manuscrits mediévaux. Eu mème temps que l’identitication des pièces,
J'énorme travail d'un relevé général des incipit, dont on a parlé à
DIETLEF NIELSEN : DER DREÏEINIGE GOTT. 483
diverses reprises et tout récemment encore au Congrès international
d'Histoire de Bruxelles, en serait considérablement facilité ; ce
serait un premier acheminement vers sa réalisation, d'ordre essen-
tiellement pratique et sous sa forme la plus accessible et la moins
dispendieuse. J. DE GHELLINCK, S. J.
Dierier NieLsEN. Der dreteinige Gott in religionshistorischer Beleuch-
tung. T. 1 : Die drei güttlichen Personen. Copenhague, Gylden-
dalske Boghandel, 1922. In-8, x-472 p. avec grav.
Jusqu'ici M. Nielsen s'était adonné à des travaux spéciaux sur Île
panthéon de l'Arabie du Sud. C’est en partie le résultat de ces études
qu'il veut mettre à profit dans le présent ouvrage, qui est une œuvre
de vulgarisation. L'auteur y évite l'emploi des caractères sémitiques,
traduit toutes ses citations de textes anciens, vise et réussit à donner
un exposé accessible à tous, et y joint une abondante illustration.
Des l'épigraphe de son livre, M. Nielsen nous avertit qu'il est indé-
pendant de tout système dogmatique. Ce n’est pas toujours une recom-
maodation en matière d'histoire des religions. |
Après bien d’autres, l’auteur entreprend d'expliquer la différence,
qu’il juge radicale, entre le christianisme des évangiles synoptiques,
d'une part, et celui de S. Paul et de S. Jean, de l’autre. On a souvent
eu recours à l’idée d'emprunts faits par le christianisme primitif à des
religions sémitiques autres que le judaïsme, et à bon droit, pense
M. Nielsen. Mais l'on s’est grandement fourvoyé en voulant voir dans
la religion babylonienne la source première des éléments empruntés.
La religion babylonienne est compliquée, très différeuciée, secondaire.
L'origine de la religion des Sémites doit se chercher ailleurs et plus
haut (car l’auteur trouve qu'il existe entre les diverses religions des
peuples séraitiques assez d'éléments communs pour qu’on puisse les
traiter comme un fond unique, comme un tout). Comment atteindre
l'état primitif de cette religion ? Le reconstituer par conjecture est
hasardeux. Nous avons mieux. Nos sources nous font connaître une
forme de religion sémitique fruste, sans emprunt babylonien et con-
tenant les divers thèmes communs aux autres : c’est la religion de
l'Arabie du Sud. Elle représente le stade primitif de la religion des
Sémites de l’histoire, les seuls dont l’auteur s'occupe. Retracer l’évo-
lution complète de cette forme religieuse en la conduisant jusqu’au
moment où ce courant se fondit avec celui qui était issu de Jésus de
Nazareth, tel est le but que l’auteur se propose. Selon une loi univer-
selle, les stades de ce développement religieux seront solidaires de
ceux du développement de la civilisation générale, en l'occurrence,
successivement le passage de la vie nomade à la vie agricole et l’inva-
sion de la cuiture hellénique. À raison du caractère conservateur des
religions, on peut s'attendre à retrouver à chacun des stades les thèmeg
4g1 - COMPTES RENDUS.
essentiels de la religion primitive nomade, mais transposés dans le
ton de la période nouvelle.
Telle est la méthode (Introduction, p. 1-35) que l’auteur va suivre
dans l’étude des conceptions des Sémites sur la divinité. Celles ci se
raméperaient essentiellement à la croyance en une seule triade divine.
Ce premier volume est consacré aux membres de cette triade considérées
comme personnes. Un second en traitera comme principes naturels.
Avaat cela et dans une première partie du présent volume, l’auteur
montre ce que donne l'application de sa méthode à l'histoire de
certains rites, la communion et le baptème, et de certaines fêtes,
Pâques et Noël, faisant tout dériver du monde sémitique ancien.
Retenons seulement son idée sur les origines de l'Eucharistie. A part
l'identification pure et simple du dieu avec un animal, donc à part le
totémisme (p. 138), l’auteur admet la théorie de R. Smith sur le sacritice
chez les Sémites : la communion, forme primitive du sacritice, le sacri-
fice expiatoire, forme postérieure. Le principal mérite de ce système,
pense M. Nielsen, c’est d'avoir montré l'importance pour ces peuples
de l'idée de la parenté physique des fidèles avec le dieu et de son
renouvellement par le repas sacrificiel. R. Smith n'avait pas fait
d'application directe de sa théorie à la cène chrétienne. M. Nielsen va
résolument de l'avant. Selon la dogmatique chrétienne, dit-il, la cène
est sans doute un sacrifice expiatoire, mais dans la pratique, et c’est ce
qui importe pour l'histoire, elle est une communion. Or, si la conception
du repas prédomine, c’est qu’elle est une survivance tenace de l’ancien
sacrifice arabe, c'est un cflet du caractère conservateur des religions.
L'auteur en donne une preuve : chez les Sémites anciens, le sang de la
victime était réservé au dieu lui-même; de même, dans l'Eglise catho-
lique, le prêtre seul, représentant de Dieu, peut absorber le sang
consacré (p. OÙ).
Dans la seconde partie, l’auteur aborde les conceptions de la divinité :
la théologie des peuples semitiques se ramèue, dit-il, à la croyance en
une famille divine unique, un dieu père, une déesse mère, un dieu fils.
C'est sous cette forme que tous ces peuples se sont représenté les
divinités astrales auxquelles s’adressait leur culte, la lune, le soleil,
la planète Vénus. De cette famille divine, le clan est issu par voie de
génération naturelle, chacun de ses membres étant tils du dieu père et
de la déesse mère et frère du dieu fils, comme le prouvent de nombreux
noms propres personnels des Sémites. À quelques différences près entre
les Sémites du Sud et ceux du Nord, ditférences qui tiennent au passage
de la vie nomade du clan à la vie agricole de la nation, la conception
d'une telle trinité se retrouve identique chez tous ces peuples. A
l'intérieur de chacun d'entre eux, les multiples noms de dieux ne sont
que des dénominations locales ou qualitatives différentes de l’un ou
l'autre des membres de la triade divine. Ainsi, à Babylone, Marduk,
Ninib, Nabu, Nergal, lamuz, Saru, Bel, Ah, ne sont que des noms
divers du dieu fils.
DIETLEF NIELSEN : DER DREIEINIGE GOTT. 485
Cette simplification une fois introduite dans le panthéon sémitique,
l'auteur, dans trois chapitres consacrés respectivement au Pére, au
Fils et à la Mère, s'attache à retracer l’évolution de l’idée de chacune
de ces personnes divines depuis la plus haute antiquité jusqu’à la
naissance du christianisme. Dans cette description, il reprend svuvent
à son compte, Sans rien y ajouter de bien neuf, les thèses de plusieurs
autres historiens des religions sur les origines du christianisme.
Le dieu père, primitivement uni au clan par parenté physique, a été
dans la suite conçu comme créateur du monde et comme père adoptif
des justes. Mais l’antique conception de la paternité physique ne dis-
parut pas complètement, et elle reprit, pour finir, un nouveau relief
dans l’idée de la régénération mystique du fidèle. C’est cette dernière
conception qu'on retrouve tant dans le christianisme que dans les
religions à mystères et qui donne la clef de rites sacramentels comme
le baptème et l’eucharistie.
À noter ces rapprochements inattendus : chez les Sémites du Nord,
le dieu père était représenté sous la forme d’un vieillard à barbe
blanche, portant un bâton, la déesse mère comme une jeune femme et
le dieu tils comme un petit eufant. D'où, conclut sans nésiter l'auteur,
toujours en vertu du caractère conservateur des religions, notre
manière de représenter la Sainte Famille. Et il insère dans son texte
la reproduction d'une Sainte Famille de Raphaël, où l’on voit S. Joseph
portant une barbe blanche et tenant un bàton, à côté de la Vierge et de
l'enfant Jésus (p.211). De même, le dieu père, à Babylone, était repré-
senté avec les insignes royaux. D'où, au moyen âge, l'usage de dessiner
parfois Dieu le Père avec la tiare du pape : le pape est l’ancien de la
communauté, comme autretois le dieu pére était l’ancien céleste du
clan arabe. Suit une miniature du moyen âge représentant Dieu le Père
en pape (p. 213). |
Le dieu fils est, chez les Sémites du Nord, roi céleste, seigueur, fils
premier-né de Dieu, médiateur eutre Dicu et les hommes. Le roi est
une incarnation du dieu fils, mais l'incarnation par excellence se fera
dans un roi-messie de l'avenir qui établira le règne spirituel. Ce dieu
est aussi un dieu mourant pour nos fautes, ressuscitant, et, dans les
rites d'union, nous donnant part à sa vie nouvelle et nous assurant par
là de l’immortulité. Et tout cela était déjà tixé vers 300 av. J. C.!
L'idée primitive de la déesse de la triade divine est celle d'une mère
des hommes, bienveillante et secourable, leur avocate auprès du Père,
Cette déesse est aussi La mère restée vierge du messie. En dépit d’une
autre ligne d'evolution qui en a fait la déesse de Famour impur, l’an-
cienne conception s'est maintenue et à repris une vigueur nouvelle
dans le christianisme sous la forme du culte de la Vierge.
Il reste surtout uu dernier point à éclaircir pour que la trinité
chrétivnae se trouve parfaitemeut expliqué : d'où vient le Saint-Esprit À
Daos un dernier chapitre, l'auteur parvient encore à la rattacher au
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 31
486 COMPTES RENDUS.
grand courant sémitique. Une des lignes d'évolution de la déesse mère
y aboutit : à l’époque hellénistique, les conceptions religieuses se
spiritualisent, l'élément féminin et maternel se trauspose en entités
comme ia Sagesse, le Logos, l'Esprit. L’Esprit-Saint est au fond la
mère du Messie. Ainsi, au baptême de Jésus, la colombe symbolise
l'Esprit. Or, chez les Sémites du Nord, la colombe sert à représenter
la déesse-mère. C’est que l’Esprit-Saint est conçu, somme toute, comme
la mère du messie. Ce qui le prouve au mieux est 14 parole que Jésus
entend : « Tu es mon fils bien-aimé... » Cette parole ne peut être
prononcée que par la personne même qui se rend visible dans la scène.
Celle-ci est non le Père mais l'Esprit. Jésus est donc fils de l'Esprit :
l'Esprit est sa mère (p. 392).
Et c’est ainsi que le panarabisme a tout expliqué !
Si nous avons si longuement rapporté toutes ces fantaisies, ce n’est
nullement dans l'intention de jeter le discrédit sur l’histoire des reli-
gions. C'est uniquement pour montrer une fois de plus d’une façon
saisissante à quels excès elle aboutit, lorsqu'elle est conduite sans
discernement ui science véritable. EF CHLGdIRE
M. W. Hay Canman. The Last Journey of Jesus to Jerusalem.
Oxford, University press, 1923. In-8, 159 p. 4 s. 6 d.
Ce travail contient beaucoup plus que son titre ne semble l'indiquer.
C'est en réalité un commentaire abrégé de l’évangile de saint Marc,
une esquisse d'une vie de Jésus d’après ce même évangile et les narra-
tions parallèles, ainsi qu’une contribution à la solution du problème
central des synoptiques : la conscience messianique de Jésus et la
valeur salutaire de sa passion.
M. Cadman se défend d'accepter les au ioiouses conclusions des
travaux de Wrede et de Schweitzer. Il insiste par exemple sur l'histo-
ricité du secret messianique, et il critique vivement l'opinion de
Schweitzer, d'après laquelle le départ précipité pour Jérusalem aurait
résulté de la fausse position de Jésus à l’égard des foules de Galilée,
auxquelles il avait fixé le moment de sa parousie pour le temps de la
moisson et auxquelles la suite des événements avait réservé la plus
froide désillusion. Néanmoins M. Cadman incline fortement vers les
positions du protestantisme libéral et de l’exégèse indépendante.
D'après l’auteur, Jésus considéra comme l'objet de sa mission d’an-
noncer l’avénemeut imminent du royaume messianique, et de prêcher
la pénitence comme la condition d'accès à la société du Messie. Non
p int que Jésus rattacha l'épiphanie du royaume à la pénitence du
peuple comme à une condition préalable exigée par la providence de
Jahweh, mas persuadé à la fois de l'avenir prochain du règne de Dieu
et des dispositions requises pour en profiter, il consacra toute sa belle
- M. W. HEALY CADMAN : LAST JOURNEY OF JESUS TO JERUSALEM. 487
vie à faire entrer le plus grand nombre de croyants dans le royaume
de Dieu.
De ce royaume Jésus se crut le Messie eschatologique : le Fils de
l’homme prophétisé par Daniel et décrit par les apocalypses d'Hénoch
et d'Esdras.
Cette conception d’un royaume à la fois spirituel et eschalologique
heurta également le légalisme des Pharisiens, férus de l'observance
minutieuse des prescriptions rabbiniques, le libertinage des Sadducéens,
réprouvés ct menacés dans leurs agissements malhonnêtes, la suscepti-
bilité des Romains, soucieux avant tout de maintenir la paix en
Palestine et d’étouffer tout mouvement, même apparemment insurrec-
tionnel.
Ces différents états d'âme déterminérent l'opposition à Jésus, l’al-
liance des Pharisiens et des Hérodiens, la crise de Galilée, la retraite
de Jésus et de son petit groupe en Pérée, le dernier voyage vers
Jérusalem.
Dés cet instant Jésus Eu la vision très nette du drame, qui allait
brutalement mettre fia à sa mission : il considéra le conflit avec ses
ennemis comme inévitable, il pressentit qu'il allait éclater dans la ville
sainte, le conduisant infailliblement à la mort. Aussi n’eut-il plus
qu'une seule et grande préoccupation : intensifier la prédication de la
pénitence, augmenter le nombre des croyants avant l’arrivée de la
catastrophe finale, inculquer le côté spirituel de son royaume, prévenir
auprès du peuple toute fausse conception de sa mission. C'est à tout
prix que Jésus voulut écarter ce dernier et imminent danger, attendu
qu'il l'aurait livré sans défense à ses ennemis et qu'il aurait détourné
l'attention du peuple du caractère eminemment spirituel et religieux du
royaume pour le jeter dans une aveuture de nationalisme exaspéré.
Pour ces motifs Jésus se présenta uniquement comme un prophète,
et il imposa à Pierre et au petit groupe dez douze, qui avaient surpris
son vrai titre, le secret le plus strict au sujet de sa dignité.
Mais comme toutes ces précautions menaçaient.de devenir inefficaces,
Jésus résolut de hâter l'heure du dénouement fatal. Il avança son
voyage vers Jérusalem, et par sa prédication nette et claire il accentua
de propos délibéré les divergences qui le mettaient aux prises avec ses
adversaires les plus résolus. Par malheur, au moment même où le
peuple l'écoutait avec le plus d’avidité, Judas, pour se mettre à l’abri
de l’orage qui déjà grondait, livra le secret messianique et fournit ainsi
aux grands prêtres le chef d'accusation qu'ils avaient depuis longtemps
recherché pour dénoncer Jésus. |
La trabiison de Judas contraria le grand désir du Maître : celui de
mourir, non point comme l'agent d'un messianisme séditieux, mais
comme le martyr d'un messianisme tout spirituel. Néanmoins, malgré
cette cruelle déception, Jésus conserva la foi en sa mission, à sou
triomphe messianique, et cette fui prépara aux apôtres une nouvelle
désillusion. Mais ceux-ci comme leur Maitre résistèrent à la crise d'âme
488 COMPTES RENDUS.
provoquée par l'effondrement de leurs plus chères ambitions, en donnant
un sens nouveau et théologique aux plus navrantes de leurs déceptions.
Comme on le voit, ces conclusions de M. Cadman sont très radicales.
On accorde encore à Jésus une conscience de Messie, mais ce messia-
nisme est eschatologique et il porte à faux. En outre on veut croire que
Jésus à prévu sa mort, et on ajoute même qu’il a accepté cette perspec-
tive non seulement avec résignation mais avec une grandeur d'âme
sublime. Mais cette acceptation de la mort, si elle est restée celle d’un
martyr, prêt à se sacrilier pour le triomphe de ses convictions, et
escomptant l'intervention divine en raison de son grand dévouement,
n’a plus aucun rapport avec la disposition d'âme que la foi chrétienne a
toujours attribuée à Jésus : à savoir l’obéissance aux ordres du Père, le
désir de réaliser les prophéties, en particulier celles du « Serviteur de
Jahwebh », l'intention formelle d’immoler sa vie en sacritice et d'expier
par cette satistaction les péchés de l'humanité.
Le travail de M. Cadman est très bien présenté, comme d'ailleurs
toutes les publications de l'Oxford University Press. L'exposé est clair
et dégagé d’une érudition, qui dans d'autres ouvrages écrase quelquefois
le lecteur sous le poids d’une abondance surfaite, Pour toutes ces
qualités on regrettera plus vivement que l’auteur ait subi à ce point
l'emprise de la critique indépendante, et que sous l'égide traditionnelle
d'Oxford « Dominus illuminatio mea » il nous ait donné une reconstruc.
tion aussi inexacte de la vie de Jésus. J. CoPPENS
F, J. Foaxes Jackson et Kirsopp LAkE. The Beginnings of Christia-
nity. Part. |. The Acts of the Apastlles. T. II. Prolegomena II :
Criticism. Londres, Macmillan, 4922. In-8, x1v-539 p. Prix : 24 Sh.
L'ambitieuse entreprise scientitique que dirigent MM. F. J. Foakes
Jackson et Kirsopp Lake ne requiert pas une nouvelle présentation
aux lecteurs de la RHE. A l'occasion du premier volume, nous en
avons fait connaître le plan et les tendances (1922, t. XVIIT, p. 79-91).
A notre sens, ce premier volume n'était pas seulement, dans l’inten-
tion de ses auteurs, un vaste portique à l'étude des Actes. Il était
surtout un programme général, le manifeste par lequel la nouvelle
école déclarait renoncer à l'esprit conservateur et à la prudente
méthode des grands maitres de Cambridge. Tel aussi il à été compris
de l'opinion théologique anglaise. Sauf le Doyen Inge, chaperon mys-
tique du modernisme anglican, et deux ou trois autres partisans de
moindre envergure, les recenseurs se sont montrés plus que réserves,
tranchement sévères pour une christologie qui ruiuait son propre
objet en « dissolvant » la personnalité du Christ. En 1921, la con-
férence des « Modern Churchmen », réunie à Cambridge, prit pour
tlème de ses uébats [a personne de Jésus dans le dessein calculé
F. J, F, JACKSON ET K, LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 489
d'appuyer les positions de MM. F. Jackson et K. Lake. Cette inter.
vention bruyante déchaîna une polémique de presse et aboutit à des
dénonciations devant [a convocation des archevêques et évêques
d'Angleterre. Ces vénérables « Pères dans la foi » répandirent de
droite et de gauche une profusion d‘encouragements et de bénédic-
tions, mais ils se gardèrent bien de prendre parti sur ua point de
doctrine aussi grave. C’eût été compromettre la « Comprehensiveness »
de l'Eglise établie.
Cependant les deux critiques mis en cause ont ressenti le coup de
toutes ces attaques et, aux premières pages du second volume que nous
présentons, ils reprochent aux censeurs de s'être mépris sur leurs
intentions. Tout leur propos, paraît-il, était de faire saillir les points
de l'histoire et de la pensée primitives qui réclamaient encore un
examen approfondi. A telles enseignes que, leur travail sur les Actes
achevé, ils reprendront l'étude de la vie de Jésus, de son enseigne-
ment personnel ct de l’enseignement de ses disciples sur Lui. Nous
accueillerons avec gratitude et curiosité cette reconstitution historique
des origines chrétiennes ; mais ce sera miracle si MM. F. Jackson et
K. Lake réussissent à ne point se dédire, quant à l'essentiel, et à
nous donner un exposé qui préserve, je ne dis pas le dogme tradi-
tionnel, mais ce dernier rudiment de foi sans lequel on ne saurait
- encore revendiquer le nom de chrétien. Aussi bien, M. Lake a déjà
tenté cette synthèse dans : « Landmarks » et nous avons dit autrefois
de quel esprit radical il se montre animé au cours de cet ouvrage
destiné pourtant à un très large public. Même, en ce présent volume
qui s'ouvre sur une précaution oratoire, il est fait état, à bien des
reprises, des résultats acquis dans le premier, de ceux-là mêmes qui
ont été les plus contestés (cfr par ex. p. 187 141). Voilà qui ébranle
no‘re espérance d’avoir un jour à rétracter les critiques d'antan.
La pensée, opulente et généreuse, qui a, sans lésiner, réservé un
volume entier au milieu politique et intellectuel des Actes des
Apôtres, inspire encore la seconde partie des Prolégomènes. Mais,
cette fois, le livre de Luc est abordé de plein pied, et si le monde
juif ou païen est de nouveau et à tout pas soumis à l’interrogatoire,
c'est en vue de découvrir les diverses influences littéraires qui ont pu
s'exercer sur l’auteur à Théophile et imposer des règles à sa com-
position. Pour recourir au terme reçu, l'ouvrage est consacré à la
« haute critique » des Actes et, par la force des choses, la méthode
qe l'on y pratique est fort différente de celle qui distinguait le pre-
mier volume. Au lieu des larges tableaux historiqueset des vues panora-
miques, en perspective, sur les hauts courants de pensée, nous avons
ici de minutieuses analyses, des dissections documentaires, des scolies
philologiques. L'ouvrage est d’une densité extrême. Toutes les mines
d'érudition que la curiosité moderne a ouvertes y sont exploitées par
des savants, spécialistes éprouvés, mais plus encore lettrés délicats
qui savent, quand ils ne sont pas victimes d’un préjugé d'école, goûter
490 COMPTES RENDUS.
en bumanistes une belle œuvre humaine. Et comme la critique des
Actes, si elle chemine en dehors du sentier traditionnel, n’est qu’ap-
proximative et toute en conjectures, un livre d'introduction se doit
surtout de rapporter les opinions diverses, de les contrôler, de tenter
de nouvelles hypothèses. Besagne difficile et pleine d’embûches. Mais
les Scholars qui ont écrit cet ouvrage s’y révèlent aussi comme de
parfaits gentlemen par leur courtoisie sereine dans la discussion, par
leur respect fidèle et sympathique dans l'exposé des conceptions
d'autrui. Leurs essais nous apparaissent comme autant de points de
vue personnels proposés dans un vaste échange d’idées, des suggestions
ou des réparties dans une conversation, aux voix innombrables, qui
grouperait, par dessus l’espace, l'élite des exégètes et des historiens
du christianisme. Les lire, c'est pénétrer en la docte compagnie et,
encore qu’il faille une certaine initiation pour suivre dialogue si
serré, il y aura pour tous plaisir et profit à en recueillir ne fût-ce que
des fragments ou un écho lointain. En un mot, une controverse de
haute culture où se prodiguent l'intelligence et l’érudition, non un
enseignement, sùr de ses postulats, net en ses conclusions, tel est le
caractère de ce livre. On le quitte, l'esprit peu affermi, mais singu-
lièrement élargi.
Vu la nature des sujets traités et le recours presque exclusif à la
critique interne, une légère hésitation, une pointe de scepticisme ne
saurait nous étonner, ni même nous déplaire dans ces pages. Le
malaise naît plutôt d’une tendance opposée. Sous cette aisance et ce
bon ton se dissimule une dureté rigide. Et si le funeste effet s’en mani-
feste surtout dans l’ordre religieux, c'est qu'il a d’abord sévi dans le
domaine scientitique. Du volume précédent un recenseur a dit : Dieu
en est absent. Ce grave reproche est plus mérité encore de celui-ci.
Sans doute, il y a les circonstances attéouantes ; la matière dont on y
disserte, philologique, littéraire, est peu évocatrice de doctrine et de
piété, il faut ea convenir. Néanmoins, le livre des Actes raconte une
histoire toute pénétrée de divin. Le premier épanouissement que prit
en notre terre le germe de vie éternelle semé par le Fils de Dieu n'a
pas eu d'autre révélateur que ce mince rouleau de papyrus. Et pour
nous, il est micux qu'un document du passé. Res nostra agitur. Le
sort de la meilleure portion de notre âme qu'illumine la foi, se jouait
avec les évéaements qu'il rapporte. Or ce livre est scruté, analysé par
des chrétiens avec une indifférence, un parti pris presque hostile dont
un helléniste bien né se défendrait devant le texte d’'Hérodote ou
de Thucydide. D'où vient pareille froideur ? Ces hommes, si leurs
croyances positives ont cédé sous l’action d'une philosophie dissol-
vante, ont au moins conservé ce qu'ils appellent le sentiment religieux.
Ils ne sont dépourvus ni de tendresse sensible ni d’émotivité spiri-
tuelle. Mais tous ils sont fils de la louve critique ; ils ont grandi sur
son sein desséché, sous son regard sévère. & Amourcux de la séche-
resse », ils croiraient trahir la science si à ses théorèmes ils mélaient
F,J. F. JACKSON ET K. LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 491
les émotions du Cœur. Et puis dans les écoles, par l'abus d'une
méthode trop strictement littéraire, leur intelligence a en partie perdu
le sens du réel et du concret. Elle ne saisit plus dans la lumière
- vivaaote ni l’aspect des choses, ni le mouvement des êtres. Rien
d'étrange qu’en face du prodige de l’âge apostolique, elle demeure
insensible à la présence opérante de Dieu.
C'est bien, en effet, un excès d'analyse qui a frappé d'engourdisse-
ment la curiosité des critiques contemporains. Timides, ils n’osent plus
s'avancer jusqu’à revconstituer les événements du passé. Toute leur
recherche, toute leur subtilité se dispersent et s'épuisent dans l'examen
et la description des documents. Mais le positivisme agnostique —
chez la plupart, plus empirique que doctrinal — qui d’instinct les porte
à douter du fait à jamais aboli, les rejette avec une passion accrue sur
l’œuvre littéraire, d'existence palpable, qui nous le relate. Là, en
vérité, sur ces écritures inertes, se dépense un travail de géants. Une
technique compliquée, mais incertaine dans le maniement de ses meil-
leurs outils, a été créée pour démêler les fibres intimes des anciens
‘ textes, pour arracher à leur anatomie le secret de leur genèse et la
pensée des écrivains. Le plus constant des résultats, qu'elle à accou-
tumé de procurer est de réduire les documents à l'état de matériel
informe : des moellons au lieu d’ua édifice. Il suffit du premier venu
entre les constructeurs ingénieux pour refaire, de ces débris, un
nouveau livre et, de ce livre, extraire une histoire encore insoupçonnée.
À diviser et combiner ainsi plusieurs générations se sont déjà sacritiées,
non sans avoir formulé cependant un nombre de postulats qui ont
recueilli l'adhésion de la presque totalité des critiques.
Il existe, de fait, un système artificiel qui a peu à peu substitué ses
entités théoriques aux formes réelles et génuines des documents. Il
s'exprime d'ordinaire par signes algébriques. Telle l'hypothèsedes deux
sources — Q. et Mc. — pour les synoptiques. Assemblage d'observations
justes et d'interprétations, de conjectures sensées et de fantaisies, il
est la donnée nécessaire sur laquelle raisonne, — et doit raisonner —
tout jeune savant en peine de faire entendre sa voix parmi le chœur
des maitres. A Dieu ne plaise que nous déniions toute valeur à la
science critique du dernier siècle. Probate singula tel est, à son égard,
le précepte que nous avons reçu. Mais nous dénonçons l'exclusivisme
désastreux de sa méthode qui l’a enfermée dans un cercle étroit et
imbrisable et la condamne, comme le monstre Catoblépas, à se manger
rs pieds, inconscieute et frénctique. Effrités par une trituration
incessante, les textes, en effet, ne se prêtent plus à une synthèse
historique durable. Leur poussière s'effondre et retombe dans son état
amorphe entre les doigts de l’ouvrier qui tente de la dresser en une
tigure nouvelle. Combien plus est-il impossible de retrouver, sous cet
amas inconsistant, la roche dure et stable des faits dont pourtant vou-
laient témoigner les anciens auteurs. Encore, cela même ne paraît
plus désirable ni digae d'efforts. L'esprit est enlisé dans un irréalisme
492 COMPTES RENDUS.
qui paralyse tout son élan vers le vrai et vers l'être historiques.
Hypercritique, c'est le nom de cette ataxie mentale qui agite, mais
immobilise l'intelligence, et c'est l'étiqnette — nous en devions l’expli-
cation — qu'il nous fant accrocher à plusieurs dissertations et à pres”
que toutes les conclusions de l’ouvrage que nous recensons. Volontiers
nous étendrions à leurs auteurs la sentence sévère que portait jadis
sir William Ramsay — un vrai maître, celui-là, dont l'exemple et la
leçon ne seront jamais trop médités des jeunes — sur le Docteur
Moffatt et son Introduction : « jamais il n’atteint au point de vue
historique ; jamais il ne montre la moindre compréhension des lois
selon lesquelles s'engendrent les grands événements. » (The First Chr'is-
lian Century, p. 9.)
Mais il est temps de donner l’analyse rapide d'un livre dont nous
nous sommes attardés à décrire la méthode et l'inspiration. Ï. La com-
position el le but des Artes. 1. Les traditions historiographiques des
Grecs et des Juifs, par H.J. Cadbury et les Éditeurs. 2. L'emploi de la
langue grecque dans les Actes par J. de Zwaan. 3. L'emploi des
Septante dans les Actes, par W. K. L. Clarke. 4. L'emploi de Marc
dans l'Evangile selon S. Luc, par F. C. Burkitt. 5. Le témoignage
interne des Actes, par les Éditeurs. — 11. L'identité de l'éditeur de Luc
et des Actes. — 1. La tradition, par H. J. Cadbury. 2. Plaidoyer pour la
par tradition, par C. W. Emmet. 3. Plaidoyer contre la tradition,
par H. Windisch. 4. Points secondaires, par H_ J. Cadbury et les édi-
teurs. IIT. L'histoire de la critique. Appendices.
Au premier regard, les sujets, surtout de la première partie, parais-
sent assez disparates et peu liés entre eux. Il n’en est rien. Eu dépit
de la multiplicité des auteurs, de quelques répétitions et de légères
inconsistances, l’ensemble est d'un dessin vigoureux et bien composé.
Chaque essai nous fait avancer par un voie droite vers les conclusions
générales qui terminent le volume. De toute évidence, une pensée
personnelle à présidé à l’œuvre, fixé la tâche de chaque ouvrier,
organisé tout le matériel. L'esquisse que voici se propose surtout de
mettre en relief cette ordonnance intime.
Deux questions se posent à l'esprit du critique. L'une concernant la
composition : quelles sources ont été utilisées, et selon quel plan ont
elles été fondues ou juxtaposées ? L'autre relative à l'authenticité : À
quel homme attribuer le Livre dans son état actuel ? (Dans cette recen-
sion comme dans l’ouvrage, « Luc »s’entend de l’auteur, par hypothèse
inconnu, à qui nous devons la rédaction détinitive des Actes). Les
solutions proposées dans ces Prolégoménes s'écartent ou se rap-
prochent, à l’occasion, des hypothèses les plus récentes sur les mêmes
problèmes. Mais, de toute façon, elles en dépendent ; bien plus, elles
en émauent comme une pousse nouvelle ou une excroissance et l’attache
est parfois si étroite qu'elles ne sont plus que corrections ou simples
compléments. Nous n'avons pas à donner un aperçu sur la critique
contemporaine des Actes ; qu'il suflise de citer deux noms : Harnack
F. J.F. JACKSON ET K, LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 493
et Norden qui représentent le sic el non; l’un, homme du métier,
revenu par de longs détours aux positions traditionnelles, l’autre,
philologue incomparable, mais étranger aux études bibliques, qui a
saisi au vol et relancé une conjecture, à peine ébauchée, sur une
refonte tardive d’un récit datant de l’âze apostolique.
Les Actes sont une histoire juive écrite en grec. La pensée de
l’auteur, entée de deux civilisations, fut sollicitée dans son travail de
composition par les modes distincts d'écrire l'histoire qui étaient
reçus chez le Sémite et chez l'Hellène. M. Cadbury et les Editeurs ont
donc consacré leur premier essai, point de départ de leur enquête, à
un exposé des deux traditions historiograpbiques. Pour le Grec,
l'histoire est toujours demeurée plus ou moins une branche de la
rhétorique. L'écrivaia ne négligeait certes pas de s'informer des
événements, mais la stricte exactitude n’était pas l’objet de ses plus
chers soins ; il voulait surtout charmer et distraire son lecteur, ou
bien — tels les meilleurs : Thucydide, Polybe — l’instruire et le pré-
parer à la vie politique. À cet effet, il portait toute son application à
parfaire la forme, il rédigeait à nouveau les sources dans son style
personnel, il composait de son fonds les harangues qu'il prétait à ses
héros, enfin il disposuit l’ensemble de sa narration selon les règles
conventionnelles en honneur parmi les lettrés depuis Gorgias et les
Sophistes.
Tout autre la méthode de l'historien hébreu. Lui non plus, il est
vrai, ne raconte pas pour la satisfaction austère ou plaisante de
raconter. Il est toujours didactique, toujours apologiste. Souvent très
artiste par instinct, il ne recourt à aucune rhétorique définie ; aussi
est-il peu soucieux du beau style. Il accepte ses sources telles qu'il les
rencontre et, sans aucune retouche, mais avec une liberté illimitée, il
les taille, morcelle, distribue et recoud selon les besoins de son plan.
Chez l'uistorien hellénistique Josèphe. les deux courants littéraires
confluent et mélent leurs eaux. En est-il de même chez Luc ? Une
exploration très minutieuse de son œuvre mettrait seule en état de
répondre avec netteté à cette question. Mais il y faudrait un guide et
comme un premier relevé des goûts intellectuels de l'écrivain. Nous
ne sommes dépourvus ni de l’un ni de l’autre. « Le fondement de toute
sagesse en cette matière est de considérer l'usage que fait Luc des
Septante, de l'Evangile de Marc, de la langue grecque en général. »
(p. 29).
À M. J. de Zwaan est échue la tâche de traiter du grec des Actes.
I! le fait excellemment, et son article vaut d’être rangé parmi les
études les plus personnelles et les plus nuancées qui soient sur la
langue du Nouveau Testament. Luc écrit la Koinè populaire, mais
avec une touche d’atticisme qui l'élève dans une sphère très à part des
autres hagiographes. Tout porte à croire que cette Koinè fut sa langue
maternelle ou tout au moins une langue qu'il parla depuis l’enfance. Il
en à la maîtrise. Cependant son style n’est pas homogène ni partout
494 COMPTES RENDUS.
de facture identique. D'où vient l'élément perturbateur ? L'infiltration
latine est insignifiante. Mais il y a Îles sémitismes, et leur apparition
soulève un problème délicat sur lequel, malgré d’étonnants progrès, la
philologie sacrée ne fait encore que balbutier. M. de Zwaan projette
sur les points obscurs des clartés nouvelles et des distinctions déci-
sives. Grec de traduction ou grec qui sémitise ? Les deux peut-être.
L'hypothèse brillante de Torrey, qui a cru reconnaître sous le grec
de I, 16-XV,:%5 un original araméen d'une seule tenue, est discutée
point par point et sa probabilité n’est admise que pour deux frag-
ments, considérables d'ailleurs, I, 1 b-V, 6 ; IX, 31-XI, 18. On réserve
le jugement sur les chapitres XII et XV. Ce qui reste serait donc plus
ou moins du grec qui sémitise. Mais qu'est-ce à dire ? Un hébreu qui
parle grec trébuchera fatalement et retombera dans les tournures de
sa langue nationale. Mais Luc est gentil, hellène d'éducation. Il ne
peut sémitiser par penchant de nature, mais tout au plus par influence
ou par artifice. M. de Zwaan propose une nouvelle catégorie : la Prose
sicrée. Ni spéciale à Luc, ni inventée par Luc, elle a sa source dans
Ja phraséologie des Septante, elle s'étend sur la littérature juive écrite
en grec, (Deutérocanoniques, Apocryphes), sur la jeune littérature
chrétienne. Luc l’a employée par contagion et par volonté réfléchie.
Son sens chrétien de la divine originalité de la foi et son sens esthé-
tique de la convenance entre le sujet et le style lui ont inspiré un
maniement de cette prose qui atteint à de surprenants effets et à de
grandes beautés. L'éducation littéraire de Luc dans les écoles fut, sans
doute, assez sommaire; mais son tempérament d'artiste impression-
pable a fait de lui une façon de lettré, le plus achevé, peut-être, de ce
tvpe qu'on peut appeler le syncrétiste cultivé.
L'étude de M. W. K. Lowther Clarke sur l'usage des Septante dans
les Actes confirme les suggestions du précédent essayiste. Luc est si
imprégné de la Bible grecque que le vocabulaire, les phrases, les textes
de celle-ci fleurissent sous sa plume comme par une éclosion spontanée.
Un nous assure que, pour la syntaxe et la diction, les vrais parallèles
des deux discours à Théophile se rencontrent dans les Deutérocano-
niques et les deuxième et troisième Livres des Machabées. Voilà bien
toujours la prose sucrée, et voila encore qui réconcilie la teinte
sémitique du style de Luc, intelligence réceptive, avec son hellénisme
natif. Mais je ne sais quel démon hypercritique a fait culbuter
M. L. Clarke, vers la fin de sa course, dans la plus ridicule des sup-
positions. Cet estimable philologue nous insinue que la rencontre du
diacre Philippe avec l’euruque éthiopien et ce qui s'ensuivit pourraient
bien n'être qu'un conte pieux brodé sur la trame de quatre textes
prophétiques. (Sophonie II, 4, 11-12, III, 10, 4). Cette fantaisie mal
venue gâte un article par ailleurs ponderé et très nourri d'exactes
observations.
Qu'un scrutin eût été ouvert parmi les biblistes pour désigner qui
traiterait de l'usage de Marc dans le troisième Evangile, tous d’une
F. J. F. JACKSON ET K, LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 495
voix unanime auraient nommé M. le Docteur F.C. Burkitt. Les Editeurs
ont entendu cette acclamation implicite, et à l'invitation qu'ils ont
adressée à l’éminent pro‘esseur de Cambridge, nous devons un petit
chef d'œuvre de bon sens et de bon goût, la perle du volume. La science
de M. Burkitt a cette perfection que couronne la brièveté. Il y met de
la coquetterie ; quinze pages lui ont suffi pour enclore plus de fines
remarques, plus de jugements personnels, plus d'humaine sagesse que
n'en contient le reste de ce robuste tome. Nous nous garderons de
résumer ce morceau de vivante critique ; quelques citations auront
plus de vertu pour en faire savourer la leçon. « Dans quelle mesure
pourra-t-on supposer que les sources de Luc réapparaissent intactes, au
moins quant à l'essentiel, dans son propre récit ? En d'autres termes,
dans quelle mesure pouvons-nous reconstruire Marc à l’aide de Luc ?
La réponse doit être : nous ne le pouvons que fort peu. Luc est une
œuvre historique nouvelle, la trame de Marc y est souvent abandonnée,
ses extraits sont ingénieusement insérés dans le plan de Luc grâce à
des altérations et à des omissions, en sorte qu'il serait impossible de
reconnaître leur cadre original si, de fäft, celui-ci n’avait pas survécu ».
(p. 107) Cette assertion est démontrée par une analyse comparée des
récits de la dernière visite à Jérusalem. Et voici les observations
qu'elle suggère à M. Burkitt. 1) « Luc nous dit ce qu'il veut nous
dire à sa façon lucide et charmante ; mais on ne tirera guère de lui que
ce qu'il lui a plu de dire. Ce sont les écrivains naïfs, maladroits,
stupides, qui laissent échapper ce qu'ils tentent de supprimer, et Luc
n’est ni maladroit ni stupide, et certainement il n’est pas naïf.» (p. 110).
2) Cette portion de son livre «est une belle histoire, parfaitement
composée. Luc prend les faits et les paroles qu'il trouve dans sa source,
et il les redit en son style incomparable. L’impression d'ensemble,
morale, littéraire, est bien à peu près là même que dans Marc. C'est
la même pièce qui est mise en scène, ce n’est pas un drame nouveau. »
(p. 111 et 112) « Un résultat très net est de démontrer la difficulté,
sinon l'impossibilité de pénétrer « derrière la tapisserie » de Luc par
un simple examen de ce qu'il a voulu nous dire. Dans l'Evangile,
nous pouvons en partie contrôler les dires de l’auteur, car nous
possédons une de ses sources. Dans les Actes, nous sommes presque
entièrement à la merci de ce qu’il lui a plu de nous raconter. »
(p. 118 et 120) Intelligence et honnêteté .… Art consommé … simplicité,
qui est le sommet de l’art .… une peinture, une esquisse admirable …
Nous voici loin du rhapsode que les Chorizontes soupçonnent en tout
auteur biblique. Luc est un véritable historien, maître respectueux de
sa documentation. Luc est un grand et profond écrivain.
La langue, les Septante, Marc, étaient les trois témoins externes
dont nous attendions une premiére information sur les procédés de
composition propres à l’auteur des Actes. Ils ont été habilement inter-
rogés, et les lumières que leurs dépositions ont apportées sont con-
densées par les Editeurs dans les formules suivantes : « Luc était
: 496 COMPTES RENDUS.
imprégaé à fond de l’Ancien Testament grec. Il était capable d'écrire
le grec comme un Grec... mais il ne le faisait pas toujours, soit
peut-être sous l'ivfluence d'originaux araméens, soit par imitation des
Septante. En tout cas il est clair qu'au moins dans l'Evangile, il se
tenait plus près que Joséphe de la tradition littéraire des Juifs. Il ne
copie pas ses sources, il est vrai, avec la même fidélité verbale que le
Chroniqueur, mais il les paraphrase et les polit beaucoup moins que
ne le demandait la coutume lelléaique. Surtout, dans l'Évangile, il
n'invente pas les discours. Luc respecte les paroles de Jésus plus que
le récit des faits qu’il trouve dans ses documents » (p. 121).
Ce sommaire se ressent de la façon dont a ét posée la question dès
le début. Et elle a été assez mal posée. L'opposition nette que l'on a
dressée entre historiographie grecque et historiographie juive est trop
artificielle. Ni les Hébreux n'étaient toujours des copistes ni les Grecs
toujours des rhéteurs. Aussi bien Luc, Hellène fort intelligent mais de
moyenne culture, échappe à ces catégories tranchées. En lisant
M. Burkitt, un mot revient sans cesse à la pensée pour peindre en
raccourci l'écrivain dont il devise, c’est celui de notre xvrr° siècle : un
honnête homme. Luc encore païen avait, comme l'on dit, l’usage du
monde. Tant de traits en ses Livres le laissent deviner ! Chrétien, on le
sent dominé, pénétré jusqu'aux moelles par un esprit de foi intense,
paisible, définitif. Cette double éducation, implantée dans une âme bien
pée, fait de lui un ètre singulier en lequel brûle une douce flamme de
vie. Il L’a rien de l'intellectuel rompu aux exercices d'école et les règles
de rhétorique, fussent-elles sûres, nous seraient d’un faible secours
pour comprendre son œuvre. Tout, ou presque, chez cet écrivain sacré,
est en fonction du coefficient personnel. M. M. F. Jackson et K. Lake
en conviendraient peut-être, ils en conviennent même, mais, par upe
contradiction pratique, ils ne renoncent pas au jeu mécanique, rituel
de leur critique. Tout a beau les dissuader, ils entendent regarder
« derrière la tapisserie » et nous nous trouvons engagés avec eux dans
une longue enquête sur les sources des Actes, qui forme le cœur de tout
le volume.
L'emploi de sources écrites se trahit, dans une composition histo-
rique, à des troubles très légers que seul peut percevoir un œil exercé.
Ce sont — les principaux — de subtiles incompatibilités de style, des
gaucheries de traduction, des incohérences entre récits, surtout des
sutures et des doublets. Et voici en gros les résultats auxquels conduit
l'application de ces critères au Livre des Actes.
Daos les chapitres I-V, deux documents ont été combinés, qui ra-
content, à leur point de vue différent, la même histoire. Le premier
(A) comprend IT, 1-IV, 3% ; le second (B) I-IT et V, 17-42. On ne sait
trop auquel assigner le passage qui est de reste. Tous les deux ont été
traduits de l’araméen, ct ils continuent le double fil des traditions que
Luc à ingénieusement enlacées aux dernières pages de son Evangile,
l'une galiléenne (A), l’autre hiérosolymitaine (B), ainsi nommées, uu
F. J. F. JACKSON ET K. LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 497
lieu où elles placent de préférence les apparitions du Seigneur ressus-
cité. Harnack, tempéré de Torrey, est le garant de cette analyse.
Le récit de la mort de Saint-Étienne (VI-VIIL, 3) est composite pro-
bablement. VI, 811; VII, 54584 forme doublet avec VI, 12-VII, 53 ;
VII, 5860-60. (Le discours serait une libre composition de Luc). Le
premier thème fait lyncher le saint Diacre par la foule, le second le
fait exécuter par le Sanhédrin. — Dans VIII, 4-25, la Samarie est
évangélisée par Philippe, puis par Pierre. Dans VIII, 26-40 ; IX, 32-X,
48, une tournée apostolique qui aboutit à Césarée est entreprise par
Philippe, puis par Pierre. Encore deux sources, selon les vraisem-
blances. On ne se commet pas toutefois à en fixer les limites.
Plus grave est le partage tracé dans la section qui va de XI, 19 au
début de XVI. Harnack est ici abandonné pour l’amour de Schwartz. On
distingue une source antiochienne comprenant XI, 19-30; XII, 25-XIV,
28, et une source hiérosolymitaine qui couvre le chapitre XV. L'une
et l’autre relatent la même histoire, mais selon les tendances fort
divergentes des deux Eglises, en sorte que la visite à l’occasion de la
famine (XI) serait à identitier à la visite pour la conférence de Jérusa-
lem (XV). La conséquence est tirée plus outre encore. Dans le récit
actuel, chacune de ces visites est suivie d’un voyage apostolique de
Saint Paul. Mais ces deux voyages ne sont aussi qu’un doublet litté-
raire, ou plus exactement, il s’agit d'une seule et même campagne de
propagande poussée jusqu’en Achaïe. Luc a brouillé ses notes ou ses
souvenirs et raconté la première partie en XI1I et XIV, et la seconde
en XVI comme deux expéditions distinctes. Cette théorie est stupé-
tiante. Un lecteur non prévenu se demandera si, après l’avoir conçue,
Schwartz et ses répétitceurs ont relu le texte des Actes. Tout se passe
en effet, dans cette conjecture, comme si, au lieu de raisonner sur le
texte, on eût cherché une issue hors des fragiles inductions dont
s'étayent, à chaque nouvelle publication, les tentatives de conciliation
entre les Actes et l’épître aux Galates. Critique trop livresque et donc
vouée aux pires causes d'erreur.
La seconde partie du Livre des Actes se distingue de la première
par une plus grande unité de sujet, de composition, de style. Le seul
phénomène — mais d’une extrême importance, — qui dévoile l'emploi
de documents est la présence de trois passages rédigés à la première
personne du pluriel, les « fragments-nous ». Sur ce point, la critique
des Éditeurs est rigoureusement négative. Avec une netteté et une
vigueur triomphantes, Harnack a établi que les « fragments-nous » et le
récit impersonnel qui les lie furent écrits par un seul et même per.
sonnage et, de cette constatation, il à déduit que l'écrivain était un
compagnon de S. Paul, le médecin Luc. Cet argument, M. Cadbury,
auquel les Editeurs passent ici la plume, tente de l’énerver. Il recon-
paîit comme un fait la similitude absolue du style; il nie la con-
séquence, mais avec cette sorte de raisons que nos pères, bons
dialecticiens, appelaient « cavillaliones ». C’en est assez toutefois
498 COMPTES RENDUS.
pour permettre à MM. F. Jackson et K. Lake de prononcer que de la
preuve philologique (la cognée dont ils ont fait si beau massacre de
textes dans les chap. I-XV) nous ne pouvons attendre une conclusion.
J1 appartiendra à une comparaison entre les Actes et les épitres de
décider si l’auteur à Théophile a pu être un compagnon de l’Apôtre.
Après un aperçu — fort radical — sur les résultats historiques de
la critique des sources qu’ils viennent d'appliquer aux Actes, les
Editeurs traitent du plan et du dessein de ce livre. Ils distinguent
dans les intentions de Luc un double but : l’un, principal, qui est
d’instruire, l’autre, moindre mais de première visée encore, qui est
apologétique. Luc serait, en effet, le premier des apologistes et ses
deux livres — qui n’en font qu'un, — une défense de la « vaie »
nouvelle, adressée à un représentant du gouvernement impérial :
Théophile. Ni l'interprétation de xpariote comme un titre officiel, ni
la traduction neuve de nepi Gv xarryfôns Ayo Th acpaheav, — « ce
qu'il y a de certain touchant les choses dont tu as été informé » — ne
seraient à elles seules convaincantes. Mais une assise beaucoup plus
solide est fournie à cette théorie par une admirable analyse de l'Evan-
gile et des Actes qui fait saillir la discrète mais persistante argumen-
tation de l'hagiographe. Le christianisme est la vraie religion d'Israël,
prédite par les prophètes ; il est donc une religion légale, puisque
Israël est une « race » introduite dans l'empire. Les pages que
MM. F. Jackson et K. Lake ont écrites sur ce thème sont les plus
pénétrantes de leur longue dissertation, les plus dignes de la grande
histoire littéraire. Notons qu'ils y quittent l'analyse documentaire
pour revenir à la contemplation des faits et de la vie antique. Ceci
explique cela. Par contre, le paragraphe qui suit, et où sont réduites
en système les vues théologiques de Luc, nous rappelle, par le parti
pris d'opposer comme irréductibles les courants divers de la doctrine
primitive, la pire manière du précédent volume des Prolégomènes.
Nous renvoyons au jugement qui en a été donné dans cette revue.
Au cours de cette longue enquête où le Livre des Actes a été ouvert
et sondé en tous sens pour nous livrer le secret de sa composition,
nous avons recueilli assez de lueurs sur [a personnalité de l'écrivain
pour qu’au terme nous entendions savoir quel fut son nom et quel fut
son temps. Aussi bien, auteurs et lecteurs avancent sous l'impression
que les problèmes agités n’auront qu'une solution provisoire, tandis
que cette grave question sera demeurée en suspens.
La seconde partie de l'ouvrage est donc consacrée à un essai de
décision sur l’authenticité des Actes. L'ancienne tradition, unanime,
a prononcé un nom, celui de Luc, le médecin chéri, l'ami, le com-
pagnon de saint Paul. Mais que vaut ce témoignage ? Quelle est sa
provenance, transmission génuine ou simple inférence sur les textes ?
De plus, cette donnée traditionnelle se soutient-elle, confrontée avec
les idées, les préoccupations, les connaissances que révèle le Livre ?
Ou, en d'autres termes, et pour restreindre le champ de la recherche,
F. J. F. JACKSON ET K. LAKE : ACTS OF THE APOSTLES. 499
l'image que les Actes nous tracent de saint Paul ressemblet-elle à
l'homme que nous connaissons si bien par ses propres Épîtres? Si non,
il faudra convenir que l’auteur n'était pas de l'entourage de l’Apôtre.
Une brève exposition nous suffira pour indiquer comment ces deux
points — valeur de la tradition en elle-même, son épreuve par l'his-
tricité de l’œuvre — sont abordés, résolus ou laissés irrésolus par les
collaborateurs de MM. F. Jackson et K. Lake. Leurs dissertations
nous paraissent, en effet, moins neuves que les précédentes.
M. H. J. Cadbury groupe — texte et traduction — dans une sorte
de corpus qui sera très utile, toutes les allusions à l’activité littéraire
de saint Luc qui se rencontrent chez les premiers Pères. Puis il pèse,
soupèse ces témoignages et, au bout du compte, il les trouve légers.
Car, à son sens, il n’est pas prouvé qu'ils reposent sur une tradition
externe. Plutôt sont-ils les plus anciens vestiges de la critique interne,
des conjectures, émises d’abord pour expliquer certaines caractéris-
tiques des récits et qui, très tôt, s’imposèrent comme des certitudes.
A ce propos, M. H. J. Cadbury parle de tictions, d’allégories, de
combinaisons fantastiques. Nous ne songeons pas à lui rétorquer ces
vocables, mais ils nous sont une invitation à donner l'avertissement
que voici. Le Docteur Cadbury jouit d’une érudition philologique
vraiment peu commune, encore que de-ci de-là elle soit de seconde
main. Sou jugement est, hélas! d’une solidité moins rare. De ses
quatre ou cinq contributions à ce volume, il n’est aucune qui ne fasse
subir aux faits, aux textes, voire aux simples mots, d'étranges gauchis-
sements ou de formelles déviations. Ce jeune critique est en passe de
devenir une autorité ; on saura que ses assertions exigent un contrôle
rigoureux avant d’être acceptées.
La tradition éconduite sur ses titres personnels, seul le témoignage
direct du Livre peut la réhabiliter. A-t-il pu, a-t-il dû être écrit par un
contemporain des événements qu’il relate ? Le pour et le contre se
réclament d'éminents défenseurs, et si près de se balancer sont les
probabilités en faveur de l’une et de l’autre thèse que les Éditeurs ont
cru équitable de laisser entendre deux plaidoyers indépendants. A la
fin, eux-mêmes donneront leur verdict. Il sera clair alors que cet
apparent libéralisme ne vient pas seulement d’une indécision de leur
esprit. C’est qu'aujourd'hui même, en effet, le sentiment des biblistes
anglais n'accepterait pas sans de bauts cris une adhésion trop ouverte
à là thèse radicale. Et celle-ci est si faible, en vérité, que la traiter
sur le pied d'égalité est la plus habile façon de la défendre.
M. C. W. Emmet, lucide, pondéré, reprend donc, en la resserrant,
en la précisant, l'argumentation vingt fois faite en faveur d’un accord
essentiel entre les Actes et les épitres pauliniennes. Tous en recon-
naitraient la force probante si, comme il le dit lui-mème, les livres
soumis à l'examen n’appartenaient pas au canon des écritures. Nous
regrettons sculement qu’il ait fait trop grande la place, — et jusqu'à
en faire dépendre la valeur de sa démonstration — à trois opinions
5OÛ COMPTES RENDUS.
dont les deux premières sont contestables, et la troisième, à notre
sens, inacceptable. Ce sont les hypothèses de la Galatie du Sud, de la
date haute de l’épitre aux Galates, de l'identité de la visite de Gal. II
avec celle de Act. XI.
M. Windisch, qui plaide la cause adverse, avoue dès son préambule
que [a position traditionnelle est solidement appuyée ; mais de trop
nombreuses raisons de fait lui paraissent militer contre elle pour qu'il
s’y rallie. Ces raisons, il les expose et les fait valoir dans une disser-
tation longue, touffue, inégale ; mais l'information en est si copieuse,
certaines vues sur les détails si heureuses, que tous tireront bénéfice de
sa lecture. L'argument principal n'est pas nouveau ; il date de
Tubingue. Les Actes sont en contradiction flagrante avec les épîtres sur
des événements capitaux — tel le concile de Jérusalem raconté dans
Act. XV et Gal. II — et plus encore, sur la personnalité de l'Apôtre
dont ils laissent.le portrait en ébauche et méconnaissable. « Si Paul
avait pu se conduire comme les Actes le racontent au ch. XXIII, 1-9,
et ensuite écrire ses violentes invectives contre le pharisaisme
(Phil. ILX, 2), il eùt été un hypocrite. » (p. 383). La conclusion est
nette : « Les Actes n'ont pas été écrits par Luc, le contemporain des
apôtres et le compagnon de Paul, parce que l’auteur ne se fait plus
une idée juste ni des événements qui ont précédé ou accompagné les
missions de Paul, ni de ce que Päul a accompli lui-même, ni des prin-
cipes fondamentaux de la théologie paulinienne. » (p. 348).
Après une rentrée de M. Cadbury qui dénie toute signification à la
présence des termes médicaux et discute les relations littéraires entre
Luc et Josèphe, les Éditeurs, embarrassés, consentent enfin à nous
livrer leur pensée personnelle. « Il y à dix ans, les deux Editeurs de ce
volume croyaient raisonnablement certain que les Actes avaient été
écrits par Luc, le compagnon de Paul. Lentement, toutefois, ils sont
arrivés à sentir le poids de l'argument qui se tire de la comparaison
avec les épitres pauliniennes, et à présent, ils inclinent vers l’opinion
que Luc, le compagnon de Paul, écrivit les « fragments-nous » et pro-
bablement les récits qui y adhèrent, mais que l'agencement de ce
document avec le reste des Actes et La composition de l'Évangile furent
l’œuvre d’un écrivain postérieur qui probablement vivait sous les
Flaviens. S'ils étaient obligés de choisir une date plus précise, ils
désigneraient les cinq dernières années du premier siècle … Mais la
vérité de cette vue ne peut-être démontrée, ni d’ailleurs la vérité
d'aucune d’autre » (p. 358-359).
Qu'un effort aussi soutenu, parfois aussi systématique que celui
poursuivi dans cet ouvrage pour mettre en pleine valeur la thèse
radicale sur l’origine des Actes, aboutisse à une conclusion si
timide, si prompte à dénoncer sa propre débilité, voilà qui témoigne,
certes, du sérieux et de la sincérité dont sont animés, sous leurs
préjugés d'école, les deux professeurs d’'Harvard, mais voilà surtout
qui tranquillisera sur le sort de l'affirmation traditionelle. L’authenti,
A. M. JACQUIN, 0. P. : PORTRAITS CHRÉTIENS. 501
cité de l'Évangile et des Actes, à vrai dire, est à peine un problème, et
elle n’est un problème insoluble que pour ceux qui se plaisent à le
vouloir tel. Luc, le médecin chéri, souriant et distingué, tient d’une
main ferme le double rouleau de son œuvre historique. Ce n’est pas la
tempête critique qui le lui arrachera.
Une troisième partie donne un aperçu sur les évolutions de la
critique des Actes en Allemagne et en Angleterre. Travail fort utile
par où on fera bien de commencer la lecture de l’ouvrage. On s'y fami-
liarise, en effet, avec tant et tant de noms, aux dures syllabes, semés
dans les notes, dont la plupart, grâce à Dieu, sont sans notoriété dans
notre Occident latin.
Trois appendices. Le premier est consacré à ce qu'on nomme deux
analogies littéraires. 11 s’agit de saint François d’Assise et d’une
certaine Margaret Catchpole.
M. G. G. Coulton (toujours à contrôler, lui aussi, qu’on le demande
au Père Thurston !) ne serait pas fâché de nous faire prendre l'Evangile
et les Actes pour une préfigure de la Legenda Major de S. Bonaventure.
C'est-à-dire, comme il l'entend, pour de l’histoire officielle, cachottière
et peu sûre. Mais il cite un oracle fameux de Reuan : « Nous avons la
preuve que, sauf les circonstances miraculeuses, le caractère réel de
François d'Assise répond exactement au portrait qui est resté de lui.
François d'Assise a toujours été une des raisons les plus fortes, qui
m'ont fait croire que Jésus fut à peu près tel que les évangélistes
synoptiques nous le dépeignent. »
Quant à Margaret Catchpole, il nous paraît qu'introduire dans un
débat si haut les aventures de cette fille de ferme, voleuse et sans
mœurs, puis, sur le tard, matrone vertueuse, est une distraction sinon
une inconvenance.
M. F. C. Burkitt — « Vestigia Christi » — groupe les traits
biographiques fuurais sur le Seigneur par le troisième Évangile. Et
entin, pour clore le volume, M. Cadbury nous livre une poignée de
scolies philologiques sur la préface de l'Évangile qui est apparemment
le prologue des deux Livres de saint Luc. G. Ausouro, O. S. B.
A. M. Jacquin, O. P. Portraits chrétiens. L'Église primitive. Paris,
Éditions de la Revue des Jeunes, 1923. In-46, 187 p. Fr. 7.
Les notices qui composent ce volume ont paru la plupart dans la
Revue des Jeunes. Elles ont été écrites non seulement pour fournir des
modèles authentiques à notre piété, mais aussi pour «évoquer quelques
épisodes de l'Eglise » au cours des quatre premiers siècles de son
bistoire. Elles 5ous présentent les figures d'évêques et martyrs,
S. Ignace d'Antioche, S. Polycarpe de Smyrne, $S. Cyprien de Carthage,
de docteurs ct défenseurs de l'Église, tels S. Irénée, S. Athanase,
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 32
502 COMPTES RENDUS.
S. Justin, Origène et entin du père du monachisme, S. Antoine, ermite.
Le choix, on le voit, est des plus heureux. Il nous assure déjà que
l’auteur est un homme avisé, au courant de l’histoire ecclésiastique,
pour avoir su choisir une série de figures aussi propres à synthétiser
quelque aspect de la vie primitive de l'Eglise.
Il le montre encore mieux par sa façon de peindre ses modèles. La
maitrise est admirable avec laquelle il sait dessiner la figure de ses
héros, sans ctalage d'érudition, tout en étant pénétré d’érudition. Il
faut posséder sa matière pour pouvoir la présenter sous une forme
apparemment aussi simple, aussi claire et en même temps de façon
aussi magistrale et avec autant de compétence. Les lecteurs qui en ont
goûté la primeur dans la Revue des Jeunes y auront trouvé une occasion
rare d'apprendre à connaître les héros de ses études, mais aussi à saisir
et à comprendre maints aspects de l’histoire de l'Eglise primitive. Et
les professionuels en la matière trouveront autant de charme à les
parcourir, tant ils seront intéressés par la manière de l’auteur et même
ils en retireront quelque protit, en apprenant à orienter leur esprit
vers l’un ou l’autre point de vue intéressant.
L'auteur arrive à ce résultat par des moyeus sans prétention. Une
courte formule introduit l’exposé, elle résume et synthétise le caractère
et l’œuvre de l’évêque ou du docteur. On nous raconte sa vie, s'arrêtant
aux épisodes les plus marquants et les plus révélateurs, mêlant à cet
exposé quelques citations de choix qui nous montrent combien l’auteur
est au courant des œuvres de ses modèles. On nous renseigne sur
celles-ci, sans prétendre s’y arrêter, car elles ne sont là et n'inter-
viennent aucunement à titre littéraire, mais bien pour compléter le
portrait du caractère et de l’œuvre du héros. L’exposé se termine
brusquement, +ans qu'on s'arrête à quelques considérations, qui seraient
du reste superflues, car l’auteur s'est arrangé de telle façon que les
faits parlent suttisamment d'eux-mêmes.
Bref, un beau et bon livre, modèle de vulgarisation, si toutefois on
me permet ce mot pour rappeler les premiers destinataires, mais de
vulgarisation vraiment scientifique. J. FLAMION
E. G. Suzer. From Auguslus lo Augustine, Essays and Studies
dealing with the contact und conflict of classic Paganism and
Christianity. Cambridge, University Press, 1923, [n-8, 1x-535 p.
128.
Cet ouvrage reproduit uue série d'études parues de 1916 à 1922 dans
le Biblical Beview de New-York. C'est ce qu'il ne faut pas oublier,
quand on le lit. Nous n'avons pas en effet à demander à l’auteur ce
qu'il u'a poiut voulu nos douner, uoë histoire suivie du conflit qui
s'est élevé pendant les quatre premiers siècles entre le christianisme
paissaut et Le paganisme decadent, sujet qui garde toujours son actualité
F. G. SIHLER : FROM AUGUSTUS TO AUGUSTINE. 503
historique en dépit des ouvrages volumineux qui ont prétendu l’épuiser.
M. Sibler a voulu faire moins et j'ajouterai même, qu’il a voulu faire
mieux. Îl a entendu nous donner une série d’études séparées et indé-
peudauntes dans un certain sens, en choisissant dans le courant de
l’évolution historique un certain nombre de types représentatifs de
l'une et de l'autre partie des combattants en présence. Il les étudie
successivement, en se plaçant à un point de vue nettement défini,
c'est à-dire au point de vue de leur attitude vis-à-vis du fait religieux et
plus précisément du fait religieux tel qu'il se pose en ce moment de
l'histoire, où deux types de religion sont ea présence, le paganisme,
sous ses formes variées, et le christianisme.
M. Sihler nous parle des philosophes du commencement de l'empire,
de Pausanias de Chéronée, de Clément d'Alexandrie, de Tertullien,
d’Arnobe, de Julien, d’Augustin, pour ne nommer que les principaux ou
ceux qui ont retenu le plus vivement son attention, pour nous donner
leurs idées et leurs systèmes sans prétendre rattacher l’une à l'autre les
figures qui passent devant nous, pas plus qu’il n'entend les faire servir
de fondement à une généralisation hâtive ou imprudente. Il tient à le
souligoer pour l’un d’entre eux : il ne parle, dit-il, que pour lui-même.
Et en effet, c'est pour lui-mème qu'il est étudié. Müis il n’en est pas
moins vrai que par le choix assez heureux que M. Sihler a fait de ses
sujets et par l'unité de méthode et de point de vue auquel il se place, si
l'on excepte çà et là une lacune peut-être regrettable, nous retirons de
son ouvrage plus que des résultats fragmentaires déjà précieux par
eux-mêmes ; nous en gardons au moins quelques suggestions utiles qui
nous permettent de mieux comprendre l'évolution de l’ensemble.
L'auteur connaît la littérature de son sujet. Mais il n'écrit nullement,
il tient à le souligner, pour répéter ce que d’autres ont dit avant lui.
Il ne se contente nullement d'érudition, mais il va aux textes. Il
s'efforce de nous peindre ses héros littéraires en s'adressant à eux-
mêmes et en les faisant parler; le choix de ses citations montre qu'il
connait leurs œuvres, pour les avoir maniées dans sa longue carrière
de professeur de langue et de littérature latines à l’université de New-
York. Ce travail est le fruit de lectures nombreuses et bien faites. Ces
études sont avant tout des études littéraires. On nous fait connaître des
idées et des systèmes, tout en ayant soin de les replacer dans le milieu
même où ils sont nés.
Les opinions et les jugements de l’auteur ont leur originalité. Nous
avons ici la pensée d’un professionnel de la littérature classique, à
laquelle il a gardé un amour et un culte assez vifs. Nous sortous quelque
peu du monde des historiens de l'Eglise primitive. M. Sibler le remarque
à quelque endroit de son iivre : les amateurs du classicisme ne sont
pas toujours des connaisseurs avertis du tait religieux, tel qu'il se
posuit daus le monde romain et les professeurs de théologie ne le sont
pas mieux de la littérature latine. Il me parait qu'il a su éviter cet
écucil de ne voir qu'un côté des choses et qu'il est bien au courant de
\
501 COMPTES RENDUS.
l’un et l’autre aspect du problème, pour autant que l'on se tient à
l’ensemble. Il ne sera pas sans intérêt et sans protit pour les historiens
ecclésiastiques de lire les pages intéressantes consacrées à l'Eglise
primitive par le professeur de litterature latine.
Ils rendront certainement hommage à la manière de l’auteur qui a
l'art de retenir l'attention de ses lecteurs et de les intéresser. C’est qu'à
vrai dire il sympathise avec son sujet; son livre doit avoir été écrit de
coaviction et de cœur. Il a gardé de son contact avec les classiques et
1a littérature de l'empire une connaissance profonde, mais aussi un
goût trés vif de ses œuvres.
Inutile de relever le soin avec lequel l'ouvrage à été édité. Il fait
honneur à l'éditeur. J. FLAMION.
W. Sannay ET C. H. Turner. Novum Testamentum Sancti [renaeï
Episcopi Lugdunensis, being the New Testament Quotations in
the Old-Latin version of the "E4:yyos … edited from the mss with
Introduction, Apparatus, Notes and Appendices by the late
W. Sanday and C. H. Turner, assisted by many other scholars
and especially by A. Souter (Old Latin Biblical Texts, n° VID).
Oxford, Clarendon Press, 1923. In-4. cLxxxviu-311 p., 48 Sh.
Avec toutes les qualités d’uù excellent outil forgé par des maitres,
ce beau volume de la Clurendon Press présente une caractéristique que
ne prévoyait sans doute pas son premier éditeur : celle de poser de
nouveaux problèmes à côté de ceux qu'il était appelé à résoudre. Cette
appréciation, qui ne fait que répéter sous une autre forme une phrase
de l'introduction, est pour une part notable le résultat des circonstances
dont est sorti le volume. Ces circonstances ont largement contribué à
augmenter la grande valeur de ses diverses parties : groupement des
plus beaux noms que connaisse depuis quarante ans en Angleterre
l’ancienne littérature chrétienne (Sanday, Hort, Turner, Souter, Armi-
tage Robinson, Conybeare, etc.), élaboration lente qui couvre près de
deux quarts de siècle et permet le recul pour juger et discuter le travail
accompli, collaboration multiple de spécialistes représentée par deux
générations des meilleurs travailleurs, tout cela garantit au contenu
du volume une richesse et une valeur dont l’importance s'impose tout
de suite à l’attention : pareil labeur ne se fait pas deux fois en un
siècle ! Mais la rançon de ces avantages ne se fait pas attendre non
plus : comme d’autres l’ont déjà dit, «c’est une maison divisée contre
elle-même ». Les présupposés, les résultats et les conclusions de ces
diverses études superposées durant un espace de quarante ans, — en
1884 le projet était conçu par Sanday et en 1893 les premières feuilles
sortaieut de presse, — sont de nature à désorienter parfois le lecteur
et pour expliquer telle omission, telle addition ou correction, tel
W. SANDAY ET C. H, TURNER : NOVUM TESTAMENTUM S. IRENAEI. 505
manquement à l’unité des détails de méthode ou de technique, il finit
par se rejeter sur là date même de la composition première et l'apport
successif des collaborations diverses (1).
Nous ne le regretterons pas trop; car, si l’on ne trouve pas la solu-
tion de tous les problèmes abordés, la richesse des matériaux accumulés
et la pénétration des études qui leur sont consacrécs, fournissent au
travailleur un point de départ extraordinairement sûr pour des investi-
gations ultérieures, et, dans la diversité des solutions, — s'il n’en
préfère pas une nouvelle, — lui donneat le moyen de se diriger par la
seule force des « evidences ».
L'établissement critique du texte latin des citations néotestamen-
taires d'Irénée, — nous nous contenterons de cette expression un peu
incolore pour ne pas préjugrr de la question qui va suivre, — est ce
qu’on pouvait attendre des éminents scholars appliqués à cette tâche,
encore qu'on puisse incidemment contester la préférence accordée à
telle leçon. Outre l'annotation critique qui relève dans la marge les
variantes des manuscrits d’Irénée, une deuxième série de notes fournit
au bas des pages les leçons des autres textes latins anciens de la Bible.
Cette partie, consacrée à l’éditioa proprement dite, est renforcée de
deux appendices, dus l’un et l’autre à M. C. Turner ; le premier (p. 204-
225) contient un certain nombre de citations et tout un groupe d’allusions
au Nouveau Testament qui n'avaient pas trouvé place daos le relevé
primitif des textes des Evangiles et des Actes ; le second (p. 229-252)
fournit les notes et les corrections complémentaires relatives à ces
mêmes livres.
La partie d'histoire littéraire, c'est-à-dire l'introduction et quelques
appendices, sur l'âge de la traduction latine d’Irénée et sur la nature
de son texte biblique latin, devra être lue et étudiée d'un bout à l’autre
par qui voudra s'occuper désormais de la question. Mais quand nous
parlons de chapitre, qu'on se garde bien de croire qu’il s'agisse d'une
section de l’ouvrage qui présente la matière avec ordre et unité. En
réalité, il faudra consulter quatre chapitres de l'introduction (p. xxv-
CLXxIX), quelques appendices (p. 253 et 289), et ua certain nombre de
pages, celles-ci des plus importantes, de la préface (p. xv, etc., xx, etc.);
c'est à peu près la moitié de tout le volume. Plus d'ua lecteur prendra
plaisir ici à suivre les oppositions de pensée et leur énoncé discret, au
cours d’un débat latent, auquel préside la courtoisie la plus exquise.
(1) C’est ainsi, que les chapitres d’Irénée sont citées habituellement d’après
MassuET, malgré la supériorité reconnue en ce point à Harvey (cfr. p. 229,
253 et x1v, n. 2). L'exclusion de quelques témoins de l’ancienne Bible latine
dans l’annotation du bas des pages a-t-elle pour motif le désir d'éviter
l'encombrement, ou l'attention moindre donnée à quelques-uns de ces
témoins il y a trente-cinq ans ? La part grandissante de la collaboration de
M.C Turner supplée évidemment, — la nature seule de quelques appendices
en fait foi, — à quelques lacunes constatées, au cours de l’exécution de
l'œuvre, dans les parties rédigées en premier lieu.
506 COMPTES RENDUS.
Sanday, fasciné par la science de Hort, ne parvient pas d'abord à
maintenir sa première conviction en contradiction avec celle du maître
de Cambridge ; mais celui-ci n’a pas traité la question ex professo et
s’est contenté d’une ébauche publiée en édition posthume (p. XXXvI-
Lv1), plus tard, Sanday revient à son opiaion première (p. LVII-LXII1).
Le volume nous fait constater ensuite une divergence non moins consi-
dérable, mais appuyée sur une documentation tout autrement étendue
et approfondie, entre deux éminents « scholars » qui se sont spécialisés
dans la latinité de la basse époque : c'est aux noms de Turner et de
Souter que sont associées les deux thèses contradictoires concernant la
date de la traduction latine d’Irénée. Des compléments sur la version
arménienne, utiles pour la comparaison, sont dus à M. Conybeare et
Armitage Robinson. |
Le distingué professeur d'Aberdeean recule jusqu'en 370-420 l’origine
de la traduction latine d’Irénée; il appuie son appréciation sur des
recherches lexicographiques extraordinairement fouillées et sur une
étude comparative des anciens textes bibliques latins, qui dénotent,
avec un énorme travail, une connaissance remarquable de la basse
latinité. Moins résolu que Souter, le savant professeur d'Oxford fournit
dans sa préface et dans diverses pages de sa collaboration, quelques re-
marques caractéristiques, tirées entre autres du vocabulaire archaïque
de quelques textes, pour conclure à une date plus ancienne ; de même
le « postscriptum » (p. cLxx etc.), dû également à sa plume, réduit à
sa juste valeur l’argument tiré des coïncidences qui rapprochent la
Vulgate, la version latine d'Irénée et la traduction arménienne de
la Bible.
En face du gigantesque labeur que suppose ce volume, il serait
téméraire de se contenter des étroites limites d’un compte-rendu pour
prendre position; mais il sera permis d'énoncer quelques remarques.
La place du volume dans la série des Old lutin Biblical Terts nous dit
tout de suite que la traduction latine, beaucoup plus que la reconstitu-
tion du texte grec de la Bible d'Irénée, a préoccupé les savants
éditeurs; les notes ne nous renseignent que pour les parties conservées
en grec ; c'était leur droit. D'aucuns le regretteront. Disons toutetvis
que l'étude de cette Bible grecque d'Irénée se trouve grandement
facilitée par la fidélité servile du traducteur qui a suivi l'original de
fort prés, et les spécialistes en critique textuelle biblique tireront
parti de l'énorme richesse d'iaformation contenue dans ces pages,
encore qu’il faille apporter peut-être la restriction que l’on verra dans
un instant.
Si l’on admet que les textes de Tertullien ne suffisent pas pour
établir l'antériorité de la traduction latine d'Irénée, les particularités
lexicographiques, exposées avec une incontestable maitrise, ont-elles
la valeur voulue pour faire abaisser jusqu'au 1v°-ve siècle l'âge de cette
traduction ? Déjà nous avons tait valoir ailleurs quelques considérations
à ce sujet (Pour l'histoire du mot « Sacramentum », p. 280-284). Ajou-
THEODOR RUTHER : DIE LEHRE VON DER ERBSUNDE. 507
tons-y que la longue survivance d’un mot, dans la pénurie des auteurs
et des œuvres, comme on le constate aux premiers âges chrétiens,
n'aurait rien que de bien naturel, et la constatation tardive de sa
fréquence n’entraîne pas l’origine récente de toutes les œuvres qui
l'emploient. Les vicissitules de l'histoire de synonymes souvent
employés posent parfois des cas bien embarrassants : c’est ainsi que la
fréqueace de myslerium et de signum, lypus, constamment employés
(plus de 60 fois) dans la traduction latine d’Irénée à l'exclusion presque
complète de sacramentum (pas 6 fois dans son texte et jamais dans sa
Bible), ferait croire à unc date et à une provenance voisines de celles
des textes dits « européanisés ». Mais quelle garantie nous donne cet
indice quand nous voyons un écrivain du milieu du 1v° siècle, au
centre de la Gaule, comme Hilaire, revenir à un usage de Sacramentum
qui dépasse en ampleur et en audace, — il l’emploie près de 550 fois,
bien plus, semble-t-il, que mysterium, — tout ce qu'avait osé le génic
créateur de Tertullien et de ses compatriotes d'Afrique ?
La question du texte biblique latin utilisé par le traducteur d’Irénée
entraîne, si elle est posée dans les termes des savants éditeurs et
résolue dans le sens de Souter, l'apparition relativement tardive de la
traduction. Mais cela suppose, et l'on ne nous dit pas pourquoi, que le
traducteur avait devant lui une version latine de la Bible. Pourquoi
ne pouvait-il pas traduire directement du grec ses textes bibliques au
même titre que l'original d’Irénée ? Le contenu des notes comparatives,
si richement alignécs au bas des pages, ne suggérerait-il pas cette expli-
cation à qui veut se rendre compte des divergences continuelles entre
le traducteur d’Irénée et tous les groupes anciens de versions.
En résumé, pour la date de la traduction, adhuc sub iudice lis est.
Ce qui ne l’est certes pas, c’est la maîtrise des auteurs qui ont livré
au public savant un instrument de travail des plus précieux : elle
facilite les nouv.lles recherches autant qu'elle les appelle, et en assure
la fécondité. J. DE GHELLINCK, S. J.
Tueonor RuTHER. Die Lehre von der Erbsunde bes Clemens von
Alexandrien. (Freiburger theologishe Studien, herausgegeben von
D' G. Hoberg, Fasc. 28.) Fribourg, Herder, 1922. In-8, xvi-
145 p. 3 Fr. suisses.
L'auteur a été heureusement inspiré dans le choix de son sujet. Il est
toujours intéressant d'entendre parler de cct écrivain original qu'est
Clément d'Alexandrie ; il l’est surtout de connaître ses idées sur un
point de thévlogie qui permet de rendre compte de sa mentalité, de ses
tendances parce qu’il n’est point un trait quelconque de son système,
mais bien une pièce de quelque importance où viendront nécessaire-
ment se croiser les diverses influences qu'il a subies.
508 COMPTES RENDUS.
Le plan de l'ouvrage est bien conçu. L'introduction nous rappelle le
rôle que joua Clément, son activité littéraire, son influence sur ses
contemporains et ses successeurs, le caractère de son œuvre, pour ne
pas parler d'un résumé vraiment trop succinct de l'histoire de la
doctrine du péché originel chez les prédécesseurs du docteur alexan-
drin. M. Rüther se propose d'étudier plus spécialement ce point dans
un ouvrage qu'il prépare ; on ne peut que souhaiter lui voir donner
à bref délai ce complément nécessaire à son étude sur Clément
d'Alexandrie.
L'auteur étudie successivement le péché, la chute d'Adam, la con-
dition de l'humanité avant la Rédemption dans les œuvres du docteur
alexandrin. Serrant son sujet de plus près, il a un long chapitre sur
les rapports qui existent d’après celui-ci entre cette condition et la
faute primitive, ce qui constitue à vrai dire l'objet principal de son
travail. Il le complète en exposant les idées de l'écrivain ecclésiastique
sur l'œuvre rédemptrice du Logos et sur un point important de sa
théologie sacramentaire, le baptême et sa nécessité.
Chaque chapitre est suivi d’un résumé où l’on peut se rendre compte
des résultats acquis par l’examen consciencieux des textes et où l'on
donne la critique peut-on dire des sources de la théologie de Clément,
en s'efforçant de déterminer, autant que faire se peut, les doctrines et
les tendances qui ont influencé sa pensée.
L'examen, institué par M. Rüther, est bien fait. On ne pourra lui
reprocher d’avoir sollicité les textes un faveur d'une théorie préconçue.
Il a étudié le docteur alexandrin de façon objective. Son interprétation
est toujours fidèle : elle se plie à la manière et aux idées de l'écrivain.
Sans doute, parfois les résumés ajoutent quelque chose à ce que l'exposé
nous à fait découvrir, accentue l’un ou fl'autre trait qui n'est pas aussi
net dans l'original. Mais ce ne sont là que des questions de nuances et
l’on peut dire qu’en général M. Rüther s’est acquitté de la tâche qu'il
s'était imposée de retrouver une théologie du péché originel dans
Clement d'Alexandrie.
On ne peut songer à lui reprocher d'aboutir ea somme à un procès-
verbal de carence, ou peu s’en faut. La responsabilité de telle décou-
verte n’est pas à mettre à son compte, mais, comme il l'a fuit voir, aux
circonstances dans lesquelles le docteur alexandrin s'est trouvé et aux
influences extradogmatiques qu'il a bénévolement subies. Je regrette
pour ma part que M. Rüther ait traité ces questions d’influences de
manière trop générale et ne se soit pas attaché à les iéterminer de
facon plus nette et précise. Je pense qu'il avait le moyen de faire une
étude intéressante, s'il avait voulu traiter ce point tout à fait à fond.
La théorie du péché originel, à lire son livre, permet de les étudier,
autant et même mieux que beaucoup d’autres questions théologiques
soulevées par Clément. En tout cas l'ouvrage de M. Rüther eût gagné
en intérêt et en valeur, tuut en reconnaissant qu'il a rendu un réel
service à l’uistoire des dogmes, en le composant tel qu'il se présente,
F. RAMORINO : TERTULLIANO. 509
avec un réel souci d’exactitude et d’information, avec une excellente :
manière de comprendre et de réaliser son ambition de retrouver la
pensée de Clément sur le péché, avec la loyauté et la franchise observée
vis à vis des questions difficiles qu’un pareil sujet pouvait présenter et
enfin avec les résultats obtenus. J. FLAMION.
F. Ramorino. Tertulliano. (11 Pensiero Cristiano.) Milan, Società
editrice « Vita e Pensiero », 1923. In-12, 316 p.
Dans une collection qui s'annonce comme embrassant « les plus
belles pages de la littérature chrétienne de toutes les époques », Ter-
tullien avait sa place marquée. Il reste, en effet, malgré une fin
lamentable, un des plus éloquents défenseurs du christianisme au
temps des grandes persécutions, et nul écrivain n’a contribué plus que
lui au progrès de la science théologique et à la fixation de sa termino-
logie latine. Ce n’est pas sans raison qu’on l'a qualitié le principal
fondateur de la théologie en Occident. S. Jérôme en faisait grand cas,
tout en relevant vivement, à l'occasion, ses erreurs : il le cite souvent
avec éloge, il l'utilise peut-être plus souvent encore, et il nous apprend
que S. Cyprien ne passait pas un jour sans lire quelques pages de celui
qu'il appelait « le maître » par excellence. On sait que Bossuet tenait
également le graad africain en haute estime, et nul doute qu’il n'ait
dû à un commerce assidu avec lui une part de l’énergique originalité
de sa pensée et de son style.
Conformément au plan adopté par la direction d’Il Pensiero crisliano,
ce volume comprend deux parties bien distinctes : d’abord, une sorte
de large introduction historique et critique ; puis, un choix d'extraits
dont l’ensemble doit représenter aussi parfaitement que possible les
doctrines et le rôle de l’auteur auquel le livre est consacré.
La première partie est l’œuvre de M. Felice Ramorino. Elle débute
par un aperçu clair et synthétique du «temps où vécut Tertullien ».
Nous y voyons comment, depuis la mort d'Antonin le Pieux, en 161,
jusqu'à l'avènement de Philippe l’Arabe, en 241, au milieu des agita-
tions et des convulsions de l'empire romain et à côté des pâles élucu-
brations d’une littérature profane en décadence, les idées chrétiennes
faisaient leur chemin. Suit une esquisse biographique de Tertullien,
esquisse nécessairement assez maigre, assez vague ; car on ne possède
sur ce sujet d’autres éléments qu'une page du De Viris illustribus de
S. Jérôme et quelques in lications ou allusions recueillies çà et là dans
128 écrits de l’auteur. En revanche, «sa mentalité et son caractère »
entier, âpre, entêté, enclin à l'exagération, ressortent avec un haut
relief de tous ses ouvrages et de la conduite générale ile sa vie ; et les
conclusions qui, à ce point de vue, se dégagent des faits sont judicieuse-
meut souligaées dans un troisième chapitre de l’introductivn. Après
510 COMPTES RENDUS,
cela, les deux derniers traitent, l’un, « du contenu et des dates des
œuvres de Tertullien », l'autre, « du souvenir » qu'ont gardé de lui les
siècles postérieurs. L'analyse de ses diverses productions est nette et
concise. Quant à l’arrangement chronologiqu:, je n’étonnerai personne
en disant qu’il comporte des détails qui ne sont que plus ou moins
probables ; M. Ramorino en convient loyalement. Mais l'opinion
suivant laquelle Tertullien aurait cu, de son vivant même, Miau-
tius Felix comme premier imitateur, sera, je le crains, difficilement
admise par ceux qui ont lu la dissertation de M. Waltzing en tête de sa
belle édition de l’Octavius. Il est vrai que les témoignages historiques
font complètement défaut. On en est donc réduit aux arguments
internes. La ressemblance, l’étroite parenté même de l'Octavius avec
de nombreux passages de Tertullien est indéniable; mais y at-il
dépendance directe ou seul::ment source commune ? et dans l'hypothèse
de la. dépendance, de quel côté est l'imitation et où l'original? Trois
solutions sont possibles, et toutes les trois ont leurs partisans.
La seconde partie du volume, la plus considérable, est formée
d'extraits fidèlement traduits, avec insertion d'explications historiques
ou doctrinales très opportunes et de résumés analytiques, qui, en
reliant les diverses citations, éclairent la suite des idées et la force des
raisonnements. Nous y trouvons des fragments de tous les écrits, ou
peu s'en faut, et de toutes les époques. Toutefois, on le devine, les
œuvres capitales, telles que l’Apologeticum, le De praescriplione haere-
licorum, les traités Adversus Praream et Adversus Marcionem, ont été
mises plus largement à contribution. En somme, le lecteur trouvera
ou reconnaitra ici Tertullien sous les multiples aspects de sa riche
nature, avec de grandes, d'éclatantes qualités, et de déplorables défail-
lances : il y a l’apologiste, l'habile et intrépide avocat du christianisme,
qui, avec une rare maitrise, en appelle à la raison et au droit contre
les païens persécuteurs ; il y a l’ardent polémiste, qui défend contre
les innombrables sectes gnostiques l’unité de Dieu, les mystères de la
Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, le principe de la liberté
humaine et l’action de la grâce ; il y a le théologien, qui inculqu® le
respect de la « regula fidei », de la « lex fidei », et à qui nous devons,
concernant Dieu et le Christ, des formules consacrées, comme : (res
personae et una substantiu, tres unum sunt, una persona et duae substan-
line ; il y a l’austère moraliste, qui exalte le devoir et les avantages
de la priére et de la mortification, de la chasteté, de la modestie jusque
dans les vêtements ; il y a le penseur, l'écrivain génial, créateur de
mots qui ont traversé les siècles : sanguis marlyrum semen christiano-
rum, anima naluraliter christiana, etc., mais dont la puissante et
pittoresque originalité est nécessairement voilée un peu dans une
traduction ; il y à aussi l'esprit trop confiant en lui-même, aventureux,
qui n'a pas su se préserver d’un certain subordinatianisme, ni des
rêveries millénaristes, ni d’autres opinions trés singulières ; il y a
encore, hélas ! l'homme au tempérament outrancier cet opiniâtre, qui
P. VITTON : I CONCETTI GIURIDICI NELLE OPERE DI TERTULLIANO. 511
condamne les secondes noces, qui ne permet pas aux chrétiens de fuir
ou de se racheter peniant la persécution, qui leur interdit absolument
de servir dans les armées et d'assister aux spectacles, et qui enfin,
oublieux de son glorieux passé, sombre, par le montanisme, dans le
schisme et l’hérésie déclarés. |
Le Tertulliano de M. Ramorino, en nous présentant une image rela-
tivement très complète de cette grande tigure, justifie bien son titre.
J. FORGET.
P. Vrrron. Î concetti giuridici nelle opere di Tertulliano. Rome,
Tipografia dei Lincei, 1924. In-8, 80 p.
L'avocat Vitton, magistrat distingué, qui durant ses heures de loisir
a trouvé le temps d'écrire ces pages, n’a pas craint d'aborder un pro-
blème déjà étudié et par des juristes et par des historiens. En par-
courant les œuvres du grand controversiste afin de mieux connaître sa
formation juridique par l'usage qu'il fait des formules de droit, il
s'était aperçu que la question n'avait pas été traitée à fond. En effet,
pour l’examiner d’une manière définitive, il fallait être en même temps
très versé dans la science du droit romain et familiarisé avec la litté-
rature -patristique. Vitton s'inspire des étules faites par Ferrini et
Carusi sur Arnobe et Lactance ; toutefois au lieu de grouper les cita-
tions d’après les différentes œuvres dont elles sont extraites, la quantité
de matériaux recueillis chez Tertullien lui a conseillé de les grouper
suivant la nature de leur contenu. C'est pourquoi l’auteur dispose les
citations d’après les divisions ordinaires du droit : « ad personas, vel
ad res, vel ad actiones ». Ces citations sont précédées d’un autre choix
d'extraits où Tertullien fait allusion à la lec naturalis, à la lex divina
à la lex Dei aeternals, à la valeur de la coutume praeler ou contra legem,
à l'abrogation de la loi, à la reconnaissance du culte divin.
En ce qui concerne les personnes, les passages qui se rapportent au
status servilutis et au status familine sont nombreux et importants ; au
contraire rares et de peu d'importance ceux qui ont rapport au droit
des choses et en reflètent les principes, si l’on excepte la prescription,
qui à plusieurs reprises est invoquée par Tertullien. Et à ce propos
l'auteur aborde la question de savoir, si Tertullien, dans sa polémique
avec les hérétiques, a eu en vue d'utiliser le motif juridique de la pres:
criplio longae pos:essionts, dont l'efficacité pour annuler le droit d'autrui
se trouve sanctionnée pour la première fois par le rescrit de Sévère et
de Caracalla de l’année 119. Il répond négativement et justifie pleine-
ment son avis (p. 41 et sv.). Un nombre assez notable de citations se
rapportent chez Tertullien aux actiones et à la procédure civile, parce
que dans la polémique avec ses adversaires il se considère comme cité
devant le tribunal et comme si la controverse devait se résoudre par
jugement. Importants également les textes qui concernent le droit
512 COMPTES RENDUS,
pénal appliqué à la persécution contre les chrétiens. Un dernier groupe
de textes, assez restreint, a trait aux usages militaires et à la profes-
sion de jurisconsulte.
L'auteur conclut : « Tertullien nus apparaît fidèle à la tradition
classique... la connaissance profonde et pratique du droit romain
contribue à assurer à ses œuvres une tonalité et un coloris spécial.
tandis que le grand nombre d'appels à des prescriptions juridiques
montre que Tertullien ne s’aventure pas comme Minutius et Lactance
sur un terrain qui n’est pas le sien, mais qu’il s'y meut avec la maîtrise
de celui qui coanait la valeur exacte des institutions du droit et leur
répondant pratique dans la vie sociale ». L'auteur relève que Tertullien
tombe parfois dans des contradictions, dans des inexactitudes, surtout
lorsqu'il se laisse entraîner par sa fougue de polémiste.
Ea terminant V. note que Tertullien ne doit pas être identifié avec
le jurisconsulte de même nom dont on possède quelques textes dans le
Corpus Juris. On peut affirmer que T'ertullien ne contribua en aucune
façon au développement du droit qui, précisément à cette époque, subis-
sait la plus grande transformation et se préparait à devenir le droit
universel. Tertullien, par contre. a cherché et trouvé abondamment
dans le droit des arguments pour renforcer ses thèses théologiques et
morales.
On ne pouvait mieux conclure. La lecture de ce travail cencis et
clair ne manque pas d'attrait et donne pleine satisfaction malgré son
apparente aridité. P. PascHini.
F. Loors. Paulus von Samosata. Eine Untersuchung zur altkirch-
lichen Literatur- und Dogmengeschichte. (Texte und Untersu-
chungen hrsg. von A. von Harnack und C. Schmidt, t. XLIV,
fasc. 5). Leipzig, Hinrichs, 1924. In-8, xx-346 p. Fr. 49,45 suisses.
Paul de Samosate es! à l’ordre du jour. Après les études récentes de
N. Bonwetscb, de H. J. Lawlor, du R. P. Galtier, après l'ouvrage que
j'ai moi-même consacré à ce personnage, voici un livre de F. Loofs,
qui parait appelé à un retentissement considérable dans tous les cer-
cles où l’on s'intéresse à l'histoire des origines chrétiennes. C’est un
livre riche de science et d’hypothèéses, plein de faits et de conjectures,
et dans lequel se mêlent étrangement la vérité et la fiction.
Le premier problème qui se pos» à l'historien de Paul de Samosate
est celui des sources. L'enquête de Loots est poussée très avant et ren-
ferme un bon nombre d'excellentes remarques. Mais pourquoi vouloir
à tout prix transformer le Samosatéen en une espèce de saint, alors
que les témoignages les plus authentiques en font un homme plus
préoccupé de ses propres intérêts que de ceux de Dieu ? Pourquoi, en
particulier, changer en vertueuses diaconesses pleines de charité pour
F. LOOFS : PAULUS VON SAMOSATA. 513
les pauvres et les vieillards, les ouws'oarto que la synodale de 268
reproche à Paul d'entretenir auprès de lui ? et ne savons-nous pas que
" les virgines subintroductae étaient à ce moment même combattues en
Afrique par saint Cyprien ? Particulièrement intéressante, au point
de vue historique, est la question des rapports de Paul avec Zénobie
et avec l'empire palmyrénien.
Si intéressante que puisse être l'histoire extérieure du samosaténisme,
ce n’est pourtant pas par là que l’ouvrage de Loofs mérite surtout de
nous arrêter. Son importance vient surtout de la représentation abso.
lument nouvelle qu’il apporte de la doctrine de Paul. Les pages con-
sacrées par Loofs à faire connaitre les fragments conservés des docu-
ments originaux, en rappelant les circonstances exactes de leur
publication, et en s'efforçant d’en fournir ua texte amélioré (p. 67-94) ;
celles aussi dans lesquelles l’auteur essaie de reconstituer l’ordre de
la synodale et des Actes, de remettre à leur place les membra disiecta
que nous possédons, de prouver par la double critique interne et
externe l'authenticité de nos morceaux (p. 110-183), sont parmi les
plus remarquables et les plus solides de son ouvrage. Il est cependant
permis de noter de graves lacunes dans son information. M. Loofs ne
connaît pas les fragments syriaques de la lettre synodale que renferme
le 3° livre du Contra Grammaticum de Sévère d’Antioche, et que l’obli-
geance de M. Lebon m'a permis d'utiliser. Il ne connaît pas davantage
les fragments arméniens des Actes qui sont cités dans la Widerlegung
der auf der Synode zu Chalcedon festgesetsten Lehre de Timothée Aelure,
bien que cet important ouvrage ait été édité à Leipzig, en 1908. Nous
connaissons si mal les documents originaux que la moindre découverte
n'est pas sans importance.
Aux fragments authentiques s'ajoutent les données des écrivains
théologiques et des hérésiologues. Les documents homéousieas de
398-399, l'Antirrheticus de saint Grégoire de Nysse, le 2e livre Adversus
Apollinarem du pseudo-Athanase, l’Oratio 1V8 cont'a Arianos du pseudo-
Athanase, quelques fragments des chaînes grecques, — Loofs aurait
pu signaler d’après les chiînes de Cramer des morceaux qui lui ont
échappé, — apportent sur Paul et sur sa doctrine d'intéressantes pré-
cisions. Parmi les sources hérésiologiques, je ne vois pas que Loofs ait
utilisé Marouta de Maipherkat, dont la notice est, selon Harnack, une
des plus précises et des mieux renseirnées qui soient. Avec raison,
Loofs rejette comme inauthentiques le faux symbole de 268, la lettre
de Denys d'Alexandrie, avec les questions et réponses qui l’accom
pagnent (p. 105-108), et les fragments des Discours à Sabinus (p. 283-
293). | |
Mais quelle est donc la doctrine du Samosatéen ? Les dernières
lignes de l’ouvrage nous feront uu moins connaitre les co.clusions
générales de Loofs : « Paul de Samosate s’est résolument opposé au flot
uéoplatonicien auquel Origène avait frayé le chemin, et qui, en sub-
merseant les anciennes traditions, s’est largement répandu daus
514 * ... COMPTES RENDUS.
l'Église. C’est là son titre d'honneur. Mais il a été lui-même englouti
par ce flot, comme l'ont été après lui Marcel (d'Ancyre), l’'homoousia-
nisme des vieux-nicéens, la théologie antiochienne, et le pauvre reste
de l’antiquité que l'Occident avait su encore garder au concile de
Chalcédoine... Paul de Samosate, pour autant que nous pouvons juger
le caractère de sa personsalité, nous apparaît comme un des theolo-
giens les plus intéressants de la période anténicéenne, parce qu'il
appartient à une tradition qui plonge ses racines en un temps antérieur
au déluge hellénistique (p. 322). »
Lorsqu'on précise le sens de ces formules oratoires, on s'aperçoit
‘sans peine que, pour Loofs, Paul de Samosate est le représentant
d’une tradition qui trouve son point de départ dans la pensée chré-
tienne antérieure aux Apologistes ; qui se poursuit chez Théophile
d’Antioche, chez saint Irénée, chez Tertullien, et qui, après Paul,
est encore représentée par Marcel d’Ancyre et par Eustathe d'An-
tioche, c'est-à-dire par les défenseurs les plus ardents du symbole
de Nicée. Et les adversaires du Samosatéen ne sont autres que les
métaphysiciens de l’école d'Origène, les ancêtres doctrinaux de Lucien
d'Antioche, d’Arius, des Eusébiens. L'éucouatos de Paul de Samosate,
condamné ou tout au moins rejeté par le concile de 268, devait prendre
à Nicée une éclatante revanche ; mais par un étrange renversement
des choses, la victoire des Néonicéens après 360 était destinée à rendre
_ vaine cette revanche et à canoniser officiellement une doctrine issue
de l’origénisme.
Il est à peine besoin de dire que ces paradoxes, avant d’être résumés
dans les quelques pages d’une brillante conclusion, ont été l’objet
d'une patiente et minutieuse étude de la part de Loofs. La doctrine
trinitaire (p. 203-236), la christologie (p. 236-257) ont été examinées
dans leurs moindres détails, et surtout la pensée de Paul de Samosate
a été constamment éclairée par une comparaison avec celle de Tertul-
lien, d'Eustathe d’Antioche et de Marcel d’Ancyre.
Est il permis de dire que cette comparaison a quelque chose d'in-
quiétant ? Car si la doctrine de Tertullien est connue par l’Adversus
Praxean, qui, tout en étant un ouvrage de controverse, renferme
cependant de nombreuses pages d'exposition positive, nous n'avons
d’Eustathe et de Marcel que des fragments, transmis un peu au hasard
des circonstances, et difficiles à interpréter en dehors de leur contexte.
Eclairer la doctrine de Paul de Samosate par celle d’Eustathe et de
_ Marcel risque d’être une entreprise hasardeuse. Alors même que cer-
taines formules se reproduisaient chez les uns et chez les autres, il
faudrait être sûr de leur véritable signification ; et ne pas donner aux
mots de Paul un sens qui risque de n'être pas le leur.
Il ne faut pas davantage regarder Eustathe et Marcel comme les
seuls représentants légitimes de la tradition, à l'époque du concile de
Nicée. L'un et l’autre ont sans doute été parmi les plus ardents défen-
seurs de l'éxoovoros ; l’un et l'autre ont été combattus sans merci par
F. LOOFS : PAULUS VON SAMOSATA. 515
Eusébe et par les théologiens qui, comme lui, pouvaient se recom-
mauder du souvenir et de l'enseignement d'Origène. On peut ajouter
que de bonne heure le nom de Paul de Samosate a été rapproché de
celui de Marcel dans les écrits des théologiens et dans les condam-
pations des conciles. Mais les justifications que Marcel eut à produire
par sa défense, à Rome même, où son orthodoxie avait fini par
devenir suspecte, et jusqu'au sourire d'Athanase qui paraissait aban-
donner ainsi son vieux compagnon de luttes, suffiraient à prouver
qu'il y avait dans l’enseignement de l'évêque d’Ancyre bien des for-
mules difficiles à expliquer au sens de l’orthodoxie.
On admettra volontiers que c’est donner de la doctrine de Paul une
représentation trop simpliste que de la ramener d’une part à la néga-
tion de la Trinité ; d'autre part à la négation de la divinité de Jésus-
Christ (psilanthropisme). Le Samosatéen gardait sans doute les noms
des trois personses divines dans l’administration du baptême ; il les
conservait également dans son enseignement théologique ; mais pour
sauvegarder l'unité divine, il supprimait la personnalité du Verbe et
de l'Esprit. Lorsqu'il parlait du Christ, il le représentait comme un
homme ouvaçgleis Tñ dopiax ; mais la ouvaqetæ, bien loin d’être une
évoats cbot0ns n'était envisagée que sous la forme d'une évotxnots xar”
évépryecay ; si bien que, malgré les affirmations réitérées de Paul, il
devenait difficile de voir en quoi le Christ différait de Moïse et des
prophètes.
Les évêques réunis contre Paul ne purent pas tout de suite le prendre
en défaut. L'évêque d’Antioche était un habile dialecticien ; et les pro-
blèmes compliqués dont il s'agissait restent toujours difficiles à
exprimer. Toutefois lorsque Malchion eût réussi à voir clair dans
cette pensée fuyante, le concile n’hésita pas à déposer Paul et à le
renvoyer à la communion d’Artémon. Il y a là autre chose que de
l'ironie. Artémon qui avait enseigné à Rome, qui vraisemblablement
y vivait encore, était considéré en Occident comme un hérétique. Si
la doctrine de Paul avait été dans la ligne de la tradition occidentale,
il aurait été difficile, même aux origénistes qui le jugeaient, de le con-
damner précisément sous le prétexte qu’il renouvelait uae erreur
dont on aurait trouvé trace à Rome. M. Loofs ne tient pas compte de
ce fait. Il ne tient pas compte davantage des lettres de communion
demandées à Rome pour Domnus, de celles accordées par Rome au
successeur de Domaus. Ce sont des faits, il est vrai ; ce ne sont pas des
textes. Mais les faits éclaircissent quelquefois les textes mieux que les
analyses les plus subtiles ; et des ressemblances verbales signalées
entre des fragments épars ne suffisent pas, semble-t:il, à marquer avec
certitude la filiation d’une doctrine.
L'ouvrage de Loofs sur Paul de Samosate rendra certainement ser-
vice aux historiens de l’ancienne Église et aux historiens du dogme
chrétien. Il abonde en fines analyses, en rapprochements ingénieux ;
il est riche d’études critiques sur les documents, originaux ou apo-
516 COMPTES RENDUS. -
cryphes, qui se rapportent au samosaténisme ; et plusieurs de ces
études peuvent être regardées comme des modèles.
Mais la thèse fondamentale du livre, celle qui vise à réhabiliter
Paul de Samosate, en en faisant le représentant autorisé d’une ancienne
tradition antiochienne, est profondément décevante ; et toute la science
de Loofs ne réussit pas à imposer ce paradoxe : on peut étre frappé de
certains rapprochements textuels, de certaines comparaisons conduites
avec talent ; mais on ne tarde pas à s'arrêter devant d'insurmontables
difficultés. Même à Antioche le Samosatéen apparaît comme sur héré-
tique sans ancêtres. Le concile de 268 ne s'est pas trompé en condam-
nant sa &« méchançceté négatrice de Dieu ». Coste BaRDY:
P. Barirro. Le Siège apostolique (359-451). Paris, Gabalda, 1924.
In-19, vu-624 p. F. 15.
« Avec ce volume s'achève l’histoire des origines du catholicisme »
que M. Batiffol avait entrepris d'écrire. En 1909, il publia l’Église
naissante el le Catholicisme, dont nous n’avons pas besoin de rappeler
le retentissant succés. En 1914, parut la Paix Conslantinienne qui
racontait la première prise de contact du catholicisme avec deux puis-
sances redoutables, d’une part l'empire chrétien et d'autre part
l'arianisme. Le volume se terminait par l’histoire du Concile de Rimini
qui semblait consacrer la victoire de l’une et de l’autre.
Elle fut de courte durée, du moins en Occident. M. Batiffol nous
raconte la double réaction qui se dessina dés le lendemain de Rimini,
réaction nicéenne et réaction contre l’intrusion du pouvoir civil dans
les affaires ecclésiastiques. Il définit très justement le rôle que
S. Ambroise joua dans cette dernière. On savait tout ce qu’il avait fait
pour combattre l’arianisme ; on connaissait sa liberté vis-à-vis du
pouvoir impérial, mais on n'avait pas encore mis en lumière, comme
l’auteur le fait, la portée exacte de cette attitude de l’évêque de Milan
vis-à-vis du pouvoir civil, parce qu'on ne l'avait pas replacée dans son
cadre véritable.
Nous ne pouvons songer à reprendre par le détail tout l'exposé de
M. Batiffol. C’est un exposé quelque peu touffu en certains parties de
son livre, car il enteud être complet. Qu'il nous suilise de décrire sa
méthode, ses procédés, ses conclusions principales. Il divise la période
qui s'étend du concile de Rimini au concile de Chalcédoine en quatre
étapes, si l'on me permet d'employer ce mot, quatre étapes qui sont
nettement caractérisées par quelque événement important : Damase et
Ambroise, le concile de Constantinople de 381, le concile d'Ephèse,
S. Léon et le concile de Chalcédoine. Pour chacune de ces subdivisions,
il étudie successivement l'Orient et l'Occident, au point de vue de
l’organisation ecclésiastique. Il lui arrive tantôt de rencontrer l’un ou
P. BATIFFOL : LE SIÈGE APOSTOLIQUE 517
l'autre fait particulièrement remarquable, où se joue à un certain
moment la destinée de l'Eglise catholique ; tantôt, et cela spécialement
pour l'Occident, il se trouve mis en présence de l'activité normale de
l'Eglise, des relations régulières entre les évêques et Rome, telles
qu'elles apparaissent dans les actes d'administration que le pouvoir
pontifical exerce au gré des circonstances et des difficultés locales qui
se présentent.
Pour ces derniers faits, notre auteur est bien informé. Sa critique
ne se trouve nullement en dessous de sa tâche. Il sait interpréter les
documents, qu'il ne craint pas de présenter au lecteur, comme il sait
mettre chaque fait à sa place et le replacer dans son cadre normal,
Certains de ces exposés retiennent malgré tout l'attention, tant l’auteur
a su mettre le sens de l’histoire dans sa manière. On revit les faits au
fur et à mesure de leur succession devant nos yeux.
Quand il s’agit de l’un ou l’autre épisode plus éclatant de l’histoire
de l'Eglise, tels les conciles de Constantinople, d'Ephèse, de Chalcé-
doine, sa méthode reste la même, quoique l'exposé se hausse à la
mesure de l'importance des événements. On s'attache à reproduire
scrupuleusement les événements, on nous donne les documents, inter-
prétés avec grande perspicacité et modération, pour nous faire décou-
vrir le sens et la portée des faits que l’on a retracés consciencieusement,.
Nous avons la sensation d'avoir affaire à un maître en la matière. Le
tout sans discussion ; il n’est fait allusion qu’incidemment, en manière
de conclusion, à l’une ou l’autre opinion qui s’est manifestée en sens
contraire. Et en effet, nul besoin de s’en occuper spécialement ; la meil-
leure critique est l’exposé des faits tel que l’auteur nous le présente.
Les conclusions sont appuyées sur cet exposé. Il nous fait comprendre
parfaitement la différence des situations entre l'Occident fidèle à Rome
et l'Orient, plus versatile, soumis à des influences contradictoires, dont
la tidélité est précaire et plus instable. Je crois devoir souligner ce
point qui ressort avec une lumineuse évidence de l'exposé de M. Batiffol
que l'Orient est d'autant plus instable dans son acceptation du princi-
patus romain qu'il s'attache mieux au pouvoir impérial, lui demandant
secours et appui de façon régulière, alors que l'appel à Rome, pour
se traduire de fait en des manifestations éclatantes, reste un dernier
recours, qui est tenté quand les autres remèdes ont été essayés en
vain. Ce qui donne de l'autorité à l'exposé de M. Batiffol, c’est qu'il ne
nous fait pas comprendre seulement l’histoire d’un siècle, mais tout
aussi bien celle des siècles qui suivirent. A le lire, on s'étonne moins
de ce qui est survenu par la suite, car, comme il le fait ressortir dans
ses conclusions, il suffit à l'esprit byzantin de prévaloir dans l'Eglise
d'Orient, pour que le prestige de Rome décline et Justinien continue
ce que d’autres avaient préparé avant lui, en attendant que des hommes
de moindre valeur enregistrent les résultats de son action et de celle
de ses devanciers.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 33
518 : COMPTES RENDUS.
D'autre part, M. Batiffol montre bien comment le siège romain
entend faire dominer le respect de la tradition, en maintenant l’orga-
nisation ecclésiastique telle que l'usage, la coutume l'ont faite, non en
vertu d'un traditionalisme de pure convention, mais d’une doctrine de
droit qui donne la primauté à Pierre et à ses successeurs, tout en
reconnaissant les prérogatives des métropolitains et des évêques.
L'auteur a pleinement raison d'insister sur ce point que c'est se
méprendre étrangement que de vouloir définir cette organisation, en
l’appelant une monarchie, que l’on prétendrait représenter comme auto-
ritaire et destructive de tout droit étranger au sien. Il établit nettement
qu'il n’en est pas ainsi et il nous montre le pontife romain aussi
soucieux de défendre et de maintenir l'autorité des évêques que la
sienne propre, le tout en faisant un appel constant aux titres de l'Eglise
romaine qui sont consignés daos l'Evangile et la coutume ecclésiastique.
Nous aurions commis un oubli regrettable, si nous n’avions signalé
la maîtrise de l’auteur dans le portrait qu'il nous fait de l’homme et
son œuvre, quand il nous parle de S. Ambroise et particulièrement de
S. Léon. Nous y avons retrouvé la manière de son Catholicisme de
Saint Augustin (1919), livre écrit avec tant d'amour et de science et
qui nous paraît tenir spécialement au cœur de l'écrivain, si nous en
croyons quelque souvenir qu’il lui accorde dans sa préface.
M. Batiffol nous dit à cet endroit même, « qu’il dédierait ses études »
avec une confiance accrue aux théologiens anglais qu'il (lui) fut donné
de rencontrer en novembre dernier à Malines. «.. L'unité de l'Église,
telle qu'Augustin l’a contempiée, était, dit-il, la vision qui s’ouvrait
au-delà de nos discussions de textes. Le cardinal qui présidait ces
entretiens n'’était-il pas lui-même pénétré de la foi d’Augustin en l’unité
qui importe, non pas seule, mais par dessus tout f »
Puissions-nous voir les études de M. Batitfol connues et appréciées,
comme elles le devraient être, par les historiens de l’Église et par
les théologiens catholiques. Ils sont assurés d’y trouver une infor-
mation sûre, des renseignements pris aux sources, une interprétation
perspicace et pénétrante aussi bien que juste et modérée, un exposé
consciencieux et une manière de comprendre et de présenter les faits
digne d’un historien de marque. Toutes ces qualités, nous les avions
déjà soulignées en parlant des premiers volumes de l'œuvre de
M. Batiffol ; elles se retrouvent dans ce dernier, malgré les difticultés
que l’entreprise devait rencontrer en certaines étapes de l’histoire de
l'Eglise qui va de Rimini à Chalcédoine. J. FLAMION
UusEerto Moricca, San Girolamo, (11 Pensiero Cristiano.) Milan,
Società editrice « Vita e Pensiero », 4923. 2 vol. in-12, 220 et 290 p.
La collection Il Pensiero cristiano à pour objectif de vulgariser en
Italie des chefs-u’æuvre littéraires qui vont à glorifier le christianisme,
UMBERTO MORICCA : SAN GIROLAMO. 519
parce qu'ils se sont inspirés de ses doctrines. Elle ne pouvait mieux
débuter que par cette publication, dars laquelle nous aimons à voir
comme un écho du XV: centenaire de saint Jérôme.
Ce sont deux beaux volumes qu’on nous présente sous letitre transcrit
ci-dessus. Une parcie notable du premier est consacrée par M. Umberto
Moricca à retracer à grands traits la vie si pleine de l'illustre docteur
scripturaire. Rédigée en un style clair et simple, l’esquisse biographique
est d'une lecture aussi agréable qu’instructive. On y suit sans peine et
avec intérêt Jérôme dans les étapes successives de son existence :
d'abord, étudiant laborieux et avide de savoir, dans son lieu natal et à
Rome ; puis, voyageant en Gaule et trouvant là aussi occasion de
s'instruire ; séjournant à Aquilce et s’y liant avec un groupe de jeunes
gens distingués dont les noms reviendront souvent sous sa plume;
passant une première fois en Orient pour se faire anachorète au désert
de Chalcis ; de retour à Rome et y commençant, avec les encourage-
ments et l'appui du pape Damase, la série de ses études bibliques ;
regagnant entin la Palestine et construisant à Bethléem un monastère
où il compte se fixer. C'est ici, en effet, qu’il vivra le reste de sa longue
carrière, sédentaire et retiré, mais jamais oisif ni jamais tranquille,
jamais à l'abri des préoccupations et des agitations du dehors. Car à ses
grands travaux d’exégèse et de traduction viennent s'ajouter sans cesse
une vaste correspondance, des écrits de circonstance pour combattre
toutes les erreurs qui lui sont dénoncées, et des polémiques retentis-
santes où le rude athlète, frappant d’estoc et de taille, distribue des
coups redoutables, dont quelques-uns malheureusement dépassent la
mesure ou s’égarent sur des persunnes dignes de meilleurs procédés,
M. Moricca, étant donné son but, n’avait pas à entrer dans l’examen
de détails chronologiques, géographiques ou autres, qui sont discutables
et discutés entre érudits. Il à pu se borner çà et là à enregistrer les
opiaions qui lui paraissaient les plus plausibles. C’est ainsi qu’il place
‘la naissance de Jérôme entre 340 et 350, qu'il lui attribue, cumme
«très probable », la traduction, après les Évangiles, des autres livres
du Nouveau Testament, qu'il lui attribue également, ainsi qu’à son
compagnon le prêtre Vincent, la résoiution bien arrêtée « de ne point
exercer les fonctions Sacerdotales ». Mais on se demandera sur quoi il
se fonde pour assigner à la mort d'Eustochium la date précise du 28 sep-
tembre 418. Quant à Jérôme, aftirmer sans plus qu’ «il s’éteignit le
30 septembre 420 », c’est sans doute un peu trop catégorique. N’avons-
nous pas vu naguère son dernier historien, le P. Cavallera, opiner, à
la suite du bollandiste Stilting, pour l'annee 419 ? Je signalerai une
autre atiirmation non seulement risquée ou exagérée, mais certaine-
ment inexacte dans sa forme absolue ; c’est celle aux termes de laquelle
«tous les critiques sont d'accord aujourd’hui pour identifier Stridon
avec la petite cité de Grahovo, située à proximité de Glamoc eu
Bosnie ». Cette thèse, grâce aux habiles plaidoyers de Mgr Bulic, a pu
paraître un moment en passe de rallier tous les suffrages; mais ua
520 COMPTES RENDUS.
" examen attentif en a découvert la fragilité. L'inscription récemment
découverte, qui en est le fondement essentiel et dont l'authenticité
même a rencontré des sceptiques, se prête à plusieurs lectures très
différentes ; ensuite Grahovo est trop éloignée d’Aquilée et d’Hæmona
(actuellement Lubiana ou Laybach), avec lesquelles Jérôme et sa sœur
eurent beaucoup plus de relations qu'avec aucun centre de la région de
Grahovo ; Salone (Spalato), ville principale de cette dernière région,
n'est nommée que deux fois, et incidemment, dans tous les écrits de saint
Jérôme. Ajouterai-je que M. Moricea a peut-être eu tort d’accuser Rufin
d’insincérité dans sa réconciliation avec son ancien ami devenu son
adversaire ? Du moins lui reconnaît:-il franchement le mérite de s'être tu
le premier après une triste recrudescence de la «déplorable polémique ».
Dans leur ensemble imposant, grâce à l’érudition variée de leur
auteur et à un esprit curieux de toutes les formes de vérité, les œuvres
de saint Jérôme, quels que soient la dénomination spécifique et l’objet
direct de chacune d'elles, représentent plusieurs spécialités ou direc-
tions scientifiques très diverses ; dans les lettres, comme dans les
traités de controverse et dans les commentaires bibliques, l’histoire,
la morale, l’exégèse sacrée, la polémique, ont leur part et se coudoient
ou s’entremélent. Se fondant sur ce fait, M. Moricca, dans sa seconde
partie, nous donne successivement des échantillons de ces différents
genres. De Jérôme historien il reproduit les détails sur le schisme
d'Antioche et sur la prise de Rome, ainsi que les Vies de Paul l’ermite
et de Malcus, et les oraisons funèbres ou « Epitaphia » de Paula et de
Népotien. 11 aurait pu faire remarquer que ces deux derniers groupes
pe sont historiques que dans un sens un peu large. Il nous montre
ensuite le moraliste exaltant la virginité, exposant con amore la beauté
et les avantages de la vie religieuse, insistant avec une rare force de
persuasion sur les devoirs des clercs, des vierges, des veuves. De
l'exégète, il rapporte les vues intéressantes et parfois originales sur
l'utilité de nouvelles versions de l’Ecriture et sur les diverses manières
de la traduire et de la commenter. Enfin, du polémiste, il cite des pages
très vivantes et souvent très vives, dont quelques-unes tirées de la
correspondance avec saint Augustin, et d’autres dirigées contre Helvi-
dius, contre l'origénisme, contre les pélagiens.
Au total, en réunissant, en agençant ces fragments et en y ajoutant
quelques notes explicatives, M. Moricca a fait acte d'éclectisme intelli -
gent et pratique. J. FoRGET.
Jou. B. AuruausER. Christentum und Buddhismus im Ringen um
Fernasien. (Bücherei der Kultur und Geschichte hrsg. v, S. Haus-
MANN. asc. 25.) Bonn et Leipzig, K. Schroeder, 1922. In-8,
x11-402 p. Fr. 3,
Cet ouvrage du D' Auf hauser porte un titre quelque peu trompeur.
En réalité, il ne nous décrit pas les luttes que se livrent christianisme
JOH. B. AUFHAUSER : CHRISTENTUM UND BUDDHISMUS. 21
et bouddhisme en Orient ; il nous donne plutôt une histoire des missions
chrétiennes dans les pays asiatiques où le bouddhisme est religion
prépondérante.
A la naissance du christianisme, le bouddhisme, déjà vieux de cinq
siècles, occupait en Extrême Orient de fortes positions : dans l’Inde et
à Ceylan, à Siam et dans l'Indochioe, en Chine et au Japon, il comptait
des millions d’adeptes et une armée bien disciplinée de zélés propagan”
distes ; en outre, dans plusieurs contrées de ces pays, il était reconnu
comme religion d'État. Ce succès rapide et remarquable, le bouddhisme
le devait sans doute en grande partie à l'appui de quelques rois, dont
le plus célèbre Asoka (269-232 av. J.-C.), à en croire la legende, ne
construisit pas moins de 84.000 temples ; mais il le devait aussi à la
simplicité et à l'extrême souplesse de sa doctrine, qui s’adressait d’une
manière égale à tous les hommes et qui s’adaptait, suivant les circon-
stances de lieu et de temps, aux religions qu’il voulait supplanter.
Il n’est pas facile, voire même possible de reconstituer l’histoire des
premières missions chrétiennes dans les pays bouddhistes d'Asie. Les
récits, légendaires en grande partie, qui nous en ont été conservés,
permettent simplement de croire qu'il y a eu, dès les premiers siècles
de notre ère, quelques expéditions de prédicateurs isolés, dont les
efforts n’ont guère eu de résultat durable.
Ce sont des missionnaires nestoriens qui ont réussi les premiers à
y établir des chrétientés organisées. Dés le 1v° siècle, ils avaient
penétré dans l'Inde et, comme le prouvent des inscriptions découvertes
au siécle dernier, ils poussèrent leurs conquêtes jusqu'en Chine, au
vii* siècle. À partir de cette époque, leur propagande fut facilitée par :
les relations commerciales et politiques qui s’établirent entre les pays
orientaux et occidentaux d'Asie. Au x111° siècle, plusieurs de leurs
communautés subsistaient encore quand les franciscains et les domini-
cains arrivèrent en Chine et dans les pays limitrophes de l'Océan
pacifique. On connaît la tentative de ces moines intrépides qui ont été
sur le point de conquérir au christianisme l'immense empire de Chine.
Leurs efforts héroïques, au début si pleins de promesses, n’ont échoué
que devant le fanatisme de l’Islam.
Le xvi° siècle marque dans l'histoire des missions d'Asie orientale
une nouvelle période. La découverte des voies maritimes vers l'Orient
et l'enthousiasme religieux provoqué par la réforme catholique avaient
fait naître dans les ordres religieux le désir de conquérir les païens
au Christ. Tous rivalisaient de zèle dans la fondation des missions :
franciscains, dominicains, jésuites, pour ne nommer que les principaux,
eurent bientôt organisé des expéditions dans différents pays de l'Asie.
Le succès fut vraiment remarquable : en quelques années, le christia-
nisme y avait gagné des centaines de milliers d’adeptes. Malheureuse-
ment les regrettables controverses, provoquées dès la fin du xvi° siècle
sur les méthodes d’évangélisation, arrétèrent tout progrès et amenèrent
même le déclin des missions catholiques.
022 COMPTES RENDUS.
A la tin du xvunie siècle, l'idée d'organiser des missions gagvoa aussi
les milieux protestants, en même temps qu’elle redevint plus vivante
dans le clergé catholique. Aux xix°-xx° siècles, on put ainsi assister à
un bel effort de christianisation des pays bouddhistes d'Asie, auquel
prirent part tous les pays de l’Europe occidentale et les Etats-Unis
d'Amérique. En se basant sur les relations les plus véridiques,
M. Aufhauser nous fait connaître les progrès successifs et la puissance
numérique actuelle des différentes confessions chrétiennes.
Dans des appendices, l'ouvrage de M. Aufhauser contient 1) des
statistiques sur la diffusion du christianisme dans les pays bouddhistes
d'Asie (p. 310-320) et sur la pénétration du bouddhisme dans les pays
chrétiens d'Europe (p. 337-349) ; 2) des tables chrono'ogiques résumant
les principaux événements exposés dans le récit (p. 321-337) ; 3) un
parallèle des « prétendues ressemblances entre la vie de Bouddha et
celle de Jésus » (p. 349-366).
L'ouvrage du D' Aufhauser constitue une contribution importante à
l’histoire des missions chrétiennes. Sans doute, il n'a pas la prétention
d'apprendre au lecteur des faits inconnus ou d'apporter à certains
problèmes discutés de solutions nouvelles ; mais il résume d’une façon
claire et agréable de nombreuses monographies et se distingue par une
critique prudente et modérée. A. DE MEYER.
ALr Tagari. The Book of Religion and Empire. Arabic text edited
by A. Mingana, D. D. Manchester, University press, 1993. In-8,
444 p. 5 sb.
Le nom de Tabari éveille tout naturellement chez les historiens le
souvenir du grand annaliste Mohammed Ben Djerir at-Tabari, qui
vivait au 1x° siècle et à qui nous devons le premier essai d'histoire
complète des Arabes. Ce n'est pas de lui qu'il s'agit dans le titre
transcrit ci-dessus. Le Livre de la religion et de l'empire est d’Ali
Abu Hasan at-Tabari, un peu plus ancien (de trente ans environ) que
son célèbre homonyme. Il intéresse directement l’histoire des idées,
beaucoup plus que l’histoire des faits. Il n’est pas autre chose, en effet,
qu'une apologie des doctrines du Coran, ainsi que des entreprises
conquérantes et des pratiques gouvernementales qui s'en inspirent.
Grâce à la situation de l'auteur, admis dans la familiarité et à la table
du calife El-Motawakkel, et au caractère presque officiel de son œuvre,
ces pages nous permettent de porter un jugement d'ensemble sur les
relations et sur l’état de la polémique religieuse entre chrétiens et
musulmans vers 850. Elles attestent en particulier, de la part des
derniers, uue étrange évolution, puisqu'ils ne craignent pas de se mettre
en contradiction flagrante avec les déclarations de Mahomet en reven-
diquant pour lui l'honneur d'une longue suite de miracles. Elles
reflètent aussi le profond changement survenu naguère à la cour de
GABRIEL HANOTAUX : HISTOIRE DE LA NATION FRANÇAISE. 523
Bagdad, où l'esprit largement tolérant de plusieurs princes avait fait
place, chez El-Mottawakkel, à un prosélytisme ardent et persécuteur.
La RHE a déjà eu l’occasion (1923, t. XIX, p. 406) de parler plus au
long du but et du contenu de cet ouvrage. M. Mingana, qui en avait
donné une bonne traduction anglaise, nous présente aujourd’hui le
texte arabe, soigneusement imprimé d’après l’unique manuscrit que
nous connaissions. En applaudissant à cette publication, les spécialistes
regretteront peut-être que le savant éditeur n'ait pas reproduit ici les
notes marginales très utiles qui, dans l'édition anglaise, renvoient aux
nombreux endroits cités du Coran et de l'Evangile. La teneur du
manuscrit arabe nous oblige d’ailleurs à rectitier un détail de notre
précédent compte rendu : il n’est pas certain que la copie utilisée par
M. Mingana ait été faite sur l’autographe de l’auteur ; car nous y
rencontrons, ce semble, à la dernière page, la mention de deux copistes
successifs, dont le premier seulement aurait eu l’exemplaire original
sous les yeux. J. FORGET.
GABRIEL HanorTaux. Histoire de la Nation Française. T. XII. His-
loire des Lettres. Premier volume : Des Origines à Ronsard, par
Joseph Bédier, Alfred Jeanrovy et François Picavet. —
T. XIII. Histoire des Lettres. Deuxième volume : De Ronsard à
nos jours, par Fortunat Strowski. Paris, Société de l'Histoire
Nationale et Librairie Plon. 1n-4, 590 et 614 p.
Qu'y a-t-il dans cette Histoire des Lettres françaises qui soit de nature
à intéresser spécialement le public savant dont les lectures et les
recherches s’orientent à l'ordinaire du côté de l’histoire ecclésiastique ?
Evidemment toutes les pages qui s’y trouvent consacrées aux auteurs
ayant écrit en langue française pour ou contre l’Église. Mais il rencon-
trera ici un exposé d'un genre particulier qui ne manquera pas de
retenir son attention. C’est la partie qui, dans le premier volume, a
pour objet de faire connaître la littérature française en langue latine et
dont la rédaction a été confiée à François Picavet. Le directeur de la
publication, M. Gabriel Hanotaux, avait dit dans son Introduction
générale : « La civilisation française est née parmi les ruines; elle n’est
rien autre chose que la tradition méditerranéenne en marche. » Il a
pensé, comme le note ensuite son collaborateur, que « pour reprendre
le fil de ce passé, qui se prolonge jusqu'à nous, pour toucher du doigt,
en quelque sorte, la survivance latine dans la pensée française, il est
indispensable de connaître la littérature française écrite en latin, car
l'âme française s'est exprimée d'abord pendant de longs siècles dans la
langue de Rome ».
De là son travail (174 pages) qui suit le développement de la littéra-
ture latine sur le sol de la Gaule jusqu'au x vin siècle. Naturellement,
il prend soin de montrer en quoi elle vivifie et nourrit, pour ainsi dire,
724 | COMITES RENDUS.
la pensée française. Peut être cependant ne l’indiquet-il pas encore
suffisamment. Il convient d'ajouter toutefois qu'à vouloir pousser les
choses plus loin dans ce sens, il risquait de devoir écrire un traité deux
ou trois fois plus étendu. Le service qu'il a rendu à l’histoire littéraire
est néanmoins très précieux, surtout en ce moment où l’érudition est
en train de mettre de plus en plus au jour cette vérité : que les origines
des lettres françaises sont décidément latines.
Il va sans dire que le reste du grand ouvrage dont nous avons à
parler n’est pas non avenu pour les lecteurs de la Revue d'histoire
ecclésiastique. I1s savent en quelle sérieuse compagnie l’on marche
lorsqu'on est guidé à travers le moyen âge et l'époque moderne par des
maîtres qui se nomment Bédier, Jeanroy et Strowski. Le premier a
assumé la tâche d'analyser les Chansons de geste. Faut-il rappeler la
compétence qu'il s’est acquise dans ce domaine d'’étu les et redire à
quel point il l’a renouvelé en déterminant la part de l'élément religieux
dans la constitution des éponées médiévales ? Quant à M. Jeanroy, il
note, entre autres, avec son sens critique habituel le rôle du sentiment
chrétien dans la vie littéraire de la France avant la Renaissance.
L'intérêt de la partie moderne sera certes signalé à suffisance pour nos
lecteurs, du moment que nous leur aurons aussi rappelé que M. Strowski
compte parmi les historiens des lettres les plus écoutés à cause de ses
travaux sur Montaigne, François de Sales, Pascal et Fénelon. Toute-
fois certaines de ses appréciations pourraient leur paraître trop indul-
gentes. Ils voudraient assurément que l’on juge avec plus de sévérité
certains écrivains français, par exemple Voltaire et Michelet.
GEORGES DOUTREPONT.
James MackinNon. Constitutional history of Scotland, from early
times to the Reformation. Londres, Longmans et Green, 1924.
In-8, vi-351 p. 16 5.
Aucune histoire constitutionnelle d'ancien régime ne peut laisser
indifférent l'histoire ecclésiastique ; les relativns intimes entre l'Eglise
et l'État à cette époque ne sont pas le seul motif de signaler aux
lecteurs de cette revue l'ouvrage de M. Mackionun ; professeur
d'histoire ecclésiastique à l'université d'Edimbourg, il accorde dans ces
pages à l'Église d'Écosse une attention constante et intelligente. De
nombreuses études antérieures l'ont initié non seulement à l’histoire
des iles britanniques mais à celle du continent. Et ce n’est pas le
moindre mérite de son travail que ces comparaisons continuelles avec
les institutions des autres pays de l'Europe. Il en résulte que l'auditoire
auquel il s'adresse s'étend bien au delà des fronticres de l'Écosse.
Comme de juste, l'histoire du droit publie, non seulement constitu-
tionnel mais administratif, occupe ici la première place. Les institu-
tions médiévales, — car l’auteur s'arrête à l'avènement de la réforme
JAMES MACKINNON : CONSTITUTIDNNAL HISTORY OF SCOTLAND. 925
protestante, — sont communes à l'Écosse et à l'Angleterre. Mais les
circonstances de leur évolution au delà des monts Cheviot leur don-
pent un aspect tout particulier qui mérite d'arrêter l'attention. On a
répété que la féodalité avait été importée tout d’une pièce dans les îles
britanniques par le Conquérant ; M. M. montre les germes du système
en Écosse bien avant 1066 ; les curieux détails qu’il a recueillis au sujet
de la tenure féodale intéresseront par comparaison ou par contraste
avec la condition des personnes et des terres sur le continent. Il en va
de même de l'origine et de l’évolution des communes. Plus remarquable
est l’histoire du Parlement. Grâce à l’influence française, la représen-
tation nationale diffère totalement de l’organisation anglaise : elle
s'appelle les Tres communitlates ou les Tres status. Et, détail piquant,
elle ne ressemble dans ses destinées ni à l'anglaise ni à la française :
à l’époque même où le Parlement anglais s'incline devant l'absolutisme
des Tudors, où les Etats Généraux acceptent leur déchéance, le parle-
mentarisme écossais mène contre l’absolutisme des Stuarts la lutte
victorieuse que l’on sait. Rongé pourtant par l'absentéisme, il se
ramasse dans une institution originale elle aussi, car elle ne dérive pas
des comillees anglais. Les Lords of the articles forment une sorte de
députation permanente qui finit par absorber toute l’activité législative
des États et qui subira souvent l'influence de la couronne.
Aux historiens de l'Église et aux canonistes s'adressent les chapitres
que l’auteur consacre ec professo à l'Eglise d'Ecosse, l’un pendant le
début lPautre à la fin au moyen-àge. On y voit la communauté chrétienne
organisée d’abord par S. Columba, puis rangée sous l’autorité d’évêques
et divisée en diocèses et en parvisses. Ici encore les comparaisons avec
le continent abondent ; et les mêmes questions se posent : élection des
titulaires par le clergé ou désignation par le souverain ; influence pré-
domivante des pouvoirs locaux ou nomination par le S. Siège ; et par-
tout, les conséquences dela féodalité, qui ouvriront la porte à l'ingérence
de L'État et aux violences des réformés.
On est frappé de l'union étroite entre l'Église écossaise et les aspira-
tions nationales. Dès les débuts de l'influence romaine, son organisation
plus compacte coagule les divers groupes ethniques de {a future patrie
mieux que ne l'avait réalisé l’église celtique. Au xri° siècle, les évêques
mènent contre les prétentions des archevêques d’York et de Cantorbéry
la même guerre pour l'indépendance que sur les champs de bataille les
rois héroïques de la lignée de Bruce. Après des hésitations dues à la
situation politique, Rome tinit par reconnaître la totale autonomie des
écossais vis-à-vis de leurs voisins du Sud; ils ne reléveront que du seul
siége apostolique, avec lequel leurs relations resteront intimes jusqu’au
début du xvi* siècle.
Dans sa constitution interne, l'Église écossaise connut d’abord le
régime de la dépendance directe des évêchés vis-à-vis de Rome ; un
concile provincial légiférait, sans grande originalité d’ailleurs, la plu-
part des canons étant pris à l'Église d'Angleterre. Puis la difficulté des
526 COMPTES RENDUS.
arpels en cour de Rome et d’autres motifs amenèrent l'érection du
siège archiépiscopal de S. Andrews en 1472. Mais déjà les abus
ordinaires à cette époque, commendes, provisions, indignité de beaucoup
de titulaires, intrusion du pouvoir royal, annonçaient la tempête qui
balayerait toute l’ancienne organisation ecclésiastique. La guerre
civile de 1559 changerait la face de l'Église en Ecosse.
Toutes ces graves questions sont exposées rar l’auteur avec beaucoup
d'érudition et de sérénité. Pour la période qui précède le x11° siècle
les sources ne se présentaient qu’en petit nombre ; M. M. procè le par
analogie avec les institutions galloises, anglo saxonnes et irlandaises,
qui nous sont mieux connues; il affirme alors avec une prudente discré-
tion qui rassure. Dans la seconde partie, il se meut plus hardiment ;
une vaste connaissance des travaux modernes jointe au dépouillement
consciencieux des actes législatifs donne à son exposé l'aspect d’une
construction solide. Les amateurs de droit constitutionnel préféreraient
çà et là voir disparaître un décor trop abondant de faits d’histoire-
bataille. Pour les étrangers peu familiarisés avec l’histoire d'Ecosse,
il eut fallu joindre à l'excellent index, qui permet de connaître rapide-
ment toutes les institutions, un tableau chronologique des rois cités.
Quel dommage que M. M. n’ait pas cru devoir couronner cet intéressant
ouvrage par une conclusion montrant en raccourci l'évolution des
institutions maîtresses de l’Eglise et de l’Etat !
| ; L. WILLAERT, S. J.
ALoys Scuuste. Die Kaiser- und Künigskrônungen zu Aachen. 813-
1531. (Rheinische Neujahrsblätter. Fasc. 3). Bonn-Leipzig,
Schrôüder, 1924. 102 p.
La présente brochure est née d’une conférence faite le 12 sep.
tembre 1922 à l’occasion de la réunion à Aix-la-Chapelle des sociétés
historiques allemandes ; elle fait uae part assez large à ce qui peut
intéresser le grand public ; c'est ainsi qu'on y trouve une description
pittoresque, brillante, anecdotique de deux des plus célèbres couronne-
ments du commencement et de la tin de la période envisagée, celui
d'Otton I et de celui de Charles Quint. Mais on y trouve bien d’autres
choses encore qui sont de nature à intéresser tous les historiens,
tellement M. Schulte a su rattacher son sujet un peu spécial à l’histoire
générale des institutions politiques allemandes. — Pourquoi le choix
d'Aix comme lieu de couronnement ? Avant tout, cela va sans dire, à
cause du souvenir de Charlemagne. M. Schulte ajoute — mais ce n’est
qu'une hypothèse — qu'Otton le Grand, en posant le précédent qui fut
décisif, voulait consacrer par une cérémonie solenaelle le rattachement
tout récent de la Lorraine au royaume germanique. — Le choix d'Aix
préjugeait de la victoire de Cologne sur Mayence dans la compétition
engagée entre les deux archevèques sur le privilège de sacrer le roi.
Cologne devait l'emporter, comme ayant Aix dans son ressort. —
D'intéressants détails sout donnés sur le soin pris d'établir et de
À. SCHULTE : DJE KAISER- UND KÜNIGSKKRÜNUNGEN ZU AACHEN. 527
protéger une voie de communication rapide et directe entre Francfort,
lieu ordinaire de l'élection, et Aix par Sinzig. — Une question plus
grave pour les gens du moyen âge que pour nous est celle des insignes
royaux. M. Schulte reconnaît lui-même que l’histoire n'en est pas tout-
à-fait débrouillée. Quelques points se dégagent bien. Les insignes du
couronnement impérial sont en général les mêmes que ceux du couron-
nement royal. La manière dont ils ont été gardés varie de façon caracté-
ristique avec les changements dans la constitution politique de l’Empire.
Au début, au temps de la monarchie quasi-héréditaire, le souverain en
est constamment le détenteur ; il les emporte dans ses voyages ou les
dépose à son gré dans quelque château impérial. sous la garde de
ministériaux d’Empire, avec le souci de les transmettre après Jui à
l'héritier qu'il a tâché de faire consacrer de son vivant et de s'associer.
Avec le triomphe du principe électif et de la politique « territoriale »,
s'établit la coutume que le souverain garde les insignes chez lui, dans
son territoire, et parfois en dehors de l'Empire (ainsi Sigismond en
Hongrie). Mais l'opinion s'en choque. Et le même Sigismond, à la
requête des bourgeois de Nuremberg, les leur confie pour toujours. Et
dorénavant Nuremberg, la ville de la première diète de chaque règne,
devenue, à côté de Francfort, ville de l'élection, et d'Aix, ville du
sacre, l’une des trois grandes cités impériales, est le lieu de dépôt des
insignes ; elle les garde jalousement, ne s’en dessaisit que le moins
possible, pour les cérémonies indispensables, sous la surveillance d’une
commission de bourgeois (cfr les curieux incidents qui se produisirent
au sacre de Charles Quint) ; elle en bat monnaie, en quelque sorte; en
fait au cours de ses foires, dont ce n’est pas la moindre attraction, des
ostensions solennelles, accompagnées d'indulgences (beaucoup de ces
joyaux n'étaient-ils pas en même temps regardés comme précieuses
reliques ?). Nuremberg les garda jusqu'en 17%; ils furent ensuite
transférés secrètement à Prague, et enfin, en 180%, à Vienne.
« L'histoire de tous ces déplacements, dit M. Schulte, est une image
de l’histoire d'Allemagne. » — Un point curieux et peu connu sur
lequel un des mérites de M. Schulte est d'attirer l’attention, c'est que
malgré l'importance ou peut-être à cause de l'importance attachée à
la possession des insignes (où l’on voyait une condition de légitimité),
il en a existé plusieurs jeux, qui se faisaient une espèce de concurrence ;
à côté de ceux dont nous venons de résumer l’histoire, Richard en
avait donné à Aix la Chapelle, pour y être conservés ; ils ont servi à
quelques-uns de ses successeurs. — Le privilège d’Aix, fondé sur la
coutume, sanctionné par la Bullo d'Or, perdit d’ailleurs de son impor-
tance à la fin du moyen âge, à mesure que l'élection prit plus de relief
que le sacre. — Signalons aussi de curieux détails sur l'entrée du
souverain, par le sacre, dans la cléricature, et sur certaines parties
de la cérémonie : investitures aux princes de l'Empire, concessions de
chevalerie, dont M. Schulte souligne l'importance morale.
E. JoRDAN.
528 COMPTES RENDUS.
G. pe VaLous, Le domaine de l’abbaye de Cluny aux X° et XI° siècles.
Paris, Champion, 1923. In-8, 190 p. 145 Fr.
Cet ouvrage, paru dans les Annales de l'Académie de Mäcon (3° série,
t. XXIT), est basé sur les sources d'archives : leur choix en est judi-
cieux; l'exposé se recommande par la clarté dans les divisions, les
exemples, qui illustrent les notions théoriques du domaine, sont nom-
breux et probants.
Dans l'introduction, l’auteur retrace à grands traits la situatioa du
monachisme en France avant la fondation de Cluny, la position géogra-
phique du monastère clunisien, l’histoire de l'abbaye sous le gouverne-
ment des cinq premiers abbés : Bernon, Odon, Aymard, Maieul, Odilon ;
en rappelant l'influence de Cluny en France. Belgique, Italie et Alle-
magne, de Valous s'efforce de faire ressortir le trait caractéristique de
ce mouvement de réforme : imposer le principe de centralisation ; il
parle également de la dépendance immédiate de Cluny à la papauté.
Signalons à ce sujet une étude complète de cette question due à Leton-
pelier formant le XXII° volume de la collection des Archives de la
France monastique (L'abbaye exempte de Cluny et le Saint-Siège. Ligugé,
1923).
Eau son premier chapitre, l’auteur examine les divers facteurs qui
contribuent à la formation du domaine; il étudie ensuite la nature de
ce domaine, le régime et l’organisation de la propriété (ch. IT), il
analyse les divers modes d'exploitation (ch.1IT); au quatrième chapitre,
il s'occupe de la condition des personnes sur les terres de l'abbaye et
de leurs rapports avec les moines. En appendice, l’auteur a donné une
liste des localités où l’abbaye de Cluny fut jrossessionnée de 910 à 1019
et le détail des biens du monastère par localité.
Cette étude est une contribution importante à l'histoire économique
de Cluay ; l’histoire de la propriété et de la géographie régionale de la
France y trouveront protit. J. LAVALLEYE.
G. G. CouLron, M. A. Five centuries of religion. Volume I. St-Ber-
nard, his predecessors and successors, 1000-1200 A. D. Cambridge,
University press, 1923. 30 Sh.
Le volume, richement illustré, de M. G. G. Coulton est le premier
d'une série qui doit nous exposer le développement de la vie religieuse,
c'est à-dire monastique, pendant les cinq siècles qui précédent la
réforme ; en fait, nous y trouvons souvent une esquisse de la vie reli-
gieuse en général plutôt que celle de la vie monastique proprement
dite. Nous n’y perdons rien, car l'ouvrage se recommande tout de
suite au lecteur par une accumulation de détails et de faits qui dénote
une connaissance extraordinaire du milieu médiéval, et par une abon-
dance d’appréciations et de réflexions, dont la variété, l’a propos ou
G. G. COULTON, M. À. : FIVE CENTURIES OF RELIGION. 029
l'imprévu accuse la spontanéité peu commune d’un auteur qui a étudié
de longue main son sujet dans ses recoins les moins-explorés jusqu'ici.
C’est là le côté attrayant du livre : information trés ample, dirigée
par un siocère désir d’objectivité, alimentée par un long commerce de
vingt années et plus avec les documents médiévaux, entremélée à
chaque page à peu près de jugements originaux, que plus d’une fois
sans doute on peüt discuter, mais où il y a toujours à s’instruire. C’est
aussi le côté faivle de l’œuvre : car cette exubérante abondance de
citations et d’appréciations occasionnellement proférées déborde sans
cesse du cadre prescrit ; la matière propre à chaque partie, — les x1°
et x11° siècles, nous dit-on, pour ce volume, — ne se dégage pas nette-
ment, malgré les nombreux appels que fait l’auteur aux volumes qui
vont suivre ; il est des appréciations, celles défavorables surtout, qui
descendent jusqu’en plein xvn: siècle ; le synthèse n'est pas faite, au
moins ne se détache-t-elle pas avec clarté de tous ces éléments dis-
persés et incomplets, malgré leur abondance. On le regrette d'autant
plus que la pensée de l’auteur, habituellement très nuancée et origi-
nale, mérite considération même quand elle appelle des réserves.
Il vaudra donc mieux attendre les deux volumes suivants pour
porter un jugement d'ensemble sur l’œuvre de M. Coulton et apprécier
sa manière de voir. Contentons-nous actuellement de quelques parti-
cularités du premier volume. En trente chapitres, nous trouvons la
signification du monachisme, la religion du moine, le maître des
ténèbres, l'enfer et le purgatoire, la sauvegarde fournie par la coule,
la messe, la messe et les monastères, la Mère de Dieu, l'Evangile de
Marie, les femmes et la foi ; cela nous mène, après 200 pages environ,
au chapitre XIII consacré à S. Benoît de Nursie (p. 19%); puis,
viennent sa règle, les oblats, les miracles de $S. Benoît, le besoin de
réforme, l'opinion des contemporains et, au chapitre XVIII, S. Ber-
nard (p. 283), Clairvaux, l'idéal cistercien, Cisterciens et Clunisiens,
use fondation cistercienne, Césaire de Heisterbach, l’âme d’un novice,
le novice et son maître des novices, les Cisterciens en 1250, « commer-
cialisme » et décadence, la femme, les Cisterciens anglais ; pour finir
(p. 480), l’épilogue qu’il serait difficile de considérer comme le résumé,
sous forme de conclusion, des idées de l’auteur énoncées dans le
volume. Puis, une série d'appendices, qui couvrent plus de 200 pages
(p. 439-558), bourrés de faits, de citations, d’anecdotes, et groupés en
uue cinquantaine de titres et de sous-titres, sont consacrés soit aux :
principales matières du volume, soit à des détails secondaires. Après
ceux sur l’histoire monastique, sur les moines et le salut personnel,
sur l’incrédulité au moyen âge, sur la démonologie et les tribunaux,
sur les médiévalistes américains, sur l'Ovidius moralitatus, sur la sor-
cellerie, sur les bains, etc., en viennent d’autres sur l’enfer médiéval,
sur le culte de l’eucharistie et de la messe, sur la dévotion à la Vierge
et les légendes mariales, sur le puritanisme médiéval, etc., auxquels
sont dévolus les développements les plus considérables. Un index
530 COMPTES RENDUS.
alphabétique d’une vingtaine de pages, fort précieux, mais pas pare
faitement complet, termine le volume.
Ce coup d’œil rapide sur le contenu de cet important ouvrage nous
fait voir que M. C. à mis ensemble tout ce qui pouvait de loin ou de
près se rapporter à son but. Il est des pages entières, même en dehors
des appendices, qui sont des chapitres de folklore, très instructifs pour
qui veut pénétrer dans la mentalité populaire médiévale. Tout cela
contribue ou peut contribuer à situer le moine, son abbaye et son
activité ; cela n’explique qu'imparfaitement l'essor de la vie monas-
tique au moyen âge et risque de fausser la conception même de son
essence, car trop souvent ces détails arrêtent le lecteur à la surface
des choses. Mais malgré cela, même à ceux qui ne partageront pas
chacune de ses idées, l’auteur a rendu certes un réel service en pré-
sentant sous une forme ordonnée une richesse d’information immense.
Il à mis sur fiches les renseignements les plus nombreux, puisés aux
sources les plus variées, et concernant les côtés les plus inexplorés de
ce domaine. Ce n’est pas non plus une sèche nomenclature, ni un
alignement monotone. Derrière chaque détail, derrière chacune même
de ces « drôleries » glanées un peu partout, l’on sent l'observateur
religieux, tantôt philosophe, tantôt dilettante ou sceptique, souvent
sympathique, d'autres fois sévère avec excès, mais à l'esprit toujours
en éveil, qui juge, qui rétliéchit et qui compare ; il le fait parfois avec
une audace un peu sereine, comme lorsqu'il traduit par les expressions
de poètes du xx° siècle les visées médiévales, ou qu'il associe sans
sourciller les noms les plus disparates, Bernard, Benoît, Bonaventure
et Albert le Grand d'une part, et d'autre part Chaucer, Chamfort,
Michelet, Verhaeren, R. Ibnu 1 Farid ou le général Booth.
L'auteur a voulu être objectif et impartial ; issu de cette vallée du
Norfolkshire qui comptait jusque quinze cloîtres dans un rayon de
quarante kilomètres, dés son enfance, il s’est senti pris d'intérêt pour
ces vieilles institutions monastiques. Cet intérêt l'a soutenu pendant
des années de laborieuses recherches. Et pourtant, malgré ce labeur
immense, malgré cette connaissance incontestable de la littérature
médiévale, malgré ce commerce quotidien avec les auteurs et les
idées de l’époque, en toute franchise nous devons dire à l’auteur, car
il aime la sincérité, qu'il ne pouvait pénétrer dans la réalité même
‘des choses en ne s'attachant qu’à un seul de ses côtés. Souvent, il part
en guerre contre des appréciations trop bienveillantes, à son gré, de
littérateurs, de publicistes ou d'historiens ; il n'a pas tort chaque fois,
mais habituellement [a réaction dépasse ce que permet l'objectivité.
C'est que l'abondance même et la variété des sources d'information
fait se poser un point d'interrogation : jusqu'où peut-on se fier au
genre de témoins invoqués ? Je ne parle pas d’un certain nombre
d'exemples cités de seconde ou de troisième main : qu'ils viennent de
Martène ou de Dresdner, de J. B. Thiers, de Saint-Simon, de Pusey,
ou de Chamfort, etc., il y avait lieu de les véritier et de les situer.
G. G. COULTON, M. A. : FIVE CENTURIES OF RELIGION. 531
Mais, qu'il s'agisse de ceux qu'il a trouvés ailleurs ou de ceux qu'il
doit à ses connaissances persounelles, — et nous nous plaisons à
répéter que celles-ci sont extraordinairement étendues, — il y avait
une question de méthode à résoudre d’abord, pour donner à chaque
témoignage sa valeur et sa portée réelles. Chacune de ces singularités,
de ces croyances, de ces superstitions, de ces écarts de conduite, etc.,
est dûment établie, il n’y a pas lieu de le discuter ici; mais ce qui
devient inexact et anti-historique, c'est le tableau exclusif qu'on me.
trace quand on les dissocie de tout le reste de la vie, des idées et des :
institutions chrétiennes du moment, comme si toute la religion s'était
reduite alors à ces niaiseries, comme si les parties éclairées de la
hiérarchie séculière ou régulière ne connaissaient rien de plus sub-
stantiel, comme si la science religieuse de ces âges s'était bornée à
ces racontars de folklore. 11 y a plus : le témoin qu'on interroge doit
être traité avec dextérité, si la nature même de son caractère ou le
genre de sa déposition l’expose à être partial, exagéré ou unilatéral.
Or, chez certains auteurs qu’on invoque, comme Giraud le Cambrien
et les réformateurs en général, la modération dans la plainte n’est pas
le défaut dominant ; chez d'autres, comme chez les prédicateurs popu-
laires du moyen âge, — M. C. se sert avec une connaissance très
étendue de cette littérature, qui donne grand intérêt à son livre ; à
Pelbart toutefois, il aurait pu ajouter Bernardin de Bustis, — il est
dangereux de prendre au pied de la lettre chacune de leurs afir-
mations, Car l’etficacité de leur action sur les foules est souvent en
raison inverse de leur pondération. Entin, d’autres groupes de témoi-
gnages, comme celui des actes législatifs des synodes ou des chapitres
généraux, ne donnent qu'une face de la situation : l’histoire fait fausse
route si elle n’examine intelligemment chacune des données qui s’en
dégagent. L'ouvrage de M. C., malgré la vive lumière, souvent
nouvelle, qu'il projette sur une foule de points, n’a pas tenu compte,
nous le regrettons, de la nécessité de ce dosage. Par endroits même,
surtout s'il s'agit de comparaisons avec l'esprit moderne, une note
sceptique, d’un radicalisme qui rend songeur, risque de fausser les
perspectives sur [a vie chrétienne du moyen âge, sur la religion
médiévale modelée par les moines, sur la foi, l’incrédulité ou le paga-
nisme de ces siècles. Dans les chapitres du début, d'ordre plus général,
et dans les appendices, il y aurait pas mal de détails à relcver, comme
l’exégèse de l’épiître aux Hébreux, l'interprétation de S. Augustin sur
la présence réelle, le note « féodale » trop exclusive de certaines
dévotions et croyances, l'explication d’usages liturgiques associés à
l'élévation, la Vierge au manteau, etc. ; ce compte rendu s’en allon-
gerait démesurément. Disons seulement en général que les longues
pages sur la messe et sur la mariologie, les hosties saignantes et les
Juifs, les condamnés à mort, les caractéristiques de la foi médiévale,
etc., contiennent, à côté de renseignements exacts, beaucoup de vues
discutables dont l’ensemble ne donne qu’une représentation incomplète
532 | COMPTES RENDUS.
et unilatérale de la réalité. On s'étonne que M. C., si désireux d'objec-
tivité, tout son livre en témoigne, ait pu s’en contenter. Il connaît
trop bien ces siècles médiévaux pour ne pas doser exactement dans
ses prochains volumes, à côté du mauvais, le part du très bon, du bon
et du médiocre. L'histoire n’enregistre souvent que les actes et les
idées de ceux qui sortent du niveau moyen par en haut ou par en
bas : M. C. s’est trop borné à n’épingler que ces derniers. Il a cru être
sincère, nous n'en doutons pas ; mais le tableau qu'il esquisse aurait
dû être plus scientifiquement conçu. Il est peu élogieux, pas toujours
sans motif, pour quelques médiévistes américains ; nous croyons
cependant que plus d’un chapitre du Mediaeval Mind d'O. Taylor a
mieux saisi la vérité historique que les Five Centuries of religion.
J. DE GHELLINCK, S. J.
C. C. ScuerEr. Die Strassburger Bischôfe im Investiturstreit. Ein
Beitrag zur elsässischen Kirchengeschichte. Bonn, Johannes
Tinner, 1923. In-8, xv-192 p.
Le travail de M. Schérer sur les évêques de Strasbourg pendant la
querelle des investitures procède d’une excellente intention et il est
probable que l’histoire religieuse des x1°-xr1° siècles serait beaucoup
mieux fixée dans ses traits essentiels si chaque diocèse avait été l’objet
d’une monographie où seraient condensés tout à la fois les incidents
auxquels la querelle des investitures a donné lieu et les efforts tentés
en faveur de la réforme soit par les évêques, soit par les abbayes. Sans
doute cette conception n'est pas celle de M. Schérer qui, à tort selon
nous, à enfermé son sujet dans un cadre plus étroit et s’est contenté,
comme l'indique le titre de son livre, de dégager quel à été le rôle des
évêques de Strasbourg dans le grand conflit qui, à la fin du x1° siècle
et au début du x1i°, a mis aux prises la papauté avec les rois de
Germanie. Il a été ainsi amené à ne parler qu'incidemment de la
réforme monastique, pourtant si importante en Alsace, et à laisser de
côté tout le mouvement d'idées qui se concentre dans certaines abbayes;
ce n’est pas sans quelque stupéfaction qu'on le voit mentionner seule-
ment pour mémoire l'apparition, à la fin du pontificat de Grégoire VII,
du Liber ad Gebehardum où Manegold de Lautenbach développe une
conception du pouvoir royal et de ses rapports avec les sujets tellement
neuve qu'elle semble un anachronisme. Aussi bien, si consciencieuses
que soient [es monographies des évêques strasbourgeois contemporains
de la querelle des investitures, on peut leur reprocher de n'être que
des monographies qui ne réussissent pas à rendre compte de ce qu'on
pourrait appeler l’activité interne du diocèse. Il est souhaitable que, si
la tentative de M. Schérer est reprise pour d’autres églises, elle Le soit
sur up plan beaucoup plus large.
C. C. SCHERER : DIE STRASSBURGER BISCHÔFE 1M INVESTITURSTR. 533
Dans son introduction, M.Schérer annonce qu'il se propose delémêler
les diverses formes de l’activité des prélats dont il veut écrire l’uistoire,
d'analyser leurs intentions, de définir les motifs qui Les ont fait agir.
Il a bien tenu sa promesse et généralement bien dégagé la physivnomie
des différents évêques qui se sont succédé sur le sicge de Surasbourg de
1065 à 1123. On ne peut pas dire toutefvis qu’il ait renouvelé le sujet
et il faut couvenir qu'après les minutieux travaux consacrés en Alle-
magne à la querelle des investitures, il lui était difticile d'être original.
De fait, bien souvent, il est obligé de se contenter d’une référence à la
Kircrengeschichte Deutschlands de Hauck ou aux Jahrbücher des deut-
schen Reichs unter Heinrich IV. und Heinrich V. de Meyer von Knonau ou
encore à la Kontiliengeschichle de Hefele qui visiblement lui ont beau-
coup servi. Or, entre ces trois érudits l’accord est loin d'exister sur
tous les points : pour les événements ‘le 1074-1075 par exemple, la
chronologie de Hefele diffère totalement de celle de Hauck et de Meyer
von Kaonau et l’on eût aimé à connaître les raisons pour lesquelles
M. Schérer a préféré l’une à l’autre. Sa critique reste parfvis super-
ficielle et cela devient grave quand il s'agit non plus des historiens
molernes, mais des sources originales : on est surpris de le voir adopter
sans réserve les indications que lui fournit le polémiste Bonizon de
Sutri, même lorsqu'elles ne sont contirmées par aucun autre chroni-
queur , sans doute igaore-t-il le tres curieux memoire où M. Bock a si
lumineusement montré le peu de foi qu'il fallait ajouter à ce panégyriste
de Grégoire VII aussi aveugle que haineux ; de même il ne semble pas
que M. Schérer ait tenu compte des remarques critiques, d’ailleurs
contestables, mais qui ne sauraient être négligées, formulées par Meyer
von Knooau dans un appendice du tome II des Jahrbucher sur la valeur
des atfirmations de Lambert de Hersfeld. De même enfin, pour les
sources proprement alsaciennes citées dans l’introductioa, tels que les
Annales Marbacenses, le Chronicon Ebersheimense, les Annales Argenti-
nenses breves, il n'eût pas été inutile de procéder à une enquête
préalable qui eût déterminé quel crédit l'on pouvait attribuer à chacune
d'elles.
Si la critique est insuffisante, l'information retarde un peu. Nous
reprochioos plus haut à M. Schérer de n'avoir consacré qu'un dévelop-
pement bien sommaire au grand polémiste qu’a été Manegold de Lau-
tenbach ; il a cru cependant devoir indiquer les travaux modernes que
ce moine a inspirés, mais dans la note consacrée à la « Literatur über
Manegold », on ne trouve mentionnés que les ouvrages généraux de
Paulus, Grandidier et Baümker, alors que même pour la monographie
de Manegold, qui seule préoccupe l'auteur et qui soulève plusieurs
problèmes importants, il eùt puisé de précieux renseignements duns
les articles de Koch et de Endres où cet discutée la question des deux
Mauegvuld. 11 ne semble pas également que sur les ditférents papes
qui out précélé Grégoire VII M. Scierer soit très au cuuruant :
REVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 34
531 COMPTES RENDUS,
l'ouvrage de Brucker sur L'Alsace et l'Église au temps du pape Léon I1X
n'est pas cité, pas plus que celui de Martens sur Grégoire VII lui-même
qui, s’il à un caracière géuéral, aurait cependant rendu plus de services
à l’auteur que celui, manifestement périmé, de Gfrürer signalé dans
la bibliographie. AUGUSTIN FLICHE.
WOLFRAM VON DEN STEINEN. Das Kaisertum Friedrichs des Zweiten
nach den Anschauungen seiner Slaatsbriefe. Berlin-Leipzig, Wal-
ter de Gruyter. In-8, 11-144 p.
Livre d'une lecture assez pénible; l'auteur a l'art de dire les choses
les plus simples d'une manière abstraite et compliquée. IL faut pour le
suivre un véritable effort que d’ailleurs on ne regrette pas d’avoir fait.
— Il commence par quelques considérations sur les lettres du moyen
âge considérées comme œuvres d'art et genre littéraire. Celles de
Frédéric IT ont joui d’une grande célébrité — attestée par les nombreux
manuscrits qui en restent — non pas tant pour le fonii que pour la
forme ; elles ont été moins utilisées pour des besoins pratiques qu’ad-
mirées comme des chefs-d'œuvre. M. von den Steinen paraît partager
cette opinion. Elle est justifiée dans une assez large mesure, par la
force et la vigueur de la pensée ; les lettres impériales, tout comme les
lettres papales qui leur font pendant, n'en sont pas moins gâtées par
de graves défauts ; l’amphigouri y abonde; ce n'est pas impunément
gu'on veut mettre de la littérature et du beau style dans ce qui devrait
avoir pour premières qualités le naturel et la simplicité. — M. von den
Steinen se défend de vouloir trancher la question qui se pose tout de
suite : dans quelle mesure les écrits qui portent le nom de l’empereur
sont-ils son œuvre? Il est bien certain qu’il dirigeait sa politique ;
inspirait-il sa chancellerie ? Nous croyons qu'on pourrait montrer dans
quelques unes de ses lettres des expressions, des épanchements, des
espèces de contidences, qui ont bien quelque chose de personnel. Et il
est remarquable, — M. von den Steinen l'a bien dit, — que l’idée qu’on
pourrait se faire de son caractere, d’après sa correspondance, est tout
à fait contirmée par les autres sources. — Dans quelle mesure d'autre
part, la chancellerie, dont le rôle a été à coup sûr prépondérant,
attachait-elle elle-même une véritable importance aux belles phrases
qu’elle alignait ? Faut-il y voir autre chose que de simples clichés ? C’est
l'éternel problème de la valeur qu'il faut accorder aux préambules et
aux considérants. S'il ne le trauche pas, M. von den Steinen le préjuge
en quelque sorte. Car tout son livre suppose qu'on peut tirer des lettres
impériales une doctrine d'État propre à Frédéric ou aux légistes qui
l’entouraient. À cela nous ne contredisons pas. Mais on aurait voulu
que M. von den Steinen le démontrât mieux. Des rapprochements
l’auraient pe! mis. Or il n'en fait pas entre la chancellerie impériale et
Les autres caancullerivs souveraines du temps. C’eût été cependant le
W. VON DEN STEINEN : DAS KAISERT. FRIEDRICHS D ZWEITEN. 539
moyen de faire apparaître l'originalité de la première, et par là même
de justifier son sujet, qui est de ceux qui demandent à être traités par
la méthode comparative. Et il ne parle que d’une façon brève, d’ailleurs
intéressante, des sources, souvent reconnaissables, des manifestes impé-
riaux (il montre cependant fort bien comment Frédéric à laïcisé en
quelque sorte les idées qu’il emprunte : celle-ci, par exemple, que le
pouvoir civil est issu du péché, en ce seas qu'il à été rendu nécessaire
par le péché, par la chute d'Adam. Théorie qui avait servi à beaucoup
de papes, d'écrivains ecclésiastiques, pour humilier en quelque sorte le
pouvoir laïque et en montrer l'inférivrité. Frédéric la rappelle, mais
comme chose toute naturelle et pour conclure simplement à la nécessité
de ce pouvoir). — Il nous semble aussi que M. von den Steinen, très
préoccupé à ramener à un système logique et bien lié les déclarations
de Frédéric, oublie à certains moments ce qu'il rappelle en d’autres
endroits : les écrits de l’empereur ne sont pas des exposés purement
didactiques ; ils avaient un objet pratique immédiat; ils s’inspiraient
des circonstances. D'où de l’un à l’autre de véritables divergences, qui
s'expliquent par les différences de temps et de lieu. Naturellement
M. von den Steinen utilise surtout les lettres de la deuxième partie du
règne, plus nombreuses et plus riches en doctrine, celles de la période
de lutte latente ou ouverte avec le Saint Siège. Mais il cite aussi, et à
peu près sur le même plan, des textes de la période d'entente; c'est un
peu imprudent. S'il rappelle exactement, impartialement, tous les
textes importants, il atténue par d’ingénieux commentaires ou il semble
ne pas voir certaines contradictions. — Contradiction par exemple
entre la prétention à la monarchie universelle, que Frédéric n'a pas
abdiquée (c’est un des mérites de M. von den Steinen de l'avoir bien
montré), et sa manière de traiter les autres rois en égaux, en associés,
en frères, quand il veut les gagner. — Contradiction, de même, sur
l'origine du pouvoir impérial, Frédéric a paru tour à tour invoquer la
théorie germanique ou la théorie romaine de l'Empire ; le droit romain
et le droit chrétien, assez mal fondus ensemble. — Contradiction encore
ou au moins différences dans les méthodes et l’esprit du gouvernement
de Frédéric, selon qu'il s’agit de l’un ou de l’autre des pays très divers
sur lesquels il règne. S'il est vrai que ces contrastes se marquent moins
dans les lettres, ils sont très marqués dans les faits. Et il me paraît
exagéré d'écrire, p. 66 : « Entre l’activité politique et l’activité théo-
rique [de Frédéric] il n’y a que cette diftérence toute naturelle, que
dans la pratique l’empereur allait plus lentement et d'une façon peut-
être moins perceptible. » (Il reste exact, et c'est eucore une des
remarques importantes de M. von den Steinen, que Fredéric, quant à
la nature et à l'origine de son droit, distinguait peu entre l'Italie
impériale et la Sicile; plusieurs de ses lettres, et surtout le préambule
des constitutions de Melfi, montrent à quel point, dans sa pensée, était
ac.evée cette fusion qu'il avait juré de ne pas accomplir, et que
redoutait le Saint-Siège). — Contradiction entin, d'ordre moral, entrg
536 COMVTES RENDUS.
la très haute idée qu'il affecte de professcr des devoirs de souverain, ct
son mépris pour l'opinion, dont il prétend bien n'être pas justiciable. —
Nous ne pouvons considérer que comme un paradoxe l’idée, exprimée
p. 98, que la lutte du Saint-Siège contre Frédéric IT aurait été avanta-
geuse pour l'Eglise en ce sens que les critiques de l’empereur l'auraient
obligée à se contrôler; la décadence et la corruption auraient commencé
avec la victoire. Les faits montrent au contraire que la guerre même
était démoralisante. E. JoRDAN
#
GEORGINE TANGL. Das Register Innocenz’ III über die Reichsfrage in
Auswahl übersetzt und erläutert. (Die Geschichtschreiber der deut-
schen Vorzeit, T. XCV.) Leipzig, Dyk, 1923. In-12, xxxvr-256 p.
M. Tangl, l'éminent érudit décédé récemment, avait formé le projet
de cette traduction allemande du célèbre registre d’Innocent IIT super
negotio Romani Imperii. À peu près rien ne s'en est retrouvé dans ses
papiers. L’exécution en à été confiée à sa fille. On se demaade à qui
s'adresse une œuvre de ce genre. [1 semble évident que les érudits de
profession voudront toujours recourir au texte même, et qu'il serait
très dangereux de les en dispenser; et que le grand public prefèrera
toujours une mis: en œuvre aux documents présentés tels quels. En
tous cas il est clair que la traduction de Me Tangl ne sera guère
consultée que des lecteurs allemands. Ce qui peut intéresser les savants
de tous pays, ce sont l'introduction et les notes dont elle accompagne
ce document capital. Elles sont volontairement très sobres, mais
judicieuses et bien informées. Mais souvent M'e langl s'abstient de
motiver son opinion, parfois même de l’exprimer ; elle mentionne sans
cooclure qu'il y a une controverse. Aïnsi, en ce qui concerne le registre
lui-même, le possédons-nous en entier ? Elle adopte l'avis du P. Peitz,
que le manuscrit que nous en avons est un registre original (et non une
copie) formé au jour le jour ; les pièces y sont à peu près dans l'ordre
chrouologique ; les exceptions (en particulier pour certaines lettres
reçues par la cour de Rome) s’expliquent par des raisons particulières,
parfois intéressantes (par exemple si la célèbre promesse de Neuss,
faite par Otton 1V le8 juin 1201, est enregistrée au milieu de documents
de novembre 1202, cela tient sans doute à ce que ce prince Lésita
longtemps avant de fuire le pas irréparable en envovant à la curie un
document si grave). Les jugements portés sur Innocent II sont équi-
tables et modérés ; c'est un mérite réel, s'agissant d'un homme auquel
les historiens allemands (y compris Mie l'angl, cfr p. XX1IX) ne par-
donnent pas d'avoir « contribué à hâter la dissolution de l’Empire
mé ijéval ». En ce qui concerne les revendications territeriales d'Inno-
ceut ILE, on peut se demander si M'e Tangl n'est pas un peu prompte à
les déclarer tout à fait mal fondées (sauf pour le Patrimoine et les
alltux mat 1ildiques). Il faut tenir compte d'une théorie que le pape
P. A KUHN : GRUNDRISS DER KUNSTGESCHICHTE. 537
professait au moins implicitement (“xactement comme le faisait l'Em-
pire) : on ne prescrit pas contre le Saint-Siège. Et il faudrait aussi
connaître ce sur quoi on ne pourra faire que des hypothèses : qu’avaient
été au juste les négociations entre Célestin IIT et Henri VI, les offres
de ce dernier ; dans quelle mesure peut-on les déduire de son testament ?
E. JoRDAN.
D: P. A. Kuux. Grundriss der Kunstgeschichte. Einsiedeln, Benziger
el Cie, [1924]. In-12, vrir-360 p., 695 fig. Prix : 12,50 frs suisses.
Le R. P. Kuhn n’est pas un inconnu dans l'histoire de l’art. Son
Allgemeine Kunstgeschichte occupe une place en vue parmi les grands
ouvrages analogues écrits en allemand : Lübke, Sprioger, Bürger. Il
s'en distiogue par deux caractères priacipaux : par la division que
l'auteur adopte et par l'importance qu'il attache aux caractères
esthétiques des styles et des œuvres d'art. Taodis que les autres
historiens de l’art prennent comme base de leur division les périolies
chronologiques et traitent des divers arts dans les limites de chacune
de ces périodes, le P. Kuhn trouve dans les trois grands arts tigurés
les divisions fondamentales de son ouvrage. De cette manière celui-ci
comprend en quelque sorte trois histoires différentes, consacrées
respectivement à l'architecture, à la sculpture et à la peinture. Mais,
à côté des ouvrages étendus, dont il n'existe en langue française qu’un
seul équivalent : l'Histoire de l’art d'André Michel, il en faut d’autres
plus sommaires. Leur rédaction présente des difficultés spéciales et
n'est pas, comme certains paraissent le croire, à la portée du premier
venu. Le P. Kubhn était parfaitement préparé pour la composition d’un
de ces manuels courts et substantiels dans lesquels chaque style,
chaque artiste et chaque œuvre marquante reçoit le relief qui lui
revient.
Les deux caractères fondamentaux qui caractérisent l’Allgemeine
Kunstgeschichte se trouvent dans le Grundriss ; Le manuel comprend
trois parties principales, consacrées respectivement à l'architecture,
à la sculpture et à la peinture. Cette division présente ses avantages,
elle a aussi ses inconvénients. Pour obvier à ceux-ci rien n'empéchera
le lecteur de parcourir successivement dans les trois parties ce qui
concerne la période qui l’intéresse. Le manuel est trés complet : on y
trouvera des notions sommaires sur les arts de tous les temps et de
tous les pays : depuis l’«rigine des arts de l'Egypte et de l'Orient
jusqu’à l'époque tout à fait contemporaine. L'art des pays de langue
allemande — auxquels l’auteur s'adresse avant tout — est forcément
l'objet d'une attention spéciale, mais pour le reste le P. Kuhn s'efforce
de mettre en relief l’œuvre des pays qui ont exercés aux diverses
époques une influence prépondérante. Il ne néglige pas l’art des autres
contrées et à l'occasion la Scandinavie, l'Angleterre, l'Espagne et le
\L98 ® COMPTES RENDUS.
Portugal sont mectiourées dans quelque paragraphe sommaire. A la
fin des chapitres un texte en petits caractères est réservé aux artistes
et aux œuvres principales et fournit une très riche information. Les
appréciations esthétiques sont intéressantes et paraissent généralement
justes. Pour ce qui concerne l’art contemporain l'auteur regrette un
subjectivisme souvent excessif, et il réclame une part de tradition
qu'il propose de chercher dans le style baroque. Il n’y a pas lieu de
discuter ici cette opinion. Elle s’explique par la nationalité de l'auteur,
bien placé pour apprécier l'architecture baroque de l'Italie, de
l'Allemagne du sud et de l'Autriche et pour en être impressioné. Le
chapitre consacré au style baroque est du reste l’un des meilleurs de
l'ouvrage. Les clichés, de petites dimensions, mais bien choisis et
nombreux, sont en général excellents. Le manuel l'emporte par sa
richesse d'information sur les manuels similaires en langue française.
Il ne fait pas double emploi avec le Lehrbuch du P. Kleinschmidt qui
traite plus longuement du mobilier et de l'iconographie et qui s'occupe
exclusivement de l'art chrétien.
Terminons par quelques observations de détail qui ne sont pas toutes
des réserves : l’auteur cherche l'origine de la basilique chrétienne dans
la basilique privée; peut-être donne-t-il trop peu l'impression que
l'église Sainte-Sophie n’est pas le type normal de l'église byzantine;
la déca lence de l'art byzantin se prolonge d’après lui du x1° siècle à
1453 ; le rôle des écoles romanes de la France dans la création de
l’église voûtée et du portail historié est à peu près passé sous silence ;
pour ce qui concerne l'essence du style gothique le P. Kuhn semble
exagérer l'importance de l’arc brisé et amoindrir celle de la voûte à
pervures ; il classe les cathédrales de Chartres, de Reims et d'Amicos
parmi les édifices de style rayonnant; S. Ouen parmi ceux de style
flamboyant ; il insiste beaucoup sur le caractère sensément germanique
du style gothique, et croit trouver un sens supérieur de logique dans le
gothique allemand. À certains eudroits le rôle des Pays-Bas mériterait
à notre avis d'être souligné davantage. R. MAERE.
R. Hawanx. Deutsche und franzôsische Kunst im Mittelalter. 1. Süd-
franzüsische Protorenaissunce und ihre Ausbreitung in Deutsch-
land. 1. Die Baugeschichte der Klosterkirche zu Lelinin und die
normannische Invasion. Marbourg-sur-Lahn, Kunstgeschichtliches
Seminar, 1922-1923. 2 vol. In-4, 1v-140 p. et 246 fig. ; 1v-180 p.
et 309 fig. |
L'étude de la sculpture monumentale du moyen âge est à l'ordre
du jour en Allemagne depuis Vôüge. Elle l’est aussi dans les autres
pays. E. Mâle en parle longuement dans son ouvrage sur l'art reli-
gieux du xn° siècle (RHE, t. XIX, 1923, p. 422), et Kingsley Porter
R. HAMANN : DEUTSCHE U. FRANZÜSISCHE KUNST IM MITTELALTER. 939
avance à son sujet des théories fo’t hardies, dans d'importants
ouvrages sur l’art roman (RHE, 1922, t. XVII, p. 453 sv. ; 1924, t. XX,
p. 322).
Les études de M. Hamann seront pour la même matière une contri-
bution de grande valeur, quoique ce soit principalement d'architecture
qu'il y s'agit. L'auteur a déposé avec raison tout faux amour-propre
nationaliste et il reconnaît carrément l'influence que le Midi de la
France et la Normandie ont exercée au x11° et au x111° siécles sur
l'art monumental de l'Italie, de l'Allemagne du sud et de l'Autriche-
Hongrie.
Le premier des deux problèmes qu’il examinc est celui de l'influence
en Allemagne de l'art provençal. Il existe une parenté notoire entre
l'art roman de la Provence et celui de la Lombardie, comme aussi
entre le roman lombard et celui de l'Allemagne. Parmi les éléments
qui se retrouvent dans les trois régions, citons les colonnes dégagées
devant les façades, les colonnes sur dos de lion, les frises historiécs,
les feuilles d’acanthe et les rinceaux classiques Mais, tandis que tout
cela est appliqué dans les monuments de Provence : à Saint-Gilles, à
Saint-Trophime d'Arles, à Saint-Gabriel — il faudrait citer aussi cer-
tains éléments de l'architecture saintongeaise et poitevine — avec un
goût pur et un sens profond de logique ct d'unité, on le retrouve en
Allemagne et plus encorc en Italie, mêlé à des éléments plus anciens :
frises d'arcatures sur bandes lombardes, entrelacs, et souvent appliqué
sans souplesse, comme par à coups et au hasard des rencontres. Que
faut il en déduire, sinon que la « proto:enaissance » provençale, im-
prégnée de pureté classique, et tout l'art du miili, se sont épandus au
dehors. Par la Lombardie et la Suisse elles ont atteint l'Allemagne
du sud, l’Autriche et la Hongrie. C’est la conclusion générale de
l'auteur après une pérégrination, longue mais parfois rapide, à la
recherche des monuments qu’il étudie.
Son analyse débute par le portail de l’église villageoise de Grossen-
linden (Hesse), presqu’inédit et auquel il attache une assez grande
importance. Vient ensuite Saint-Jacques de Ratisbonne, dont le por-
tail bien connu parait être en rapport avec les façades poitevines. En
allant plus au sud on retrouve un art apparenté à Bâle et à Coire,
puis, au delà des Alpes, dans de nombreux monuments de l'Italie du
nord : à Milao, à Pavie, à Come, à Plaisance, à Vérone, à Parme, etc. ;
partout des éléments repris à l’art français, en particulier à celui de
là Provence. Borgo San Donniao marque en Italie l'apogée de l’in-
fluence provençale, car l’auteur ne s'arrête même pas à l’bypothèse,
défendue par M. Porter, de l’antériorité des monuments italiens.
L'influence provençale se retrouve en Allemagne, à Ratiskonne, à
Gelnhausen, à Worms, plutôt durant le premier quart du x111° siècle
qu'à l'extrême tin du x11°. Mais à Worms et ailleurs d’autres influences,
normandes notamment, se manifestent également ; elles s’observent
aussi à Bamberg, où l'auteur s'évertue à faire le départ entre les
510 COMPIES RENDUS.
divers ateliers qui travaillérent à la cathédrale, puis à Freiberg (Saxe),
où l'influence provençale n’est pas éteinte durant le second quart du
x11* siècle. Elle poursuit sa route vers l’est : en Moravie, en Autriche
et en Hongrie, et s’y manifeste vers le milieu du xrrI° siècle.
Parallèlement à ces influences romanes venues du midi, s’en mani-
festent d'autres qui ont la Normandie pour point de départ. Ici encore
il s’agit d’une architecture, formée dès 1150 dans son pays d'origine,
mais qui n’est connue en Allemagne que depuis le début du xn1° siècle
et ne s'éteint qu'après 1250. La route suivie est assez problématique.
Gall avait cru que l'influence normande s'était manifestée d'abord dans
l’école rhépo-westphalienne, mais en réalité d'après M. Hamann cette
école peut trouver en elle-même sa raison d'être, et il est possible que
la voie de mer, qui a transmis à la Westphalie les voûtes plantagenet,
ait aussi servi l'architecture romane de Normandie et lui ait permis
de contourner la Rhénanie puis, de pénétrer par le Danemark dans la
marche de Brandebourg et plus au sud et à l’est, et d'y entrer en
contact avec l'influence du midi. L'architecture normande est une
architecture en retard, dérivée de la construction en bois. De là son
moindre succès dans les contrées de haute culture, comme la Rhénanie,
et sa vogue dans les contrées moins avancées et plus revêches au
progrès gothique.
L'église cistercienne de Lehnin manifeste à un haut degré les
influences diverses qui agissent durant la première moitié du xin siècle
dans la marche de Brandebourg : elle traduit en briques divers élc-
ments de l'architecture normande et semble être un point de départ
pour l'architecture de la briqu du nord de l'Allemagne. L'influence
norinande se retrouve aussi à Salzwedel et dans d'autres localités de
la Marche. M. Hamanu la poursuit après cela dans certaines parties
de la cathédrale de Worms, dans le palais et l’église Sainte-Marie de
Gclnhausen, dans diverses églises de Ratisbonne, dans le beau chœur
oriental de Bamberg. Il la retrouve ensuite une seconde fois à Lehnin
et dans d’autres édifices du Brandebourg, notamment à l’église des
Franciscains à Berlin. De Bamberg elle passe aussi en Saxe : à Frei-
berg, à Wechselbourg, à Hildesheim, mais s’y mélange à un art
autochtone et provincial. Comme le courant provençal, vers le milieu
du xu° siècle Les influences normandes se manifestent plus à l’est,
dans des contrées sans traditions artistiques, où un art plus moderne
est peu connu, et où les vieux motifs d'importation sont moins con-
trariés dans leur développement. Ils s’y retrouvent parfois avec des
caractéristiques très pures : à Tischnowitz, à Trebitsch, à Vienne et
jusqu'en Hongrie : à Lebeny et à Jak. Toutes ces œuvres éparses sont
dues peut-être à une brigade d'ouvriers du bâtiment, munis de croquis
ou d’un album de dessin, et travaillant, d'après des principes qui leur
sont familiers, dans des localités, parfois trés distantes les unes des
autres, où on les appelle. Les monuments suggèrent l’hypotlièse que
ces ouvriers étaient en concurrence avec des ateliers, qui travaillaient
HERMANN STADLER : ALBERTUS MAGNUS. 041
différemment (d’après les principes de l’école rhéfñio westphalientce, du
gothique bourguignon, etc.) et qui parvenaient souvent à les évincer
et à les refouler.
Le mystère de l'existence et de l'activité de ces ateliers divers
recevra de l'ouvrage de M. Hamaun un premier rayon de lumière.
Sans doute cet ouvrage propose des rapprochements et soulève des
hypothèses qui appelleut plus d'une réserve. Cela saute aux yeux à
la simple inspection des clichés nombreux et intéressants, juxtaposés
parfois d’une manière fort inattendue. Mais la voie tracée paraît être
une voie féconde et peut servir de point de départ aux recherches
plus spéciales. R. MAERE.
HERMANN STADLER. Albertus Magnus, De Animalibus libri XX VI.
Nach der Cülner Urschrift, (Beiträge zur Geschichte der Philo-
sophie des Mittelalters. Texte und Untersuchungen, T. XV u.
XVI.) Munster-en-W., Aschendorff, 1916 et 1921. In-8, xxvi-892 et
xxt-893-1664 p.
Il ne s’agit pas, sous ce titre, d'un inédit. Cet ouvrage du grand
philosophe médiéval fut imprimé plus d'une fois, à Rome en 1478, à
Mantoue en 1479, et quatre fois à Venise, de 1490 à 1519. Cependant une
nouvelle édition était très désirable, les anciennes étant devenues
tres rares, et les plus récentes étant très fautives. L'édition de Jammy,
O0. P., Lyon, 161, est intérieure à l’incunable de Mantoue, qui ne
reproduit le texte que d’après des manuscrits de troisième valeur.
L'édition de Borgnet (Paris, Vives, 1891), laisse encore à désirer
davantage, l'éditeur ne s'étaut pas borné à réimprimer l'œuvre de
Jammy, mais ayant procédé sans le moindre sens critique et introduit
des changements n’ayant pour base que l'arbitraire.
L'édition critique que nous présente M. Stadler, est donc sûrement
la bienvenue. Parlons d’abord de l’œuvre elle-même, ensuite de la pré-
sente publication.
J. L'ouvragr se compose de XX VI Livres. Il comprend d’abord trois
œuvres d’Aristote, suivant l'arrangement d’Avicenna, qui les a réunies
en un seul tout : 1. est +3 ox isrocix (les X premiers livres, dont le
dixième, au dire des critiques, n’a pas Aristote pour auteur). 2. [let
Cow u9!0e1 (Livres XI-XIV). 8. Loi Enemy ysviceoxs (Livres X V-XIX).
Albert le Grand prit comme base la traduction arabo-latine de Michel
Scot (+ c. 1235). Les Livres XX et XXI constituent des dissertations
philosophiques, qui, de l'avis de Staller, ont pour auteur Albert iui-
même. Les Livres XXII à XX VI renterment l'énumération alphabétique
et la description d'espèces animales, pour lesquelles Albert a utilisé
priucipalement le Liber de naturis rerum, demeuré à l'état de MS, de
Thomas de Cantimpre.
Suivant sa méthode habituelle, Albert a paraphrasé le texte aristoté-
542 | COMPTES RENDUS.
licien. Son but était de faire comprendre aux Latins l'exposé des
sciences naturelles fourni par le Stagyrite. Ici, comme ailleurs, il
ajoute l’appoint de ses scrupuleuses observations ; son œuvre semble
bien marquer le point de départ de l'école expérimentale en Occident.
Par ailleurs, on ne sera guère surpris que dans un ouvrage de ce genre,
surtout dans les parties physiognomiques, il ait été fait place à bien
des considérations subjectives et arbitraires.
2. De longs et minitieux travaux préparatoires ont permis à M. Stad-
ler de réaliser avec succés la tâche qu'il avait entreprise. Le De anima-
libus est conservé dans une quarantaine de manuscrits. L'analyse de
ces sources amena l'éditeur à fourair la preuve que le codex W 258 a,
aux Archives de la ville de Cologne, est l’œuvre originale du Maitre,
voire même l'autographe. Deux autres mss (Bâle, F 119; Dijon,
n. 202.), se trouvent dans une parenté étroite avec l’autographe et
paraissent dépendre d’une très bonne copie de l'original. Ils sont venus
à point pour reconstituer le texte de deux pages qui font défaut dans
l'autographe. Outre ces trois codices, huit autres mss ont retenu
l'attention de l'éditeur, et ont été groupés, à la suite de l’autographe,
en trois classes : notamment en copics de première, de seconde et de
troisième valeur. Dans ces dernières, le texte est mauvais, rempli de
fautes et de lacunes. Nous supposons que seules des raisons très plau-
sioles ont décidé l'éditeur à renoncer à l'examen des autres éléments
de la tradition du texte.
À la suite de M. Jessen, l'éditeur d'un autre écrit d'Albert le Grand,
De vegetalibus (Berlin, 1867), M. Stadler a divisé chaque livre du texte,
conventionnellement, en paragraphes comprenant 2 lignes et dont les
numéros se suivent dans la marge du volume. C'est à ces chiffres que
renvoient les Tables. Grâce à un système de traits verticaux, le lecteur
est à même de distinguer dans le texte, ce qui constitue une addition
personnelle d'Albert, et ce qui est l'œuvre originale des auteurs qu'il
commente. Le premier des deux étages de notes au bas des pages, ren-
ferme l'indication des sources, le second, l’apparat critique. Aux
tables qui font habituellement suite à ce genre de publications : table
des auteurs cites par Albert, table des noms propres, table de choses et
de vocables que l'on rencontre ass:z rarement ailleurs, l'éditeur en a
ajouté deux autres, dont les philologues pourront faire leur profit :
tables des noms germaniques et des noms arabes.
Jerminons ce trop bref compte-rendu en signalant une question
spéciale et controversée : celle de [a date de composition de cet
ouvrage. M. Stauler n'a pu que l'efileurer (p. VIT). Depuis lors le
P. Pelster a consacré à ce problème quelques pages nouvelles, dans la
Zeitschrift für katholische Theologie, t. XLVII(23), p. 475 et suiv.
D'après les considérations du KR. P., la composition du De Animalibus
est à répartir sur les années 1258 à 1270.
Philologues, naturalistes, philosophes, surtout les historiens des
sciences naturelles et de la philosophie, aimeront à prendre contact
C. BOECKL : DIE EUCHARISTIELEHRE DER DEUTSCHEN MYSTIKER. 543
avec cv monumental écrit d'Albert le Grand. Au point de vue historique,
le grand intérêt que présentent ces XX VI Livres se rattache à des
questions touchant le programme, la méthode et l’évolution de l’en-
seigaement sur les matières qui y sont traitées. Ces matières rentrent
de nos jours plutôt dans le calre des leçons professées à la Faculté des
sciences et de médecine ; Le philosophe cependant ne peut s’en désinté-
resser totalement. La méthode expérimentale y est nettement affirmée
et appliquée. La doctrine «st amenée du point de départ aristotélicien,
par intermédiaire de Galien et d’Avicenna, au terme des patientes
recherches et de la force d'observation qui ont caractérisé un des plus
grands penseurs du x111° siècle. R-M. MARTIN, 0. P.
D' C. BoecxL. Die Eucharistielehre der deutschen Mystiker des Mit-
telalters. (Diss.) Munich, Schrüdi, 1923. In-8, xxiv-139 p.
Cette dissertation doctorale a pour objet l’exposé des doctrines sur
le sacrement d’eucharistie, que l’on trouve dans les œuvres des prinei-
paux mystiques allemands, et embrasse la période qui va du xn° au
xiv* siècle. C’est la période du moyen âge où la vie mystique, en
Allemagne, fut la plus intense et a donné ses plus beaux fruits.
Une courte préface nous indique l’origine de ce travail. 11 fut élaboré
au cours des exercices du Séminaire de dogmatique à l’université,
dirigé par le professeur M. Grabmann. En quatorze pages d’une impres-
sion très serrée, l’auteur donne ensuite la bibliographie du sujet. C'est
une liste imposante d'ouvrages thévlogiques, mystiques, historiques et
critiques. La question se pose dans quelle mesure les 252 auteurs dont
les travaux composent cette bibliothèque ont été utilisés dans la disser-
tation. M. Boeckl ne nous r.nseigne pas sur ce point Il laisse au
lecteur d’en juger en se rapportant aux nombreuses notes et citations
qui couvrent la marge inférieure des pages. Cette liste d'auteurs aurait
pu étre allongée encore. A la suite de la citation de Güttler, il aurait
êté opportun de faire mention de son contradicteur, le P. Reg. Schultes,
O. P. Reue und Busssakrament, Paderborn 1906. S'il y avait lieu de
signaler les articles de van Poppel et Reypens, y avait-il des raisons
de taire les recherches de van Mierlo, S. J.?
M. Bockl à divisé son travail en cinq chapitres. Dans les quatre
premiers, les auteurs étudiés sont rangés suivant les ordres religieux
dont ils étaient membres. I. Mystiques bénédictins. 1I. Mystiques fran-
ciscains. 111. Mystiques cisterciens. IV. Mystiques dominicains. Un
cioquième chapitre est consacré à deux mystiques des Pays-Bas :
Jean Ruysbroek et Thomas a Kempen, et intitulé : Bei den Mystikern
in den deutschen (sic) Niederlanden. L'on remarquera que les instituts
religieux ne sont pas ci‘és d’après l’ordre chronologique, ni d’après
l'importance des écoles mystiques qu'ils ont constituées. J'ignore à quel
5 14 COMPTES RENDUS.
titre Jean Ruysbroek est présenté comme mystique allemand. L'æuvre
mystique de Thomas Hemerken n'appartient pas au xiv° siècle,
Thomas étant mort en 1471, la même année que Denys le Chartreux.
Dans ces cinq chapitres, dont le dernier déborde les cadres préalable-
ment fixés, aucune pièce importante, ni aucun document intéressant
à consulter n’ont été négligés. L'auteur a poussé ses investigations
jusque sur des terrains demeurés inexplorés. Il a examiné Les écrits des
professionnels en théologie, la doctrine des prédicateurs, les effusions
des poètes ; il a interrogé les représentants de la mystique pratique,
p. ex., S. Elisabeth de Hongrie, aussi bien que les docteurs de la
mystique spéculative. Les principales questions traitées sont les
suivantes : la transsubstantiation, la présence réelle, l'identité du corps
du Carist sous les espèces eucharistiques avec le corps né de la Vierge
et mort sur la croix, les dispositions favorables pour communier, les
effets de l'union eucharistique. M. B. expose dans les grandes lignes la
doctrine des auteurs sur ces questions ; il la ramène à ses sources
immédiates, et montre ses lirns de dépendance avec les maîtres en
théologie de l’époque. Il a soin également de mettre en relief les points
et les aspects de doctrine qui distinguent l'un mystique de l’autre. Il
tient compte aussi bien des lacunes que des points fermement acquis
que présente la recherche critique ; et cela principalement à propos de
maître Eckhart.
Ce travail constitue une excellente monographie du genre. Il se
recommande par beaucoup de qualités, dont, mise à part la richesse du
fond, la mesure dans l'exposition n’est pas la moindre. Le but envisagé
par l’auteur n’est pas simplement doctrinal, mais aussi apologétique :
il a voulu faire face à une thèse protestante, suivant laquelle la média-
tion de l'Église catholique et des sacrements aurait été, de l'avis des
mystiques, sans valeur pour le développement de leur vie intérieure.
H à parfaitement réussi. R. M. Marin, O0. P.
G. MozuarT. La collation des bénéfices ecclésiastiques sous les papes
d'Avignon (1505-1378). (Université de Strasbourg. Bibliothèque
de l'Institut de droit canonique. T. L.) Paris, E. de Boccard,
1922. In-8, 353 p.
C'est peut-être dans l'histoire du régime bénéficial que l’on aperçoit
le plus clairement les progrès réalisés par le mouvement centralisa-
teur, à partir du xi° siécle, dans Le gouvernement de l'Église. Le Saint-
Siège revendique en cffet une part toujours croissante dans la collativn
des bénéfices et, après une lutte persévérante contre les collateurs
ordinaires et les électeurs, parvient à faire triompher ses idées. C'est
ce que nous ont montré, pour la période antérieure au x1v° siècle,
E. Roland (Les chanoines et les élections épiscopules du XI° au XIV° siècle.
G. MOLLAT : LA COLLATION DES BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES. 545
Aurillac, 1909) et E. Baier (Päpstliche Provisionen für niedere Pfrunden
bis zum Jahre 1304. Munster, 1911), et, pour les années du grand
schisme, E. Güller, dans la belle introduction que l’on trouve en tête
du premier volume du nouveau Repertorium germanicum inauguré, en
1916, par l'institut historique prussien de Rome (cfr RHE, 1921,
t. XVII, p. 612616). L'étude de M. Mollat, qui nous fait bien présumer
de la nouvelle bibliothèque de l'institut de droit canonique de Stras-
bourg, complète ces travaux en traitant de la collation des bénétices
pendant la période intermédiaire : celle des papes d'Avignon. Quant au
cadre géographique, il embrasse tous les pays de la chrétienté, sauf que
l'auteur a négligé l’histoire des provinces apostoliques de Scandinavie
(p. 217, note 1).
Le travail de M. Mollat comprend trois parties. La première
(p. 21-147) est consacrée à la collation des bénéfices mineurs. C'est à ces
bénétices en effet que la papauté s'en prit en premier lieu. M. M.
indique les moyens dont elle se servit pour attirer à soi leur collation,
les explique, recherche leur origine et fait connaître l’usage qu’en
tirent les papes d'Avignon. Il donne ensuite un exposé très clair et très
détaillé du mécanisme des provisions apostoliques, dans lequel il
examine toutes les questions concernant les suppliques, les examens
de capacité que devaient subir les ecclésiastiques pourvus de bénéfices
eo cour de Rome, l'expédition, la délivrance et l'exécution des bulles,
enfin le contentieux bénéficial.
Üne seconde partie (p. 149-226) traite de la collation des bénéfices
majeurs : des évéchés et des abbayes. D’après le droit des décrétales,
ces dignités étaient électives : les moines avaient le droit de choisir
leur abbé ; les titulaires des évêchés étaient désignés d'abord par le
clergé et le peuple du diocèse ; à partir du xui° siècle, uniquement par
les chapitres cathédraux. Ici encore M. M. nous montre comment,
aprés une lutte qui commença au xn° siècle et s’accentua au siècle
Suivant, la papauté parvint au x1v° siécle à supprimer presque complè-
tement les droits des chapitres cathédraux et monacaux : elle donna
aux réserves tant générales que spéciales une extension de plus en plus
considérable ; elle prit occasion, pour nommer directement les titulaires
des charges devenues vacantes, des appels provoqués par des abus qui
vicièrent trop souvent les élections, des translations d’évêques d'un
siège à un autre, des nominations d’abbés aux évêchés, des démissions
et dépositions, et même des postulations présentées par des chapitres
qui désiraient écarter certains candidats; parfois aussi, mais rarement,
elle invoqua le droit de la dévolution; entin il faut mentionner les
provisions sous forme de commendes. Quant aux motifs qui décidérent
les papes d'Avignon à frapper de réserves les bénéfices majeurs et à
s'eo adjuger la collation, M. M. inuique, d’abord, les raisons qu'il
appelle théologiques er qui sont alléguées par les bulles, c'est-à-dire la
primauté du siège apostolique et la nécessité de remédier aux maux
multiples engendrés par le régime électif. Mais il y en avait d'autres,
546 CoMPpTES RENDUS.
d'ordre pratique. Et d'abord, la main-mise du Saint-Siège sur les béné-
fices majeurs lui fournit l’occasion de réclamer le serment de tidélité
aux évêques et aux abbés et de renforcer par là même sou autorité
vis-à-vis du pouvoir civil. De plus, elle lui procurait des sources de
reveaus considérables par les taxes appelées services communs et
menus services, par le droit de dépouille, et par les vacants. Enfin elle
lui assurait de grands avantages dans les négociations diplomatiques.
Dans la troisième partie, M. M. détaille l'accueil fait en Europe aux
provisions apostoliques. Celles-ci lésaient trop d'intérêts pour ne pas
susciter de l'opposition. Le mécontentement fut général; mais les
résistances variérent en intensité et en efficacité suivant les pays. En
Angleterre, les nominations aux évêchés ne donnèrent pas lieu à de
grandes difficultés. Malgré les plaintes des chapitres cathédraux, les
évêques nommés par le pape étaient reçus ; mais ils ne pouvaient entrer
en possession de leur mense qu'après avoir reconnu qu’ils détenaient
du souverain leurs droits sur le temporel. Par contre, l'application du
droit de régale et la collation de certains bénéfices mineurs, que la
pratique des siècles précédents reconnaissait au roi, engendrèrent de
graves conflits lorsque les papes d’Avigaon s'efforcéèrent de mettre en
échec le pouvoir royal. La lutte, dont M. Mollat donne toutes les
péripéties, se termina par la convention de Bruges que Grégoire XI
ratitia le 1°" septembre 1375. L'opposition à la papauté, qui avait été
si vive dans le parlement, ne disparut pas cependant ; elle pénétra à la
longue dans les masses populaires et inclina les esprits à écouter
les violentes attaques de Wyclyff contre la constitution de l'Eglise
romaine. — Dans l'empire, les résistances opposées à la collation
directe des bénéfices mineurs par le Saint-Siège furent plus violentes
et plus efficaces que partout ailleurs, et le conflit qui éclata entre l'Eglise
et Louis de Bavière fourait l’occasion aux chapitres cathédraux et aux
métropolitains d'iofliger à la Papauté une série d'échecs éclatants à
propos des provisions aux bénéfices majeurs. La situation ne s’améliora
pas sensiblement sous Charles IV, qui manquait d'autorité. Les papes
u’eurent souvent d'autre ressource, pour sauver le principe de leur
droit souverain, que de casser les élections, et puis d'élever à lépis-
copat ou à l’abbatiat justement les personnes que les chapitres avaient
élus. — En Dalmatie, en Croatie et en Épire, de même qu’en Pologne
et en Lithuanie, les métropolitains et les chapitres se liguèrent pour
combattre le régime des réserves. — En france Guillaume Durant,
évêque de Mende, dénonçait déjà aux Pères du concile de Vienne (1311.
1312) les abus inhérents aux réserves apostoliques et, après la promul-
gation de la constitution Ex debito (1316), il entama une campagne de
détractions qui tendait à brouiller le pape avec la France. Ces faits
montreut que vers cette époque l'épiscopat était hostile à la papauté.
Jean XXII brisa les résistances et Guillaume Durant fut réduit au
silence. Les chanoipes, au contraire, persistèrent à passer outre aux
réserves et à pratiquer l'élection ; mais, à l'encontre de ce qui eut lieu
G. MOLLAT : LA COLLATION DES BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES. 547
en Allemagne, aucun de leurs élus ne réussit à se maintenir en posses-
sion des sièges épiscopaux avant le pontificat d'Innocent VI. A partir
de cette date, les papes confirmèrent assez souvent les élus des cha-
pitres. Bon gré, mal gré, les électeurs capitulaires durent, finalement
plier devant les exigences du Saint-Siège. Les collateurs ordinaires des
bénéfices mineurs furent moins souples ; il luttérent avec opiniâtreté
contre les provisions apestoliques ; les évêques, en empêchant les
clercs pourvus de bénéfices par le Saint-Siège de prendre possession ;
les chapitres, soit en votant des statuts qui leur permettaient d’éluder
les nominations de Rome, soit en recourant au parlement de Paris. De
même qu'en Angleterre, le droit de régale, que les légistes cherchèrent
à étendre, amena des froissements entre Paris et Avignon, particulière-
ment sous Clément VI et. Philippe VI. Enfin en Italie, en Castille, en
Aragon et en Portugal, les papes d'Avignon disposèrent quasi souve-
rainement des bénéfices. Ils ne rencontrèrent une résistance invincible
que dans le royaume de Trinacrie et l’île Majorque.
En définitive, les résistances opposées, de 1305 à 1378, aux provisions
apostoliques manquérent d'efficacité. Partout, même dans l’Empire, la
victoire finale resta au Saint-Siège. Un changement profond s’est ainsi
opéré dans le mode de gouvernement de l'Eglise romaine, au cours du
xiv* siècle. Tout plie, pour ainsi dire, devant la volonté des papes
d'Avignon, tant la centralisation de l'Eglise est avancée. Mais le grand
schisme va survenir bientôt, il annihilera la puissante organisation
créée savamment et patiemment au xiv°siécle, et les intérêts de l'Eglise
seront compromis pour longtemps. |
Daos ce travail, M. Mollat s'occupe d’une période da passé de l'Eglise
qu'il connaît admirablement Les sources utilisées sont de toute pre-
mière valeur : elles proviennent presque exclusivement des Archives
Vaticanes. En outre, le savant professeur de l'université de Strasbourg
ne se contente pas de narrer les manifestations multiples de la politique
benéficiale des papes d'Avignon et d'en citer les exemples les plus
typiques et les plus variés; mais à l’aide «les recueils conciliaires et du
corpus juris canonici, il entre à fond dans le système de gouvernement
ecclésiastique si amèrement critiqué par les chroniqueurs et les auteurs
de la fin du x1v° et du début du xv° siècle : il expose longuement la
base juridique de l'intervention des papes dans la collation des bénéfices
et déroule devant les yeux du lecteur tout le rouage administratif de la
curie d'Avignon. Le travail de M. Mollat révèle à la fois un historien
compétent et un canoniste averti. J'’ajouterai qu'il sera le guide le plus
sûr dans l'étude et l'interprétation des documents, suppliques et lettres
de [a période dite d'Avignon. Je suis persuadé que nul ne contredira
ce sentiment parmi tous ceux qui ont eu l’occasion ou la charge de
parcourir ces longues séries de registres des Archives Vaticanes où sont
consignées, dans leur style verbeux et dans un formulaire de prime
abord un peu déconcertant, les « grâces » les plus diverses dont la
papauté inonde la catholicité. Sans doute, on pourra, dans des études
D48 COMPTES RENDUS.
spéciales, compléter ou même rectifier quelques assertions et conclu-
sions de M. Mollat touchant certains points. Ainsi, lorsque dans la
premiére partie on lira le S 4 du chapitre II, on se souviendra de l’inté-
ressant article que M. Nélis vient de publier dans le Bulletin de l'institut
historique belge de Rome (1922, fasc. 2, p. 129-141) sur l’Application en
Belgique de la règle de chancellerie apostolique « de idiomale beneficia-
lorum » qui fut édictée, le 11 juillet 1373, par. Grégoire XI. Mais dans
l’ensemble, le tableau que M. Mollat nous a donné du régime bénéficial
sous les papes d'Avignon résistera à tout contrôle. F. Baix.
GEorGes LizeranD. Le dossier de l'affaire des Templiers édité et tra-
duit. (Les classiques de l’histoire de France au moyen âge
publiés sous la direction de Louis Halphen.) Paris, Champion,
1923. In-12, xxiv-229 p. F. 12,50.
Nul n’était plus qualifié que M. Georges Lizerand pour publier les
documents relatifs à l'affaire des Templiers qui forment le secoad
fascicule de la Collection des classiques de l'histvire de France au moyen
dge. Auteur d'une thèse très remarquee sur Clément V et Philippe IV le
Bel, il avait été tout naturellement conduit à examiner et à critiquer
les textes qu'il publie aujourd’hui et qui forment comme l'illustration
de son volume.
Conformément au plan de la collection, le livre débute par une
introduction où est résumée tout d'abord l’histoire du procès. Dans ce
résumé M. Lizerand a condensé les faits essentiels qu'il expose plus au
loug dans sa thèse, mais cette analyse, si succincte qu'elle soit, ne
manque pas de vigueur et elle met fort bien en lumière certaines idées
essentielles; la responsabilité de Philippe le Bel et de ses agents y
éclate à chaque page, leurs procédés peu loyaux ressortent avec beau-
coup de netteté et l’on voit fort bien comment ils ont exploité la
faiblesse du pape, écœuré au fond de son âme d’un procès dont il ne
soupçonnait que trop les motifs intéressés. « Inlassablement, écrit
M. Lizerand dans sa conclusion, le roi et ses agents avaient assiégé le
pape pour obtenir de lui la destitution du Temple. L'Eglise n'était
presque pour rien dans ua procès qu’elle désapprouvait et, s’il n'eût tenu
qu'à elle, jamais l'inquisition n'aurait eu à s'occuper des Templiers.
Mais Clément V n’est pas pour cela dégagé de toute responsabilité. Car
les calomnies, les irrégularités, les violences, les froides cruautés,
l'inhumanité anonyme et administrative des gens du roi n'auraient pas
prévalu si le pape n’avait pas témoigné de tant de faiblesse et s’il n'avait
pas supporté, avec une résignation anormale, leurs empiétements. »
Dans les chapitres suivants, M. Lizerund analyse les diflérentes
espèces de documents. Les premiers émanent de la chancellerie du roi
de [france : ils consistent en un réquisitoire, suivi d'instructions aux
baillis, sSénéchaux et commissaires en vue de l'arrestation des Tem-
pliers et de la séquestration de leurs biens. Puis ce sont des inventaires,
£. I. PEARCE : THOMAS DE COBHA\M 5.19
les procès-verbaux des interrogatoires, les lettres échangées entre le roi
de France, le pape et les princes étrangers, les consultations juridiques
demandées à la Faculté de théologie de Paris; les pamphlets. Une
troisième catégorie est constituée par les différents textes relatifs aux
Éta's Généraux de Tours et aux négociations de Poitiers en 13US ; une
quatrième a trait aux divers procès qu'ont dirigés soit les évêques, soit
les commissaires pontiticaux à partir de 1308. M. Lizerand iudique où
se trouvent ces divers documents et signale, en les critiquant sommai-
rement, les travaux dont ils ont été l’objet. Il expose enfin les raisons
qui ont présidé à la sélection qu'il a dàù faire dans la présente édition.
Son choix est d’ailleurs très heureux : il n’a retenu que les textes qui
peuvent servir à fixer la physionomie du procès : tel le mémoire de
Jacques de Molay sur le projet de réunion des deux ordres du Temple
et de l'Hôpital qui peut servir d'introduction ; telle la proclamation
royale relative à l'arrestation; telles les principales dépositions ; tels
enfin les pamphlets de Pierre Dubois et les discours de Guillaume de
Plasians.
Tous ces textes avaient été déjà publiés; beaucoup avaient été
traduits, mais ni les éditions ni les traductions antérieures ne peuvent
se comparer à celle-ci. M. Lizerand a revu lui-même sur les manuscrits
tous les documents qu’il a retenus à l'exception d’un seul ct, bien
qu'avec une modestie très déplacée il refuse à sa traduction le mérite
de l’élégance, ses lecteurs lui sauront le plus grand gré d’avoir si bien
rendu l'esprit et la forme des si curieux témoignages d’un des plus
4 LL :° :
grands procès de l'histoire. AUGUSTIN FLICHE,
E. H. Pearce. Thomas de Cobham, Bishop of Worcester (1317-1327),
Some Studies drawn from his Register with an account of his life.
Londres, SPCK., 1923. xn1-274 p.
Pour apprécier en deux mots ce volume, on pourrait dire que s'il
donne moins que ne promet son titre, il donne beaucoup plus que ce
qu'annonce son sous-titre : c’est une reconstitution des plus intérese
santes, parce que des plus réelles, de l’administration d’un évêque
anglais du x1v° siècle. A l’aide des pièces ofticielles que contient
réunies depuis six cents ans l’ancien feygisler épiscopal, elle est taite
sur place, dans les mêmes domaines épiscopaux qu'il y a six siècles, au
manoir d'Hartlebury, séjour préféré de Cobham, par un de ses
successeurs anglicans au siège de Worcester. Cette circonstance en
dira long à l’archéologue et à l'historien ; au penseur, qui aime à
ruminer le passé, elle fournira matière à reflexion du plus haut intérût
psychologique et religieux. La nature même des sources auxquelles
puisait l'auteur et le cadre qu'il s'est fixé expliquent les qualités et les
lacunes de cette étude : elle se borne aux actes viliciels mentionnés
dans le registre et les présente au lecteur avec les circonstances dont
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 35
550 COMPTES RENDUS.
ce dossier a conservé la trace. Ce n'est donc pas une biographie
complète de Cobham, ni le tableau intégral de sa gestion épiscopale.
Nous 0’y trouvons pas non plus la plénitude des moyens d’information
qui auraient pu nous éclairer sur ces sujets. Tout n'est pas également
original : le chapitre sur la visite des monastères utilise d’autres
travaux. Mais, même réduit à ces proportions, l'ouvrage du Rev.
E. H. Pearce nous fait réellement entrer dans la vie et dans l’activité
quotidienne d’un grand évêque d'Angleterre au x1v° siècle. C'est tout
un coin du monde médiéval qui se révèle à nous, avec ses préoccu-
pations, ses mœurs, ses coutumes fiscales, ses usages politico-religieux,
son attitude vis-à-vis du roi ou du Pape, en matière d'élection, de
dispense, de jouissance des bénétices, de visite canonique, de nomi-
nation aux églises rurales, de séjour aux universités, etc. etc.; tout
cela non pas énoncé dans une formule genérale, comme dans un manuel
d'institutions, mais présenté aans ses contours les plus concrets et
centré autour de la personne d’un évêque instruit et consciencieux, que
ses hautes qualités de droiture et de loyauté avaient fait nommer le
« bon clerc ». Que, dès sa nomination, l'évêque doive recourir à la
grande maison financière des Bardi de Florence, et que dix ans plus
tard, pour se rendre à la cour de Londres, il doive emprunter les
équipages d’une abbaye cistercienne, qu’il fasse une ordination de
72 prêtres à Tewkesbury ou de 108 sous-diacres à Ombersley, qu'il
rappelle à l’ordre un clerc de Gloucester ou un prieur de Lanthony,
qu’il lègue ses livres à Oxford, comme Richard de Bury, qu'il signe
des pièces otlicielles d'approbation, de dispense, de légitimation, etc.,
nou3 suivons Cobham pas à pas dans la plupart de ses actes, de ses
projets, de ses voyages, de ses jugements, de ses nominations. Malgré
le classement des documents sous quelques rubriques appropriées, ce
qui expose à des répétitions, la plupart des chapitres, surtout ceux sur
les ordinations, sur les paroisses et les bénétices, sont évocateurs pour
qui veut voir de près le mécanisme de la vie médiévale ; ils pourraient
fournir un commentaire historique du droit ecclésiastique aux derniers
siècles du moyen âge. J. DE GHELLINCE, S. J
e. 9 L 1 e
Conctlium Tridentinum. Diariorum, aclorum, epistolarum, tracta-
tuum nova collectio. Ed. SocIETAS GOERRESIANA. T. VIE. Acto-
rum pars V compleclens acla ad praeparandum concilium el
sessiones annt 1562 a prima (XVII) ad sextam (XXII). Ed.
ST. Euses. Fribourg-en-Br., Herder, 1919. In-4, xiv-1024 p. —
T. X. Epistolarum pars 1, complectens epistolas a die 5 Marti
1545 ad concilii translatiunem, 11 Marti 1547, scriplas. Kd.
G. BuscuBELz. Fribourg-en-Br., Herder, 4916. In-4, Lxxvi-996 p.
Peu de choses vicillissent aussi vite et sont aussi vite démodées que
les travaux historiques et l'auteur de la plus humble monographie se
CONCILIUM TRIDENTINUM. T. VIII. ACTORUM PARS V. 551
croirait mal informé s'il ne citait des ouvrages dont le millésime
d'éditios est, à peu de chose près, le même que celui qui orne la cou
verture de son œuvre propre. Une revue, qui a l'ambition de tenir ses
lecteurs au courant de tout ce qui se publie d'’essentiel en matière
d'histoire ecclésiastique, semble donc bien malvenue de présenter, en
1924, une recension qui concerne des volumes parus respectivement en
1916 et en 1919. S'il s'agissait d'un ouvrage quelconque, de composition
facile et d'intérêt passager, mieux voudrait, après un tel laps de temps,
le passer sous silence et n’en plus parler. Par bonheur, les deux volumes
dont il va être question dans les lignes qui suivent, sont de ceux qui
peuvent patiemment attendre : les éloges qu’on leur décerne, tamisés
par le temps qui ramène toutes choses à leur juste proportion, n’en
acquièrent que plus de poids et que plus de valeur.
Le Concilium Tridentinum, publié par la Goerresgesellschaft, avec la
collaboration savante et avertie de plusieurs maîtres de la critique
historique, est en effet une œuvre capitale, dont s’enorgueillit à juste
titre la science catholique en Allemagne. Projet grandiose assurément
que celui d'éditer la somme innombrable des documents relatifs au
concile de Trente, mais projet dont la réalisation suppose une énergie
et une patience admirables. Quatre séries se partagent les sources à
publier : 1. les Diaria ou journaux (t. I-IIT) ; 2. les Acta au sens propre
(t. IV-IX) ; 3. les Epistolae, c'est-à-dire les correspondances échangées
à l’occasion du concile (t. X-XI) ; 4. les Tr'actatus lridentini, mémoires
composés par nombre de théologiens et de canonistes sur des questions
discutées dans les délibérations du concile (t. XII).
C'est en 1894 que les collaborateurs du Tridentinum se mirent à
l'œuvre. En 1901, parut le tome I°', donnant la première partie des
Diaria ; en 1904, ce fut au tour du tome IV où l'on trouve consignée la
première partie des Acta. Ces deux volumes ont fait l’objet, dans cette
revue même (1905, t. VI, p. 857-883), d’un compte-rendu pénétrant dû
à la plume experte du regretté M. Cauchie : toutes les questions
générales qui concernent l’entreprise de la Goerresgesellschaft, l'utilité
de l’œuvre, son but, ses méthodes ont été étudiées dans cette recension
et nous n’avons donc plus à y revenir.
En 1911, deux nouveaux tomes parurent coup sur coup : le V°, dû
comme le IVe à Mgr Ehses et comprenant la suite des Acta du concile,
le Il°, continuant la publication des Diaria commencée au tome [°° et
portant, comme celui-ci, la signature de M. S. Merkle. Il n’est sans
doute pas inutile de rappeler brièvement ici que le tome II reproduit
les cinquième, sixième et septième journaux du fameux secrétaire du
concile, Massarelli, journaux intitulés respectivement De conclavi post
obitum Pauli III, De Pontificatu Lulir II, À Marcello Il usque ad Pium IV.
Ce volume donne ensuite l'Epilogus des Actes du concile dû à la plume
de Laurentius Pratanus, les écrits conciliaires de Jérôme Séripaudus,
les diaria cuerimoniala de Ludovicus Firmanus, l’histoire, écrite par
Oaupurius Panvimus, de l'élection de Pie IV, le De obitu Pauli IV el
Do? COMPTES RENDUS.
conclavi cum electione Pii IV d’Antonius Gui lus, la narration faite par
Pedro Gonçalez de Mendoza concernant Lo sucedido en el concilio Tri-
dentino, entin des fragments se rapportant au concile et écrits par
Nicolaus Psalmaeus. A propos de ce Nicolas Psaume ainsi que de
Laurent Del Pré (Pratanus), qu'on veuille bien se reporter à l’intéres-
sante notice publiée ici-mêm> par M. Merkle (1904, t. V, p. 787 svv).
Quant au tome V du Tridentinum, il contient les Actes du concile du
8 février 1546 au 11 mars 1547 et se rapporte donc à la période de
l'assemblée où eurent lieu, sous Paul III, les sessions IV, V, VI, VII,
VIII : c’est à cette dernière réunion que fut décidé, comme on sait, le
transfert du concile à Bologne.
Arrivons-en maintenant aux deux volumes qui doivent faire l'objet
spécial de cette recension, le VIII° et le X°. Et, puisque nous en
sommes à parler des Actes de l'assemblée, ouvrons d’abord ce magni-
fique tome VIII où se trouve éditée, par les soins de Mgr Ehses, la
cinquième et avant-dernière partie des Acla du concile œcuménique.
*
* %
Le tome V du Concilium Tridentinum nous menait, ainsi que nous
venons de le rappeler, jusqu’au transfert à Bologne ; le tome VIII ren.
ferme les documents compris entre le 8 septembre 1559 et le 17 sep-
tembre 1502. On le voit dés l’abord : deux volumes, le VIe et le VIIe,
— troisième et quatrième de la série, — manquent à {a suite chrono-
logique des Acta. C’est qu'en effet MM. Merkle et Postina, empêchés
par d’urgents devoirs, ne se trouvaient pas en mesure de iivrer leurs
manuscrits à l'impression alors que Mgr Ehses avait terminé son
propre travail. — Franchissons donc une douzaine d'années et, laissant
le concile dans les embarras de Bologne sous Paul LIT (1547-1549), dans
ceux de Trente sous Jules III, Marcel IT et Paul IV (1550-1559), étudions
l’œuvre de Pie IV.
Le volume de Mgr Ehses comprend deux parties bien distinctes :
l'auteur a réuni cans la première (p. 1-286) un nombre important de
pièces qui se rapportant à l’histoire préliminaire, — Acta ante conci-
lium, — de la dernière période de l’assemblée ; la seconde partie, de
loin la plus importante, renferme les actes conciliaires de la XVIIe à
la XXII° session.
A peine installé sur le trône de Pierre, Pie IV se mit en devoir de
reprendre le concile suspendu par Jules 111 en 1552, La chose n'allait
pas sans de grosses ditiicultés. Et d'abord, sous quelle forme devait
se présenter la bulle d’indiction ? Etait-ce un nouveau concile qu’on
allait convoquer, était-ce, au contraire, l’ancienne assemblée dont on
aurait à parfaire l’œuvre ? Ce n’était pas là pure question de mots :
présenter les sessions à venir comme Îa suite des sessions passées
revenait à atlirmer le caractère irrévocable des décisions prises jadis
en matière dogmatique, au sujet notamment de l’euchanristie et de la
justification. On comprend dès lors que les pro:estants aient insisté
CONCILIUM TRIDENTINUM. T. VIII. ACTORUM PARS V. 553
avec force pour obteair la convocation d'un nouveau concile : l’em-
pereur Ferdinand Ie" appuyait leurs prétenti ns et la cour de France
partageait le même avis. Philippe Il, de son côté, prônait résolument
la reprise du concile interrompu. Il va sans dire que Pie 1V était en
parfaite commuaion d’ilées sur ce points avec le roi catholique, mais,
comme il convenait de ne riea brusquer, la bulle d'indiction du
29 novembre 1560 présenta la chose en termes choisis et gazés, — qui
d'ailleurs ne contentèrent pleinement personne. La détermination de
la ville où siègerait le concile, sans être la source d'aussi graves
embarras, n'avait cependant pas laissé de faire difficulté. L'empereur
commença par ne pas vouloir entendre parler de Trente et fit plusieurs
suggestions qui portaient sur différentes autres villes ; après de longs
pourparlers, tout le monde parvint pourtant à tomber accord.
Convoquer le coucile n'était rien et le plus difficile restait à faire.
Il faut avoir lu les multiples et pressantes convocations adressées par
Pie IV aux évêques et aux princes protestants pour se faire quelque
idée de la peine prise par le Pontife atin d'assurer le succès de l’entre-
prise. Bien plus : il envoie en Allemagne les nonces Delfino et Com-
mendone. Mais c’est pcine perdue, car les princes protestants repoussent
avec dédain les offres papales et quant aux évêques, « io per me non
credo, — nous déclare Commendone (p. 189), — che alcuno de loro
pensi di venir al concilio, et gli principi heretici fanno ogn’ opera,
perche non vengano. per debilitar, quanto possono, et minuir l’autorità
d’esso concilio ». A propos de Commendone, signalons en passant ses
rapports sugzestifs concernant les nouveaux évêchés des Pays-Bas,
ses considérations sur l’université de Louvain, ses enquêtes au sujet
du péril baianiste.
Le concile tint sa première, — ou XVIIe, — session le 18 janvier
1562. Si les évêques allemands n'avaient pas répondu à l’appel du pape,
l'assemblée était cependant beaucoup plus nombreuse que jadis. Cent
vingt Pères, possédant voix délibérative, étaient présents. Comme on
attendait encore un certain nombre de prélats et de délégués, les
présidents du concile préférèrent retarder l'examen des questions dog-
matiques et l’on commença par discuter certaines matiéres moins
importantes. C’est ainsi que dans la congrégation générale du 27 jan-
vier, l’on se préoccupa de l’Index librorum prohibendorum. La conclu-
sion du débat eut lieu lors de la seconde session (26 février) où fut
porté le décret sur la confection de l’Index.
Après cela, on commença la discussion des projets sur la réforme de
l'Église. Le 11 mars, on présenta douze articles dont le premier con-
cernait l'obligation de la résidence pour les évêques et pour tous ceux
qui ont charge d’âmes. Le débat fut extrêmement vif : les Espagnols
ipsistaient pour qu’on déclarât la résidence obligatoire iure divino, les
Italiens tenaient pour la plupart un avis opposé. Comme la querelle
menaçait de s’éterniser, on remit le problème à une date ultérieure et
l'on décida qu'il serait examiné avec les questions qui se rapportent à
l’ordre.
551 COMPTES RENDUS. |
Les eleemcnysarum quaestores fournirent la matière d’un autre débat.
Si tous étaient d'accord pour mettre fin aux abus d’une institution qui
n'avait pas toujours été sans reproche, certains allaient plus loin et
exigcaiient la suppression de l'institution elle-même : c’est à ces derniers
que le concile donna raison, dans les décrets de réforme portés à la
XXI: session. Dans l'intervalle, l'assemblée avait commencé l’examen
de plusieurs questions dogmatiques et notamment de la communion
sous les deux espèces et de la communion des purvuli (même session).
Dans la session suivante, tenue le 17 septembre, on définit l’impor-
tante doctrine de sacrificio missae. Un problème bien épineux se greffait
sur cette matière, celui de la concession du calice aux simples fi iéles.
L'empereur et le duc de Bavière, qui la réclamaient avec instance,
n'eurent cependant pas gain de cause et les Pères, après de fort longucs
discussions, estimérent préférable de laisser la solution de la difficulté
à la discrétion du souverain pontife.
Aprés avoir esquissé le contenu du volume publié par Mgr Ehses, il
nous faudrait caractériser ici ses procédés d'édition. Nous pourrions
cependant nous dispenser d’en reparler, puisque la chose a déjà été
faite dans cette revue, lorsqu'on y a présenté les premiers tomes de
la collection. Disons seulement qu'aujourd'hui comme alors le texte
des Acta repose sur les papiers authentiques du secrétaire du concile,
Massarclli, ou de son remplaçant officiel. La tâche de Myr Ehses était
d'autant plus ingrate que nombre de pièces avaient déjà été éditées.
Mais il est vrai de dire que cette édition n’avait pas toujours été
heureuse et que, partant, il était utile de la reprendre ; en outre,
l’infatigable chercheur qu'est Mgr Ehses est parvenu à découvrir une
série considérables de pièces encore inédites : sigoalons notamment
tout un lot de lettres de convocation au concile ainsi que nombre de
votes originaux émis par les Pères. Un Index nominum et rerum termine
le volume : clair et complet, il rend les recherches aussi aisées que
possible. |
*
*% *
Le X° volume du Tr'dentlinum, que nous avons à présenter main-
tenant aux lecteurs de la RHE, est l'œuvre de M. Buschbell, prof sseur
au Gymnase de Cri feld : ce volume, premier des deux que la collection
consacrera à la publication des Epistolae avant trait au concile, com-
prend la correspondance échangée depuis le 5 mars 1545 jusqu'au
transfert de l'assemblée à Bologne (11 mars 1517). La somme de ren-
seignements renfermés dans ce millier de pages est remarquable : on
y trouve, en effet, plus de deux mille cinq cents lettres, — exactement
deux mille cinq cent quatre ! Mais, comme il convenait de ne pas être
trop long, tout en étant complet, le tiers sculement de ces lettres cst
reproduit én-ertenso ; pour les autres, l'éditeur s'est contenté d’en
transcrire en note les passages les plus saillants.
Puisque l'honneur lui revenait d'ouvrir une nouvelle série du Triden-
CONCILIUM TRIDENTINUM. T, VIII. ACTORUM PARS V. DDY
tüinum, M. Buschbell a compris qu’il se devait de donner quelqun
explications à ses lecteurs : une introduction de soixante-seize pages
in- 4 est là, en effet, qui nous fournit tous les renseignements dési-
rables. — Le même problème qui s'était posé au sujet de la publication
des Acta se reposait à propos de l'édition des Epistolae : fallait-il
publier à nouveau les lettres déjà parues, avec plus ou moins d'exacti”
tude, dans différentes collections isolées ou pouvait-on se contenter de
renvoyer le chercheur à ces publications ? M. Buschbell a cru nécessaire
de tout rééditer et nul ne songera à lui donner tort : une œuvre comme
le Concilium Tridentinum est assez grandiose pour qu’on puisse et qu'on
doive la considérer comme indépendante des publications partielles
qu'elle à l'intention de reviser et de parfaire.
Ces préliminaires posés, le savant éditeur nous met au courant des
dépôts d'archives utilisés par lui dans l'élaboration de son travail.
Voici d'abord les cinquante-quatre volumes des Carte Cerviniane, con’
servés aux archives de l'État à Florence et célèbres par leur riche
information : Cervini, le futur Marcel IT, fut en effet l’un des plus
actifs présidents de l’assemblée œcuménique. Viennent ensuite les
(arte Farnesiane des archives de Naples, dont la mise en valeur doit
beaucoup, comme on sait, au bel inventaire qu’en publiérent en 1911
le chanoine Cauchié et M. Van der Essen. Puis voici les archives et la
bibliothèque du Vatican, les collections de Lucques, Mantoue, Modène,
Parme, Sienne, la bibliothèque de la ville de Trente, le Statthalterei-
Archiv d’'Inosbruck.
Dans le troisième chapitre de son introduction, M. Buschbell nous
indique les principes qui l'ont guidé dans son édition des Epistolae. La
correspondance relative au concile de Trente, nous l'avons déjà iasinué
plus haut, était loin d'être ignorée avant le travail du collaborateur de
la Goerresgeselischatt. Pallavicini, Jos. de Leva, Aug. von Druffel et
son successeur Charles Bfandi, d'autres encore avaient mis à contri-
bution dans une large mesure la collection Cervini et publié de nom-
breux documents. il restait cependant beaucoup à faire et M. Buschbell
l’a compris : il s’est donc mis en quête partout où il avait chance de
rencontrer un renseignement utile et s’est efforcé de réunir toutes les
lettres relatives au concile : celles des légats, des nonces, du vice-chan-
celier et autres oficiers de la curie romaine, celles aussi de tous les
évêques et de tous les théologiens qui prirent par aux délibérations de
l'assemblée, celles entin des simples particuliers, bref toute la corres-
Pondance dirigée vers Trente ou en provenant, écrite de Rome ou y
envoyée et dont on pouvait tirer quelque chose pour l’histoire du
concile. |
Sa documentation achevée, l'éditeur a éprouvé la nécessité de
classer les renseignements recucillis. Avant lui, Druffel avait distingué
les lettres en officielles et en privées. M. Buschbell ne s'est pas rallié
pleinement à cette distinction et il a fait les deux séries que voici :
1) lettres officielles ou semi-officielles ; 2) lettres privées. Le résultat
556 COMPTES RENDUS.
de ce clangement a été de ranger parmi les lettres semi-officielles
maintes correspondances écrites er muneris officio et que l’on avait
considérées jusqu'ici comme étant d'ordre strictement personnel. Sur
près d'un millier de pages que compte le volume, huit cent quarante
sont consacrées à la première catégorie de lettres (officielles et semi- .
officielles). Un appendice, de cent cinquante pages environ, nous donne
le texte des lettres de caractère privé. Mais qu'on ne se laisse pas
tromper par les apparences : ces correspondances personnelles ne sont
pas moins importantes que les lettres officielles : souvent même, elles
le sont davantage, car seules elles nous permettent de jeter uo regard
dans les coulisses où se dérobent les grands secrets.
L'introduction de M. Buschbell se termine par un tableau compre-
nant quarante pages de texte serré. L'éditeur y a rangé toutes les
lettres utilisées par lui avec mention de leur emploi soit dans les
Diaria de Massarelli soit dans l’ouvrage de Pallavicini. On comprend
sans peine l'utilité de pareil conspectus : grâce à lui, il suffit d’un
simple coup d'œil pour découvrir si une lettre que l’on viendrait à
trouver par la suite est déjà connue ou non et, dans l'afiirmative, les
endroits où l’on peut en chercher le texte.
Comme le volume de Mgr Ebses, celui de M. Buschbell se termine
par ua /ndezx nominum el rerum dressé avec beaucoup de soin et de
clarté.
«
d *
Achevons ici cette longue recension. Mais ne quittons pas les
auteurs des volumes que nous avons examinés, sans leur dire la recon-
paissance dont le monde des historiens leur est redevable pour leur
travail. Immenses sont les recherches nécessaires pour mener à bonne
tin une entreprise de cette envergure, immenses et fastidieuses : pour
les apprécier à leur juste valeur, il faut considérer non seulement ce
qui en est comme le résultat brut et tangible, mais encore, — et sur-
tout peut-être, — le labeur caché que ce résultat suppose et fait
deviner. Le mérite des auteurs est d'autant plus grand que leur entre-
prise a dû s’accomplir à une époque féconde en contretemps et en
traverses de toute espèce. Mgr Ehses nous raconte comment la rup-
ture des relations diplomat'ques entre l’Autriche et l'Italie le forca
à quitter, en toute hâte et sans qu'il püt regarder en arricre, les
archives de Rome où tant d'heures de sa vie s'étaient passées. Nous
l'en plaignons sincèrement, mais heureusement il lui fut donné de
pouvoir continuer en Allemagne son œuvre commencée.
Le programme tracé par la Goerresgesellschaft à ses collaborateurs
est done actuellement réalisé pour moitié. L'historien qui voudra
s'occuper désormais d'un point quelconque concernant la Réforme
catholique, celui qui étudiera les problèmes complexes du dogme et de
la discipline de l’Église devra de toute nécessité accorder une atten-
tion spéciale à l'édition goerrésienne du Concilium Tridentinum.
CAM. TIHON : LA PRINCIPAUTÉ ET LE DIOCÉSE LE LIÉGE. 507
Texte critique, notes abondantes et caoisies, tables minutieusement
établies : rien ne manque à cette œuvre pour en faire un merveilleux
instrument de travail. Il n'est pas vrai, comme certains l'ont cru, un
peu naïvement, que tout soit dit sur le xvi° siècle et que ce soit
perdre son temps que de regarder à la loupe un tableau sur lequel
tant d'historiens se sont déjà penchés. Les découvertes que l’on fait
tous les jours dans ce domaine le prouvent de façon irréfutable. Mais,
de grâce, qu'on veuille bien se rappeler, à propos du Concilium Triden-
dinum, qu'il y a matière à trouvailles ailleurs que dans les dépôts
d’archi'es. Le mot suggestif de Brunetière reste tou'ours vrai : « le
véritable iné lit, c'est l'imprimé, — l’imprimé qu’on ne lit point ».
La maison Herder a droit, elle aussi, à nos félicitations. Certes,
nous savons qu’elle n'en est plus à son coup d'essai; il reste cependant
que, dans les circonstances difficiles où se débattent aujourd'hui les
entreprises de librairie, c’est merveille que d’avoir pu procurer une
édition comme celle-ci, digne de l’ouvrage, digne aussi des volumes
précédemment parus. R. MICHEL.
Cam. Tinon. La principauté et le diocèse de Liége sous Robert de
Berghes (1557-1584). (Bibliothèque de la Faculté de Philosophie
et Lettres de l’université de Liége. Fasc. 31.) Liége-Paris, 14923.
In-8, 330 p. Fr. 25.
Dans la collection des travaux, édités par la Faculté de Philosophie
et Lettres de l’université de Liége, vient de paraître une étude remar-
quable de M. Camille Tihon, membre de l'Institut Historique belge à
Rome et archiviste aux Archives générales du Royaume à Bruxelles.
Cette étude concerue l’épiscopat de Georges de Berghes, prince-
évêque de Liége au x vi siècle
L'auteur a divisé son travail en deux parties. La première est con-
sacrée à l'histoire générale et contient la suite chronologique des évé-
pements qui se sont passés sous le règne du prince-évêque. La seconde
comprend une suite de chapitres étudiant les différents aspects de
l'histoire liégcoise pendant cette période.
Cette division, classique dans des ouvrages de ce genre, permet de
mener avec plus de méthode et de clarté l'exposé des questions par-
ticuliérement importantes.
Le chapitre I" de la partie générale s'intitule La situation dans la
principauté de Liège à l'avènement de Robert de Berghes. L'auteur y
caractérise le rôle joué dans la politique de la principauté par les
États du pays : le chapitre de Saint-Lambert ct le Tiers y occupent
une place prépondérante et, dans ce dernier corps, ce sont les députés
de la cité — soumis eux-mêmes aux assemblées des trente-deux bons
métiers — qui inspirent les décisions de tous les représentants des
bonnes villes. Le gouvernement épiscopal devait se heurter souvent
à ces forces hostiles, Il rencontrait également des difficultés dans la
558 COMPTES RENDUS.
situation économique et financière, qui était peu brillante à cetteépoque.
Un deuxième chapitre retrace la vie de Robert de Berghes avant
son élévation à l’épiscopat. Contrairement à l'affirmation de la plupart
de ses biographes, le futur évêque n'était que le second fils du marquis
Antoine de Berghes et naquit en 1530. Charles Quint, auquel sa famille
était très attachée, lui octroya la coadjutorie de Liége avec droit de
succession. Ce système permettait à l’empereur d'empêcher l'élection
de l'évêque par les chanoines de Saint-Lambert et de mettre à la tête
de la cité mosane un partisan convaincu de sa politique.
L'épiscopat de Robert de Berghes, étudié dans le chap. III, montre
le prélat aux prises avec les diiicultés intérieures et extérieures. Il
tit de sérieux efforts pour les surmonter ; mais bientôt la maladie et
l'épuisement le renldirent incapable d’administrer la principauté. Ses
dernières années se passèrent en négociations laborieuses avec le
chapitre cathédral pour le choix de son successeur. Le gouvernement
des Pays-Bas n'eut aucune part dans ces débats.
Si le règne de Robert de Berghes fut court et peu brillant, il marque
cependant, à bien des points de vue, une étape dans l’histoire du pays
de Liège.
C’est à l'examen de ces différents aspects qu'est consacrée la seconde
partie du travail.
Un chapitre étudie les rapports du gouvernement épiscopal avec les
Pays-Bas. Le problème avait été soulevé jadis par M. Lonchay. Celui-
ci s'était occupé presque exclusivement du règne d'Erard de la Marck
«t de Gérard de Groesbeek, n’accordant guère d'importance aux épis-
copats intermédiaires. M. Tihon montre que l’un d'eux, celui de
Robert de Berghes, marque un tournant décisif dans la politique exté-
rieure de la principauté. L'alliance avec les Pays-Bas, conclue en
1518, perd successivement tous ses partisans : le Tiers-Etat, qui ne s'y
était résigné qu'à contre cœur et que les exactions des soldats espagnols
avaient fortement indisposé ; le chapitre cathédral, qui gardait ran-
cune à l'empereur pour son ingérence dans l'élection de Robert ; entin
l’évêque lui-même qui lésé par l’érection des nouveaux évéchés cherche
à embra:ser le parti de la France. Il en résulte qu'à la fin du règne de
R. de Bergles, l'alliance n'existe plus et que la proclamation de la
neutralité, en 1577, ne fut que la consécration officielle d’un état de
choses réalisé depuis longtemps.
Un autre chapitre, très fouillé, est celui consacré à l’hérésie. Ropre
pant la question à son point de départ, l’auteur montre comment les
Liégeois, alliant le respect de la religion au culte jaloux de leurs
libertés, réussirent à soustraire la connaissance et la répression des
crimes À'hérésie aux tribunaux de l’inquisition et même de l’officialité,
pour les soumettre à la compétence exclusive des juges laïcs. Sous
l'influence du Tiers-Etat, les peines exceptionnelles, comme le bûcher
et la confiscation des biens, furent rayées de la législation.
Il ressort également de ce caapitre qu'à Liéze, l'hérésie sans marquer
CAM. TIHON : LA PRINCIPAUTÉ ET LE DIOCÈSE DE LIÉGE. 599
des tendances nettement définies, se rattache au calvinisme méridional,
plutôt qu'aux doctrines de Luther et de Zwingle.
Un des événements saillants du règne de R. de Berghes fut la créa-
tion des nouveaux évêchés. Cette mesure entrainait une mutilation
considérable du diocèse de Liége. Aussi l’évêque et le chapitre firent-
ils une opposition tenace aux bulles pontificaks. Sans atteindre son
but, cette opposition retarda l'exécution du projet et empêcha le
démembrement de plusieurs parties du diocèse. L'auteur étudie lon-
guement le rôle joué dans ces négociations par Laevinus Torrentius et
écarte le soupçon de trahison à la cause liégeoise qu'on avait fait
peser sur lui.
Deux cartes sont jointes à cette partie du mémoire : l’une donne le
tracé du diocèse avant 1559, l’autre montre les amputations faites
depuis lors. A les comparer, on n’a pas de peine à s'expliquer l'opposi-
tion des Liégeois à la politique religieuse de Philippe II.
Enfin, dans un dernier chapitre on trouve une ébauche de l'état
moral, religieux, intellectuel, artistique, économique et social de la
principauté au milieu du xvi° siéale. Sans prétendre donner un tableau
complet de la civilisation liégeoise à cette époque, l'A. est parvenu à
grouper une gérie de faits et d'observations qui font mieux connaître
les transformations profondes qui s’opèrent dans tous les domaines
durant cette période. Un choix de documents inéilits, trouvés dans les
archives de Liége, de Bruxelles et de Rome est joint en annexe à
cette étude. |
Comme on a pu s'en convaincre ce travail fourmille de constatations
neuves, systématisées avec beaucoup de méthoïile et solidement assises
sur une richesse de documentation peu ordinaire. À côté de la littéra-
ture imprimée, déjà très vaste pour l'histoire de la principauté épis-
copale, l'A. a exploré de fon 1 en comble la riche collection des Papiers
de l'Etat de l’Audience, conservée aux Archives générales du Royaume
à Bruxelles et celle, non moins étoffée, des archives de l’État à Liége.
De nombreuses notes, prises au cours de séjours successifs à Rome, ont
cté également mises à protit.
Poussée avec minutie, cette enquête a permis de rectitier quelques
opinions erronées, émises antérieurement, et de formuler des conclu-
sions nouvelles dont la force nous semble péremptoire. Les chapitres
consacrés à l’aérésie, à la création des nouveaux évêchés, à l’état moral
et religieux de la principauté mosane montrent ce que peuvent donner
les textes, lorsqu'on sait les découvrir cet les exploiter avec sagacité.
On regret'era sans doute que le style, par trop dur et trop embrou-
aillé de certains chapitres, en rende la iccture si laborieuse et empêche
de mesurer « primo intuitu » toute la richesse d’information qu'ils
récèlent.
Néanmoins, ce livre restera un ouvrage capital pour l'étude de
l'histoire liégeoise pendant la seconde moitié du xvi* siècle.
PL. LEFÈVRE, O. Praem.
560 COMPTES RENDUS.
HENR1 Bussox. Les sources et le développement du rationalisme dans
la littérature française de la Renaissance(1533-1601). (Bibliothèque
de la société d'histoire ecclésiastique de la France.) Paris, Letouzey
et Ané, 1922. In-8, xvi1-688 p.
Le xvi* siècle est à la mode. Les études abondent qui tendent à
faire mieux connaître l'éclat, l'originalité et la fécondité de la litté-
rature française à cette époque. Mais, comme le remarque M. Busson,
l'on n’a guère encore poussé aussi loin qu’il le faudrait « l'étude des
idées de la période La plus féconde de l’h stoire » de son pays. On
serait même en droit de prétendre, ajoute-t-il, que « la philosophie de
la Renaissance est assez peu connue malgré les travaux déjà nombreux,
et quelques-uns considérables, qui ont été consacrés à la préréforme,
à la Réforme, au stoicisme, au platonisme ». Si l’on devait en chercher
une preuve, on la trouverait précisément dans les proportions qu'il a
données à son livre, — un livre ayant pour objet l'examen de la plus
hardie et de la plus importante des écoles philosophiques du temps,
le Rationalisme, et qui atteint un développement de près de 700 pages.
M. Bussou déclare pourtant qu'il est loin d'avoir épuisé la matière,
car, dans la deuxième partie spécialement, il a laissé de côté, à
dessein, la littérature latine ; néanmoins, ainsi qu'il le note, il espère
que « ce qu’on pourra ajouter à son travail ne fera que vérifier ses
conclusions et remplir des cadres désormais définitifs ».
« L'objet de ce livre est donc grand », comme il le dit. Tout esprit
qui veut saisir la nature de la pensée française dans le domaine des
lettres au xvi° siécle est obligé de s’en enquérir. Il en va de même
pour tout esprit qui désire s'expliquer la qualité de l’apologétique
d'écrivains de l’âge suivant tels que Pascal et Bossuet. Mais en pré-
sentant de la sorte au public le résultat de ses longues et diligentes
recherches, M. Busson ne cède pas à une poussée de sotte fatuité. 11
fait plutôt acte de modestie en tenant parcil propos, car il entend par
là solliciter de ses lecteurs éventuels une aimable bienveillance dont
il croit avoir besoin en raison des difficultés de la tâche qu'il a
assumée. Nous nous garderons bien de dire que cette bienveillance lui
est néressaire : un simple coup d'œil jeté sur son vaste et intelligent
labeur suflirait à arrêter toute critique. On a déjà, rien que dans sa
bibliographie qui ne comprend pas moins de trente pages (sources
manuscrites et imprimées, études diverses) toutes les garanties
requises Sur le sérieux et la nature de l'enquête qu'il a dirigée à
travers un monde extraordinairement varié d’idé.s et d'auteurs. Il a
poussé $vs investigations dacs les sens les plus différents et, ce qu'il
en a retiré, il l’a exposé d'après un plan ferme et simple, dans une
langue d'une teneur française très soignée. G£orGEs DOUTREPONT
H. BOURGEOIS ET L. ANDRÉ : SOURCES DE L'HISTOIRE DE FRANCE. 561
E. BourGeoïs ET L. AnbRÉ. Les sources de l'histoire de France.
XVIIe siècle (4610-1715). T. IV. Journaux et Pamphlets. Paris,
A. Picard, 1924. In-8, 388 p. Fr. 15.
Il s'en faut de beaucoup que l'opinion publique n'ait pu s'exprimer
librement en France, au xvri° siècle. Les actes de la monarchie absolue
ont été, au contraire, ou attaqués ou louangés dans une foule d’écrits
d'étendue fort diverse et dans la presse de l’époque. Le gouvernement,
conscient du danger que lui faisaient courir les libelles et les pamphlets
qui circulaient dans le pays, s’efforça de réagir, en lançant dans le
public des ouvrages que rédigeaient des gens payés pour soutenir les
prétentions royales. Il essaya bien de museler les parleurs qui le
génaient et d’édicter contre eux et leurs imprimeurs des peines sévères.
Les lois qui tendirent à supprimer la liberté de penser ou d'écrire
restèrent pratiquement sans effet. Leur nombre même constitue une
preuve évidente de leur inefficacité.
La consultation de la presse du xvn: siècle ne doit pas être négligée.
Si les journalistes sont des porte-voix systématiques du gouvernement,
ils signalent des faits, des dates ou des documents que l’on chercherait
vainement ailleurs. Les feuilles imprimées à l'étranger par des Fran-
çais, exilés en raison de leurs opinions personnelles, contiennent des
informations précieuses, abondantes et indépendantes; mais elles
pèchent par un excès regrettable qui consiste à critiquer en tout et
pour tout les actes gouvernementaux, sans discernement et sans
impartialité.
L'utilisation des pamphlets présente plus de difficultés. Il faut laisser
de côté ceux qui dénigrent par esprit de système et à plaisir tel ou tel
personnage. Ceux qui combattent des idées ou en défendent de nouvelles
méritent l'attention de l'historien qui n'aura plus que la tâche difficile
assurément, mais souverainement utile de dégager la vérité. A la
vérité, la façon dont sont composés les pamphlets engendre des incon-
véaients très grands. Ils sont en majorité anonymes. Leurs auteurs
emploient mille subterfuges pour égarer les recherches policières. Tel
qui annonce son opuscule comme la traduction d’une brochure étran-
gère en est le véritable auteur. Tel autre met sur le frontispice de son
œuvre le nom d’un imprimeur qui n’a jamais existé que dans son
imagination ou celui d’une ville chimérique, comme celle de Ville-
franche. On juge par là quels services rendra le nouvel ouvrage de
MM. Bourgeois et André, surtout si l'on considère que, sauf pour la
Fronde, la classitication des pamphlets n'a point encore été tentée de
façon scientitique (1). G. MoLLAT.
(x) Les pamphlets sont rangés, autant que possible, dans l’ordre chronolo-
gique et sous des rubriques spéciales. Ils intéressent en particulier les
Jésuites, le protestantisme, les rapports du roi et du pape, le jansénisme, le
quiétisme, les affaires religieuses du temps.
562 COMPTES RENDUS.
C. Looten. Shakspeare et la Religion. Paris, Perrin et Cie, 1924,
311 p. Fr. 8.
Le critique d’art breton François Rio /La religion de Shakspeare),
le théologien catholique allemand Johannes Raich /Shakspeares Stelluny
sur katholischen Religion), l'oratorien anglais Bowden /The religion of
Shakspeare) se sont efforcés de prouver que l’illustre dramaturge était
catholique. Par contre, le protestant anglais Carter /Shakspeare and
Holy Scripture — Shakspeare Purilan und recusant) a voulu faire de
Shakspeare un tenant convaincu du puritanisme naissant. Eatin
d’autres tels que les anglais Dowden /Shakspeare, his mind and art) et
Sidney Lee [The impersonal aspect of Shakspeare's Art) se sont ingéniés
à rendre l’auteur de Hamlet étranger à toute religion positive. Le
danois Brandes {William Shakspeare) est même allé jusqu’à prétendre
que le poète était indifférent si pas hostile au christianisme.
Personne ne peut nier que le problème mérite une solution « tant
pour l’histoire du sentiment religieux en géaéral que pour la connais-
sance particulière du génie de Shakspeare ».
l'ous ceux qui jusqu'à présent ont eflleuré ou étudié la question
ont conclu soit incomplètement soit hâtivement, et c’est à bon droit
que le savant professeur insiste sur la méthode défectueuse appliquée
par les critiques à l'étude du problème : tous confondent la religion
dans l'œuvre de Shakspeare et la religion de Shakspeare.
Il y a certainement lieu de distinguer ces deux aspects de la question
et de les étudier successivement. L'auteur l’a fait avec une maitrise
incontestable ; il se montre tout à la fois bon théologien (ce que la
plupart de ses devanciers ne sont guère), bon historien (ce que le
critique littéraire est rarement) et critique très avisé que l'imagi-
nation romantique n'’emporte pas.
Quelle est la place occupée par la religion catholique romaine
dans le théâtre de Shakspeare ? Une place prépondérante. Voilà ce
qui ressort à l'évidence de l'examen attentit des 37 pièces du poète.
Bien autrement ardue et délicate est la tâche du critique lorsqu'il
s'efforce de découvrir l'opinion personnelle de Shakspeare en face du
problème religieux.
Si l’on admet la chronologie des œuvres Shakspeariennes comme
définitive ou peu s'en faut, le chanoine Looten peut établir avec
infiniment de raison plusieurs périodes ou mieux plusieurs états d'âme :
la jeunesse du poète « s'écoule dans un milieu catholique. Son esprit,
son cœur, son imagination s'emplissent alors de doctrines romaines.
I s'assimile [a connaissance des dogmes et de la morale, des
sacrements et des rites, du catéchisme et de la Bible, du gouver-
nement et de l'administration de l'Eglise. » Malgré la persécution
sanglante dont l'Eglise est l'objet, il lui reste tidèle, et, au milieu
du formidable débordement d'injures dont le « Papisme » est couvert,
seul ou presque seul, il reste digne et « garde la mesure ».
E. 6. SELWYN : THÉ FIRST BOOK OF THE IRENICUM. 563
Puis au début du xvri* siècle, vient une période d’incrédulité et de
pessimisme. Le poète semble s'être imprégné de Montaigne et avoir,
comme Pascal, subi les atteintes de l’agnosticisme. C'est alors qu'il
écrit Hamlet, ce drame poignant où règne en maitre le doute.
Enfin, dans la « Tempest » cette crise d'âme aboutit à « ua spiritua-
lisme de noble tenue » qui sait respecter la foi de sa jeunesse.
L'examen extrêmement prudent des drames sur lesquels l'histoire
si troublée des règnes d’Elisabeth et de Jacques I°" jette une vive
lumière a permis au Chanoine Looten de formuler pareilles conclusions.
A-til complètement raison ? Je ne sais. Une chose est certaine,
c'est que la seconde partie de sa belle et substantielle étude repose sur
des hypothèses ctayées par des faits dûment observés et contrôlés.
L'auteur à été aussi objectif qu’il est permis de l'être en matière aussi
délicate et controversée, et tout homme qui à étudié conscien-
cieus>ment l’histoire religieuse des règnes d'Elisabeth et de Jacques I°<"
se sent invinciblement porté à ratifier les jugements portés par l'érudit
français. Nous le félicitons tout particulièrement de l'analyse si
pénétrante et si vraie du caractère de Hamlet. Une bibliographie
abon:lante (83 ouvrages ou articles différents) clôt cette remarquable
étude. L. ANTHEUNIS.
E. G. Sezwyn. The first Book of the Irenicum of John Forbes of
Corse, translated and edited. Cambridge, University press, 1923.
Io-8, x-254 p. Prix : 12 5. 6 d.
Le grand tourment de l’ünité dont souffre l’Église d'Angleterre
depuis ses origines a pris, ensuite de la guerre, une nouvelle recrurdes-
cence. Cette Église, qui périt faute de pouvoir se définir, semble con-
centrer tout son instinct de conservation sur le désir de se renoncer
et de se quitter elle-même, comme si une conscience vague lui mur-
murait que cette être consistant et stable qu'elle n’a pu se créer, elle
le trouverait, en dehors d'elle, dans l’une ou l'autre des communions
dont elle s’est séparée. Réunion, tous au delà de la Manche, clercs et
laïcs, en parlent et tous bientôt en écriront. Ce cri de sauve qui peut
a fait germer une production littéraire aussi impossible à dénombrer
que les élus de l’Apocalypse. Elle embrasse tous les genres, depuis les
appels épiscopaux à l'univers, jusqu'aux entrefilets de journaux. Ces
écritures sont ou des exhortations, ou des apologies, ou des contro-
verses. D'une encre encore trop fraîche, elles ne relèvent pas de
l'histoire ecclésiastique ; il leur faut prendre de l’âge ct toutes assuré:
ment a en prendront pas. Mais parfois, on ressuscite des ouvrages que
le même tourment proluisit aux temps passés, et dont Ja leçon paraît
encore digne du siècle présent. Ainsi M. E. G. Selwyn, théologien an.
glican estimé, vient de traduire du latin le premier livre de l’Irenicum de
564 COMPTES RENDÜS.
John Forbes de Corse (1593-1648). Une excellente introduction replace
le livre et l’auteur dans leur milieu historique, et de longs excursus
mettent la doctrine au point des préoccupations contemporaines.
Forbes appartenait à ce groupe des « Aberdeen Doctors» qui soutinrent
de leurs écrits la première restauration de l’épiscopat dans la presby-
térienne Ecosse (1610-1637). L'Irenicum — qui, comme on le voit, tend
le rameau d'olivier non aux catholiques romains, mais aux presby-
tériens — fut composé pour la défense des Articles de Perth (1618)
par lesquels Jacques Ie" imposait aux calvinistes écossais plusieurs pra-
tiques cérémonielles contraires à leur sentiment. L’une d'elle, et la plus
contestée — la génuflexion à la réception de l'Eucbaristie — fait l’objet
du premier livre de l’Irenicum. Forbes en disserte en vrai théologien,
de très haut et par les principes. Mais le débat est trop étranger à
notre dogmatique et à notre piété pour qu'il puisse retenir notre
intérêt. S'il faut en croire M. Selwyn, il serait d’une actualité brûlante
pour les anglicans, car la révision du Prayer Book remet en question
tout le cérémonial eucharistique et l’on sait de quelles intiltrations
papistes est menacée la liturgie fort chiche de l'Établissement. Pour
nous, il nous reste le plaisir d'admirer la maîtrise dialectique du grand
docteur d'Aberdeen et sa connaissance surprenante des théologiens
scolastiques du moyen âge. Il cite maintes fois Pierre Lombard, Scot,
Durand ; mais S. Thomas d'Aquin est l'autorité qu’il révère par excel-
_ lence. Que les temps de John Forbes sont donc lointaios ! La théologie
anglicane s’est depuis donné d’autres maîtres, moins lucides, moins
profonds, et la réunion n’en est pas, hélas ! devenue plus aisée.
G. AuBouRs6, O0. S. B.
ANDRÉ Micuec. Histoire de l'art depuis les premiers temps chrétiens
jusqu'à nos jours. T. VI : L'art en Europe au XVIIe siècle.
2° partie. Paris, A. Colin, 1922. In-8, 440 p., planches et fig.
F. 50.
L'époque de Louis XIV, à laquelle ce volume est consacré, ne saurait
compter parmi celles où a prédominé l’art religieux qui doit intéresser
plus spécialement les lecteurs de cette revue, De fait c’est autour du
château de Versailles que convergent la plupart des excellents chapitres
où, sous une forme élégante mise au service d'une érudition très
avertie, MM. Henry Lemonnier, André Michel, Léon Deshairs et
Mie Maillard ont fait revivre l’œuvre de Mansart, de Lebrun et de
leurs auxiliaires, fixant ainsi d'une manière que l’on peut considérer
comme définitive les caractères distinctifs de l'architecture, de la
peinture, de la sculpture, de la tapisserie, du mobilier et de l'orfèvrerie
pendant le grand siècle. Leur exposé est complété par deux chapitres,
également très remarquables, qui ont trait l’un à l'Angleterre, l’autre
ANDRÉ MICHEL : HISTOIRE LE L'ART. D)
à la Suisse et que l’on doit à MM. Paul Biver, Henry Marcel, — et
Conrad de Maudach, de sorte que l’on trouvera dans le volume une
analyse des différentes manifestations de l’activité artistique pendant
la seconde moitié du xvu° siècle, non seulement en France, mais dans
toute l’Europe occidentale. Aucune d'elles n’a été négligée ; aussi bien,
si secondaire qu'il ait été, l’art religieux prête à d’amples développe.
ments dont certains ne manquent pas de nouveauté ni d'originalité.
M. Henry Lemonuier à fort bien mis en lumière les deux tendances
entre lesquelles se partage l'architecture religieuse. Tantôt on répare,
on restaure, on construit même certaines églises dans le style gothique :
c'est le cas de la cathédrale de Blois, reconstruite, après 1671, dans
une sorte de style flamboyant, de l'église de Saint-Maixent, ou encore,
dans le midi, de la cathédrale d'Avignon, dont le chœur a été rebâti
sur les données anciennes. Tantôt, au contraire, on reste tidèle à la
tradition de la Renaissance : tel Gittard à qui l’oa doit, entre 1670 et
1675, le chœur, le transept et une partie de la nef de Saint Sulpice.
Dans l’ensemble, c’est le style jésuite italien qui a les préférences des
architectes ; le plus bel exemple que l’on en puisse citer est l’église
Notre-Dame, à Bordeaux, chapelle des Dominicains jusqu'à la Révolu-
tion, commencée en 1684 par Pierre Michel, sieur du Plessy, et
terminée en 1707.
Dans la peinture, le portrait et le paysage tiennent à coup sùr la
place primordiale, tandis que le genre religieux est relégué à l'arrière
plan ; on doit pourtant citer les très nombreux tableaux d'église dus à
Pierre Migoard, d'innombrables Vierges d'abord, puis d’autres saintes
telles que sainte Catherine, sainte Cécile et sainte ‘Thérèse qui
« prennent ua accent de mysticisme voluptueux », plus rarement de
grandes compositions empruntées à la vie du Christ, Mignard ayant
surtout vu dans la peinture religieuse une occasion d'exercer son talent
de portraitiste féminin.
Rares sont aussi les manifestations de sculpture proprement reli-
gieuse. Pourtant Girardon a été reçu à l’Académie royale gràce à un
médaillon ovale de la Vierge de Douleur dont on peut admirer la
« manière facile et gracieuse » et l’on voit à Sauint-Nizier de Lyon la
Vierge portant son enfant de Coysevox, qui n’a d'ailleurs rien de pieux.
La sculpture funéraire, que l’on peut rattacher à la sculpture religieuse,
a produit davantage et nous ne saurions assez recommander la lecture
des pages tout à fait décisives que M. André Michel a consacrées aux
œuvres de Gilles Guérin et des frères Auguier, plus encore au mausolée
du cardinal de Richelieu par Girardon et aux tombeaux dessinés par
Le Brun qui marquent une véritable révolution dans l’art funéraire.
AUGUSTIN FLICHE.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 30
566 COMPTES RENDUS.
P, DE LA Gorce. Histoire religieuse de la Révolution française. T. V.
Paris, Plon-Nourrit, 4923. In-8, 416 p. Fr. 412.
Bien qu'il ait entrepris son œuvre au seuil de la vieillesse, qu'il l'ait
poursuivie à travers les angoisses de la guerre, qu'il l’ait achevée au
milieu de cruels deuils de famille, M. de la Gorce est parvenu à main-
tenir à tous les volumes de son Histoire religieuse de la Révolution fran-
çaise uve constante perfection de forme, une constante élévation de
peasée, une constante sùreté de critique, une constante impartialité
dans les jugements. Les qualités qu'il y a prodiguées assurent à son
entreprise uue valeur inaltérable. On pourra peut-être la compléter à
l'avenir par quelques points de détail, mais l’ensemble en restera revêtu
d'autorité ; elle sera pour les hommes d'étude, — et même pour le
grand public —, la source d'une connaissance claire non moins
qu'exacte de la part immense occupée par les questions religieuses dans
le grand mouvement révolutionnaire français. |
C'est pour la cinquième fois que nous avons à appeler sur l’impor-
tant travail de l’éminent académicien l'attention des lecteurs de cette
revue pour lesquels il possède une importance spéciale. Je ne dois
donc pas m'étendre davantage sur ses mérites, je ne pourrais que me
répéter. Ma tâche se bornera à exposer en quelques lignes le sujet du
tome V destiné à achever peut-être Le plus important ouvrage d'histoire
religieuse élaboré pendant ce premier quart de siècle.
L'auteur y reprend son récit au moment où Bonaparte, rentré
d'Égypte, prépare le 18 brumaire ; il montre les effets rapides de cette
révolution sur la situation des catholiques malgré l’inconsistance de
la volonté du premier consul dans les questions religieuses et les
louches manœuvres de Fouché. Puis, revenant un peu en arrière, il
expose Les tentatives faites sous le Directoire pour arriver à un accord
avec Rome, l'échec des négociations à la suite des exigences et des
iotransigeauces françaises, Les premières avances de Bonaparte au Pape
pendant la campagne d'Italie de 1796 1797, le traité de Tolentino et la
perte de tout espoir d'entente après le coup d'Etat du 18 fructidor ;
les premières, mais encore bien vagues bases du concordat posées par
Bonaparte à la suite de la bataille de Marengo, les dispositions réci-
proques des deux parties, l'envoi à Paris de Mgr Spina, les hési-
tations du premier consul, l’action de l'abbé Bernier, l'insutlisance
du délegué pontifical, La succession des divers projets de concordat, les
manœuvres malfaisantes de Talleyrand, la mission de Cacault dans la
Ville éternelle, les hésitations, les soucis et les lenteurs romaines,
cause d'irritation pour Bonaparte, l’ultimatum de ‘Talleyrand, la con-
sternation du Saint-Siège, le depart de Consalvi pour Paris.
S'ariéiant uu moment dans son recit, l'historien consacre ua chapitre
à dessiner un tableau de r'état intérieur de la France au point de vue
religieux, de l'état des croyances, de l’opiuion de ceux qui sont ou
jnuifférents ou hostiles à la pacification, de l'action administrative
P. DE LA GORCE : HIST. RELIGIEUSE DE LA RÉVOLUTION FRANC. 967
envers les fidèles et les prêtres, de la situation de l’église constitution-
nelle.
Ce tableau constitue une des parties les plus originales du tome V.
Il rappelle par sa perfection ceux que l'historien a consacrés à décrire,
dans une autre œuvre, la civilisation en France sous Île second empire.
Continuant sa narration, M. de la Gorce expose ensuite les péripéties
des négociations franco-romaines depuis le moment où le cardinal
secrétaire d’État franchit le seuil des Tuileries jusqu'au moment où,
après de pénibles incidents, le concordat est entin signé le 15 juillet 1801.
Le récit ne s'arrête pas à cette date : le concoriat signé, il fallait le
mettre à exécution. À Rome des objections que le pape se décide enfin
à repousser le 15 août s'élèvent encore ; puis il s’agit d'obtenir que les
évêques français, en possession de sièyes épiscopaux avant la révolu
tion, consentent à déposer la mitre et la crosse.
Les pourparlers à ce sujet sont pénibles, ils sont ardus, ils sont
longs ; M. de la Gorce les retrace dans un des chapitres les plus inté-
ressants et les plus neufs qu'il ait écrits ; il l’intitule L'Église de l'exil.
Il y retrace la vie en terre étrangère du clergé fugitif, sa misère, ses
souffrances, ses illusions, son patriotisme, son relèvement moral, ses
préoccupations politiques en face de ses préoccupations religieuses, ses
anxiétés pendant les négociations du concordat, ses doutes sur la
nécessité d'obéir à l'appel pontifical, sa soumission enfin sauf pour
quelques rares réfractaires. |
Pénibles, ardus et longs aussi sont les pourparlers avec le premier
consul pour l'application en France du Concordat. Il y a lutte entre
les exigences impatientes de Bonaparte et les hésitations scrupuleuses
de la Cour romaine. C’est surtout l'introduction de membres du clergn
constitutionnel dans le nouveau corps épiscopal français et la rétrac-
tation exigée d'eux par le Saint Siège qui met aux prises les autorités
spirituelles et temporelles. Les difiicultés sont grandes, la diplomatie
de Bonaparte n'est pas toujours ni juste ni loyale, le personnel politique
de la France est à persuader ou à vaincre pour le faire entrer dans la
voie de la pacitication religieuse. Ces difficultés sont enfia surmontées
et Le 18 avril 1802 voit à Notre Dame le rétablissement ofliciel du culte
catholique. |
Dans les derniers paragraphes de son livre, M. P. de la Gorce
apprécie avec une grande hauteur de vue les hommes qui ont élaboré
le Concordat et la portée de ce grand acte. Il termine son œuvre par
un délicat non moins qu'éloquent hommage au peuple fidèle, aux con-
fesseurs et aux martyrs qui ont travaillé, qui ont souftert et qui ont
versé leur sang pour maintenir en France les croyances catholiques et
lui rendre la liberté de son culte séculaire. À. De RIDOER.
008 COMPTES RENDUS.
Dr Perer Guizvay. The life and times of John Carroll, Archbishop
of Baltimore (1735-1815). New-York, The Encyclopedia Press,
4922. In-8, xv-864 p. Doll. 5.
Le 1° mai 1906, ua siècle après la pose de la première pierre de la
cathédrale de Baltimore, le cardinal Gibbons, résumant en quelque
sorte les progrès du catholicisme aux États-Unis, rappelait que l'Église
en ce pays comptait à cette date 14 provinces ecclésiastiques, 92 dio-
cèses, deux vicariats et une préfecture apostoliques avec plus de
onze mille prêtres et dix millions de tidèles. En voyant ce magnitique
développement on a peine à se figurer que son origine remonte
seulement à la dernière moitié du xvin® siècle. Ce sont ces débuts
que nous retrace le D' Peter Guilday, professeur d'histoire ecclésias-
tique, dans un important ouvrage consacré à la vie et à l’époque de
John Carroll, premier évêque et archevêque de Baltimore.
Une des premières causes de la révolte des colonies anglaises
d'Amérique fut l’article IV de l’Acte de Québec, qui, sans révoquer
toutes les lois portées contre eux, substituait pour les catholiques du
Canada au serment autipapiste une formule d’allégeance parfaitement
acceptable et leur accordait certains droits sans les obliger à aucune
apostasie. Jusqu’alors en effet les protestants d'Amérique s'étaient
montrés animés d’un esprit étroitement sectaire contre les catholiques ;
mais bientôt, sans renoncer à tous leurs préjugés, ils se montrerent
plus tolérants lorsqu'ils virent que ceux-ci, malgré leurs justes griefs,
n'hésitaient pas à se ranger à leurs côtés dans la lutte pour l’indépen-
dance.
Sur une population de 2.205.000 habitants 20.000 seulement étaient
catholiques et comme tels soumis à toutes les lois édictées contre eux
en Angleterre. Ils vivaient isolés les uns des autres ne recevant pour
la plupart que raremement la visite du prêtre, et il arriva trop souvent
que des familles ainsi dépourvues de tout secours religieux se laissérent
gagner par l'indifférence qui les conduisit à l'hérésie. Ed outre ils
dépendaient du vicaire apostolique de Londres avec lequel les relations
toujours ditliciles étaient devenues impossibles par suite de la guerre
avec l'Angleterre. Presque toutes les missions étaient dirigées par les
Jésuites, et l'évêque Chalonner établit pour son vicaire général en ces
pays le P. John Lewis, leur dernier supérieur.
John Carroll était l'apôtre auquel Dieu réservait la glorieuse
mission de fonder cette Eglise des Etats-Unis qui étonne le vieux
munie par sa merveilleuse expausion. 11 naquit le 8 janvier 17% à
Upper Mualborough, dans le Maryland, d'une famille irlandaise.
Pendant la domination de l'Angleterre, les enfants catholiques ne
pouvaient que diflicilement recevoir une éducation conforme à leurs
croyances. Auxsi ses parents, Sans teuir compte des rigueurs de la
législation, n'hésitérent pas quand il eut atteint l’âge de 13 ans, à
l'euvoyer en France, au collège de Saint-Omer. Ses études littéraires
terminées, il eutra au noviciat des Jésuites établi pour la province
P. GUILDAY : THE LIFE AND TIMES OF JOUN CARROLI.. 009
d'Angleterre à Watten, dans l'ancien diocèse d'Arras. En 1755, il alla
faire sa philosophie à Liége, d’où il revint à Saint Omer pour y
enseigner les humanités. Il se trouvait en cette ville lorsque la
Compagaie de Jésus fut bannie de France par un arrêt du parlement
(1764). Le Père Carroll vint alors à Bruges et y fut ordonné prêtre,
probablement en 1769. Ayant fait ses grands vœux, il reçut mission
d'accompagner le fils d’ua grand seigneur catholique anglais,
Lord Stourton, dans un voyage à travers les divers pays de l’Europe.
Il se trouvait à Rome pendant que se négociait l'affaire de la sup-
pression de la Compagnie de Jésus, et, personnage inconnu, put suivre
de près les intrigues nouées pour amener ce résultat. Le P. Carroll
était rentré à Bruges quand le décret de suppression fut officiellement
communiqué aux religieux de cette résidence. Ap'ès un court séjour
en Angleterre, il se décida à revenir cn Amérique (1774).
Lors de la révolte des colonies anglaises, le P. Carroll et son frère
n'hésitèrent pas à se ranger du côté des rebelles et prirent bientôt
une grande influence. De là les rapports d'amitié qui se créèrent
entre eux et Benjamin Franklin et Washington et qui devaient être
si avantageux pour l'Eglise en ces pays. Dès 1779, dans presque tous
les états de la nouvelle République, les catholiques jouissaient de
la liberté et des mêmes droits que les autres citoyens; et les cir-
constances étaient telles qu’une nouvelle organisation de l'Eglise en
ce pays était devenu nécessaire. Au cours des années 1783-81 elle
fut l’objet de conférences qui se tinrent à Paris entre Franklin, le
nonce apostolique, le ministre des affaires étrangères et plusieurs
évêques. Brusquement elles furent interrompues par la désignation
par le Saint-Siège de John Carroll comme chef des missions dans tout
le territoire de la nouvelle République. L'Eglise de ces pays
devenait autonome sous l'autorité de la Congrégation de la Propa-
gande “qui, en même temps qu’elle nommait John Carroll préfet
apostolique, l’avertissait de sa prochaine élévation à l’épiscopat et
lui demandait un rapport détaillé sur l’état des catholiques soumis
à sa juridiction. Les délégués du clergé, ayant pris connaïssance
des lettres de Rome, se déclarérent heureux d’être soustraits à la
juridiction de prélats étrangers, mais en même temps aftirmérent
que, dans les circonstances actuelles, la nomination d'un évêque
n'était pas opportune. Peut être redoutaient-ils, dans une affaire de
telle importance, l'ingérence du gouvernement français qui, ils le
swaient, ne se désintéressait pas de la situation des catholiques en
ces régions. Après avoir hésité, après avoir pris conseil, John Carroll
accepta sa nomination par une lettre du 5 février 17% dans laquelle
il donnait au Cardinal préfet de la Propagande un aperçu des dis-
positions des nouveaux Etats-Unis de l'Amérique du Nord dont les
habitants, très fisrs de leur iadépendance nouvellement conquise,
admettraient difficilement une autorité étrangère entre leur pays et
le Souverain Pontife, a
570 COMPTES RENDUS.
La position du nouveau préfet apostolique était bien difficile. Son
autorité ne s’étendait que sur un petit nombre de catholiques dispersés
sur un immense territoire aux frontières incertaines du côté de
l'Occident. Avant tout il devait faire reconnaître son autorité trop
souvent méconnue par un clergé composé d’ecclésiastiques venus de
tous pays. Parmi les trop rarcs prêtres sur lesquels John Carroll
pouvaient s'appuyer, vingt-quatre avaient appartenu comme lui-même
à la Compagoie de Jésus et tous partageaient son désir de la voir
se rétablir. Le préfet apostolique devait en outre fixer des règles
pour l'administration des paroïsses : car trop souvent les fidèles sur
ce point refusaient de lui obéir, ne craignant pas, avec la compli-
cité de quelques ecclésiastiques, d'aller jusqu’au schisme.
En mars 1738, MM. John Carroll, Molyneux et Ashton, au nom
des prêtres de ces régions, adressèrent au pape Pie VI une pétition
demandant la création d’un siége épiscopal soumis directement au
Saint-Siège, et dont le titulaire serait élu par le clergé. Le cardinal
Antonelli, le 12 juin suivant, fit savoir que la demande avait été
accueillie favorablement par le Souverain Pontife et que, pour cette
premiére fois, l'évêque serait élu par tous les prêtres ayant charge
d'âmes. En conséquence Baltimore devint ville épiscopale et John
Carroll fut élu à cette nouvelle dignité. L'élection fut confirmée Île
14 septembre 1788. M. John Caroll décida de se faire consacrer en
Angleterre, et la cérémonie s’accomplit à Ludworth dans la chapelle
de la famille Welt le 15 août 1790. Il était de retour en Amérique le
7 décembre suivant. Un des premiers soins du nouvel évèque fut de
réunir un synode afin de rétablir la discipline dans cette partie de
l'Église trop longtemps abandonnée. Il se tint en novembre 1791 ;
vingt-deux prêtres y prirent part. Là furent promulgués les règlements
pour l'administration des sicrements, l'éducation des enfants,
l'entretien du clergé, en un mot toutes les règles pour une vie chré-
tienne bien ordonnée. L’évêque demanda enfin aux prêtres présents
leur avis sur la division du diocèse ou la nomination d'un coadjuteur.
Rome se prononça pour cette dernière solution atin d'éviter tous les
joconvénients résultant d’une longue vacance épiscopale.
Le recrutement du clergé pour son diocèse fut à juste titre une des
principales préoccupations de Mgr Carroll. Jusqu'alors en effet la
plupart des prêtres de ce pays étaient des étrangers que drs motifs bien
divers y avaient amenés. Il était donc urgent de créer uo séminaire
pour les Américains. Le nonce de Paris se montrait favorable à ce
projet et des relations ne tardérent pas à s'établir pour ce motif entre
M. Emery et l'évéque de Baltimore où, le 10 juillet 1791, arrivérent
quatre sulpiciens et cinq séminaristes. Le 10 octobre suivant, le sémi-
naire était prêt pour recevoir les étudiants. D'autres sulpiciens ne
tardèrent pas à venir et s’employérent utilement au ministère
paroissial. Sous l’épiscopat de Mgr Carroll trente prêtres seulement
sortirent de ce séminaire qui par la suite devait être d'une si grande
P. GUILDAY : THE LIFE AND TIMES OF JOIN CARROLL. 571
utilité pour l'Église des États-Unis. Presque en même temps se fuu-
daient des maisons d'éducation pour lesenfants des familles catholiques,
et c’est à Mgr Carroll et à Élisabeth Seton qu'on est redevable de la
fondation des Filles de la Charité, la plus ancienne des congrégations
de femmes qui prirent naissance aux États-Unis.
Quelques ordres religieux tentèrent de s'établir en ces régions : mais
seuls les Dominicains et les Augustins purent s’y maintenir et s'y
développer. Quant à la Compagnie de Jésus on pourrait dire qu’elle ne
cessa jamais d'y exister. Les religieux qui s’y trouvaient au moment
de sa suppression, ne cessèrent d'espérer son rétablissement et leur
confiance fut récompensée. Les quelques pages qui leur sont consacrées
sont parmi les plus intéressantes du travail du D° Guilday.
Comme nous l'avons dit, Rome se montrait favorable à la nomination
d'un évêque-coadjuteur, et sur l'avis de Mgr Carroll, elle nommait à
cette digpité le P. Laurence Graessli qui lui aussi avait appartenu à la
Compagnie de Jésus : maïs il mourut en octobre 1793 et la nouvelle
de sa mort ne parvint à la Propagande qu'en juillet 1791. Le nom
du P. Neale fut alors envoyé à Rome. Ses bulles de nomination comme
évêque de Cortyna et coadjuteur de Baltimore sont d'avril 1795, mais
ne parvinrent en Amérique qu'au cours de l'année 1800 ; et il reçut
la consécration le 7 décembre.
De plus en plus apparaissait la nécessité de diviser l'immense diocèse
de Baltimore. La Congrégation de la Propagande pensa alors à ériger
le siège de Baltimore en archevêché avec quatre ou cinq suffragants.
Elle interrogea à ce sujet Mgr Carroll, lui demandant d'indiquer les
futurs siéges épiscopaux et de désigner les prêtres qui pourraient
être appelés à gouverner les nouveaux diocèses. Ainsi Boston aurait
pour évêque un prêtre français Jean Cheverus; New-York le
P. Richard Concanen, des Frères Prêécheurs ; Philadelphie le
P. Michel Egao, franciscain ; et Bardstown Joseph Flaget, sulpicien.
Par ses lettres du 8 avril 1808, Pie VII érigea Baltimore en métro-
pole, et ainsi fut créée la première province ecclésiastique des
États-Unis d'Amérique. Le D' G. donne un aperçu de toute l’histoire
de ces nouveaux diocèses jusqu'a la mort de Mgr Carroll. Viennent
ensuite quelques chapitres où l'auteur montre ce que fut l'Eglise de
Baltimore de 1808 à 1815, l'attitude du clergé séculier en Amérique
à la fin du xvini* et au commencement du xix° siècle, les exigences
des fidèles daos l'administration des paroisses, la création des œuvres
d'instruction et de charité. Le lecteur est bien un peu surpris de
retrouver ainsi à la fin du volume ces pages qui complètent ce qui
avait été indiqué sommairement dans la première partie : mais il
ne saurait s’en plaindre; car elles font mieux comprendre les
difficultés de toute nature dont eut à triompher Mgr Carroll.
Pendant tout son épiscopat et surtout pendant les dernieres années
de sa vie, alors que par suite des guerres les rapports avec Rome
étaient devenus impossibles, il fut véritablement le chef écouté et
12 COMPTES RENDUS.
respecté de l'Église catholique dans les Etats-Unis d'Amérique.
Lorsque, âgé de 81 ans, le 8 décembre 1815, il fut appelé par Dieu
à recevoir la récompense de ses travaux, on pouvait déjà prévoir
le merveilleux développement qu'allait prendre l'Église dont il fut le
véritable fondateur. D. B. HEURTERIZE.
Orro PruELr, S. J. Die Anfäünge der deutschen Provinz der neu-
erstandenen Gesellschaft Jesu und ihr Wirken in der Schweiz
(1805-1837). Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1922. In-8, 522 p.
Après une période de tâtonnements qui dura environ vingt ans, la
province allemande de la Compagnie de Jésus fut reconstituée d'abord
en 1821, comme vice-province, puis définitivement en 1836, sous son
ancien titre (« oberdeutsche Provinz »). Le R. P. Pfulf a été chargé
par ses supérieurs d’en retracer l'histoire. Il y distingue trois périodes :
1) le séjour en Suisse, depuis l’arrivée des Pères de la Foi en 185%,
jusqu'à l'expulsion des Jésuites en 1847 ; 2) l'établissement ea Alle-
magne, depuis 1849 jusqu’au décret d'expulsion de 1872; 3) les
Jésuites allemands en exil, de 1872 à 1914.
Le présent volume est consacré aux origines et à la première période.
On sait qu'après la suppression de la Compagnie en 1773, plusieurs
anciens Jésuites s'efforcérent, surtout en Russie, de conserver ct de
contivuer l'esprit et les traditions de leur ordre. Le P. Pfülf, dans une
courte introduction, nous retrace les tentatives réalisées dans ce but en
Suisse et dans le nord de l'Italie. Nous y rencontrons successivement
les Pères du Cœur de Jésus (1793-1799), dirigés par de Tournely, et les
Pères de la Foi (1799-1807), dirigés par Paccanari. C'est à la Congré-
gation des Péres de la Foi qu’anpartenaient les premiers membres de
la missio helvetica, premier noyau de la future province allemande de
la Compagnie. À la demande du magistrat de la ville, ils établirent en
1805, à Sion (Valais), un établissement d'instruction. A peine installés,
il leur fallut compter avec les Francais qui, sous les ordres du général
Berthier, s'emparèrent du Valais en 1807. favorablement accueillis
par Berthier, ils purent continuer à enseigner et à prêcher. Apres Île
rétablissement ofliciel de la Compagaie par Pie VIT (1814), ils fondéreut
encore en Suisse les collèges le Brigue, de Solothurn et de F:ibourg.
Ils purent aussi vers cette époque, pousser en Allemagne quelques
pointes avancées, sous la forme de très petites communautés, ignorées
des autorités civiles.
On lira avec intérèt le récit de leur premier établissement, publlique-
ment reconnu, dans un état allemand. En 1835 le duc régnant de
Anbhalt-Kothen se convertit au catholicisme. Il demanda et obtint du
général de la Compagnie, qu'un Père Jésuite fût attaché à sa personne.
Ea même temps que le confesseur du duc, une petite communauté
enseignante s'étab'it en plein pays protestant. Par contre en Baviére,
CH. TH. GÉROLD : UNE PAGE DE L'HISTOIRE DE L'ALSACE. 519 :
malgré la protection et les sympathies du roi Louis I*", les négociations
entamées en 1830 se poursuivirent sans succès pendant plus de quinze
ans.
Un des plus importants chapitres a pour objet le récit des menées,
pleines de ruse et de violences, dirigées par les radicaux suisses contre
le maintien des Jésuites dans leur pays. Une majorité calviniste into-
lérante voulut imposer aux sept cantons catholiques l'expulsion des
religieux. On sait comment les cantons catholiques refusèrent d’obéir
à ces injonctions et comment ces discussions aboutirent à la courte
guerre, dite du Sonderbund (1847), guerre désastreuse pour les cantons
catholiques et pour les religieux qu'ils protégeuient. Le triste sort des
Jésuites expulsés et traqués, de leurs élèves dispersés, de leurs collèges
fermés et confisqués, estexposé en des pages sobres et bien documentées.
L'auteur n’a pas voulu faire la critique ni même la revue des ouvrages
déjà publiés sur ces événements; il cite d’ailleurs peu de bibliographie.
Il utilise surtout les riches archives de son ordre : notamment les
Lilterae annuue, dont la rédaction fut reprise par chaque maison à
partir de 1819, les Historiae et les Diaria, encore inédits, relatifs à
plusieurs collèges, l'Historia pr'ovinciae Germaniae superioris, également
inédite, qui va de 1821 à 1858, enfin les correspondances échangées
entre le P. Général et les PP. Provinciaux. On le comprendra aisément :
ces archives sont particulièrement riches en détails concernant la vie
interne des collèges et le ministère des religieux. Les historiens locaux
de la Suisse, ainsi que les historiens de la pédagogie, y trouveront aussi
de quoi se documenter.
L'ouvrage du R. P. Pfülf prendra un raog honorable dans la série
déjà nombreuse des monographies consacrées à l'histoire des différentes
provinces de la Compagnie de Jésus. F. CLAEYS-BoUUAERT
Cu. Tu. Géron. La Faculté de théologie et le séminaire protestant
de Strasbourg (1805-1872). Une page de l’histoire de l'Alsace.
(Études d'histoire et de philosophie religieuses publiées par la
Faculté de théologie protestante de l’université de Strasbourg.
Fase. 7.) Strasbourg ct Paris, Istra, 4925. In-8, vu-336 p. Fr. 15.
Après avoir éouméré les différentes catégories de sources, imprimées
et manuscrites, auxquelles il a puisé les renseignements qu'il nous
donne dars ce gros ouvrage, M. Gérold ajoute : « Elève du séminaire
et de la faculté dans les années 1855 à 1860, j'ai eu pour maîtres, au
séminaire, les professeurs Matter et Hasselman, Stahl et Kreiss,
Bartholmess et Waddington, Baum et Cunitz, et, à la faculté, à côté
du ‘loyen Brucu, les professeurs Fritz et Jung, Reuss et Schmidt. J'ai
également connu ceux qui sont venus plus tard. Colani et Lichtenber-
Be, Weber et Sabatier, et j'ai suivi avec intérêt l’activité qu'ils ont
déployée dans notre école de théologie. » (p. vi) Ces quelques lignes
574 COMPTES RENDUS.
montrent assez l'importance d’un livre sur la faculté et le séminaire
protestant de Strasbourg, qui, en quelques années, ont compté dans
leur personnel enseignant des personnages si réputés.
La Révolution française avait supprimé l'ancienne Université de
Strasbourg. À sa rlace, le décret du 30 floréal an XI créa une Académie
destinée à former les ministres de la Confession d'Augsbourg. Mais, en
1819, un arrêté royal organisait à Strasbourg une faculté de théolugie
par l'érection en chaires de faculté de trois chaires établies au grand
séminaire protestant. Entio, après la gu»rre de 1870, une wniversité
était de nouveau installée à Strasbourg par les Allemands. L'ancienne
faculté de théologie disparaissait.
Jusqu'en 1820, les professeurs de Strasbourg sont presque tous des
membres de l’ancienne uaiversité. Bientôt des hommes plus jeunes
viennent occuper les chaires devenues vacantes. Ils y apportent un
esprit progressif avec des habitudes scientifiques nouvelles. Mais la
période la plus brillante dans l’histoire de 14 faculté est incontestable-
ment la dernière, à partir de 1864 environ. Timothée Colani, le fonda-
teur de la Revue de théologie et de philosophie chrétiennes, tient la
première place à côté d'Edouard Reuss. L'eascignement de l’histoire
ecclésiastique est entre les mains du célèbre historien des Albigeois,
Charles Schmidt. André Lichtenberger et Auguste Sabatier ne jouissent
pas encore alors du prestige qu'ils connaîtront plus tard. Sabatier n'a
d’ailleurs été nommé à Strasbourg qu’en 1868.
Pour obtenir le grade de licencié en théologie, Auguste Sabatier
avait, en 1866, composé une dissertation sur Les sources de la vie de
Jésus, dont plusieurs assertions devaient sonner faux aux oreilles
orthodoxes. La faculté de Strasbourg eut presque toujours, en particu”
lier auprès des membres du Consistoire supérieur, une réputation de
hardiesse dans les matières doctrinales. Les détails réuais par M. Gérold
sur ce sujet à divers endroits de son livre sont parmi les plus instruc-
tifs. Il Jui a fallu, le déclare-til lui-même, des efforts particulière-
ment méritoires d'impartialité pour ces chapitres douloureux qui
relatent les attaques dirigées par l'orthodoxie parisienne contre l’en-
scignement du séminaire et de la faculté. E. ve MoREAuù, S. J
e L Éd °
J. Scawrz et N. NiEuwLAND. Documents pour servir à l'histoire de
l'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxem-
bourg. Quatrième partie, Le combat de Dinant. Bruxelles et Paris,
Van Oest, 1921-1922. 2 vol. in-8, 208 et 340 p.
Nous avons rendu compte des trois premiers volumes de cette
importante collection de documents (RHE, 1921,t. XVII, p. 154-159).
Les 4° et 5° volumes se distinguent par les mêmes qualités que leurs
devanciers. Les méthodes de travail, les procédés de reproduction et
J. SCHMITZ ET.N. NIEUWLAND : HIST, DE L'INVASION ALLEMANDE. 575
d'exposition n’ont pas varié. Le lecteur nous permettra de nous référer
à la vue d'ensemble que nous en avons déjà donnée.
Le 4° volume, intitulé : La conquéte de la Meuse, suit la marche de la
IIIe armée allemande (général von Hausen), dans les localites du Sud
de la province de Namur, à l'exception de Dinant. Il comprend 74 rap-
ports (n. 318-391), qui ont pour auteurs drs curés, des magistrats, des
bourgmestres et quelques particuliers. Certaines relations sont parti-
culièrement émouvantes, tant par le caractère tragique des événements,
que par le souci de précision et d’objectivité des narrateurs ; aucun
accent de passion ne vient troubler le calme imposant des dépositions.
Nous tenons à signaler spécialement les rapports rédigés par l'abbé
Servais, curé de Dorinne, et par l'abbé Grégoire, curé d’Yvoir. Le
passage de la IIl° armée fut marqué par les étapes sanglantes de
Waulsort, d’'Hermeton, d’'Evrehailles, de Spontin, de Houx et de
Sorinnes. À Hastière fut tué M. Ponthière, professeur à l’université
de Louvain, aux côtés de sn beau-frère, M. le curé Schlôgel. On
compte, en dehors de Dinant, douze grandes fusillades collectives qui
ont amené la mort de 61 civils ; 86 autres civils sont tombés isolément.
Le 5° volume, qui a pour titre : Le sac de Dinant, a fait l'ohjet d’uve
enquête et d'une étude menées avec un soin tout particulier.
Les combats pour la possession de Dinant comprennent deux phases.
La premiére fut marquée par une tentative des Allemands de forcer le
passage de la Meuse par une attaque brusquée (15 août 1914). La
citadelle fut ficilement prise, ainsi que la partie de la ville située sur
la rive droite du fleuve ; mais bientôt les canons français, postés sur la
rive gauche, contraignirent l’envahisseur à la retraite. Pendant cette
journée les habitants se tinrent terrés dans leurs caves. Les Allemands,
qui n'eurent pas le loisir de les molester, ne songérent naturellement
pas à recourir à la fable des francs tireurs. Le 23 août, von Hausen
revint à la charge. Il lança sur Dinant plusieurs unités du XIT° corps,
notamment la 32° division (von der Planitz) et la 46° brigade (von
Watzdorff). Pendant que ces troupes se butaient à la vigoureuse résis-
tance es Français, elles se livrèrent à l’intérieur de la ville aux plus
épouvantables cruautés. |
Rien de plus lamentable que l'histoire de ces massacres. D'une part,
de paisibles habitants, arrachés de leurs demeures, arrêtés dans Îles
rues, poursuivis et traqués jusque dans les cachettes les plus reculées,
puis parqués comme du bétail et, après une brève et mortelle attente,
conduits les uns au supplice, les autres ea exil, sans même que la
détermination de leur sort soit précédée d'un simulacre de jugement.
D'autre part, des hordes de soldats surexcités, suggestionnés et déchaï-
nés ; mais, à de rares exceptions près, encore disciplinés et obéissant
à une atroce et mystérieuse consigne. Dans l'exécution de cette con-
signe, nul ordre, nulle méthode. Une fatalité aveugle et capricieuse
semble présider au massacre. Nous ne pouvons songer à résumer
toutes les scènes d'horreur. Rappelons seulement quelques chiffres. À
011) COMPTES RENDUS.
Leffe, sur les ordres d’un commandant nommé Wilke, sont fusillés
d’abord 13 hommes, puis 71, puis 43. Au mur de la maison Tschotfen
sont alignés 150 hommes; 123 tombent mortellement frappés. Le
colonel comte Kielmansegg préside à cette hécatombe. Le long du
mur Bourdon, sur 90 personnes prises comme otages, 76 sont mas-
sacrées. Parmi elles il y a 38 femmes, ainsi que 7 enfants de moins de
deux ans. Le Livre blanc ne souffle mot de ces faits. Dans l’aqueduc de
Neffe, où se sont réfugiées 55 personnes, les soldats, commandés par le
major von Zeschau, lancent des grenades à main. On retire 23 tués et
12 blessés Au total, daus la journée du dimanche 23 août, 677 Dinan-
tais tombent victimes.
Ces faits sont minutieusement relatés dans 115 rapports (n. 392 à
006) ; la plupart de ces relations émanent de femmes et de jeunes gens.
Les hommes ont disparu ; daus beaucoup de cas, seuls les veuves et les
orphelins peuvent encore témoigner. Tous ces récits impressionnent
par la précision des détails, par la sim,licité du ton, par l'expression
contenue de la douleur. On y chercherait en vain des explosions de
colère ou de ressentiment. Ces malheureux ont imposé le silence à
leurs sentiments, pour s’efforcer de faire une œuvre toute de conscience
et de vérité. Il convient de signaler aussi d'intéressants rapports, au bas
desquels nous lisons les noms autorisés de l'abbé Schilz, curé-doyen de
Dinant, de M. Tschoffen, procureur du roi, de l'abbé Fries, curé de
Netle, du R. P. Borrelly, prieur des Prémontrés de Lette. L’accumula-
tion des détails, jointe à la note personnelle de chaque déposant, peut
nuire quelque peu à l'unité du tableau d'ensemble; mais il s'en dégage,
à une lecture attentive, une puissante impression de sincérité, d'exac-
titude et de cohésion. |
Au cours de tout l'ouvrage, mais surtout dans les introductions, les
auteurs rencontrent les allégations du Livre blanc. On connait le
système adopté par les rédacteurs de ce document allemand officiel,
système basé tout entier sur le postulat d'un soulèvement en masse
de la population belge. Méthodiquement, localité par localité, les
auteurs examinent cette accusation et en montrent l'inanité. La
démonstration est spécialement décisive pour le drame de Dinant,
auquel le Livre blanc consacre plus du tiers de ses pages. Se faisant
accusateurs à leur tour, les auteurs recherchent quels mobiles peuvent
avoir inspiré des agissements aussi barbares. Ils les attribuent avant
tout à l'application d'un principe, qu'ils ont découvert, sous des formes
diverses, dans plusieurs ouvrages militaires allemands, tant ofliciels
que privés : Quand lu guerre nationale a éclaté, le terrorisme devient un
principe militaire nécessare. Dans des livres récents, plusieurs généraux
allemands continuent à détendre ce point de vue et à accuser la popu-
lation belge. MM. Schmitz et Nicuwland, en établissant détinitivement
les responsabilités et les culpabilités, ont rendu un service signalé à
la vérité historique et à leur patrie. F. CLAEYS BOUUAERT.
CHRONIQUE (4).
Allemagne. — Il serait difficile d’exagérer les services que l'archéologie
biblique est appelée à rendre à l’exégèse. Pour comprendre la Bible, il faut
connaître les pays et les peuples dont elle parle, il faut connaître surtout
l’histoire de la formation et de la civilisation du peuple d’Israël, de ses lois,
de ses mœurs, de son culte, de ses rapports avec les peuples d’alentour. Les
découvertes archéologiques de ces dernières années, en Égypte et dans toute
l’Asie antérieure, faisaient beaucoup désirer, chez les catholiques surtout, un
manuel d'orientation à l’usage des étudiants en théologie et de tous ceux
qu'intéressent vivement les antiquités bibliques. Le Dr KaLT vient de le leur
fournir dans les Herders theologische Grundrisse : Biblische Archäologie.
Fribourg, Herder, 1924. In-12, xu1-158 p. Fr. s. 3,20. Il traite en quatre sec-
tions de la Palestine et de ses habitants, de la vie privée, politique et reli-
gieuse du peuple d'Israël, et s'applique surtout à faire ressortir l’évolution
des institutions et la conduite de la Providence dans l’histoire d'Israël. Un
index bibliographique assez développé pourra guider le lecteur désireux de
poursuivre et de compléter ses études, Nous y voyons figurer les travaux de
Vigouroux et de Van Hoonacker, mais nulle part nous n'avons trouvé la
moindre mention de la Revue biblique qui fait pourtant la part si large aux
recherches archéologiques.
E. Nestle a publié lui-même trois éditions de son ÆEïnführung in das
Griechische Neue Testament (1897, 1899, 1909). Chaque fois, le précieux
ouvrage s’enrichissait de communications nouvelles ; il devenait ainsi une
véritable mine de renseignements, presque indispensable aux spécialistes qui
continueront, s'ils le peuvent, à le consulter avec grand profit. Mais il
manquait des qualités pédagogiques nécessaires à un livre d'étudiant. Il
n'insistait pas assez sur l'essentiel et s’étendait trop sur les détails. À propre-
ment parler, il n’introduisait pas dans l'histoire du texte du Nouveau Testa-
ment et n’initiait pas méthodiquement à sa critique. À la mort de l’auteur,
en 1913, la préparation de la 4e édition fut confiée à R. Knopf qui fut enlevé
. lui-même en 1920 sans avoir mis la main à la tâche. Cette 4e édition vient de
paraître par les soins de M. von DoBscHuETz (Eberhard Nestle's Einführung
in das Griechische Neue Testament. Goettingue, Vandenhoeck et Ruprecht,
1923. 160 p. et 20 planches. Mk. 5,40). C’est un livre nouveau, transformé,
raccourci, clair et pratique. On a conservé de Nestle ce qui pouvait convenir;
on a tenu compte des publications faites depuis 1909 ; pour l'étranger toutelois
on s'arrête À 1914. On a multiplié les specimina codicum qui sont maintenant
au nombre de 20. La disposition typographique adoptéc a permis de condenser
(1) Le Comité de Rédaction sera reconnaissant aux Suciétés savantes, aux
Auteurs et aux Libraires qui voudront bien lui adresser (rue de Namur, 40,
LOUVAIN) les nouvelles, les articles et les ouvrages qui peuvent être annoncés
utilement soit dans la CHRONIQUE, soit dans la BIBLIOGRAPHIE de la REVUE
D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.
578 CHRONIQUE.
énormément de choses en peu de pages. L'introduction de Nestic est devenue
un véritable manuel semblable à ceux de Kenyon, de Jacquier et de Vogels.
On y traite de l’histoire du texte manuscrit et imprimé, de la critique du
texte, de ses matériaux, manuscrits du texte original et des versions, citations
des écrivains ecclésiastiques, de sa méthode, critique externe et interne,
critique conjecturale. Les indications bibliographiques sont très abondantes,
et chaque assertion est appuyée par de nombreux exemples. Il aurait valu
mieux ne prendre ceux-ci que parmi les cas indiscutables, ce qui n’a pas
toujours été fait. C’est ainsi que comme preuve d’ajoutes rédactionnelles
faites au texte des évangiles avant sa fixation, on cite, avec hésitation, il
est vrai, la finale deutérocanonique de Marc, le chapitre XXI de Jean, les
versets 9-10 du chapitre XX VIII de Matthieu et le verset 12 du chapitre XXIV
de Luc (p. 10). L'influence exercée par Marcion et Tatien sur le texte du
Nouveau Testament nous paraît aussi beaucoup mieux étudiée dans le récent
manuel de Vogels, mais il est incontestable que l'ouvrage de von Dobschütz
est riche, suggestif, bien agencé. L'Allemagne possède maintenant deux bons
traités d'introduction à la critique textuelle du Nouveau Testament.
Depuis que Volkmar la porta à l'ordre du jour en 1857, la question du
paulinisme de l’évangile selon S. Marc fut bien souvent discutée et bien
diversément résolue, On pourrait presque lui appliquer les formules qu’un
esprit frondeur trouva, il y a un quart de siècle, pour caractériser les diffé-
rentes étapes de la controverse sur l'extension du déluge, et mettre en tête
des quelques chapitres de son histoire des titres sensationnels : Rien que du
paulinisme, du paulinisme mitigé, pas de paulinisme du tout, un peu plus ou
un peu moins de paulinisme..
Volkmar, Hoïsten et Schulze ne voyaient guère que du paulinisme dans
l'œuvre de S. Marc, paulinisme doctrinal et paulinisme de partisan. Le
second évangile n’était à leurs yeux qu’une apologie de l’Apôtre des Gentils,
» de son enscignement et de son activité. Et les critiques qui ont le plus vive-
ment dénoncé ces exagérations, comme H. Holtzmann, J. Weiss et Jülicher,
défendent eux-mêmes l'existence d’un paulinisme plus restreint. Il y a place
ici pour toute la gamme des nuances selon que l’on étend l'influence pauli-
nienne au fond de l’évangile de Marc et à sa façon de présenter l’histoire du
Christ, ou qu'on la limite à quelques enscignements spéciaux, à la forme
littéraire de quelques péricopes, au choix de quelques termes caractéristiques.
Mais on peut dire que malgré la réaction énergique de Schweitzer et de
Wernle, la thèse du paulinisme de Marc a conquis droit de cité dans la
science néo-testamentaire. Elle est admise à des degrés divers, avec des
fluctuations et des hésitations, par Pfleiderer, Hadorn, Soltau, Brückner,
Schmiedel, von Soden, Harnack, etc., pour ne pas parler des auteurs catho-
liques dont nous dirons un mot tantôt. MarTIN WERNER a cru le moment
venu de la soumettre à un nouvel examen méthodique, minutieux, complet
(Der Eïinfluss paulinischer Theologie im Markusevangelium. Beihefte zur Zeit-
schrift f. d. neut. Wissenschaft. I. Gicssen, Tôpelmann, 1923. In-8, vit-216 p.
Fr. 8. 8,40). Et il se fait que sans le vouloir, car il était déjà composé à cette
date, son livre est une bonne réplique au Markusevangelium de Drews, publié
en 1y21 et dont le radicalisme ne le cède en rien à celui de Volkmar.
Sans prétendre aucunement faire une histoire dogmatique du christianisme
primitif, Werner met en parallèle Paul et Marc et les compare soigneuse-
ment pour tous les points où la comparaison est possible, Ses conclusions ne
ALLEMAGNE. 579
laisseront pas de surprendre, mais elles sont fermes et nettes : Il ne peut être
question d’une influence quelconque de la théologie de Paul sur l’évangile de
Marc. Les deux écrivains se rencontrent, sans doute, mais dans l'expression
d'idées appartenant au fond commun du christianisme primitif. Les concep-
tions spécifiquement pauliniennes ne se retrouvent pas dans Marc où apparais-
sent au contraire parfois des points de vue opposés, contradictoires. On pense
bien que nous sommes loin de souscrire à cette dernière assertion que l’auteur
reprend d’ailleurs à Wernie et qu'il serait dans l’impossibilité de prouver.
Werner exagère considérablement et fausse l'opposition entre Marc et Paul.
Voici un exemple emprunté à la christologie (p. 46-51) : Pour Marc, Jésus ne
serait qu’un homme, sans aucune préexistence en Dieu, déclaré au baptême
Fils de Dieu, c'est-à-dire Messie, tandis qu'aux yeux de Paul, Jésus est le
Fils de Dieu descendu du ciel et remonté dans sa gloire. Dans Marc, un
homme devient Messie; dans Paul, le Messie devient homme. Dans Marc, la
messianité vient s'insérer dans unc existence humaine ; chez Paul, l'existence
humaine n’est qu’un épisode dans la vie d’un être céleste. Pour Marc, la
merveille qui se réalise en Jésus, c’est sa divinisation; pour Paul, si l’on peut
ainsi dire, c’est son humanisation. Les deux christologies sont fondamentale-
ment différentes.
Cette étude sérieusement faite, souvent menée avec beaucoup de tact et de
critique, aurait gagné beaucoup à s'inspirer aussi des travaux de langue
française, mais elle les ignore complètement. Le paulinisme de Goguel n'est
pas mentionné, pas plus que celui de Loisy, presque aussi radical que celui de
Volkmar et de Holsten. Il n'est tenu aucun compte des travaux catholiques
sur la matière, pas même de la belle étude de Mangenot publiée dabord dans
la Revue du clergé français en 1909 et reproduite en annexe aux Évangiles
synoptiques en 1911. La critique catholique ne s’effraie aucunement d'un
certain paulinisme de Marc, qu’elle trouve vraisemblable à priori et parfaite-
ment compatible avec l’historicité du second évangile et la tradition ecclé-
siastique touchant son auteur : « Dès lors que l’on admet (et il y a de bonnes
raisons de l’admettre) l’identité de Marc, le disciple de Pierre, avec le mis-
sionnaire Jean Marc, parent de Barnabé et compagnon de Paul, il n’y a
aucune difficulté à reconnaître, si de sérieux arguments y obligent, que ce
personnage, disciple successif de Pierre et de Paul, en rédigeant son évangile
d'après les souvenirs de Pierre, ait donné à la catéchèse du prince des
apôtres une forme paulinienne, Il avait entendu les deux apôtres exposer le
méme enseignement de Jésus, sa vie et sa prédication ; il avait constaté
l'identité du fond, et sans fausser la catéchèse de Pierre, il a pu très légitime-
ment exprimer quelques points de cette catéchèse et même les sentences de
Jésus qu’elle reproduisait, dans la forme spéciale et caractéristique que
S. Paul leur donnait dans sa propre prédication, dont lui-même avait été
l'auditeur et peut-être le répétiteur comme catéchiste associé aux missions de
l'apôtre des gentils. Réduit donc à de justes limites, le paulinisme de Marc
est vraisemblable et n’est pas de nature à diminuer la fraîcheur ct l'autorité
de la tradition primitive dont il est l'écho et qu'il a consignée par écrit...
Je ne vois aucun inconvénient à reconnaître, le cas échéant, que le second
évangéliste a exprimé la pensée authentique de Jésus et la tradition primitive
des apôtres en des termes, que ni Jésus, ni les premiers apôtres n’ont pas
réellement employés, mais que Paul, nourri et pénétré de la tradition des
Douze, a mis en usage pour rendre très exactement l'enseignement de Jésus
580 CHRONIQUE.
et des apôtres. Je reconnaîtrais alors un fond primitif sous une forme posté-
rieure qui ne l'aurait ni altéré ni modifié. Quant à l'influence paulinienne sur
certains enseignements de Marc, il faut, me semble-t-il, si on l’admet, la
déclarer très éloignée et très indirecte... Pour moi, toutes choses bien consi-
dérées, je réduirais au minimum le paulinisme de Marc, et je le reconnaitrais
dans l'emploi de certains termes, qui scraient démontrés être spécifiquement
pauliniens, plutôt que dans le choix des doctrines. » (MANGENOT, Les évan-
giles synoptiques, p. 363, 389, 390.)
Comme pendant aux « Apocryphes et Pscudépigraphes de l’Ancien
. Testament » de Kautzsch, E. HENNECKE publiait en 1904, à l’usige du grand
public, un recueil analogue contenant, en traduction allemande, la littérature
apocryphe du Nouveau Testament. Le volume débutait par une introduction
sur les apocryphes en général, et les traductions, faites avec soin par des
spécialistes sur les meilleurs textes originaux, étaient en outre précédées
d'une introduction particulière, généralement brève, mais donnant une
orientation suffisante sur l'importance, l’origine, le contenu et la transmission
de chaque document. La collection de textes était suivie d’un volume de
commentaires sous Île titre de Handbuch zu den Neutestamentlichen Apokry-
phen, qui contenait une étude détaillée de toutes les questions très complexes
qui se posent, une revue aussi complète que possible de la littérature récente
et l'explication des textes les plus difficiles ou les plus importants. L'ouvrage
de Hennecke, comme celui de Kautzsch, est devenu l’auxiliaire indispensable
. de tous ceux qui s'occupent d’études bibliques. Le premier volume, le
recueil de textes vient d'être réédité (Neutestamentliche Apokryphen. In
Verbindung mit Fachgelehrten in deutscher Uebersetç;ung und mit Einleitungen
herausgegeben von Edgar Hennecke. Tubingue, Mohr, 1924. In-8, xn-32-668 p.
Fr. s. 15), mais c'est presque un nouveau livre qui laisse subsister en partie
la valeur et l'utilité de l’ancien.
La liste des 17 collaborateurs de M. Hennecke contient beaucoup de noms
connus et qui inspirent confiance, comme ceux de W. Bauer, de Geficken, de
Gressmann, de Krüger, de Lietzmann, de A. Meyer, de Weinel. etc. Plusieurs
des anciens ont été enlevés par la mort depuis 1904, P. Drews, Flemming,
R. Knopf, Preuschen, Raabe, Schimmelpfeng, mais leurs traductions ont
parfois été reprises en grande partie dans la nouvelle édition. C’est ainsi
que Krüger a repris la version de Knopf pour la lettre aux Laodicéens et la
lettre de Clément de Rome aux Corinthiens, Bauer a utilisé celle de Raabe
pour les Actes de Thomas, et Duensing celle de Flemming pour l’Ascension
d’Isaïe. Le premier volume seul étant réédité, sans le commentaire, il a fallu
lui incorporer l'apparat scientifique considérablement accru depuis 1904;
dans des cas particuliers on a dû tenir compte de manuscrits nouveaux,
proposer de nouvelles leçons, tenter de nouvelles reconstitutions. Pour ne
pas accroitre démesurément le volume qui dépasse déjà de plus de cent pages
l'édition précédente, on a écourté certains apocryphes, surtout les Actes
d'apôtres; par contre bien des pièces nouvelles que l'éditeur estime plus
importantes y sont insérées. Voici les principales acquisitions : un chapitre
sur les évangiles remaniés, évangile de Marcion et Diatessaron de Tatien, un
autre sur les traditions ou légendes relatives À l'aspect extérieur de Jésus,
sur les noms des personnages anonymes de l'Évangile, sur les parents de
Jésus; les traditions et légendes relatives aux apôtres, un extrait de la
Lettre des apôtres et des extraits des apocryphes clémentins ; le livre
ALLEMAGNE. 581
d'Elkesai, les prophéties de Montan, des prophéties snostiques, les odes de
Salomon ; les sentences des presbytres d’Irénée, la deuxième partie des
Constitutions apostoliques, la tradition apostolique d'Hippolyte, le plus
ancien symbole baptismal, des hymnes, des prières et des fragments litur-
giques, la lettre à D:ognète, les Sentences de Sextus.
Comme dans la première édition, chaque livre ou extrait est précédé d'une
courte introduction. Les documents sont répartis en cinq classes : Évangiles,
renseignements extra bibliques sur Jésus ; traditions et légendes concernant
les apôtres; apocalypses et pièces apparentées ; voix de l'Eglise ; sentences.
L'introduction générale traite de la parenté littéraire de cette littérature
apocryphe avec le Nouveau Testament. du milieu religieux hellénique et juif,
des témoignages relatifs à la formation du Nouveau Testament, de la décou-
verte des textes. L'éditeur qui a rédigé cette introduction s'est aussi réservé
une part considérable dans l’élaboration de l’ouvrage lui-même. On lui doit
beaucoup dans la seconde et la quatrième partie. Waitz s'est surtout occupé
des évangiles des Nazaréens, des Ebionites, des Hébreux ; Meyer, des évan-
giles de l’enfance ; Bauer, de Marcion, de Tatien et des Actes de Thomas;
Weinel, des Apocalypses ; Gressmann, des odes de Salomon; Geffcuen, des
oracies sibyllins ; Krüger, de la lettre aux Laodiciens, de la lettre de Clément
aux Corinthiens, des lettres d’Ignace et de Polycarpe. Lietémann n'apporte
qu'une contribution sur le plus ancien symbole baptismal.
Nous croyons, par cette revue rapide, avoir suffisamment fait connaître le
contenu de cet imposant recueil. Ce n’est pas ici le licu d’analyser les
opinions particulières ou de faire une critique de détails. C’est en réalité un
tableau complet de l’ancienne littérature chrétienne en dehors du Nouveau
Testament, que l’on nous otfre ici, si l’on fait abstraction, bien entendu, des
traités gnostiques, des actes des martyrs, des ouvrages des apologistes et des
écrivains de la grande Église. L'auteur a eu pour but, nous dit-il, de répandre
la lumière, par la publication et la traduction des sources les plus impor-
tantes, sur une époque de lutte ardente et de fermentatton intense au sein du
christianisme. Mais pourquoi donner à cet assemblage de pièces disparates
qui n'ont d'autre lien entre elles, on le reconnait, que leur relation avec le
fondateur de la religion nouvelle, le titre d'apocryphes du Nouveau Testa-
ment ? Le reproche a déjà été formulé à propos de la première édition :
«nous rencontrons, disait Baumstark (Revue biblique, 1906, p. 625) des monu-
ments littéraires de l’antiquité chrétienne qui au grand jamais ne devraient
figurer comme apocryphes du Nouveau Testament, parce qu'aucun témoi-
gnage ne nous dit qu’ils aient fait quelque temps concurrence aux écrits du
N. T. comme une Œcrmyzuorcs 7 agen, soit dans une communauté hérétique,
soit dans une localité particulière de la catholicité. Je veux parler des
lettres d’Ignace et de Polycarpe aussi bien que des oracles de la Sibylle
chrétienne. Ïl est même permis de douter que la Didascalic doive être au
même titre que la Didaché placée parmi les apocrypbhes ». À plus forte raison
faudrait-il en dire autant des Sentences de Sextus! Hennuecke reconnaît
d’ailleurs le bien fondé de cette objection formulée aussi par Dicterich (Archiv
f. Religionswissenschaft. 1906, t. VIIL, p. 478); il admet qu’il serait préférable
de partager la matière en deux volumes dont l’un ne contiendrait que ce que
l’on est convenu d’appeler apocryphes dans le sens ecclésiastique ancien. Il
n'y a renoncé que pour des raisons pratiques.
RBVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XXe 37
DN2 CHRONIQUE.
Un autre grief a été formulé contre la délimitation chronologique adoptée
pour les apocryphes. On s’est arrêté comme terminus ad quem au milieu du
tie siècle Bien des fois des apocryphes postérieurs ont conservé un très
ancien noyau, et ceux qui sont vraiment nouveaux se présentent avec de tout
autres caractères. Baumstark (/. c., p. 624) trouvait cependant qu’Harnack
avait touché plus juste en se décidant dans son histoire de l’ancienne littéra-
ture chrétienne pour l’époque d’Eusèbe. Mais ce sont là des remarques
d'ordre iormel qui n’empêchent pas ce manuel d’être la collection la plus
complète, la plus facile et la plus utile des apocryphes du Nouveau Testa-
ment. É. Togac.
— Voici que reparait, en une quatrième édition, revue et augmentée,
l'Enchiridion fontium histuriae ecclesiasticae antiquae du R. P. C. Kircu
(Fribourg-e.-B , Herder, 1923. in-8, xxx11-644 p.). Comme les travaux ana-
logues et si connus de Dencinger-Bannwart-Umberg et de Rouët de Journel,
ce recueil est donc très estimé et très acheté. Il faut applaudir au succès de
cette trilogie, car 1l est un signe indubitable du caractère de plus en plus
positif et vraiment scientifique des études ecclésiastiques. Nous n'avons pas
manqué de paver à l'Enchiridion du P. Kirch un juste tribut d'éloges en en
présentant la première édition. Fvuut en conservant son type primitif, il s'est
beaucoup amélioré. Grâce à une disposition typographique plus heureuse, à
des translormations et compléments, la 2c-3e édition était déja notablement
supérieure à la première; la présente s’est encore enrichie d’accroissements,
qui se chitfrent par une cinquantaine de paragraphes nouveaux, insérés aux
endroits voulus par l'ordre chronvlogique. L'impression est nette et soignée;
le volume a heureusement dépouiilé le caractère trop massif de sa première
édition ; il est devenu très aisément maniable et une table alphabétique très
détaillée du contenu y rend les recherches faciles et rapides. La tâche que
s'est assignée et le but qu’a poursuivi le P. Kirch l'astreignaient à choisir et
à reproduire, au moins en extraits, les sources les plus importantes du récit
de la vie externe et interne de l'Eglise à l’époque ancienne de son existence.
On peut athrmer que l’entreprise a été heureusement réalisée et que les
étudiants lui doivent un utile instrument de travail. Toutefois, il est inévitable
que les recenseurs lui signalent certaines omissions qu'ils considèrent comme
des lacunes, Ainsi, certains passages des œuvres polémiques de S. Athanase
et de saint Hilaire n’auraient-ils pas rendu service pour caractériser la
situation et la vie de l’Église au temps de la crise arienne ? Pour nous,
comme nous le disions naguère, nous regrettons que les sources de l’histoire
des Églises vrientales ne soient pour ainsi dire pas alléguées; la vie chrétienne
y a cependant fleuri et les littératures syriaque et arménienne, par exemple,
ont fourni de bonnes pièces aux diverses parties de l’histoire ecclésiastique.
Les textes sont reproduits, comme le dit l'auteur, d’après les meilleures
éditions ; signalons cependant, par exemple, pour saint Cyrille de Jérusalem
l'édition de Rcischl et Rupp et, puur Marius Mercator, l'édition de Baluze,
qui l'emportent, du point de vue critique, sur Migne et Garnier. On
comprend que ce recueil de textes ne puisse pas s'arrêter à fournir une
biblivgraphic abondante ; toutelois, celle qui est donnée touchant des points
controversés ne devrait pas étre unilatérale. Si, au sujet des lettres discutées
du pape Libère, on croit utile de citer dom Chapman, il ne taudrait pas
laisser ignorer complètement les travaux de Feder, de Wilmart et de
Duchesne. Quoi qu’il en soit de ces critiques, nous nous plaisons à rendre
ALLEMAGNE. 089
hommage, une fois de plus, à l'excellent recueil du P. Kirch et à souhaiter le
voir occuper la place qui lui revient dans toutes les bibliothèques ecclésias-
tiques. Il incitera À l’étude vraiment scientifique et sérieuse et aidera
singulièrement tous ceux qui voudront l'utiliser et le mettre à profit.
Au Handbuch zum Neuen Testament, publié par H. Lictzmann, on a
voulu ajouter un volume complémentaire (Ergänzungs-Band), consacré aux
Pères apostoliques (Die apostolischen Väter). L'idée vaut ce qu'elle vaut, du
point de vue de l’histoire littéraire; en fait, elle a au moins l'avantage d’avoir
provoqué la composition de travaux très fouillés et très riches en rensei-
gnements de toute nature sur ces anciens documents chrétiens. Une méthode
identique a été employée par tous les collaborateurs, qui appartiennent
d’ailleurs à la même école. Les textes sont rendus en une version allemande
généralement très soignée ; le commentaire, très abondant quoique extré-
mement condensé, recourt, pour l’interprétation, à toutes les ressources que
fournissent les progrès de la philologie, de l’histoire littéraire, de l’épigraphie,
de la papyrologie, de l’histoire des religions, etc., etc. Il en résulte une
accumulation et presque un entassement extraordinaire de données, et une
brièveté intentionnelle d'exposition, qui ne vont pas sans déconcerter quelque
peu le lecteur. Des paragraphes spéciaux, distingués par les caractères
d'impression, sont consacrés à développer davantage certains points qui
appellent une explication plus ample; il ne serait pas inutile de relcver dans
une table les titres de tous ces excursus. Ce que nous venons de dire donne
encore la physionomie générale du fascicule [V de ce volume complémentaire;
l’auteur en est M. DiseLius, et le sujet Der Hirt des Hermas (Tubingue,
Mohr, 1923. In-8, p. 415-644). Ses qualités lui méritent les éloges décernés aux
précédents. Cela ne veut pas dire que tous les détails du commentaire nous
paraissent également établis et acceptables, mais il n’est guère possible d’en
faire ici une critique minuticuse; l'ensemble donne certainement une forte
impression de richesse et de solidité. Nous préférons noter les principales posi-
tons adoptées par M. Dibelius dans la critique et l’histoire littéraire du Pas-
teur. Le texte de base est celui de l'édition de Funk, mais il a été corrigé en
plus de soixante-dix endroits d’après une meilleure collation du manuscrit G de
l’Athos ; il y a aussi des corrections conjecturales qui sont, dans la traduction,
marquées d’un point d'interrogation. Toutes les prétendues données d’auto-
biographie sont rejetées comme pure fiction ; Hermas et sa famille sont les
types des défauts de la chrétienté en ce temps et par les fautes qu'ils avouent
et par les avertissements qu'ils reçoivent ; cela pourrait peut-être ébranler
l'opinion qui ravale tellement la condition sociale et chrétienne de l’auteur,
pour en faire un homme du commun, de ces petites gens dont il cherche à
christianiser la vie intérieure. M. Dibelius soutient l’unité d'auteur, mais 1l
abandonne l'unité littéraire : l'ouvrage est composé de pièces primitivement
distinctes, réunies par des liaisons artificielles. Les fréquentes discordances
dans les idées énoncées doivent s'expliquer par la diversité d'origine des
traditions reprises par Hermas. L'avancement de la date de composition du
Pasteur jusqu'à la deuxième ou la troisième décade du deuxième siècle ne
nous paraît pas absolument justifié ; nous croyons aussi que l'explication de
Vis. 11, 4, 3 accorde trop peu d'importance à la fonction attribuée à saint
Clément de Rome. Nous nous abstenons d'autres critiques de détails, et
nous aimons à redire que ce travail a une grande valeur ct rendra des
services sérieux aux chercheurs.
RUE | CHRONIQUE.
Le Dr H. DoErGens s’est fait une spécialité de l'étude de l’histoire de
l'apologétique chrét'enne. Le sujet est certes très intéressant et ne manque
pas d’importance, vu les efforts de certains philologues et théologiens
modernes pour démontrer que le christianisme est la synthèse et l'abou-
tissement des religions antiques et de leurs fondements philosophiques. La
meilleure manière de se faire un jugement objectif et vrai touchant cette
thèse évolutionniste est de la confronter avec les faits et, pour cela, de
reconnaitre l'attitude prise et gardée par l’antiquité chrétienne vis-à-vis des
religions paiennes. L’étonuante érudition d’'Eusèbe de Césarée indique ses
écrits apologétiques comme sources de choix pour de telles recherches. Déjà
auparavant, le Dr Doergens leur a demandé ce que le père de l’histoire
ecclésiastique connaissait de la religion phénicienne ; dans une nouvelle
enquête, il y puise de quoi déterminer ce que le même auteur connaissait de
la religion grecque (Eusebius von Cäsarea als Darsteller der griechischen
Religion. Paderborn, Schôningh, 1922. In-8, x11-133 p ). Comme le précédent,
le travail a paru dans les Forschungen zur christlichen Literatur- und Dogmen-
geschichte de A. EHRHARD et J. P. KirscH (t. XIV, fasc. 3). Eusèbe n’a pas
vu, dans la religion grecque, une construction jouissant d’une parfaite unité
et homogénéité ; il y a distingué la religion populaire primitive, avec son
culte astral et la religion naturelle des cercles philosophiques ; entre les
deux, et réagissant sur chacune d'elles, s’insère la religion officielle, l’accom-
plissement des rites traditionnels, avec les pratiques magiques, les sacrifices,
les oracles, etc. L'autcur examine tour à tour, avec un soin minutieux, tout
ce qu’'Eusèbe connaît de ces trois éléments de la religion grecque ; il étudie
et détermine les sources d'Eusèbe et la manière dont elles sont mises à
profit. On ne peut que le féliciter du soin et ue la conscience avec lesquels il
mène son analyse, qui témoigne, chez lui également, d’une érudition étendue
et solide. L'évêque de Césarée ne sort pas grandi de cette enquête : Doergens
juge qu’il ne fut pas un connaisseur de la religion grecque et de sa genèse
historique, parce que ses matériaux furent insuffisants, repris de deuxième
et de troisième main, proposés sans critique et souffrant de défauts et
d'erreurs multiples. Extraire, recueillir, combiner, tels sont les procédés
habituels, qui laissent au résultat final un caractère assez superficiel. Chez
Eusèbe, l’apologiste est donc encore au niveau de l'historien, dont la docu.
mentation l’emporte sur la synthèse et la construction. La présente étude
est une contribution de valeur à l’histoire de l’apologétique chrétienne.
J. LEBon.
— Das Land der Bibel (vol. IV, fasc. 3/4) contient une étude de Pauz
Mikeey sur les textes d'Eusèbe relatifs aux églises constantiniennes de Terre
Sainte, où tous les passages en cause sont traduits et expliqués (Die Konstan-
tin-Kirchen im bheiligen Lande. Eusebius-Texte. Leipzig, Hinrichs, 1923.
In-8, 56 p.). É. Togac.
— Aut. XLI de la Bibliothek der Kirchenväter, le Dr PH. HARUSER donne
la traduction des vingt-quatre Catéchèses attribuées à saint Cyrille de
Jérusalem : Des heiligen Cyrillus, Bischofs von Jerusalem, Katechesen, aus
dem Griechischen übersetzt und mit einer Éinleitung verschen (Kempten et
Munich, Kôsel et Pustet, 1922. In-8, vri-391 p.). À plus d’un point de vue, ces
anciens monuments de la prédication chrétienne présentent un vif intérêt, ct
Jon se réjouira de les voir otirir au public dans une traduction qui les rend
ALLEMAGNE. 5Ko
fidèlement et leur garde leur caractère de simplicité familière. Le traducteur
a suivi le texte de la Patrologie grecque ; il connaissait cependant des éditions
plus critiques et il aurait pu, non sans utilité, écarter ou distinguer les gloses
qui se sont glissées en certains endroits. L’annotation est très sobre ; elle se
ontente généralement d'identifier les citations bibliques; cependant, elle
ciadique parfois des passages parallèles, ou encore des rapprochements entre
les idées énoncées par saint Cyrille et les doctrines de certains auteurs
anciens ; les catéchèses mystagogiques ont donné lieu à des remarques et
explications tirées de l’archéologie et de l’histoire de la liturgie. L'introduction
est assez sommaire et suscitera sûrement des réserves quant à divers points.
Sans doute, la doctrine trinitaire de l’évêque de Jérusalem est orthodoxe,
mais il paraîtra un peu risqué de l’opposer à Acace de Césarée simplement
comme un partisan de l’homoousie nicéenne à un arien; la réalité historique
est plus complexe et appelait des distinctions. De même, le témoignage
élogieux rendu par les évêques, en 382, à la régularité de l'élection de
saint Cyrille semble montrer qu’on avait cru avoir des raisons d’en douter et
pose, cn réalité, un problème. L'auteur a raison d'admettre l'authenticité de
toutes les catéchèses, et d’en fixer la composition à 348 : c'est encore, à
l'heure acuelle, la position la plus sûre. La répartition des sermons en
groupes de cinq est assez tentante, mais la perte d'une catéchèse, dans
laquelle l’évêque de Jérusalem aurait parlé de la descente du Christ aux
enfers, tout en étant possible, demeure une hypothèse qu'on ne pourra
peut-être jamais vérifier, car rien n’assure que toutes les prédications de cette
année ont été recueillies. Aux anciennes versions des catéchèses il faudra
ajouter une version arabe que, nous l’espérons, on fera connaître pro-
chainement. J. LeBon.
— Quel est le but qu'a poursuivi: S. Augustin en écrivant ses Confessions ?
A:t-il voulu donner une simple autobiographie ? Ou bien se proposait-il de
faire, par humilité. un aveu public de ses fautes ? Ou bien encore s’efforçait-il
de répondre aux bienfaits de son Créateur et Rédempteur en chantant ses
louanges ? Jusqu'à présent ces trois explications ont été tour à tour soutenues
par les historiens. Elles paraissent cependant insuffisantes, comme le montr:
M. WoxprT dans son article Augustins Konfessionen (publié dans la Zeitschrift
für die neutest. Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche, 1923, t. XXII,
p. 161-205). De l'avis de cet auteur, dans ses Confessions, S. Augustin voulait
simplement réluter les attaques dirigées contre sa personne par les Dona-
tistes. Il n'avait donc pas l'intention d'écrire une autobiographie mais bien
une apologie. Cette nouvelle explication, donnée par M. W., est très sugges.
tive; elle s'appuie d’ailleurs sur une connaissance étendue de la polémique
donatiste et de la situation religieuse de l'Eglise d'Afrique à cette époque; en
outre, elle rend parfaitement compte de toutes les parties des Confessions, en
particulier des livres XI-XIIL, où S. Augustin propose une explication allé-
gorique des premiers chapitres de la Genèse. À. D. M.
— Dansl’excellente collection liturgique : Ecclesia orans, éditée par Dom Il-
defons Herwegen, abbé bénédictin de Maria Laach, et dont onze volumes
déjà ont paru, Dom Mizeer, de l’abbaye de Beuron, vient de donner unc
nouvelle édition de son introduction aux Psaumes qui forme désormais un
volume séparé : Die Psalmen. Eïinführung in deren Geschichte, Geist und
liturgische Verwendung. Fribourg, Herder, 1924. In-12, VI1-242 p. Fr. s. 4,50,
785 CHRONIQUE.
Comme son titre l'indique, cet ouvrage comprend trois parties : le livre des
psaumes, l’étude des psaumes, la prière des psaumes. Si nous le signalons ici,
c'est À cause du chapitre consacré à l’histoire du texte (p. 10-20), où sont
racontées brièvement les vicissitudes du psautier latin. É. Togac.
— La collection Kôsel comprend à l’heure actuelle une centaine de petits
volumes consacrés à toutes les branches du savoir. Parmi les derniers parus,
l'Einführung in das mittelalterliche Schrifttum du Dr A. BAuckNER (Kempten,
J. Kôsel et Fr. Pustet, [1923]. In-12, x-174 p., 24 fig.) mérite une mention
spéciale. On y trouve exposé. sans prétentions scientifiques, mais dans une
forme claire, d’intéressantes notions sur les sciences auxiliaires de l’histoire.
L'auteur consacre d’abord un chanitre aux sources historiques en général.
Il donne ensuite une idée nette et succincte de la paléographie latine, de la
diplomatique et de la chronologie du moyen âge. Il fait connaître Îcs diverses
catégories de documents, les règles d'interprétation et de publication, sur:
tout pour les textes allemands, et donne quelques conseils pour la préserva-
tion des documents. La bibliographie publiée en appendice fait connaître les
ouvrages fondamentaux de langue allemande sur les diverses matières
exposées. R. MAERE.
— Dans un travail qui lui a coûté beaucoup de recherches, Irische Früh.
missionäre in Südbayern, publié dans la Wisser schañftliche Festgabe jum
zwôlfhundertjärigen Jubiläum des heiligen Korbinian (Munich, 1924, p. 43-60),
le P. Romuazp BaAUERREISs, O. S. B., bibliothécaire de Saint-Boniface de
Munich, s’est appliqué à recueillir tous les renseignements épars, et dont
certains étaicnt restés inaperçus, sur les traces du passage et des établisse-
ments des missionnaires irlandais dans la Bavière méridionale. L'auteur
incline à voir un de ces insulaires en S. Corbinien, premier évêque de
Freising (+ 730), pour le douzième centenaire de qui ce volume de mélanges
a été publié. L. Gouaaup.
— Îl est impossible de comprendre comment S. Thomas d'Aquin ait pu
remuer un si vaste monde d'idées et contribuer si puissamment à la diffusion
de la vérité, à moins de pénétrer dans le secret de sa vie intérieure et
d'analyser sa psychologie. S'inspirant de cette idée, Mgr GRABMANN s'est
essayé à peindre le portrait moral du grand docteur, et l’expose dans un
superbe petit livre : Das Seelenleben des H. Thomas von Aquin (Der katho-
lische Gedanke T. VII. Munich, Theatiner Verlag, 1924. In-8, 118 p.) Il
considère comme les traits fondamentaux de la physionomie du saint : la
sagesse, la charité, la paix ; 1l explique et justifie cette manière de voir par
des extraits des actes du procès de canonisation et des emprunts aux différen-
tes œuvres de saint Thomas. C’est la dévotion au Christ, profonde et amou-
reuse, qui assura au Docteur Angélique ces qualités supérieures dans une
exceptionclle mesure. D'une main heureuse, le Dr Grabmann feuillette non
seulement les grands ouvrages de S. Thomas, mais aussi ses opuscules, et
nous les montre enflammés de la dévotion au Sauveur. Nous sommes tout à
fait d'accord avec l’auteur : son exposé ne présente pas les caractères ni
l'allure du panégyrique, mais constitue une étude pleinement objective.
appuyée sur l'examen des sources, écrite avec clarté et con amore,
ALLEMAGNE, 587
Dans sa brochure, Augustinische und thomistische Erkenntnislehre (Pa-
derborn, F. Schôningh, 1921. In-8, 71 p.), le Dr HESsEN s’est appliqué à
projeter un rayon de lumière sur la question fort discutée ces derniers temps :
L'interprétation de S. Augustin par S. Thomas d’Aquin présente-t elle les
caractères d’une entière objectivité ? Il a ramené le débat et limité la discus-
sion aux termes du problème de la connaissance. S. Thomas, en cette
matière, a-t-il rendu fidèlement la pensée augustinienne ? A:-t-il réussi dans
ses efforts pour faire harmoniser la théorie du Docteur d'Hippone avec les
doctrines aristotéliciennes ? L'auteur examine cette question et dans ses
préliminaires historiques et dans les interprétations qu'elle a reçues à diffé-
rentes époques postérieures. Se rattachant aux vues exprimées jadis par le
Dr von Hertling dans son étude, Augustinus Citate bei Thomas von Aquin,
M. Hesse résoud cette question par la négative. Il subsiste un abîme entre
la théorie augustinienne et la théorie aristotélicienne. Puisque le problème,
au dire de l’auteur lui-même, se rattache intimement à d’autres doctrines,
très nettes et très fermes, dans les deux écoles, nous estimons qu'une solu-
tion définitive de la présente qu°stion ne peut être fournie qu'après une
étude comparée de l’ensemble du corps doctrinal augustinien et du système
aristotélico-thomiste, Au point de vue historique même le sujet est -très
attrayant. Pour ne citer qu’un nom, Robert Kilwardby, O. P. (+ 1279), un
spécialiste en la doctrine de S. Augustin, a donné dans son commentaire du
Livre des sentences, demeuré inédit, maints essais de rapprochements entre
l'Augustinisme et la doctrine péripatéticienne.
Dans l’histoire du thomisme, l'étude de saint Thomas ne se présente pas
seulement sous la forme de volumineux et profonds commentaires, mais aussi
sous la forme de travaux d’un caractère spécial : abrégés, concordances,
tables. C’est le sujet traité récemment par le Dr GRABMANN, en trois chapitres,
groupés sous ce titre : Hilfsmittel des Thomasstudiums aus alter Zeit (dans
Divus Thomas. 1923, 3° sér., t. I. Extrait. Fribourg-en-Suisse, Imprimerie
S. Paul. In-8, 67 p.). L'auteur a distingué les divers genres de ces abrégés ; il
s'est arrété plus spécialement aux abrégés latins et grecs de la sonime théo-
logique ; il a déterminé leur valeur pour l'étude de la pensée thomiste. Les
concordances sent plus importantes que les abrégés pour la pénétration de
la doctrine et la question du développement de la pensée de saint Thomas.
Le Dr G. donne d’abord un aperçu de l'état actuel des recherches en ce
domaine jusqu’au point où elles ont été conduites par le P. Mandonnet ; il
complète ensuite les résultats obtenus déjà, en signalant trois nouveaux types
de concordances inconnus jusqu'à ce jour. La description de ces divers
travaux est suivie de considérations sur la nécessité de ce genre de
littérature, empruntées au P. Mandonnet, à Capréolus et à Seraphinus Cap-
poni a Porrecta. L'étude approfondie de l’œuvre très étendue de l’Angélique
Docteur a fait naître le besoin de tables ou d’index des principales matières
traitées par S. Thomas. M. G. a pu découvrir des specimens de tables plus
anciennes que celles déjà connues de Hervé de la Queuc et de Pierre de
Bergame. Il en cite le dépôt et signale leurs traits caractéristiques. Tous ces
travaux : abrégés, concordances, tables, témoignent de l’ardeur consacrée à
l'étude des œuvres de S. Thomas au cours des xive-xve siècles. Ils demeurent
aujourd’hui encore d'excellents instruments de travail. Les pages du Dr G.
se recommandent surtout par la littérature manuscrite qu'elles mettent au
5SS CHRONIQUE.
jour. Cette littérature donne un nouvel appui et plus d’ampleur aux conclu-
sions déjà établies. Dans un appendice. Mgr Grabmann, maintient, avec un
renfort de preuves, que la concordance : Pertransibunt plurimi..…. est bien
l'œuvre de Benoît d’Assignano. À l'encontre du P. Mandonnet et de Mgr
Grabmann, le P. Pelster, S. I., avait récemment prétendu (Gregorianum,
1923, t. IV, p. 72-105) qu’elle était l'œuvre de saint Thomas.
R.-M. MarTIN, O. P.
— Die Kunst des Ostens in Einzeldarstellungen est une collection, dirigée
par M. W. Con, qui donne un aperçu synthétique sur les arts de l'Orient.
Elle comprendra dix volumes consacrés à l'Égypte, la Perse, l'Inde, l'Ex-
tréme-Orient, à l’art de l’Islam et des Maures. Le huitième volume, composé
par M. H. GLück est consacré à l’art chrétien (Die christliche Kunst des
Ostens, Berlin, Br. Cassirer, 1923. In-8, x11-67 p., 13 fig. et 132 pl.). L'art
chrétien de l'Orient, entendu dans son sens le plus large, est une matière
vaste et disparate, dont il est difficile de retracer l’évolution historique en
une synthèse suivie. Plutôt que de le taire, l’auteur en expose, en quelques
chapitres séparés, la raison d’être fondamentale. Il fait de la philosophie de
l’art. Il veut retrouver partout une manière de concevoir, un principe, qui
imprime à l’art son caractère. Ce principe qui. en Orient, est à la base de la
religion, de la philosophie et de l’art, c'est l’idée de l'illimité, de l’abstrait,
de l’impersonnel, alors que le génie occidental est individualiste, cherche
un but, une limite. Dans certaines contrées et à certaines époques ces prin-
cipes, ct les civilisations qui en sont issues, se rencontrent, se heurtent ou
s’amalgament. Voilà la théorie que M. Giück dégage dans ses considérations
sur l’art de l'antiquité chrétienne, sur l’art de Bvzance, de l’ Arménie, de
Venise, de la Sicile, etc. — Moins abstraites que ces aperçus, mais plus
authentiquement orientales, sont les riches illustrations dont il orne son
volume. Choisies avec goût parmi les œuvres de tous les pays orientaux, et
reproduites à la perfection, elles donnent une excellente idée de l’art des
diverses époques et des diverses contrées de l’Orient ; citons parmi les con-
trées : la Chine, l'Arménie, l'Égypte, la Russie, l'Ukraine, l'Italie byzantine.
L'auteur étend son choix de l'antiquité chrétienne au xvitie siècle. Il repro-
duit des monuments d’architecture, des sculptures, des mosaïques, des
peintures, mais surtout des chefs-d'œuvre peu connus d’art industriel.
Feuilleter ces planches sera une révélation pour le profane et parfois pour
le savant peu spécialisé dans l’art oriental,
M. J. FRIEDLAENDER, dont la compétence en la matière est universelle-
ment appréciée, vient de publier le premier volume d’un ouvrage fonda-
mental et de longuc halcine sur les primitifs flamands : Die altniederländische
Malerei. T. I. Die Van Eyck; Petrus Christus (Berlin, Cassirer. 168 p.,
LXxI pl). Il décrit pour les maîtres qu'il étudie toutes les œuvres peintes ou
dessinécs, mais ne les reproduit pas toutes. Les œuvres signées passent en
tête ; les œuvres disparues sont mentionnées après celles qui sont conser-
vécs. Le texte comprend aussi une dissertation sur les artistes. Celle qui
concerne les Van Evck examine à fond la question de la personnalité des
deux frères. L'auteur propose de rayer de la liste des grands peintres Île
nom d'Hubert Van Eyck, connu seulement par l'inscription dü tableau de
l'Agneau, mais ignoré par tous les autres témoignages anciens. Dans un
ALLEMAGNE. 589
compte rendu de l’ouvrage paru dans le Burlington Magazine (1924, t. XLIV,
p. 304-308), M. M. Conway prend avec décision, contre M. Friedländer, le
parti de Hubert. R. M.
— L'université de Fribourg-en-Br. a été fondée en 1460, grâce à l'initiative
de l’archiduc Albert VI d'Autriche et de son épouse la princesse Mathilde
grâce aussi au concours de l'autorité communale. Dans son article Gründung
und Gründer der Universität Freiburg-i.-Br. (Zeitschrift der Gesellschaft für
Beforderung der Geschichts-, Altertums- und Volkskunde von Freiburg,
t. XXXVII, p. 19-62) P. ALBERT expose, d’après les sources, les origines de
cette université et les droits que revendiquait l’autorité communale dans son
administration.
Dans son article Das Wittenberger Franziskanerkloster und die Refor-
mation (Franziskanische Studien, t. X, p. 279-307), F. DoELLE montre que
tous les franciscains, étudiants à la faculté de théologie de l’université de
Wittemberg, à l'époque de Luther, se sont détachés de l'Église pour adhérer
à la Réforme. P. Voix.
— Dans une élégante brochure, intitulée : Charakterbilder katholischer
Reformatoren des XVI. Jahrhunderts. Ignatius von Loyola ; Teresa de Jesus ;
Filippo Neri; Carlo Borromeo (Mit einem Gedenkwort zum 70. Geburtstag
des Verfassers. Fribourg-en-Br., Herder, 1924. In-8, 163 p. avec 5 grav.,
Fr. 21), M. L v. PAsToR montre, en quelques pages dépourvues de tout
apparat scientifique, ce que la réforme catholique du xvie siècle doit à
l'initiative et à l’activité autant qu'à la sainteté d’Ignace de Loyola, de
Thérèse d’Avila, de Philippe de Néri et Charles Borromée. Si le fondateur
de la Compagnie de Jésus, la réformatrice du Carmel, l’apôtre de Rome,
l'archevêque de Milan ont, à des titres biens divers, contribué au renouveau
catholique, une note cependant leur est commune : la sainte obstination à
vaincre les difficultés que la faiblesse humaine semble devoir susciter à
toutes les grandes entreprises et à toutes les missions providentielles. Ce
dernier point, M. von Pastor s’est plu à le mettre en relief, voulant faire
ainsi de ces quatre petites monographies autant de leçons de caractère et
d'énergie.
La notice du Dr Schermann cest d’un grand intérêt pour qui veut connaître
rapidement la carrière particulièrement féconde du célèbre historien des
papes. V. SEMPELS.
— H. Jorpan, Das baverische Konkordat und die Protestanten im Jahre 1818
(dans Beiträge zur bayer. Kirchengeschichte, 1924, t. XXX, p. 1-29) cherche à
compléter l'ouvrage de K. À. Geiger (Das bayer. Konkordat von 1. Juni 18178,
Ratisbonne, 1918), qui n’accorde que peu d’attention à l’attitud: des protes-
tants. Il a utilisé plusieurs sources inédites, dont de larges extraits sont
reproduits dans le texte. P. Vox.
— Le 26 mars dernier a eu lieu, à Berlin-Dahlem, en grande cérémonie, la
réouverture du Geheïm Staatsarchiy de Prusse. À cette occasion, le directeur
général des archives de l’État, le Dr P. KEuR, l’érudit bien connu, a retracé
J'aistoire des archives prussiennes durant un siècle : Ein Jahrhundert preus-
590 CHRONIQUE.
sischer Archivenverwaltung (dans les Preussische Jahrbücher, 1924, t. CXCIV,
P. 159-178). Il a fallu la forte organisation de l'État prussien, après 1815, et
notamment la vive impulsion des ministres Hardenberg et von Altenstein,
pour donner au régime des archives publiques un caractère à la fois admini-
stratif et scientifique qu’elles n’avaient pas auparavant. Néanmoins, entre les
deux tendances (administration et science), ce fut toujours la première qui
l'emporta, sous les huit directeurs successifs d'archives générales : K. G.
v. Raumer, G. Tzschoppe, W. v. Raumer, K. v. Lancizolle, M. Duncker,
Droysen, v. Sybel et K. Koser (+ 1914). Sous la direction de M. Kehr, le
caractère scientifique préside à l'organisation des archives de l’État en
Allemagne ; l'auteur reproche d’ailleurs à l’ancienne organisation un certain
flottement dans Îcs principes doctrinaux et quelques méprises regrettables.
Le Dr H. PRAESENT fournit de précieux renseignements sur la production
livresque de l'Allemagne et des pays d'expression allemande en 1922 et 1933
Die deutsche wissens hafiliche Literatur der beiden letzten Jahre (dans Litera-
risches Zentralblatt für Deutschland. 1924, t. LXXV, p. 81-84). Malgré des
conditions financières fort critiques, cette production a encore été énorme :
en 1922, on comptait 50.182 publications, dont 26.773 nouveautés; en 1923,
26.647, dont 21.940 nouveautés. Depuis la stabilisation de la monnaie, en
novembre dernier, l’afflux d’imprimés s’est de nouveau accru. Au point de
vue du fond, on remarque surtout des brochures sur les inventions récentes
(T. S. F.), des livres sur l'occultisme, le spiritisme, les affaires de Russie et
d'Orient; d’autre part, si les publications touchant la guerre mondiale sont
en déclin, les éditions de luxe relatives à l’histoire de l’art ont la faveur du
public ; quant à l'histoire religieuse, notons cette constatation : « dass die
wissenschaftliche katholische Literatur sich konstanter als die protestantische
entwickelt hat. »
Le Dr Ap. JuERGENSs donne de précieux renseignements sur l’activité
des bibliothèques allemandes pendant et surtout depuis la guerre, dans le
numéro du 15 juin du Litera-isches Zentralblatt fur Deutschland : Auslandlite-
ratur auf deutschen Bibliotheken. Le conflit européen a eu sur l'Allemagne
intellectuelle de profondes répercussions : le personnel des bibliothèques a
été réduit, les budgets ont été diminués, mais surtout le pays s'est vu isolé et
les échanges internationaux ont été arrêtés, Ainsi, À titre d'exemple, la
bibliothèque impériale de Berlin possédait, en 1920, environ 200 périodiques
scientifiques contre 2600 en 1914. La situation était donc critique en ce
moment pour la documentation ; mais depuis lors elle s’est très sensiblement
améliorée grâce à l’affiliation, cn 1920, des Académies, des Universités et des
Instituts à l’organisme bien connu, signalé souvent par la RHE (t. XVII,
p.451,t. XVIII, p. 584, ctc ), la Notgemeinschaft der deutschen Wissenschaft,
‘que dirige M. Schmidt-Ott, ancien ministre de Prusse. Fort de l’appui finan-
cier de ce puissant groupement, on s'est mis à combler les lacunes en fait de
périodiques étrangers depuis 1914, les échanges internationaux ont été
renoués dans la mesure du possible (surtout avec les pays d'expression
anglo-saxonne) et les revues ont été judicieusement réparties, suivant leur
genre de spécialités, entre diverses bibliothèques universitaïres. Ainsi la
bibliothèque de Munich concentre les périodiques touchant le droit, la poli-
tique et la théologie catholique ; celles de Tubingue et de Giessen les revues
des missions et théologie protestantes; à Breslau on trouve la littérature
LS
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 591
slave, à Kiel, la scandinave, à Gœættingue, celle de l'Angleterre, à Leipzig et
Hambourg celle d'Amérique, à Heidelberg celle de l'Égypte, à Bonn, les
périodiques d’expression française ct néerlandaise, etc. Malgré ces cfforts
louables, il reste beaucoup à faire et le temps perdu n'est pas encore regagné.
H. Nes.
Angleterre-Écosse-Irlande. — M. H. Hazc, directeur de la R. hist.
Soc. de Londres a fait paraître en 1920 le premier volume d’un répertoire
des archives britanniques : Repertory of British Archives Part I : England.
Londres. Ce volume contient un aperçu général des archives conservées
dans les dépôts centraux de Londres, et dans les dépôts des différents comtés
d'Angleterre. Le premier chapitre traite des documents diplomatiques,
administratifs et judiciaires des dépôts centraux; le deuxième, des archives
locales des comtés, des villes, des églises, des corporations, des sociétés, etc.
Dans un troisième et dernier chapitre l’auteur fait connaître les ditférents
dépôts de l'Angleterre, en y ajoutant pour chacun d’eux quelques renseigne-
ments utiles. Des appendices et des index complètent heureusement le volume.
L'auteur, en composant ce répertoire, a eu comme unique objectif de
faciliter les recherches des étudiants en histoire, en leur fournissant un guide
méthodique, facile et pratique, pour les dépôts d’archives du Royaume-Uni.
Espérons, — car pour nous aussi ce premier volume ne manque pas d'’in-
térêt, — que les tomes consacrés aux autres parties du Royaume, ne tardcront
pas à voir le jour ; incontestablement un grand nombre d'archives anglaises
peuvent intéresser nos historiens qui, jusqu’à ce jour, ont trop négligé
d'étudier les relativns politiques, économiques et religieuses de notre pays
avec la Grande-Bretagne. Regrettons aussi l’absence, en Belgique, d’un
répertoire complet de la matière du précédent, avec les mêmes qualités de
clarté et de méthode. A. COSEMANs.
— The apocry-phal New Testament de M. R. James (Oxtord, Clarendon
Press, 1924. In-8, xxxt-584 p. 10 s.) n'est pas le premier recueil de ce genre
en langue anglaise. En 1820, William Hone publiait un Apocryphal New
Testament qui eut une longue et vaste célébrité. C'était pourtant, au juge-
ment de James, un livre de peu de valeur, peu original et déroutant. Il
semblait considérer les apocryphes comme la continuation du Nouveau
Testament, et rangeait parmi eux toute la littérature des Pères apostoliques.
M. James prend le mot apocryphe dans un sens plus restreint, à peu près
comme synonyme de faux ou pseudépigraphe. On sait que les savants catho-
liques appelient apocryphes les livres qui soit par leur teneur, soit par leur
titre se donnent comme l’œuvre d'un auteur biblique ou qui ont été tenus
pour inspirés par quelques anciens auteurs ecclésiastiques. Ce nom a pu leur
être attribué en raison du niystère qui entourait leur origine et leur doctrine.
Les protestants les appellent pseudépigraphes ou faussement intitulés, même
quand ils ne portent aucune indication d'auteur. M, James a exclu de sa
collection beaucup d'œuvres qui figurent dans le recueil de Hennecke. Il
n'insère ni les Pères apostoliques, ni les apocryphes gnostiques, ni les œuvres
traitant de la constitution de l'Église ou de sa liturgie, ni la littérature
clémentine, ni les traditions rabbiniques ou musulmanes relatives à Jésus. Il
agit ainsi pour diverses raisons : certains de ces ouvrages ne peuvent figurer
$ous l’ancienne dénumination ecclésiastique d’apocryphes ; d’autres, comme
592 CHRONIQUE.
la Didaché, sont très connus et très répaadus ; d’autres exigcraient le travail
d'un spécialiste ; d'autres ne pouvaient décemment être reproduits. Enfin, un
recueil d’apocryphes ne formera jamais un corpus absolument complet. Le
sens du mot a passé par trop de fluctuations, ct les limites chronologiques et
littéraires resteront toujours très indécises.
Tel qu'ilest, l’Apocryphal New Testament de James forme un ensemble
considérable et imposant où se pressent en rangs serrés Evangiles et Actes»
Epiîtres et Apocalypses, tout ce qu’on entend par cette dénomination vague,
littérature apocryphe du Nouveau Testament. Au moyen de traductions des
textes les plus importants, de résumés ou d’extraits de ceux qui le sont moins,
l’auteur en donne une vue vraiment compréhensive, Il met aussi le lecteur
au courant des recherches et des acquisitions considérables des trente der-
nières années. M. James ne s'exagère nullement la valeur des apocryphes, ni
au point de vue religieux, ni au point de vue historique, ni au point de vue
littéraire. S'il en publie la version anglaise, c’est pour que d’autres que les
savants puissent se rendre compte de leur importance toute relative. Ils sont
d’ailleurs intéressants à d’autres titres. Ils nous transportent au milieu d’une
époque de grande effervescence religieuse, et nous mettent en contact avec
les inventions, les espoirs et les craintes de ceux qui les ont écrits, avec les
préoccupations et les soucis de ceux qui les ont lus. Nous voyons ce que les
uns et les autres admiraient surtout dans cette vie, ce qu'ils attendaient dans
l’autre. Enfin, ils ont exercé une influence considérable, dépassant de loin
leur valeur intrinsèque, sur la littérature et l’art chrétiens du moyen âge,
auxquels ils ont fourni des thèmes nombreux. Et à ce titre aussi ils méritent
d'être lus et connus É. ToBac.
— Dans un opuscule de 27 pages publié par la S. P. C.K., Texts illustrating
ancient Ruler-worship (Londres, 1924. Prix : 6 d.) qui est le n° 35 de la collec-
tion Texts for students, le P.C. LaTrey, S. J., M. A., reproduit les passages
des auteurs grecs et latins, paiïens et chrétiens, depuis l’Iliade jusqu'à Pline et
Tertullien, où il est fait mention du culte rendu aux rois ou aux empereurs.
Le British Museum a acquis, l'an dernier, un papyrus qui contient un
fragment de la Didaché (ch. X-XII) en copte (Ms. 09271). L'écriture peut
remonter au début du ve siècle. Le Rev. G. HorxER a publié le texte original
avec unc traduction anglaise dans le Journal of theological studies (1924,
XXV, p. 225-231). L. Gouaaup. O. S. B.
— Donnons une brève mention à l'ouvrage de P. CARRINGTON : Christian
Apologetics of the second Century in their Relation to modern thought
(Londres, S. P. C. K., 1g21. In-8, 154 p.). L'auteur présente lui-même modes-
tement son volume comme ne prétendant aucunement être un livre érudit,
mais comme étant seulement le résultat d'une formation théologique élé-
mentaire jointe à une lecture bienveillante de la littérature de la période en
question, On y trouve, considérée de très haut et décrite à larges traits, la
position du christianisme primitif en face de la religion juive, de la philosophie
et des cultes du monde païen et du pouvoir politique; on y trouve encore
l'analyse rapide des principales œuvres de l’apologétique chrétienne ; on y
trouve surtout, et c'est ce qui fait l'originalité du travail et lui confère un
réel intérêt, les réflexions qu'inspire à l’auteur la comparaison entre la
situation dans laquelle les anciens apologistes ont trouvé l'humanité de leur
ANGLETERRE-ÉCOSSE-tRLANDE. | 593
temps et celle dans laquelle le christianisme rencontre nos contemporains.
C'est l'œuvre d’une âme confiante, sincèrement religieuse, que l'on écoute
aussi avec sympathie, tout en lui souhaitant, pour pouvoir partager ses
espérances, les précisions de la foi vraiment lumineuse et parfaite.
: J. Leon.
— En dépit des recherches entreprises sur Bachiarius et sa Confession de
foi : Fides Bachiarii (PL, t. XX, 1019-1036), ce personnage reste énigmatique.
Le P. M. H. Mac INERNY, O. P., qui vient de s'attaquer à nouveau à la
question, a raison de dire qu’elle a quelque chose de fascinant. Plusieurs
hypothèses séduisantes se présentent les unes après les autres, mais toutes
viennent se heurter à quelque obstacle infranchissable, et aucune ne conduit
à une solution certaine. Dans une étude très fouillée, St Mochta and Bachia-
rius, d'abord publiée dans l’Zrish ecclesiastical Record et dont un tirage-à-part
vient d’être mis dans le commerce (Dublin, Browne et Nolan, 1923. 62 p.
Prix : 25. 6 d.), le P. Mac Inerny n’a pas de peine à montrer que l'identifica-
tion de l’auteur de la Fides Bachiarii avec l’irlandais S. Mochta, considérée
comme certaine, ou à peu près, par plusieurs chercheurs, dont Bale, au
xvice siècle, et au xix° siècle, Moran, Greith, Bellesheim et d’autres, est
inadmissible. Tout bien considéré, ce qui lui semble le plus vraisemblable,
c'est de présenter Bachiarius comme un moine espagnol du début du
ve siècle, versé dans la Sainte Écriture, adversaire résolu du priscillianisme,
et qui aurait voulu cacher sa personnalité sous le pseudonyme de Peregrinus.
Mais, à cause de ses mérites, Bachiarius aurait été tiré de la retraite pour
étre sacré évêque de Séville. Il est vrai que les listes épiscopales ne le men-
tionnent point, du moins à cette époque; mais le P. Mac Inerny est persuadé
que les anciennes listes de Séville, dont s’est servi Gams, ont été soumises À
de telles manipulations qu’il est impossible de s'y fier.
Le ms. cottonien (Othon B. VI) qui contenait le texte grec de la Genèse
en oncialc du ve siècle, illustré de 250 peintures, périt dans l'incendie de
1731. Dans The Cotton Genesis and Peiresc (Times Literary Supplement du
7 août 1924, p. 489), le Dr M. KR. JaMEs raconte un épisode inconnu de l’his-
toire de ce manuscrit, d’après la correspondance de l’érudit Peiresc, d’Aix-
en-Provence, à qui le manuscrit fut prêté par Camden en 1618.
Les fragments de poteries découverts dans un € barrow » à Asthall
(Oxlordshire) seraient, suivant M. E. Taurzow Leeps, l'indice de la sépul-
ture d’une personne de haut rang incinérée æu vitre siècle. Dans son article,
The Anglo-Saxon cremation burial of the seventh Century in Asthall Barrow
(Antiquaries Journal, 1924, IV, p. 113-126), M. E. T. Leeds ne dissimule pas
sa surprise de trouver cette méthode de sépulture en usage parmi les Anglo-
Saxons du vie siècle, déjà en grande partie chrétiens. Mais, à supposer
même que la personne incinérée à Asthall fût chrétienne, ce ne serait pas
là un cas isolé. On a signalé la persistance de l’incinération chez divers
peuples chrétiens, au haut moyen âge, notamment en Grande-Bretagne et
en Bretagne armoricaine (Voir L. Marsizze, La crémation chez les Bre’ons
Chrétiens dans le Bulletin de la société poly mathique du Morbihan, 1912, p.435.)
MM. ©. M. Dacros, M. A., et H. J. Braunnozrz, M. A., viennent de
traduire en anglais huit leçons sur les origines de l’art chrétien données par
504 CHRONIQUÉ.
le Professeur STRzYaowski à l’université d'Upsal au printemps de 1919 :
Origin of Christian art. New facts and principles of research (Oxford, Cla-
rendon Press, 1923. xvi1-267 pages, avec 74 illustrations). Cette traduction
contient, en outre, un chapitre inédit (p. 220-252) sur l’art hiberno-saxon au
temps de Bède.
M. K. Sisau publie d’après le ms. cottonien Othon C. I du British
Muscum (fol. 143 v°-146 ro), la version anglo-saxonne d’une lettre de S. Bo-
niface (Wynfrith) à Eadburge, en 716/717, sur une vision de l’autre monde
(cfr MGH., Epist. merov. et karol. aevi, I, p. 252-257) : An Old English transla-
tion of a letter from Wynfrith to Eadburga (Modern language Review, 1923,
t. XVII, p. 253-272).
On a découvert dernièrement à Cantorbéry une croix de plomb portant
une inscription relative à la mort de la sœur de l'abbé Wulfric. On sait
maintenant que cette personne morte en 1063, dont on ignorait le nom,
s’appclait Wulfmaeg. Le moine Goscelin en parle dans son Historia transla-
tionis sancii Augustini, IT, 4 (Micne, PL, CLV, 33). C'est l’objet le plus
ancien qui ait été découvert au cours des dernières fouilles. Le plus ancien
après celui-ci est la plaque du cercueil de l'abbé Scotland (1087) (cfr GoscELin,
Historia, II, 6, co'. 34). Cette croix a été reproduite dans le Times du
12 avril 1924.
The early Correspondence of John of Salisbury, tel est le titre de l'étude
approfondie que M. REeainaLp L. PooE a consacrée à 35 lettres de la cor-
respondance de Jean de Salisbury, du temps qu'il était secrétaire de Théo-
bald, arche vêé que de Cantorbéry (+ 1161) (Proceedings of the British Academy,
t. XI, et tirage-à-part de 27 pages. Londres, Oxford University Press, 1924.
Prix :15s.6d). Les recherches de M. Poole mettent en lumière plusieurs
points encore mal connus de la biographie de Jean de Salisbury Jusqu'ici,
les historiens ne paraissent pas avoir soupçonné que ce personnage séjourna
à Rome en 1156-1157 et en 1158-1159. Notons qu’à propos de ces voyages,
l’auteur de ces recherches établit (p. 5-6) qu’il fallait, au xr1e siècle, 49 jours
environ pour faire le voyage de Cantorbéry à Rome, viâ Mont-Cenis ou
Mont-Saint-Bernard, mais que, dans un cas d'extrême urgence, un courrier
pouvait couvrir la même distance à cheval en 29 jours.
Le 10 septembre 1224, les premiers Frères Mineurs, arrivés d’Itahe
quelques jours auparavant, se fixaient à Cantorbéry. Après avoir été les
hôtes des moines de Christchurch, les frères recevaicnt bientôt un lopin de
terre d'Alexandre de Gloucester, maître de l’hospice des prêtres, qui leur
bâtit ensuite une chapelle sur ce même terrain. Leurs autres bienfaiteurs de
la première heure se nomment Simon Langton, frère du célèbre Étienne, et
Lora, la recluse de Hackington, fille du seigneur de Brecknock. En 1267,
l’Alderman Joseph Digge leur donna plusieurs acres de terre dans l'ile de
Binnewith, située dans la Stour, rivière qui traverse la ville de Cantorbér.
C'est là que fut construite la « friary », dont on voit encore les restes au-
jourd’hui. L'ouvrage du Dr CHarLes CoTron, The Gray Friars of Canter-
bury", 1224-1538 (Manchester, University Press, 1924, Xvr112 pages), com-
mémorera dignement l'événement du 10 septembre 1224. On y trouve
plusieurs plans et vues du couvent à différentes époques et, en appendice,
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 595
les noms des gardiens et même la liste des frères aussi complète que la
pénurie de documents a permis de l’établir. Cette monographie renferme
enfin une description de la « friary » dans son état actucl.
M. G. Mac N. RusHFORTH, M. ÀA., F.S. À., a lu sur l’abaque du pilier
nord de l’arche du chancel de la petite église de Clapton, dans lc comté de
Gloucester, l’inscription suivante, qui ne doit pas remonter plus haut que le
xue siècle : « Quiter devote l’[atejr ave geneb[us] ip{se) dixerit, en merces
t{unc] bi mlille] dies.» L'auteur commente ces lignes dans An Indulgence
inscription in Clapton Church (The Antiquaries Journal, 1923, t. IIL, p. 338-
342, avec une figure).
Signalons, sur Robert Grosseteste [£vëque de Lincoln] et la médecine, une .
érudite communication faite au troisième Congrès de l'histoire de l'art de
guérir (Londres, 17-22 juillet 1922) par le Dr ERNEST WICKERSHEIMER
(Anvers, Impr. De Vlijt, 1923. 4 pages).
On devait déjà à M. CARLETON BrowN un excellent instrument de tra-
vail pour l’étude de la littérature religieuse et didactique de l’époque de
l'anglais moyen, À Register of Middle English religious and didactic Verse,
ouvrage qui se divise en deux parties, la première, parue en 1916, donnant
la liste des manuscrits, la seconde, parue en 1920, renfermant les incipit des
textes et diverses tables. L’admirable édition des poésies religieuses anglaises
du xive siècle que le même auteur vient de donner au public d’après les
manuscrits : Religious Lyrics of the rgth Century (Oxford, Clarendon Press,
1924. XX11-358 pages) rendra de grands services, non seulement aux spécia-
listes de l’ancienne littérature anglaise, mais aux chercheurs qui s'occupent
des institutions religieuses du moyen âge, des vieilles dévotions, comme
aussi de l'influence exercée par la liturgie sur les œuvres dévotes et sur la
piété privée. M. C. Brown prépare deux autres recueils similaires, l’un pour
le xrrie siècle, l’autre pour le xve.
On trouvera dans le Journal of the British archæological Association
(1922, XXVIIL, p. 169-174) quelques pages de Miss Rose GRAHAM, M. À.,
F.S. A. sur The Cluniac order and its English province. L'étude de Cluny est
la spécialité de cet auteur (voir RHE, 1924, t. XX, p. 313).
F. P. BarNaRpD publia en 1902 un Companion to English History, volume
formé d'une série d’études sur la vie anglaise médiévale. Une nouvelle édition
de cet ouvrage vient d'être donnée par M. H. W. C. Davis sous le titre de
Mediaeyal England (Oxford, Clarendon Press, 1924. x11-632 pages), qui est
une mise au point et méme une refonte partielle de l'ouvrage original. C'est
ainsi que le ch. I, sur l'architecture religieuse, dù à M. E. A. GREENING
LamBorn, le ch. X, sur les moines, les religieux mendiants et le clergé
séculier, de Miss Rose GRAHAM, A. G. LITTLE ct GEOFFREY BASKERVILLE,
et le ch. XIII, sur les monnaics, de M. G. C. BRooKE, ont été écrits de novo,
Ce livre, parfaitement imprimé et illustré, est muni d’un glossaire et d’un
excellent index des sujets traités.
Dresser seulement la bibliographie de l’histoire du lieu de pèlerinage
connu sous le nom de Purgatoire de S. Patrice serait un travail qui deman-
derait de diligentes recherches ct beaucoup de paticnce. En effet, les récits
596 CHRONIQUE.
de voyage au Purgatoire datant du moyen âge et des siècles qui ont suivi sont
très nombreux (voir RHE, 1905, t. V, p. 321), et les travaux modernes sur le
pèlerinage du Lough Derg le sont encore davantage. Ces dernières années en
ont vu paraître plusieurs. Citons : x° St Patrick's Purgatory, a mediaeva]
pilgrimage in Ireland par ST Jonn D. Seymour, B. D. (Dundalk, 1918).
2° The story of St Patrick’s Purgatorr (Londres, 1919). Enfin, l'an dernier”
M. G. WATERHOUSE a édité une version allemande du pèlerinage au Lough
Derg datant de la fin du xrv*e siècle, d'après le ms. A. 7, 19 (fol. 1 r°-2 ro)de
la bibliothèque de Trinity College de Dublin. Ce texte est une paraphrase de
la plus ancienne relation latine, celle de Henry de Saltrey (An early German
account of St Patrick's Purgatory, dans Modern language Review, 1923,
t. XVIII, p. 317-322). L. Goucaupn.
— Le Trinity College de Dublin possède un important manuscrit provenant
de Saint-Albans et se rapportant tout entier, soit à l’abbaye même, soit à son
patron et au saint clerc qui baptisa celui-ci. Ce clerc prend le nom d’Amphi-
balus, peut-être à la suite d’une erreur de Geoffroy de Monmouth (1100-1150),
qui semble avoir mal compris un texte de Gildas (496-570). Le manuscrit
contient notamment une vie de saint Alban et de saint Amphibalus en vers
français, œuvre de Matthieu Paris (mort vers 1250). Le célèbre écrivain,
auteur des Chronica majora et de l’Historia minor, est aussi le traducteur de
plusieurs vies de saints. D’après certains érudits modernes il aurait écrit de
sa main une bonne partie du texte du manuscrit de Dublin et exécuté, ou du
moins dirigé l'exécution de nombreuses enluminures dont il est orné.
Ces enluminures, d’un dessin animé et plein de caractère, mais d’un
coloris un peu criard, sont l’objet principal d'une belle publication que la
Clarendon Press consacre au manuscrit (W. R. L. Lowe et E. F. Jacos,
Illustrations to the Life of St Alban with a Description by M. R. James.
Oxford, 1924. In-4, 40 p. et 57 planches). En cffet le texte même de la vie de
saint Alban a déjà fait l’objet d'une bonne publication, mais l'illustration est
un document important pour la miniature anglaise du milieu du xzrte siècle
et en particulier pour l’atelier de Saint-Albans. Les planches reproduisent du
texte en quantité suffisante pour donner une idée de l'écriture employée alors
dans le scriptorium de l’abbaye. Il donne en même temps quelques éléments
utiles pour la reconstitution de la bibliothèque de Saint-Albans à la fin du
xuie siècle. Les planches reproduisent d’abord trente-six miniatures de la vie
des deux saints, dix autres se rapportent au voyage des saints Germain et
Loup en Grande-Bretagne (ve siècle), huit à l’invention des reliques et la
fondation de l’abbaye (virie siècle) par Offa, roi de Mercie. Deux planches
reproduisent, d’après un manuscrit de la Bibliothèque d'Este, un hymne à
saint Alban, avec notation musicale par John Dunstable, célèbre musicien
anglais du xve siècle,
Signalons pour leur intérêt iconographique les planches relatives à la
construction de l’abbatiale de Saint-Aibans, et la croix du saint d’une forme
très particulière : elle est surmontée d'un disque sur lequel apparaît un
crucifix. Il existe ailleurs des illustrations, miniatures ou sculptures. de la vie
de saint Alban (fin du xie-xve sièclc), mais aucune série n’a l'ampleur de
celle de Dublin.
L'introduction, sommaire mais substantielle, est accompagnée d’une
courte description des planches. La reproduction de celles-ci est irrépro-
Chable, R. M,
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDLE. 507
— Communication de M. Heozey Hore-NicHoLson dans le Times Literary
supplement (3 juillet 1924, p. 419-420) sur l’hyÿmnologie et l’icunographie de
S. Alban de Verulam, à propos de la récente reproduction des miniatures de
la Vie de Saint Auban (Trinity College, Dublin. Ms. E, I. 40) par l'Oxford
University Press. L. G.
— Les origines de la Réforme anglicane ont fait depuis un demi-siècle
l’ubjet de nombreuses études. Celles-ci ont pu tirer grand profit de précieuses
.- publications critiques des sources officielles telles que les grandes collections
iititulées : Calendar of State papers, Letters and papers domestic and foreign,
Visitations of religious houses in the diocese of Lincoln etc. La voie a été
aplanie pour les monographies nouvelles qui elles-mêmes vont permettre de
reviser le jugement d'ensemble assez tendancieux que l'on se formait naguère
au sujet de la vie religieuse de l'Angleterre à la veille de la Réforme. Les
diverses publications du cardinal Gasquet et du protesseur Pollard sont une
vue infiniment plus proche de la vérité que bien des travaux antérieurs, i
Avec un souci remarquable d’impartalité, le pasteur R.S. ARROWSMITH,
(M. A., Rector of Seale, Surrey) s’est cfforcé à l'aide des moyens de fortune
que lui laissait l'éloignement des grandes bibliothèques, d'apporter sa pierre
à la reconstitution historique de l’Angleterre religieuse de Wiclef au temps
d'Henri VIIL L'auteur a fourragé dans les publications de sources et a
recueilli tout un butin de fiches dont il publie le contenu dans le volume paru
dans la collection Studies in Church History sous le titre : The Prelude to the
Réformation. À study of english Church life from the age of Wycliffe to the
breach with Rome. (Londres. SPCK., 1923. x11-226 p.) Ce titre promet sensible-
ment plus que les deux cents pages de l’ouvrage ne donnent et l’on chercherait
vainement une vue d’ensemble sur la vie chrétienne en Angleterre à cette
époque. L'auteur corrige lui-même, dans son texte, les promesses du titre. Il
se borne à communiquer, sans d’ailleurs les synthétiser, les notes prises au
cours de ses lectures. Son but est de donner « some account of English.
Church life … My treatment of the period lays no claim to being in any way
adequate or exhaustive » (P. V.) Entre autres, il s'interdit, de propos délibéré,
de signaler les côtés favorables de la vie religieuse anglaise, pour ne pas faire
double emploi avee es travaux publiés avant le sien. Soit. Mais alors on
préfèrerait un titre réel déterminant davantage l’objet très limité du livre,
« Quelques notes sur des tares dont souffrait l'Église en Angleterre à la
veille de la Réforme », annoncerait plus exactement le contenu du livre qui,
au dire de l’auteur lui-même, «is simply a sketch of certain aspects of Church
hfe, and in no sense a formal history. » (P. V.) L'ordre des chapitres cest assez
logique : I. L’évêque à la fin du moyen âge. Il. Le clergé des cathédrales et
des collégiales. III. Quelques types du clergé paroissial. IV. La tension
croissante des relations avec Rome. V. Les pouvoirs et les privilèges de
l'Église, VI. Colet et le nouveau mouvement de rélorme pédagogique.
VI. Quelques couvents anglais vus à la lumière des pièces concernant la
visite qui s’y fit après la peste noire. VIIL Conclusions, Nous craignons qu'il
ne faille aiticuler la même remarque pour ces divers chapitres que pour tout
le volume sur le rapport de la disproportion qui existe entre les promesses
des titres et le contenu réel des exposés auxquels ils président. Ainsi le
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, àX 38
598 CHRONIQUE.
huitième chapitre ne peut être dit la conclusion du livre que parce qu'il
vient, en fait, le dernier. Il serait difficile d'y voir une conclusion logique de
l'exposé ou plutôt des notes communiquées dans les sept premiers chapitres.
Pour ce qui est des abus eux-mêmes touchés dans le livre, il faut féliciter
l’auteur d’avoir eu soin, la plupart du temps, de donner ses preuves à l’appui
et de s'être garé de son mieux du grand écueil que serait la généralisation
hâtive et sans induction complète ou suffisante de cas particuliers. Des per-
sonnages exceptionnels donnés comme types représentatifs d’une classe ou
d’une profession ne sont que d’odieux trompe-l'œil. P. M. Pretre.
— ‘Très important pour l’histoire des missions est l’article que vient de
publier M. JAMES SournHwoop dans le Bulletin of the School! of Oriental
Studies de Londres (1924, IL, p, 231-240) intitulé Thomas Stephens, S. J.,the
first Englishman in India. La carrière de ce zélé jésuite est mal connue. En
dehors de ses écrits philologiques, conservés dans la collection Marsden, qui
a été transféréc du King’s College à la School of Oriental Studies, on pos-
sède seulement deux lettres de lui. La plus importante de ces lettres a été
publiée en 1904 dans l’ouvrage de Hakluyt, Principal navisations, voyages, etc.
(t. VI, p. 377-385). Elle est datée du 10 novembre 1579 et adressée au père
du missionnaire. Parti de Rome dans les premiers mois de l’année 1579, le
P. Thomas Stephens s’embarqua à Lisbonne pour Goa, le 4 avril de la même
année. La seconde lettre, écrite en latin à son frère Richard, est conservée
à la Bibliothèque royale de Bruxelles. Le P. Stephens mourut en 1619 après
quarante années de travaux apostoliques dans la province de Goa. On le
donne comme le premier Anglais qui ait vécu et soit mort dans l’Inde.
Ajoutons que le R. P. C. WesseLs, S. J., du Collège de S. Willibrord
à Katwijk sur le Rhin, vient de publier un bon livre en anglais sur les pre”
miers voyagcs et missions de Jésuites européens dans l’Asie centrale de
1603 à 1721 : Early Jesuit travellers in Central Asia (La Haye, Martinus
Nijhoff, 1924, Xv1-344 pages. Prix : 12 flor.).
L'histoire assez compliquée des reliques du protomartyr de Grande-
Bretagne depuis la réforme a été esquissée par MARGARET ŸEo : Some post-
dissolution relics of St-Alban (The Tablet, 5 juillet 1924, p. 6-8).
Le second volume, consacré au comté d’York (North Riding) de l’admi-
rable collection The Victoria history of the counties of England, éditée par
M. WiLLiaAM PAGE, F. S. A., contient la description topographique du North
Riuing (voir RHE, 1924, t. XX. p. 140). Le volume était terminé depuis 1914,
mais il n’a pu être publié que l'an dernier (Lonires, 1923. xxt1-560 pages). On
y trouvera, comme dans les précédents, une mine de renseignements variés
sur les établissements et monuments ecclésiastiques du passé. Chaque cha-
pitre est l'œuvre d'un spécialiste. Les illustrations sont abondantes et
soignées,
Le troisième volume (Kaile-Ryves) des Alumni Cantabrigenses, de J. et
J. A. VENN (Cambridge, University Press, 1924. 504 pages. Prix : 150 sh.)
contient des notices biographiques importantes, par exemple celles de
Newton, de Pepys, de Prior (voir RHE, 1923, t. XIX, p 614).
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IiRLANDE: 590
On trouvera dans le Journal of the British Archæological Association
(t. XXVIIT, 1922) des renseignements sur les fouilles ou découvertes d’anti-
quités ecclésiastiques faites récemment à l’abbaye de Kenilworth (War-
wickshire) (p. 136-138), à l’abbaye de Cockersand (Lancashire) (p. 230-233),
à l’abbaye de Byland {Yorks) (p. 131 et 254), à l'abbaye de Leicester (p. 255-
256), À l’abbaye de Chertsey (Surrey) (p. 270-272), à l'ile d’Iona, en Ecosse
(p. 277).
Le Rev. Jon R. FLETCHER donne des éclaircissement sur l’acquisition
faite par un antiquaire de Norwich nommé Stevenson de quantité de vitraux
provenant de plusieurs églises de Rouen, Saint-Jean, Saint-Nicolas, Saint-
Cande-le Vieux, les Chartreux et Saint-Herbland, fermées en 1791. Ces
vitraux furent exposés à Londres en 1802 et ensuite dispersés en Angleterre
(An exlubition of French painted glass in Londun about À. D. 1802. dans Notes
“and Queries, 1924, t. CXLVI, p. 243-244).
The Church of the Holy Sepulchre par M. H. T. F. DuckworTx (Lon-
dres, [1922]. 296 p.) est une histoire illustrée de l’église du Saint-Sépulcre à
Jérusalem, depuis les origines jusqu'à l’année 1850.
On songe, en Irlande, à faire de 1932 une année digne de mémoire,
Cette année sera celle du quinzième centenaire de l’arrivée dans l’île de
S. Patrice, apôtre du pays. Comment commémorer dignement ce grand fait
historique ? Le Professeur EoiN Mac NEILL, ministre de Instruction publique
de l’État libre d'Irlande, propose d’inaugurer à cette occasion une vaste
collection de textes historiques à laquelle on pourrait donner le nom de
Monumenta Hiberniae et dont la publication se continuerait ensuite pendant
un grand nonrbre d'années. Il conviendrait que le premier volume contint,
en l'honneur du héros du centenaire, le texte de sa Confessio et celui de son
Epistola ad Coroticum regem. Ce grand projet, qui nécessiterait de très
grosses ressources financières et le concours d’un grand nombre d'hommes
compétents, a été exposé par le Professeur Mac Neill dans la revue trimes-
trielle de Dublin Studies (1924, t. XIII, p. 177-188) dans un article intitulé
The fifieenth Centenary of St Patrick, a suggested form of Commemoration.
La direction de ce périodique ayant demandé à quelques spécialistes de
faire part au public de leur sentiment touchant le projet lancé par le Ministre
de l’Instruction publique, cinq commentaires ont été imprimés à la suite de
l’article. Le projet paraît « formidable » au Prof. PAUL WaLsH. Sa réalisa-
tion entraînera de très lourdes dépenses. Comment se procurer les fonds
nécessaires ? Depuis la guerre, les travaux de recherches historiques ou phi-
lologiques sont pour ainsi dire impossibles. Il insiste ensuite sur la néces-
sité de confier la direction et l'exécution des travaux à des gens d’une
science et d'une expérience éprouvées afin que ne se renouvellent pas les
mécomptes auxquels donna lieu la publication des Laws of Ireland par la
Brehon Law Commission. Le mème philologue signale enfin l'intérèt parti-
culier que présentent pour l'histoire d'Irlande certains textes encore inédits,
principalement les généalogies des Saints d'Irlande, dont il demande l’in-
scription au programme des Afonumenta Hiberniae.
Le Dr Daniez A. BiNcHy insiste sur la nécessité de coordonner les efforts
des travailleurs, et il estime qu’il serait bon de commencer par élucider cer-:
600 CHRONIQUE.
taines questions préliminaires, avant d'entreprendre les publications de
textes. 11 indique notamment les suivantes : 1° Etude des œuvres des gram-
mairiens irlandais du moyen âge, dont plusieurs sont encore inédites ; —
20 Relations des soi-disant Schottenkloster de l'Ailemagne du sud et de
l'Autriche avec l'Irlande ; — 30 Etude particulière des monastères irlandais
de Ratisbonne avant la mainmise des Ecossais sur ces cloîtres, en 1518 ; —
4° Recherches sur la paléographie et la philologie latino-irlandaises du
moyen âge, spécialement en vue de la différenciation des écritures scotique
et anglo-saxonne.
Le R. P. BRENDAN JENNIXGs, O. F. M., rappelle l’intérét qu'il y aurait à
réunir tous les renseignements épars sur les très nombreux couvents de
Franciscains irlandais sur le Conunent, à Rome, Louvain, Paris, Prague,
Vielun (Pologne), Boulay (Lorraine), Capranica, qui furent autant de foyers
d'influence irlandaise à l'étranger. La publication des documents conservés
au couvent de; Franciscains de Merchants Quay, à Dublin, serait particu-
lièrement utile à ceux qui entreprendraient cette étude.
Un quatrième commentateur déciare qu'il serait bon de commencer par
dresser le catalogue, aussi complet que possible, des manuscrits irlandais du
moyen âge, écrits en latin, cn grec ou en gaéiique, ct conservés dans de
nombreuses bibliothèques de l’Europe, et il indique plusieurs travaux biblio-
graphiques déjà exécutés en Irlande, dont plusieurs seraient d’excellents
mouèles,
Suivant le Prof. Thomas F. O’RauiLLy, il faudrait que ce projet magni-
fique, mais d'une exécution difhcile, reçût l’appui financier du gouvernement
du Free State, lequel, jusqu'à présent, dit-il, a fait preuve de la plus regret-
table indirtérence et n’a aucunement encouragé les études supérieures de
philologie celtique, que le gouvernement anglais, au contraire, subvention-
nait autrelois.
Sur la méthode historique du Dr Coulton et sur quelques points de son
récent ouvrage, Five centuries of Religion, t. Î (1000-1200) (Cambridge, 1923),
qui appellent paruculiérement la discussion, une polémique s’est engagee
dans la revue History. Le Protesseur PoWwICKE ayant souligné quelques
fâcheuses dispositions de tempérament ou erreurs de méthode préjudiciables
aux recherches du Dr Coulton (7'he historical method of M" Coulton, dans
History, 1924, VILL, p. 256-268), celui-ci lui a répondu dans les pages intitu-
lées Z'he ways of History (1924, 1XK, p. 1-13), ce qui a provoqué une réplique
du Prof. Powicke : Some observations in conclusion (p. 13-17). Un historien et
spécialement un médiéviste suivra avec intérét et profit cette polémique qui
touche à plusieurs points importants de la méthode historique.
Des cours de vacances ayant pour objet l'histoire du moyen âge ont été
organisés, cette année, par l’université d'Oxford et ont eu lieu dans cette
vüule du 28 juillet au 23 août. Nous relevons les sujets suivants de cours
relatifs à nos études : How Mediaeyal Chronicles n'ere made [(REGINALD LANE
PooLe); Charlemagne; Gregory VII (W. H. Carzess Davis); Frederick
Barbarvussa ; The Emperor Henry VI (AUSTIN LANE POLE); Church and
State in the Aliddle Ages (A. L. SMITH); W'aat is meant by the say-ing that the
Bible is the text-book vf the Middle Ages ? (F. M. PowickE); The Age of
Dante {CESARE FOLIGNO) ; Monasticism and Labour : mainly a study of rural
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IR LANDE. 601
life in mediaeval England and of monastic relations to it (G. G. CouLTon);
Franciscan Studies (A. G. Lirrce); Wycliffe and Reform Movements (K N.
BELL).
L'Historical Association indique dans son dix-septième rapport annuel
(rer juillet 1922-30 juin 1923), les sujets suivants ayant trait à l'étude ou à
l'enseignement de l'histoire ecclésiastique qui ont fait l’objet de lectures dans
les diverses branches de l'Association, dans le cours de l’année dernière. A
Cantorbéry, The abbots of St Albans par M. WaLroRD D. GREEN, M. A.; The
recantations of Archbishop Cranmer (Rev. Dr Masox); John Colet par le même
à la branche Cheltenham-Gloucester, Westminster Abbey (Chan. BaARKNESs,
D. Sc.. F. R. S.); à Chester, Religious toleration in the sixteeth Century
(Prof. A. J. GRANT); à Craydon, Lollardy and the Reformation (M. H. F.
BinG); à Derby, The growth of religious toleration (Rev. H. S. GooDkicH,
M. A.); à Durham, À mediaeval bishop and his household (M. HAMILTON
THompson, M. A., F.S.A.); The Pilgrim Way to Compostella (Dr.H. THo-
MAS); Hexham and its Abbey (M. Jon Gti8son, F. $S. A.); à la branche
d'Essex, À parish clerk’s register (Miss VAUGHAN) ; à Exeter, St Anthony of
Padua (M. A. G. FeRRERO HowELL) ; à Hertford, Pope Adrian and Arnold of
Brescia (Mrs TREVELYAN et M. F. S. Marvin, M. A, H. M.I.); à la branche
du Lancashire, Some aspects of mediaeval libraries (Prof. F. M. Powicke) ; à
Lecds, The Reformation as Rome sees ist (Rev. E. RockLirr, S. J.); à Lon-
dres (Nord), Charlemagne and the dawn of the Middle Ages (Miss E. M. BURKE,
L. L. A.); à Manchester, Les croisades, l'urs causes et conséquences (Prof.
E. DÉPREz. de l'université de Rennes); à la branche de Norfolk, Confessors
of the old Religion (Mrs Ivo Hood); à Oxford, The Church and Monasterr of
St Peter's Westminster (Rev. H. F. WEesTLAKE, M V. O., F.S. À.); à Shef-
field, St Francis and the Assisi country (Miss WHITEHEAD); à la branche du
Staffordshire (Nord), Some religious movements in France in the eighteenth and
n'neteenth Centuries (M. À. T. DANtEL); à York, The mediaeval documents of
the Vicars-Choral of York Minster (Rev. F. HaARRISON. F. S. A (Scot.).
Nous devons signaler aussi la brochure no 57, The English parish Church
par M. SaMUEL GARDNER, que vient de publier l'Historical Association. Cet
opuscule de 24 pages renferme onze honnes planches. Ïl se vend 1 s. 1 d., au
siège de l’Association (22, Russell Square, Londres, W. C. 1). :
Parmi les lectures faites pendant la dernière session (1923-1924) de la
St Thomas historical Society, laquelle s'appelle maintenant Lingard Society,
(voir RHE, 1923,t XIX, p. 617), il faut noter les suivantes : The Council of
Mertor par F. W. Sxerwoop (8 octobre); Two St Bartholomew Myths, par
Maurice WiLkiNson, M. A. (12 novembre), publiée dans la Dublin Review
sous le titre de The problem of St Bartholomew’s massacre ; The civil constitu-
tion of the clergy in the French Revolution, par J. J. Dwyer (14 décembre) ;
The conversion of the Norsemen, par le Rev. H. HARRINGTON (14 janvier); The
history of Elizabeth in our Schoo!s, par le Rev. J. H. PoceEn, S. J. (10 mars);
The Lateran Canons and Ireland, par l'abbé Suiru, D. D., C. KR. L. (1x4 avril);
Archbishop Ullathorne, par l’Abbé Bureer, Litt. D., O.S. B. (12 mai).
Le Guile to the Manuscripts preserved in the Public Record Office dont
M. M.S. Gruserpi, F.S. A., conservateur au Record Office, vient de donner
le rer volume (Londres, 1923. XxX1V-411 p. Prix : 12 s. 6 d.), est une refonte de
6C2 CHRONIQUE.
la dernière édition du Guide to the principal classes of documents preserved in
the Public Record Office de M. S. KR. ScaraiLL-Birp (1908). Ce volume com-
prend les records légaux, judiciaires et administratifs qui se rapportent à la
chancellerie, à l’échiquier, au King’s Bench et à d'autres cours et adminis-
trations d’État.
M. H. S. CRAWFORD a dressé un très utile catalogue deccriptif des
châsses et r«liquaires irlandais, ainsi que des crosses et des écrins de livres
et de clochettes, nombreux, comme on sait, en Irlande. Ce Descriptive «ata-
logue of Irish shrines and reliquaries (Journal of the Royal Society of Anti-
quaries of Ireland, 1923, t. LIII, p. 74-93, 151-176) est accompagné dc très
nombreuses illustrations.
Dans le Journal of theological studies (1924, t. XXV, p. 178-183). le
Rme Dom F. CaBRoL a donné une bibliographie de feu Dom Paul Cagin,
O. S. B., comprenant 23 numéros (voir RHE, 1924, t. XX, p. 166).
Le 8 juillet s'est tenue, sous la présidence du Professeur A. F. Pollard,
au siège de l’{nstitute of historical Research de Londres, la troisième con--
férence historique anglo-américaine, destinée à promouvoir la coopération,
dans le domaine historique, de l'Angleterre et de l'Amérique, M. C. W.
ALVORD, ex-professeur de l’Université de Minesota, a parlé en faveur de la
coopération scientifique spécialement au point de vue de l’échange des pério-
diques historiques publiés en langue anglaise centre les divers centres
d'études, universités, sociétés historiques et autres corps savants.
Les Professeurs A. F. PoczaRrD et R. W. SETON-Warsox et M. HUBERT
HaLc représenteront l’université de Londres à la conférence anglo-améri-
caine de professeurs d'histoire qui se réunira en décembre 1924 à Richmond
(Virginie).
Nomination. — A la fin de juillet, le Dr A. HamiILTON THompson, lecteur
d'histoire à l’université de Lecds, a été nommé professeur d'histoire du
moyen âge à la même université.
Décès. — Le 9 février 1924, le doyen de Carlisle, HASTINGS RASHDALL,
âgé de 65 ans, dont le magnum opus est l'ouvrage en trois volumes bien
connu : Universities of Europe in the Middle Ages (Lnndres, 1895).
En mars, le Rev. GeorGE Lewis, auteur de nombreuses traductions des
Pères, du De spiritu sancto de S. Basile (1888), du De consideratione de S. Ber-
‘nard (1908) et de plusieurs œuvres de S. Jérôme (1893).
Le g mars. le Dr E. C.S. Ginson, évêque anglican de Gloucester. Né à
Fawley (Hampshire) le 22 jan ‘ier 1848, il avait écrit : Northumbrian Saints
or chapters from the early history of the English Church (1884); The Old
Testament in the New (1907). Il a donné, en 1895, une traduction anglaise de
Cassien.
Le 2; mars, à l'âge de 91 ans, à Winterton, le chanoine JosePH-THoMaAs
FowLer. Il exerça d'abord la méde:ine, et n'entra dans les ordres anglicans
qu'en 1861. Il fut pendant quarante-cinq ans lecteur d’hébreu à l'université
de Durham ct pendant quarante-scpt ans vice-principal du Bishop Hatfield’s
Hall de la même ville. En 1867, il devint Fellow de la Society of Antiquaries,
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE. 603
dont il fut le secrétaire régional de 1873 à 1917. Cet érudit, qui s'intéressait
à tout ce qui concernait l’histoire ecclésiastique et l'archéologie religieuses
aimait à répéter le mot du vénérable Bède : « Rien ne m'est plus agréable
que d'apprendre, d'enseigner ou d'écrire » Il a publié : Memorials of the
Abbey of St Mary of Fountains, cdited by J. R. Walbran, continued by
J. T. F. (1863-1918); The Coucher Bok of Selby (Yorkshire archaeological
and topographical association. Record series, X, XIII, 1831); The life of
St Cuthbert in English Verse (Surtees Society, LXXX VII, 1891) ; une édition
de la Vita Columbae d'Adamnan (xre édit : 1894; 2e édit. : 1920); Durham
Cathedral (1898); Extracts from the Account Rolls of the abbey of Durham
(1898 etc.): Rites of Durham (1903). En 1910, il a publié ses mémoires sous
le titre de Senilia : recollectiors of University life in Durham, 1858-1977.
Le 28 mars, à Monte-Carlo, le Dr WaLTer DE (RAY BircH, LL., D.,
érudit qui appartint pendant trente-huit ans au département des manuscrits
de British Museum. Il était né le rer janvier 1842. L'étude des chartes et des
sceaux devint de bonne heure sa spécialité. Il dirigea pendant 22 ans le
Journal of the British archaeological Association. Relevons, parmi ses nom-
breuses publications, les suivantes : Fasti monastici aevi saxonici (1872) ;:
Early drawings and illuminations, en collaboration avec Henry Jenner (1879);
Cartularium Sixonicum, a collection of charters relating to Anglo-Saxon
history, 4 vol. (1885-1899): Catalogue of seals in the Dep. of Mss. of the
British Museum (1887, etc.); Ân ancient Ms. of the 8tk or otk cent. formerly
belonging to St Mary's Abbey or Nunnaminster, Winchester (Hampshire
Record Society, 1889) ; Domesdiay Book, a popular account of the Exchequer
Manuscript so called (1887, 2° édit., 1908) ; Liber Vitae : Register and martyro-
log)" of New Minster and Hyde Abbey, Winchester (1892); Ordinale conventus
Vallis Caulium (1900).
Au début d'avril, le Rev. W. F. SLATER, ancien professeur de littérature
biblique au Didsbury College de Manchester. Il était né à Uitoxeter en
1831. Il laisse : The religious opportunities of the heathen before Christ (1866) ;
Methodism in the light of the early Church (1885); The Faïth and life of the
early. Church (1892).
Le 12 avril, ARTHUR LiIoNEL SMITH, M. A., L. L. D., maître de Balliol
College, à Oxford, âgé de 73 ans, auteur de Church ani state in the Middle
Ages (1905) et de F. W, Maitlan 1 (198). |
Le 14 mai, le Rev. GEORGE MARGOLIOUTH, âgé de 70 ans, qui a publié le
catalogue des manuscrits hébraïques et samaritains du British Museum
(1899-19+2).
Le 26 mai, Sir SamueL Die, né le 26 mars 1844 à Ballymena, Co Antrim
(Irlande), Fellow de Corpus Christi College (Oxford) en 1869. maître de la
Grammar School de Manchester en 1877, professeur de grec à la Queen's
University de Belfast, de 1890 au 1°r janvier 1924, auteur de Roman Society
in the last century of the Western Empire (1898), Roman Society from Nero to
Marcus Aurelius (1904).
Le 8 juin, le Rev. VINCENT HENRY STANTON, D. D, professeur émérite
de théologie à Cambridge, âgé de 78 ans. Quand le Dr Swecte résigna ses
fonctions en 1916, le Dr Stanton lui succéda comme Regius Professor of
Divinity à Cambridge, chaire qu’il occupa jusqu’en 1923 (voir RHE, 1923,
t. XIX, p. 115). La théologie spéculative et l’histoire des livres du Nouvea'-
Testament l’intéressèrent également. Il laisse : The Jewish and the Christian
CO CHRONIQUE.
Messiah (1887), The place of authority in matters of religious belief (x89x) ct
The Gospels as historical documents, en 3 volumes (1903, 1909, 1920).
Le 19 juin, Sir 4. W. Wan, l'historien bien connu, maître de Peterhouse
à Cambridge. Il était né à Hampstead le 2 décembre 1837. En 1866, il fut
nommé professeur de langue et de littérature anglaise ainsi que d'histoire
ancienne et moderne à Owens College (Manchester). Il fut président de plu-
sieurs sociétés savantes, (British Academy, Royal historical Society, English
Goethe Society). {1 exerça les fonctions de vice-chancelier de l’Université de
Cambridge en 1901-1902. Les syvndics des presses de l'université de Cam-
bridge le choisirent comme éditeur en chef de la Cambriige Modern History,
et il fut co-éditeur, avec M. A. R. Waller, de la Cambridge History of
English Literature, ainsi que de la Cambridge History of British foreign
policy, ouvrage dont il écrivit l'introduction.
En juin, le Rev. L. A. T. Poocer. ancien archidiacre de Down (Église
d'Irlande). Né le 29 janvier 1858, auteur de St Patrick in Co. Down (1904),
réponse aux théories du Professeur Zimmer sur S. Patrice.
L. Goucaup, O.S. B.
Autriche. — Les Historische Blätter, publiés chez Rikola à Vienne, ont
cessé de paraître.
Belgique. — Le KR. P. I. BEaurays vient de résumer en une intéressante
brochure les leçons qu’il donna au cercle Saint-Capistran, au cours de
l’année 1922-1923, sur les origines chrétiennes (Aux premiers jours de l'Église.
Bruxelles, La lecture au foyer, 1924. In-8, 105 p., 6 hors-texte. Fr. 7,50). Ce
petit livre sera suivi d’un travail similaire sur l’apostolat de S. Paul et sur
l'activité littéraire de S. Jean. Il utilise et synthétise les renseignements
fournis par le Nouveau Testament et les replace avec un art parfait dans
leur milieu historique. C’est un tableau attachant, plein de vie et de couleur,
de la communauté chrétienne de Jérusalem à ses débuts. Ce n’est q'’après
lecture que l’on constate combien les titres des six chapitres : A la veille de
la catastrophe, Conducteurs d’aveugles, Le petit troupeau du bon Pasteur,
La doctrine des apôtres et la fraction du pain, Vous serez haïs à cause de
moi, Le royaume d'Israël, résument exactement le sujet et en montrent le
développement progressif. Il s’agit en réalité de retracer le mouvement des
idées et des faits chez les Juifs à l’époque du Messie, d’y juxtaposer le tableau
de la petite communauté judéo-chrétienne de Jérusalem avec ses attaches
nombreuses au ju jaisme et ses quelques traits distinctifs, de décrire enfin la
situation interne et externe du petit troupeau, ses premiers succès d’apos-
tolat, les premières difficultés qui surgissent dans son sein. Ces pages, où nous
pourrions relever quelques exagérations et quelques références inexactes,
rayonneront bien au delà du cercle Saint-Capistran. É. Touac.
— L'ouvrage sur Clovis de GobErrRoID KURTH a conservé, après plus de
vingt ans, toute sa valeur. Basé sur une critique rigoureuse et pénétrante des
sources et inspiré par une conception philosophique de l'histoire des plus
élevées, il retrace de l'influence civiisatrice de l'Église un tableau dont'les
nombreuses études récentes n’ont guère pu modifier les grandes lignes. En
publiant de cet ouvrage une troisième édition (Bruxelles, 1923. 2 vol. in-12,
BELGIQUE. 6
XXvVHI-384 et 361 p. Fr. 12) la librairie A. Dewit a bien fait de reproduire
simplement le texte de la deuxième, parue en 1901. A. D. M.
— Dom URSMER BERLIÈRE a publié récemment quelques articles sur des
questions spéciales d'histoire monastique qu'il est utile de signaler dans
cette chronique. Il a donné dans la Revue belge de philologie et d'histoire
(1923, t. IT, p. 237-266 ct 461-484) une étude très fouillée sur « Honorius III
et les monastères bénédictins (1216-1227) », travail basé en grande partie sur
les textes publiés par Pressutti /Regesta Honorii papae III) et Potthast. Après
avoir réuni dans une plaquette une quantité énorme de renscignements et
d’exemples sur la question des « Monastéres doubles aux XII° et XIIIe siècles »
(x923, 32 p.}, voici que le savant bénédictin fait paraître une étude sur « Le
recrulement dans les monastères bénédictins aux XIIIe et XIVe siècles. »
(1924. 66 p.) Le recrutement défectueux fut une des causes qui influèrent sur
la crise par laquelle passa l'Ordre de S. Benoît aux xirie et xive siècles.
L'auteur examine les divers modes de recrutement : l’oblation des enfants
souvent infirmes ou de familles nombreuses dont les parents veulent se
débarasser, l’exclusivisme de la noblesse qui veut imposer sa volonté parmi
les communautés, l'admission de bâtards, de gens qui considèrent le
monastère comme un « honnête placement », de ceux qui s’y introduisent
munis de lettres d’expectative, les vocations forcées, enfin l’admission de
religicux des ordres mendiants, le passage d’un ordre à l’autre étant presque
toujours déterminé par des mobiles humains. Pour chacune de ses affir-
mations, le R. P. fournit un nombre considérable d'exemples pris dans les
divers pays où l'ordre s'était installé.
Souhaitons que dom Berlière continue à publier régulièrement des études
aussi substantielles et aussi intéressantes sur des questions spéciales pour
lesquelles, d’ailleurs, il possède une documentation extrêmement riche.
J. LAVALLEY.
— Les deux articles du R. P. J. van M1ErLo, jun., S. J., l’un : Hadewyck
en de ketterin Blommardinne (Tijdschrift voor Nederlandsche taal en letter-
kunle. Levde, 1921, t. XL, p. 45-64) l’autre : Was Hadewyck de gelukzalige ?
(Dietsche Warande en Belfort, 1924, t. XXIV, p. 52-67 ct 106-115) tendent à
démontrer 1) que la poétesse Hadewyck n’est pas l’hérésiarque Blommardine
combattue par Ruysbroeck ; 2) que cette même personne serait née à Anvers
de famille noble vers 1185. qu'elle aurait écrit aux environs de 1250 et aurait
été magistra beghinarum de Nivelles. Les articles sont de valeur inégale : le
second est purement hypothétique, tandis que le premier est de structure
plus solide. Néanmoins nous ne pouvons nous rallier aux idées du P,. van
Mierlo touchant la non-identité de Hadewyck-Blommardine. Sa thèse n’est
défendable que pour autant que le témoignage de Pomerius mérite du crédit ;
or, l'autorité de celui-ci n’a jamais été examinée sérieusement sur ce point
et elle nous paraît entièrement ébranlée pour des raisons que nous n’avons
pas à exposer ici. Les arguments classiques en faveur de l'identification des
deux personnages sont écartés trop lestement. Pour ce qui est de l’objection
sérieuse tirée de la vénération de Jan van Lecuw pour une hérétique, elle
repose sur la supposition, erroné: à nos yeux, que Blommardinne aurait
versé dans l’erreur et aurait été contredite par Ruysbroeck. Où voit-on, dans
les écrits de celui-ci, qu’il ait combattu les doctrines prêtées à Blommar-
dinne ? L'opinion du P. van Mierlo s'appuie sur une interprétation manifeste-
606 : CHRONIQUE.
ment inadmissible. Et si le témoignage de Pomerius est sujet à caution, sur
quoi se fonde-t-on pour affirmer que les religieux de Groenendael ont con-
sidéré au xive siècle Blommardinne comme une hérétique ? Tout le problème
est donc à reprendre à nouveaux frais et sur des bases moins chancelantes.
Les Analecta ord. Praedicatorum, 1923, t. XVI, p. 46-48; 279-304, ren-
ferment le T'ractatus pro reformatione ou Lettre de Jean Uyt den Hove, O. P.,
à Charles le Téméraire (12 oct. 1471), éditée par le R. P.R Marrin, O. P,
de Louvain; c’est la suite à l’étude publiée par 12 même auteur en 1914 dans
les Analectes pour servir à l'hist. eccl. de Belgique (p. 33-55) consacrée au
fondateur et vicaire général de la congrégation de Hollinde qui réforma si
heureusement et à si bonne heure les dom'nicains de Belgique, de Hollande
et du Nord de la France. Le Tractatus témoigne une fois de plus de l’œuvre
réformatrice monastiq'ie entreprise avec le concours des ducs de Bourgogne;
il permet aussi de juger comment un homme éminent comme Uuten Hove
entend l'appliquer dans son ordre. Le factum du vicaire général, conçu d’une
manière un peu scolastique, développe trois points : 1) de l'état religieux;
2) de l’observance et du relâchement; 3) de la réforme et de la manière de
réformer ; il invoque souvent l’autorité de S. Thomas d'Aquin et de Raymond
de Capouc et répond aux objections. Somme toute, texte très important,
soigneusement édité, qui révèle dans nos provinces du xve siècle une vitalité
religicuse remarquable. H. N.
— Le KR. P. J.-B. GozrsrTouweRrs, S. J., vient de publier, d’après un druble
registre conservé au Haus-, Hof und Staatsarchiv de Vienne, Les primariae
preces de Maximilien Ier aux Pays-Bas (1486 et années suivantes) (Bull. de la
Commission royale d'histoire, 1924, t. LXXX VIII, p. 13-91. Bruxelles, Hayez).
On sait que Ic droit des Primariae preces (expectative, Anwartschaft),
reconnu sous l'ancien régime à l’empereur, comme d’ailleurs aussi au pape,
à des évêques, à des abbayes et à des chapitres, permettait à ceux-ci de
désigner les futurs titulaires à des bénéfices non encore vacants. D'après la
liste dressée ici par lc R. P. Goctstouwers, Maximilien Ier a conféré, en vertu
de ce droit, près de 300 bénéfhices aux Pays-Bas Lorsqu'on pense que ces
bénéfices étaient des plus importants, lorsqu'on pense aussi que plusieurs
des bénéficiers étaicnt des étrangers, on comprend facilement les protesta-
tions que l'usage abusif de ce droit a provoquées dans la chrétienté.
A. D. M.
— Dans l'étude intitulée : Lrs actions du chef de séduction devant les juridic-
tions ecclésiastiques du Brabant (XVII®et XVIIIe siècles). (Bulletin de la Com-
mission royale des Anciennes lois et ordonnances de Belgique. Vol. XI, fasc. 7.
Extrait. Bruxelles, Goemaere, 1924. In-8, 104 p.), M. J. Simon étudie les
actions auxquelles donnait lieu devant les juges d'Église, dans notre pays ct
spécialement en Brabant, un commerce charnel entre personnes non engagées
dans les liens du mariage. A quelles réparations la femme avait-elle droit, à
quelles conditions pouvait-elle les réclamer, que fallait-il prouver et quels
modes de preuves étaient admis dans ces affaires, autant de questions sou-
levées dans ce travail et qui sont examinées d’après les sources mêmes. Un
bref aperçu sur l’organisation des cours synodales et le fonctionnement des
juridictions ecclésiastiques brabançonnes introduit très heureusement le
problème soulevé. On sait en effet que l'édit perpétuel, connu généralement
BELGIQUE. 607
sous le nom de Bulle d'Or, avait accordé aux sujets du duc de Brabant le
privilège de n'être justiciables que des seuls juges brabançons. Le travail de
M. Simon, tant par le choix du sujet que par la façon dont il est traité mérite
toute l'attention de ceux qu'’intéresse l’histoire de notre droit et de nos
institutions. _. P. GiLzLer.
— L'Annuaire de l'Académie royale de Belgique de 1924 contient, par une
heureuse rencontre, la notice biographique de plusieurs érudits dont les
publications intéressent au plus haut titre l’histoire religieuse de notre pays.
Citons d’abord les deux notices de M. H. PIRENKE, sur Godefroid Kurth ct
Paul Fredericq (p. 192-261 ; 311-374); l’auteur peint d’une touche fort délicate
la physionomie morale de ces deux savants si distants d’esprit et de ton, mais
tous deux âmes religieuses dont les œuvres respirent leurs fortes convictions.
La notice du P. DELeHAYe sur le P. Ch. de Smedt (p. 93-117) contient des
pages émues ct instructives sur le rétablissement de l’œuvre des bollandistes
grâce en partie à Mgr de Ram et au ministre de Theux, ainsi que sur les
efforts personnels de rajeunissement du P. de Smedt. La carrière scientifique
de St. Bormans, éditeur de nombreux textes d'intérêt ecclésiastique, est bien
décrite et appréciée par M. J. CuveLier (p. 263-309). Les notices sur J. La-
meere et P. Errera sont à lire aussi. H. Neuis.
— À la réunion de la Société des études philologiques et historiques,
tenue le 5 mai ‘dernier, les trois communications suivantes ont été faites :
1) R. P. E. DE Moreau, S. J., Le transfert de la résidence des évêques de Ton-
gres à Maestricht. Cette intéressante étude est publiée plus haut ; 2) M. Cu.
TERLINDEN, Les archives de Nieupor't, expose comment les archives de cette
ville (remontant au xrit siècle) ont pu être sauvées, sinon entièrement, tout
au moins en majeure partie, grâce au zèle de M. le secrétaire Dobbelaere.
A la fin de novembre 1914, les archives furent expédiécs successivement à
Coxyde, à Furnes, dans un faubourg d’Abbeville, de nouveau à Furnes et
finalement à Nieuport (hôtel de ville); 3. L. Gansxor, La r'aleur historique de
da Vita Karoli par Eginhard. L'auteur défend d’une manière très serrée la
valeur de cet écrit contre la critique un peu trop négative de L. Halphen.
Sans doute, Eginhard doit être soigneusement contrôlé, mais M. Ganshof
montre pour quelques points précis et importants la valeur très réelle de
l'œuvre du biographe de Charlemagne.
Parallèlement à la publication un peu lente de ses annales, la Société
archéologique de Namur édite, depuis le mois de mai dernier, une chronique
trimestrielle, sous le titre : Namurcum (Namur, Cercle arch. R. des Bouchers).
L'idée est excellente et sa réalisation ne laisse rien à désirer. En de courts
articles, illustrés et signés de noms connus {C. Roland, F. Courtoy, F. Rous-
seau, J: Destréc), on donnc des renseignements précis sur l’archéologie et
l’histoire de l’ancien comté de Namur. Namurcum ferait aussi œuvre utile en
faisant connaître les collections de certains châteaux, presbytères et hôpitaux.
Jusqu'ici deux numéros (chacun de 16 pages) ont paru. H. N.
— À partir d'octobre prochain paraîtra, sous le titre de Byzantion, une
nouvelle revue internationale des études byantines. Elle comprendra par an
deux fascicules de 200 à 300 p. chacun, et donnera des articles de fond, des
comptes rendus et des bulletins (Rédaction ; 12, rue royale à Bruxelles.)
608 CHRONIQUE,
Bulgarie. — L'ouvrage d'IvAN SNIEGARON : Istoriia na Okhridskata
arkhiepiskopiia [Histoire du patriarcat d'Ochrida]. T. I. (Sophia, 1924.
347 + 19 p.), comblera une vraie lacune dans l’histoire religieuse des Bal-
kans. Il traite, en effet, du passé d'une église célèbre dans le monde slave,
qui a été pendant plusieurs siècles le siège de l’ancien patriarcat bulgare.
Cet ouvrage, sérieusement documenté, constitue une contribution de grande
importance.
Nomination. — L'écrivain russe MicHEL E. Posnov, a été nommé pro-
fesseur d'histoire ecclésiastiqué à l’université de Sophia. A. PALMIERI
Espagne. — Dans l'édition du Cartulaire de l'abbaÿ-e de Saint-Savin (p. 198
et xvi. Cauterets, 1920) M. A. Meillou avait fait des réserves quant à l'interpré-
tation des mots Syracusanensis civitas, souvent mentionnés dans le cartulaire
et notamment dans une bulle d'Alexandre III, de 1168. Tous les auteurs, en
cffet, les traduisaient par Syracuse, en Sicile, et soutenaicnt conséquemment
que l’abbaye de Saint-Savin possédait la plupart de ses biens aux environs
de cette ville. M. P. GaziNpo RoMEo (Posesiones de San Sabino de Lavedan
en Zaragoza. Madrid, 1923. {n-8, 24 p.) a établi, par l'examen minutieux de
documents contemporains, que la ville désignée n’est autre que Saragosse,
L’Anuari de la societat catalana de filosofia. T. I (1923) (Barcelone,
Inst. d’estudis catalans. In-4, 337 p.) contient plusieurs études remarquables
dont quelques-unes se rapportent à l’histoire de l’enseigement et de la
philosophie. On les trouvera mentionnées dans notre bibliographie. Signa-
lons ici, comme intéressant plus directement cette revue : A. GOTTRON, Die
Mainzer « Lullistenschule » im 18. Jh. (p. 229-242). Lull a été, peut-on dire,
incompris pendant plusieurs siècles. Alors qu’il avait surtout voulu introduire
une nouvelle méthode d’apologétique et ériger des écolcs de missionnaires,
il a été très longtemps considéré comme le fondateur d'une philosophie
nouvelle, et on l'a traité, tour à tour, de scolastique, d’alchimiste, de r:tio-
naliste. Dès la seconde moitié du xive siècle, des chaires furent fondées, dans
différentes universités d'Espagne, pour enscigner la philosophie et la théo-
logie lullistes. Or, la question se pose si la ville de Mayence n’a pas possédé,
au xvilie siècle, un institut lulliste, dont le fondateur et le plus illustre
maître aurait été Ivo Salzinger, l’auteur d'une remarquable édition des
œuvres de Lull. En effet, sur l'affirmation de Schunk, dans sa grande his-
toire de Mayence (1790), plusieurs admirateurs de Lull ont admis l'existence
de cette école. M. Gottron la nie et explique comment Schunk s’est trompé.
De plus, il prouve que Salzinger, lui aussi, s'est encore mépris sur la signi-
fication du lullisme.
Le fasc. 64 (juillet-août 1924) de l’Archivo-Ibero-Americano est consacré
tout entier à la bio-bibliographic du célèbre exégète et auteur spirituel, le
P. Diego de Estella (1524-1578). Il contient une analyse détaillée de ses
œuvres, dont il décrit, en outre, les différentes éditions. A D.M.
États-Unis d'Amérique. — Les cinq volumes intitulés : Catholic builders
of the Nation : a symposism on the catholic contribution to the civilization of the
United States (Boston, 1924) et publiés sous la direction du Dr CoNSTANTIN
E. Mc Guire, de l'/ustitut of Economics à Washington, constituent une véri”
ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. 609
table encyclopédie de la culture catholique aux États-Unis. Toutes les initia-
tives et œuvres catholiques, entreprises scientifiques, scolaires, politiques,
sociales, évangélisatrices, y sont exposées par les meilleurs écrivains.
L'historien de l'Église y trouvera, pour le passé des États-Unis, une foule
de renseignements fort utiles.
Le petit volume de MARTHA EDITTE ALMEBDINGEN : The catholic Church
in Russia to-day (New-York, Kenedy, 1924), donne quelques renseignements
utiles sur la situation du catholicisme dans la Russie bolchéviste. Il s'appuie
surtout sur des expériences personnelles de l’auteur ; aussi n’a-t-il pas la
valeur documentaire de celui de FRANCIS Mc CuLLAGH : The Bolshevik per-
secution of christianity (Londres, 1924).
Je crois qu'il n’y a de meilleurs recueils pour connaître l’état d’âme ct
les tendances doctrinales de l’anglicanisme americain (Église épiscopalienne
protestante) que la livraison de juin de l'American Church Monthly. Elle con-
uent les Papers ani addresses : Priests’ Convention, tenue à Philadelphie, les
29 et 30 avril 1924. Signalons surtout les articles de G. C. STEWART et du
Rev. J. G. H. Barry, le premier sur la réunion et les Églises protestantes,
le second sur la situation de l’Église anglicane vis-à-vis de l'Église catholique
et des Églises orientales. Mentionnons aussi l’article du Rev. F. S. Pen-
GOLD sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie.
Les Grecs d'Amérique ne savent à quelle autorité ecclésiastique ils
doivent se rattacher. D'après les uns, leur chef suprème est le patriarche de
Constantinople ; d'après les autres, le métropolite d'Athènes. La brochure
de MicHez GaLanos : "Lo EéxxAnatagrTexñr Cnraua Toù EAAmmoucd Tic
Apeperñs. (Chicago, 1924), contient sur cette controverse des données inté-
ressantes.
L'American catholic historical association vient d'achever les Tables
détaillées des 31 volumes, parus de 1886 à 1920, dans la série des publica-
tions de l’Amer. cath. hist. society. On sait que ces volumes conticnnent
entre autres de précieuses chroniques sur l’histoire de l'Église aux États-
Unis et de nombreux travaux du Dr Th. Middieton, O. S. A., sur les origines
du catholicisme dans les diocèses de Lansingburgh, de New-York et de
New-Jersey. On peut dire que cet Zndex constitue un dictionnaire de l’his-
toire du catholicisme en Amérique.
Grâce à l’impulsion efficace que lui donne le Dr P. GuiLpay, l'American
catholic historical association a décidé de constituer des comités pour dresser
la bibliographie générale de l’histoire ecclésiastique et pour composer un
inventaire des archives de l’histoire de l’Église catholique aux États-Unis.
Elle prépare, en outre, deux manuels de la littérature historique catholique
et des Réponses aux objections faites au nom de l’histoire aux les croyances
catholiques.
Les catholiques américains ont conçu le projet grandiose de publier une
encyclopédie universelle (Universal Knowlegde) en 15 volumes et une série
de manuels d'histoire et d’autres sciences. Le succès vraiment remarquable
qu'a obtenu la Catholic Encyclopaedia (70.000 exemplaires en ont été vendus),
610 CHRONIQUE.
permet de former les meilleures espérances pour la nouvelle entreprise. Le
comité de direction est composé du KRt. Rev. Thomas Shahan, recteur de
l’université de Washington, de Condé Benoist Pallen, de Edward A. Pace,
de James Joseph Walsh et de John Wynn, S. J. À. PALMIERI.
— Washington offre, comme centre de recherches histo-iques, de grands
avantages, surtout par la présence de la magnifique bibliothèque du Congrès,
où, pour la période qui va de 1775 à nos jours, il y a une collection d’im-
primés remarquable, et où, dans la section des manuscrits, se trouvent Îles
documents concernant le « continental congress » et les archives des divers
présidents, depuisWashington jusque Taft. On y conserve aussi une quantité
considérable de copies faites dans les divers dépôts de Grande-Bretagne.
Il n’est dès lors pas étonnant qu'on ait songé, depuis longtemps, à y établir
un centre de recherches historiques, où viendraient travailler des étudiants
en histoire, qui seraient dirigés dans leurs recherches par des spécialistes,
pris parmi les professeurs jouissant de leur année de congé (on sait qu'aux
États-Unis les professeurs d'université ont un congé de douze mois tous les
sept ans). Depuis 1921, l’idée a été réalisée et il existe maintenant, dans la
capitale fédérale, un « University center for Research » qui peut être com-
paré à l’e Institute for historical Research » de Londres. Le « Center »
comprend cinq sections ou départements, dont un pour l’histoire. Ce dernier
se trouve sous la direction d'un comité dont font partie MM. Jameson, de la
Carnegie Institution, président; Gaillard Hunt, Klein, Leland, Moore, Rice,
Zook et le colonel Spaulding. Ce comité fournit des informations concernant
les matériaux que l’on peut trouver à Washington, facilite leur accès, et pour
les étudiants préparant une dissertation, s'occupe de donner des conseils
concernant l’utilisation de ces documents et leur mise en œuvre.
Ce service d’information, absolument gratuit, se met aussi à la disposition
des étudiants étrangers qui voudraient laire des recherches dans les archives
de Washington. L. VAN DER ESSEN.
— La Catholic historical review, 1924, fasc. 1, p. 3-17, publie le compte
rendu des communications qui ont été présentées à la dernière-réunion de
l'American catholic historical association (26-29 déc. 1923). Plusieurs de ces
études intéressent l'histoire générale de l'Église : H. FisHer, La croyance
à la perennité de l'empire romain, pendant les Ve-VIe sièles ; ]. KBATING CART-
WRIGHT, La valeur des investitures ; A. KAUFMANN, La personnalité d'E. Renan ;
M. G. Rurp, Grotius et sa place dans l’histoire de la paix internationale ;
J. RAGER, La défense du gouvernement démocratique par le card. Bellarmin ;
J. KNIPFING, La tolérance religieuse durant le règne de Constantin le Grand;
R. QUINLAN, L'influence de l'idéal chrétien sur la première législation médié-
vale ; J. GRAHAM, S. Charles Borromée et l'éducation du clergé. Ces communi-
cations seront publiées dans la Cath. hist. review.
Décès. — Le Dr GaiLLzarp HuNT, né à New-Orléans en 1862, président
de l'American catholic historical association, auteur de plusieurs ouvrages sur
l'histoire politique des États-Unis, décédé le 20 mars 1924.
Le Dr Maurice Francis EGAN, né à Brooklyn, N. Y., en 1852, professeur
de littérature anglaise à l’université catholique de Washington, auteur d'une
vie de S. François d’Assise et directeur de l'Zlustratel weekly catholic review,
décédé le 15 janvier 1924.
FRANCE. 611
M. Ro8ErT HaALLowBD GaARDINER, né à Ft. Tejon, Calif., en 1855, mort le
15 juin 1924. Membre de l'Église épiscopalienne et grand admirateur de
l'Église catholique, il a été un apôtre fervent de la réunion des Églises.
Depuis 1910, il fut secrétaire de la World Conference et publia plusieurs
brochures et articles sur l’union. M. Ralph W. Brown (P. O. Box 226, Boston,
Mass., U. S. A.), à pris sa succession comme secrétaire de la World Con-
ference. A. P.
France. — Les fascicules XVII et XVIII du Dictionnaire d'Histoire et de
Géographie ecclésiastiques (Arabie-Arezzo. Paris, Letouzey, 1924. Tome III,
col. 1185-1670) contiennent la fin d'un très long article consacré à l'Arabie par
M. AIGRAIN qui n’est point pourtant spécialiste en la matière. — L'article
Aragon était difhcile à traiter, parce que l’histoire des origines de ce royaume
reste enveloppée d’obscurité. Le chapitre qui a trait à la politique religieuse
des rois aragonais appelle l'attention. M. LAMBERT montre que l’on ne sait
encore rien de définitit sur l’origine du tribut payé par les rois au Saint-
Siège. Il arrête son récit à l’année 1291, comme si le paiement n'avait pas
souffert des difficultés aux âges suivants et n'avait pas sa propre histoire.
L'auteur aurait dû caractériser de façon plus fouillée la politique suivie par
l’Aragon à l'égard des papes. Il a quelque peu négligé ce qui concerne les
époques postérieures au xir1e siècle. Et pourtant les récentes publications de
M. H. Finke et certaines autres permettent de saisir sur le vif l’action diplo-
matique des rois d'Aragon cherchant avec duplicité et un art souverain à
s'agrandir aux dépens du royaume de Majorque, de Louis d'Anjou et de
Pise, et finalement avec Alphonse V réussissant à s'établir à Naples. D'autre
part, le Saint-Siège s’ingénie à contrecarrer de toutes manières les projets
d’agrandissements territoriaux de l’Aragon, avec non moins d'adresse.
Somme toute, l’état de guerre existe entre les deux pouvoirs sur le terrain
diplomatique, mais il ne parvient jamais jusqu'aux mesures irréparables.
Toutefois il est suffisant pour éclairer une question que traite trop succincte-
ment M. Lambert, je veux dire celle des nominations épiscopales (col. 1369-
1370). Ce n'est pas par désir unique d’enrichir leurs compatriotes que les
papes du xIve siècle nommèrent des français aux évêchés aragonais, c'est
plutôt pour des motifs politiques, afin de ne pas donner aux rois des auxi-
liaires dévoués et de leur créer des embarras. C’est du moins ce qui semble
ressortir de la lecture des documents contemporains. M. Lambert voudra
bien me pardonner si je lui signale un autre oubli. Comment n'a-t-il pas
exposé le régime bénéficial qu'institua en Aragon le concordat passé avec
Martin V en 1418 ? Le reste de l’article, j'ai hâte de le dire, mérite des
éloges. Il rendra des services signalés à ceux qu’intéresse l’histoire com-
pliquée de la péninsule ibérique. — La question de l’Arcane (col. 1497-1513)
a déjà fait couler beaucoup d'encre. M. VACANDARD l’examinec à nouveau,
après avoir longuement exposé les rites des mystères d'Eleusis, d’Isis et de
Mithra. Voici sa théorie. L'arcane chrétienne existait sûrement au re siècle,
Elle est attestée par Origène et par Tertullien, en termes qui ne permettent
pas le doute. Son origine remoate très probablement à la seconde moitié du
ne siècle. Les plus anciennes traces qui existent seraient fournies par saint
Justin, c’est-à-dire aux environs de l’an 150. Au 1vt siècle, l’arcane est en
honneur, Athanase, Cyrille de Jérusalem, les Constitutions apostoliques, Jean
Chrysostome, Basile, Épiphane, Ambroise, Innocent Ier, Augustin la men-
« -
612 CHRONIQUE.
tionnent. La décadence commence avec le pontificat d'Innocent Ier. L'arcane
n'existe plus qu’à l’état de souvenir à l’époque de saint Grégoire le Grand.
Au reste, il ne faut pas en exagérer l’importance. Saint Athanase, saint
Basile, Eusèbe, Cyrille d'Alexandrie et ‘I héodoret dévoilèrent les doctrines
chrétiennes maintes fois, sans tenir compte de la discipline sévère qui leur
était contemporaine. Si l’arcane exista, en quoi consista-t-elle réellement ?
Si elle a des ressemblances avec les mystères paiens, ces ressemblances
sont cxclusivement extérieures. Les mêmes gestes ou les mêmes mots
figurent des choses essentiellement différentes. L’'initiation paienne donnait
à celui qui la recevait l’assurance de son propre salut. Elle ne l’obligcait
aucunement à un changement de vie. Elle n’opérait en lui nulle conversion.
Elle agissait donc comme une formule magique. L'initiation chrétienne, au
contraire, purifait par l'apport de la grâce qui aidait à travailler à la sanc-
tification de l’âme. L’embarras de M. Vacandard se découvre quand il s’agit
de préciser les points de doctrine et de la liturgie que l’on cachait aux caté-
chumènes et aux paiens. Là-dessus, il ne se prononce pas. Toutefois, il
prend plutôt position contre Mgr Batitlol pour lequel l'arcane n’aurait été
qu'une règle catéchétique ou une méthode pédagogique, et penche pour
l'opinion de Funk qui faisait « justement remarquer que l’enseignement
donné aux catéchumènes ne comprenait ni la formule du baptéme ni la
notion de l’eucharistie », — M. L. LEGRAND a traité avec compétence la
question Archives ecclésiastiques avant et après la Grande Révolution. Son
étude très documentée constitue un excellent instrument de travail, mais
elle ne concerne que la France. On ne nous promet qu’une étude sur les
Archives du Vatican. Des autres existant en pays étrangers nulle mention.
Il y a là une lacune regrettable à laquelle il conviendrait de remédier. —
Parmi les personnages de premier ou de second plan que mentionne le
Dictionnaire, il convient de citer les espagnols. M. LAMBERT ne s’est pas
contenté de consulter les ouvrages imprimés qui en traitaient. Il s’est encore
servi de documents d'archives dont l'importance n’échappera pas aux éru-
dits. Les articles Aragon (Hernando de), Aragon (Juan II de), Aragon V
Anjou (Juan de), Aranda (Pedro Pablo), Arce (Ramon José de) sont des
modèles du genre. — M. AUDOLLENT a exprimé l'avis qu’Arcadius, martyr
de Maurétanie, n’a pas dû souffrir un supplice aussi etfrayant que celui que
nous dépeint sa Passion. Il admet qu’il mourut peut-être le 12 janvier 305. —
M. BRÉHIER a le talent de faire revivre ses personnages. Arcadius, le pre-
mier empereur d'Orient, nous est dépeint en quelques mots. « De petite taille,
maigre, chétuf, le teint basahé, il avait dans toute sa personne, dans sa
parole, dans ses yeux qu’il fermait d’une manière maladive, une complète
expression d’indolence ». Et c’est pourtant sous un prince si faible de volonté
que s’accomplit un événement d'une importance capitale : le partage de
l'Empire | G. MoLLAT.
— La publication du Dictionnaire de théologie (Paris, Letouzey et Ané)
avance rapidement, grâce à la vigourcuse impulsion que lui donne son
nouveau directeur, M. E. AMANN. Pendant quelques mois ont paru successi-
vement neut fascicules (LVI-LXIV, Znjiuëles (salut des)-Jeüne) dans lesquels
nous relevons les articles les plus importants relatifs à l'histoire de l'Église.
Louchant Île problème du salut des Jnfidèles (t. VII, c. 1726-1930), le
R. P. HARENT, S. J., énumère les opinions hétérodoxes et cherche à déter-
painer la vraie solution au moyen de la tradition patristique et scolastique.
FRANCE, 613
Au point de vue historique, il emprunte beaucoup d'éléments de son exposé
à l'ouvrage que M. Caperan a fait paraître sur cette question en 1912. — Sur
les papes qui ont porté le nom d’{nnocent, nous trouvons une série d'excel-
lents articles (c. 1940-2016), dûs à la plume de MM, AMaANN, MoLLaAT et
Paquier. — Les origines et l’organisation de l'Inquisition (c. 2016-2068) sont
exposées d'une façon remarquable par M. E. Vacanparp. — L'étude sur
S. Irénée (c. 2394-2536) de M. G. BAREILLE analyse longuement les écrits de
ce Père en vue d’en fixer la doctrine. Elle suit pas à pas toutes les discussions
anciennes et modernes qui se sont élevées à ce sujet. — Le même auteur
résume très bien ce que nous savons au sujet de S. /sidore de Péluse (t. VILL
c. 84 98) et de S. Isidore de Séville (c. 98-111). — Sur l’état religieux actuel de
l'Italie (c. 115-187) le R. P. ORTOLAN donne de nombreuses statistiques qui
peuvent intéresser l'histoire contemporaine de ce pays. Plus important pour
l'historien semble être le répertoire qu’il dresse (c. 187-242) des publications
des auteurs catholiques italiens sur les sciences sacrées. Quoique pour plu-
sicurs périodes il ne donne guère plus de renseignements que le Nomenclator
du P. Hurter, pour d’autres cependant il dépasse notablement celui-ci. — Le
très long article de M. J. CARREYRE sur le Jansénisme (c. 318-529) contient
avant tout une analyse détaillée (c. 330-447) de l'Augustinus de Jansénius ; il
cxpose aussi les premières luttes jansénistes jusqu’à la paix de Clément IX,
l’histoire des controverses postérieures devant être traitée sous le nom de
Quesnel. C’est une étude fort consciencieuse qui rendra surtout service aux
théologiens. — Plusieurs personnages célèbres ont porté le nom de Jean. Ils
ont chacun leur notice spéciale, proportionnée à leur rôle et à leur influence.
Sur S, Jean, l’apôtre et l’évangéliste, (c. 537-593) M. L. VENARD donne une
bellc dissertation comprenant l'examen critique de tous les problèmes qui se
posent touchant l’évangile, les épitres et l'apocalypse que la tradition attribue
à cet apôtre. — Les biographies des nombreux papes qui ont pris le nom de
Jean (c. 593-644) sont encore dressécs par MM. AManx et MoLLar. -- L'article
de M. Barpy sur S. Jean Chrysostome (c. 660-690) et celui de M. Juute sur
S. Jean Damascène [c. 693-751) sont fort remarquables et attireront sans
aucun doute l’attention des historiens. Faits l’un et l'autre par des spécia-
listes, ils exposent d’une façon claire et méthodique la doctrine de ces deux
grands Docteurs de l'Église. — Enfin, sous le nom de S. Jean de la Croix
(c. 767-787), le R.P. PascaL Du ST-SACREMENT développe la doctrine mystique
de ce célèbre écrivain et dresse la liste des différentes éditions de ses œuvres.
— M. J. ForGer, dans son article sur S. Jérôme ic. 894-983), retrace la vie de
ce saint et sa grande activité littéraire. Il insiste particulièrement sur l’ensei-
gnement du grand Docteur relatif à des dogmes importants, tels l'inspiration,
l’inerrance et l'interprétation de la Bible, l’origine de l'épiscopat, la primauté
romaine, etc. M. Forget n’a pas seulement consulté les nombreux ouvrages
qui ont été publiés sur ce sujet; il connaît en outre, et à fond, tout ce que
S. Jérôme lui-même nous a laissé. Son étude fouillée sera sans aucun doute
très remarquée et si elle n’apporte pas de solutions neuves à des questions
vieilles et depuis longtemps äâprement agitées, du moins donnera-t-cile des
textes discutés une interprétation müûrement réfléchie et délicatement
nuancéc. — Touchant les Jésuites (c. 1012-1108), lcs RR. PP. LE BAcHELET,
DE Bic et Bouvier font connaître la place qu’occupent les théologiens de la
Compaznie dans l'histoire de la théologie dogmatique, morale et ascétique.
RLVUB D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 39
(514 CHRONIQUE.
Leur exposé est forcément très sommaire ; mais il suffit à mettre en lumière
et à caractériser l'effort immense accompli dans ce domaine par leurs con-
frères — Plus d’un fascicule est consacré à l’histoire de Jésus-Christ et aux
problèmes de théologie que pose sa personne et son œuvre (c. 1108-1411). On
y trouvera non srulement un exposé positif de ces problèmes, mais aussi les
différentes solutions qui ont été proposées au cours des siècles, À commencer
par S. Paul jusqu'aux critiques modernes, A. D. M.
— Appelé à donner les exercices de la retraite d’ordination aux sémi-
naires de Valence et de Grenoble, M. BiarD a étudié les vertus théologales
dont l'importance apparaît si grande dans les écrits et la pensée de l’apôtre
S. Paul, et il a eu l'excellente idée de réunir ses conférences en volume (Les
vertus théologales d'aprés les Épitres de S. Paul. Paris, Gabalda, 1924. In-12,
237 p. Fr. 7). Voici les titres de ces dix entretiens : L’acte de foi selon S. Paul,
l'esprit de foi dans la vic intellectuelle, la foi et la vie morale, la mort
éternelle et la vie éternelle, le jugement et la résurrection, la vertu d’espé-
rance, la charité, la charité reine des vertus, les charismes, l'Eucharistie,
En S. Paul, le rythme ternaire de l'âme, — foi, espérance, amour, — dans
son union avec Dicu, ou plutôt dans sa poursuite de l’union avec le Père, par
le Fils, dans l'Esprit, s'accuse avec plus de force et de constance que partout
ailleurs chez les écrivains du Nouveau Testament. La raison en est sans
doute dans le fait que S. Paul, plus qu'aucun autre, se met tout entier dans
ses leçons et ses exhortations. Il parle, il écrit avec toute son âme. Aucune
page de ses épitres ne peut se détacher de son expérience religieuse. De
toute son âme il a cru, c’est-à-dire qu’il s’est donné et abandonné à celui à
qui il venait de demander : Qui êtes-vous, Seigaeur ? De toute son âme, il a
ancré toutes ses espérances de salut au Christ ressuscité. De toute son âme,
il l’a aimé, d'un amour actif et prèt à se dépenser et se dévouer sans trêve et
sans mesure, Que la foi soit, autant qu’on voudra, un acte d’abandon au
Rédempteur, le contenu intellectuel de cet acte de confiance est toujours
assez riche pour que l’acte d'intelligence nullement aveugle que la théologie
requiert dans sa déhinition de la foi soit toujours facile à discerner. Quant aux
descriptions de l'espérance et de la charité, elles abondent ; elles groupent
autour d'elles, comme des qualités qui leur sont propres, la plupart des
vertus chrétiennes; elles semblent se composer parlois de ces vertus et les
ramener à unc unité plus haute, elles sont le fruit de l’esprit. La foi elle-même
implique uéjà la conversion, l'humilité, l’obéissance.
Toutes ces belles choses ne sont pas exposées d’une façon aride et métho-
dique, ce n’est pas une étude minutieusc, patiente et complète des textes,
mais elles constituent l'aliment substantiel des instructions et des confé-
rences, elles s'accompagnent de conseils et de leçons aux jeunes clercs en
retraite. Lin raison de leur densité et de leurs aperçus nouveaux, elles se
recommandent à l’étude et aux méditations du clergé ct des fidèles instruits.
Tout en nous attachant d’abord à la vérité dont l'Apocalypse sait
nourrir notre âme, dit Mgr Joserx BLaxc, évèque de Dibon, il est avan-
tagcux d’y puiser aussi les émotions que sa poésie nous réserve. Et à l’effet
de mettre cn é idence les qualiiés poétiques des visions de S. Jean, Mgr a
voulu les traduire en vers français {Les visions de saint Jean. Paris, P. Téqui,
1924. [n-12, 371 p. Fr. 10). Si par la versification, dit-il encore, nous n'avons
réussi qu’à enluminer le texte de saint Jean, nous avons tout de même imité,
LI
FRANCE: 615
dans la mesure de nos moyens, les miniaturistes, quelquefois maladroits mais
toujours pieux, qui décoraient les marges des Saints Livres. Nous sommes
convaincu que Mgr Blanc n'a jamais été maladroit ; nous n'avons cependant
pas vérifié la fidélité de sa traduction, et nous n'avons pas qualité pour nous
prononcer sur les mérites de sa versification, Nous sommes allé tout droit au
copieux commentaire qui encadre chaque vision de l’Apocalypse. Celles-ci
sont étudiées dans les dix chapitres de la seconde partie, où l'on traite
successivement de la vision du Fils de l'Homme, des Lettres aux sept
églises, de la vision de la cour divine, des sept sceaux, des scpt trompettes,
de la femme et le Dragon, de la première vision triomphale, des sept coupes,
du triomphe du Christ et de l'Église. La première partie, intitulée : Le cadre
de l'Apocalypse, recherche les rapports entre l’apôtre S. Jean et le livre
mystérieux et examine la lettre d'envoi de l’Apocalypse.
L'Apocalypse est l’œuvre de l’apôtre S. Jean. Les différences qui la
séparent du 1Ve évangile ne prouvent pas que S. Jean ayant écrit celui-ci n’a
pu écrire celle-là. Il existe d’ailleurs entre les deux livres des ressemblances
frappantes quant au plan, à la doctrine, au vocabulaire et au style et quant à
la physionomic de Jésus. La théorie qui fait de l’auteur de l'Apocalypse un
simple rédacteur de documents se heurte à l'unité du livre et à l'opinion
traditionnelle. Ces visions de l’Apocalypse ont eu lieu à Patmos ; elles furent
écrites sous l'inspiration divine au temps de la persécution de Domitien et
racontent des phénomènes réels de vie mystique dont la composition littéraire
n'est que l'exposé. L’Apocalyse n’enseigne pas l'imminence de la Parousie ;
celle suppose au contraire un temps considérable avant la dernière venue du
Christ. Elle contient le développement prophétique de certains événements
qui servent d'expression aux lois de l’histoire humaine. Si elle renterme de
profonds mystères, elle brille aussi de grandes clartés et constater l'obscurité
des premiers ne nous prive pas des Jouissances qu’apportent les secondes.
Personne n’approche ;lus de la vérité, dit S. Léon, que celui qui comprend
que, dans les choses divines, même cn faisant de grands progrès, il reste
toujours à chercher davantage.
Ces conclusions très sages sont développées au cours du commentaire dans
un style clair, alerte et précis. Elles se rapprochent beaucoup de celles du
P. Allo dont l’auteur a lu les articles dans la Revue biblique, mais dont il ne
parait pas connaître le grand ouvrage sur l'Apocalypse. Mgr Blanc cest
d’ailleurs bien documenté. Il a consulté des théologiens comme S, Thomas,
Franzelin et Billot, des commentateurs déjà anciens comme Bossuet et
Maldonat, les meilleurs cxégètes français contemporains comme Vigouroux,
Fillion, Fouard, Le Camus, Lagrange, Vincent, Dhorme, Batitfol, Jacquier,
Lepin, Lebreton, Prat, etc., les travaux de Van Hoonacker et de Swete, le
dictionnaire de Hastings et celui de Vigouroux, la Revue biblique, etc. Il cite
très souvent le P. Calmes, mais ne l'aime pas beaucoup et n’est presque
jamais d'accord avec lui. Bref, un livre intéressant et très sensé et l’auteur
est trop modeste quand il avoue le sentiment de son insuthsance après avoir
essayé non pas d’expliquer l’Apocalyse, mais seulement de l’étudier.…
É. ToBac.
— L. Marion, Histoire de l'Éyrlise. 8e édit. revue par V. Lacomue. Paris,
Roger et Chernovic, 1923. 4 vol. in-8, xxx11-609, 670, 623 et 666 p. — L'His-
toire de l'Église du regretté x. Marion se recommandait par trop de qualités
pour lui faire s1bir une refonte complète, Aussi M. Lacombe s'est-il coue
L
e
-
616 CHRONIQUE.
tenté de remettre l'ouvrage à iour. Comme principales modifications qui
y ont été introduites signalons : la division de la matière en quatre volumes
au lieu de trois ; l'addition de nombreuses références bibliographiques, d'une
table chronologique des rois et empereurs et d’une liste alphabétique des
papes. Nombreuses sont en outre les corrections de détails.
L'heureuse combinaison de l’ordre chronologique et logique, l’abondance
et la plénitude des matières, la sûreté doctrinale, la clarté et la simplicité
du style rangent le livre de M. Marion parmi les meilleurs manuels destinés
à l’enseignement de l'histoire ecclésiastique dans les séminaires. Nous ne
ferons pas un grief à l’auteur de s’en tenir de préférence aux conclusions
traditionnelles, mais, sans se mettre à la remorque des certains démolisseurs,
il aurait pu mettre mieux à profit les ouvrages des grands historiens
modernes.
M. Lacombe ferait également œuvre utile en modifiant quelque peu, dans
une prochaine édition, les notes du bas des pages. Beaucoup de détails y
contenus seraient avantageusement insérés dans le texte. Ensuite, les ren-
seignements bibliographiques qu’elles renferment gagneraient à être plus
sobres ct plus judicieux ; un manuel ne s'adresse pas à des spécialistes ct
doit, dès lors, se borner à signaler les meilleurs ouvrages et surtout les meil-
leurcs monographies.
Sans aucun doute, l'Histoire de l'Église de M. Marion, revue par V. La-
combe, trouvera dans les séminaires et chez les membres du clergé, ua
accueil aussi bienveillant que les éditions antérieures. V. SEMPELS.
— La librairie V. Lecoffre réimprime le Manuel d'Histoire ecclésiastique
du R. P. P. ALBERS, S. J., adapté sur la deuxième édition par le KR. P.
R. HEoDpE, O. P. (Paris, 1923 (10° mille). 2 vol. in-12, 640 et 624 p. Fr. 16).
La Reyue a rendu compte en son temps de cet ouvrage. (Cfr RHE, t. VIII
(1907), p. 314-315 ; t. IX (1908), p. 560-562 ; t. X (1909), p. 212). Il est regret-
table qu’on n'ait pas, à l’occasion de ce nouveau tirage, expurgé les volumes
des traductions inélé;;antes ou incorrectes qui les déparent. On y lit encore
(t. I, p. 313) « lc siège et la prise de Constantinople (717-718) par l’empereur »
Léon III. L'A. avait écrit : « De belegering van Constantinopel in 717-718 en
de overwinning des Keizers ». (Handboek der Algemeene Kerkgeschiedenis,
2e édit., t. I, p. 317. Nimègue, Malmberg, 1908). L'adaptation française
ne tire pas profit des améliorations apportées dans le texte et la bibliographie
des éditions néerlandaises subséquentes. Dans la deuxième édition, le P. A.
écrivait qu’à la suite du concile de Pise, les papes gardèrent leurs obfdiences :
« Bencdictus, in Spanje, Schotland, Corsica, Sardiniëé, enz., Gregorius in
Italië, Duitschland, Noorwegen, Zweden, enz. » (t. Il, p. 175); la quatrième,
en 1917, s'exprime de façon plus précise : « telden tot hun obedienties : …
Gregorius : een klein stuk in Italiëé, een gedeelte van Duitschland, Noorwegen,
Zweden, enz. » (t. II, p. 175). La traduction inchangée et chaque fois infidèle
attribue à « Benoit XILI : l'Espagne, l’Ecosse, la Sardaigne, etc.; Gré-
goire XII, l'Italie, l'Allemagne, la Suède, la Norvège, etc. » (t. II, p. 23). Pas
davantage les fautes d'impression n’ont été corrigées ; on retrouve Geiséric
(t. I, p. 171), Pie VI (1785-1799) au lieu de 1773 (t. Il, p. 430), Bruyère pour
Brugère (t. If, p. 558), et combien d’autres! Le Manuel eût gagné à leur
correction. Il méritait ce soin. P. DEBoNGNIE, C. SS.R.
— L'ouvrage de M. l’abhé G. BruNHES : Cluistianisme et catholicisme
(Paris, Beauchesne, 1924. xx1x-430 p. Fr. 12) contient une partie historique
FRANCE. 617
se rapportant à l'institution de l'Eglise par le Christ, aux o:igines de l'épis-
copat et de la papauté. L'auteur n’a pas. évidemment, la prétention de jeter
unc lumière nouvelle sur ces ques‘ions tant débattues. Poursuivant un but
franchement apologétique, il se contente de résumer quelques travaux fran-
çais, notamment ceux de Mgr Batiffol. La documentation nous paraît trop
sobre, même pour un ouvrage de haute vulgarisation. Par contre, l'exposé
est clair et fort méthodique. A. D. M.
— Si nous signalons la publication des conférences du R. P. HÉBERT, parues
avec le titre : Sous le joug des Césars (Paris, Téqui, 1924. In-16, xvi-289 p.
F.7), ce n’est pas évidemment en vue de les recommander aux historiens de
profession qui trouveraient bien peu à y glaner ; c’est plutôt pour relever le
fait de l'intérêt que le grand public commence à prendre à l’histoire de
l'Église. Nous avons ici une série de conférences sur l’histoire de l'Église du
lie et du re siècle. adressées à un cercle d’étudiantes. Le plan est bien
conçu ; l’auteur divise habilement sa matière et ne laisse aucun point impor-
tant de côté. Il a tenu à consulter un certain nombre de bons auteurs; on le
voit s’attarder même à expliquer l’une ou l’autre question de pure érudition.
Toutefois, je me permettrai de faire une double remarque : le ton partois
badin, qu’il a employé sans doute pour voiler l’aridité du sujet à l’auditoire
un peu spécial qui l’entourait, nuit à la valeur de l’ouvrage et risque de
choaucr ; d'autre part, je me demande si des non-professionnels retien1ent
beaucoup d’un exposé aussi soucieux de détails et qui s'efforce d’être un
résumé aussi consciencieux de manuels autorisés et s’il ne vaudrait pas mieux
leur présenter une synthèse micux condensée qui n’entendrait leur proposer
que les lignes maîtresses du développement historique dans un langage
adapté à leurs connaissances. J. FLamion.
— L'antique Hadrumète des Phéniciens, qui eut des évêques dès le
11e siècle, prit le nom de Sousse après sa restauration par Bélisaire (523) et
compte aujourd’hui 25.000 habitants.
Son antique chrétienté a laissé des catacombes, les plus vastes de l’Afrique,
où l’on compte à présent plus de quinze mille tombes. Si elles sont moins
riches que celles de Rome, notamment par l'absence de peinture à sujets
bibliques, on ÿ trouve pourtant quelques vieux emblèmes chrétiens : ancre,
colombe, un Bon Pasteur gravé sur marbre, et, avec leurs nombreuses
galeries demeurées intactes, clles l’emportent sur les catacombes romaines
par le bon état de conservation.
La découverte des catacombes d'Hadrumète est due à Mgr LEynaAuUD,
aujou-d'hui archevêque d'Alger, et à ses collaborateurs : le docteur Carton ct
le 4me régiment des tirailleurs algériens. Les fouilles méthodiques se sont
poursuivies avec intervalles de 1903 à 1917 et ont abouti au déblaicment de
quatre cimetières souterrains, dont trois chrétiens et un paien.
Mgr Leynaud publia en 1909 une première étude d'ensemble sur ses
découvertes mais, dans une seconde édition (Les catacombes africaines. Sousse-
Hadrumète. Alger, J. Carboncl, 1922. In-8, xxxvi-502 p., 109 fig., 197 fac-
similés d'inscriptions), il décrit aussi l’importante catacombe de Sévère,
déblayée à partir de 1910, il mentionne une cinquième catacombe d’'Hadru-
mète et termine son ouvrage par un chapitre de conclusions dogmatiques.
La description de chaque catacombe débute par l'historique et le journal
CIS CHRONIQUE.
des fouilles; les tombeaux et galeries, les inscriptions, les emblèmes, les
Jampes nombreuses utilisées pour l'éclairage des galeries, les autres objets
trouvés sont ensuite passés en revue. Le texte est appuyé par une abondante
illustration, qui met sous les yeux du lecteur le plan des galeries, l’épigraphie
des inscriptions, les principaux objets et emblèmes.
Des indices certains permettent d'attribuer beaucoup de tombes au
tie siècle, mais d’autres tombes ou galeries doivent remonter plus haut
encore : au 11 ou même à la fin du rer siècle.
Le tracé des galeries rappelle celui des catacombes romaines. Beaucoup
de loculi sont fermés par des dalles en terre cuite; les inscriptions, géné-
ralement très courtes, sont souvent tracées au fusain, ou gravées à la pointe
dans la chaux. Les mosaïques tombales avec inscriptions sont nombreuses.
La plus importante est celle d'Hermès avec l’Ichtus enroulé sur l'ancre
cruciforme (p. 311). R. M.
— Le manuel du R. P. GALTIER, S. J., De Poenitentia. Tractatus dogmatico-
historicus (Paris, Beauchesne, 1923. In-8, viri-480 p.) n’expose pas seulement
les doctrines théologiques relatives au sacrement de pénitence ; il étudie
aussi les origines et le dévelopnement de la discipline pénitentielle durant
les premiers siècles de l’Église. Dans cette partie historique, les conclusions
ne sont généralement pas nouvelles ; elles reposent cependant sur de nom-
breux témoignages, empruntés aux premiers écrivains ecclésiastiques Notons
simplement que, d’après le KR. P., la pénitence publique était celle qu’accom-
plissaient les fidèles à titre de pénitents officicis « in ordine poenitentium».
Le KR. P. donne aussi un résumé parfait de l'étude de N. Paulus sur l'évolution
de la doctrine indulgenticlle. AM. TEETAERT, O. M. C.
— Les Notes bibliographiques sur la contemplation infuse, publiées par le
R. P. P. ScHeuER, S. J., dans la Revue d’ascétique et de mystique (1923-1924.
In-8, 47 p.), complètent notablement la liste d'auteurs mystiques que le
P. Poulain avait dressée dans son livre sur les Gräces d’oraison. Alors que
celle-ci ne comprend que 161 numéros, les Notes du P. Scheuer en donnent
710 et énumèrent les principaux écrivains allant du xr1e au xxe siècle. On y
trouve non seulement les ouvrages orthodoxes mais aussi ceux qui ont été
condamnés. On regrettera, cependant, que le P. Scheucr n’ait pas repris Îles
indications bibliographiques signalées dans le livre du P. Poulain, et qu'il se
soit contenté de renvoyer simplement à celui-ci. D'autre part, malgré Îles
lacunes qu’elles peuvent présenter, ses Notes rendront un réel service aux
historiens de la théologie mystique. A. D. M.
— En 1897 Mgr N. Marin, qui devint ensuite cardinal et mourut en juillet
1923, donnait une série de conférences sur L’esthétique du Stabat. Elles vien-
nent d’être traduites cn français et publiées avec notes par M. J. C. Brocus-
SOLLE (Paris, P. Téqui, 1923. In 8, xx11-181 p.). Il s'agit d’un pieux
commentaire sur l'un des plus beaux cantiques à la Vierge. Toute recherche
d'érudition en est absente ct il ne faut mème pas y chercher des renseigne-
ments iconographiques, comme on serait tenté de le faire en voyant les
vignettes dont le traducteur a illustré l’ouvrage. M. Broussolle se réserve de
traiter dans un volume à part de l’iconographie du Stabat,
FRANCE, 619
M. Az. MASSERON consacre à Saint Yves, le saint populaire de Bretagne,
un fascicule (le quinz'ème) de la gentille collection L'art et les saints (Paris,
H. Laurens, s. d. In-8, 64 p. et fig.). Le procès de canonisation, qui eut lieu en
1330, vingt sept ans après la mort du saint, fournit plus d’un renseignement,
qui contribue à rendre sympathique le patron des avocats, à la fois juge
intègre, défenseur des pauvres et des causes justes, prêtre charitable et
mortifié. Sodoma et Jordaens l’ont glorifié par de vraies œuvres d’art, mais
le souvenir d'Yves Haclori de Ker-Martin est surtout vivace dans les églises
et les calvaires bretons : placé entre le riche et le pauvre, il y est l’un des
thèmes favoris de la sculpture régionale,
M. l'abbé V. LeroQuaIs annonce la publication (chez l’auteur, à Paris)
d’un important ouvrage sur Les Sacramentaires et les Missels manuscrits des
bibliothèques publiques de France (Impression Protat à Macon, phototypie
Barry frères; prix de la souscription : 300 frs). Il paraîtra (en 1924) quatre , -
tomes in-40 ; Ics premiers contiendront la description technique et la biblio-
graphie de 914 manuscrits, distribués en trois séries chronologiques (viie-
XIIe X1IIe-XIVE; xve-xviie siècles). Le tome IV donnera 125 planches de
miniatures reprises à des missels et des sacramentaires, depuis le missel de
Bobbio (vire siècle) jusqu’à celui de Pierre Ponard (1647).
Le bréviaire de la collection Mayer van den Bergh à Anvers, beau manus-
crit enluminé de l’école Ganto-brugeoise, est apparenté à l’Hortulus animae
de Vienne. Dans ses décors d’architecture, qui n'apparaissent pas avant 1508,
il semble être antérieur au bréviaire Grimani, qui était achevé en 1520.
(Ep. MicHeL, dans Gazette des Beaux Arts, 1924, 5me pér., t. IX, p. 193-204,
pl. etfig.)
La géographie monumentale de la France aux époques romane et gothique
(Paris, H. Champion, 1923. In-4, 45 p., vi pi.) n'est que la réimpression d’un
article de M. J. A. Bruraizs paru dans le Moyen Age (2° sér., t. XXV,
1923). On y trouvera des remarques justes ct suggestives sur la formation
et l'aire de diffusion des grandes écoles d'architecture en France. Mais
l’au‘eur n'entre guère dans le détail : ni des caractéristiques des écoles, ni de
leurs limites géographiques précises, ni de leur durée. Il oppose les écoles du
midi à celles du nord et n’examine aucune des questions controversées sur
l'existence de telle ou telle école en particulier.
La maison Albert Morancé, Librairie centrale d’art et d'architecture,
avait entrepris, depuis plusieurs années avant la guerre, la publication d’une
série d'ouvrages à grandes et belles planches se rapportant à l'architecture.
Mais plusieurs de ces ouvrages demeurent inachevés. Celui qui concerne
L'art roman en Italie, commencé par M. Camizze MARTIN en 1912, en était
resté au milieu de la seconde série de 8v planches. [l vient de recevoir un
complément, achevant la série et l'ouvrage. Les planches, se rapportant toutes
à l'Italie du Nord, étaient choisies déjà pa” le premier éditeur. M. C. ENLART,
qui lui succède, s’est chargé de les commenter en quelques pages d'analyse
claire et érudite {Paris, 1924. In-fol., 20 p., LxxX pl.).
Une Exposition de l’art ancien au pays de Liége a été ouverte à Paris du
20 mai au 30 juin. Parmi les œuvres d'art très variées qui s’y trouvaient
réunies Jes plus remarquables étaient les orfèvreries et dinanderies reli-
(20 CHRONIQUE.
gieuses et les meubles du xvirie siècle. Le catalogue (Liége, Bénard. In-8,
z05p ct fig.) c\mprend une description succincte des objets exposés. L’intro-
duction générale par M. M. LAURENT (p. 19-41) donne un aperçu complet et
suggestif sur le passé artistique du pays de Liége. Parmi les avant-propos
pour les diverses sections, signalons les pages érudites (45-51) consacrées par
MM. J. de Borchgrave d'Altena et J. Coenen à l’art religieux.
L'Envoi de Namur à l'exposition d'art ancien liégeois à Paris a été com-
menté dans une note intéressante de M. F. CourToy, dans Namurcum (1924,
p. 17-25). R. MAERE.
— La brochure de M. l'abbé Henri THÉOLES, intitulée : Le Vitrail d’Apt et
le retour de la Papauté d'Avignon à Rome (Avignon, D. Seguin, 1924. In-8,
52 p.) offre un trécl intérêt au point de vue de l’histoire générale. Elle
démontre, par un testament du 18 juin 1317, que le culte de sainte Anne
était en honneur à Apt bien avant cette date. D'autre part, elle € ablit l’exis-
tence d’un voyage du pape Urbain V dans cette ville au mois d'octobre 1365,
d’après un registre des délibérations de la commune. Il est très vraisem-
blable que le pontife offrit lui-même le vitrail mutilé qui subsiste encore der--
rière le maître-autel de la basilique Sainte-Anne. En tout cas, l’œuvre même
témoigne d’allusions très claires au prochain départ pour Rome. G. M.
— Jcan de Mont-Corvin, O. F. M. (1247-1328), a été un des missionnaires
les plus intrépides et les plus courageux des xirie-xive siècles. Après avoir
traversé la Chine, en préchant l'Évangile, il devint le premier évéque de
Khaubalig (Peking}. Son activité vraiment remarquable a été longtemps
oubliée. Ce fut Wadding qui, le premier, la fit connaître. Le R. P. À. VAN
DEN WYyNGAERT, O.F. M., vient de lui consacrer une plaquette (Jean de
Mont-Corvin, O. F. M., premier évêque de Khaubalig [Peking]. Lille, Descléc,
De Brouwer et Cie, 1924. In-8, 57 p.) où il expose la carrière si agitée du
grand missionnaire. C’est un récit agréable et attachant qui s'appuie sur une
solide documentation. À. D. M.
— Dom L. GiILLET, de l'abbaye bénédictine de Farnborough, a donné une
étude sur « Le génie du rite byzantin » dans les Questions liturgiques et parois-
siales (juin 1924, p. 81-90) qui mérite de retenir l'attention. Il examine les
divers apports qui influèrent sur la formation de ce génie : il y voit un
élément oriental, imaginatif, poétique, symboliste et tendant vers le mystère ;
la contribution néo-romaine se caractérise par son formalisme, son hiérar-
chisme et son cérémonialisme. A ce propos, l’A. signale que l'esprit liturgique
byzantin a exercé sur la culture russe médiévale une influence prépon-
dérante, il donne des indications précieuses de bibliographie, des directives
intéressantes pour les historiens qui voudraient étudier ce point de vue
délaissé. Le facteur hellénistique du génie liturgique de Byzance est un
élément spéculatif,
Mr HERBELIN, en retraçant l’histoire des Francs de Beaucourt, a voulu
apporter une contribution à l'histoire des institutions. (Les Francs de Beau-
court — 11722 à 1589 — ou les seigneuries de Delle [Alsace] et de Blamont
[Bourgngne| à Beaucourt. Belfort, 1923, 58 p.). Il expose comment ct de qui
ces affranchis reçurent leurs privilèges, dont il détermine la nature. Cette
plaquette n'offre guère beaucoup d'intérêt : les idées et les faits sont donnés
sans ordre et l’esprit critique y parait souvent absent, J: LAVALLEYE.
FRANCE. 621
— Le livre de M. Josepn FaAuREY, La Monarchie française et le Protestan-
tisme français (Paris, E. De Boccard, 1923. In-8, IX-176 p.) donne sans apparat
critique une bonne vue d'ensemble sur l’histoire du protestantisme en France,
depuis le commencement jusqu’à l’édit de 1787, à la veille de la Révolution
Française. Récit du « grand duc) engagé au début du xvie siècle entre la
monarchie française et le protestantisme français », cette synthèse tient plus
de la philosophie de l'histoire et de la haute vulgarisation que du travail
critique. P. M. Prerre.
— Nous signalons l'ouvrage de l'abbé RoussEL « Le monastère de l'Annon-
ciade céleste de Langres » 1623-1923 (Saint-Dizier, Brulliard, 1923. In-8, 128 p.),
paru à l'occasion du troisième centenaire de la fondation du couvent. Cette
brochure se recommande autant par l’aisance du style que par la sûreté de la
documentation ; l’auteur a puisé ses renseignements aux sources d'archives.
Il retrace par le menu l’origine du couvent ct ses vicissitudes jusqu’à nos
jours en y ajoutant un chapitre sur le genre de vie qu’on y mène. La seconde
partie du travail est consacrée à la biographie de diverses moniales qui se
sont signalées soit par des vertus remarquables, soit par des qualités spéciales
d'administration. En résumé, une contribution importante à l’histoire des
Annonciades. J. LAVALLEYE.
— Dans l'ouvrage intitulé : La querelle janséniste (Paris, P. Téqui, 1924.
In-8, x11-382 p. Fr. 8), M. l'abbé L. BouRNET n’a pas l'intention de donner,
d’après les sources, une histoire des controverses jansénistes Professeur au
séminaire de Versailles, il veut simplement faire connaître à ses auditeurs,
en s’appuyant sur les meilleurs travaux, les luttes passionnées dont l’abbaye
de Port-Royal a été le principal théâtre. Pour l’exposé des doctrines et des
événements ainsi que pour lappréciation des hommes et des choses,
M. Bournet dép:nd donc des historiens modernes auxquels même il em-
prunte volontiers leurs propres expressions. Cette méthode explique que les
événements du xviie siècle sont beaucoup plus longuement exposés (p. 1-300)
que ceux du xvuic (p. 301-364). Elle justifie Aussi, d’une certaine façon, le
silence presque absolu relatif aux querelles provoquées par le jansénisme
aux Pays-Bas espagnols. D’autre part, elle a quelquefois entraîné l’auteur
à des interprétations de valeur assez inégale : ainsi, si le portrait de Saint-
Cyran est dépeint surtout d'après l'ouvrage de M. Laferrière, c'est-à-dire
d'après le P. Rapin, celui des solitaires s'inspire du Port-Royal de Sainte-
Beuve, c'est-à-dire des relations jansénistes.
On aurait évidemment tort de vouloir faire un reproche à M. Bournet de
n'avoir pas cherché par lui-même soit à combler les lacunes qui existent,
touchant l’histoire du janséisme, dans les travaux modernes, soit à corriger,
d’après les sources, les récits tendancieux de certains auteurs. Comme tous
ceux qui font œuvre synthétique, il ne cherche qu'à bien résumer le résultat
des autres. Or, cette tâche, il l’a bien remplie. Son ouvrage donne, au moins
pour ce qui concerne les luttes jansénistes en France pendant le xviie siècle,
un exposé clair et méthodique.
Le t. IV (2e partie) de l'Histoire partiale, Histoire vraie de M. JEAN
GuiRAUD (12e édit. revue. Paris, Beauchesne, 1923. In-8, 407 p.) est consacré
à l’histoire de la Compagnie de Jésus sous l’ancien régime, ou plutôt à la
réfutation des principales accusations dont les jésuites des xvie-xvirie siècles
ont été l’objet. Ces accusations concernent les constitutions et la politique de
622 CHRONIQUE.
la Compagnie, la doctrine de ses théologiens sur le régicide et sur la morale,
ses confesseurs de rois, enfin les motifs de sa suppression au xvirie siècle.
Pour détruire ces objections, M. Guiraud estime qu'il faut montrer leur
faiblesse en démasquant leur origine et en leur opposant un exposé impartial
des événements, Nous croyons qu’aux yeux de lecteurs non prévenus, il
réussira à détruire plusicurs d’entre elles. Peut-être trouvera-t-on que, pour
certaines justifications, les preuves sont empruntées trop exclusivement à
des écrivains de la Compagnie.
Cette nouvelle édition comporte, en appendice, une explication du bref
Dominus ac Redemptor, que M. Guiraud oppose aux accusations de I. de Ré-
calde (pseud.). A. D. M.
— Les Pères Jésuites de France se proposent de rééditer les œuvres des
grands écrivains ascétiques qui illustrèrent leur ordre au xvite siècle, trop
souvent trahis par leur premier éditeur. Voici La vie et la doctrine spirituelle
du Père Louis Lallemant, publiée à nouveau par le R. P. ALoys PoTTIER, S. J.,
d’après l’édition du P. Champion de 1694. (Paris, Téqui, 1924. In-12, 550 p.
Fr. 12). En l'absence de tout manuscrit, le R. P. s'est borné à reproduire, en
le corrigeant çà et là, le texte de l'édition princeps. Dans l'introduction,
l'éditeur cherche à établir le degré d'authenticité du texte. Retrouve-t-on
dans les notes des Pères Rigoleuc et Surin l'écho fidèle des conférences de
leur maître de troisième an? Sans doute, sa doctrine si ferme n’y est pas
défizurée, mais son style, ses expressions ? Le P. A. P. croit pouvoir répondre
par l’affirmative, en comparant les tournures de phrases, la noblesse naturelle
du P. Lallement, la familiarité du P. Rigoleuc, etc. Arguments qui ne man-
quent pas de valeur, mais n’emportent pas la conviction. Quant à l’ordre
adopté, l'éditeur ne pouvait guère s’écarter de l’usage reçu, sans dérouter
plutôt qu’aider son lecteur. Pour compenser l'inconvénient de cette disposi-
tion peu logique et compliquée, le P. A. P. a multiplié les renvois aux pas-
sages parailèles. Malheureusement plusieurs de ces références sont incor-
rectes. Ainsi p 222, les chiffres :. VI, $ IT, IV, 55, doivent se lire : VI, S. VI,
IV,S5; pp. 232, on renvoic à IV,1IV,8; ce chapitre IV ne compte que sept
articles; etc. Les corrections apportées au texte primitif sont en général
heureuses : p. 119, l'éditeur a pu rétablir toute une ligne omise. On regret-
tera pourtant de ne pas trouver chaque fois en note le mot corrigé dans le
texte. L'éditeur y aurait gagné sans doute, de ne pas écrire prince, p. 224, au
lieu de maïtre, en correction au mot nature, et le lecteur de contrôler sans
peine. La correction de la en sa, p. 382, ne s’imposait pas, ce semble, ni
d'autres semblables. De légères taches de ce genre n'empècheront pas
d'apprécier ce travail Le P. A. P. l'a enrichi de nombreuses et savantes
notes doctrinales et biographiques, d’un plan logique, d'éclaircissements, de
tables, qui rendront plus maniable le livre et plus facilement intelligible la
doctrine d’un maître justement célèbre.
Pour faire suite aux études littéraires du P. G. Longhaye, le KR. P. A.
Brou, S. J, entreprend la publication d’un ouvrage important, Le dix-
huitième siècle littéraire, dont le premier volume, Avant l'Encyclopédie,
vient de paraître (Paris, Téqui, 1923. In-8, xv1-460 p. Fr. 7,50). La méthode
rappelle plutôt Brunetière ou Lanson que le maitre jésuite, de qui l’A. se
proclame le disciple. Sans néeliger la critique proprement littéraire, le P. B.
fait un tableau rapide, mais clair et plein de vie, du mouvement religieux,
FRANCE. 623
scientifique et politique de ce siècle si funeste à la fois et si intéressant. Vue
d'ensemble où il est tenu compte, lc lecteur est prévenu à la première ligne,
de la vérité chrétienne. Les renseignements biographiques, les analyses
littéraires, les références dont ce livre est bourré le rendront précieux aux
professeurs et aux étudiants d’histoire ecclésiastique.
Les lecteurs de cette Revue ont pu se rendre compte de l'intérêt renouvelé
qui s'attache à la vie et aux révélations d’Anne-Catherine Emmerich (Cfr
RHE, 1924, t. XX, p. 131 et 314). La vie de la stigmatisée de Dülmen, par le
P. K.E. SCHMOoEGER, C. SS. R., traduite par E. De CazALËs, vient d’être
réimprimée : Vie d’Anne-Catherine Emmerich (Paris, Téqui, 1923. 3 vol. in-12.
XVI-544, XVI-495 ct 591 p. Fr. 24}. M G. DiIRHEIMER publie un ouvrage
dont le titre indique l’objet : Anne Catherine Emmerich, la visionnaire stigma-
tisée de Dülmen et Clément Brentano son secrétaire. Étude sur l'authenticité des
visions d’'A.-C. Emmerich (Paris, Téqui, 1923. In-12, Xvi-240 p.). Après avoir
raconté la vie de Clément Brentano, poète romantique devenu catholique
militant, et décrit les tribulations et les charismes d’A.-C. Emmerich, l’auteur
passe à l’étude de leur collaboration. Il conclut que, d’une façon générale, et
sans nier l'influence de diverses causes involontaires d’erreur (l'A. en dénom-
bre huit, p 198), les visions sont d'origine surnaturelle et nous ont été fidèle-
ment transmises par le « Pèlerin », secrétaire consciencieux. Sur ce dernier
point, on ne peut que lui donner raison. Attendons pour nous prononcer sur
le premier l'ouvrage où M. D. se propose d'étudier en elles-mêmes les révé-
lations. Le présent travail se recommande par son allure méthodique, une
enquête étendus, un raisonnement serré. On regrettera l’imprécision des
références, l’absence d’une bibliographie complète et, dans la table des
matières, d’unc pagination suffisante.
La vie que vient d'écrire M. DE LavaL : Une âme de lumière. Le baron
Francois d’Yvoire (Préface d'HENRI BoRDEAUX. Paris, Téqui, s. d. (1923). In-
12, LXI1-382 p. Fr. 7) présente plus d'un intérêt. On y trouvera le récit d’une
vie chrétienne et dévouée aux nobles causes, des notes et des documents sur
certains personnages marquants, tels Mgr Dupanloup, le Comte de Paris, sur
des événements d'importance, comme le 4 septembre, le ralliement. L'évêque
d'Orléans avait reçu le baron d’Y voire sous sa direction et l’avait engagé dans
diverses entreprises, par exemple, la rédaction de « la Défense », la candi-
dature à la députation en 1869. La correspondance du gentilhomme savoyard
et ses souvenirs ne contiennent aucune nouveauté sensationnelle. Ils
éclairent certains côtés de l’histoire de France au xixe siècle.
Les spécialistes liront avec intérêt la curieuse et véritable histcire d’Une
possédée contemporaine (1834-10r4), Hélène Poïrier de Coullons (Loiret), d'après
les notes journalières de trois prètres orléanais transcrites par le Chanome
CHAMPAULT, l'un d'eux (Paris, Téqui, 1924. In-12, 543 p Fr. 10). Les
témoignages allégués, entre autres ceux de Mgr Bougaud et de Mgr Dupan-
loup, la précision et la concordance des notcs prises par plusieurs témoins
convainquent de la réalité des phénomènes mystiques et diaboliques qui
s’entrecroisent dans cette vie. On sera sans doute moins enclin à partager la
foi entière de l’auteur, à recevoir certaines interprétations, par exemple, à
propos des prophéties de la voyante (p. 323). Bornons-nous à remarquer
qu’un mal de tête soulagé par une parcelle de la vraie croix (p. 382), le fait
624 CHRONIQUE.
que l’extatique reconnaît dans le voile de Véronique la Sainte Face dont elle
a eu la vision (p. 97) ne prouvent pas que la relique soit authentique ou le
tableau miraculeux ni même fidèle. P. DEBONGNEE, C. SS. K.
— L'étude de M. Grosjean sur La Rédemption d'après Franz Leenhardt
(Paris, Fischbacher, 1923. In-8, 157 p. F. 10) contient beaucoup de pensées
profondes et d’aperçus suggestifs, à côté de beaucoup d’autres dont il serait
bien difficile d'expliquer le sens précis. Elle expose dans le langage religieux
propre au protestantisme. la conception de Fr. Leenhardt et en fait la
critique. La première partie traite de la philosophie de la nature de Fr. L.,
. de sa théorie de l’évolution et de l’activité créatrice, de l'apparition de l'être
personnel et de l’éclosion de la liberté, de la nature du péché et de la possi-
bilité de la rédemption, de la préparation à la venue du Rédempteur, de la
personne du Christ et de son œuvre, des conditions subjectives du salut. La
pensée de Leenhardt sur l'activité créatrice s'apparente, sans en dépendre,
à celle de Bergson. Sa conception de la rédemption dérive en droite ligne de
l'éthique de Richard Rothe. Mais tandis que celui-ci admettait la nécessité
de la chute et de la rédemption, Lecnhardt maintient la contingence du
péché et voit dans la rédemption l'acte par excellence de l'amour divin.
M. Grosjean lui-même suit de près les théories de Leenhardt, sauf pour le
caractère Juridique de l’expiation, conservé chez celui-ci sous l'influence de
S. Paul, abandonné par l’autre pour se rapprocher davantage ainsi, pense-t-on,
de la formule évangélique du pardon. É. ToBac.
— MoGr SopHRonios EUSTRATIADES, métropolite de Léontopolis, a fait
paraître un Kar3cyc: r@y iv 5 is0X om Baroned'ou anoreuévey
#00 !xwY. Paris, Champion, 1924. 277 p. Ce catalogue, divisé en trois parties,
contient la description de 786, 465 et 285 mss. (L'affirmation de Sp. Lambros
fixant le nombre des mss de Vatopédi à 1235, est donc inexacte) Plusicurs
de ces mss, inutile de le dire, renferment des œuvres inédites. La RHE
donnera, si possible, des renseignements complémentaires sur ce catalogue.
A. P.
— L'éditeur A. Dragon, d’Aix-en-Province, annonce pour le mois d'octobre
prochain la publication d'un magnifique ouvrage en deux volumes in-4, qui
contiendra plus de 400 illustrations phototypiques dans le texte et hors texte
et qui sera consacré au Palais des l’apes et aux Monuments d'Avignon au
XIVe siècle. La rédaction de l'ouvrage a été confiée à un savant de renom,
M. L. H. LaBANDE. On y trouvera un historique de la construction du monu-
ment et des modifications qu’il subit au cours des âges.
Une Revue d'histoire des missions a été créée à Paris. Didactique, cri-
tique et documentaire, elle contiendra une chronique mensuclile des missions
et des articles concernant l'histoire des missions dans le monde entier.
La société d'histoire moderne annonce qu'elle publiera un répertoire
des travaux consacrés à l’nistoire moderne de la France et parus de 1867 à
1899, dès qu'elle aura reçu un nombre suffisant de souscriptions. On souscrit
chez M. Léon Cohen, 1bis, rue Lalo, à Paris.
Académie des inscriptions et belles lettres. — Le 4 avril, M. CH. DE LA
RonciÈRE explique que la carte de la bibliothèque nationale classée comme
FRANCE. 625
carte portugaise du xvie siècle et représentant le monde connu à l’époque
où elle fut tracée, comprend l'Afrique jusqu’au cap de Bonne-Espérance,
découvert en 1488. et ne contient rien des découvertes de Christophe Colomb
commencées en 1492. Cette carte n’est pas portugaise ; elle a été dressée
sous la direction de Christophe Colomb et faite par un cartographe génois.
Elle reflète les idées de Christophe Colomb, à la veille de la découverte de
l'Amérique.
Le 11 avril, M. THéopore REINACH communique que les fouilles entrc-
prises dans la vallée du Cédron par M. Naham Houszh et la Jewish Palestine
Exploration Society, continuent activement. Deux tombeaux sont déblayés;
l’un dit d’Absalon et l’autre de Josaphat. Ce dernier est un palais funéraire
comprenant huit grandes pièces taillées dans le roc. — M. RENÉ Dussaup
indique que M. Viel, qui dirige la mission archéologique à Jérusalem, a
dégagé sur le site Ophel, l'enceinte méridionale de la cité de David, une
tombe des anciens rois de Juda, et sur le site de Geza de nombreuses tombes
de l’âge de bronze et de fer.
Le 30 mai, M. Épouarp Cu fait une communication sur les lois Hittites.
Dans les ruines du palais des rois du Hatti, on a trouvé, en 1906, plus de
10.000 tablettes d'argile couvertes d'écriture cunéiforme, dont quelques-unes
contiennent un recueil de lois. Ces lois ont été édictées pour un peuple
d'agriculteurs et de guerriers établi dès le troisième millénaire dans la
boucle de l’Halys, et qui, peu à peu, a soumis à sa domination la majeure
partie de l'Asie Mineure, la Syrie et le nord de la Mésopotamie.
M. Hrozny, professeur à l’Université de Prague, a traduit en français les
lois hittites ; bien que cette traduction soit sujette à révision, en raison des
difficultés qui présente la lecture, elle donne néanmoins une idée suffisante de
la composition du recueil, du caractère et de l’objet de ces lois. Le recueil
contient 200 articles environ ; il est divisé en deux parties, d'époques diffé-
rentes, dont la plus ancienne a été remaniée. On a adapté la loi aux rapports
des habitants du Hatti avec ceux des pays annexés. On constate ainsi que la
formation du recueil est antérieure à l'annexion de la Syrie dans la première
moitié du xive siècle,
Les lois attiques ont surtout un caractère pénal ; elles tendent à protéger
l'agriculture et à réprimer les délits susceptibles de troubler gravement
l’ordre public.
Le 13 juin, M. MiroT parle des recherches faites jadis par Dom Bévy dans
les archives de la cour des comptes, détruites depuis 1737, relativement aux
chevaliers servants et à la gendarmerie. — M. A. BLANCHET signale la
découverte, faite en 1918, dans la forêt de Corgebus, d'un autel gaulois,
élcvé sur les bords d’un ruisseau, aujourd’hui souterrain. — M, l’abbé
CHaBor met en valeur les découvertes faites au cours des fouilles du sanc-
tuaire de Tanit, à Carthage. Trois autels ont été mis à jour. Quatre urnes
funéraires y étaient placées, mais on n’a pu analyser les cendres ; ce qui.
nous empêche de savoir si les Carthaginoiïis immolaient réellement des
enfants. Trois inscriptions phénicéennes répètent la même menace : € La
divinité châtiera quiconque touchera à ces pierres ».
Académie des Sciences morales et politiques. — Le 24 mai, M. HEBRARD
D& VILLENEUVE fait une communication sur les associations diocésaines. Il
résume les longues négociations et les difficultés auxquelles a donné lieu
l'organisation de la gérance des intérêts du culte catholique sous le régime
626 CHRONIQUE.
de la séparation. Il montre comment Pie XI, en autorisant ces associations,
a réalisé les vues exprimées par Pie X, en 1906, dans l’encyclique « Gravis-
simo ». L'accord sur ce point entre l'Église et l'État n’a exigé d'aucun des
deux partis le sacrifice de ses droits essentiels ; l'Église ne vise plus à être
une puissance politique, mais à rester une grande force sociale.
Le 7 juin, M. Lévy-BruHL donne lecture, au nom de l’auteur, M. Léon
Roth, professeur à l’université de Manchester, d’une notice sur un corres-
pondance inédite de Descartes et de Huyghens. Cette correspondance, qui
a passé de Hollande en Angleterre il y a un siècle, avait été acquise en 1833
par un avocat du nom de Buxton.
Société nationale des antiquaires de France. — Le 14 mai, M. PHILIPPE
LAUER parle du psautier carolingien du président Bouhier, il montre l'origine
à St-Gall au vue siècle et le passage au 1xe à Auxerre où il reçut l'addition
des laudes carolines et de l’obit de Bernegaudus, auteur d’un commentaire
sur l’Apocalypse.
__ Le 28 mai, M. ADRIEN BLANCHET parle des découvertes faites par M. le
chanoine Pinier au cours des travaux exécutés sur l'emplacement des anciens
cloîtres de Saint-Martin d'Angers. Ce dernier a trouvé des débris d’archi-
tecture de l’époque carolingienne, des colonnes avec chapiteaux de la pre-
mière époque romane ct, enfin, des tablettes de cire du commencement du
xie siècle. — M. Juzes FORMIGÉ dépeint les voûtes provençales du xirie siècle
et montre qu'elles furent copiées sur les voûtes romaines dont l'emploi a
continué jusqu’au xvie siècle. On retrouve ces voûtes en Syrie.
Le 4 juin, M. DE MÉLY signale au musée chrétien du Louvre la présence
d'une petite tuile identique à celle qui a été découverte à Périgueux. Elle
provient des fouilles faites à la cathédrale de Léez, en 1881. Elle est sur-
montée d'une croix grecque, et a été également trouvée seule. On suppose
que c'est un talisman religieux, se rapportant à la légende byzantine de
Robert de Clari, une tuile chinoise, trouvée à Tokio, qui dans sa stylisation
se rapproche de la tuile de Périgueux, proviendrait sans doute du méme
mythe, transporté en Extréme-Orient par les voyageurs qui s’en allaient en
Chine par la route d'Antioche.
Le 18 juin, M. DE MÉLY indique que les carreaux du pavage de l'église
Saint-Etienne de Caen furent peut-être peints à la main, à l'imitation de la
fcéramique orientale, avec de la terre blanche à laquelle avait été mêlé un
ondant plombifère. — M. P. DescHaAmprs croit pouvoir affirmer que les bas-
reliefs d’un tympan de l’église Saint-Julien de Brioude, qui représentaient
la scène de l'Ascension et dont il ne subsisde que quelques fragments,
furent exécutés en plâtre, au xrie siècle.
Le 57° congrès des sociétés savantes s’est tenu cette année à Dijon les
22, 23 et 24 avril. Voici les principales communications qui ont été faites.
L. Section de philologie et d'histoire. M. PH. LAUER a parlé du Scriptorium
de Corbie. — M. J. LAURENT communique la découverte qu'il a faite de dix-
huit feuillets de l’obituaire de l’abbaye bénédictine d'Ambronay en Bugey
(xve siècle). — M. R. LEBÈGUE relève l'importance de la copie prise par
Marguerite de Navarre, entre 1527 et 1538, du Mystère des actes des apôtres
des Grébants. -- M. OURsEL établit qu’un manuscrit dijonnais du Speculum
historiale de Vincent de Beauvais a pu étre un exemplaire dédicacé en
l'honneur de saint Louis, car il s'y trouve une lettre inédite au roi de France
“ét un prologue semblant inconnu, où l’auteur présente son œuvre comme
FRANCE. 327
divisée non en trois parties, mais en deux : le Speculum naturale et le Specue
lum historiale. — M. OUuRsEL signale aussi un missel de Dijon, le no 110,
qui aurait été exécuté en Avignon en 1394 et fut otfert à la collégiale de
N. D. de Bcaune. — M. Oupor pe DainviLLe fait connaître une lettre
inédite de Charlss-Emmanuel de Savoie, du 8 mars 1521, qui montre les
rapports du duc avec les ligueurs. — M. H. Le CLerc lit une étude sur le
protestantisme à Saint-Lô, de 1555 à 1730. — M. L. M. POUSSsEREAU retrace
la biographie d’un simple serf du seigneur de la Perrière, qui devint évêque
de Nevers et mourut évêque de Chalon, en 1461. — Un mémoire de M. LE-
SORT établit l’authenticité de l’acte de fondation du prieuré de Sermaize en
1094 que confirment deux chartes inédites de la mère d’'Hugues Ier, comte de
Champagne, et de Philippe, évêque de Châlons, ainsi qu’une bulle pareille-
ment inédite d’'Eugène 11 (29 avril 1148). — M. E. RoY montre l’origine et
le développement de la légende du transfert à Jérusalem du cœur de Phi-
lippe le Bon. — M. E. ANDRÉ a soulevé à nouveau la question du concile de
Mâcon de 585 et de la controverse qu'y suscita l’âme des femmes, pour nier
que celle-ci eut licu. — M. L. Trisror donne des détails intéressants sur
Nicolas Psaulme, évêque de Verdun de 1548 à 1575. — M. LEx établit que
l’épiscopat de Nicolas de Bar à Mâcon se place entre les années 1286 et 1315,
ct non entre 1301 et 1330, conme l’a imprimé la Gallia Christiana ; ces
données sont extraites d’un obit conservé dans la reliure d’un registre de
catholicité de la paroisse de Plottes (Saône-et-Loire).
Il. Section d'histoire moderne et contemporaine. — M. BAZEILLE raconte
comment l'abbé Gaudin de Saint-Amand, principal écolâtre du collège de
Rabodanges (Orne), conserva sa charge malgré son refus de prêter le ser-
ment à la constitution civile du clergé, à cause de l’estime qu’il avait su
conquérir parmi les habitants de la localité. — M. CHARLES PORÉE montre
comment, en dépit de la supériorité numérique des curés des paroisses du
bailliage d'Auxerre, le candidat du haut clergé l’emporta, lors des élections
aux Etats Généraux en 1789; ce fut grâce à l’action de l’évéque Mgr de Cicé.
— M. Soz parle d’un épisode relatif & l’application du concordat de 1801
dans le Dijonnais. Un prêtre marié ayant reçu du cardinal Caprara l’auto-
risation de contracter une union validement, l’évêque du lieu, ancien gal-
lican et évêque constitutionnel, refusa de reconnaître la légitimité de l'acte.
Il fallut que Caprara et Portalis intervinssent à nouveau. — M. Soc donne
quelques renseignements sur la perception de la dime ecclésiastique en
Quercy après la nuit du 4 août. Les querajnois s’y montrèrent récalcitrants.
Il. Section d'archéologie. — M. CHaiLLAN décrit l'église Saint-Julien,
élévée pendant la haute période romane à Miramas-le-Vieux par les moines
de Montenajour. — M. PERRAULT-DAB80T appelle l'attention sur la forme
particulière des clochers de la région de Beaune. La flèche de pierre cest
entourée entièrement de cordons étagés. — M. J. SALvINr a cru trouver
dans une croix géminée, accostée à un serpent qui enserre l’arbre du Para-
dis, les symboles d'Adam et d'Éve. La sculpture date du vie ou du vrie siècle,
Elle est enchâssée dans un mur de l’église de Pouillé. M. Prou montre au
contraire qu’elle symbolise la rédemption, vis-à-vis de la faute originelle
figurée par le serpent. — M. OURKSEL propose d’attribuer à l'abbé Étienne
(979) le chevet de l’église abbatiale de S. Philbert de T'ournus. Le narthex
aurait été achevé avant 1098 ; la nef pourrait être ditéc de 1008 à 1028 et les
berceaux transversaux du xie siècle. — M. PRENTOUT passe en revue ct
caractérise divers chapiteaux romans de l’abside de la Trinité de Çaen,
628 CHRONIQUE.
Unc expédition d’archéologues, ayant à sa tête le professeur G. D. DeY,
de l’Université américaine de Beyrouth, aurait découvert quelques vestiges
de l’existence de Sodome, Gomorrhe et autres villes dont la Bible mentionne
la terrible destruction.
M. l'Abbé GRÉBAULT, curé de Neufmarché, vient d’être chargé par le
Pape de classer les manuscrits éthiopiens de la bibliothèque vaticane.
M. FRANz CUMoNT (Débats, du 8 avril 1924) écrit qu’on croit à tort que
le Lysanias nommé dans une inscription de Doura de l'an 31, serait le
tétrarque d’Abilène mentionné dans l'Évangile de saint Luc. En effet, le
nom de Lysanias est très fréquent à Doura, où on le trouve neuf fois cité
dans une quarantaine d’inscriptions, sans compter qu’il existe dans d’autres
textes encore inédits. Si le Lysanias de l'inscription de l'an 3x avait été un
dignitaire aussi important, un titre honorifique eût suivi son nom.
M. HENRI Gas a fait don à la bibliothèque nationale de textes des
xXvile et xvirie siècles, de beaux Kecpsakes.
M. Louis BRÉHIER a communiqué à la société des Amis de l'université
de Paris, l’examen d'un manuscrit de Grégoire de Tours conservé à la
bibliothèque de Clermont, dont les derniers feuillets ont trait à la recon-
struction de la cathédrale. L'évêque Etienne II y apporta tous secs soins,
l'architecte d'Aléaume et son frère Adam exécutèrent la statue de la Vierge
à l'Enfant où furent insérées les reliques de la mère de Jésus.
Les portes de l'église Saint-Picrre d'Avignon cachées jusqu'ici, ont été
rendues à l’admiration de tous; elles datent du xvi siècle, et sont l’œuvre :
d’Antoiae Volardi. L’imposte est ornée d'arabesques, de chimères et d’un
mascaron ; les portes sont encadrées par deux cariatides ; sur un panneau
on voit la scène de l’Annonciation et sur l’autre saint Michel terrassant le
dragon et saint Jérôme. « G, MoLLat.
— Les difhcultés des temps actuels sont fort dommageables pour les monu-
cents historiques. M. John D. Rockefeller a été frappé par l’état de déla-
brement dans lequel se trouvent quelques-uns des plus beaux monuments
français, et il a fait don à la France d'un million de dollars, à affecter à des
restaurations urgentes aux palais de Versailles et de Fontainebleau et à la
cathédrale de Reims. Un comité franco-américain a été constitué et dès
maintenant une tranche de 400.000 dollars a été mise à la disposition de
l'administration des Beaux-Arts. Sur cette somme 1 million sera affecté à la
cathédrale de Reims, 2 millions à Fontainebleau et 5 à Versailles. KR. M.
— Depuis le rer juillet dernier, la Bibliothèque-musée de la guerre, à Paris,
est transférée au Pavillon de la Reine, au château de Vincennes (Seine).
H. N.
— M. MarcEez HANOBLSMAN, professeur d'histoire à l'Université de Varsovie,
a inauguré à l’Université de Paris une des six conférences faites par des
savants polonais ; il a parlé de l'influence des idées françaises sur l'évolution
de la pensée politique moderne en Pologne; dans un prochain cours il
traitera de Benjamin Constant et du libéralisme polonais.
FRANCE. | jX)
Conseil Supérieur des Lettres. — Le 10 Mai, l'Académie Française a
nommé les membres qui la représenteront au Conseil Supérieur des lettres,
que vient de créer M. de Jouvenel, ministre de l'instruction publiques
désormais qu'il s'agisse de pensions, de bourses de voyage, de décorations,
et enfin de l’appui que le gouvernement accorde aux Ilcttres, vingt-cinq
intellectuels prendront part aux délibérations.
En 1920, la Faculté de théologie catholique de Strasbourg avait organisé
un institut de Droit canonique à l'intention des étudiants désireux de se
familiariser avec la discipline de l'Église et son histoire. Comme cet orga-
nisme n'avait pas été prévu dans le concordat de 1902, d'où la Faculté était
issue, il ne jouissait pas encore, au point de vue de l'Église, d'une existence
juridique, et ne pouvait délivrer que des diplômes strictement universitaires.
Il était souhaitable que le Saint-Siège daignât reconnaître à ces titres une
valeur ecclésiastique. C'est maintenant chose faite. La Congrégation com-
pétente vient de décider que les clercs qui auront fréquenté les cours de
l'Institut et passé avec succès leurs examens, obtiendront la conversion de
leurs diplômes universitaires en grades ecclésiastiques : baccalauréat, licence
et doctorat en Droit canonique. Les conversations concernant l’Institut de
Droit canonique ont fourni au Saint-Siège l’occasion d'examiner la situation
canonique de la Faculté elle-même, devenue française, et de lui confirmer
tous les privilèges dont elle avait été enrichie jusque-là.
M. PauL FouRNIER a donné à l’Université de Strasbourg, dans la seconde
quinzaine du mois de février, une série de quatre conférences sous les
auspices de la Faculté de Théologie catholique. Une conférence publique a
été consacrée à Grégoire VII et la rénovation des recueils du droit canonique.
Dans trois autres leçons, il s'est occupé du rôle des Fausses Décrétales dans
la réforme ecclésiastique du 1xe siècle, des principaux recueils de go0o à 1050
(s’attachant surtout à préciser la manière dont on traitait les textes), enfn,
d'Yves de Chartres et de la première manifestation d’une science du droit
canonique.
Dans ses nombreux travaux sur les collections canoniques du 1xe au
xute siècle, M. Paul Fournier ne s’est pas contenté d’examiner minutieu.
sement les textes. Il a dégagé de ses études des conclusions d’une haute
importance pour l'histoire générale du moyen âge. Les collections lui servent
à caractériser les mouvements de réforme, les tendances qui se manifestent
dans l'Église. C'est À quoi il s’est aussi attaché dans ses conférences.
Comment des clercs falsificateurs ou inventeurs de lettres pontificales ont
composé au 1xe siècle les curieux recueils dits pseudo-isidoriens, pour réagir
contre le désordre qui ruinait la hiérarchie et contre les abus du pouvoir
séculier ; quelle conception on se faisait, particulièrement dans la région du
Rhin, au xe siècle, de la restauration disciplinaire et morale ; quels principes
ont mis en lumière les partisans de la grande Réforme entreprise par
Grégoire VII au xie siècle, qui devait asseoir définitivement la puissance
politique de la papauté, et comment ils ont préparé les voies à l'étude
scientifique et à la codification du droit canonique : telles sont les questions
que M. Paul Fournier a successivement cxaminées. Ces conférences ont
présenté le plus grand intérèt pour ceux que préoccupent les origines des
méthodes scientifiques et le développement des idées religieuses et morales.
REVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 4
+
630 __ CHRONIQUE.
L'éditeur Bloud et Gay annonce la prochaine publication d'un journal
hebdomadaire (un an : 15 fr.) : La Vie Catholique, qui fera connaïtre chaque
semaine le mouvement intellectuel, artistique, social, religieux et scientifique
du catholicisme contemporain.
Prix et concours. — L'académie des inscriptions et belles-lettres a
décerné les prix suivants :
Prix ProsT : M. PaAuL LESsPRAND, L'abbaye de saint-Louïs de Metz (600 fr..);
M. CH. Armonn, Nécrologes de l’abbaye de saint-Michel (600 fr.).
Prix DucHaLais : M. DiEUDONNÉ, Catalogue des monnaies capétiennes de
la bibliothèque nationale.
Prix BorDiN : M. EpmMonp BaraL, Les arts poétiques des XIIe et
XIIIe siècles. Recherches et documents sur la technique littéraire du moyen
âge.
Prix GoBErT : M. CHARLES HIRSCHAUER, Les États provinciaux d'Artois,
(9000 fr.).
M. BRuN, La traduction du français dans les provinces du Midi de la
France (1000 fr.).
Prix Fouzp : M. Henri MARTIN, La miniature française du XIII au
XVe siècle (3000 fr.); M. L. MAETERLINCK, L'énigme des primitifs français
(2000 fr.).
Prix Vorney : M. Jouon, Grammaire de l'hébreu biblique (1000 fr.).
L'académie française a décerné sur la fondation Montyon des prix de
500 fr. à MM. l'abbé Armonpn, La guerre de 1914-1910 dans la Meuse; L.
Boucnon, Le P. Henry Auffroy ; abbé DARTIGUES, Le traité des études de
l'abbé Claude Fleury ; P. TH. ORTOLAN, Les oblats de Marie-Immaculée ; P.
M. J. Bouer DE JouRNET, Un collège de jésuites à Saint-Pétersbourg 1800-
1816; Melle KR. ZELLER, Le bienheureux Henri Suso.
Prix JuTEAu-DuviGnaux : M. l'abbé R. CL. FiLLioN, Vie de N. S. Jésus-
Christ (1000 fr.); R. P. G. Sorrais, La plulosophie moderne depuis Bacon
jusqu’à Leibniz (500 fr.).
Fondation Dopo : M. le chanoine J. Vaupou, Histoire générale de la com-
munauté des filles de Saint Paul de Chartres.
L'académie des sciences morales et politiques a décerné le prix DRouYN
pe Luuys à M. l’abbé ConsTANT, La légation du cardinal Morone près
l'empereur et le Concile (3000 fr.) et le prix JosEPH SAiLLET à M. RENÉ
HUBERT, Les sciences sociales dans l'encyclopédie (1500 fr.).
CoNcOURS DES ANTIQUITÉS DE FRANCE : 1e médaille, M. DussErT, Les
États du Dauphiné de la guerre de Cent ans aux guerres de religion (1457-
1559) : 2e médaille, M. GANDILLON, Catalogue des actes des archevèques de
Bourges antérieurs à 1200 : 3: médaille, M. J. Vrarp, Les grandes chroniques
de France, tomes I-JHI : 3: mention, M. RENÉ Face, Les clochers, murs de
France et petites églises rurales du Limousin ; 4° mention, M. l'abbé HERNET,
Les graffites de Graufsenque ; 5° mention, M. Josernx NÈvE, Sermons choisis
de Michel Menot, 1508-1518 ; 7e mention, M. le commandant GUENEDEY, La
prison de Saint-Marc à Rouen. Étude historique et archéologique.
Le sujet du concours annuel, organisé par la Faculté de Théologie catho-
hque de l’universiié de rasbOUres était cette année : L'amour de Dieu
d’après saint Bernard. Sept mémoires avaient été présentés. La Fac :lté n’en
a retenu que deux entre lesquels elle a partagé le prix de mille francs. Les
lauréats sont le KR. P. Pierre GuiLzovx, S. J., et M. l’abbé BÉNABENT, curé
de Maurens, par Saint-Félix, Haute-Garonne. ”
GRÉCE. | 631
Nominations. — M. GEorGEs SALLES est nommé conservateur-adjoint
du musée du Louvre.
M. CHATELET, doyen de la faculté des sciences de Lille, est nommé rec-
teur de l’Académie de Lille.
M. GHEUTI, professeur à la faculté de droit de Toulouse, est nommé re:-
teur de l'Académie de Clermont.
Décès. — M. D'ESTOURNELLES DE CONSTANT, ancien élève de l’école des
langues orientales et auteur d’un livre sur : Les congrégations religieuses
chez les Arabes. G. MoLLAT.
Grèce. — Le professeur D. M. Bazanos, dont il a été plusieurs fois question
dans la chronique de cette revue, est un écrivain fécond qui sert, par ses
publications, non seulement la science ecclésiastique, mais aussi les intérêts
de la religion dans sa patrie. Ce double souci se marque encore clairement
dans le petit volume que nous voulons signaler : ’Ioidwpes 5 [nacvorwrns
(Athènes, Sideris, 1922. In-8, 184 p.). Née de la jouissance intellectuelle qu’à
procurée à son auteur la lecture des lettres du célèbre ascète de Péluse, la
présente étude se divise en trois parties consacrées respectivement à la vie,
aux écrits et à la doctrine du saint moine. La dernière partie surtout a été
développée (p. 55-169) ; elle ne sc contente pas d'exposer, selon une habitude
très répandue et généralement suivie, les enseignements dogmatiques de
l'auteur considéré ; elle recueille également et met en lumière ses
enseignements moraux, spirituels et pratiques et, de la sorte, elle achève
heureusement et éclaire davantage le portrait du personnage. Il est inté-
ressant de constater par elle comment la retraite monastique n'empêchait
pas saint Isidore d’avoir et d'exprimer des idées et des avis touchant les points
les plus variés de la vie chrétienne dans le siècle. S'il parlait des différentes
vertus, de l’épiscopat ct du sacerdoce, il savait aussi, par exemple, se
prononcer sur le droit et les règles de la guerre, et sur les principes de
l'éducation des enfants. Quant à la vie et aux œuvres de Pélusiote, nous ne
dirons pas que M. Balanos ajoute des éléments nouveaux à ceux que donnent
généralement les notices des histoires littéraires; mais il est bien informé
et peu de publications occidentales lui échappent; de plus, il fait avec
prudence et méthodiquement la critique des opinions proposées par les
anciens. Quelques points devront sans doute être rectiñés lorsque l’on pourra
utiliser certains témoignages encore inédits, par exemple, touchant la
parenté doctrinale de saint Isidore avec saint Cyrille d'Alexandrie et la
composition d’autres écrits que les lettres. Mais nous nous plaisons à
reconnaître que l'étude de M. Balanos est sérieuse, qu’elle présente bien et
complètement son personnage ct qu’elle augmente encore son méïite par
une bibliographie et des tables qui contribuent à lui donner une présentation
scientifique appréciable. ]. LEBoN.
— Le prof. ADAMANTIOS DiAMANTOPOU LOS, directeur de l’Anaplasis a publié
plusieurs ouvrages qui méritent d'être signalés dans la RHE : 1) Anonetpat
RODs EJOT TOY ExxhrTuny 227% 76y l'E" ztwvx. Athènes. 1924. 75 p. Cet
ouvrage s'appuie sur une connaissance approfondie des sources byzantines
et latines ; il traite successivement de la légation grecque au concile de
Constance (1414-1418), des négociations entamées en vue de l'union des
L32 CHRONIQUE.
Églises, d'abord avec Martin V, puis avec Eugène IV cet le concile de Bâle.
2) 21G:orpo; Zupinouko:, xxi Ta arouvrucveumarx Tüs Ev Divwperrix
Zuycdou. Jérusalem, 1923. 114 p. Après une notice biographique de Syropou-
los, M. Diamantopoulos fait connaître les circonstances de composition des
mémoires de cet écrivain et le sort que subit son manuscript. Cctte étude
est très documentée ; mais nous sommes bien loin de croire, avec l'auteur,
que le pamphlet de Syropoulos contre le concile de Florence surpasse en
crédibilité les écrits de ses contemporains. Les preuves qu'Allatius a appor-
tées contre la sincérité de Syropoulos, conservent à nos yeux leur pleine
valeur. — 3) Yuyoicyix Ti: posais Érxvaorioews. Athènes, 1924. C'est
une étude intéressante sur les conditions de l'Eglise russe, ct la genèse du
Bolchévisme.
Parmi les travaux d'histoire ecclésiastique, récemment parus en
Grèce, mentionnons d’abord deux études de K. S. DyovounioTés : la
première nous livre quelques documents touchant l’histoire de la métropole
de Larisse, tirés de mss de la bibliothèque de l’université d'Athènes :
*AyEz0n7 ot EyAUR/LO Kai Éy/paYX Th: urrporôrews Aauioons. Athènes,
1924 ; la seconde contient un uaité sur les œuvres de Macaire l'Egyptien,
écrit par Néophytos, 9 Kavocraluirrs. Le texte est édité d’après un ms.
de la bibliothèque de l’université : Kpicu: TEpl TOY OUY/PXUHATUY TOU
Maxaor'ou Toù Atyur-iou. Athènes, 1924. — Signalons ensuite la mono-
graphie de MÉLÉTIiOoSs, métropolite de la Messénie, sur le monastère des
quarante martyrs en Lacédemonie : ‘ iecx uom Toy ayiwv 40 paprüpor.
Athènes, 1921. 112 P.; puis, un essai d'hagiographie chypriote par JBAN
SykourTËs : Kurtxxñ ‘Atoyuaqix, dans les Kuneixxi ypovmx, Larnaka,
1924, t. II, P. 47-59 ; enfin, ies recherches de G. A. Soririos, sur les églises
byzantines de la ville de Cythère : Mesauwvxz Mimusix Kuÿcy, dans la
Kumeaien Eremorsts, 1923, t. IL, p. 313-332.
Nous sommes heureux d'annoncer la réapparition du Acs47Ttoy XPITTIa-
VUAT SE Af4AONTY ARS Érasstes, fondé par Gcorges Lambakis, et interrompu
après la mort de celui-ci. La première et seconde livraison de la seconde
série, qui commence en 1924, contiennent une biographie de Lambakis par
le métropolite CHRYSOSTOME ; une étude sur le monastère de Saint Mélétos,
et plusieurs notes touchant les monuments religieux de l’époque byzantine.
Le professeur AMILAKOI ALIVIZATOS prépare une édition complète des
canons de l’Église grecque : Eu//cyn To iepwy xavévwy. L'ouvrage com-
prendra 30 feuilles d'impression. (Prix : 60 drachmes.)
L'archimandrite EUGÉNIios KosTARIDÈS fera paraitre sous peu un
Xpuorexvmty Husccroyuy, qui contiendra des travaux d'histoire ecclé-
siastique, d'apologétique et de polémique religieuse. A. PALMIERI.
Italie. — La première édition du Manuale di archeologia cristiana de M. O.
MaruccHI parut en 1905. C’est le résumé en un volume des Eléments d'archéo-
logie chrétienne, ouvrage en trois volumes publié par le même auteur en
1900-1902. (L. Éléments ; II. Les catacombes ; III. Les Basiliques). Les deux
matuels sont très utiles à celui qui veut étudier ou enseigner l'archéologie
romaine de l'antiquité chrétienne.
ITALIE. 633
Une troisième édition du Manuale a paru (Rome, Desclée, 1923. In-8,
VIUI-411 p., nombreuses fig.), avec le concours de M. E. Fosi. Elle est au
courant des découvertes et des publications récentes. Elle s’en tient pres-
qu'exclusivement aux monuments romains. On yÿ trouvera réunis des ren-
seignements précieux : notions sur les sources, sur l’épigraphie, extraits des
itinéraires, listes, pour tout l'univers chrétien, des anciens cimetières et
basiliques. R. M.
— L'ouvrage de G. Mori, L'apologetica scientifica della religione cattolica
(Turin, Soc. editr. intern., 1922. 343 p.) expose les problèmes historiques qui
sont à la base de la foi catholique. Il donne, en outre, un aperçu sur l’évo-
lution de l’apologétique, depuis le début du christianisme jusqu’à nos jours.
Cette dernière partie est traitée d’une façon assez sommaire ; tout en donnant
une idée exacte des principales méthodes d’apologétique, l'auteur n'insiste
pas suffisamment sur les causes qui ont déterminé les différentes attitudes des
apologistes. L'ouvrage d'A. Moxop (De Pascal à Chateaubriand) aurait été
utilement consulté pour l’histoire de l’apologétique à l'époque moderne.
A. D. M.
— Le P. G. Domexict a publié (Civiltà Cattolica, 1924. t. I-IT) deux articles
sur : Z! papa Formoso (891-896), dans lesquels il recueil.e et étudi® les notices
biographiques se rapportant au début de la vie publique du malheureux
pontife, à sa mission chez les Bulgares, à ses différends avec le pape Jean VIII.
C’est un excellent résumé de ce que l’on connaît de ce personnage si diverse-
ment jugé et qui, malgré sa sainteté, fut toutefois impliqué dans les plus
tristes querelles. Nous avons été surpris de ne pas trouver de mention du
travail de Myr Duchesne, Les premiers temps de l'état pontifical, où sont
bien mises en lumière les circonstances pénibles dans lesquelles Formose
eut à agir. P. PASCHINI.
— En publiant une nouvelle édition des deux opuscules, attribués à
S. Thomas, De regimine principum et De regimine Judaeorum (Turin. Ma-
rietti, 1924. xVI-124 p. L. 12), M. J. MATHIS n'a pas eu l'intention de nous
donner un texte plus critique, revisé et reconstitué à l'aide des mss. Il veut
simplement vulgariser les idées du Docteur d'Aquin sur la politique et les
mettre à la portée du grand public lettré. Dans ce but, il reprend le texte
des éditions antérieures. À. D. M.
— En 1921 un saint évêque de Pistoie du xrve siècle fut élevé aux honneurs
de la béatification. Le P. J. TAurisANO lui consacre une biographie à la fois
édifiante et basée sur l'étude des documents. (7! beato Andrea Franchi
(1335-1401), vescovo di Pistoia. Rome, Collegio Angelico, 1922. In-8, viri-
208 p. et fig.). Le bienheureux André Franchi vécut à une époque où la
Toscane, éprouvée par les maladies contagicuses, vit se développer un grand
mouvement de pénitence. Il fut aussi mélé dans une certaine mesure à des
travaux artistiques. Sa biographie peut donc intéresser les historiens à
plusieurs titres. R. M.
— V. Paciricr, Un carme biografico di Sisto IV del 177 (Tivoli, 1924,
XIV-71 p.). Îl s’agit d’un chant en hexamètres, en deux livres, sous le titre de
Lubraciunculae Tiburtinae, qui est un panégyrique de Sixte IV, opposé à
l'écrit pamphlétaire de Infessura. Il fut composé par un anonyme protono:
634 CHRONIQUE.
taire et achevé à Rome en 1477. Pacifici suppose que l’auteur peut être
Angelo Mancini Lupi, évêque de Tivoli, qui mourut en 1485. Le chant qui
compte 1807 vers méritait d'être imprimé, ne fût-ce que pour être confronté
avec la biographie de Plattina, écrite également à la louange de Sixte IV,
mais qui prend fin en 1475. P. PascHini.
— Mar P. PascHint a publié, dans la collection Lateranum, t. IV, 1923.
une belle étude sur ZI catechismo romano del Concilio di Trento. sue origini
e sua prima diffusione, 56 p., dans laquelle il examine la façon dont, prat que-
ment, fut réalisée la décision du Concile de Trente d'assurer un texte doc-
trinal aux pasteurs et au peuple, afin de combattre la propagande du Pro-
testantisme. Étude basée sur les travaux existants, peu nombreux, sur les
précieux renseignements fournis par les publications de textes faites au
cours des dernières années, et complétée par des recherches personnelles de
l’auteur. C'est en avril 1546 que l'idée de la publication de ce catéchisme
fut émise par les pères du Concile, et approuvée. En réalité cile ne sera
reprise qu’en 1562; mais dès 1563, le travail de préparation est distribué
entre différents membres du Concile. Ce volumineux travail est envoyé à la
fin du Concile, à Rome, où il est confié à trois évêques ct un théologien,
tous hommes de première valeur, pour le travail de revision, de refonte et
pour reccvoir sa teneur définitive. C'est Giulio Poggiano di Suna qui est
chargé de lui donner sa forme littéraire. En 1564 le catéchisme est prêt :
texte latin à l'usage de ceux qui doivent enseigner au peuple ; on a renoncé
au catéchisme unique pour le peuple. Mais ce n’est qu’en 1566, sous Pie V,
que le cardinal Sirlet est chargé d'une dernière revision, préparatoire à
l'impression ; elle se fit en deux éditions, in folio et in octavo, au mois de
septembre de cette même année. Détail intéressant : trois dominicains col-
laborent directement à la rédaction du catéchisme qui réfiète les doctrines
thomistes; ceci ne présenta pas d’inconvénient, les discussions avec les
Jésuites n’ayÿant-pas encore été soulevées. Les derniers chapitres nous donnent
les faits plus saillants qui se rapportent à la rédaction du catéchisme en
différentes langues ct à sa diffusion en Italic, Espagne, Allemayne, France,
Pologne et en Orient. M. VAESs.
— En 1922, le R. P. W. LamPEx, O. F. M., fit paraître un récit circon-
stancié du martyre subi, à Alkmaer {en Hollande), par cinq frères mineurs,
à la fin du xvre siècle (cfr RHE, 1923, t. XIX, p. 325). Dans l’Archivum fran-
ciscanum historicum (t. XVI-XVII), le même auteur vient de publier une
étude critique des sources qui permettent de reconstituer l'histoire de ces
martyrs (De martyribus Alcmariensibus, P. Daniele ab Arendonck et sociis
O. F. M. Quaracchi, 1924. 47 p.). Il y énumère notamment les différentes
relations qui nous restent de témoins médiats (appelés testes oculares mediati !)
et cherche à reconstituer la biographie des cinq frères. Pour quelques docu-
ments, la critique d’originalité et d'autorité aurait dû être poussée plus
loin. A. D. M.
— Le beau volume de A. Novezzi, Pio XT (Achille Ratti) 1857-1922 (Milan,
Pro Familia, 1923. 300 p.) donne une biographie du pape régnant jusqu'au
moment de son élévation au pontificat. Écrit sous forme anccdotique, il se
lit agréablement. Il nous retrace l’activité scientifique de Mgr Ratti comme
bibliothécaire de l’'Ambrosienne, puis de la Vaticane, donnant la liste de ses
ITALIE, 635
publications ; il nous fait connaître également le zélé et studicux clerc, le
prêtre s'adonnant à un multiple ministère à Milan, le nonce de Pologne,
surmontant les difficultés d’un poste délicat, le cardinal de Milan. Pour ce
qui concerne le conclave, Novelli ne peut nous apprendre que ce qui est du
domaine public, le secret étant resté absolu sur les circonstances qui
amenèrent l'élection du cardinal Ratti. Un dernisr chapitre, intitulé : Pic XI
intime, nous parle du caractère et des qualités morales du pape.
A VenxrTuri, L’Artee San Girolamo, Milan, Trèves, 1924. In-4, 300 p.
avec 254 illustrations. C’est à l'invitation de Benoît XV que Venturi
recucillit, à l’occasion du centenaire de S. Jérôme. les hommages que l’art de
tous les temps et de tous les lieux rendit au saint Docteur de l'Église. Le
présent volume groupe les reproductions des peintures et sculptures les plus
remarquables se rapportant à S. Jérôme; à commencer par celles qui se
trouvent dans la bible de Charles le Chauve jusqu’au Caravage et à Luca
Giordano. La plus grande partie est consacréc à la reproduction d'œuvres
d'artistes italiens des diverses écoles; seul un chapitre, le dernier, étudie
l’art étranger, depuis un dessin à la plume du commencement du xve siècle,
qui se trouve dans une bib'e illustrée de la Bibliothèque nationale de Paris,
jusqu'à Rubens et Van Dyck. Un commentaire savant et agréable à lire
permet d'apprécier toute la valeur de la publication; elle est le digne pendant
du magnifique travail que Venturi consacra, il y a quelques années, à
La Madonna.
La collection Le chiese di Roma illustrate (cfr RHE, 1923, t. XIX, p. 632)
continue à être appréciée. Aux deux premiers volumes viennent de s'ajouter
12 t. III : B. Nocar4, SS. Ambrogio e Carlo al Corso (47 p.); le t. IV :
S. ORTOLANI, S. Andrea della Valle, deux belles églises du xvire siècle
étudiées au point de vue historique et artistique, Un vrai modèle du genre
est le t. V de A. MuXoz, S. Pietro in Vaticano, 108 p. qui retrace, de façon
magistrale l’histoire de la basilique du xvre siècle ; il en deviendra le guide
indispensable. Le dernier volume, t. VI de S. ORTOLANI, S. Croce in Geru-
salemme, donne l'impression que l'auteur se trouve mal à l'aise devant les
problèmes des origines et de l’histoire médiévale de la basilique sessorienne ;
il est vrai qu’ils sont loin d’être résolus.
L'Institut d'éditions artistiques Alinari de Florence a édité une magni-
fique publication intitulée : La chiesa di santa Barbzra al vecchio Cairo (1922.
62 p. et 57 pl. hors texte). Le texte est dû à l'architecte A. PATRIcOLO, du
comité de conservation des monuments de l’art arabe. L'église se trouve dans
l’ancienne enceinte du castrum romanum. dans le vieux Caire et a été
construite au xie siècle, elle appartient au type le plus authentique de la
basilique latine. Le plan est identique à celui de l'église de S. Serge qui lui
était voisine et qui date de la même époque. Au début du xrie siècle des
ajoutes furent faites à l'édifice primitif. Plus tard, mais pas avant le
xIve siècle, l’église subit des modifications à l'effet de la doter d’un transept
régulier engloñant la nef centrale et les latérales, et afin d'ajouter des
chapelles Au xvirre siècle, nouvelles restaurations ; un dernier remaniement
en 1919. Dans une seconde partie, M. MonNNERET DE VILLARD étudie les
sculptures en bois de l’église, et tout particulièrement une vielle porte ayant
*
(35 CHRONIQUE.
d’une part des scèncs figurées, de l'autre des panneaux décoratifs. Magni.
fique exemplaire du meilleur art copte, de la sculpture égypti nne des
premiers siècles chrétiens. La porte est conservée à présent au Musée copte.
P: P:
— La RHE a signalé le livre de Taxi, Le chiese di Roma et la collection :
Le chiese di Roma illustrate (t. XIX, 1923, p. 632). COSTANZA GRADARA vient
de publier : Le chiese minori di Roma, Rome, Alfieri. 1923. 68 p. ct 28
planches. Quinze églises, de moindre importance, sont décrites, mais à un
point de vue un peu spécial, qui donne une réelle valeur au livre. Les détails
historiques sont brièvement rappelés ; le guide a pour but de noter plus
particulièrement tout ce qui a rapport à l’art du xvrie et du xvarie siècle, non
seulement comme peintures, sculptures, mais également en fait d'objets
d'orfèvrerics, d’étoffes, de sculptures en bois.
Le remarquable essor artistique qui se manifesta en Italie au début du
xvite siècle est l’objet de nombreuses études et recherches de la part des
historiens et critiques d'art. Cette renaissance artistique — elle justifie ce
nom — a eu ses historiens dans tous les pays. À Rome, ce sont Baglione en
1641, Bellori en 1672, Passeri en 1673, qui ont écrit des biographies d'’artist:s
contemporains, noté ct apprécié leurs œuvres. M. ConNsTANzA GRADARA
Pescr a entrepris un travail ingrat, mais de grande utilité. Elle nous donne
dans un livre intitulé Le vite de pittori, scultori e architetti di Giovanni
Baglione. Indice degli oggetti, dei luoghi e dei nomi (Rome, Leo O:schki, 1924.
408 p. L. 40), un relevé de tous les objets d'art que Caglione a notés ou
décrits, de l'endroit où ils se trouvaient, de l’artiste qui en est l’auteur ; les
citations sont faites d’après l'édition de 1649.
Les mêmes considérations ont engagé L. ScHubT à publier le texte, jusqu’à
présent inédit, d'une partie de l’œuvre de Giulio Mancini, Viaggio di Roma
per vedere le pitture. Romische Forschungen de la Bibliotheca Hertziana,t. IV,
1923. Les notes de Mancini sur la peinture sont connues, et les précieux
renseignements qu’il donne ont déjà été utilisés à diverses reprises, mais de
manière très fragmentaire et incomplète. Comme nous l’apprend l'auteur
dans une exccllente préface, — qui traite des questions relatives à l’auteur,
son œuvre, son utilisation, l'histoire et la critique des manuscrits — Mancini,
né à Sienne en 1553, mort à Rome en 1630, médecin d’Urbain VIIL a écrit
plusieurs traités sur la peinture ; ils sont de première valeur, car il est
témoin autorisé des tendances, des discussions qui se manifestent, surtout à
Rome, à cette époque si intéressante pour l’histoire de l'art, Schudt nous
donne le texte complet du viaggio di Roma, écrit de 1620 à 1624. Texte
important, parce qu'à l'encontre des guides parus jusqu'alors qui se placent
avant tout à un point de vuc religieux, Mancini donne la description des
églises au point de vue artistique; il cherche même à étre complet, et
énumère nombre d'œuvres anciennes du haut moyen âge. C'est la première
apparition d'un guide artistique des églises de Rome. L'idée ne sera reprise
qu’en 1674, par l'abbé Titi dans son Studio di Pittura. De nombreuses
annotations, deux annexes, — l'indication des manuscrits de Mancini; la
bibliographie des guides de Rome publiés de 1541 à 1671; — complètent
avantageusement ce beau travail.
Très bien conçue cst la Biblioteca d'arte illustrata, dirigée par A. FERRI et
Mario REeccui, dont le siège est à Rome, via S. Basilio Ile. Le but est de faire
çonnaitre le Sei e settecento italiano, e straniero. Le texte, dont la rédaction
ITALIE. 637
est confiée à une compétence, est de quelques pages; vingt à trente repro-
ductions permettent d'apprécier l'artiste, les tendances de l’école. Les
représentants les plus autorisés de la peinture, de l'architecture, dans les
principaux centres d’art en Italie, au début du XVIIe siècle, ont déjà été
étudiés.
M. J. A. F ORBaaw, depuis de longues années, se consacre à la recherche,
dans différents dépôts d'archives de Rome, de tout ce qui a rapport à l’his'oire
de l'art et plus particulièrement de ce qui concerne les artistes et savants
néerlandais. S'il ne fournit pas le résultat de ses investigations d’une façon
systématique, celles-ci présentent toutefois de l’intérêt à cause de la quantité
de renseignements inédits qu’elles nous donnent. Il y a deux ans il a publié :
Documenti sul Barocco in Roma (voir RHE, 1923, t. XIX, p. 472). Cet ensemble
de documents a servi de base à un livre destiné au grand public : Rome
onder Clemens VIII (Aldobrandini) 1592-1605 (La Haye, Nihoff, 1920. 239 p.,
une carte et 25 planches.) L’énumération des différents chapitres : la cour du
pape, sa vie journalière ; le chêne du Tasse ; la physionomie de la rue; un
touriste étranger à Rome sous Clément VIII; la légende de Béatrice Cenci;
les voyages du pape; l'entourage de Rubens ; la découverte des catacombes ;
montre, — bien que le texte ne corresponde pas toujours à l’entête, — la
variété des sujets abordés et l'intérêt que présente ce livre, riche en ren-
seignements de tout genre, Mais ces renseignements malheureusement sont
éparpillés; aucun point n’est traité d’une manière complète mais suivant
les hasards d’une documentation, exclusivement personnelle; l’anccdote
devient de l’histoire et encombre le récit de digressions superflues. [nutile
d'ajouter que toute note et référence est exclue. M. V.
— La plaquette, ornée de no nbreuses gravures, de Mgr GiuLio BELVEDERI,
Il lapidario dei caduti nel chiostro romanico della basilica di santo Stefano in
Bologna (Bologne. 1924, 16 p.) fait connaitre le magnifique ensemble
d'édifices religieux connu sous le nom de basilique de St-Etienne. Aux quatre
églises des SS.-Vital et Agricola, de la Résurrection, du Calvaire, de
S. Jean-Baptiste, vient s'ajouter au moyen âge le cloitre de St-Étienne,
L'étage inférieur a été construit durant les dix premières années du xic siècle
par l'abbé Martin ; et l'étage supérieur a été construit en un style plus léger
avec de belles colonnes géminées, au début du xurie siècle, lorsqu’à Rome
on construisait le cloître des Quatre Couronnés. C'est un joyau d’art qu’une
restauration intelligente nous offre sous la forme qu'admira le Dante.
Dans ce cloître, des inscriptions conserveront la mémoire des bolonais tom-
bés pendant la dernière guzrre.
Mar R. CasIMIRI qui, dans une petite revue intitulée Psalterium, a jadis
publié d'importantes notices sur l’histoire de la musique sacrée, a commencé
Ja publication d’une revue trimestrielle sous le modeste titre : Note d'archivio
per la storia musicale. Edizioni Psalterium. Roma, Piazza San Giovanni in
Laterano 4. [Prix de l'abonnement 30 lires.) Le pr:mier fascicule de
112 pages contient d'importants articles, qui compensent par leur valeur la
triste mystification dont Mgr Casimiri a été la victime de la part d’un collègue
‘aloux. Le premier article, signé Casimiri, nous donne en effet la date précise
de la naissance de Palestrini, donnée basée sur la photographie d’un
document, d’abord introuvable, puis rendu public, et évidemment faux. Les
Note musicali prenestine del secolo XVe, publiées par Casimiri, s'occupent de
638 CHRONIQUE.
Palestrina, de ses parents, de personnes qui furent en relations avec lui.
Sur l'article : Firmin le Bel de Noyon, maestro in Roma di Giovanni Pier-
luigi da Palestrina déja publié en brochure, voir RHE, 1923, t. XIX p. 633.
Importante est la publication que commence Casimiri des Diarii Sistini,
conservés à la Bibliothèque Vaticane et qui nous donnent les annotations
que les chantres de la chapelle sixtine faisaient pour leur usage personncl.
Le titre est le suivant : Liber punctorum capelle Smi Dni Nri Pape incipiens
prima die januarii 1535. On trouve également dans la revue des reccnsions
et de la bibliographie. Nos vœux les plus sincères à la revue naissante.
. Let. XXXI de la Rômische Quartalschrift a paru à Fribourg en Br. en
1923, ce qui nous engagerait À l'appeler plutôt Deutsche Quartalschrift. Le
premier article, p. 1-20, de A. BAUMSTARK a pour objet l’histoire de l’art :
Ein vorkonstantinischer Bildtyp des Myrophonenganges ? Jusqu'à présent on
n'avait pas trouvé la représentation de la visite des saintes femmes au
sépulcre le jour de Pâques, dans les peintures sépulcrales du christianisme
primitif; clle ne nous est connue que par le sarcophage de S. Celse à Milan.
L'auteur accepte l'opinion que la représentation du sarcophage et une
figuration analogue sur une pyxide copte renontent à un type antérieur à
Constantin. — Jon. BRINKTRINE (?. 20-28) se pose la question : Enthielt die
alte rômische Liturgie eine Epiklese ? I] examine le célèbre passage du pape
Gélase dans sa lettre à l’évêque Elpidius de Volterre et conclut que, dans la
liturgie romaine de cette époque, il y avait sans doute une invocation au
Saint-Esprit: mais celle-ci ne constituait pas, comme plus tard, une épiclèse
au sens strict comportant la prière pour la transsubstantiation; ce n'était
qu'une épiclèse au sens large, comme au plus ancien stade de son développe-
ment, c'est-à-dire la prière pour la sanctification des dons. Dans la plus
ancienne épiclèse en effet, on invoque le Saint-Esprit non pour transubstan-
tier mais pour sanctifier le sacrifice. Ainsi cette prière correspond dans la
liturgie de la bénédiction de l’eau baptismale qui s'inspire du vieux canon
roinain à l’invocation : Descendat in hanc plenitudinem fontis virtus Spiritus
sancti, qui a, avec la prière (préface) qui précède, un rapport d'épiclèse. —
L'autobiographie de Célestin V (p. 29-40) est examinée par J. HoLLSTEINER,
dans le texte publié par les 4A. SS. Afaii, t. 1V, p. 422-426. Le pape aurait
d’après cette relation, écrit un résurné de sa biographie avant son élection.
L'auteur ne peut admettre l’authenticité de cette autobiographie, mais estime
qu'elle a été écrite entre la première (1295) et la seconde (1319) rédaction de
l'opus metricum du cardinal Stefaneschi ; mais si la compilation n’est pas une
autobiographie, elle est en tout cas une source contemporaine. L'auteur doit
être recherché dans le cercle des Spirituels qui vivaient dans l'entourage de
Célestin V et peut-Ctre parmi les célestins eux-mêmes. Le but de l'écrit fut
certes de promouvoir la canonisation de Célestin. — CLEMENS SOMMER, Zur
rômischen Baugeschichte unter dem Pontificate Papst Bonifaz VITT. (p. 41-54).
Après avoir brièvement rappelé les constructions datant des pontificats de
Nicolas IIT et d'Honorius IV, l'auteur aborde ce qu’il appelle le point
culminant de la prérenaissance, c’est-à-dire l’art des xrrie-xrve siècles sous
Bonitace VIII. Les registres de la Chambre apostolique nous parlent de
travaux exécutés à la Civitas papalis (érigée après la destruction de Palestrina)
au Sancta Sanctorum, dans les écoles de théologie, à la basilique du Latran à
l'occasion du jubilé. Boniface s’intéressa moins à St-Pierre. On lui attribue
ITALIE 639
également des travaux à St-Nicolas in Carcere et à St-Martin aux Monts qui
avaient été ses titres cardinalices. Plus certaine est au contraire son inter-
vention aux travaux de Ste-Marie de la Minerve, que l’on avait commencé à
construire sous Nicolas III On a peu de certitude sur la part que
Boniface VIII aurait prise dans la reconstruction d'édifices profanes ; mais
il est certain qu'il dût intervenir dans les dépenses que firent ses neveux pour
le tombeau de Cecilia Metella et pour la Torre delle Milizie. — E. GôLLER,
Deutsche Kirchenablässe unter Papst Sixtus IV (p. 55-70) fixe d’abord la façon
dont on gagnait les indulgences au xve siècle et comment on en obtenait la
concession; ce qui lui permet d'affirmer que « durant le xve siècle l’indulgence
non seulement était de grande utilité au point de vue religieux, mais fut
également un facteur de progrès de premier ordre » ; et l’on peut dire avec
Schulte € que le plus grand nombre des grands édifices fut construit avec
l’aide des contributions recueillies par le moyen des indulgences ». En se
basant sur les documents du Vatican. Gôller donne la liste des indulgences
concédées par Sixte IV à différentes villes et régions d'Allemagne. —
Parmi les articles de moindre importance signalons celui: de P. KirscH, Der
HT. Papst Kornelius im rômischen Festverzeichnis des 4. Jahrhunderts.
Corneille mourut en exil à Centumcellae (353) ; lorsqu'il fut plus tard trans-
porté à Rome et déposé dans le cimetière de Callixte, sa mémoire fut célébrée
au jour anniversaire de la translation, le 14 septembre. Cette date était
consacrée à la mémoire de S. Cyprien martyrisé en ce jour à Carthage. Telle
est la raison pour laquelle les deux évêques sont commémorés ensemble.
La question avait été au reste traitée, avec son habituelle compétence, par
P. FRANCHI DE CAVALIERI dans les Note agiografñiche, fasc VI, (Studi e Testi,
Fasc. 33. Rome, 1920) p. 179 ct svv. et surtout p. 192 svv. dont Kirsch n'avait
pas connaissance.
Nous avons signalé (RHE, t. XIX, p. 632) la nouvelle revue Roma. Celle-ci
a amplement réalisé son programme. Outre les reproductions qui rappellent
la Rome de jadis, nombre de notes et d’études présentent de l'intérêt pour
l'histoire ecclésiastique, Citons le savoureux article de E. CHIORANDO sur
La fabbrica delle leggende. si répandues à Rome; celui de HUELSEN, Acqua
alle funi (p. 412-418) où précisément cest étudié le célèbre épisode se rappor-
tant au transport de l’obélisque sous Sixte V, et accepté par tous comme
vrai. Il se rattache à une légende d’origine byzantine. G. SILVESTRELLI, Lo
stato feudale dell'1bbazia di S. Paolo (p. 221-232; 419-431) passe en revue les
propriétés de l’abbaye depuis les débuts de sa puissance féodale jusqu’à la
modeste situation d’aujourd’hui. Une liste nous donne le relevé de tous les
bicns (monastères, églises, châteaux, fermes ct autres propriétés) que
l’abbayÿc a possédés dans la région romaine. Cette liste est des plus instruc-
tives et permet de comprendre les vicissitudes politiques et économiques
qui contribuërent à la grandeur ou à la décadence des environs de Rome.
Signalons également l'article de P. Pascuini, l cardinale d'Alençon e il suo
sepolcro a S. Maria in Trasterere (p. 338-344), écrit à l’occasion du don fait
par Pie XI à la ville d'Avignon de la reproduction de ce magnifique mausolée
gothique. Philippe d'Alençon fut un des plus fidèles adhérents du pape
Urbain VI, et il s'employa activement à faire cesser le grand schisme. Il
appartenait à la maison royale des Valois, fut patriarche d'Aquilée ct mourut
évêque d'Ostie. Son tombeau, sculpté dans les premières années du xve siècle,
çst à présent séparé en deux parties qu’il serait bien désirable de voir réunies,
640 CHRONIQUE.
L'intéressante revue Archivio della Società Romana di Storia Patria, qui
contient de si nombreuses contributions à l'histoire ecclésiastique, a publié,
en 1922, pour les t. XXVI à XL (1903-1917) un volume de tables, de grande
utilité et bien conçues. Le volume XLVI (1923) vient de paraître et contient
des articles importants pour l'histoire ecclésiastique. R. Quazza, L'elezione
di Urbano VIII nelle relazioni dei diplomatici mantovani, (p. 5-48), nous parle
du conclave qui se tint en avril 1623, après la mort de Grégoire XV. Ce
conclave se présentait dans des conditions difficiles ; c'était la première fois
que devaient étre appliquées les règles imposées par le pape défunt sur le secret
du vote, garant de la validité de l'élection. Les cardinaux Borghèse et Ludo-
visi, en leur qualité de sculs neveux de papes défunts, comptaient avoir une
action prépon iérante au conclave. Ce fut au contraire le cardinal Maurice
de Savoie qui réussit à assurer le nombre de votes requis à la personne du
cardinal Barberini, élu le 6 août. — L'étude de R. MorGuxex sur 1! cardinale
Matteo Rosso Orsini (p. 271-372) est plus importante. Neveu de Nicolas III
et de Matteo Rosso sénateur de Rome, fils de Gentile Orsini, il naquit
vers 1230, étudia à Paris, peut-être à Bologne, fut créé cardinal diacre par
Urbain IV, au mois de mai 1262, et ensuite, en 1264, recteur du patrimoine
et légat en Tuscia. Appelé à être pendant de nombreuses années le chef du
parti national italien en curie et par conséquent adversaire de la politique de
Charles Ier d'Anjou. il acquit une grande influence sous le pontificat de son
oncle Nicolas III ; il exerça aussi une plus grande action, qu’on ne l’a cru
jusqu'à présent, durant le conclave qui élut Célestin V. Il fut ensuite l'un des
plus infatigables collaborateurs de la politique de Boniface VIIL; ce fut lu;
également qui réussit à faire élire pape le cardinal Boccasini, Benoît XI. Au
conclave de Pérouse, 1304-1305, Matteo Rosso eut à lutter contre son neveu
Napoléon Orsini qui réussit à faire élire par surprise Bertrand de Got,
Clément V. Matteo Rosso, déjà vieux et infirme, refusa de signer l’acte de
nomination, ct mourut peu après, le 4 septembre 1305 à Pérouse. Un homme
qui revêtit avec tant de dignité et d'énergie un poste important durant Îles
vicissitudes que traversa l'Église en ces temps et qui fut cardinal pendant
43 années, méritait une biographie aussi bien étudiée et aussi objective ; il
est à cspérer que des documents nouveaux permettront de combler les
lacunes et de résoudre les difficultés qui subsistent encore. — Une courte
étude de M. ANTONELLI, 1 registri del tesoriere del Patrimonio Pietro d'Artois
(1326-1331) (p. 373-388), a surtout de l'importance au point de vue local, pour
l’histoire de la citadelle de Montefiascone et des territoires qui se trouvent
autour du lac de Bolsène et de Viterbe. Les registres notent les répercussions
financières qu’eut en ces régions la descente en Italie de Louis de Bavière.
Dans Iles Atti e Memorie della R. Ueputazione di Storia patria per le
Romagne, 4c sér., t. IV-VI p. 187-212, a paru un article de FR. FiLiPPiNi, sur
La vera interpretazione dei musaici del mausoleo di Galla Placidia in Ravenna,
qui résume un long débat entre archéologues et historiens de l’art sur la
signification à donner aux célèbres mosaïques. F. établit d’abord que le
mausolée de G. Placida n’est autre que l’église de S. Croce que l’impératrice
fit ériger à Ravenne. Or Agnello de Ravenne nous a laissé une inscription
métrique qui se trouvait dans le sanctuaire et avait rapport aux représen-
tations qui l’ornaient. Une de ces scènes, celle des quatre fleuves prenant leur
source au paradis, a disparu ; dans la voûte de la coupole se trouve la croix
scintillante avec la main qui bénit au milieu des étoiles et des symboles ailés
ITALIE. : 641
des évangélistes ; dans une lunette nous avons le Rédempteur au milieu des
brebis, image de la Jérusalem céleste, dit l’auteur, où les brebis sont séparées
des boucs. Dans la lunette qui lui fait face, nous avons au contraire la célèbre
représentation du gril appuyé sur quatre pieds, sous lequel brûle un feu
mystérieux, tandis qu’à gauche il y a une armoire ouverte avec les quatre
livres des évangiles ; À droite un homme barbu, habillé d’un pallium blanc,
portantsur les épaules une croix qu’il soutient de la main droite et tenant un
livre ouvert dans la main gauche. On admettait généralement qu'il fallait y
retrouver le martyre de S. Laurent. F. n’est pas de cet avis, et avec raison,
parce que ces représentations n’auraient aucune raison d’être en cet endroit.
On doit y voir le Christ qui condamne les réprouvés à l'enfer selon ce qui
est dit dans l'inscription que nous avons citée : Te (Christe) vincente tuis
pedibus calcata per aevum Germanae mortis crimina saeva tacent. La dé-
monstration de F. n’est pas toujours convaincante ; d’autre part l'explica-
tion qu’il donne de la fameuse scène semble vraisemblable, car elle attribue
une unité de conceptivon à toute la décoration du monument. P. PASCHINI.
— L'Institut historique belge a publié en 1922 (Bruxelles, Dewit) le second
fascicule, en 1924 (Bruxelles, Imbrechts) le troisième fascicule du Bulletin de
l'Institut historique belge de Rome. Le fasc. II contient plusieurs articles qui
méritent d’être signalés. Celui de G. KuRTH, Liége et la cour de Rome au
XIVe siècle, p 1-43, montre l'intérêt que présentent non seulement pour
l’histoire locale, mais également pour l'histoire générale, les laborieux
dépouillements d’actes pontificaux regardant la Belgique, entrepris par
l’Institut historique belge. C’est en majeure partie à ces sources que M. Kurth
a puisé ses renseignements. « À partir du milieu du xrie siècle, notce-t-il, la
centralisation s’accentua dans le gouvernement de l'Église, le pape inaugura
un système de gouvernement qui mettait dans ses mains la disposition de
tous les bénéfices ecclésiastiques, il donna à l'usage des dispenses une exten-
tion presqu'illimitée, enfin, il fit servir ces nouvelles pratiques au développe-
ment d’une fiscalité qui lui fournissait ses principales ressources. Tel est
l’aspect sous lequel se présentent à nous, particulièrement sous les papes
d'Avignon, les relations du Saint-Siège avec le monde chrétien. Les étudier
de près, dans un diocèse déterminé, dont l’état général puisse être considéré
comme représentatif de tous les autres, c'est l’objet du présent travail ». On
lira avec intérêt les pages qui permettent de suivre dans le diocèse de Liége
le développement progressif des interventions pontificales, de connaître les
mobiles qui les dictent, l’organisation fiscale qu’elles nécessitent, les abus qui
en dérivent. M. Kurth en terminant ne craint pas de reprendre le jugement
que portait Dom'Berlière sur cette méthode de gouvernement : « Oui, c’est
à Avignon qu'on peut chercher les origines de la réforme protestante >.
C. HirscHAUER : Les troubles d'Artois de 1573-1578, p. 45-60; L. VAN
DER ESSEN : Les tribulations de l'Université de Louvain pendant le dernier
quart du XVIe siècle, p. 61-86, font revivre deux épisodes caractéristiques des
guerres de religion en Belgique, qui témoignent de la tenacité avec laquelle
les populations des provinces méridionales restent attachées à leur foi,
subordonnant aux intérêts de la religion leurs sentiments patrictiques.
M. Hirschauer nous donne un exposé intéressant et objectif des événements
dramatiques d'Artois en 1577 ct 1578, si importants pour l'avenir de la Bel-
gique, et montre que si la restauration politique qui a son point de départ
642 ._ CHRONIQUE.
dans ces luttes, se fait au profit de la noblesse et de la haute bourgcoisie,
c'est le sentiment religieux qui inspire avant tout les Malcontents, et leur
fait trouver appui auprès de la masse du peuple. — M. Van der Essen fait
revivre les annécs de misère que traversa l’Université de Louvain de 1578 à
1585, pendant l'occupation de la ville par les garnisons espagnoles, période
de malheurs qui faillit causer la ruine complète et définitive de l'Université.
Les faits sont établis grâce à des sources non utilisées jusqu'à présent : le
manuscrit qui portait le no gos5 dans la collection de la Bibliothèque de
l’Université, soustrait à la cupidité des commissaires de la République fran-
çaise en 1796, sauvé des flammes en 1914. Il contient le registre de lettres,
expédiées par l’Université ou reçues par elle, de 1583 à 1602. La correspon-
dance du capitaine italien Fabio Mattaloni, conservée aux archives farné-
siennes de Naples, confirme en tous points les données du registre de Louvain.
Il faut féliciter M. E. Dony de son intéressante étude sur François
Duquesnoy (1594-1643), sa vie et ses œuvres p. 87-127. Il est étrange de con-
stater combien la personnalité de cet artiste de valeur, et qui occupa un rôle
de premier plan à Rome, est encore peu et mal connue. M. Dony aura con-
tribué à la préciser et à la mettre en lumière. Il a réuni et groupé tout ce
que l’on connaît de la vie et de l’activité de Duquesnoy, étudié son œuvre
et en particulier, grâce aux renseignements puisés aux archives de l’église de
Notre-Dame de Lorette, à Rome, il nous donne tout ce qui a rapport à la
réalisation du chef-d'œuvre de Duquesnoy, la statue de sainte Suzanne,
exécutée pour la confrérie des boulangers allemands et italiens. L'étude de
M. Dony aurait gagné cn valeur s’il avait pris soin de fixer plus nettement la
valeur objective de la source principale pour la vie de Duquesnoy : Passeri,
et si, notant l'affirmation si nette de Bellori sur l’influence de Duquesnoy et
la rapprochant de l'opinion admise de nos jours sur l’ascendant de l’école de
sculpture flamande à Rome et en Italie à la fin du xvie siècle, il avait déter-
miné la place occupée par Duquesnoy dans le vigoureux essor artistique qui
se manifeste à Rome durant la première moitié du xvrie siècle.
Signalons également les études de H. Nézis et de F. Baïx, dont la docu-
mentation est fournie par les archives du Vatican. La première, d'un intérêt
que l'on pourrait dire d'actualité : L'application en Belgique de la règle de
chancellerie apostolique : de idiomate benefciatorum, aux XIV* et XVe siècles,
P- 129-142, témoigne pour les années 1373 à 1500, du soin que les papes
prirent d'exiger la connaissance de la langue des fidèles, pour la collation
des bénéfices avec charge d’âmes. La seconde : Recherches sur les clercs de la
Chambre apostolique sous le pontificat de Martin V (1417-1431) p. 143-160, est
une utile contribution à l’histoire d’un des rouages les plus importants de la
curie.
Le fascicule III du Bulletin de l’Institut historique belge, nous donne une
étude d’un grand intérêt de H. Nézits, De l'influence de la minuscule romaine
sur l'écriture aux XIIe et X111Ie siècles, en Belgique, (p. 5 à 30). La minuscule
caroline fut implantée à la curie romaine par des scribes de la chapelle
impériale, amenés à Rome par le pape Clément IL, allemand d’origine. Ce
fut le point de départ d’une révolution paléographique qui mit toutefois plus
de 60 ans à se faire accepter. Cette minuscule, maniée par des employés
choisis, revêtit petit à petit une telle perfection, que le désir de l’imiter na-
quit dans beaucoup de monastères et de chancelleries ecclésiastiques et
laiques. M. Nélis fait ressortir tout d’abord les caractères spéciaux de cette
ITALIE. 643
écriture, qui se recommandait par le mode harmonieux et élégant de liaison
des lettres; par l'emploi constant de graphies particulièrement belles et
caractéristiques ; par la forme spéciale des lettres; par l’usage sobre et
raisonné d’abréviations identiques; par la régularité et l’ordonnance irré-
prochable des documents. Etudiant ces mêmes caractères dans les documents
des diverses chancelleries des Pays-Bas, M. Nélis établit que l’âge d’or de
limitation, par l'influence directe, s'étend de 1200 à 1250, et donne unc liste
provisoire des chancelleries seigneuriales, épiscopales, abbatiales où l’in-
fluence de la caroline romaine se manifeste plus clairement. Il est à souhaiter
que M. Nélis puisse poursuivre ce genre d’études pour lequel il montre des
qualités remarquables de documentation, d'observation et de jugement. — Le
texté de la conférence donnée par le R. P. CazLAEY à l’Institut, en x1921,
sur : Albert et Isabelle, souverains de Belgique (1598-1621), est d’une lecture
agréable et instructive. L'auteur met bien en lumière la figure de souverains
des archiducs, ct retrace les œuvres capitales de leur règne : paix assurée,
justice organisée, réveil et épanouissement du commerce et de l’industrie,
restauration religieuse ét artistique. C’est un tableau complet de ce que
furent pour la Belgique ces 23 années de bonheur, années tranquilles et
fécondes qui justifient le souvenir reconnaissant des Belges pour les archi-
ducs Albert et Isabelle. — M. A. PASTURE, qui nous avait déjà donné les
précieux inventaires, au point de vue de l’histoire des Pays-Bas, du fonds
Borghèse, de certains fragments des archives de la nonciature de Flandre,
des Archives de la Visite ad Limina, parus dans les Bulletin de la Commission
royale d'histoire en 1910, 1911 et 1920, publie l’{nventaire de la Biblinthèque
Barberini à la Bibliothèque Vaticane, au point de vue de l'histoire des Pays-
Bas (p. 43-157). On connaît l'importance de ce fonds, acquis par le Saint-
Siège en 1830, ct qui contient, à côté d’une riche bibliothèque proprement
dite, des papiers diplomatiques et principalement ceux des papes Grégoire XV
et Urbain VIIL On connaît aussi l'importance des Pays-Bas à cette époque
au point de vue diplomatique et religieux. Aussi l'inventaire de M. Pasture,
conçu sur un plan assez large, nous fournit une abondante indication de
documents, en copies ou en originaux, se rapportant en majeure partie à
l’action politico-religieuse de la papauté durant la période si importante de la
guerre de Trente ans. — Dom URSMER BERLIÈRE, dans les Mélanges, publie
quelques documents intéressants sur les provisions abbatiales, de 1519 à 1604,
(P. 159-166), et quelques lettres d'Emmanuel Schelstraete, de 1683 (p. 167-172).
Depuis 1921, l'Institut néerlandais publie un volume annuel de Mélanges :
Mededeelingen van het Nederlandsch Historisch Instituut te Rome. Trois
volumes ont paru. (T. Ï et Il. La Haye, Algemeene Landsdrukkeri, 1921 et
1922. In-8, 169 et 143 p.; T. III La Have, Nihoff, 1923, 248 p.). Ils contien-
nent, outre les rapports annuels sur l’activité de l'institut. d’intéressantes
contributions à l’histoire religieuse des Pays-Bas et À l’histoire de l'art. Les
documents inédits ne manquent pas dans les dépôts d'archives de Rome. Le
danger est de les présenter d’une manière trop sommaire ; les Mededeelingen
ne se sont pas mis suffisamment en garde contre ce péril. Nous ne pouvons
songer à relever le titre de ces différents articles. Ceux qui se rapportent à
l’histoire de l'art présentent un intérèt plus spécial. Le professeur Blok, qui
fut le grand promoteur de l’Institut, avait pressenti l'intérêt des recherches
sur l’histoire de l’art nécrlandais en Italie, tout particulièrement pour les
xvie et xviie siècles. Mais les résultats ont dépassé de loin l'attente. Ils sont
644 CHRONIQUE.
dûs en majeure partie au travail de M. HooGeEwEerrFr, actuellement directeur
de l’Institut. — La série des Bescheiden in Italié omtrent Nederlandsche
kunstenaars en geleerden s'est accrue en 1917 d’un troisième volume (La
Haye, Nuyhoff. x1-541 p.), que la RHE n'a pas encore signalé. Le premier
volume nous avait donné le résultat des recherches faites par M. Orbaan
dans les différents fonds de la bibliothèque vaticane. Le troisième concerne
les autres bibliothèques de Rome. M. Hoogewerff prépare, pour 1925, une
publication d'un grand intérêt : la nomenclature des artistes néerlandais en
Italie, de 1575 à 1725. Un premier volume aura pour objet Rome ; le second
les autres centres artistiques d'Italie. L'institut néerlandais a fait paraître un
premier volume des Romeinsche Bronnen voor den kerkelijkstaatkundigen toe-
stand der Nederlanden in de XVIe eeuw. (Rijks’ Geschiedkundige Publicatiën.
F. 52. La Haye, Nijhoff, 1922. In-8, x11-749 p.) Les 951 pièces ont été réunies
par G. BRom et après sa mort, le travail a été repris par Mgr HENSEN. Les
documents embrassent une période qui s'étend de 1521 à 1592 Un premier
groupe contient des documents ecclésiastiques, concernant la vie religieuse
au xvic siècle : origine de la réforme (1521-1559); création ct organisation
des nouveaux évêchés (1550-1565); Contre-réforme (1560-1592). Le second
groupe, des documents politiques : politique ecclésiastique contre la Réforme
jusqu’à l’Union d’Utrecht (1565-1579) ; le congrès de paix à Cologne (1578.
1580) ; contre l'Union. Ces brèves indications permettent d'apprécier l'intérêt
du recueil, Mgr Hensen prépare la publication des lettres des nonces de
Flandre, en tant qu’elles se rapportent à la Hollande, pour la période de
1592 à 1625. |
L'Institut historique de Tchéco-Slovaquie s'organise et comprend dans
le cadre de ses activités, non seulement les recherches historiques, mais
l’art, l'archéologie, l'antiquité, et les sciences qui peuvent bénéficier des
avantages que présente un centre incomparable d'études comme Rome. Vient
de paraître le t. I, première partie, des Acta Sacrae Congregationis de Propa-
ganda Fide res gestas bohemicas illustrantia (1622-1623) (Prague, 1923. 475 p.).
L'édition est faite par IGNace KoLLMANN. Le texte des correspondances,
reçues et envoyées, est précédé d’un résumé en latin; les annotations sont
nombreuses et judicicuses ; un bon travail,
On annonce pour l'hiver prochain, l’organisation défiaitive de l’Institut
scandinave, pour le Danemark, la Suède et la Norvège. M. VAESs.
— La Bibliothèque Vaticane a non seulement retrouvé, mais sensiblement
dépassé, pendant l’année scolaire 1922-23, son mouvement d’avant-guerre :
on a compté 335 lecteurs inscrits contre 285 en 1913-4 (130 seulement en
1915-60). Le total des entrées aux salles de travail a été de 6642, dont 4914
pour les manuscrits ct 1728 pour la consultation des imprimés. Le service des
photographies Iui-même, bien que beaucoup de travailleurs intellectuels
soient encore empéchés de s’en servir, comme ils le désireraient, par les
conditions économiques de l’après-gucrre, marque un progrès : les 290
demandes, qui y ont été satisfaites, représentent un total de 11.594 pages ; il
faudrait d'ailleurs, pour donner une idée exacte de son activité, ajouter qu'on
y a exécuté une quantité presque égale de photographies sur des ducuments
des Archives Vaticanes et environ 10.000 épreuves d'après les clichés Paul
Liebaert.
PAŸS-BAS. 61)
Dans le but de doter l’Institut Pontifical Oriental d’une bib'iothèque
spécialisée et d'accroître les fonds de manuscrits et imprimés orientaux de la
Bibliothèque Vaticane, le Saint-Père a envoyé en mission deux membres de
la Bibliothèque. Les principaux centres des Balkans et des pays limitrophes
de la Russie ont été visités, ainsi que plusieurs places en Égypte, Sytie et
Palestine. La Bibliothèque Vaticane a été enrichie à cette occasion d’un
grand nombre d’imprimés relatifs à l’histoire et aux liturgies de ces régions,
et, en outre, de 15 mss grecs, 43 arabes, 20 turcs, 3 coptes, 10 arméniens,
17 Staroslaves et roumains en caractères cyrilliques.
D'autres accroissements aux fonds manuscrits de la Bibliothèque ont eu
lieu depuis l’entrée du fonds Chigi, ce sont : une quarantaine de mss latins
de provenances diverses, 20 mss arabes, 5 arméniens, 1 éthiopien, 3 persans,
1 turc et 2 indiens. E. TISSERANT.
Palestine. — La nouvelle université juive, établie à Jérusalem, a com-
mencé en 1923 un recueil de publications : Orientalia et judaica. Les études
contenues dans le premier volume se rapportent presque toutes à l'Ancien
Testament.
Pays-Bas. — Des circonstances indépendantes de notre volonté nous ont
empéché jusqu'ici de signaler l’ouvrage du Dr F. Pyper, intitulé De kloosters
(La Haye, M. Nyhoff, 1916. In-8, vuri-379 p.). Nous sommes d’autant plus
heureux de pouvoir le présenter enfin à nos lecteurs parce qu’il constitue
une bonne synthèse de l’histoire constitutionnelle et sociale de la vie monas-
tique. Dans une première partie (ch. I-XIV), le Dr Pyper fait connaître
l’origine et la constitution des grands ordres religieux de l’Église romaine.
Pour ce qui concerne l’origine du monachisme, remarquons que l’auteur
rejette les hypothèses de certains religionnistes qui font sortir cette institu-
tion d’usages orientaux; il la rattache plutôt directement à l’enseignement
du Christ sur la perfection. La seconde partie de l'ouvrage (ch. XV-XK VIII)
décrit l'initiation et la vie monastiques, ainsi que l'influence exercée par les
ordres religieux sur la civilisation occidentale. Ici les différences caractéris-
tiques qui existent entre les nombreuses institutions, ne sont ,pas suffisam-
ment mises en lumière.
Tout ce travail du Dr Pyper est bien documenté et s'appuie, en général,
sur les sources. Sans doute pourrait-on y relever quelques erreurs d’inter-
prétation (p. ex. À propos de la confession) et quelques appréciations sujettes
à caution. D'une façon générale, cependant, il rendra grand service au public
auquel il est destiné. '
Le mouvement, connu dans l’histoire du calvinisme sous le nom de
Réveil, prit naissance à Genève, au commencement du xixe siècle, dans une
communauté de Hernnhuter. [| avait pour but de réagir contre le rationa-
lisme qui s'était infiltré au xvirie siècle dans l’enseignement de l'Église
officielle et de provoquer une pratique plus intense de la religion. De Genève,
il se répandit bientôt dans d’autres pays, en particulier en Hollande. Mais ici
comme à Genève, ses partisans eurent à affronter des attaques violentes de
la part de |’ Église officielle; quelques-uns d’entre eux eurent même à subir la
REVUE D'HISTOIRE BCCLÉSIASTIQUE, XX: 4l
646 CHRONIQUE.
prison. Plusieurs prédicatcurs hollandais ont montré dans ces circonstances
une attitude énergique et leur nom est resté célèbre. Citons, p. ex., De Cock,
Scholte, etc. Malgré l’opposition qui leur fut faite, ils ont fini par se faire
entendre et par constituer une Église séparée, aujourd’hui officiellement
reconnue. L'histoire de cette Église séparée a été exposée en 1912, par
J. C RuLLMANN, dans un livre bien documenté intitulé : Een nagel in de
heilige plaats. En 1922, une tro'sième édition a été donnée de cet ouvrage où
le titre énigmatique a été heureusement remplacé par le suivant : De afschei
ding in de Nederlandsche hervormde Kerk der XIX*® eeuw (Amsterdam,
W. Kirchner. In-8, 351 p.) A. D. M.
— En 1905 Mgr Van Heukelum publiait une description de son église
paroissiale de Jutfaas, à laquelle il avait consacré le meilleur de son zèle
sacerdotal et de ses talents d'archéologue et d'artiste. Aujourd’hui MM. Th.
M. P. Bexkers et C. N. J. MEYsING consacrent à la cathédrale de Haarlem
un travail analogue. (De Kathedraal van Haarlem, anno Domini 1923. Nimègue,
In-8, vurt-128 p., 86 fig.). On sait que cette magnifique église est peut-être le
chef-d'œuvre architectural de l’art chrétien contemporain. La tradition et
l'inspiration nouvelle s’y harmonisent en un juste équilibre, souvent rompu
dans d’autres œuvres récentes d'artistes hollandais. Les auteurs s'adressent
avant tout au grand public catholique. Ils montrent avec quel soin tous les
éléments de la construction, du décor et du mobilier ont été projetés. Le
programme iconographique, riche et profond, — à l'excès peut-être pour
certains détails —. est exposé avec précision. R. M.
— La Direction de l’Historisch tijdschrift va publier une série de docu-
ments relatifs aux troubles religieux des Pays-Bas de 1566. Ces documents
seront précédés d’une introduction et accompagnés si possible d’un plan de
chaque ville datant du xvie siècle. La publication se fera par fascicules
séparés, une ou deux fuis l'an, au total environ vingt feuilles d'impression,
(Prix : flor. 0,25 la feuille par souscription.)
Roumanie. — Sous le titre : Le prêtre Jean, son pays, explication de son
nom (Académie Roumaine. Bulletin de la section historique. T. X, Extrait.
Bucarest, Cultura Nationala, 1923. 40 p.), M. CoNsTANTIN MARINESCU fait
paraître la communication qu’il a présentée au Congrès international des
Sciences historiques tenu à Bruxelles en 1923, et dans laquelle il donne la
solution d’un problème qui, à travers les siècles, a passionné tant d’esprits.
Jusqu'à présent on avait admis que le mystérieux souverain chrétien fabu-
leusement riche, appelé depuis le moyen âge du nom très curieux de Prêtre
Jean, était quelque chef mongol ou chinois pratiquant le nestorianisme.
Marinescu montre par les différentes sources du moyen âge que pour les
Occidentaux eux-mêmes ce terme de Prêtre Jean devait avoir le sens d'une
sorte de titre qu’on pouvait transmettre. Et, en effet, dit-il, c’est un titre
désignant un rang politique et un rang religieux. Dans l'ancienne langue
éthiopienne, le roi était désigné par les termes Zan ou Gau. D'autre part il
n’est pas douteux que les souverains éthiopiens ont eu un rôle religicux en
deaors de l'exercice de leur pouvoir politique. Disons en passant que
Marinescu aurait pu démontrer plus péremptoirement cette dernière affir-
mation. Les mots « Prêtre Jean >» peuvent dorc être traduits par « Prètre-
Roi » ce qui correspond exactement à la qualité des souverains éthiopiens.
SUISSE. 647
Le rô:e qu'on a fait jouer au « Prêtre Jean » correspond également à celui
que jouèrent les souverains éthiopiens, en guerre continuelle avec les musul-
mans de Nubie et d'Égypte, et enclins à des alliances avec les croisés. Le
Prêtre Jean est donc le roi régnant d’Éthiopie.
Par l'intermédiaire des marchands d’Italie on avait eu connaissance de
l'existence de ces souverains chrétiens, mais une fois la période des croi-
sades commencée, l'Éthiopie resta fermée aux Occidentaux. Ceux-ci espérant
toujours le secours de cet aide providentiel le localisèrent à cause de leur
fausse conception du monde dans les Indes ou la Chine. Inutile de dire que
toutes les tentatives qu'on fit de ce côté pour le retrouver n’aboutirent pas.
A lire Marinescu on dirait que la recherche du Prître Jean fut l’unique but
des voyages de Giovanni de Plano Carpini, d'Anselmo de Lombardio, de
Ruysbroec. Dire que le Pape Innocent IV, de concert avec le roi Louis de
France, voulait avant tout par ces ambassades nouer des relations sérieuses
avec les Tartares, et par une action continue de missionnaires auprès de ces
peuples affermir le rapprochement qui s’était opéré, serait plus proche de la
vérité. J. CALBRECHT.
— Le premier congrès international des Études byzantines s’est tenu à
Bucarest, en avril dernier, sous la présidence du professeur N. Jorga. Les
séances ont eu lieu du 14 au 19 avril ; les journées suivantes, jusqu’au 26, ont
été consacrées à des excursions archéologiques dans le pays. Le congrès,
auquel participaient quarante spécialistes roumains et étrangers, comptait
deux sections, la première consacrée à l'histoire byzantine et la seconde à la
philologie et l’archéologie byzantines. Des études sur divers points d'histoire
ont été lues, à la première section, par MM. Ramsay, Ch. Diehl, N. Jorga,
Collinet, Banesku, Murnu, et S. Kugeas. Les travaux de la seconde section
ont surtout présenté un grand intérêt pour l’archéologie et l’histoire de l’art,
L'architecture moldave, l’iconographie byzantine, surtout dans les églises
de Bucovine, parfois couvertes de fresques à l'extérieur, l’histoire du costume,
ont fait l’objet d'études souvent très neuves, présentées par MM. Henry,
Perdrizet, L. Bréhier, Kondakof, etc.
Une cxposition remarquable d’icones et d'objets d’art religieux avait été
organisée par le ministère des Cultes. Les congressistes ont visité la Buco-
vine, Jassy, la Valachie avec sa vieille capitale Curtea de Argès. Ils ont pu
voir des monuments roumains de toutes les époques ct constater dans ce
pays, dont l’art conserve sa physionomie propre, une survivance de l’art
byzantin jusqu’au xvuie siècle (voir une relation par M. L. BRÉHRIER dans la
Revue de l'art, 1924,t. XLVI, p. 63-66, et une autre par G. A. SoTERIoS
dans T'heologia, 1924, t. IL, p. 184-190).
Suisse. — Deux nouveaux fascicules viennent de s'ajouter au Dictionnaire
historique et biographique de la Suisse ([Neuchatel, Attinger); ils terminent le
second volume et vont de Decrue à Equey. A signaler, parmi les articles
intéressant l’histoire ecclésiastique : Dime, Disséminés (Chrétiens), Domini-
cains, Église et État, deux notices sur les grandes abbayes d'Einsiedeln et
d'Engelberg auxquelles on peut joindre un article sur les moines de Saint-Gail
ayant porté le nom d'Ekkehart.
Nomination — M. ERNEST GAUGLER a été nommé professeur d'exégèse
du Nouveau Testament, à la faculté de théologie chrétienne-catholique de
l’université de Berne, en remplacement de M. Ed. Herzog décédé,
618 CHRÔNIQUE.
Décès. — M. ÉpouarD HERZoG, professeur à la faculté de théologie de
Berne et évêque des Vieux-catholiques de Suisse, est mort le 26 mars. N€ à
Schôngau (Lucerne), le xer août 184r, il fit ses études ecclésiastiques à
Lucerne, puis aux universités de Fribourg-en-Brisgau, Munich et Tubingue.
Ordonné prêtre en 1867, il devint immédiatement professeur au séminaire de
Lucerne. Mais lorsque le mouvement schismatique, dont le concile du Vatican
fut l’occasion, éclata en Allemagne, M. Herzog s’y rallia aussitôt et reçut la
direction de la nouvelle paroisse vieille-catholique établie à Crefeld (Rhé-
nanie). De là il passa à Oiten (Suisse) (1873), puis à Berne (1874). La même
année il recevait une chaire à la faculté de théologie qui venait d’être fondée
à l’université de Berne, en faveur des Vieux-catholiques. En 1876, il reçut la
consécration épiscopale qui lui fut conférée par l’évêque allemand schisma-
tique Reinkens. Jusqu’à sa mort, il demzura le chef des Vieux-catholiques
suisses, Outre ses œuvres pastorales. on a de jui quelques travaux historiques:
Abfassungszeit der Pastoraibriefe, 1872; Beiträge zur Vorgeschichte der
Christlichen Katholischen Kirche in der Schweiz, 1896; Die kirchliche Sünden-
vergebung nach der Lehre des hl. Augustin, 1902; Stiftsprobst Josef Durkard
Leu und das Dogma des 1854. Ein Beitrag zur Vorgechichte des vatikanischen
Konzils, 1904; Bruder Klaus, 1917. P. M. Jacquin, O. P.
I. Table particulière de la Chronique.
(NOTICES ET NOUVELLES.)
1. Distribution des matières Antonelli, 640.
par pays. Antoniades, B. 168.
Anvweiler, E. J. 314.
Allemagne, 123-135 ; 299-311 ; 577-591. Appuhn, Ch. 162
Angleterre-Écosse-Irlande, 135-141 ; Sr
311-318 ; 591-604.
Autriche, 142 ; 604.
Belgique, 142-146; 318-326; 604-607.
Bulgarie, 608.
Egypte, 146.
Espagne, 146-149 ; 608.
États-Unis d'Amérique, 149-150 ; 326-
329 ; 608-611.
France, 150-168 ; 329-337 ; 611-631.
Grèce, 168-170 ; 337 ; 631-632. Banchereau, 334
Hongrie, 338-341. | Bardv. G 145 Fi
Italie, 170-177 ; 341-349 ; 632-645. po G 613
Palestine, 177 ; 645. PÉNNRE L
Pays-Bas, 177-178 ; 349-352 ; 645-646.
Pays-Scandinaves, 178-179.
Pologne, 179 ; 352-353.
Roumanie, 353 ; 646-647.
Suisse, 354-355 ; 647-648.
Tchéco-Slovaquie, 179.
Turquie, 179-180.
Ukraine, 355.
Yougo-Slavie, 355-356.
Arata, À. 173.
Arrowsmith, R. S. 597.
Artner, E. 338.
Atkins, G. Glensin 328.
Audollent, 612.
Babura, L. 338.
Baix, Fr. 326, 642.
Balanos, D. M. 631.
Balanos, D. S. 160.
Balanyi, G. 338.
Barker, E. 141.
Barnard, F. P. 595.
Barry, J. G. H. 609.
Bartoniek, E. 341.
Baskerville, G. 595.
Bastgen, H. 308.
Batiffol, Mgr. 306.
Bauckner, A. 586.
Bauer, W. 134.
Bauerreiss, R. 586.
Baumstark, A. 134, 300, 638.
2 Notices bibliographiques. Beaufays, L. 604.
Adam, K. 300. Becker, E. 124.
Aerts, L. 323. Becker, F. 308.
Aigrain, 611. Beckerman, Ch. A. 328.
Albers, P. 616. Beekmah, À. 350.
Albert, P. 589. Bees, A. Nikos 125.
Albrecht, O. 129. Bekkers, Th. M. P. 646.
Aldasy, A. 338. Beltran de Heredia, 149.
Alivizatos, A. 337. Belvederi, G. Mgr 637.
Allen, P. S. 138. Bemmann, 133.
Almedingen, M. E. 600. Benedetti, M. 171, 172.
Amann, 613. Bergstraesser, L. 131.
Anderson, A. ©. 136. Berlière, U. 605, 643.
Androkhovich, A. 355. Bernareggi, A. 343.
650
Besckorrner, 133.
Bessière, M. 135.
Besson, É. 329-330.
Best, R. I. 317.
Bevan, E. x41.
Biard, 614.
Bierens-De Haan, D. 351.
Binchy, D. À. 599.
Blakeney, E. H. 125.
Blanc, J. 614.
Blanchet, À. 625, 626.
Blok, P. 350.
Bôlcskey, E. 339.
Bôle, C. 339.
Bord, J. 330-331.
Bournet, L. 621.
Bouvet, E. 137.
Bouvier, 613.
Bover, 149.
Box, x41.
Brackmann, À. 307.
Branchereau, 164.
Braun, J. 133.
Braunholtz, H. J. 593.
Bréhier, L. 333.
Bresslau, H. 308.
Bretholz, B. 306, 308.
Brinktrine, J. 638.
Brom, G. 351, 644.
Brooke, G. C. 595.
Brou, A. 622.
Broussolle, J. C. 618.
Brown, Carleton 595.
Brun, KR. 308.
Brunhes, G. 616.
Brutails, J. A. 619.
Buchberger, N. 307.
Budge, E. A. Wallis 138.
Busnelli, G. 343.
Cabrol, F. 150, 602.
Calder, W. M. 311.
Callaey, F. 643.
Camerliynck, 142.
Cantarelli, L. 341.
Capocci, V. 175.
Carreyre, J. 613.
.Carrington, 592.
Casimiri, R. 637.
Caspar, E. 132.
Celi, G. 174.
Chabot, 625.
TABLES,
Champault, 623.
Charles, 322, 323.
Chenu, 157.
Chiochetti, P. 343.
Chiorando, E. 639.
Chossat, 145.
Cieszynski, Nic. 352.
Coenen, 145.
Colombe, 162.
Conway, 140.
Cornell, H. 178, 179.
Cotton, Ch. 594.
Coulton, 600.
Courtoy, F. 620.
Crawford, H. $S. 602.
Cuq, É. 625.
Curtis, E. 314.
Cuvelier, J. 607.
Czerminski, M. 352.
Da Isnella, D. x72.
Daiton, ©. M. 593.
Damien, x77.
D'Angelo, 172.
Daniëls, P. 145.
Daucourt, E. 354.
Davis, H. W. C. 595.
De Backer, 145.
Debevec, J. 356.
de Blic, 613.
De Caluwe, 320.
de Cazalès, E. 623.
Dechamps, P. 333.
de Ghellinck, J. 145.
de Grandmaison, L. 320.
de Laisne, 164.
Delany, S. P. 328.
de la Roncière, Ch. 624.
de Laval, 623.
Delehaye, H. 607.
de Luca, G. 342.
Demartial, À. 334.
de Mély, 164, 626.
De Munnynck, M. 343.
Deschamps, P. 626.
De Seyn, E. 325.
Des Forts, Ph: 160.
Deshoulières, 334.
Destrée, J. 144.
Destrez, J. 157, 163.
de Villeneuve, H. 625.
Diamantopoulos, A. N. 169, 631.
TABLE PARTICULIÈRE DE LA CHRONIQUE. 651
Dibelius, M. 583.
Dirheimer, G. 623.
d’Isoz, C. 340.
Dobschutz, M. v. 577.
Doelle, F. 589.
Doergens, H. 584
Domenici, G. 633.
Dony, F. 642.
Draghiceanu, V. 353.
Drexi, F. 309.
Dublanchy, E. 154.
Duckworth, H. T. F,. 599.
Dumaine, H. 144.
Dupont, Ét. 163.
Durand, G. 160.
Dyovouniotis, K. I. 160.
Dyovouniotés, K. S. 632.
Eeles, F. C. 315.
Ehses, St. 346, 347.
Engel-Janosi, F. 128.
Enlart, C. 160, 161, 164, 619.
Euringer, S. 300.
Eustratiades, S. 624.
Evans, J. 136.
Fage, R. 334.
Faurey, J. 521.
Fawtier, R. 313.
Fenaille, M. 333.
Férotin, M. 152.
Ferreira, Mgr 148, 149.
Ferri, À. 636.
Fest, À. 341.
Fierens-Gevacrt, 144, 145, 161.
Filippini, F. 640.
Flaskamp, E. 125.
Flechzig, 133.
Fletcher, J. R. 590.
Fliche, À. 145.
Flower, KR. 136.
Forget, J. 613.
Formigé, J. 626.
Fortescue, À. 315.
Foschiani, E. 170.
Fournier, P. 629.
Fraknôi, G. 340.
Friedlaender, J. 588.
Frost, M. 137.
Galanos, M. 600.
Galdos, 140.
Galtier, 154, 618.
Gardner, À. 139.
Gascon, 148.
Gaspar, C. 145.
Gasquet, Cal 314.
Gatti, L. 347.
Gavin, Fr. 149.
Gemelli, 319.
Geoffroy de Grandmaison, 162, 163.
Gérasimchuk, B. 355.
Geyser, J. 134.
Gillet, L. 620.
Gilson, J. P. 3x7.
Giuseppi, M. S. 601.
Glück, H. 588.
Godu, G. 151.
Güller, E. 346, 639.
Güorlitz, 133.
Goetstouwers, J.-B. 606.
Gogucl, 155.
Gordillo, 147.
Gordinsky, Ya. 355.
Gorris, G. 177.
Gottron, A. 608.
Goyena, P. 148.
Grabmann, M. 300, 309, 343, 586, 587.
Gradara, C. 636.
Graham, Hugh 311.
Graham, KR. 353, 595.
Grill, J. 301-302.
Grosjean, 624.
Gruendlier, ©. 129.
Grundy, G. B. 136.
Guénin, 160.
Guenther, KR. 323.
Guilday, P. 150.
Guiraud, J. 621.
Gulyas, P. 340.
Hacuser, Ph. 584.
Hall, H. 591.
Harent, 612.
Harnack, Ad. 305.
Harris, J. R. 126, 311.
Haslinghuis, E. J. 350.
Hausenstein, W. 351.
Hearnshaw, F. J C. 139.
Hébert, 617.
Hedde, KR. 616.
Heidet, L. 300, 301.
Hennecke, F. 580.
Hensen, Mgr 644.
Herbelin, 620.
Hessen, 587.
652
Heymann, 132.
Hirschauer, C. 641.
Hodgson, G. E. 3x3.
Hodur, 170.
Hocfer, F. À, 350
Hofer, J. 120.
Hofmeister, A. 308.
Holisteiner, J. 638.
Holmes, Ch. 140.
Holub, J. 340.
Homine, P. 355.
Hood, P. 316. :
Hoogewerff, 644.
Horaath, D. 340.
Hordynskyi, J. 355.
Horner, G. 593.
Hubbard, H. L. 137.
Huelsen, 639.
Huempfer, W. 314.
Hughes, L. 311.
Humbert, 154.
Innenklopfer, A. 129.
Jacob, E. F. 596.
James, N.R. 139, 591, 593, 596.
Jean, Ch. F. 154.
Jemolo, A. C. 171, 344, 345.
Jennings, Brendan 600.
Jordan, H. 589.
Jourdain, À. 325.
Jovy, E. 158.
Jülicher, À 125, 306.
Jucrgens, Ad. 590.
Jugic, M. 154, 613.
Junker, 320.
Kalt, 577.
Karacsonvi, J. 339.
Kchr, P.F. 128, 132, 172, 307, 589.
Kinzig, J 129.
Kirch, C. 582.
Kirsch, J. P. 300, 346, 039.
Kleintjes, 133.
Knox, W.L 328.
Koenisver, M. A. 299, 300.
Kobhler, KR. 131.
Kollmann, I. 644.
Koppers, 319.
‘Krammer, 308.
Krüger, G. 125.
Krüger, K. 306.
Krusch, 132.
Kurth, G. 604. 641.
TA BLES e
Lacombe, V, 615.
Lacour-Gayct, 164.
Laistner, L. W. 139, 311.
Lake, Kirsopp 327.
Lambert, 6x1, 612.
Lamborn, E. À. Greening 595.
Lambros, Sp. 169.
Lameere, J. 143.
Lampen, W. 634.
Lanna, D. 343.
Larfeld, W. 124.
Lattey, C. 592.
Lauer, Ph. 104, 626.
Lawlor, H. J. 3x7.
Le Bachelet, X. 154, 613.
Lebacqz, 145.
Leclercq, H. 150.
Ledos, G. 332.
Leeds, M. E. Thurlow 593.
Lefèvre-Pontalis, E. 334.
Legrand, L. 612.
Lehmann, P. 139.
Leicht, P. S. 344.
Leisegang, 134.
Lerche, ©. 133.
Leroquais, V. 619.
Leuze, O. 128.
Lévy-Brubhl, 626.
Lewis, L. S. 311.
Leynaud, Mgr 617.
Liese, W. 130.
Lindsay, W. M. 139.
Lisiecki, À. 352.
Little, A. G. 595.
Loewe, V. 133.
Lopez Martinez, 148.
Lowe,E. A. 317.
Lowe, W.R. L. 59%.
Lüers, G. 125.
Lugano, P. 342, 343, 345, 346.
Luyckx, B. 352.
Mac Cabe, J. 315.
Mac Cullagh, Fr. 600.
Mac Guire, C. E. 608.
Mac Inerny, M. H. 593.
Mac Neil, Eoin 599.
Mandonnet, 157.
Mangin, Et. 154.
Mannix, E. J. 328.
Marckx, E. 123.
Marcos, B. 149.
TABLE PARTICULIÈRE DE LA CHRONIQUE.
Marinescu, C. 646. Ortolan, 613.
Marini, N. 618. Ortolani, S. 635.
Marion, L. 615. Pacifici, V. 343, 344, 633.
Marion, M. 159. Page, W. 140, 598.
Martin, C. 610. Papamikhail, Gr. 169.
Marucchi, O. 174, 632, 633. Paquay, 145.
Masseron, A. 619. Paquier, 613.
Mathis, J. 633. Pascal du St-Sacrement, 613.
Mayeux, 164. Paschini, P. 634, 639.
Meistermann, B. 156. Pasteris, E. 342.
Melétios, 632. Pastor, L. v. 589.
Meller, W. Clifford 137. Pasture, A. 643.
Merkle, S. 300. Pataky, A. 338.
Meszlénye, Z. 341. Patek, Fr. 339.
Meysing, C. N. J. 646. Patricolo, A. 635.
Michel, À. 154. Pelster, 171.
Michel, Ed. 145, 619. Pelzer, Mgr À. 143.
Michetti-Castello, À. 343. Penson, L. M. 130.
Mikley, P. 584. Perels, E. 308.
Miller, Dom 585. Perrault-Dabot, À. 160.
Milne, H. J. M. 306. Pesarini, S. 175.
Mirot, 625.) Philips, 303-305.
Miskolczy, Et. 339. Phokylides, J. 146.
Misserey, L. 158. Pigler, A. 340.
Mitchell, 140. Pinard, 319.
Molkenboer, 352. Pirenne, H. 607.
Mollat, G. 613. Plummer, Ch. 317.
Monaci, A. 175. | Poole, Reginald L. 594.
Monahan, M. 328. Porter, A. Kingsley 332.
Monneret de Villard, 635. Pottier, A. 622.
Monod, Fr. 332. Poukens, 145.
Montague, F. C. 130. Power, E. E. 139.
Monti, G. 633. Powicke, F. M. 139, 600.
Morghen, K. 640. Prado, 149.
Müller, G. 133. Praesent, H. 590.
Mueller, K. A. v. 123. Premoli, P. O. M. 344.
Munecas, 149. Prévité-Orton, C. W.: 317.
Munoz, A. 635. Prims, F1. 326.
Naumann, 308. Prothero, G. W. 315.
Neale, J. E. 139. Prutz, M. H. 306.
Nélis, H. 642. Piper, F. 645.
Neumann, À. 170. Quazza, KR. 640.
Nève, J. 33r. | Queiroz Velloso, 148.
Nicholson, Hedley Hope 597. Quoidbach, H. 320-322.
Noetinger, M. 137. Ranke, 130.
Nogara, B. 635. Rauer, M. 124.
Nouaillac, 160. Recchi, M. 636.
Novelli, À. 634. Regnier, L. 160.
Oppermann, 350. Reid, H. M. B. 314.
O’ Rahilly. Th. F. 600. Reinach, S. 163, 333.
Orbaan, J. A. F. 637. Reinach, Th. 625.
654
Reinke-Blach, H. 308.
Res, A. 356.
Richen, L. 131.
Riess, von 300, 301.
Rivière, H. 161.
Roche, Em. 178.
Rodière, R. 160.
Roersch, À. 326.
Romeo, P. Galindo 608.
Roussel, 621.
Ruecker, À. 127.
Rulilmann, J. C. 646.
Rushforth, G. Mac N. 595.
Salomon, R. 128.
Sanchez Alonso, B. 146.
Sander Pierron, 161.
Saripolos, N. 169.
Sassen, F. 352.
Savitcky, P. 307.
Scheuer, P. 618.
Schmidt, W. 318.
Schmitz-Kallenberg, L. 130.
Schmoeger, K. E. 623.
Schreiber, G. 123.
Schrijvers, J. 355.
Schudt, L. 636.
Schuenemann, K. 306.
Schulte, A. 133.
Schultes, R. 343.
Schwind, E. v. 132, 308.
Scott, S. H. 141.
Seckel, E. 124.
Sengens, 145.
Serena, À. 171.
Seton, W. W. 136.
Seymour, St. J. D. 312, 596.
Seymour de Ricci, 163.
Silvestrelli, G. 639.
Simon, J. 606.
TABLES.
Stange, C. 131.
Staub, [. 354.
Stewart, G. C. 609.
Sthamer, Ed. 305.
Stratton, À. 130.
Strecker, K. 132, 308.
Sturm, À. 306.
Sulzer, G. 123.
Switalski, W. 134.
Sybel, L. v. 306.
Sykourtes, ]. 632.
Synave, 157.
Szabo, Gjuro 355-356.
Székely, Êt. 338.
Tafel, S. 139.
Tamassia, N. 347.
Taurisano, ]. 633.
Temperley, H. W. V. 1309.
Te Riele, W. 350.
Théoles, H. 620.
Théry, 158.
Thieme, U. 308.
Thomas, À. 163, 164.
Thurston, H. 138, 314.
Tillyard, H. J]. W. 136.
Tomcsanyi, L. 340.
Tonybee, M. KR. 313.
Torres Lanzas, P. 147.
Underhill, E. 138.
Usenicnik, À. 356.
Ussani, V. 347.
Vacandard. E. 611, 643.
Van Crombrugghe, 320.
Van den Wijngaert, À. 620.
Van der Essen, L. 641.
Van der Hecren, 142.
Van der Straeten, C. 145.
Van Mierlo, J. 605.
Van Stalle, L. 325.
Sinopoli di Giunta, Mgr G. P. 170, 173. | Van Sul, K. 144.
Sisam, K. 594.
Slipyi, J. 179.
Smith, G. B. 315.
Smith, R. À. 135.
Smolders, 145.
Sniegaron, I. 608.
Soil de Moriamé, E. J. 325.
Sommer, C. 638.
Soppa, W. 126.
Sotirios, G. À. 632.
Southwood, J. 598.
van Veen, J. 350.
van Wely, J. 352.
Végh, J. 340.
Venard, L. 613.
Venn, J. À. 598.
Venturi, À. 348, 635.
Verhelst, Fr. 142.
Verlant, E. 161.
Veuillot, Fr. 162, 163.
Vignaud, H. 158.
Virolleau, Ch. 164.
TABLE PARTICULIÈRE DE LA CHRONIQUE.
Vising, J. 137.
Viteau, J. 156.
Vogels, H. J. 300.
Volk, P. 128.
Vollmer, M. H. 308.
Voutiérides, Elias P. 337.
Walker, T. H. 135.
Walsh, P. 590.
Waltzing, J. 326.
Wasburn, E. Hopkins 326.
Waterhouse, G. 596.
Weinberger, W. 139.
Weisbach, W. 351.
Wentz, G. 128.
Werner, M. 578.
Wessels, C. 598.
White, W. H. 130.
Whitney, J. P. 139.
Wickersheimer, E. 595.
Williamson, G. C. 137.
Wilmart, A. 153. 317.
Wilmotte, M. 322.
Wilson, H. A. 317.
Wilson, J. M. 130.
Woodlock, F. 328.
Workman, H. B. 317.
Wunderle, G. 319
Wundt, M. 585.
Yeo, N.
Zarco Cuceva, J. 147.
8. Collections. Encyclopédies
et dictionnaires. Entreprises
scientifiques.
ALLEMAGNE.
Liturgiegeschichtliche
127.
Liturgiegeschichtliche Quellen, 127.
Forschungen z. brandeb. u. preuss.
Geschichte, 128.
Brieve Martin Luthers, 129.
Katholische Romantik, 131.
Der deutsche Staatsgedan'e, 131.
Biblische Studien, 131.
Dokumente der Religion, 132
Monumenta Germaniae historica, 132,
307, 594.
Hessische Biographien, 134.
Kirchliches Handlexicon, 307.
Allgemeines Lexikon der bildenden
Forschungen,
655
Künstler von der Antike bis zur
Gegenwart, 308.
Handbuch zum N. T. 583.
Forschungen zur christlichen Litera-
tur- und Dogmengeschichte, 584.
Bibliothek der Kirchenväter, 584.
Ecclesia orans, 585.
Wissenschaftliche Festgabe zum zwôlf-
hundertjärigen Jubiläum des heiligen
Korbinian, 586.
Kôsel, 586.
Der katholische Gedanke, 586.
Die Kunst des Ostens in Einzeldar-
stellungen, 588.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
Essays and studies, 136,
Texts for students, 592.
The Victoria history of the counties of
England, 598.
BELGIQUE.
Oeuvre nationale pour la reproduction
des mss. à miniatures, 144.
Spicilegium Sacrum Lovaniense, 145.
Dictionnaire historique et géographi-
que des communes belges, 325.
ESPAGNE.
Biblioteca colonial americana, 147.
Biblioteca filoséfica. Los grandes filé-
sofos espanoles, 149.
ÉTATS-UNIS. AMÉRIQUE.
Universal Knowledge, 609.
FRANCE.
Dictionnaire d'archéologie chrétienne
et de liturgie, 150-153.
Dictionnaire de théologie catholique,
154, 612.
La Picardie historique et monumen-
tale, 160.
Documents paléographiques, typogra-
phiques, iconographiques, 164.
Les grands pèlerinages de France, 165.
Bibliothèque du xve siècle, 331.
Les Saints, 332.
L'art et les saints, 619.
Dictionnaire d'histoire et de géogra-
phie ecclésiastiques, 611.
656
ITALIE.
Studi Sassaresi, 171.
Italia Pontificia, 172.
Monografie del collegio Alberoni, 173.
I libri della fede, 342.
Corpus nummorum italicorum, 348.
Orientalia christiana, 349.
Lateranum, 634.
Le chiese di Roma illustrate, 635.
PALESTINE.
Orientalia et judaica, 645.
POLOGNE
Pisma Ojcéw Kosciola (Oeuvres des
Pères de l'Eglise), 352.
SUISSE.
Dictionnaire historique et biographique
de la Suisse, 354, 647.
4. Musées, archives
et bibliothèques.
ALLEMAGNE.
Landesbibliothek de Dresde, 134.
Archives Schnorr von Carolsfeld, 134.
Geheim Staatsarchiv, 589.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
John Rylands Library, 317.
AUTRICHE.
Barock museum de Vienne, 142
BELGIQUE.
Bibliothèque de l’Université de Lou-
vain, 317.
ÉTATS-UNIS. AMÉRIQUE.
Musée métropolitain de New-York, 332.
Bibliothèque du Congrès, à Washing-
ton, 610.
FRANCE.
Musée du Louvre, 161.
Musée Calvet à Avignon, 165
TABLES.
Exposition de l'art ancien au pays de
Liége à Paris, 619.
Bibliothèque-musée de la guerre, 628.
Bibliothèque nationale, 628.
HONGRIE.
Bibliothèque Széchnémi de Budapest,
341.
ITALIE.
Bibliothèque vaticane, 628, 644.
JAPON.
Bibliothèque de l’université de Tokio,
317.
5. Congrès.
ALLEMAGNE.
Congrès de la Gürresgesellschaft, 132.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
Congrès des anglo-catholiques, 140.
Congrès irlandais de 1932, 599.
Troisième conférence historique anglo-
américaine, 601.
ÉTATS-UNIS. AMÉRIQUE.
Conférence anglo-américaine de pro-
fesseurs d'histoire. à Richmond, 602.
American catholical historical associa-
tion (réunion des 26-29 déc. 1923),
610.
FRANCE.
Congrès archéologique de France tenu
à Limoges en 1921, 334.
57e Congrès des sociétés savantes, à
Dijon, 626.
ESPAGNE.
Congrès hispano-portugais, 148.
PAYS-BAS.
Semaine d'ethnologie religieuse de
Tilbourg (compte-rendu), 318-320.
POLOGNE.
Ile Congrès de la Ligue des institutions
théologiques tenu à Lublin en 1923,
352:
TABLE PARTICULIÈRE DE LA CHRONIQUE. 657
ROUMANIE.
ler Congrès international des études
byzantines, 647.
6. Sociétés savantes (1).
ALLEMAGNE.
Preuss. Ak. der Wiss. (Sitzungsberich-
te), 124, 305, 307.
Verein zur Pfilege der Liturgiewissen-
schaft, 127.
Säksische Kommission für Geschichte,
133.
Académie de Prusse, 134.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
Bibliographical Society (Transactions),
139.
Historical Association, 139, 601.
Royal Commission on historical monu-
ments, 140. |
Royal Irish Academy (Proceedings),
372.
Henry Bradshaw Society, 317.
British Academy (Proccedings), 594.
British archaeological Association
(Journal), 595, 599.
St. Thomas historical Society (lectures
1923-1924), 601.
Royal Society of antiquaries of Ireland,
602.
BELGIQUE.
Société d'art et d'histoire du diocèse
. de Liége (Bulletin), 320.
Commission royale d'histoire (Bulle-
tin), 606. :
Commission royale des anciennes lois
et ordonnances de Belgique (Bulle-
tin), 606.
Société des études philologiques et
historiques (réunion), 607.
Académie royale de Belgique (Annu-
aire), 607.
ESPAGNE.
Real Academia de historia (Boletin),
149.
Societat catalana de filosofia (Anuari),
608.
ÉTATS-UNIS. AMÉRIQUE.
American cath. hist. society, 609.
FRANCE.
Académie des inscriptions et belles-
lettres, 163, 334, 624, 630.
Académie des sciences morales et poli-
tiques, 164, 334, 025, 630.
Société nationale des antiquaires de
France, 164, 335, 626.
Société des amis de la bibliothèque de
Lyon, 164.
Société française d'archéologie, 168.
Académie d'éducation et d’entr'aide
sociales, 335.
Société polymathique du Morbihan
(Bulletin), 593.
Société d'histoire moderne, 624.
Académie française, 629, 630.
HONGRIE.
Società unghercse-italiana Mattia Cor-
vino di scienze, lettere, arti e rela-
‘zioni sociali, 341.
ITALIE.
Istituto storico italiano (Boll.), 175.
Academie dei Lincei, 341.
R. Deputazione di storia patria per le
Romagne (Atti e Memorie), 640.
ROUMANIE.
Buletinu Comisiunii Monumentelor
istorice, 353.
Académie roumaine. Section histori-
que (Bulletin), 646.
UKRAINE.
Société de Shchevchenko, 355.
(1) Les Bulletins et les Mémoires des Sociétés savantes sont renseignés sous ce
h° 6, et non sous les rubriques « Périodiques » ou « Collections » (n°® 8 et 3),
658
‘7. Universités et Instituts
d'enseignement supérieur (1).
ALLEMAGNE,
Albertus-Magnus Akademie, 133.
Université de Giessen, 134.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
Board of celtic studies (Bulletin), 136.
Institute of historical research, 139,
317.
School of oriental studies (Londres)
(Bulletin), 598.
Université d'Oxford, 600.
FRANCE.
Institut catholique de Paris, 164.
Institut français de Varsovie, 164.
École d'archéologie de l’Afrique du
Nord, 165.
Institut de Droit canonique de la Fa-
culté de théol. cath. de Strasbourg,
629, 630.
ITALIE.
Institut historique belge à Rome, 641.
Institut néerlandais à Rome, 643.
Institut scandinave à Rome, 644.
Institut historique tchéco-slovaque à
Rome, 644.
Institut pontifical oriental, 644.
8. Périodiques.
ALLEMAGNE.
Neue kirchliche Zeitschrift, 124.
Zeitschrift für Kirchengeschichte, 124.
Byzantinisch-neugriechische Jahrbü-
cher, 124, 125.
Zeitschrift für Missionswissenschaft,
125.
Theologische Literaturzeitung, 125,
306.
Neues Archiv, 128.
Benediktinische Monatschrift, 128.
Zeitschrift für Bücherfreunde, 128.
Hochland, 120.
. Zeitschrift für systematische Theolo-
gie, 131.
TABLES.
Jahresberichte der deutschen Ge-
schichte, 133.
Zeitschrift für die Geschichte des Ober-
rheins, 134.
Oriens christianus, 134.
Litcrarisches Zentralblatt für Deutsch-
land, 309, 590:
Rômische Quartalschrift f. christl. Al-
tertumskunde und für Kirchenge-
schichte, 346, 638.
Zeitschrift f. d. neutest. Wissenschaft,
578, 585.
Archiv für Religionswissenschaft, 58r.
Das Land der Bibel, 584.
Zeitschrift der Gesellschaft f. Befôrde-
rung der Geschichts-, Altertums-
und Voilkskunde von Freiburg, 589.
Franziskanische Studien, 589.
Beiträge zur bayer.Kirchengesch., 589.
Preussische Jahrbücher, 590.
ANGLETERRE-ÉCOSSE-IRLANDE.
Bulletin of the John Ryland Library,
126, 311, 313.
English historical review, 136, 313.
Laudate, 136.
Theology, 137.
Burlington magazine, 140, 589.
Journal of theological studies, 306, 602.
The Month, 314.
Cambridge historical journal, 317.
Irish ecclesiastical Record, 593.
Times literary supplement, 593, 597.
Antiquaries journal, 593, 595.
Times, 594.
Modern language review, 594, 596.
The Tablet, 598.
Notes and queries, 599.
Studies, 599.
History, 600.
AUTRICHE.
Oesterreichische Rundscbau, 128.
Historische Blätter, 604.
BELGIQUE.
Ephemerides theologicae lovanienses,
145, 314- |
(1) Les collections proprement universilaireS sont rénseignées sous ce n° 7 et
non pas sous la rubrique « Collections » (n° 3). |
TABLE PARTICULIÈRE DE LA CHRONIQUE,
La Terre wallonne, 326.
Revue belge de philosophie et d'his-
toire, 605.
Dietsche Warande en Belfort, 605.
Analecta ordinis Praedicatorum, 606.
Questions liturgiques et paroissiales,
620.
Namurcum, 607, 620.
Byzantion, 607.
ESPAGNE.
Revista franciscana, 149.
Archivo-ibero-americano, 608.
ÉTATS-UNIS. AMÉRIQUE.
The american Church monthly, 141,
328, 609.
Harvard theological review, 327.
The catholic his'orical review, 327,
328, 610.
FRANCE.
Bulletin monumental, 168, 333
Revue d'histoire franciscaine, 165, 336.
La France franciscaine, 165.
Revue d'histoire de la guerre mondiale,
162.
Revue de l'art ancien et moderne, 161,
333:
Gazette des beaux-arts, 161, 332, 619.
Fiches du mois, 336.
Revue du clergé français, 579.
Revue biblique, 581.
Revue d’ascétique et de mystique, 618.
Moyen Age, 619.
Revue d'histoire des missions, 624.
Débats, 628.
Revue de l'art, 647.
GRÈCE.
"ExxAnoraotixds Dapos, 146.
’ExxAroïa, 170.
"Avyaraois, 631.
Kunpiaxz ypouxa, 632.
Kurpzixn Erbeopnots, 632.
HONGRIE.
Magyar Kônyuszemie (revue bibliogr.
hongroise), 340.
ITALIE.
Archivio veneto-tridentino, 171.
Civiltà cattolica, 171, 172, 174, 633.
Nuovo bolletino di archeologia cris-
tiana, 174, 175, 348.
L’Arte, 177.
Rivista storica benedettina, 342, 343.
Scuola cattolica, 342.
Athenaeum, 343.
Rivista storica italiana, 344.
Studi medievali, 347.
Didascaleion, 347.
Rivista di archeologia cristiana, 348.
La rivista fiumana, 349.
Bessarione, 349.
Gregorianum, 588.
Archivum franciscanum historicum,
634.
Psalterium, 637.
Roma, 639.
Archivio della società romana di storia
patria, 640.
PAYS-BAS.
Historisch Tijdschrift, 178, 646.
De Beiaard, 351-352.
Tijdschrift voor nederlandsche taal en
letterkunde, 605.
POLOGNE.
Bogoslovia, 179.
Polska odrodzona, 179.
Roczniki (annuaires) katolickie, 352.
ROUMANIE.
Theologia, 647.
SUISSE.
Divus Thomas, 587.
UKRAINE.
Bohoslovia, 355.
YOUGO-SLA VIE.
Narodna Starina, 355-356.
Dom in Sviet, 356.
660
9. Nominations.
Voir payes 133, 141, 165-166, 170,
309-310, 336-337, 353, G02, 608, 631,
647.
10. Notices nécrologiques.
Allais, G. 167.
Babelon, E. 168.
Baring-Gould, S. 317.
Basset, KR. 337.
Bellet, Mgr 337.
Birch, W. de Gray 603.
Bloch, 168.
Bouché-Leclercq, A. 166.
Cagin, P. 166.
Chabert, S. 337.
Chaponnière, Fr. 354.
Chevalier, U. 167.
Conybeare, Fr. Cornvallis 318.
Cramer, Fr. 310.
Croiset, A. 166.
de Boccard, KR. 354.
de Fleury, 168.
d'Estournelles de Constant, 63c.
Dill, S. 603.
Droz, E. 167.
Edmonds, C. 141.
Egan, M. F. 6r0.
Ehrhardt, P. 135.
Endres, À. 310.
Eschbach, 167-168.
Esser, G. 310.
Fejerpataky, L. 341.
Fowler, J.-Th. 602.
Gamuririni, G. Fr. 177.
Gardiner, R. Hallowed 611.
Gibson, E. C.S. 602.
TABLES.
Gothein, E. 135.
Grauert, v. 310.
Griselle, E. 166.
Grossi-Gondi, 177.
Herzog. Éd. 648.
Hoberg, G. 310.
Hunt, Gaillard 610.
Jenkinson, F. J]. H. x4r.
Kanzier, Bon KR. 349.
Kippenberg, O. 135.
Lefèvre-Pontalis, E. 168.
Léger, L. P. M. 167.
Leitschuh,.F. F, 355.
Lewis, G. 602.
Margoliouth, G. 603.
Marx, J. 310.
Mathorez, J. 166.
Mérimée, E. 337.
Middleton, Th. C. 329.
Morley, J. ar.
Natorp, P. 310.
Pingaud, L. 166.
Pooler, L. A. T. 604.
Preisigke, 310.
Rashdall, Hastings 602,
Ritter, M. 310.
Saura Lehoz, P. 149.
Schwartz, W. 310.
Slater, W. F. 603.
Smith, À. Lionel 603.
Smith, J. Talbot 328
Stanton, V. H. 603.
Vernes, M. 167.
Vollmer, Fr. 135.
Wace, H. 318.
Waltz, À. 166.
Ward, A. W. 604.
Zabughin, W. 177.
Il. — Table générale des matières.
1. — ARTICLES.
R. DRAGUET. UN COMMENTAIRE GREC ARIEN SUR JOB . : ; 38-65
A. FLICHE. LE PONTIFICAT DE VICTOR III (1086-1087) . . 331-412
L. GOUGAUD, 0.S.B. LA PRIÈRE DITE DE CHARLEMAGNE ET LES PIÈCES
APOCRYPHES APPARENTÉES . . : ; . 211-238
I. La lettre du Christ à Abgar. | ; ; 5 212
If. Lettre du dimanche . . : : ë ’ 213
III. Lettres-amulettes tombées du ciel . ; ‘ 215
IV. La mesure du corps du Christ . ; | . 216
V. La mesure de la pluie du côté . : ; : 293
VI. La prière de Charlemagne : 227
J. LEBON. LA POSITION DE SAINT CYRILLE DE déRvS SA LEN DANS
LES LUTTES PROVOQUÉES PAR L’ARIANISME 181-210; 357-386
J. LEBRETON. LE DÉSACCORD DE LA FOI POPULAIRE ET DE LA THÉO-
LOGIE SAVANTE DANS L'ÉGLISE CHRÉTIENNE DU
IIS SIÈCLE (suiteetfin) . ï : 5-37
P. RICHARD. LA MONARCHIE PONTIFICALE JUSQU'AU CONCILE DE
TRENTE ; : : ‘ . 413-456
I. Une nouvelle méthode historique Nu propos de
la monarchie pontificale , : ; | 413
II. Origines de la monarchie pontiicale. DS ; 419
II, La monarchie pontificale et le népotisme. : 430
IV. La coalition contre Rome. : ‘ ” ’ 442
V. La papauté et le parti réformiste ; ’ ’ 443
3. — MÉLANGES.
P. Debongnie, C. SS. R. Le chroniqueur de Saint Séverin . : . 465-476
E. de Moreau, S. J. Le transfert de la résidence des évèques de Tongres
à Maestricht : : : ë . 457-464
E. Tobaco. Faut-il admettre une vie el une lettre de s. Paul aux
Corinthiens entre les deux épitres canoniques ? ; : . . 66-71
E. Tobac. "oe de oafBaror…. . _. . 239-243
E. Tobao. Note sur la doctrine du Christ, Nonel Len. : | . 243-247
8. COMPTES RENDUS.
A. Adam. Guillaume de Saint-Thierry, sa vie et ses œuvres. (P. DEBONGNIE.) 264
L. André, voir E. Bourgeois.
J. B. Aufhauser. Christentum und Buddhismus im Ringen um Fern-
asien. (A. DE MEYER.) . ; ‘ , : é ‘ À ‘ . 220
RBVUE D'HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE, XX. 43
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A. W. Wade-Evans. Life of Saint David. (L. GOUGAUD.). : ; . 89
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4. CHRONIQUE.
(Voir pages 649-660 la Table particulière de la chronique.)
5. TABLES.
L. Table particulière de la chronique. : ; ; ; : ; : 649
Il. Table générale des matières . ; ; ; 5 ‘ ; $ : 661
(BIBLIOGRAPHIE.)
(La Bibliographie, ayant une pagination spéciale, forme un volume à part de
340* pages.)
On y trouvera à la fin trois tables :
[. TABLE ONOMASTIQUE . ‘ : . : ; ‘ : : : 301*
Il. REVUES DÉPOUILLÉES. SIGLES ‘ > : : : ‘ : 332*
111. TABLE GÉNÉRALE DE LA BIBLIOGRAPHIE nn: s ; . : 338*
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